COM (1998) 693 final  du 30/11/1998
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 25/05/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 17/12/1998
Examen : 18/02/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Fiscalité

Communication et proposition de résolution de M. Denis Badré sur la proposition d'acte communautaire E 1193 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée

(Réunion du 18 février 1999)

L'objet de cette proposition de directive est de permettre au Conseil de prendre une décision sur le niveau des taux minimum et maximum en matière de taux normal de la TVA.

La Commission estime, en effet, que cette décision est nécessaire « pour consolider le fonctionnement du Marché intérieur sous l'angle fiscal, aussi bien dans le cadre des dispositions transitoires actuellement en vigueur que dans la perspective du régime définitif pour le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ».

Cette proposition conduirait à adopter une fourchette de taux, le taux normal étant fixé à 15 % et le taux plafond à 25 %.

La Commission avait déjà présenté en 1995 une proposition identique ; en 1996, le Conseil avait accepté l'objectif de la Commission qui est de prévenir un accroissement de l'écart existant entre les taux normaux pratiqués par les Etats membres, lesquels varient entre 15 % au Luxembourg et 25 % au Danemark et en Suède.

Le Conseil, à la suite du Parlement européen qui s'était refusé, de son côté, pour des motifs tenant à la subsidiarité, à fixer un taux maximum, s'était contenté d'arrêter un taux minimum de 15 % ; quant au taux maximum, il s'était engagé politiquement, dans une annexe à sa décision, à ne pas accroître de plus de dix points l'écart entre le taux normal le plus faible et le taux normal le plus élevé constaté dans la Communauté.

La proposition de la Commission s'inscrit dans le cadre de ses réflexions sur l'introduction d'un nouveau système commun de TVA. Ces réflexions ont fait l'objet d'une communication au Conseil en date du 22 juillet 1996.

La Commission reconnaît explicitement que sa proposition « vise à préparer l'harmonisation des taux qui est nécessaire dans le cadre du régime actuel de TVA tout en préparant également les prochaines étapes vers un rapprochement progressif des taux de façon à permettre la mise en place du système commun de TVA ».

Votre délégation s'était en son temps penchée sur ce nouveau système commun de TVA et j'avais déposé, en son nom, le 19 mars 1997, un rapport sur ce nouveau système ; mon rapport était accompagné d'une proposition de résolution, résolution qui a été adoptée, en séance publique, par le Sénat, le 6 novembre 1997.

La résolution du Sénat demandait notamment au Gouvernement :

« - qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur le système commun tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies ;

- qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières années d'application du régime actuel de TVA en Europe ;

- qu'il sollicite l'adoption de mesures d'harmonisation portant, notamment, sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à déduction et sur les seuils d'exonération ;

- qu'il sollicite la redéfinition du champ d'application de la TVA en fonction de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. »

La Commission confirme que sa proposition s'inscrit dans la logique de sa proposition de 1995 sur le même sujet et que « la situation n'a pas fondamentalement changé depuis ». Le Sénat devrait donc logiquement maintenir sa position de 1997.

Toutefois, depuis cette date, des travaux ont été engagés, comme nous le souhaitions, à l'initiative de la Commission, pour l'amélioration du régime transitoire de TVA. C'est d'ailleurs dans ce cadre que la Commission vient de déposer une autre proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CE en ce qui concerne la détermination du redevable de la taxe sur la valeur ajoutée, et plus spécialement du statut du représentant fiscal (n° E 1191).

La Commission devrait enfin proposer prochainement une révision de la liste des produits éligibles au taux réduit de la TVA ; dans cette liste, qui avait été arrêtée dans le cadre de l'annexe H de la directive TVA, modifiée en 1992, pourraient maintenant être inscrits, semble-t-il, les travaux dans le logement et les services aux personnes ; d'autres souhaiteraient sans doute y ajouter la consommation hors domicile en restauration commerciale ; le Parlement européen a adopté dans ce sens, le 10 juin 1997, une recommandation proposant de taxer le tourisme à un taux réduit, notamment au regard des dépenses de restauration ; d'une manière plus générale, la recommandation vise l'ensemble des activités à forte densité de main-d'oeuvre ; enfin l'imposition spécifique des supports de multimédia pourrait également être prise en compte à cette occasion.

La question est d'autant plus sérieuse que huit Etats sur quinze bénéficient à l'heure actuelle de dérogations ouvertes dans le cadre de l'article 28.2.d de la sixième directive TVA afin d'appliquer un taux réduit et de bénéficier de mesures particulières dérogatoires « afin d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales ».

D'aucuns ont souligné que ces dérogations ne sont pas sans effets économiques positifs pour l'emploi ;  elles doivent certainement, à ce titre, être étudiées plus au fond.

Devant l'évidente complexité du sujet, le Sénat, dans le cadre notamment de sa commission des Finances, pourrait procéder à une nouvelle évaluation de la situation en matière de TVA intracommunautaire à l'occasion de l'examen de la présente proposition de directive.

Tel est, en définitive, l'objectif que poursuit la présente proposition de résolution, qui permet de montrer la vigilance de notre délégation et du Sénat sur cette question difficile.

Compte rendu sommaire

du débat consécutif à la communication

M. Michel Barnier :

Je me demande si nous ne devrions pas mener une réflexion d'ensemble dans les mois qui viennent et sans que nous nous fixions un terme, sur la fiscalité en Europe. Il y a eu récemment des polémiques, en Grande-Bretagne, sur le vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité. Pour sa part, la France s'est toujours refusée à lever l'unanimité sur ces questions qui restent un domaine de souveraineté nationale. Le marché commun, le marché unique et la monnaie unique portent en eux la nécessité d'harmoniser les impôts en Europe. Faut-il s'engager sur cette voie par le moyen d'une simple coordination ou faut-il aller dans la direction d'une réelle harmonisation ? Pour quels impôts ? C'est là un débat sérieux. Vraisemblablement les impôts sur les sociétés devraient être harmonisés pour éviter une concurrence déloyale. En tout état de cause, le débat sur la fiscalité va s'ouvrir et il me semble qu'il serait bon que notre délégation dispose d'une réflexion préalable. Il faudrait notamment disposer d'informations comparatives.

M. Denis Badré :

C'est un débat majeur pour l'avenir de la construction européenne. Mon souci constant, tant à la commission des Finances qu'au sein de la délégation, est que les travaux de ces deux organes se complètent et qu'il y ait une bonne information réciproque. Il est clair que deux raisons nous conduisent à mener cette réflexion : d'une part, l'euro conduit à une comparaison immédiate du prix des produits et, partant de là, à la prise en considération des prélèvements obligatoires qui pèsent sur ces prix ; d'autre part, la révision du financement de la construction européenne, si on veut éviter le débat sur les retours nationaux et les contributions nettes, implique de réfléchir au contenu des ressources propres ; comme la TVA ou la taxe CO2.

M. Jacques Oudin :

Les débats sur la fiscalité sont toujours empreints de bonnes intentions, mais la mise en oeuvre des réformes est toujours difficile du fait des obligations d'équilibre budgétaire à réaliser. M. Denis Badré a souligné que la TVA est la ressource quasi essentielle de nos budgets. Toute harmonisation qui conduit à baisser les taux de TVA peut avoir des conséquences insupportables pour les finances publiques de notre pays. On constate par ailleurs qu'on peut vivre sans harmonisation des taux de TVA. J'ai autrefois plaidé à la commission des Finances contre le projet d'harmonisation des taux de TVA par la baisse des taux français, car il me semblait qu'on n'arriverait jamais en Europe à cette harmonisation, alors qu'il me semblait plus urgent d'harmoniser l'impôt sur les sociétés qui est une source potentielle importante de délocalisation des activités industrielles. La commission des Finances m'a rejoint sur cette analyse. Il faut, me semble-t-il, intervenir d'abord sur les impôts qui influent sur les délocalisations -comme la fiscalité de l'épargne ou le régime des stock-options. On peut vivre avec des taux différents en matière de taxes locales ou de TVA sur la restauration ou les services ; en revanche l'harmonisation de l'imposition des entreprises et de l'imposition de l'épargne, notamment des hautes tranches, semblent prioritaires. Mais il ne faut pas ignorer que les disparités de taux de TVA ont surtout des effets indirects sur la fraude. En tout état de cause, nos réflexions doivent être marquées par un principe de prudence.

M. Maurice Blin :

Devant l'extraordinaire complexité et la sensibilité du sujet, je m'interroge, en tant qu'observateur, sur l'opportunité qui pourrait s'offrir de faire procéder à une étude de fiscalité comparée en Europe. Par ailleurs, il existe des fédérations - à commencer par les Etats-Unis - qui ont laissé un certain nombre de pouvoirs fiscaux aux Etats fédérés, ce qui semblerait prouver que l'harmonisation de la fiscalité locale ne serait pas essentielle.

M. Michel Barnier :

Je crois effectivement qu'il faudrait que le Sénat dispose d'une étude exhaustive de législation fiscale comparée. La fiscalité locale n'est cependant pas si insignifiante pour les localisations d'entreprises, comme certains exemples récents nous l'ont montré. Le commissaire Van Miert m'a assuré que c'était sans doute un des sujets grandissants de distorsion de concurrence actuellement dans l'Union européenne en raison des différences de traitement de la fiscalité locale par les régions italiennes, espagnoles ou les Länder d'Allemagne.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Je ne conteste pas que les impôts qui conduisent le plus à des délocalisations d'entreprises, comme l'a souligné M. Oudin, sont les impôts sur les sociétés ou l'impôt sur l'épargne ; mais je crois aussi que les problèmes posés par l'harmonisation de la TVA sont importants, car ils sont directement à l'origine d'une fraude importante ; mais je pense surtout que nous aurions tort de nous priver de la possibilité de procéder à des baisses de TVA sur certains secteurs qui peuvent être créateurs d'emplois et qui sont dans l'intérêt des consommateurs.

M. Emmanuel Hamel :

J'aimerais savoir si notre Gouvernement, et la Commission européenne, ont tenu compte de la résolution du Sénat sur le régime futur de TVA.

M. Denis Badré :

Pour ce qui concerne la TVA, la suggestion de M. Maurice Blin de procéder à une étude de fiscalité comparative, étendue aux Etats-Unis, me semble bonne et fait de toute manière partie du travail que j'ai engagé au sein de la commission des Finances.

Je rejoins notre collègue Jacques Oudin sur la nécessaire prudence sur ces questions ; baisser les taux peut avoir des effets perturbateurs sur l'équilibre des finances publiques ; monter les taux peut aussi avoir des effets insupportables pour les consommateurs, comme l'a souligné Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est pourquoi il est difficile d'envisager par exemple une simple harmonisation à 20 % des taux de TVA ; certains pays, qui sont à 15 %, feraient alors peser une charge sur les consommateurs tandis que d'autres, qui sont à 25 %, auraient de grandes difficultés financières. Mais si les taux doivent rester différents entre les différents pays en Europe, il convient alors de ne pas laisser libre le choix du pays de domiciliation pour éviter de trop fortes délocalisations.

Pour répondre à notre collègue Emmanuel Hamel, je dirai que le Gouvernement, comme la Commission, ont effectivement tenu compte de notre précédente résolution ; la Commission a été sensible à son contenu, des travaux ont été engagés pour remédier aux faiblesses du régime transitoire que nous avions soulignées ; le commissaire Mario Monti est venu en débattre devant notre commission des Finances et nous continuons à suivre ses efforts pour mettre en place un code de bonne conduite et pour que les administrations fiscales nationales adoptent des pratiques identiques.

Nous avons effectivement constaté, en quelques semaines, un changement d'orientation de la Commission après notre résolution sur son projet de régime définitif de TVA en Europe. Le rôle de notre délégation est maintenant précisément d'assurer un suivi constant de ces évolutions et, le cas échéant, de déposer des propositions de résolution que le Sénat peut éventuellement adopter en séance publique, prouvant ainsi qu'il s'agit d'une démarche de fond de notre assemblée et non d'une lubie de tel ou tel rapporteur de la délégation.

M. Michel Barnier :

La délégation ne s'est pas contentée de transmettre au Gouvernement sa résolution en lui disant « faites-en le meilleur usage » ; elle a utilement poursuivi ses travaux, en liaison avec la commission des Finances et la Commission européenne, car il n'est pas interdit qu'un commissaire européen, dans le respect des prérogatives de l'exécutif, soit attentif à ce que pense le Parlement d'un Etat membre.

A l'issue de ce débat, la délégation s'est prononcée en faveur du dépôt, par le rapporteur, de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition E 1193,

Considérant que l'objet de cette proposition de directive est de permettre au Conseil de prendre une décision sur le niveau des taux minimum et maximum en matière de taux normal de la TVA ;

Considérant que cette proposition conduirait à adopter une fourchette de taux, le taux normal étant fixé à 15 % et le taux plafond à 25 % ;

Considérant que cette proposition s'inscrit dans la perspective de la mise en place du régime définitif de TVA en Europe ;

Considérant que le Sénat, dans sa résolution du 6 novembre 1997, avait demandé au Gouvernement qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur un système commun de taxe à la valeur ajoutée tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies ;

Considérant par ailleurs que le Sénat avait demandé au Gouvernement de négocier une amélioration du régime dit transitoire, et que la proposition n° E 1191 y contribue ;

Considérant en outre le fait qu'une révision de la liste des produits éligibles au taux réduit de la TVA et inscrits dans l'annexe H de la directive 77/388/CEE modifiée serait souhaitable :

Renouvelle le contenu de sa résolution du 6 novembre 1997 au regard des conditions de passage au régime définitif de taxe sur la valeur ajoutée en Europe ;

Insiste sur la nécessité de procéder aux améliorations nécessaires du régime transitoire, en particulier pour l'élimination des lacunes et fraudes dans l'application du régime actuel de TVA en Europe ;

Demande une révision de l'annexe H de la directive sur le régime commun de TVA, notamment au regard des travaux sur le logement, des dépenses de restauration et des supports multimédias.

La proposition de résolution de M. Denis Badré a été publiée sous le n° 233 (1998-1999).