COM (1999) 686 final  du 14/12/1999
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 28/09/2000

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/02/2000
Examen : 29/05/2000 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et Affaires intérieures

Création d'un Fonds européen pour les réfugiés

Texte E 1404

(Procédure écrite du 29 mai 2000)

Le texte E 1404 marque une étape importante de l'action de l'Union européenne en matière d'asile, tant par son contexte, que par son objet. Ce texte s'inscrit, en effet, dans la perspective ouverte par le traité d'Amsterdam, qui a notamment transféré les matières concernant l'asile du troisième au premier pilier de l'Union européenne. Elle constitue également une réponse aux demandes formulées par le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, concernant les situations de flux massif et soudain de réfugiés, comme ce fut le cas lors de la crise du Kosovo.

Ce texte poursuit un double objectif :

- instaurer un système de redistribution financière afin d'équilibrer les efforts des Etats membres en matière d'accueil de réfugiés et de personnes déplacées ;

- mettre au point un dispositif pour faire face aux situations d'urgence en cas d'afflux massif de réfugiés.

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Pour répondre à ces objectifs, la proposition de décision du Conseil porte création d'un Fonds européen pour les réfugiés (FER). Le mécanisme de ce Fonds est inspiré de celui des fonds structurels, dont il reprend les principes de pluriannualité, de décentralisation et d'additionnalité.

1. Pluriannualité

Etabli pour cinq ans (2000-2004), le Fonds européen permettra de soutenir dans les Etats membres les actions suivantes :

- l'amélioration des conditions d'accueil (hébergement, aide matérielle, assistance sociale, assistance dans les démarches administratives) ;

- l'intégration des personnes bénéficiant d'une forme de protection internationale octroyée par un Etat membre (aide à la prise en charge des besoins immédiats, adaptation socioculturelle) ;

- le rapatriement assisté des personnes qui se sont vu refuser le statut de réfugié ou qui en ont perdu le bénéfice (accès à une information fiable, aux conseils nécessaires, à la formation et à l'aide à la réinsertion).

Par ailleurs, des dispositions sont prévues afin que 5 % du budget annuel du fonds puissent financer des actions communautaires présentant un caractère novateur ou transnational (études, projets pilotes, échanges d'expériences, évaluation des mesures mises en oeuvre...).

En outre, un budget spécifique est destiné à des mesures d'urgence en cas d'arrivée massive de réfugiés ou de personnes déplacées (hébergement, nourriture, soins, frais administratifs).

2. Décentralisation

Les Etats membres assument la responsabilité principale de la mise en oeuvre des mesures couvertes par le FER et organisent la coordination des actions au niveau national. Chaque Etat membre formule une demande annuelle de cofinancement après avoir sélectionné des projets individuels émanant d'organismes divers (administrations publiques, organisations internationales, organisations non gouvernementales, etc.), selon des critères pré-établis (situation et besoins de l'Etat membre, rapport coût-efficacité et rentabilité des dépenses, profil de l'organisation demandeuse, complémentarité avec les autres actions). La Commission examine ces demandes et adopte les décisions de cofinancement. Les Etats membres en assurent la gestion. Toutefois, pour les mesures d'urgence, la Commission se charge elle-même de la sélection et de la gestion des mesures prises sur la base de propositions des Etats membres concernés.

Les Etats membres assument, également, en premier ressort, la responsabilité du contrôle financier, la Commission s'assurant, quant à elle, de l'existence et du bon fonctionnement des systèmes de gestion et de contrôle nationaux.

Au moins une fois par an, l'organisation qui gère un projet rédige un rapport détaillé sur le suivi et l'évaluation de ce projet. Chaque année, l'autorité nationale responsable adresse à la Commission un rapport de synthèse. De plus, elle fait procéder à une évaluation indépendante à mi-parcours et à la fin du projet.

La Commission est, quant à elle, assistée par un comité composé des représentants des Etats membres et elle présente au Parlement européen et au Conseil deux rapports de synthèse sur les actions entreprises (un rapport intérimaire et un rapport final).

3. Additionnalité

En ce qui concerne les mesures structurelles, les ressources du FER sont réparties entre les Etats membres selon les statistiques de l'Office statistiques des Communautés européennes des trois années précédentes. Le calcul s'effectue à hauteur de 65 %, en fonction du nombre moyen de demandeurs d'une protection internationale, et pour 35 %, en fonction du nombre de personnes admises en tant que réfugiés ou ayant obtenu une protection temporaire. Au niveau du financement des projets, l'apport communautaire ne dépasse pas 50 % du coût total de chaque mesure (75 % pour les Etats membres relevant du fonds de cohésion).

Les procédures diffèrent pour les mesures d'urgence : le soutien financier peut couvrir 80 % du coût de chaque mesure pour un délai maximum de six mois. Les ressources disponibles sont alors réparties entre les Etats membres selon le nombre de personnes entrées qu'ils reçoivent.

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En dépit de quelques avancées, la proposition E 1404 pose trois difficultés : une incertitude financière, une logique ambiguë et une absence de définition précise des groupes visés. Il convient, toutefois, de noter, que les réserves exprimées par la partie française concernant le texte initial ont été largement prises en considération et que le texte actuellement en discussion provient de la présidence de l'Union européenne et qu'il a reçu l'aval de la Commission.

1. Une incertitude financière

Ainsi, dans la proposition initiale, seul le budget pour l'année 2000 était chiffré. Celui-ci s'élève à 26 millions d'euros pour les mesures à long terme, auxquels s'ajoute une réserve de 10 millions d'euros pour les mesures d'urgence, soit 36 millions d'euros au total sur une année. En revanche, l'enveloppe financière globale du Fonds, ainsi que la ventilation des crédits sur la période 2001-2004 n'était pas déterminée. Dans le projet modifié, le montant de la dotation du Fonds pour 2000-2004 est de 216 millions d'euros, dont 166 millions d'euros destinés à financer des mesures structurelles (ce qui correspond à 35 millions d'euros par an) et 50 millions d'euros pour les mesures d'urgence (soit 10 millions par an).

Outre la modestie de cette dotation, critiquée par le Parlement européen, il semble qu'un litige oppose les grands et les petits Etats membres sur ce sujet. En effet, la rédaction actuelle implique que les plus grands Etats membres, qui se trouvent aussi être les principaux pays d'accueil, se partageront l'essentiel de l'enveloppe, alors que les plus petits s'estiment proportionnellement lésés, étant donné leur retard en matière d'infrastructures. Il apparaît ici, que deux logiques s'opposent : la première, soutenue par les grands Etats, considère que le Fonds profite aux Etats qui font face à la plus forte demande d'asile ; la seconde, mise en avant par les petits Etats, souhaite que le Fonds bénéficie d'abord aux Etats dont les infrastructures et les moyens en matière d'asile sont peu développés.

La question d'une disposition prévoyant que chaque Etat reçoit un pourcentage déterminé de la dotation annuelle du FER est en suspens.

2. Une logique ambiguë

A la lecture du projet, on peut s'interroger sur le but assigné au FER : L'objectif du fonds est-il la solidarité financière ou l'esquisse d'une politique communautaire en matière d'asile, voire la création d'un asile européen commun ? Etant donné que l'objectif de la proposition est clairement la solidarité financière, il serait souhaitable de réaffirmer le rôle des Etats membres dans la définition des actions et la gestion des fonds. Ainsi, les Etats pourraient présenter à la Commission un programme d'intervention sous forme d'orientations générales et non une liste détaillée de toutes les actions prévues. De plus, il conviendrait, sans doute, d'alléger les modalités de contrôle de la Commission sur les crédits, modalités inspirées des fonds structurels mais dont la lourdeur contraste avec le caractère modeste des fonds concernés. En outre, les projets laissés à la discrétion de la Commission, en raison de leur caractère novateur ou transnational, ne sont pas pleinement justifiés et devraient, en tout état de cause, porter sur un montant inférieur à 5 % de la dotation annuelle.

3. Une absence de définition précise des personnes visées

L'article 2 du projet de la présidence, en date du 20 avril 2000, dispose que les groupes cibles se composent des catégories suivantes :

- la catégorie des « réfugiés », comprenant :

les « réfugiés statutaires », compris comme tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride bénéficiant du statut défini par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, admis à résider en cette qualité dans un des Etats membres

les « réfugiés de facto », compris comme tout ressortissant de pays tiers ou apatride bénéficiant d'une forme de protection internationale octroyée par un Etat membre conformément à sa législation ou à sa pratique nationale ;

et, en tant que de besoin, les « demandeurs d'asile », compris comme tout ressortissant de pays tiers ou apatride sollicitant l'une des protections visées ci-dessus ;

la catégorie des « personnes déplacées », comprises comme tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride bénéficiant d'un régime de protection temporaire dans un Etat membre et, en tant que de besoin, les personnes qui sollicitent le bénéfice de cette protection.

Or, ces définitions, qui ont fait l'objet de plusieurs modifications, soulèvent des interrogations. Ainsi, les concepts juridiques de « protection internationale » ou de « protection temporaire » sont pour le moins incertains. De même, on utilise généralement le terme de « personnes déplacées » pour désigner les personnes qui, du fait de persécutions ou de craintes de persécutions, d'un conflit armé ou d'actes de violence, ont été contraintes d'abandonner leur foyer et leur lieu de résidence habituelle, mais qui restent à l'intérieur des frontières de leur propre pays. Certes, en l'espèce, ces définitions ne soulèvent pas d'enjeux majeurs, mais il serait pour le moins dangereux que, au détour d'un texte à caractère technique, des concepts fondamentaux se trouvent établis définitivement. A cet égard, plusieurs textes communautaires sont en préparation actuellement, dont une directive sur la « protection temporaire ».

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En conclusion, il convient de souligner, tout d'abord, la nécessité d'un mécanisme de solidarité financière à l'échelle de l'Union européenne, face à un phénomène -les réfugiés et les déplacés- en pleine mutation et en pleine « explosion ». A cet égard, la crise du Kosovo peut servir d'avertissement.

Ainsi, selon le Haut Commissariat pour les Réfugiés, le nombre total de réfugiés et de personnes déplacées en Europe est de 6,2 millions (1998). La France est particulièrement confrontée à ce phénomène, même si le nombre important de réfugiés vivant en France (près de 121 000 en 1998, selon l'INSEE) est très inférieur à celui de l'Allemagne (1,3 millions). Selon les chiffres de l'OFPRA, le nombre de primo-demandeurs d'asile en France, qui était d'environ 20 000 au début des années 1980, a brusquement augmenté à partir de 1985, pour atteindre un pic de plus de 60 000 demandes en 1989, avant de revenir progressivement au niveau du début des années 1980. Cependant, depuis 1997, le nombre de demandes augmente à nouveau fortement, puisqu'il est passé à plus de 27 000 en 1999 (chiffre provisoire).

Il est nécessaire de remarquer, également, que, malgré la prise en considération des positions françaises dans le texte fourni par la présidence, certains éléments de celui-ci demeurent problématiques.

Le point le plus préoccupant étant, à cet égard, la question de la définition des personnes visées. Il ne serait pas souhaitable, en effet, de faire figurer dans ce texte des définitions juridiques à caractère équivoque. Il importe, donc, que le gouvernement français fasse le nécessaire afin de mieux préciser la définition des groupes visés.

Sous la réserve que le gouvernement français obtienne des garanties sur une définition plus précise des groupes visés par le texte, la délégation n'a pas souhaité intervenir davantage sur ce texte.