COM (2000) 593 final  du 27/09/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 23/10/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 31/10/2000
Examen : 15/05/2001 (délégation pour l'Union européenne)


Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de M. Serge Vinçon sur la proposition
de décision E 1583 relative à la coordination
des interventions de protection civile

(Réunion du 15 mai 2001)

Vous vous rappelez sans doute que, lors d'une précédente réunion tenue en octobre dernier, notre délégation avait examiné une proposition tendant à créer un dispositif de réaction rapide s'insérant dans le système européen de gestion civile des crises.

Suivant les indications de son rapporteur, Hubert Haenel, elle s'était alors montré plus que réservée sur ce texte, non pas sur ses objectifs bien sûr, mais sur les modalités présentées. En particulier, nous avions été d'accord pour considérer qu'il était anormal que la Commission dispose d'un grand pouvoir d'initiative, assorti d'une ligne budgétaire importante (12 millions d'euros), dans ce domaine d'intervention relevant du second pilier à gestion intergouvernementale qu'est la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Nous avions alors fait connaître notre hostilité par une proposition de résolution, que j'avais eu l'honneur d'instruire auprès de la commission des Affaires étrangères, laquelle l'avait adoptée, le 20 décembre 2000.

Depuis lors, et en dépit de nos observations, le dispositif de réaction rapide a bien été créé, le texte ayant été toutefois adopté avec certaines modifications, notamment une forte diminution de l'enveloppe budgétaire. Mais le rôle initiateur de la Commission en la matière n'a pas été remis en question.

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Pourquoi revenir sur ce texte aujourd'hui ?

Parce que, dans la proposition « protection civile » dont je souhaite vous parler, on se trouve à nouveau confrontés au problème du rôle à accorder à la Commission, au sein d'un dispositif touchant cette fois au deuxième et au troisième piliers intergouvernementaux (PESC et JAI) de l'Union européenne.

A la suite d'une résolution du Conseil du 8 juillet 1991, l'assistance mutuelle entre les Etats membres en cas de catastrophe naturelle ou technologique a été organisée par la Communauté, dans le cadre d'un programme en faveur de la protection civile, renouvelé en décembre 1999, pour la période 2000-2004. Il faut ici rappeler que le domaine de la protection civile n'est pas totalement communautaire. Lors des négociations de Maastricht, il avait été déposé un projet de texte visant à inscrire, dans le Traité, un article spécifique à la protection civile. Mais aucun accord n'avait alors permis d'aboutir. En conséquence, la situation est restée la suivante : il existe une unité « protection civile » au sein de la direction générale « Environnement » et les questions de formation ressortissent au premier pilier. Mais les autres aspects - notamment celui touchant à la gestion des crises - relèvent de l'action du Conseil.

Il était apparu, à l'usage, que ce premier mécanisme, essentiellement axé sur la prévention, ne disposait pas d'informations suffisantes sur les ressources disponibles, donc mobilisables dans les Etats membres, et que son efficacité était entravée par les difficultés de communication entre les différentes équipes nationales. Le souhait d'améliorer ce dispositif étant partagé par tous les Etats membres, la Présidence française avait alors rendu publique une initiative en ce sens, relayée ensuite par la Commission dont le propre projet a été présenté en octobre 2000. C'est le texte que nous examinons : il s'agit d'une proposition de décision du Conseil instituant un mécanisme communautaire de coordination des interventions de protection civile en cas d'urgence.

· Le projet initial

Dans sa version originale, le texte proposait d'attribuer à la Commission le soin de recenser les effectifs rapidement disponibles en cas d'urgence, de préparer un programme de formation destiné à améliorer le fonctionnement des équipes, de constituer des équipes d'évaluation et de coordination, et de mettre en place un système de communication d'urgence entre les autorités administratives de la protection civile des Etats membres et ses propres services.

Ce faisant, on attribuait à la Commission un rôle de coordinateur au sein d'un dispositif qui continuait de relever de la responsabilité des Etats, chacun pouvant choisir de s'engager ou non sur une opération.

Le bon sens montrait qu'on pouvait en effet attendre une vraie valeur ajoutée de ce rôle d'interface, d'organisation du réseau et d'animation qui revenait à la Commission. Le budget accordé à ce mécanisme devait mobiliser, au maximum, 1,5 million d'euros par an.

· L'état des débats

Si je parle à l'imparfait, c'est parce qu'au cours des débats, le texte initial a totalement changé de philosophie. Nous ne disposons d'ailleurs même pas à ce jour d'un document complet en français. Le changement fondamental a été de prévoir que si l'urgence survenait dans un pays non membre de l'Union, celui-ci pourrait, de la même manière, demander l'aide de la Communauté. L'intervention couvrirait les besoins en secours, ainsi que l'aide humanitaire immédiate, et serait réalisée en collaboration avec ECHO, l'office humanitaire de l'Union. Il a très vite été imaginé d'avoir recours à ce dispositif dans le cadre de la gestion civile des crises, ce qui excède largement les préoccupations d'environnement de départ.

Or, dans cette hypothèse, on constate aussitôt que la Commission sort de son rôle d'interface, de centralisation des informations et de formation des équipes, pour accéder à un rôle plus moteur dans un domaine où elle n'est pas compétente.

Par exemple, dans le dispositif intra-communautaire, le texte prévoit un double circuit d'information et d'appel aux secours : soit les contacts s'établiront d'Etat membre à Etat membre en vertu d'accords bilatéraux, soit ils transiteront par la Commission, l'idée étant tout à la fois de conserver certains liens préférentiels, tout en disposant d'un interlocuteur unique. On peut supposer que ce double circuit sera maintenu pour les demandeurs hors Union : il serait en effet absurde de supprimer certains contacts privilégiés entre pays liés par une unité linguistique ou un passé historique commun. En même temps, l'efficacité pourrait commander de centraliser de facto l'information au niveau de la Commission. Comment ces deux circuits fonctionneront-ils ?

Par ailleurs, on ignore aussi qui sera chef de file en cas d'intervention en dehors du territoire de l'Union : la présidence en titre ? L'Etat demandeur ? La Commission ?

En tout état de cause, on se trouve ici dans un domaine d'intervention aux limites fluctuant entre protection civile, action humanitaire et gestion civile des crises. Il n'est pas impossible que, souhaitant éviter les dysfonctionnements de l'organisation des secours entre Etats, on lui substitue des doublons, voire des rivalités entre organismes communautaires intervenant à ces différents titres. On peut imaginer ainsi que l'agence communautaire ECHO ne souhaiterait pas être rattachée d'une manière ou d'une autre à un mécanisme intergouvernemental.

Bref, il résulterait de ce mélange des genres une intervention de la Commission tout à la fois sur le premier pilier - ce qui est normal - mais aussi dans les deuxième (PESC) et troisième piliers (JAI).

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Dernier point non négligeable : en conséquence de cette frénésie d'intervention potentielle, le budget du mécanisme a été notablement accru au cours des discussions préliminaires. On a envisagé 5, puis 10 millions d'euros par an, en prévoyant de financer sur fonds communautaires jusqu'aux transports des secours. Depuis lors, il semble que l'on soit revenu à des limites plus raisonnables de l'ordre de 3 millions d'euros - ce qui constitue tout de même le double du montant initial. Je vois d'ailleurs un caractère absurde à chiffrer la dépense annuelle de l'urgence : faut-il en déduire qu'une fois le plafond atteint, l'Union cesserait d'intervenir en cas de nécessité ? Par ailleurs, on peut légitimement se poser la question de savoir à combien s'élèverait la dépense totale sur ce type d'intervention, s'il faut y ajouter le budget propre de l'agence ECHO et les fonds disponibles au titre du dispositif de réaction rapide. C'est ainsi qu'on alimente les reproches d'opacité faits aux structures communautaires.

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Quel que soit le bien-fondé des motivations des Etats membres, il est singulier de constater que, à nouveau, la Commission pourrait se voir accorder des pouvoirs dans des domaines où elle n'est pas censée intervenir aussi directement.

Le fondement juridique avancé est, cette fois encore, celui de l'article 308 du traité, qui avait déjà été utilisé - abusivement selon nous - pour le texte « dispositif de réaction rapide ». En effet, cet article dispose que : « Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les mesures appropriées. » A l'évidence, ce texte vise le premier pilier de l'Union, et lui seul - ce que la Cour de justice a d'ailleurs confirmé dans son avis du 28 mars 1996.

Par ailleurs, comme un troisième texte, consacré à l'accompagnement des processus électoraux dans les pays tiers, fondé sur un dispositif analogue serait également à l'étude en ce moment même, je vois là une dérive fort préoccupante de l'organisation des institutions européennes.

A ce stade du débat, je pense inutile d'intervenir sur ce texte, les discussions en cours pouvant laisser espérer que ses dispositions seront ramenées à de plus justes proportions, notamment financières. Le Gouvernement français se montre en effet particulièrement vigilant sur ces questions. Mais s'il devait en être autrement, je ne manquerais pas de vous le faire savoir afin que nous modifiions notre position d'aujourd'hui.

Compte rendu sommaire du débat

M. Emmanuel Hamel :

Comment se manifeste la vigilance du Gouvernement français sur ce dossier ?

M. Serge Vinçon :

La France s'est trouvée à l'origine de cette proposition puisqu'elle avait elle-même présenté une initiative sur ce thème lorsqu'elle assurait la présidence du Conseil. Il n'était alors pas prévu de donner au champ d'application du dispositif de protection civile l'ampleur qu'il a prise au cours des débats successifs. C'est la raison pour laquelle notre Gouvernement - et celui d'autres Etats membres, d'ailleurs - s'est opposé à plusieurs dispositions nouvelles et veille avec la plus grande attention à contenir les risques de dérive que je vous indiquais. C'est aussi la raison pour laquelle je ne pense pas utile, à ce stade des discussions, de manifester notre opposition autrement que par les observations précédemment formulées.

Il va de soi qu'une évolution de ce dossier dans un sens qui pourrait paraître contraire aux textes et, plus largement, aux intérêts de l'Union, me conduirait à revoir ma position et à vous présenter, le cas échéant, une proposition de résolution.