COM (2001) 536 final  du 28/09/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 14/11/2001
Examen : 17/01/2002 (délégation pour l'Union européenne)
Document ayant abouti au texte E2132 (COM (2002) 562), proposition de directive relative à l'indemnisation des victimes de la criminalité.


Justice et affaires intérieures

Livre vert sur l'indemnisation des victimes de la criminalité

Texte E 1858 - COM (2001) 536 final

(Procédure écrite du 17 janvier 2002)

Ce Livre vert de la Commission européenne s'inscrit dans le cadre des initiatives récentes prises au niveau de l'Union européenne en matière de protection des victimes de la criminalité.

I - LE CONTEXTE DU LIVRE VERT

En dépit de l'absence de dispositions relatives aux victimes de la criminalité dans les traités, les institutions européennes se sont peu à peu préoccupées de cette question. C'est, tout d'abord, le Parlement européen qui a appelé à une action communautaire en cette matière, par sa résolution de 1989. La Commission européenne a, pour sa part, adopté une communication sur ce sujet en 1999. Cette même année, les chefs d'Etat et de gouvernement ont souligné, lors du Conseil européen de Tampere, la nécessité d'établir « des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l'accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation, y compris au remboursement des frais de justice ».

Par ailleurs, une étude sur la situation des victimes de la criminalité a été réalisée en 2000 avec un soutien financier au titre du programme communautaire Grotius. Enfin, les ministres de la justice des Quinze ont adopté, le 15 mars 2001, une décision-cadre sur le statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (texte E 1460, examiné par la délégation lors de la procédure écrite du 4 octobre 2000). Cette décision-cadre prévoit une série d'obligations pour les Etats membres destinées à assurer une protection des victimes de la criminalité et d'éviter le phénomène de « double victimisation ».

II - LE CONTENU DU LIVRE VERT

L'objet de ce Livre vert est plus limité puisqu'il porte uniquement sur l'indemnisation des victimes par des dispositifs publics, qui jouent lorsque l'auteur du délit n'est pas identifié ou qu'il est insolvable et lorsque l'assurance ou les régimes de sécurité sociale n'assurent pas cette indemnisation. L'objectif de la Commission est de mener une vaste consultation sur ce thème et de recueillir des observations. Pour ce faire, le Livre vert contient une série de quinze questions, qui se rattachent à deux idées générales.

La première idée qui se dégage de ce document est que les dispositifs nationaux d'indemnisation des victimes sont très différents, non seulement en terme de niveau d'indemnisation, mais également du point de vue de leurs caractéristiques propres, qui sont liées à la politique pénale des Etats membres. L'uniformisation des niveaux d'indemnisation, actuellement disparates en raison des différences de niveau de vie, est écartée par la Commission. En revanche, celle-ci propose de mettre en place des normes minimales. Cette approche consisterait à déterminer, par un instrument contraignant, les restrictions à l'indemnisation publique des victimes que les Etats membres peuvent être autorisés à mettre en place. Ces restrictions porteraient, par exemple, sur les victimes susceptibles d'être indemnisées, avec la question des « victimes par ricochet », ou sur les critères liés aux types de délits ou de préjudices. Le Livre vert mentionne, ainsi, la possibilité d'exclure certains délits, comme les délits non intentionnels, ou certains préjudices, comme les dommages immatériels.

Le deuxième axe du Livre vert vise à prendre en compte les difficultés particulières auxquelles peuvent se heurter les victimes transfrontalières. Ces difficultés concernent tant des obstacles pratiques, que juridiques. En ce qui concerne les problèmes de nature juridique, la Cour de justice des communautés européennes a appliqué le principe général de non discrimination dans une décision dite Cowan pour s'opposer à ce qu'un Etat membre, en l'occurrence la France, subordonne l'octroi d'une indemnité à la victime d'une agression à la condition qu'elle soit titulaire d'une carte de résident ou soit ressortissante d'un pays ayant conclu un accord de réciprocité avec cet Etat membre (1(*)). La Commission propose donc de tirer les conséquences de cette décision. Sur les difficultés pratiques (accès à l'information, formulation de la demande) la Commission propose plusieurs pistes de réflexion comme l'assistance mutuelle entre les autorités compétentes des Etats membres, ou l'instauration d'un système de « double responsabilité », c'est-à-dire un système où la victime d'un délit pourrait demander l'indemnisation dans les deux Etats membres (celui où le délit a été commis et celui où elle a sa résidence principale). Enfin, la Commission propose l'établissement de formulaires harmonisés utilisables pour les demandes d'indemnisation publique dans tous les Etats membres.

III - APPRÉCIATION SUR LE LIVRE VERT

Selon l'article 2 du traité sur l'Union européenne, l'Union européenne doit respecter le principe de subsidiarité, tel qu'il est défini à l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne.

Selon cet article :

« La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. L'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ».

Or, il apparaît que le texte de la Commission soulève plusieurs difficultés du point de vue du respect de ce principe.

En premier lieu, il convient de se demander si la protection des victimes relève bien des objectifs de l'Union. On ne peut, en effet, s'en tenir aux conclusions du Conseil européen de Tampere, d'octobre 1999, qui constituent un document de nature politique et non juridique. Or, on ne trouve aucune disposition expresse relative à la protection des victimes de la criminalité dans les traités.

Cette question de la base juridique avait déjà été soulevée à propos de la décision-cadre relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales. Le service juridique du Conseil avait alors estimé, dans un avis du 14 juillet 2000, que l'aide aux victimes d'infractions faisait partie de l'objectif plus général de l'Union consistant à offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice. Le service juridique reconnaissait, toutefois, que l'Union devait, dans l'exercice de ses pouvoirs, se limiter en principe aux questions requérant une approche commune plutôt que des actions menées individuellement par des Etats membres, pour se conformer au principe de subsidiarité. Ces questions nécessitant une approche commune sont soit des éléments transnationaux, soit des phénomènes constituant une menace commune pour l'ensemble des Etats membres. Le projet de décision-cadre sur le statut des victimes était donc problématique de ce point de vue, puisqu'il était centré sur le traitement des victimes dans un contexte purement national, comme l'avait souligné la délégation du Sénat et comme l'avaient fait valoir certains représentants des Etats membres. En ce qui concerne le Livre vert de la Commission, ce constat est encore plus flagrant. En effet, la plupart des éléments contenus dans le Livre vert portent sur des aspects purement nationaux, qui dépassent de beaucoup la situation des victimes transfrontalières, qui pourtant devrait logiquement constituer l'objet exclusif d'une action communautaire.

En second lieu, il faut aussi s'interroger sur la manière la plus appropriée de parvenir à l'objectif fixé d'offrir une protection aux victimes de la criminalité. Le Livre vert débouche sur la proposition d'instituer des normes minimales au niveau de l'Union applicables aux dispositifs publics d'indemnisation des victimes. Cette proposition soulève, en réalité, plusieurs écueils. Tout d'abord, bien que la Commission s'en défende, une telle proposition contient toujours le risque de déboucher sur un texte qui ne contient aucune valeur ajoutée, mais qui reflète uniquement le plus petit dénominateur commun. De plus, on pourrait alors craindre une convergence vers le bas des différents régimes d'indemnisation. En outre, même si on écarte cette hypothèse, la prise en compte de la situation des victimes d'infractions transfrontalières ne nécessite pas de texte juridique contraignant, étant donné la jurisprudence de la Cour de justice, mais plutôt un mécanisme souple de coopération, comme le prévoyait la Commission, elle-même, dans sa communication sur les normes et mesures à prendre en matière de protection des victimes.

Enfin, il convient de s'interroger si l'Union européenne constitue le niveau le plus approprié pour une telle initiative. Or, d'une part, on constate que la plupart des éléments contenus dans le Livre vert présentent une dimension exclusivement nationale et ne nécessitent donc pas une intervention communautaire. Et, d'autre part, qu'une Convention, conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe en 1983, porte précisément sur l'indemnisation des victimes de la criminalité. Les objectifs de cette Convention sont d'introduire ou de développer des régimes de dédommagement des victimes de délits et d'établir des dispositions minimales pour ces régimes. Cette Convention prévoit déjà l'absence de discrimination selon la nationalité et la désignation d'une autorité centrale pour faciliter les demandes transfrontalières. Elle a été signée par douze Etats membres de l'Union et elle est entrée en vigueur dans neuf d'entre eux (Allemagne, Danemark, Finlande, France, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède). L'indemnisation publique des victimes de la criminalité est donc déjà abordée au niveau du Conseil de l'Europe et on voit mal la nécessité pour l'Union européenne d'une action spécifique dans ce domaine.

En définitive, il apparaît que le respect du principe de subsidiarité n'est guère compatible avec l'adoption de telles normes contraignantes au niveau de l'Union européenne en matière d'indemnisation publique des victimes.

La délégation a décidé, par conséquent, d'appeler le Gouvernement à faire valoir le respect du principe de subsidiarité dans sa contribution au Livre vert de la Commission européenne.


* (1) (1) Affaire 186/87, Ian William Cowan/Trésor public, Recueil 1989, p. 195.