COMPTE-RENDU DES AUDITIONS

DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION " ENTRÉE DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION "

Mercredi 9 octobre 1996 - Présidence de M. Pierre Laffitte, président.

La mission a procédé à l'audition de M. Michel Matheu, chef de service au commissariat général du Plan.

M. Michel Matheu, qui anime la section " énergie, environnement, agriculture et tertiaire " au commissariat du Plan, a tout d'abord insisté sur la convergence entre télécommunications, audiovisuel et informatique, suscitée par la numérisation, la compression et la transmission de données à haut débit. Il a qualifié ce rapprochement de phénomène " d'unimédia ", sur la portée duquel il s'est toutefois interrogé.

Il a, en effet, souligné la spécificité de ces trois secteurs et dressé le constat, plus que d'une réelle convergence, d'une politique d'alliances fortement influencées par les choix publics et le cadre réglementaire, ce que confirment les différences constatées entre pays européens en ce qui concerne le développement de technologies comme le service téléphonique sur le câble.

M. Michel Matheu a ensuite abordé la question des utilisations professionnelles des nouvelles technologies, en insistant sur l'importance pour leur développement des coûts supportés par les entreprises. Il a toutefois estimé que les marchés professionnels constituaient à moyen terme le plus sûr vecteur de développement de la société de l'information.

Quant au marché grand public, il a fait part des incertitudes qui caractérisaient son développement. Il a, en effet, estimé qu'en 1996, 15 à 20 % seulement des foyers étaient, en France, équipés de micro-ordinateur, dont 1 sur 6 ou 8 pourvu de " modem ". Au total, 2 % au plus de la population française était donc susceptible de se connecter aux services en ligne.

En outre, M. Michel Matheu a souligné l'importance des facteurs sociaux et psychologiques pour la diffusion des nouvelles technologies dans le grand public, en indiquant qu'il pouvait y avoir une inquiétude à leur égard ou, de la part de certains usagers, une incapacité culturelle ou intellectuelle à gérer l'afflux d'informations.

Enfin, M. Michel Matheu a abordé la question des inégalités sociales ou territoriales face au développement des nouvelles technologies, s'appuyant sur des statistiques de 1993 montrant qu'un ouvrier sur sept seulement avait déjà manipulé un micro-ordinateur.

S'agissant de l'inégalité territoriale, il a dénoncé l'illusion qui consistait à espérer que les nouvelles technologies pourraient contrebalancer, à elles seules, le phénomène d'urbanisation et de désertification rurale. Même si quelques délocalisations ponctuelles en milieu rural, ainsi qu'une désynchronisation des horaires de travail pouvaient, a-t-il affirmé, être favorisées par les nouvelles technologies, les réseaux et les services de la société de l'information ne lui paraissaient pas de nature à jouer un rôle majeur dans l'aménagement du territoire.

Au cours du débat qui a suivi cet exposé, M. Michel Matheu a apporté les réponses suivantes aux observations et questions présentées par le président ainsi que par MM. Alex Türk et Franck Sérusclat :

- il serait possible de compléter les analyses du rapport du commissariat général du Plan en tenant compte de quelques particularités françaises : le développement précoce de la télématique a donné aux Français l'habitude de l'interactivité ; la faible pénétration du câble fait obstacle au développement de certaines applications de la société de l'information telles que le raccordement des particuliers à Internet et la téléphonie par le câble ; enfin, si l'apprentissage des nouvelles technologies a souvent lieu, en France, dans le cadre des activités professionnelles, la filière scolaire est en revanche moins performante que dans d'autres pays. M. Michel Matheu a rappelé à cet égard l'échec du plan " informatique pour tous " ;

- le phénomène d'urbanisation, constaté en France comme dans le reste du monde, représente un atout économique dans la mesure où, facilitant la création de pôles technologiques, il favorise la valorisation de ces sites dans la compétition internationale. Il est possible de limiter les conséquences négatives de l'urbanisation en installant des terminaux et des stations de travail dans certains lieux publics sur l'ensemble du territoire ;

- la difficulté qu'éprouvent souvent les collectivités locales à s'appuyer sur les nouvelles technologies et les déconvenues parfois constatées sont dues au fait qu'elles ne disposent pas des structures de compétence susceptibles de négocier avec les fournisseurs dans de bonnes conditions et de susciter l'adhésion des élus à des projets efficaces ;

- la sociabilité qui se développe autour des services de la société de l'information est artificielle à maints égards mais peut favoriser la multiplication d'autres types de contacts ;

- l'accentuation des inégalités sociales qui résultera vraisemblablement de la généralisation des nouvelles technologies est due essentiellement à l'impuissance du système scolaire à diffuser les structures mentales et culturelles nécessaires à l'utilisation des services de la société de l'information. Le véritable défi à relever est d'abord celui de l'éducation de masse ;

- la télé-éducation ne paraît pas appelée à se substituer à la relation directe professeur­élève. Elle rend possible une double transmission du savoir, l'enseignant utilisant, dans son contact avec les élèves, un support numérisé ;

- il ne semble pas que les nouvelles technologies de l'information représentent un important potentiel de création d'emplois, il se pourrait même que le solde des créations et des suppressions d'emplois résultant de l'entrée dans la société de l'information soit négatif. La diffusion des nouvelles technologies dans un pays donné est cependant indispensable en terme de compétitivité internationale ;

- en ce qui concerne les droits de la propriété intellectuelle, le rapport du commissariat général du Plan constate que les formes actuelles de gestion des droits ne sont pas adaptées, sans présenter de propositions de réforme.