COM (2002) 711 final  du 11/12/2002
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/01/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/01/2003
Examen : 10/06/2003 (délégation pour l'Union européenne)


Marché intérieur

Communication de M. Denis Badré sur la réforme
du régime du contrôle des concentrations

Texte E 2176 - COM (2002) 711 final

(Réunion du 10 juin 2003)

Nous sommes saisis d'un projet de règlement de la Commission modifiant le régime du contrôle des concentrations. Cette proposition constitue un des volets essentiels de la réforme de la politique européenne de la concurrence. Je vais donc, d'abord, rappeler les grands axes de cette réforme.

I. UNE REFORME INDISPENSABLE DE LA POLITIQUE EUROPEENNE DE LA CONCURRENCE

La réforme de la politique européenne de la concurrence est une réforme très importante, tant par ses enjeux que par son ampleur.

a) Des enjeux majeurs

La politique de la concurrence figure parmi les plus anciennes des politiques communautaires, avec la politique agricole commune. C'est une politique sur laquelle il existe un large consensus, au moins sur le plan des principes. Cette politique se situe aujourd'hui à la croisée des chemins. Comme l'ensemble des activités de l'Union européenne, elle est confrontée à de nouveaux défis, le plus important étant celui de l'élargissement. Elle doit également s'adapter au contexte de la mondialisation et définir de nouvelles formes de coopération avec ses principaux partenaires, au premier rang desquels figurent les États-Unis. Mais surtout, la politique européenne de la concurrence connaît une crise profonde. On se souvient, en effet, des récentes polémiques qui ont suivi plusieurs veto opposés par la Commission au rapprochement entre les entreprises françaises Schneider et Legrand ou entre Sidel et Tetra Laval. On peut également citer l'interdiction de la fusion entre les sociétés Airtours et First Choice. Or, ces décisions, qui ont eu des conséquences importantes sur les entreprises précitées, ont été ensuite annulées par la Cour de justice de Luxembourg. Et les juges communautaires ont été extrêmement sévères à l'égard de la Commission en dénonçant notamment une violation des droits de la défense et plusieurs « erreurs manifestes, omissions et contradictions » dans le raisonnement économique de la Commission.

Une réforme de cette politique est donc indispensable afin notamment de faire face à l'engorgement des services de la Commission et des juridictions, de répondre à la longueur excessive des délais de jugement, à la complexité des règles et des procédures et à l'absence de véritables « contre-pouvoirs » dans la procédure. J'ai toujours insisté sur l'importance d'assurer une véritable sécurité juridique pour les entreprises car, dans ce domaine, l'insécurité constitue la principale source de préoccupation des entreprises.

b) Une réforme de grande ampleur

La refonte du régime des concentrations s'inscrit dans un ensemble de mesures qui constituent une réforme de grande ampleur.

Ainsi, le Conseil vient d'adopter, le 16 décembre 2002, un nouveau règlement qui remplacera le célèbre règlement n° 17 sur l'interdiction des ententes et des abus de position dominante. Cette réforme très importante, dont je vous avais présenté les grandes lignes en janvier 2000, à l'occasion de l'examen du Livre blanc de la Commission, s'articule autour de trois axes : la suppression du système de notification, la déconcentration accrue de l'application des règles communautaires de concurrence et la mise en place d'un réseau d'autorités publiques appliquant les règles de concurrence.

Les négociations sur ce texte ont été difficiles, mais, en définitive, le compromis auquel est parvenu le Conseil me paraît équilibré. Je voudrais, en particulier, saluer la déconcentration de l'application du droit communautaire de la concurrence qui constitue une application exemplaire du principe de subsidiarité. L'existence d'une politique commune n'est nullement contradictoire avec une application déconcentrée au niveau des États membres. Comme l'a déclaré le Commissaire Mario Monti, lors d'une conférence prononcée le 22 novembre 2002, « il s'agit de prendre acte de la maturité acquise pour réduire au minimum la bureaucratie pesant jusqu'alors sur les entreprises tout en garantissant une mise en oeuvre plus efficace encore du droit de la concurrence ». La suppression du système d'autorisation préalable, basé sur la notification obligatoire, procède de cette démarche. La Commission européenne devra dorénavant centrer son action sur la poursuite des infractions graves, tout en veillant, naturellement, au maintien de la cohérence d'ensemble des règles en vigueur dans l'Union. Cette cohérence sera d'ailleurs grandement renforcée car les autorités nationales n'appliqueront plus qu'une seule et même norme à l'égard des accords affectant le commerce entre les États membres. Loin de représenter une « renationalisation » de la politique européenne de concurrence, cette révolution donnera donc naissance à un espace européen homogène offrant aux entreprises une meilleure sécurité juridique. Cette déconcentration, qui sera effective en mai 2004, implique cependant une mise à niveau des moyens nationaux, en particulier dans les pays candidats à l'adhésion, comme nous l'avions souligné dans la proposition de résolution que je vous avais présentée.

Parmi les autres réformes engagées, je pourrais citer également la réforme du régime de la distribution automobile, sur laquelle s'est penchée récemment la commission des Affaires économiques du Sénat. La révision du règlement sur le contrôle des concentrations occupe toutefois une place particulière.

II. LA REFORME DU REGIME DU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

Cette réforme a été précédée par un Livre vert de la Commission, publié en décembre 2001, dont je vous avais présenté les grandes lignes l'année dernière. Dans ma communication, j'avais mis l'accent sur trois questions fondamentales, que je reprendrai ici.

a) Tout d'abord, le problème de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

La réforme envisagée par la Commission dans son Livre vert me semblait paradoxale puisqu'elle visait à étendre le champ de la compétence européenne, et donc les pouvoirs de la Commission, tout en laissant à celle-ci le pouvoir de décider elle-même, de manière discrétionnaire, des affaires dont elle serait saisie. Cette orientation me semblait en totale contradiction avec le respect du principe de subsidiarité et le mouvement de déconcentration du droit de la concurrence. Je me félicite donc que la Commission européenne ait finalement renoncé, du moins en apparence, à élargir la compétence européenne en établissant une présomption de compétence dès lors qu'une opération de concentration doit être notifiée dans trois États membres au moins. Je dis « en apparence » car, si la Commission européenne a abandonné l'idée d'élargir sa compétence par une modification des seuils de chiffres d'affaires, la réforme qu'elle propose du mécanisme de renvoi aboutirait, en réalité, au même résultat. En effet, d'après le projet de règlement, dès lors qu'une opération aurait fait l'objet d'une demande de renvoi par au moins trois États, la Commission disposerait d'une compétence exclusive. De plus, elle disposerait d'un mécanisme de « renvoi forcé » des affaires, lui permettant de contrôler une opération même lorsque la condition des trois États ne serait pas remplie. Le système proposé par la Commission me semble donc un leurre puisque, en définitive, il aboutirait, au travers du critère du nombre d'États, à une extension de l'intervention communautaire ; or, ce critère avait pourtant été accueilli avec beaucoup de réserves lors de la publication du Livre vert.

Certes, l'assouplissement des règles de renvoi me paraît aller dans la bonne direction car il répond aux impératifs de rapidité et de sécurité juridique pour les entreprises. C'est pourquoi je suis favorable à l'idée d'une simplification de ces règles. Mais je voudrais souligner à nouveau la nécessité de préserver la délimitation des compétences entre les États membres et la Commission. L'instauration d'un mécanisme de renvoi à la seule initiative de la Commission me paraît susceptible de remettre en cause cette délimitation des compétences. Il faut une règle claire qui s'impose à tous, y compris à la Commission. Chaque État membre devrait pouvoir conserver sa compétence, même si d'autres décident d'un renvoi à la Commission. Cela correspond, en effet, à un souci de traiter les affaires au cas par cas, selon le principe de subsidiarité. Les autorités nationales de la concurrence sont, en effet, souvent mieux placées et mieux outillées pour évaluer les effets d'une opération de concentration sur le marché national. Il ne s'agit donc pas de vouloir garder absolument sa compétence dans toutes les affaires, mais d'attribuer l'examen de ces affaires de manière optimale, soit à la Commission, soit aux autorités nationales chargées de la concurrence, sans s'enfermer dans un système trop rigide.

b) Le second point concerne l'équilibre dans la procédure entre la Commission, les États membres et les entreprises.

La situation actuelle aboutit à conférer à la Commission un pouvoir très important, voire exorbitant. Les récents arrêts de la Cour de justice ont, d'ailleurs, dénoncé le non-respect des droits de la défense par la Commission. Plus généralement, les États membres ne jouent qu'un rôle marginal durant la procédure au sein d'un comité consultatif et les entreprises déplorent de n'être pas suffisamment associées. Le seul organe susceptible de jouer le rôle de contre-pouvoir, le juge communautaire, n'est pas capable en pratique d'exercer ce rôle en raison de la longueur des délais de jugement. J'avais donc regretté que le Livre vert de la Commission ne soit pas plus ambitieux sur cet aspect. La récente déclaration du commissaire Mario Monti me rend plus optimiste.

Parmi les idées présentées par le commissaire figure, en particulier, l'institution d'une sorte d'« avocat du diable », chargé d'apporter un deuxième regard sur une affaire. Il me semble qu'il s'agit là d'une idée intéressante mais qu'il conviendrait d'aller au bout de la logique en confiant ce rôle à un ou plusieurs États rapporteurs, comme le propose le gouvernement. Cela permettrait, en effet, de mieux valoriser le rôle des États et d'offrir une réelle contre-expertise. Les États peuvent, en effet, faire valoir une expertise juridique reconnue dans ce domaine.

Par ailleurs, l'accélération des délais de jugement devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice me paraît être une question fondamentale et je regrette qu'elle ne soit pas au coeur de cette réforme. Les recours devant les juges communautaires mettent, en effet, en moyenne deux à trois ans pour aboutir, ce qui, dans la pratique, aboutit à rendre tout recours inefficace. La création d'une procédure de référé spécifique aux opérations de concentration avait pourtant été évoquée dans plusieurs contributions au Livre vert de la Commission.

c) Enfin, une dernière question porte sur le critère de référence utilisé pour évaluer les effets d'une concentration.

Le Livre vert ouvrait, en effet, un débat sur les mérites respectifs du test de dominance, utilisé actuellement par la Commission, et du test de l'examen des réductions substantielles de la concurrence (test SLC) utilisé aux États-Unis. Ces deux approches sont, en effet, différentes, voire même opposées. Selon le dispositif européen, l'examen porte sur le fait de savoir si une opération de concentration conduit à « la création ou au renforcement d'une position dominante », alors que les autorités américaines de la concurrence vérifient si une telle opération provoque « un affaiblissement substantiel de la concurrence ». Je rappellerai, à cet égard, que le système français combine des éléments des deux modèles.

Cette question reste très débattue, tant parmi les États membres que parmi les entreprises. Le test américain présenterait, selon certains, l'avantage de prendre en compte les gains d'efficience susceptibles de découler d'une opération de concentration. La Commission fait cependant valoir que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg permet déjà une interprétation plus économique de la « dominance ». Toutefois, le projet envisagé par la Commission est unanimement critiqué, car il consiste à conserver en apparence le test de dominance tout en redéfinissant cette notion pour la rapprocher de la notion d'atteinte substantielle à la concurrence, ce qui ne va dans le sens ni de la clarté, ni de la sécurité juridique. En effet, une telle définition de la position dominante dans un texte législatif risquerait de figer cette notion et d'empêcher toute adaptation ultérieure aux évolutions du marché. Elle serait également source de confusion, puisque la notion de « position dominante » se retrouve dans d'autres volets de la politique de la concurrence. Il faut donc être cohérent et ne pas aboutir à donner à la notion de « position dominante » deux définitions différentes. Plutôt que cette approche, il me semblerait préférable que la Commission s'inspire du modèle français qui accorde une place prépondérante à la notion de position dominante, tout en permettant une analyse fondée sur la réduction substantielle de la concurrence.

Sur ces trois points, je partage les orientations du gouvernement. Ces orientations dépassent d'ailleurs les clivages politiques, car elles avaient été définies en grande partie par le précédent ministre de l'Économie, Laurent Fabius, dans sa contribution au Livre vert de la Commission. Il me paraît toutefois important, au regard des enjeux soulevés par cette réforme, que la délégation manifeste son soutien à la position du gouvernement.

Compte rendu sommaire du débat

M. Marcel Deneux :

Je fais confiance à notre rapporteur et j'approuverai donc les conclusions qu'il nous soumet. Je voudrais toutefois exprimer ma perplexité devant la réforme de la politique de la concurrence qui nous est présentée. Les règles applicables dans le domaine de la concurrence ne sont pas toujours d'une très grande clarté. Les entreprises sont souvent confrontées à une véritable insécurité juridique car elles ne savent pas toujours si la Commission va ou non se saisir d'une opération de concentration. Le rapprochement entre le Crédit agricole et le Crédit lyonnais en offre l'illustration. Or, notre économie a besoin de grands groupes industriels qui soient compétitifs au niveau mondial. Une réforme de la concurrence doit donc en priorité offrir une meilleure sécurité juridique aux entreprises. Il s'agit là d'un vieux débat, mais qui me paraît toujours d'actualité.

M. Denis Badré :

Le contexte économique international est en constante évolution. La politique européenne de la concurrence doit s'adapter à ces évolutions. En particulier, il est indispensable que les autorités européennes et les autorités américaines chargées de la concurrence développent un partenariat étroit. Dans le même temps, les règles nationales de la concurrence doivent pouvoir s'appliquer lorsqu'une opération intéresse uniquement le marché national. Comme je l'ai souligné dans ma communication, le point central me paraît être la délimitation des compétences, car elle seule peut offrir aux entreprises une réelle sécurité juridique. Les entreprises doivent savoir le plus tôt possible quelles règles vont s'appliquer.

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne du Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (E 2176),

Considère que la réforme du régime du contrôle des concentrations doit se fonder, d'une part, sur une répartition optimale des compétences entre l'Union européenne et les États membres qui soit conforme au principe de subsidiarité et, d'autre part, sur un système de « contre-pouvoirs » garantissant une procédure simple, rapide et équitable.

Exprime, à cet égard, trois préoccupations :

- En ce qui concerne les mécanismes de renvoi

Partage le souci de simplifier les règles et les procédures, mais considère que la décision de renvoi d'une affaire vers la Commission devrait rester de la seule compétence des États ;

- En ce qui concerne la procédure

Souhaite qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la Commission, les États et les entreprises et suggère d'impliquer davantage les États membres dans la procédure ;

En ce qui concerne le critère de référence utilisé pour évaluer les effets d'une concentration

S'oppose au système proposé par la Commission qui ne répond pas aux impératifs de clarté et de sécurité juridique.