COM (2000) 349 final  du 07/06/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 07/05/2002

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 05/07/2000
Examen : 15/11/2000 (délégation pour l'Union européenne)


Fiscalité

Communication de M. Denis Badré sur le régime de TVA applicable au commerce électronique (E 1483)

Le commerce électronique est un aspect essentiel de la « société de l'information » dont l'Union européenne cherche à promouvoir le développement. Pour pallier l'absence de règles adaptées aux spécificités du commerce électronique, des négociations ont été engagées au sein de l'OCDE et de l'OMC, qui n'ont pas encore abouti.

Face au besoin de sécurité juridique des opérateurs et des clients du commerce électronique, l'Union européenne a pris des initiatives pour en préciser le cadre normatif, sans attendre qu'un hypothétique consensus mondial se dégage. Ainsi, le 30 juin 1999, notre collègue René Trégouët nous a présenté la proposition de directive sur les aspects juridiques du commerce électronique qui a été définitivement adoptée en codécision le 4 mai 2000 par le Conseil et le Parlement européen.

L'exposé des motifs de la proposition de résolution que notre délégation avait alors adoptée, sur le rapport de M. René Trégouët, soulignait que « la dématérialisation des transactions rend très difficile l'application de la fiscalité, notamment indirecte. En matière de TVA, la détermination du lieu de taxation, de l'assiette et du taux applicable est particulièrement délicate pour les biens et services électroniques. Il s'agit d'éviter aussi bien la double taxation que la non-taxation. Le recouvrement effectif de la taxe devient aléatoire lorsque le prestataire est établi en dehors de l'Union européenne ».

« Les enjeux sont énormes pour les consommateurs, en termes de sécurité juridique, et pour les Etats, en termes de recettes fiscales. Il devient donc urgent de trouver une solution à ce problème, qui n'est pas traité par la [présente] proposition de directive. »

La proposition de résolution de la délégation se concluait par une demande au Gouvernement de « favoriser l'adaptation dans les meilleurs délais du droit fiscal au commerce électronique ». Tel est l'objet de la proposition de directive qui nous est aujourd'hui soumise pour examen.

La situation actuelle est aberrante. Il n'y a pas de difficulté pour les biens matériels vendus par voie électronique. Lors de leur livraison, ceux-ci sont traités au regard de la TVA comme les biens vendus de manière classique, c'est-à-dire qu'ils sont taxés à l'importation et détaxés à l'exportation. En revanche, l'application des règles ordinaires de la TVA aux prestations de service fournies par voie électronique aboutit à taxer les services fournis par des opérateurs communautaires à des clients situés hors d'Europe, et à détaxer les services fournis par des opérateurs de pays tiers à des clients situés en Europe.

La proposition de directive présentée par la Commission constitue un début de solution à cette distorsion de concurrence majeure, mais soulève ses problèmes propres.

I - LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

1. Le champ des services concernés

La proposition de directive concerne tous les « biens dématérialisés » et services qui sont transmis au moyen de traitement électronique et de stockage de données : fourniture en ligne de logiciels informatiques, d'informations, d'images et d'écrits, de jeux ; téléchargement de musiques ou de films ; prestations d'enseignement à distance.

Précision importante, le champ de la directive inclut la retransmission payante de films, d'émissions ou de manifestations culturelles ou sportives.

2. Les nouvelles règles de territorialité proposées

La proposition de directive dispose que, par exception aux règles générales de territorialité de la TVA, le lieu des prestations de services par voie électronique ne sera plus le lieu d'établissement du prestataire, mais le lieu de consommation des prestations. Dès lors, les règles de territorialité de la TVA seront les suivantes :

- les services fournis par un opérateur établi dans un pays tiers à un client situé dans l'Union européenne seront soumis à la TVA ;

- les services fournis par un opérateur européen à un client situé dans un pays tiers seront exonérés de TVA.

Par ailleurs, la proposition de directive précise que, pour les services fournis à un client européen non assujetti, le lieu d'imposition sera l'Etat membre où l'opérateur est identifié à la TVA. Pour les services fournis à un client européen assujetti, le lieu d'imposition restera l'Etat membre où celui-ci est situé, conformément aux règles actuelles.

3. Le lieu d'identification des opérateurs

Les opérateurs situés dans l'Union européenne sont, par définition, identifiés à des fins de TVA dans tous les Etats membres où ils réalisent un chiffre d'affaires significatif. En revanche, il n'en va pas forcément de même pour les opérateurs établis dans des pays tiers puisque, jusqu'à présent, ils ne facturent pas la TVA à leurs clients européens.

L'identification à des fins de TVA restera inutile, toutefois, pour les services fournis à des clients assujettis. En effet, ceux-ci sont tenus d'acquitter eux-mêmes la TVA qui leur a été facturée à l'importation, conformément au principe dit « d'autoliquidation ».

Pour les services fournis à des clients non assujettis, la Commission propose que les opérateurs des pays tiers, lorsque leur chiffre d'affaires annuel dans l'ensemble de l'Union dépasse un seuil de franchise de 100.000 euros, aient la possibilité de s'identifier dans un seul des quinze Etats membres.

4. Les mesures d'accompagnement

Afin que les opérateurs des pays tiers puissent satisfaire à leurs nouvelles obligations fiscales, la Commission propose de leur ouvrir l'accès au fichier commun VIES, qui recense tous les numéros d'identification à la TVA en Europe. En effet, les opérateurs doivent pouvoir vérifier s'ils ont affaire à un client assujetti ou non.

La Commission propose par ailleurs de rendre possible l'accomplissement par voie électronique de toutes les procédures relatives à l'enregistrement et au dépôt des déclarations de TVA. Pour leur part, les services fiscaux français devraient être en mesure de traiter ces formalités par voie électronique à partir du printemps 2001.

La proposition de modification du règlement sur la coopération administrative dans le domaine de la TVA, qui est jointe à la proposition de directive, a pour objet d'organiser la transmission par voie électronique des confirmations de la validité des numéros d'identification à la TVA.

II - APPRECIATION DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

1. La position des Etats membres

Lors du Conseil Ecofin du 17 octobre dernier, les Quinze ont approuvé les grandes lignes de la proposition de directive, qui leur est apparue de nature à rétablir la situation concurrentielle des opérateurs européens de services électroniques. Ils ont accepté le fait que toutes les prestations concernées soient soumises au taux normal de TVA, à l'exception des services de radio et de télévision.

En revanche, seul le Luxembourg a soutenu la proposition de la Commission relative au lieu unique d'identification des opérateurs de pays tiers. Très logiquement, cet Etat membre est aussi celui qui a le taux normal de TVA le plus bas parmi les Quinze, soit 15 % seulement.

Les quatorze autres délégations se sont prononcées en faveur d'une obligation d'identification des opérateurs des pays tiers dans chacun des Etats membres où ils fournissent des services à des clients non assujettis. En conséquence, la franchise globale de 100.000 euros éclaterait en seuils nationaux fixés à 5.000 euros, soit 75.000 euros pour l'ensemble de l'Union.

2. Le souhait des industriels européens

Les industriels européens des technologies de l'information et des communications, réunis au sein de l'European Information and Communication Technology Industry Association (EICTIA), ont approuvé les règles proposées, qui les placeront enfin sur un pied d'égalité avec les prestataires de services électroniques des pays tiers.

Mais ils demandent l'instauration d'un taux de TVA unique pour les services fournis en ligne à des clients non assujettis, afin de se retrouver à égalité entre eux. Cette demande n'a de sens qu'au regard de la proposition de la Commission d'imposer les prestations concernées, dans ce cas, non plus dans le pays de destination du client, mais dans le pays d'origine du prestataire.

3. La réaction défavorable des Etats-Unis

En raison de la position dominante de leurs opérateurs dans le commerce électronique, les Etats-Unis sont le principal pays tiers concerné par la proposition de directive.

Au mois de juillet dernier, le Gouvernement américain a estimé que cette initiative communautaire retarderait le développement du commerce électronique en général, et a demandé que ce dossier soit traité au sein de l'OCDE.

Les dispositions incriminées de la directive sont celles relatives à l'obligation faite aux opérateurs des pays tiers de s'identifier à la TVA dans l'Union européenne. Encore faut-il souligner que la protestation américaine a été exprimée sur la base de la proposition initiale de la Commission, qui préconisait l'identification dans un lieu unique justement afin d'alléger autant que possible les formalités imposées aux opérateurs de pays tiers. Ces allégations de complexité et de lourdeur administrative ne pourront qu'être aggravées par la solution qui a la préférence du Conseil, à savoir une identification dans chacun des quinze Etats membres.

4. Appréciation personnelle du rapporteur

Sur le principe, je crois que cette proposition de directive est bienvenue. Il y a urgence à agir pour corriger la distorsion de concurrence majeure dont sont victimes les opérateurs communautaires du commerce électronique.

Mais la réponse proposée mérite une analyse nuancée. La Commission européenne profite de cette occasion pour reprendre l'idée principale de son projet de « régime définitif » de TVA intra-communautaire, à savoir la facturation de la TVA dans l'Etat membre du prestataire et non plus du client. Jointe au principe de l'identification dans un seul Etat membre des opérateurs de pays tiers, cette proposition aboutirait à faire jouer à plein la concurrence fiscale entre les différents taux de TVA nationaux.

Quant à la demande d'un taux unique et commun de TVA pour les services électroniques formulée par les industriels, elle est à la fois compréhensible et inutile. Compréhensible, parce qu'elle reflète simplement le caractère insoutenable des principes du régime définitif de TVA intra-communautaire défendu avec constance par la Commission, au regard de la concurrence entre opérateurs européens. Inutile, puisque la proposition de la Commission ne devrait pas être finalement retenue par le Conseil. Mais, dans l'improbable hypothèse contraire, l'uniformisation des taux de TVA nationaux pour le commerce électronique serait difficilement acceptable. Outre les pertes de recettes fiscales que cette proposition impliquerait pour les Etats membres dont le taux normal de TVA serait supérieur à ce taux commun, elle entraînerait une distorsion de concurrence entre le commerce électronique et le commerce traditionnel.

Inversement, la taxation du commerce électronique ne se prête pas à l'application de taux de TVA différenciés selon la nature des biens ou services concernés. L'application du taux normal dans tous les cas est une solution de simplicité, qui remet en cause les taux réduits voulus pour des raisons sociales ou culturelles, notamment pour la presse et le livre. On peut toutefois l'admettre, dans la mesure où les frais du commerce électronique sont sans commune mesure avec les coûts de distribution de la presse écrite ou de l'édition.

Enfin, l'opposition des Etats-Unis aux nouvelles formalités fiscales que la proposition de directive imposerait à leurs prestataires de services électroniques apparaît assez hypocrite. En effet, tous les grands opérateurs de services américains sont, de fait, déjà identifiés à la TVA dans l'Union européenne. L'obligation d'identification ne posera de problèmes qu'aux plus petits d'entre eux, qui bénéficieront d'abord de la franchise de taxe prévue, dont le seuil exact est encore débattu au Conseil. Par ailleurs, la proposition de directive prévoit de dispenser les opérateurs de pays tiers identifiés à la TVA dans l'Union européenne de l'obligation, plus lourde, de se doter d'un représentant fiscal.

En fait, les Etats-Unis s'accommodent fort bien du vide juridique actuel, qui joue au bénéfice de leurs opérateurs de commerce électronique, et leur demande de renvoi de la question à l'OCDE apparaît dilatoire. La situation évolue pourtant également chez eux. Certains Etats fédérés, dont la Californie, s'inquiètent des pertes fiscales liées au développement du commerce électronique, et envisagent d'étendre à celui-ci le champ de leurs taxes sur le chiffre d'affaires.

Je crois donc que l'Union européenne, compte tenu de l'urgence à sortir du vide juridique actuel, ne doit pas hésiter à fixer unilatéralement les grandes règles de la taxation du commerce électronique, même s'il n'y a encore pas accord sur tous les points. Telle est en tout cas la position de la présidence française, que notre délégation doit soutenir à mon avis.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Robert Del Picchia :

Le régime actuel de la TVA sur le commerce électronique est particulièrement confus. Par exemple, si j'achète un livre via Internet à un prestataire américain, je ne paye pas de TVA. C'est la même chose pour les films ou les disques téléchargés.

Or les nouvelles règles de taxation préconisées par la Commission européenne ne sont pas applicables techniquement. Il vous suffit de faire un détour sur Internet via -Singapour, par exemple, grâce à un « ami » qui vous réexpédie la commande qu'il aura faite à votre demande, pour que vous vous retrouviez artificiellement localisé hors de l'Union européenne au regard de la TVA, et donc exonéré.

Permettez-moi de préciser que, si je connais bien ces questions, c'est parce que j'ai fait mon stage de « sénateur en entreprise » chez Amazon.com.

Sous ces réserves, la délégation a décidé de lever la réserve parlementaire sur ce texte.