COM (2004) 608 final  du 23/09/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 13/10/2004
Examen : 15/12/2004 (délégation pour l'Union européenne)


Communication de M. Didier Boulaud sur le Livre vert
sur les marchés publics de la défense

Texte E 2710

(Réunion du 15 décembre 2004)

M. Hubert Haenel :

Le livre vert sur les marchés publics de la défense avait été inclus parmi les textes faisant l'objet d'une procédure écrite d'examen. Toutefois Didier Boulaud a souhaité que ce texte, compte tenu de son importance pour l'industrie de l'armement, soit inscrit à l'ordre du jour de l'une de nos réunions. Comme vous le savez, cette inscription est de droit dès lors que l'un des membres de la délégation en formule la demande. Je suis donc heureux de lui laisser la parole pour qu'il nous présente ce Livre vert.

M. Didier Boulaud :

Dans ce Livre vert, la Commission aborde la question d'un encadrement des marchés publics de défense. Je rappelle que les règles communautaires concernant les marchés publics ne s'appliquent aux marchés publics de défense que sous réserve de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne. Cet article pose deux principes :

a) « aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité ».

b) « tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »

Dès les débuts de la Communauté, le 15 avril 1958, le Conseil a adopté une liste des produits entrant dans le champ d'application de l'article 296. Les traités suivants ont précisé que cette liste ne pouvait être modifiée qu'à l'unanimité. Paradoxalement, cette liste n'a jamais fait l'objet d'une publication officielle.

La Commission européenne ne propose pas de modifier l'article 296, qui a d'ailleurs été repris à l'identique dans la Constitution de l'Union dont il est l'article III-436. Cependant, la Commission estime que la situation n'est pas satisfaisante. Elle observe que la notion d'« intérêt essentiel de sécurité » n'a été précisée ni par un texte communautaire, ni par la jurisprudence de la Cour de justice ; en conséquence, les États « se réservent une large marge d'appréciation pour déterminer les marchés susceptibles d'y porter atteinte ». Toujours selon la Commission, cette situation contribue à maintenir le cloisonnement des marchés publics de défense, et le développement des industries européennes dans ce secteur s'en trouve entravé.

Pour remédier à cela, la Commission envisage deux mesures. La première serait de publier une « communication interprétative » qui clarifierait le droit applicable et, notamment, définirait de manière plus précise le périmètre des marchés publics de défense. La seconde mesure serait l'adoption d'une directive sur la passation des marchés publics de défense. Cette directive permettrait une limitation plus stricte du champ des marchés publics de défense échappant par nature aux règles communautaires. A côté de ces marchés relevant effectivement des « intérêts essentiels de sécurité », apparaîtrait une nouvelle catégorie de marchés publics de défense, qui seraient plus ouverts, avec toutefois des règles spécifiques. Ce « Livre vert », avec ces deux hypothèses, a été publié au mois d'octobre, les États membres devant adresser leur réponse en février.

Où en est-on aujourd'hui ? Il existe un consensus au sein des États membres pour que la politique commune de défense conserve un caractère intergouvernemental. C'est l'approche qui a été également retenue lors de la création de l'Agence européenne de l'armement, qui est fondée sur l'idée de la coopération entre les États membres, et non pas sur la création d'un marché unique dans ce secteur. Dans ce contexte, les États membres ont chargé le comité directeur de l'Agence européenne de défense d'élaborer un projet de réponse commune au Livre vert. Ce projet de réponse sera connu en janvier.

A ce stade, quelle est la position du Gouvernement ? Tout d'abord, la France s'oppose à l'idée d'une « communication interprétative » de la Commission au sujet de l'article 296 du traité, en considérant que c'est aux États membres qu'il revient de définir ce qui entre dans leurs intérêts essentiels de sécurité. On peut se demander, d'ailleurs, si la Commission serait dans son rôle en publiant une telle communication, car la rédaction de l`article 296 reconnaît clairement le pouvoir d'appréciation des États membres : « tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires pour la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ». Ensuite, la France n'est pas opposée à un meilleur encadrement de certains marchés publics de défense, au cas par cas ; dans cette optique, la formule appropriée, au moins dans un premier temps, ne paraît pas être l'adoption d'une directive communautaire, mais plutôt celle d'un « code de conduite » qui favoriserait de manière pragmatique une plus grande ouverture de certains marchés.

*

Nous en sommes au stade du « Livre vert », c'est-à-dire des consultations préliminaires, et, comme je l'ai indiqué, nous attendons la contribution que donnera l'Agence européenne de défense. Donc, je ne propose pas que notre délégation intervienne maintenant.

En revanche, l'enjeu est manifestement important, à la fois pour nos industries de défense et pour la construction de l'Europe de l'armement. C'est pourquoi j'ai souhaité attirer l'attention de la délégation sur ce texte. Il me semble nécessaire que, dans les prochains mois, nous suivions de près les suites qui seront données à cette initiative de la Commission, de sorte que nous puissions intervenir en temps utile si le besoin s'en faisait sentir.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Del Picchia :

Je voudrais rappeler le contexte dans lequel s'inscrit ce Livre vert. L'industrie européenne de l'armement est dans une situation difficile face à la concurrence américaine qui tend à prendre le pas en Europe. Si nous n'y prenons garde, nous serons obligés de nous fournir aux États-Unis !

M. Didier Boulaud :

J'ajoute que les marchés publics de défense représentent des montants très importants, et que l'industrie française fait partie de celles qui comptent. Il est d'autant plus regrettable que l'Europe ne s'affirme pas davantage. La décision de réserver le programme Galiléo à un usage civil est à cet égard inquiétante.

M. Robert Del Picchia :

Les industries de défense représentent plusieurs centaines de milliers d'emplois directs ou indirects. Nous devons être vigilants sur l'avenir de ce secteur !

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Je souhaite que nous essayions de sensibiliser des parlementaires d'autres nationalités que la nôtre à ces enjeux.

M. Hubert Haenel :

C'est tout à fait possible : nous l'avons fait avec succès dans d'autres domaines, par exemple, dans le cas du problème du contrôle sur Europol.

M. Didier Boulaud :

Et nous ne sommes pas les seuls en Europe à disposer d'une industrie de défense !

À l'issue du débat, la délégation a décidé de ne pas intervenir, à ce stade, sur le texte E 2710 et a chargé M. Didier Boulaud de continuer à suivre la question des marchés publics de défense.