AUDITION DU 12 MARS 1997

MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR L'ENTREE DANS LA SOCIETE DE L'INFORMATION


Mercredi 12 mars 1997 - Présidence de M. Pierre Laffitte, président. La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Richard Bion, chargé de mission pour les nouvelles technologies et les systèmes d'information au commissariat à la réforme de l'Etat.

Dans un exposé introductif, M. Richard Bion a rappelé les étapes de l'informatisation des administrations centrales et des services déconcentrés de l'Etat :

- dans le cadre du plan calcul, le Gouvernement a imposé, entre 1966 et 1984, la création de commissions de l'informatique dans chaque ministère ;

- de 1984 à 1986 ont été mises en place des commissions de l'informatique et de la bureautique dans chaque ministère, ainsi que des schémas directeurs et des conventions de développement permettant le suivi des choix effectués ;

- de 1986 à 1995, le comité interministériel de l'informatique et de la bureautique dans l'administration (CIBA) a confirmé la nécessité pour chaque ministère de réaliser un schéma directeur. Chaque ministère était, et reste, responsable de son informatisation.

- en 1992, le rapport Fontaine a évalué l'informatique de l'Etat ;

- en 1994, le CIBA a élaboré une circulaire sur les schémas directeurs ;

- en septembre 1995, le comité interministériel pour la réforme de l'Etat a été créé ainsi que le commissariat à la réforme de l'Etat. Le CIBA a parallèlement été supprimé.

Le comité interministériel est chargé d'animer et de coordonner les actions des administrations en matière de systèmes d'information, dans le cadre des schémas directeurs existants.

Le commissariat est quant à lui chargé de veiller à la prise en compte par les administrations des conséquences des nouvelles technologies de l'information sur leur fonctionnement et leur organisation ;

- enfin, en 1996, une circulaire a prévu la remise à jour des schémas directeurs d'ici la mi-1997 en fonction des décisions prises par ailleurs en ce qui concerne la réorganisation des administrations centrales. Un comité technique a été mis en place afin de valider les schémas directeurs modifiés. Trois schémas ont à ce jour été examinés. Dans le cadre ainsi défini, les liaisons entre les administrations centrales et les services déconcentrés ainsi que les organismes sous tutelle ont fait l'objet d'un examen particulier afin de renforcer la circulation de l'information et les conditions d'exercice de la tutelle.

M. Richard Bion a poursuivi son exposé en présentant des informations sur l'informatisation des administrations.

Il existe actuellement, en dehors du ministère de la défense, 28 structures informatiques dans les administrations centrales (8 au ministère des finances), qui représentent un coût annuel de 5 milliards de francs, et nécessitent la conclusion de 1.000 marchés informatiques par an. La valeur du parc installé est de 15 milliards de francs. 13.700 informaticiens, dont la moitié en poste au ministère de l'économie et des finances, participent au fonctionnement de ces systèmes. Enfin, les budgets, en diminution depuis cinq ans, se décomposent ainsi :

- 41 % pour l'achat des matériels ;

- 18 % pour l'entretien ;

- 12 % pour les télécommunications ;

- 12 % pour l'achat de logiciels et de progiciels ;

- 12 % pour les prestations de services ;

- 2 % pour la formation ;

- 3 % de frais divers.

Les administrations n'ont pas encore pris totalement la mesure de l'évolution des métiers impliqués.

En ce qui concerne les matériels, il existe actuellement quelque 110 grands systèmes, dont le nombre diminuera au profit de la mini-informatique. De nombreux micro-ordinateurs (un tiers sur un total de 250.000) ne sont pas encore en réseau. Il existe, en moyenne, à l'heure actuelle un micro-ordinateur pour deux agents.

Les gains de productivité et d'efficacité résultant de l'effort d'informatisation n'ont pas été chiffrés.

M. Richard Bion a indiqué par ailleurs que l'informatisation n'avait pas conduit à l'adaptation des procédures et de l'organisation administrative et que les gisements d'information gérés par l'administration n'avaient pas été valorisés. Le commissariat à la réforme de l'Etat appuie le renouvellement des schémas directeurs, qui va prendre du retard en raison de la nécessité de tenir compte des mesures en voie d'élaboration pour la réforme des structures des administrations centrales. Il a aussi été décidé de mettre en place des plans de développement des systèmes d'information au niveau territorial. Enfin, des applications informatiques nouvelles devront être mises en oeuvre spécialement en ce qui concerne la gestion financière et budgétaire et la gestion des personnels. De façon générale, le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication devra être accru à tous les niveaux des administrations centrales et déconcentrées.

Revenant sur le renouvellement des schémas directeurs, M. Richard Bion a précisé que ceux-ci devraient préciser la politique d'utilisation des nouvelles technologies de l'information, que leur champ d'application devait être bien identifié, qu'ils devaient mettre en place de véritables systèmes d'information et prévoir une meilleure gestion du gisement d'information afin de faciliter l'évaluation des politiques publiques et la tutelle des organismes rattachés.

En ce qui concerne les systèmes d'information territoriaux, M. Richard Bion a précisé que les services déconcentrés de l'Etat devaient communiquer entre eux.

A une question du président Pierre Laffitte sur la nécessité de passer d'une structuration hiérarchique des administrations à une structuration par objectifs, à la suite de l'utilisation des nouvelles technologies dans les relations avec les usagers, M. Richard Bion a répondu qu'une prise de conscience était en cours, spécialement dans les services déconcentrés.

De nombreuses initiatives ont été prises en matière d'accueil, de même que des serveurs d'information ont été mis en place, sur lesquels des obstacles juridiques restreignent la diffusion des textes législatifs et réglementaires. Il existe aussi des " maisons des services publics " pour lesquelles le commissariat souhaite financer des expérimentations avec les crédits inscrits au fonds de réforme de l'Etat. Un guide devra ultérieurement être élaboré sur les technologies disponibles dans ce domaine.

A une question du président Pierre Laffitte, M. Richard Bion a répondu que les préfets pouvaient proposer le financement de projets élaborés en partenariat avec les collectivités locales.

A une question de M. Alain Joyandet, il a répondu par ailleurs que les " maisons des services publics " devaient s'appuyer, chaque fois que possible, sur les implantations de l'Etat existantes et pouvaient couvrir une très large gamme de services aux administrés.

Il a enfin indiqué à M. Franck Sérusclat que ces expériences pouvaient favoriser la revitalisation de certaines petites communes dépourvues de ressources.

**La mission a ensuite auditionné une délégation du syndicat de l'industrie des technologies de l'information (SFIB), conduite par M. Gilles Ragueneau, vice-président.

M. Gilles Ragueneau a tout d'abord précisé que les technologies de l'information représentaient en France 37.000 emplois et 77 milliards de francs de chiffre d'affaires. Le SFIB mène, a-t-il indiqué, des études sur le retard français en matière d'équipement micro-informatique -dont il a souligné qu'il concernait non seulement les particuliers mais aussi les entreprises et l'administration- ainsi que sur l'utilisation des normes internationales, l'interopérabilité des systèmes et des matériels, la libéralisation des marchés, tant informatiques que de télécommunications.

M. Michel Fromon, membre du comité stratégique du SFIB, a chiffré le retard français en matière d'équipement en terminaux informatiques. Il a précisé que l'Europe était en retard dans ce domaine sur les Etats-Unis et l'Asie, et qu'au sein des pays européens, la France était le pays disposant du plus faible taux de pénétration puisqu'on y trouvait seulement 13,6 ordinateurs pour 100 personnes, contre un ratio de 19,2 en Allemagne, 23 en Suède et 17 en moyenne pour l'ensemble des pays européens.

Il a affirmé que ce retard touchait toutes les catégories d'utilisateurs. S'agissant des entreprises, la France compte 6 ordinateurs pour 100 personnes, alors que ce chiffre est de 9 aux Pays-Bas, de 10 en Suède et de 7 en Angleterre. En ce qui concerne les foyers, le taux de pénétration français n'est que de 16 %, contre 24 % en Allemagne et jusqu'à 40 % aux Etats-Unis. Le retard touche aussi les écoles, avec un taux de 0,6 ordinateurs pour 100 élèves en France, 1,6 en Grande-Bretagne et 3 en Suède.

M. Michel Fromon a déploré ce retard dont il a souligné la nouveauté puisque, grâce à l'utilisation du Minitel, la France avait été dans la décennie précédente plutôt en avance sur le reste du monde. Il a, d'autre part, dénoncé l'attitude critique des Français vis-à-vis d'Internet. Il s'est dit préoccupé de ce que les entreprises françaises ne saisissaient pas les opportunités de créations d'activités et d'emplois ainsi que de nouveaux moyens de commercialisation qu'offraient les technologies de l'information.

M. Pierre Laffitte, président, a rappelé que son récent rapport fait au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, relatif à la France et la société de l'information, avait déjà permis de dresser le constat du retard français.

M. Gilles Ragueneau a ensuite abordé le sujet de la cryptographie, nécessaire à la sécurité des transactions commerciales sur les réseaux informatiques. Il a exprimé les souhaits du syndicat de l'industrie des technologies de l'information de voir une libéralisation totale de la cryptologie en ce qui concerne les algorithmes de 40 bits. Il a indiqué que la libéralisation opérée par la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 n'était pas suffisante, d'autant plus que le décret d'application concernant la cryptologie n'était pas encore paru. Il a jugé la réglementation actuelle inadaptée au développement du commerce électronique. Prenant en compte les impératifs de défense nationale, M. Gilles Ragueneau a opéré une distinction entre la cryptologie dite " faible ", nécessaire aux transactions commerciales -et que l'administration de la défense pouvait techniquement facilement décrypter- qu'il convenait de libéraliser, et la cryptologie dite " dure " devant, selon lui, relever d'un régime moins souple.

M. Jean Laurens, président de la commission de normalisation, a ensuite abordé la normalisation. Il a souligné la particularité de la normalisation dans le domaine des technologies de l'information, liée au fait que, dans ce domaine, le cycle de vie de produits était plus court. Il a précisé que les normes internationales étaient élaborées par des groupes de travail d'industriels et s'attachaient surtout à l'interopérabilité -capacité de fonctionner ensemble- et à la portabilité -la faculté de fonctionner sous différentes configurations- des équipements et des logiciels. Il a décrit la normalisation comme un moyen de diffusion et de valorisation de la culture française.

Mlle Françoise Bousquet, membre de la délégation du SFIB, a regretté la pauvreté de la représentation française dans les instances de normalisation des organisations internationales. Elle a affirmé que la normalisation était un moyen de valorisation non seulement de la culture française, mais aussi de l'industrie française.

En réponse à M. Pierre Laffitte, président, qui citait l'exemple de la norme issue du club Digital Audio Broadcasting (DAB), M. Jean Laurens a indiqué sa préférence pour des structures légères de normalisation, composées d'experts élaborant des standards diffusés ensuite aux industriels. Critiquant le manque d'implication des directions générales des grandes entreprises françaises dans la normalisation, il a prôné leur participation plus active à ce processus.

M. Claude Boulle, membre de la délégation du SFIB, a ensuite affirmé qu'une stratégie politique était aussi nécessaire pour la standardisation qu'il a définie, à la demande de M. Pierre Hérisson, comme une réalité technique imposée de fait au marché par l'entreprise la plus puissante, à la différence de la normalisation, qui relevait d'une démarche normative et concertée.

Reprenant son propos sur la normalisation, Mlle Françoise Bousquet s'est déclarée favorable à une meilleure collaboration entre les industriels et l'AFNOR, responsable de l'édiction des normes officielles en France.

M. Pierre Laffitte, président, a interrogé les représentants du SFBI sur les solutions qui permettraient de combler le retard d'équipement français. Il a notamment évoqué le passage de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 % pour les équipements informatiques.

M. Pascal Cagni, membre de la délégation du SFIB, a déclaré soutenir cette proposition. Il a rappelé les principales propositions du syndicat pour parer le faible taux d'équipement français, en évoquant le problème du tarif trop élevé des connexions au réseau Internet, celui des trop longs délais d'homologation de certains matériels comme les " Modem ", celui de la durée d'amortissement et de la fiscalité des équipements informatiques. Il a affirmé la nécessité d'intégrer au cursus scolaire un enseignement du clavier et du fonctionnement des micro-ordinateurs.

Le président Pierre Laffitte a rappelé que le Sénat avait déjà adopté un amendement baissant le taux de la TVA qui frappe les achats d'équipements informatiques, même si cette mesure n'avait pas été définitivement adoptée.

En réponse à M. Pierre Hérisson, M. Michel Fromon a précisé qu'une formation des professeurs de l'éducation nationale était indispensable puisque, bien souvent, les équipements informatiques n'étaient pas utilisés. Revenant à la TVA, il a indiqué que les études montraient une très grande sensibilité du grand public aux prix en matière d'achat d'ordinateurs. Il a fixé à 5.000 francs le palier psychologique en deçà duquel on pouvait espérer une forte augmentation du taux de pénétration. Il a évalué à 6.900 à 7.900 francs le prix actuel des ordinateurs performants, et a relevé l'importance stratégique d'une éventuelle réduction du taux de la TVA qui permettrait de se rapprocher du seuil de 5.000 francs.

M. Gilles Ragueneau a ensuite abordé le problème de l'amortissement accéléré par les entreprises des équipements informatiques. Il a rappelé qu'en dépit d'une disposition législative votée il y a plus d'un an, le Gouvernement ne semblait pas vouloir prendre les décrets d'application qui permettraient de rendre cette mesure effective. Il a dénoncé la mauvaise volonté de ce dernier, liée à des préoccupations budgétaires.

M. Pierre Hérisson a alors évoqué les problèmes que pourrait poser un abaissement du taux de la TVA face à la nécessité d'harmonisation des taux de cette taxe entre les différents pays de l'Union européenne. Il a évoqué l'éventualité de la création d'un taux intermédiaire de TVA, plus proche du taux moyen européen, qui serait susceptible de s'appliquer à de nombreux secteurs d'activité. Il a écarté l'idée que la TVA puisse être un frein au développement de l'équipement informatique des écoles puisque les collectivités locales étaient susceptibles de se la voir rembourser par le biais du fonds de compensation de la TVA (FCTVA).

M. Pascal Cagni a ensuite évoqué la hausse actuelle du cours du dollar comme un frein possible à l'équipement informatique.

M. Gilles Ragueneau a enfin fait part des exemples, allemand et américain, qu'il a jugé positifs, de déduction des achats d'ordinateurs de l'impôt sur le revenu.