" ENTREE DANS LA SOCIETE

DE L'INFORMATION "

AUDITIONS DU 6 NOVEMBRE 1996

MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR L'ENTRÉE

DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

Mercredi 6 novembre 1996- Présidence de M. Pierre Laffitte, président.

1. Audition de M. Gérard Théry, président de la Cité des sciences

2. Audition de MM. Pierre Bouriez et Christian Rossi (Lyonnaise Communications)

3. Audition de MM. Stéphane Treppoz et Jean-Pascal Tranie (CGE)


La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gérard Théry, président de la Cité des sciences.

M. Gérard Théry a tout d'abord évoqué les nouveaux marchés de la communication à haut débit et du multimédia à travers une présentation des différents systèmes techniques.

Il a rappelé que la filière du téléphone (numérique à très bas débit) avait créé une dynamique de marché permettant l'émergence du fax (qui fonctionne sur un système Numéris à haut débit) et a estimé que cette filière était en fin de vie, sauf pour le téléphone mobile.

Puis il a évoqué les mérites et les dangers d'Internet, deuxième filière évoquée : il a notamment rappelé que la structure circulaire de ce réseau mondial en rendait les coûts indépendants de la distance. Il a souligné qu'Internet, dans la mesure où près des trois quarts des sites sont situés sur le territoire des Etats­Unis, apparaissait comme un instrument d'américanisation de l'ensemble du système de communication en voie d'apparition, observant qu'en résulterait la promotion non seulement de la culture et des contenus mais également des activités tertiaires nord­américaines. Les européens et les japonais apparaîtront en situation défensive sur des marchés appelés à devenir marchands.

Il a ajouté que le marché d'Internet était toutefois bridé par la faible densité d'ordinateurs personnels sur le marché résidentiel (de sorte que le nombre d'abonnés au Minitel dépasse largement celui des personnes connectées sur Internet). A ceci, s'ajoute une limitation de standard qui entraîne celle du débit, bien que la dérivation Intranet qui se développe par ailleurs entre les postes de travail d'une même entreprise permette de surmonter localement cette difficulté.

M. Gérard Théry a ensuite mentionné les dangers présentés par Internet : le risque juridique, puisque les droits d'auteur ne sont pas protégés, la question de la sécurisation des données, dans la mesure où le secret des communications ne l'est pas plus, la diffusion d'informations contraires aux lois en vigueur, notamment en matière de réseaux de pornographie, de trafic des drogues de synthèse, de blanchiment.

M. Gérard Théry a ensuite développé le thème de la filière du satellite à diffusion numérique et du câble qui en est le complément.

Il a souligné que les positions françaises étaient satisfaisantes sur ce marché en forte expansion, à condition que les opérateurs français s'accordent sur un standard commun. Il a ajouté que sur cette filière, qui connaît des mouvements de convergence avec l'informatique, la clé du succès résiderait dans l'invention de contenus novateurs. La presse et les acteurs régionaux et locaux ont un rôle à jouer à cet égard.

M. Gérard Théry a enfin insisté sur l'intérêt présenté par la quatrième filière, celle de la fibre optique jointe à l'Asynchronous transfer mode (ATM), technique de communication pour les réseaux multiservices de grand débit. Il a plaidé pour un renforcement des investissements dans le secteur de la fibre optique. Il a donc préconisé un remplacement progressif de la " boucle locale " (réseau de distribution situé entre le commutateur et l'abonné) en cuivre par de la fibre optique qui, jointe à l'ATM, permet de traiter de très hauts débits et donc de commuter des images vidéo.

Il a aussi jugé qu'afin de réaliser une production en séries, seule à même d'abaisser les coûts, les commandes devaient provenir initialement d'un donneur d'ordre qui, dans le cas français, est essentiellement France Télécom, opérateur dominant.

Répondant à une question de M. Alain Joyandet, rapporteur, et à des observations de M. Pierre Laffitte, président, il a reconnu que les possibilités de connexion au réseau ATM étaient actuellement limitées et qu'un objectif de 200 villes environ, puis de 2.000 à 5.000 villes devait être visé, en utilisant au mieux les infrastructures existantes afin de réduire les coûts de génie civil.

Répondant en outre à des questions de M. Alain Joyandet, rapporteur, de Mme Danièle Pourtaud et de M. Jacques Mahéas, il a souligné que le passage à la fibre optique et à l'ATM pouvait constituer une réponse au monopole des logiciels sur Internet détenu par une demi­douzaine de firmes, à condition, comme l'a souligné M. Pierre Laffitte, président, que soient effectués les investissements dans les logiciels correspondants. Il a également insisté d'une part sur la nécessité d'un programme d'offre qui mobilise des contenus variés et, d'autre part, sur la responsabilité de l'opérateur dominant en matière d'investissements de télécommunications, qui présentent la caractéristique d'être à la fois collectifs (à rentabilité différée) et productifs (très rentables à terme).

Il a conclu son propos en appelant à une harmonisation de la réglementation d'application de la récente loi de réglementation des télécommunications avec l'application des lois adoptées parallèlement en Allemagne et au Royaume­Uni : il a en effet souligné que si les règles applicables au service universel posaient peu de problèmes, en revanche, celles relatives à l'interconnexion des réseaux alternatifs risquaient, à brève échéance, d'entraîner des distorsions de concurrence très dommageables pour les opérateurs français par rapport à leurs principaux concurrents européens.

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Bouriez, responsable du développement technologique de la Lyonnaise communications et de M. Christian Rossi, directeur de la communication de la Lyonnaise communications.

M. Pierre Bouriez a présenté l'expérience " multicâble " de services multimédia en ligne et d'accès à Internet à haut débit par micro-ordinateur mise en place par la Lyonnaise communications dans le VIIe arrondissement de Paris en octobre 1995. Cette expérience a permis de vérifier auprès de 200 abonnés au câble que ce type de réseau était la meilleure bretelle d'accès aux autoroutes de l'information et de repérer les utilisateurs potentiels et les usages les plus prisés.

La plupart des consommations enregistrées (80 à 90 %) intéressait l'accès aux services d'Internet. Parmi les milliers de sites visités, on a noté une préférence pour le cinéma (accès aux programmes des salles parisiennes et téléchargement rapide de bandes annonces), l'information (consultation de journaux en ligne, météo), le divertissement (musées virtuels, musique), les événements sportifs.

L'utilisation du courrier électronique a été un des autres grands motifs de connexion à Internet et semble de plus en plus fréquente de la part des particuliers comme de la part des entreprises.

Par ailleurs, 82 % des abonnés ont déclaré se connecter pratiquement tous les jours, la durée moyenne de connexion étant d'une heure quarante par jour. Les utilisateurs appartiennent majoritairement à la tranche d'âge de 35 à 50 ans. Il est enfin intéressant de constater que 96 % des utilisateurs ont estimé que ce mode de connexion à Internet était d'utilisation facile.

Abordant ensuite la configuration technique des réseaux câblés, M. Pierre Bouriez a indiqué à M. Alain Joyandet, rapporteur, que contrairement aux réseaux américains dont l'adaptation aux besoins de la société de l'information nécessitait un investissement représentant 15 à 20 % de l'investissement initial, les réseaux français étaient d'ores et déjà bidirectionnels et parfaitement adaptés à des besoins tels que l'accès à Internet et au fonctionnement de services utilisant des procédés d'interactivité. Il a précisé que le câble français était aussi adapté à la téléphonie entre points fixes. Il a enfin noté que les réseaux câblés permettaient à chacun d'installer à domicile son propre serveur web pour un coût modique grâce à l'utilisation de la connexion permanente du câble à Internet.

M. Pierre Bouriez a indiqué à M. Pierre Laffitte, président, que ces fonctions ne posaient pas de problème de gestion des commutations.

Il a enfin noté que l'adaptation des réseaux câblés à l'accès à Internet nécessitait peu de travaux et allait être généralisée sur les sites concessifs de la Lyonnaise communications.

M. Pierre Bouriez a ensuite abordé les problèmes posés par l'utilisation des réseaux du plan câble pour accéder à Internet. Ces réseaux étant propriété de France Télécom, l'opérateur public demande, pour autoriser leur utilisation, une redevance représentant le triple du chiffre d'affaires qu'un câblo-opérateur peut espérer retirer de la fonction d'accès à Internet. En effet, France Télécom a fixé ses exigences en tenant compte de la perspective d'un développement de la téléphonie entre points fixes sur le câble. Cet amalgame entre la téléphonie et les services d'Internet va retarder de deux années la généralisation de la connexion à Internet par le câble.

A une question de M. Alain Joyandet, rapporteur, M. Pierre Bouriez a répondu d'une part que la poursuite du câblage du territoire n'était pas envisageable avec le seul chiffre d'affaires tiré des abonnements au service des télévisions et d'autre part que le satellite apparaissait dans les zones rurales comme une meilleure solution que le câble pour la diffusion des nouveaux services. Il a précisé que l'accès à Internet par le satellite était possible, le téléphone servant de voie de retour. Le satellite permettant un accès à haut débit, le seul véritable inconvénient de ce procédé est la facturation à la durée en usage sur le réseau téléphonique.

A M. Jacques Mahéas, il a indiqué qu'avec l'apparition d'instruments de navigation francophones sur le web, les flux d'information émis par les utilisateurs vont augmenter dans des proportions sensibles avec la multiplication des " pages maison " diffusées par les particuliers. Il a précisé que les capacités de transport des réseaux câblés étaient suffisantes pour faire face à cette perspective.

M. Pierre Bouriez a aussi indiqué à M. Alain Joyandet, rapporteur, que, pour rémunérer les fournisseurs de contenus, une solution inspirée du mode de facturation mise en place par le système du kiosque Télétel pouvait être imaginée. Cependant, le public ne s'intéresse actuellement qu'à Internet où l'accès aux contenus est gratuit. Des expériences de services multimédia payants accessibles par le câble sont tentées avec la société Infonie. Elles ne semblent cependant pas présenter à court terme de perspectives de rentabilité.

M. Pierre Bouriez a précisé au président Pierre Laffitte qu'il serait possible d'entrer dans une véritable logique économique du multimédia en lignes quand 700.000 à un million de personnes seraient régulièrement connectées aux réseaux.

Il a enfin indiqué à Mme Danièle Pourtaud que la Lyonnaise communications, opérateur de réseau, n'entendait pas se lancer dans la création de contenus et que son objectif était d'attirer un nombre supplémentaire d'abonnés vers le câble et non de tirer un profit direct de la connexion à Internet proposée au public.

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Stéphane Treppoz, directeur du développement du pôle médias de la Compagnie Générale des Eaux (CGE) et de M. Jean-Pascal Tranie, directeur général de la Générale d'Images de la CGE.

M. Jean-Pascal Tranie a tout d'abord indiqué que les activités de sa direction s'articulaient autour de trois pôles : la mise en place de réseaux câblés desservant actuellement 550.000 foyers, le développement de prestations de services, l'activité " média " avec la mise en place de sites expérimentaux. Il a souligné que sa société s'attachait à exploiter les hautes capacités du câble par le développement d'applications numériques et multimédia accessibles aisément par la souris du micro-ordinateur, sans recours au clavier. Il a indiqué, à titre d'exemple, que le journal télévisé de France 3 serait ainsi disponible sur le réseau câblé de Nice. Il a précisé que le câble permettait aux intervenants de bénéficier de tarifs de consultation faibles en comparaison des coûts engendrés par l'utilisation d'une ligne téléphonique.

En réponse à M. Pierre Laffitte, président, il a confirmé que l'accord du CSA n'avait pas été sollicité pour la rediffusion sur le réseau câblé du journal de France 3.

Interrogé par Mme Danièle Pourtaud, il a précisé que cette application avait été développée dans le cadre des expérimentations autorisées par la " loi Fillon ".

Il a en outre estimé qu'un cadre juridique devait être défini pour offrir des garanties suffisantes, en matière d'éthique en particulier, mais que ce cadre devait toutefois rester suffisamment flexible pour ne pas freiner le développement d'Internet.

M. Stéphane Treppoz a ensuite présenté une démonstration d'une application multimédia dénommée Télériviera mise en service à Nice depuis le mois de septembre 1996, accessible en souscrivant à un abonnement de 150 F par mois. Il a indiqué que cette application offrait un accès à Internet, à des services locaux concernant la ville de Nice, à des jeux et à une bibliothèque de CDROM. Il a précisé que 300 sites étaient ainsi hébergés en tête de réseau et accessibles à haut débit.

En réponse à Mme Danièle Pourtaud, il a indiqué que parmi les deux cents abonnés niçois, plus de la moitié n'avaient jamais accédé à Internet auparavant et qu'ils appartenaient à toutes les tranches d'âge et à toutes les catégories professionnelles.

Interrogé par M. Franck Sérusclat, il a estimé souhaitable d'abaisser le coût de l'abonnement, pour un premier niveau de services, à 50 F ou à 80 F par mois. Il a précisé que l'interface permettant d'accéder aux différentes applications devrait pouvoir fonctionner sur des micro-ordinateurs peu puissants et même, à l'avenir, sur un poste de télévision.

M. Jean-Pascal Tranie a enfin indiqué que la CGE détenait des sites câblés concessifs dans le Val-de-Marne, dans le Nord et à Nice et que des négociations étaient en cours avec France-Télécom pour permettre aux abonnés du réseau de France-Télécom de bénéficier des services offerts par la CGE.