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Mercredi 6 décembre 2000

- Présidence de M. Denis Badré, président-

Audition de M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques, président du groupe de travail sur l'expatriation des jeunes Français

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques, président du groupe de travail sur l'expatriation des jeunes Français.

En introduction, M. Jean François-Poncet a rappelé que le rapport du groupe de travail sur l'expatriation des jeunes Français avait pour objectifs de mesurer l'ampleur des expatriations de cadres et d'entrepreneurs français dans les pays anglo-saxons, d'analyser les motifs de ces départs, d'en évaluer les conséquences pour la collectivité nationale et d'en tirer des enseignements sur les moyens de favoriser la création d'entreprises en France.

M. Jean François-Poncet a tout d'abord exposé les conclusions du groupe de travail quant à l'évaluation quantitative et qualitative du phénomène. Il a souligné que cette évaluation était rendue particulièrement difficile par l'absence de statistiques fiables et exhaustives. Il a notamment relevé que les chiffres donnés par les consulats français sur les communautés françaises établies à l'étranger n'étaient que des estimations fondées sur le nombre des Français immatriculés.

Il a indiqué que le recoupement de nombreuses sources d'information, tant françaises qu'étrangères, soulignait, néanmoins, une accélération importante des flux de Français hautement qualifiés vers les Etats-Unis. Il a souligné que la caractéristique marquante de ces expatriés résidait dans leur niveau élevé de formation.

Après avoir décrit les différentes catégories de Français expatriés, cadres, créateurs d'entreprise, chercheurs, investisseurs, il a relevé que cette émigration concernait plus particulièrement les secteurs des nouvelles technologies. Il a indiqué à ce propos que le chiffre évoqué par la presse de 40.000 créateurs d'entreprises innovantes françaises installés dans la Silicon Valley était largement surévalué, puisqu'il correspondait à l'ensemble de la population française installée, enfants et personnes âgées compris, dans l'ensemble de la Californie. Il a précisé qu'on pouvait estimer de 7 à 10.000 le nombre de cadres informaticiens français travaillant dans la Silicon Valley et à plusieurs centaines le nombre d'entreprises françaises créées dans cette région.

M. Jean François-Poncet a ensuite décrit les principales motivations de ces expatriés. Soulignant que ces motivations étaient aussi hétérogènes que le profil des expatriés, il a toutefois relevé que celles-ci traduisaient avant tout un environnement favorable à la création et au développement des entreprises.

Il a indiqué qu'une des motivations des jeunes diplômés était la volonté d'acquérir une expérience internationale devenue nécessaire à leur réussite professionnelle dans une économie en voie de mondialisation. Il a fait observer que le monde anglo-saxon exerçait sur l'élite de la jeunesse française un attrait indéniable, tant en raison de ses performances économiques, qu'à cause de l'esprit entrepreneurial qui y règne. Il a relevé que la principale raison évoquée par les cadres et entrepreneurs interrogés par le groupe de travail était la recherche d'un environnement administratif et fiscal plus accueillant que celui qui leur est offert en France. Il a, en outre, mis l'accent sur le rôle essentiel d'" investisseurs providentiels " dans la création d'entreprises innovantes aux Etats-Unis.

Après avoir évoqué la situation en France, en Angleterre et aux Etats-Unis en matière de formalités administratives, de flexibilité du droit du travail et de fiscalité des personnes et des entreprises, il a estimé que la France perdait ses créateurs d'entreprise, faute de leur offrir un environnement porteur.

M. Jean François-Poncet a alors souligné que les pouvoirs publics, conscients d'un phénomène qu'ils s'efforçaient cependant de minimiser, avaient pris dans le secteur des nouvelles technologies de nombreuses mesures pour rendre l'environnement de la création d'entreprises innovantes en France plus compétitif.

Après avoir détaillé ces dispositions qui ont permis de relancer le capital-risque et d'offrir aux entreprises innovantes un cadre juridique plus adapté, il a estimé que ces mesures, pour utiles qu'elles soient, n'ont pas suffi à freiner les départs.

Il a fait observer que les progrès enregistrés ces dernières années en France devaient, en effet, être comparés à ceux effectués par les autres pays concurrents. Il a indiqué, à ce propos, que le niveau de développement du marché français des nouvelles technologies de l'information était très en deçà du marché anglais. Il a, en outre, relevé que les mesures adoptées en France pour favoriser le développement des entreprises innovantes apparaissaient, par comparaison avec celles adoptées dans plusieurs pays d'Europe et aux Etats-Unis, d'une portée encore trop limitée. Il a notamment attiré l'attention sur le fait que ces mesures n'ont pas réussi à enrayer l'expatriation des entrepreneurs qui, ayant réussi, quittent la France pour échapper à la fiscalité française en général et à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en particulier.

M. Jean François-Poncet a estimé qu'il était essentiel d'arrêter l'hémorragie de cadres et d'entrepreneurs à laquelle on assistait parce qu'elle pénalisait gravement un secteur stratégique de l'économie. Il a jugé que si ces expatriations pouvaient apparaître, en première analyse, positives, illustrant une plus grande ouverture des jeunes Français sur le monde, elles portaient néanmoins gravement atteinte au développement en France de la nouvelle économie.

Il a souligné que cette nouvelle vague d'émigration privait la France d'une élite, certes peu nombreuse, mais dont le rôle économique était essentiel, observant que le pourcentage de diplômés sortant des écoles d'ingénieurs et de commerce qui créent leur propre entreprise était si faible que des délocalisations, même numériquement limitées, auraient à moyen terme des conséquences très sérieuses.

Il a fait observer que les pouvoirs publics avaient la tentation de banaliser et de minimiser le phénomène. Evoquant le directeur du service de la législation fiscale du ministère de l'économie et des finances qui avait notamment estimé, lors d'une audition par le groupe de travail, que l'expatriation de ces cadres et entrepreneurs du secteur des nouvelles technologies n'avait aucun effet macro-économique, il a jugé que si les pouvoirs publics attendaient que cette émigration ait un effet macro-économique, il sera trop tard pour agir. Le moteur à explosion n'avait, a-t-il rappelé, pas d'effet macro-économique en 1860, on sait ce qu'il en est advenu quelques décennies plus tard.

M. Jean François-Poncet a indiqué que les conséquences de ce phénomène sur la compétitivité future de la France imposaient de prendre d'urgence des mesures correctrices. Il a estimé qu'une première voie consisterait à inaugurer sur tous les fronts une politique différente de celle pratiquée depuis des décennies par tous les gouvernements qui se sont succédé. Il faudrait alléger le taux des prélèvements obligatoires, simplifier radicalement les procédures, rendre plus flexible la législation du travail et faire évoluer l'état d'esprit de l'administration, a-t-il précisé. Il a indiqué que le groupe de travail, tout en souhaitant un tel changement de cap, a choisi par réalisme une seconde voie plus modeste qui ne vise que le créneau des créateurs d'entreprise et le secteur des nouvelles technologies.

Il a conclu que la France ne retiendrait son élite et n'attirerait à elle celle des autres pays que si elle surmontait ses blocages idéologiques et mettait en oeuvre une politique qui misait résolument sur l'innovation, la jeunesse et, par conséquent, l'avenir.

Après avoir félicité M. Jean François-Poncet pour la clarté de son exposé, M. Denis Badré, président, a rappelé qu'il était intervenu lors de la discussion de la première partie de la loi de finances, pour souligner combien le ministère des finances sous-estimait les effets pervers de l'ISF.

M. André Ferrand, rapporteur, a indiqué qu'il ne manquerait pas de tirer profit des nombreux enseignements qu'il avait tirés des travaux du groupe de travail sur l'expatriation des jeunes Français auxquels il avait participé.

M. Jean François-Poncet a souligné que ce n'était pas la première fois dans l'histoire de France que l'on assistait à une expatriation des élites, rappelant que lors de la révocation de l'Edit de Nantes, et de la Révolution française, un tel phénomène s'était déjà produit, avec des conséquences très dommageables pour la collectivité nationale.

M. Léon Fatous a fait observer que les Français expatriés en Californie vivaient dans des situations très inégales, et pour certains, précaires. Il a souligné que les investissements français à l'étranger contribuaient à la richesse nationale tout comme les investissements étrangers en France. Il a relevé que si ces investissements directs entraînaient, dans les premiers temps, l'expatriation de nationaux à l'étranger, ces derniers étaient progressivement remplacés par des cadres locaux.

M. Jean François-Poncet a indiqué, à ce sujet, qu'on ne pouvait assimiler la situation des cadres salariés d'entreprises françaises implantées à l'étranger, qui contribuaient au commerce extérieur de la France, à celle des créateurs d'entreprises français qui s'expatrient dans ces mêmes pays. Il a souligné que l'expatriation de ces derniers, souvent issus de grandes écoles financées par l'impôt, avait un coût important pour la collectivité nationale.

Après que M. Léon Fatous eut évoqué la situation des entreprises qui se délocalisaient dans des pays à faible coût de main-d'oeuvre, M. Jean François-Poncet a indiqué que l'expatriation des jeunes cadres et entrepreneurs des nouvelles technologies illustrait la faible compétitivité de l'environnement entrepreneurial français, soulignant qu'en s'expatriant, un certain nombre de Français votaient ainsi " avec leurs pieds ".

Tandis que M. André Lejeune s'est inquiété de ce que la France ne réussisse pas à retenir ses meilleurs éléments, M. Léon Fatous, qui est intervenu pour contester l'analyse des causes de l'expatriation, s'est enquis du poids du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune dans l'ensemble des recettes fiscales.

En réponse à ces interventions, M. Jean François-Poncet a indiqué que l'ISF avait un effet psychologique et économique inversement proportionnel à sa part, par ailleurs réduite, dans les recettes fiscales de l'Etat.