COM(1998)480 final  du 22/07/1998
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 26/02/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/10/1998
Examens : 08/12/1998 (délégation pour l'Union européenne), 26/05/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Transports

Communication de M. Hubert Haenel
sur la proposition d'acte communautaire E 1163
relative aux chemins de fer communautaires

Réunion de la délégation du 8 décembre 1998

(voir également à la suite de ce compte rendu

celui de la réunion de la délégation du 26 mai 1999)

Compte rendu sommaire

La proposition E 1163 contient trois propositions de directives du Conseil dans le domaine ferroviaire :

- la première vise à modifier la directive de 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires ;

- la deuxième vise à modifier la directive de 1995 concernant les licences des entreprises ferroviaires ;

- la troisième concerne la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité.

Ce dernier texte est sans conteste le plus important. Je compte d'ailleurs, puisque vous avez bien voulu me confier le soin de suivre l'avancement des dossiers annoncés par la Commission européenne dans ce domaine, vous présenter dans les prochaines semaines le détail de cette troisième proposition de directive. Mais, compte tenu des problèmes qu'elle soulève, celle-ci ne sera pas inscrite à l'ordre du jour du Conseil avant plusieurs mois (voire, compte tenu de l'opposition de l'Allemagne, plusieurs années).

En revanche, les deux premiers textes de la proposition E 1163 pourraient donner lieu à un accord prochain au sein du Conseil. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité vous présenter dès aujourd'hui une communication sur ces deux propositions de directive. Je serai d'ailleurs fort bref car ces textes n'ont qu'une portée limitée.

1. La proposition de directive relative au développement des chemins de fer communautaires.

Elle porte essentiellement sur la séparation comptable de la gestion de l'infrastructure ferroviaire, d'une part, et de la gestion des services de transport, d'autre part.

Sa portée est en réalité fort limitée puisque, comme vous le savez, le principe de cette séparation a déjà été décidée en 1991.

Ce que nous propose aujourd'hui la Commission, c'est d'apporter certaines précisions pour remédier à des difficultés pratiques. En pratique, en effet, les Etats ont retenu des solutions diverses pour arriver à cette séparation comptable.

Certains ont créé deux entités distinctes, l'une responsable de l'infrastructure, l'autre en charge du transport. C'est la solution que nous avons retenue en France en créant « Réseau ferré de France », spécialement chargée de l'infrastructure, la SNCF s'occupant du service de transport. C'est également le dispositif choisi par les britanniques, les suédois, les danois, les finnois, les portugais et les néerlandais. Dans un tel cas, nous dit la Commission, les choses sont claires : la séparation comptable résulte directement de la séparation des entreprises.

Mais d'autres Etats ont recouru à l'entreprise dite « intégrée ». Dans ce dispositif, la même personne morale s'occupe des infrastructures et du transport et la séparation comptable est obtenue soit en confiant l'une et l'autre à deux services distincts (comme en Autriche, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Belgique), soit même en présentant seulement des comptes séparés (comme au Luxembourg, en Grèce et en Irlande).

Or, observe la Commission lorsque cette séparation a été organisée à l'intérieur d'une même entreprise il n'existe pas véritablement de bilans séparés, mais seulement une comptabilité séparée des pertes et des profits. La Commission propose donc de préciser que la séparation comptable implique la séparation des bilans.

La Commission propose en outre de tenir des comptes séparés pour le transport de voyageurs (pour lequel les Etats peuvent imposer des obligations de service public) et pour le transport de fret (lequel a une orientation commerciale plus marquée).

Enfin, la troisième modification contenue dans cette première proposition de directive concerne l'autorité chargée de déterminer les règles de sécurité à respecter pour accéder à l'infrastructure. Lorsqu'il n'y a pas d'entreprises séparées pour la gestion de l'infrastructure et celle du transport, le service chargé de la première pourrait -nous dit la Commission- édicter des règles de sécurité auxquelles, de fait, répondrait seul le service en charge du transport. L'édiction de ces règles pourraient donc servir à écarter les transporteurs concurrents. La Commission demande donc que ces règles soient désormais déterminées par un organisme qui ne soit pas lui-même fournisseur de services de transport.

2. La proposition de directive concernant les licences des entreprises ferroviaires.

Partant du principe qu'une entreprise ferroviaire devait satisfaire à des conditions d'honorabilité et de capacité, l'Union européenne a, par une directive en date de 1995, instauré un système de licences, délivrées par chaque Etat membre pour autoriser une entreprise à effectuer des services de transport ferroviaire sur son territoire.

Ce dispositif ne s'applique cependant qu'aux entreprises bénéficiaires du droit d'accès, c'est-à-dire, pour résumer, qu'aux entreprises dont l'activité les conduit naturellement à demander l'accès aux infrastructures d'un autre Etat que celui sur lequel elles interviennent. En sont notamment exclues les entreprises dont l'activité est limitée à l'exploitation des seuls transports urbains, suburbains ou régionaux.

Or, en pratique, certains Etats ont eu une conception « généreuse » du droit d'accès, par exemple en lançant des appels d'offres pour les services de transport urbain, suburbain ou régional. Ces Etats ont tendance à exiger une licence des entreprises concernées. Or, la directive de 1995 ne leur permet pas de le faire. Pour encourager ces conceptions « généreuses », la Commission propose de généraliser le dispositif des licences.

*

J'en ai terminé avec la présentation des deux premières propositions contenues dans le document E 1163. Comme vous pouvez le constater, ce que m'ont d'ailleurs confirmé des responsables de la SNCF et de Réseau ferré de France, ces textes n'apportent pas de modifications notables.

Tel ne serait pas le cas de la troisième proposition de directive, celle qui concerne la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité.

Cette proposition poursuit un objectif louable puisqu'il s'agit notamment, selon son exposé des motifs, de « rendre l'utilisation de l'infrastructure ferroviaire plus efficace et faire baisser ses coûts ». A cette fin, la Commission met surtout l'accent sur la tarification et la répartition des capacités de l'infrastructure ferroviaire.

Un seul exemple vous permettra de prendre la mesure de la complexité et de l'importance de ce troisième texte : il s'agit de l'article 8, relatif aux principes de tarification. La Commission souhaite que les redevances versées pour l'utilisation des infrastructures reflètent le coût marginal, autrement dit que le prix exigé corresponde au coût supplémentaire qu'impose à la collectivité l'utilisation de l'infrastructure par une unité de transport supplémentaire. Cela signifie que, dans l'idéal, si la circulation de tel train à tel moment et à tel endroit coûtait X euros supplémentaires à la collectivité, l'entreprise ferroviaire devrait acquitter une redevance de X euros.

Vous imaginez les difficultés de ce calcul ! Elles seront d'autant plus grandes que, nous précise l'article 8, la redevance d'utilisation doit « tenir compte du coût des effets externes produits par l'exploitation des trains ». Elle devra donc être calculée en fonction de facteurs comme l'usure des voies, le courant de traction consommé, les coûts de signalisation supplémentaire, les coûts de planification des trains, les coûts de gestion et d'administration supplémentaires, les coûts d'engorgement du trafic, le bruit, la pollution et d'autres effets externes.

C'est un sujet non seulement complexe mais aussi délicat eu égard notamment à la nécessité de prendre en considération l'aspect service public du transport ferroviaire. Or, le coût marginal est bien supérieur dans une région de campagne peu desservie que dans une grande agglomération. Il ne faudrait pas que la tarification au coût marginal conduise à la « désertification ferroviaire » dans les zones rurales. La Commission est d'ailleurs consciente dans ces difficultés.

Voilà pourquoi je considère que les nombreuses propositions contenues dans le troisième texte méritent une longue réflexion et doivent donner lieu à concertation. Aussi me paraît-il éminemment souhaitable de distinguer, au sein de la proposition E 1163, entre :

- d'une part, les deux premières propositions, qui peuvent être examinées rapidement. Je dis bien « examinées » et non « adoptées » car il serait plus logique de ne pas voter avant d'avoir discuté du « paquet ferroviaire » dans son ensemble ;

- d'autre part, la troisième proposition dont nous devrions débattre dans quelques mois, après un examen approfondi.

A l'issue de cette communication, la délégation a approuvé les propositions du rapporteur.

Communication de M. Hubert Haenel sur la proposition de directive E 1163 relative aux transports ferroviaires
(Répartition des capacités d'infrastructures ferroviaires et certification en matière de sécurité)

Réunion de la délégation du 26 mai 1999

I - Présentation de la proposition E 1163

La proposition E 1163, qui constitue le « paquet ferroviaire » présenté par la Commission le 22 juillet 1998, inclut trois propositions de directives du Conseil.

Tout d'abord, je dois vous dire un mot sur son contexte juridique. Depuis l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, la politique des transports relève désormais de la procédure de codécision. Il en résulte une situation incertaine, car le Parlement européen n'a pas confirmé sa première lecture du « paquet ferroviaire », intervenue sous l'empire des règles antérieures de consultation.

C'est pourquoi, faute de position officielle du Parlement, le Conseil Transports qui aura lieu les 17 et 18 juin prochains ne devrait pas déboucher sur une décision définitive. Toutefois, il pourrait y avoir un accord politique, au moins partiel. Cet accord servirait alors de base pour une nouvelle version du « paquet ferroviaire » qui serait soumise au nouveau Parlement européen issu des élections.

Ces considérations m'ont amené à penser qu'il serait opportun de prendre position sur certains points du « paquet ferroviaire » à ce stade de la procédure.

Lors de notre réunion du 8 décembre dernier, je vous ai déjà présenté deux des trois propositions de directives qui constituent le « paquet ferroviaire ».

1. La première modifie la directive de 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires sur les trois points suivants :

- elle étend expressément la séparation comptable entre la gestion des infrastructures ferroviaires et la gestion des services de transport aux comptes de bilan, et non plus seulement aux comptes d'exploitation ;

- elle instaure une séparation comptable entre le transport de voyageurs, qui relèverait d'une logique de service public, et le transport de fret, qui relèverait d'une logique commerciale ;

- elle confie dans chaque Etat à des entité indépendantes des entreprises ferroviaires la responsabilité d'édicter les règles de sécurité, afin de garantir que ces règles ne soient pas détournées de leur objet pour dissuader l'accès de nouveaux entrants sur le marché du transport ferroviaire.

2. La deuxième directive modifie la directive de 1995 concernant les licences des entreprises ferroviaires pour en étendre le champ aux entreprises dont l'activité est limitée à l'exploitation des transports urbains, suburbains ou régionaux.

Je vous avais dit, le 8 décembre dernier, que ces deux textes étaient de portée limitée et ne soulevaient guère de difficultés. Il n'en va pas de même pour la troisième directive, qui concerne la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité.

En effet, sous des dehors techniques, cette proposition bouleverserait l'économie du transport ferroviaire en Europe, en modifiant à la fois son organisation institutionnelle et ses modalités de tarification.

Ma communication d'aujourd'hui ne portera donc que sur ce troisième texte.

La directive propose d'abord de fragmenter l'organisation institutionnelle du transport ferroviaire. A cet effet, il distingue au sein de chaque Etat :

- les entreprises ferroviaires, réduites à assurer une simple fonction de « traction » ;

- les « candidats autorisés », auxquels serait attribué le droit de réserver les sillons ferroviaires pour en assurer une exploitation commerciale. Ces « candidats autorisés » pourraient être les entreprises ferroviaires elles-mêmes, mais aussi « toute personne physique ou morale ayant des raisons commerciales ou de service public d'acquérir des capacités d'infrastructure pour l'exploitation d'un service ferroviaire, qui remplit les conditions requises ».

- les gestionnaires d'infrastructure, auxquels serait retirée la gestion des systèmes de sécurité ;

- un organisme chargé de la répartition des sillons et de la tarification, distinct du gestionnaire d'infrastructure si celui-ci n'est pas juridiquement et opérationnellement indépendant des entreprises ferroviaires en place ;

- une instance indépendante chargée des tâches relatives à la sécurité ;

- un organisme de contrôle indépendant chargé de veiller à l'application des règles d'allocation des sillons et de tarification, qui constituerait un premier niveau de recours pré-juridictionnel pour les plaintes.

Outre ce schéma obligatoire d'organisation nationale, la directive impose aux gestionnaires d'infrastructures de collaborer avec leurs homologues européens pour permettre la réservation coordonnée de sillons internationaux.

La directive propose par ailleurs une tarification au coût marginal. Il ne s'agit pas du coût marginal au sens strict, mais d'un « coût marginal social », qui pourrait être modulé sur les points suivants :

- il serait admis d'instaurer des redevances complémentaires correspondant à la rareté des sillons dans les « zones de congestion » ;

- il serait recommandé de prendre en compte les coûts externes propres au transport ferroviaire ;

- il serait admis de « compenser » à la baisse les coûts externes qui ne sont pas pris en compte dans les autres modes ;

- enfin, des exceptions au principe de tarification au coût marginal seraient admises pour les grands projets d'infrastructure nouvelle et dans certains cas particuliers : redevances résultant d'une négociation, redevances forfaitaires sur des segments suffisamment longs.

Dans le schéma proposé par la directive, les sillons seraient attribués aux « candidats autorisés » par le gestionnaire d'infrastructure pour une durée d'un an seulement. Cette durée pourrait néanmoins être étendue à cinq ans au travers d'accords-cadres passés avec les entreprises ferroviaires.

Chaque gestionnaire d'infrastructure serait tenu de créer un document de référence du réseau, qui en présenterait les capacités et constituerait son mode d'emploi : conditions d'accès, tarifs, modalités d'attribution des sillons.

Enfin, la directive détaille de manière extrêmement minutieuse et « prescriptive » le processus d'attribution des sillons. Elle fixe ainsi l'ordre chronologique des différentes étapes ; la procédure à suivre par les « candidats autorisés » ; les modalités de création du projet d'horaire ; le traitement des conflits entre plusieurs demandes ; les critères de hiérarchisation des demandes en cas de pénurie de sillons ; la procédure de restitution des sillons réservés mais non utilisés.

II - Appréciation de la proposition E 1163

Sur le contexte

Le « paquet » de propositions relatives aux infrastructures ferroviaires présenté par la Commission s'inscrit dans le prolongement de la directive de 1991, qui a ouvert les réseaux nationaux aux entreprises participant à un regroupement international ou assurant des services de transport combiné.

Cette possibilité nouvelle de concurrence ne s'est concrétisée que dans deux cas jusqu'à présent : les services de fret postal de la Deutsche Post, et les services de transport de matières dangereuses de BASF.

Les « corridors de fret » n'ont également rencontré qu'un succès mitigé. Le taux de remplissage du premier corridor de fret français, entre Anvers et Vénissieux, n'est que de 7 %. Cet échec relatif s'explique par l'absence de promotion commerciale des corridors. Les entreprises ferroviaires n'ont en effet pas intérêt à mettre en commun leurs clients, tandis que le gestionnaire d'infrastructure ne peut pas le faire à leur place.

Les nouvelles propositions qui constituent le « paquet infrastructure ferroviaire » visent à approfondir et accélérer le processus de libéralisation du chemin de fer en Europe, qui a été accepté par tous les Etats membres comme un moyen de redynamiser ce mode de transport.

En 1995 déjà, la Commission avait proposé d'étendre l'accès des réseaux ferroviaires nationaux à toute entreprise offrant des services internationaux de fret ou de transport de voyageurs. Cette proposition est demeurée sans suite, faute d'accord des Etats-membres.

La nouvelle étape aujourd'hui proposée semble elle aussi par certains côtés prématurée, alors que la directive de 1991 n'a été transposée que récemment par les Etats-membres et est loin d'avoir déjà produit tous ses effets.

En opportunité, il me semble plus urgent d'apporter des solutions communautaires aux trois problèmes très concrets du financement des nouvelles infrastructures ferroviaires, de l'interopérabilité lors des passages aux frontières, et de la congestion ponctuelle des réseaux.

Par ailleurs, nombre des mesures proposées apparaissent inutilement détaillées et contraires au principe de subsidiarité.

Sur l'organisation institutionnelle

L'idée d'imposer un schéma institutionnel national complexe à chacun des Etats membres pose un problème d'ordre juridique et un problème d'ordre pratique.

Juridiquement, cette proposition est manifestement contraire au principe de subsidiarité. Pratiquement, elle sous-estime les coûts administratifs et contentieux d'un système aussi complexe et bureaucratique.

Par cet émiettement institutionnel, la Commission vise à introduire la concurrence au sein même du transport ferroviaire, qu'elle reconnaît par ailleurs constituer un « monopole naturel » du fait de ses caractéristiques techniques.

A l'inverse, les Etats membres ont fait le choix de développer le chemin de fer en Europe par une politique de coopération entre leurs entreprises ferroviaires nationales, pour l'instant avec un certain succès.

Sur la notion de candidat autorisé

La volonté d'introduire au sein du transport ferroviaire une concurrence intramodale n'est pas dépourvue de pertinence, car l'aiguillon de la concurrence intermodale n'est pas suffisant pour stimuler des entreprises nationales en situation de monopole de fait et largement subventionnées.

Toutefois, la notion de « candidat autorisé » n'apparaît pas acceptable. Loin d'être une stricte amélioration technique, c'est en fait un changement de nature de la concurrence introduite en 1991 entre les opérateurs de chemins de fer européens.

En effet, sous prétexte de renforcer la concurrence, cette notion nouvelle réduirait les entreprises ferroviaires au rôle de simples exécutants de prestations de services de « traction ». La proposition de directive ne précise nullement quelles seraient alors les modalités de rémunération de ces dernières.

Certes, les entreprises ferroviaires seraient de plein droit des « candidats autorisés », et vraisemblablement les principaux d'entre eux. Mais cette séparation artificielle entre une pure prestation de « traction » et l'exploitation commerciale des sillons se traduirait automatiquement par un écrémage du marché par les « candidats autorisés » nouveaux venus. Ceux-ci n'assumeraient que le risque commercial, mais nullement le risque industriel du transport ferroviaire.

La marge commerciale sur les sillons les plus lucratifs se trouveraient ainsi partiellement transférée des entreprises ferroviaires vers ce nouveau type d'exploitants. Les obligations des entreprises ferroviaires à l'égard des « candidats autorisés » qui sollicitent leurs services ne sont pas précisées par la proposition de directive. En tous cas, il semble peu probable que les entreprises ferroviaires puissent refuser leurs services sans s'exposer de ce fait à un contentieux pour abus de position dominante.

Cette innovation risquerait de décourager tout investissement nouveau dans le transport ferroviaire, car plus personne n'aurait intérêt à investir : ni le « candidat autorisé », qui ne serait pas responsable du matériel et du personnel qu'il utilise, ni l'entreprise ferroviaire, qui n'aurait aucune garantie de pouvoir les rentabiliser comme elle l'entend.

Enfin, la distinction entre « candidat autorisé » et entreprise ferroviaire pose un problème d'articulation juridique avec la directive fondatrice de 1991. En effet, cette distinction implique de séparer la prestation commerciale d'offre de transport de la prestation de « traction ». Or, la directive de 1991 ne reconnaît que la notion de sillon ferroviaire, dont l'exploitation englobe les deux aspects commerciaux et techniques.

Sur la sécurité

La sécurité n'est abordée que comme un facteur de distorsion de concurrence et de barrage à l'accès au marché du transport ferroviaire. Cet effet pervers de la préoccupation de sécurité n'est pourtant pas démontré, alors qu'il s'agit sans conteste d'un point fort du transport ferroviaire, qui contribue d'ailleurs à expliquer ses coûts élevés.

A l'inverse, le transport routier tend à externaliser la charge de sa relative insécurité sur les pouvoirs publics, responsables de la prévention et de la répression des infractions, ainsi que sur la société, qui supporte le coût des assurances obligatoires et celui des accidents.

La proposition de confier la responsabilité de la sécurité à une entité distincte du gestionnaire d'infrastructure, de l'entreprise ferroviaire et des « candidats autorisés » risque d'être contre-productive. En effet, c'est parce qu'elle est intégrée à tous les niveaux que la sécurité est assurée si efficacement dans le transport ferroviaire.

Dans l'immédiat, cette proposition obligerait à réviser l'organisation française, qui confie la responsabilité de la sécurité à RFF mais en délègue l'application à la SNCF.

Sur la tarification au coût marginal

La tarification au coût marginal est en soi une bonne idée pour le transport ferroviaire, qui nécessite des investissements particulièrement importants et subit la concurrence d'autres modes de transports qui ne font pas supporter la totalité de leurs coûts à l'usager.

Il n'est pas non plus illégitime d'imposer une certaine harmonisation des pratiques nationales en matière de tarification des infrastructures, car leur hétérogénéité actuelle nuit à l'unité du marché européen du transport ferroviaire : coût complet en Allemagne et Grande-Bretagne, coût marginal strict en Suède.

Toutefois, on peut se demander s'il est prudent d'imposer d'emblée une stricte tarification au coût marginal au transport ferroviaire, sans avoir au préalable appliqué les mêmes principes au transport routier qui lui fait une sévère concurrence. Le Livre blanc sur « des redevances équitables pour l'utilisation des infrastructures » adopte bien une approche multimodale.

Par ailleurs, les règles et modalités de fixation des tarifs proposées sont trop précises pour être compatibles avec le principe de subsidiarité. La Commission le reconnaît implicitement, puisqu'elle admet des aménagements et des cas de dérogations si nombreux qu'ils risquent d'ailleurs de vider le principe de tarification au coût marginal de toute portée concrète.

En particulier, la surtarification autorisée pour les coûts spécifiques de congestion apparaît peu réaliste : après une phase préalable de concertation avec les demandeurs de sillons, le gestionnaire d'infrastructure devrait faire une « déclaration de congestion» en présentant à l'appui un plan de travaux dont le respect conditionnerait son droit à appliquer la surtarification.

Sur la durée d'attribution des sillons

La durée d'un an prévue pour l'attribution des sillons est évidemment trop brève : la remise en jeu incessante de l'ensemble des sillons de chaque réseau national serait un facteur d'incertitude nuisible aux projets commerciaux, et une source de coûts bureaucratiques.

L'extension éventuelle de cette période à cinq ans par des accords-cadres apparaît encore insuffisante : un délai de 15 à 20 ans ne serait pas excessive pour les projets les plus ambitieux.

Ce besoin de stabilité des projets est aussi une exigence d'équité. Ainsi, la liaison Paris-Bruxelles développée par la SNCF et la SNCB a créé un marché nouveau : il ne serait pas juste que le sillon correspondant soit, du jour au lendemain, attribué à un autre opérateur.

Telles sont les considérations qui m'amènent à vous présenter la proposition de résolution dont vous avez le texte sous les yeux.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Jean-Pierre Fourcade :

Une durée d'un an pour l'attribution des sillons ferroviaires et une telle multiplicité de dérogations au principe de tarification au coût marginal me paraissent dénuées de sens.

M. James Bordas :

Je souhaiterais savoir s'il y a en France beaucoup d'autres établissements ferroviaires que la SNCF.

M. Hubert Haenel :

A ma connaissance, à part la SNCF, il n'existe qu'une petite filiale de Vivendi en Bretagne, une ligne de transport de voyageurs entre Nice et Digne et une ligne de fret dans le Morvan. Mais Vivendi a créé des filiales de transport ferroviaire en Grande-Bretagne, au Bade-Wurtemberg et au Portugal, dans l'idée de disposer d'une expérience suffisante lorsque le monopole de fait de la SNCF sera érodé.

A l'issue du débat, la délégation s'est prononcée à l'unanimité en faveur du dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition d'acte communautaire E 1163 relative aux transports ferroviaires,

Considérant, à titre liminaire, que ce texte ne contribue pas à engager une véritable politique européenne des transports mais complique le droit en vigueur sans apporter de solutions communautaires aux trois problèmes très concrets du financement des nouvelles infrastructures ferroviaires, de l'interopérabilité lors des passages aux frontières et des congestions ponctuelles des réseaux ferroviaires ;

Considérant que les trois propositions de directives contenues dans ce texte forment un tout dont l'unité logique doit être préservée ;

Considérant qu'imposer à chaque Etat membre un même schéma institutionnel fragmenté pour l'organisation nationale du transport ferroviaire serait contraire au principe de subsidiarité et entraînerait des coûts administratifs disproportionnés ;

Considérant que la concurrence souhaitable au sein du transport ferroviaire doit s'exercer entre les entreprises ferroviaires exclusivement, qui ne sauraient être réduites au rôle de fournisseur d'une simple prestation de « traction » ;

Considérant que la durée maximale de cinq ans envisagée pour l'attribution des capacités des réseaux est insuffisante pour permettre l'amortissement des investissements nécessaires à l'exploitation d'un sillon ferroviaire ;

Considérant que l'harmonisation des conditions de tarification est souhaitable, mais que les modalités envisagées sont trop détaillées, tout en comportant trop d'exceptions ;

Demande en conséquence au Gouvernement :

- de veiller à ce qu'aucune des trois propositions de directives constituant l'acte communautaire E 1163 ne soit adoptée sans décision simultanée sur les deux autres ;

- de veiller à ce que chaque Etat membre, tout en assurant un traitement équitable et non discriminatoire des demandes de capacités, demeure libre d'organiser institutionnellement le transport ferroviaire sur son territoire comme il l'entend ;

- de s'opposer à l'introduction d'une notion de « candidat autorisé » distincte de celle d'entreprise ferroviaire ;

- d'obtenir que la durée maximale d'attribution des sillons par accords-cadres soit sensiblement supérieure à cinq ans ;

- de veiller à ce que chaque Etat membre, tout en respectant des principes communs de tarification au coût marginal, demeure libre de définir et d'appliquer les règles précises de tarification.

La proposition de résolution de M. Hubert Haenel a été publiée sous le n 389 (1998-1999).