COM (2004) 736 final  du 29/10/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/09/2005

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 17/11/2004
Examen : 26/01/2005 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Accord avec la Tunisie (texte E 2763)

Communication de Mme Alima Boumediene-Thiery

(Réunion du mercredi 26 janvier 2005)

M. Hubert Haenel :

L'accord euroméditerranéen avec la Tunisie avait été inclus parmi les textes faisant l'objet d'une procédure écrite d'examen. Toutefois, Alima Boumediene-Thiery a souhaité que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour de l'une de nos réunions. Comme vous le savez, cette inscription est de droit dès lors que l'un des membres de la délégation en formule la demande.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Un certain nombre d'accords conclus par la Communauté européenne avec des pays tiers le sont également au nom des États membres. En raison de l'élargissement de l'Union, ces accords doivent être adaptés pour tenir compte de l'appartenance des dix nouveaux pays à la Communauté. Ces adaptations prennent la forme de protocoles très techniques, incluant par exemple, dans l'accord, les langues officielles des nouveaux États membres.

Le 29 octobre 2004, la Commission européenne a ainsi proposé au Conseil de signer, d'appliquer provisoirement et de conclure un tel protocole à l'accord euroméditerranéen avec la Tunisie.

J'ai souhaité à cette occasion évoquer devant la délégation la situation des droits humains en Tunisie, en particulier au regard de l'article 2 de l'accord avec ce pays. La Tunisie a été le premier pays de la région à signer un accord d'association en juillet 1995 et cet accord est entré en vigueur le 1er mars 1998. Il prévoit la création progressive d'une zone de libre-échange d'ici 2010, un dialogue politique approfondi et une coopération économique, sociale, culturelle et financière.

1. La situation des droits humains en Tunisie

De nombreuses organisations non gouvernementales dénoncent régulièrement les obstacles aux droits humains et à l'État de droit en Tunisie.

Le dernier rapport 2004 de la Fédération internationale des droits de l'Homme relate ainsi les entraves, les harcèlements judiciaires et les pressions exercées sur les militants politiques ou syndicalistes et sur les journalistes. Elle a par ailleurs envoyé le 2 décembre 2004 une lettre ouverte au Président tunisien, où elle « s'inquiète des nouvelles entraves à la liberté de réunion et aux activités des défenseurs des droits humains en Tunisie ». Reporters sans Frontières rappelle également les arrestations arbitraires et les condamnations de jeunes internautes et dénonce la mise en place d'une « cyberpolice » dont sont victimes les ONG. Le Réseau euroméditerranéen et le Comité national pour les libertés en Tunisie ont souvent alerté la communauté internationale sur les graves violations des droits fondamentaux et des libertés démocratiques, notamment en ce qui concerne la situation dans les prisons, la liberté de la presse ou encore les conditions dans lesquelles se sont déroulées les dernières élections présidentielles. Human Rights Watch a publié le 13 janvier 2005 son rapport annuel, qui note à propos de la Tunisie que « son intolérance pour la contestation politique s'est encore poursuivie » et que le gouvernement continue à invoquer la menace terroriste et celle de l'extrémisme religieux pour justifier ses mesures contre les opposants. L'organisation déplore que la presse reste en grande partie sous contrôle et que 400 prisonniers politiques demeurent en prison, malgré la libération conditionnelle de 80 prisonniers début novembre ; du reste, ceux-ci continuent souvent à être harcelés.

Par ailleurs, Jalal Zoghlami, fondateur et rédacteur en chef du journal en ligne Kaws el Karama, par ailleurs frère de Taoufik Ben Brik, autre journaliste persécuté, a été arrêté en septembre et condamné en novembre dernier à huit mois de prison ferme. Les ONG tunisiennes ont dénoncé cette « cabale politico-judiciaire », censée empêcher Jamal Zoghlami de s'exprimer durant la campagne électorale présidentielle.

Le Président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, Moktar Trifi, a estimé en octobre 2004 que la situation des droits humains avait empiré en 2003. Il pointait en particulier du doigt la situation dans les prisons et la loi antiterroriste, qui « porte atteinte à des droits essentiels du citoyen et à la liberté de la presse ».

Dans ce contexte, le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions, en se basant en particulier sur les conclusions du rapporteur spécial sur la liberté d'expression et d'opinion de la commission des droits humains des Nations unies de mars 2000.

Datant du 23 mai 1996, du 15 juin 2000, du 14 décembre 2000 et du 14 mars 2002, ces résolutions demandent aux autorités tunisiennes de cesser toute entrave aux droits humains et de lever tous les obstacles à la liberté de circulation, d'expression, d'information et d'association et au droit à l'engagement politique au sein d'un parti ou d'un syndicat ; elles leur demandent également d'arrêter toute forme de harcèlement et de répression à l'encontre des associations oeuvrant pour l'État de droit, d'instaurer un véritable multipartisme en Tunisie, de renforcer le rôle de la société civile et de garantir l'exercice des droits et libertés fondamentaux. La résolution du 14 décembre 2000 invite par ailleurs le Conseil des ministres de l'Union européenne et la Commission à mettre en oeuvre tous les moyens prévus par l'accord pour obtenir le respect des libertés démocratiques et des droits humains.

2. Le rôle majeur de l'Union européenne

Face à ces violations manifestes, l'Union européenne peut et doit jouer un rôle majeur, en conformité avec l'accord d'association qu'elle a conclu avec la Tunisie.

L'article 2 de l'accord indique en effet : « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme qui inspirent leurs politiques internes et internationales et qui constituent un élément essentiel de l'accord ». En préambule, le troisième considérant souligne de plus « l'importance que les parties attachent au respect des principes de la Charte des Nations unies et, en particulier, au respect des droits de l'Homme et des libertés politiques et économiques qui constituent le fondement même de l'association ». Enfin, l'article 90 de l'accord prévoit que « les parties prennent toute mesure générale ou particulière nécessaire à l'accomplissement de leurs obligations en vertu du présent accord. Elles veillent à ce que les objectifs fixés par le présent accord soient atteints. Si une partie considère que l'autre partie n'a pas rempli l'une des obligations que lui impose le présent accord, elle peut prendre des mesures appropriées [...] ».

Dans les faits, des élections législatives et présidentielles ont eu lieu en Tunisie le 24 octobre 2004 et la présidence néerlandaise a publié, au nom de l'Union européenne, un communiqué qui indique en particulier : « tout en reconnaissant que la loi électorale assure la représentation des femmes au Parlement, ainsi que celle des opinions minoritaires, l'Union européenne constate que, dans son ensemble, le processus ayant conduit aux élections du 24 octobre n'a pas offert des chances égales à tous les candidats. D'une manière générale, une liberté d'expression et d'association plus complète contribuerait à consolider les étapes franchies précédemment sur la voie d'une démocratie ouverte, multipartite et représentative ».

Par ailleurs, une réunion du Comité d'association Union européenne-Tunisie a eu lieu à Bruxelles le 18 novembre 2004 : l'Union européenne y a largement évoqué son attachement à la poursuite et à l'intensification du dialogue politique institutionnalisé et au respect commun de la démocratie, des droits humains et de l'État de droit.

Dans le cadre de la politique européenne de voisinage, la Commission européenne a proposé, le 9 décembre dernier, un plan d'action concernant la Tunisie ; celui-ci établit un large éventail de priorités, dont les deux premières sont :

« - la poursuite et la consolidation des réformes garantissant la démocratie et l'État de droit,

- le renforcement du dialogue politique et de la coopération notamment en matière de démocratie et de droits de l'Homme, de politique étrangère et de sécurité, et de coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, en tenant compte du respect des droits de l'Homme».

Plus précisément, les actions envisagées dans ce plan concernent la consolidation des institutions garantissant la démocratie et l'État de droit, la consolidation de l'indépendance et de l'efficacité de la justice et l'amélioration des conditions pénitentiaires, le respect des droits humains et des libertés fondamentales conformément aux conventions internationales, le respect de la liberté d'association, d'expression et le pluralisme des media en conformité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, la promotion et la protection des droits des femmes et des enfants, le respect et la mise en oeuvre des principes, des droits fondamentaux, des normes et des conventions fondamentales du travail en vertu de la déclaration de l'OIT de 1998.

*

En conclusion, il me semble important que l'Union européenne réagisse nettement aux violations répétées des droits humains en Tunisie. Les outils sont en place pour que l'Union demande aux autorités tunisiennes de respecter la liberté d'expression, d'opinion, d'association et l'ensemble des droits fondamentaux qui forment les valeurs essentielles des pays européens et de la construction européenne. Le traité constitutionnel intègre à ce sujet de nombreux progrès : la perspective de l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme, l'intégration dans le traité et la reconnaissance juridique de la Charte des droits fondamentaux, l'approfondissement des objectifs et valeurs de l'Union... Dans ce contexte exigeant, l'Union se doit d'être vigilante sur le respect des droits humains et de l'État de droit par les pays tiers, en particulier ceux qui ont conclu un accord d'association avec elle. C'est pourquoi je vous propose le dépôt d'une proposition de résolution.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Les organisations non gouvernementales sont très présentes au Parlement européen sur le sujet de la Tunisie. Il est vrai que le régime tunisien mérite des observations ; mais, parmi les trois pays du Maghreb, la Tunisie est le seul pays qui n'accepte pas la polygamie et qui respecte les droits des femmes. La situation des femmes y est d'ailleurs bien meilleure que dans la plupart des pays musulmans. Au-delà des droits fondamentaux, le pays a une politique importante de soutien aux populations défavorisées sur l'ensemble du territoire. J'ai ainsi rencontré, il y a quelques années, le ministre tunisien des affaires sociales, qui a évoqué sa politique d'aménagement du territoire : le dispositif mis en place permet aux citoyens et aux entreprises de verser des fonds pour des projets d'aménagement programmés sur plusieurs années. Cette politique d'aides aux villages sur l'ensemble du territoire n'existe pas dans d'autres pays, comme le Maroc par exemple.

M. Robert Bret :

L'accord avec la Tunisie, comme les autres accords euroméditerranéens, comporte à la fois des dispositions économiques et politiques. Pour l'ensemble de ces pays, il est important que les discours généreux qui peuvent être tenus sur les droits de l'Homme ne soient pas vides de sens. Je souhaite donc que la proposition de résolution mentionne explicitement l'article 2 de l'accord d'association.

M. Yannick Bodin :

Contrairement à ce qui peut se passer avec d'autres pays dans le monde, que ce soit en Corée du Nord ou ailleurs, le dialogue avec la Tunisie peut laisser espérer des progrès sur la situation des droits de l'Homme. Je crois donc que l'Union européenne doit prolonger ce dialogue, qui est porteur d'espoir.

M. Christian Cointat :

Un parlement national est nécessairement différent du Parlement européen, qui peut se permettre de faire de l'ingérence. Dans ces circonstances, nous ne pouvons pas être subjectifs, mais nous pouvons demander à l'Union européenne de faire en sorte que les dispositions de l'accord d'association avec la Tunisie relatives au respect des droits humains et des libertés fondamentales soient pleinement appliquées.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Si la Tunisie est en avance en ce qui concerne les droits des femmes, cela vient de la période de l'indépendance et de la Présidence Bourguiba, plus que de la période actuelle. D'ailleurs, les associations tunisiennes de défense des droits des femmes disent que cette situation est en recul, notamment en ce qui concerne la participation à la vie publique et politique.

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Je rappelle que, en France, l'Assemblée nationale comporte seulement 11 % de femmes.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

En ce qui concerne la polygamie, le Maroc l'a interdite depuis un an à l'occasion de la réforme du droit de la famille et l'Algérie est en train de réformer sa législation à ce sujet. Il est vrai également que les aides aux associations sont plus organisées en Tunisie que dans d'autres pays, mais elles sont souvent sélectives.

Je souhaite que nous soyons extrêmement vigilants sur tous les accords de ce type pour rappeler aux différents gouvernements que les droits humains sont essentiels. Il ne s'agit d'ailleurs pas de donner des leçons ou de procéder à de l'ingérence, car ces valeurs sont des valeurs universelles.

*

A l'issue de ce débat, et après avoir pris en compte les modifications proposées par MM. Robert Bret, Christian Cointat et Simon Sutour, la délégation a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les propositions de décision du Conseil relatives à la signature, à l'application provisoire et à la conclusion d'un protocole à l'accord euroméditerranéen entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Hongrie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque (texte E 2763),

- Souligne l'importance du partenariat euroméditerranéen noué entre l'Union européenne, ses États membres et les pays de la rive sud de la Méditerranée,

- Rappelle que ce partenariat est fondé sur trois volets inséparables : un volet politique, un volet économique et financier et un volet culturel, social et humain,

- Invite le Gouvernement à demander aux institutions européennes compétentes de mettre en oeuvre tous les moyens prévus par l'accord d'association entre l'Union européenne et la Tunisie pour que ses dispositions relatives au respect des droits humains et des libertés fondamentales, notamment son article 2, soient pleinement appliquées.