COM (2005) 10 final  du 25/01/2005

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 02/02/2005
Examens : 09/03/2005 (délégation pour l'Union européenne), 11/05/2005 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Justice et affaires intérieures

Échanges d'informations extraites du casier judiciaire
(texte E 2732) et éventualité d'un casier judiciaire européen
(texte E 2821)

Communication de M. Pierre Fauchon

(Réunion du 9 mars 2005)

L'idée ancienne d'un casier judiciaire européen a été relancée récemment avec l'« affaire Fourniret ». Ce Français, soupçonné d'une dizaine de meurtres et de viols, avait pu s'installer en Belgique et y occuper un emploi de surveillant de cantine scolaire, alors qu'il avait déjà fait l'objet en France d'une condamnation pour agression sexuelle sur mineures. Compte tenu des lacunes en matière de circulation de l'information sur les antécédents judiciaires des personnes entre les États membres, y compris entre deux États aussi proches que la France et la Belgique, Michel Fourniret avait même pu obtenir des autorités belges un certificat de bonne moralité pour occuper cet emploi.

Depuis cette affaire, « la création d'un casier judiciaire européen est une priorité absolue », comme le relevait la contribution française au nouveau programme relatif à l'« espace de liberté, de sécurité et de justice ». Pour autant, l'idée d'un casier judiciaire européen peut revêtir différentes formes. Faut-il simplement améliorer l'échange d'informations sur les condamnations judiciaires entre les États membres ? Peut-on également envisager une mise en réseau des casiers judiciaires nationaux ? Faut-il au contraire privilégier la création d'un fichier centralisé au niveau européen ?

Ce chantier est d'ores et déjà ouvert, puisque le Sénat est saisi de deux textes en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- une proposition de décision, présentée par la Commission, qui est une première mesure d'ampleur limitée, puisqu'elle vise uniquement à améliorer l'échange d'informations sur les condamnations judiciaires entre les États membres ;

- un Livre blanc de la Commission, qui devrait déboucher sur une action de plus grande ampleur avec notamment l'éventuelle mise en place d'un index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations.

Parallèlement, la France et l'Allemagne, rejointes par l'Espagne et la Belgique, ont créé un groupe de travail chargé de préparer une interconnexion de leurs casiers judiciaires nationaux. La mise en réseau des casiers judiciaires de ces pays devrait être opérationnelle cette année et d'autres partenaires pourraient se joindre à cette initiative, qui s'apparente à une sorte de « coopération renforcée ».

Je vais, tout d'abord, décrire le problème tel qu'il se pose aujourd'hui. Puis, j'examinerai les différentes propositions en présence, avant de vous proposer une ligne de conduite.

I - LA SITUATION ACTUELLE

A/ UNE GRANDE DIVERSITÉ DES SYSTÈMES NATIONAUX D'ENREGISTREMENT DES CONDAMNATIONS

Si la quasi-totalité des États membres tiennent des registres nationaux des condamnations (il existe trois casiers judiciaires au Royaume-Uni, l'un pour l'Angleterre et le pays de Galles, un autre pour l'Écosse et un troisième pour l'Irlande du Nord), il existe une très grande diversité quant à la nature, la finalité et le contenu de ces registres, ainsi qu'en ce qui concerne les conditions d'accès.

Ainsi, alors que dans certains États membres, comme le Royaume-Uni, ces registres sont tenus par les services de police, dans d'autres États, comme la France, ils relèvent du ministère de la justice. Dans la plupart des États membres les registres sont informatisés, mais ce n'est pas toujours le cas, notamment pour les registres des nouveaux États membres.

Les informations retranscrites dans les casiers judiciaires ne sont pas non plus identiques. Certains contiennent toutes les condamnations, tandis que d'autres se limitent aux infractions les plus graves. Certains retranscrivent les condamnations prononcées par les autorités administratives ou les juridictions commerciales, comme par exemple les sanctions disciplinaires ou les interdictions d'exercer certaines professions, tandis que d'autres s'en tiennent aux seules décisions émanant des juridictions pénales.

Par ailleurs, les législations nationales ne sont pas homogènes quant aux autorités ou aux personnes ayant accès au registre des condamnations. Dans certains cas, l'accès à l'intégralité des données contenues dans le registre est réservé aux seules autorités judiciaires ou aux seules autorités policières.

Enfin, le délai d'effacement des informations incluses dans le casier varie fortement. Certains États membres ne prévoient pas de système d'effacement, tandis que, dans d'autres États, l'effacement peut être automatique ou sur demande.

B/ LES LACUNES EN MATIÈRE D'ÉCHANGE D'INFORMATIONS SUR LES CONDAMNATIONS PÉNALES ENTRE LES ÉTATS MEMBRES

Actuellement, la communication d'antécédents judiciaires entre les États membres repose principalement sur les dispositions de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe. Cette convention prévoit deux types d'échanges d'avis de condamnation :

- d'une part, chaque État donne avis aux autres États, au moins une fois par an, des condamnations pénales prononcées sur son territoire à l'encontre de leurs ressortissants. Cela permet à ces États d'enregistrer les condamnations dans leurs propres casiers judiciaires, sous réserve de la compatibilité de celles-ci avec leurs propres concepts juridiques (équivalence d'une infraction, etc.) ;

- d'autre part, tout État requis doit communiquer sur demande d'un État requérant « pour les besoins d'une enquête pénale », les extraits de casier judiciaire concernant toute personne dénommée. Dans les autres cas (demande d'avis de condamnation hors le cas d'une procédure pénale, notamment au profit d'autorités administratives ou de particuliers, y compris la personne concernée) la convention prévoit qu'il est donné suite à la demande « dans les conditions prévues par la législation, les règlements ou la pratique de la partie requise ».

En pratique, ces échanges d'informations fonctionnent de manière imparfaite car on constate trois dysfonctionnements selon la Commission, qui font qu'il est en pratique difficile pour un État membre de savoir rapidement si une personne a déjà fait l'objet d'une condamnation pénale dans un autre État membre :

- En premier lieu, certains États membres n'enregistrent pas du tout les condamnations prononcées à l'encontre de leurs ressortissants dans leur propre casier judiciaire ;

- En deuxième lieu, le mécanisme issu de la convention de 1959 pour obtenir les antécédents judiciaires d'une personne dans un autre État membre fonctionne mal. Ainsi, en 2002, la France aurait adressé seulement huit demandes d'extraits de casier judiciaire à l'Allemagne pour environ 424 condamnations prononcées à l'encontre de ressortissants allemands. Trois raisons principales expliquent que les autorités judiciaires recourent rarement à ce mécanisme : le manque de temps, les difficultés de compréhension des informations communiquées et, enfin, l'absence d'effet en droit interne des condamnations prononcées dans d'autres États membres. En conséquence, il est très fréquent, selon la Commission, que les autorités judiciaires d'un État prononcent des peines à l'encontre de ressortissants d'autres États membres en totale méconnaissance des condamnations éventuellement prononcées dans ces États.

- En dernier lieu, les informations en provenance d'autres États membres ne sont pas toujours comprises par les autorités judiciaires de l'État requérant, en raison notamment des problèmes de traduction, ainsi que de l'hétérogénéité des systèmes juridiques. Ainsi, on estime que plus de 40 % des éléments figurant dans un casier judiciaire allemand qui fait l'objet d'une transmission au casier judiciaire français ne sont pas reproduits dans ce dernier.

II - LES DIFFÉRENTES PROPOSITIONS EN PRÉSENCE

A/ Le projet de décision relative à l'échange d'informations extraites du casier judiciaire

Ce projet de décision présenté par la Commission européenne a pour objet d'améliorer et d'accélérer, à droit constant, le fonctionnement des mécanismes existants pour l'échange d'informations sur les antécédents judiciaires entre les États membres.

Outre la désignation d'autorités centrales nationales compétentes pour les échanges, il prévoit principalement trois améliorations :

1°) l'accélération de la périodicité des échanges systématiques entre les casiers judiciaires nationaux : les condamnations pénales prononcées à l'encontre de ressortissants d'un autre État membre devraient dorénavant être transmises « sans délai » dès réception des informations par l'autorité centrale de l'État de condamnation (actuellement il est seulement prévu que cette transmission se fait au moins une fois par an) ;

2°) l'instauration d'une obligation de répondre aux demandes ponctuelles d'extraits de condamnation dans un délai de cinq jours (actuellement il n'existe aucun délai) ;

3°) l'utilisation de formulaires harmonisés de communication entre casiers judiciaires, tant pour la présentation des demandes, que pour la communication des réponses, afin d'alléger le travail de traduction. Ce dernier point revêt une importance majeure. Toute démarche tendant à donner un sens à la notion d'espace judiciaire européen commence, en effet, par l'adoption d'une information standardisée.

Enfin, le texte comporte un mécanisme de protection des données reposant principalement sur la mise en oeuvre du principe de spécialité (limitant les possibilités d'utilisation des informations communiquées en dehors du cadre des procédures pénales).

Ce projet de décision a été accueilli favorablement par les États membres et il n'a pas soulevé de difficultés majeures lors des négociations au sein du Conseil. Le seul changement substantiel apporté au texte de la Commission concerne le délai maximal de réponse aux demandes ponctuelles d'extraits de condamnation. Certains États membres ont souhaité, en effet, rallonger ce délai pour des raisons pratiques. En l'état, le projet prévoit, pour les demandes entre États, un délai maximal de dix jours ouvrables à compter de la réception de la demande (au lieu de cinq dans la proposition initiale de la Commission) et un délai de réponse de vingt jours lorsque la demande émane d'un particulier, notamment la personne concernée lorsque la législation nationale le permet.

Selon la Commission, cette initiative constitue une première étape, assez modeste, vers la mise en place d'un casier judiciaire européen.

En effet, rien ne garantit qu'il conduise à des pratiques différentes de celles constatées jusqu'ici. En tout état de cause, il ne résout pas les difficultés à propos des résidents ou des ressortissants de pays tiers.

C'est la raison pour laquelle, certains États membres et la Commission européenne se sont engagés, chacun de leur côté, dans des projets plus ambitieux.

B/ L'initiative franco-allemande sur l'interconnexion des casiers judiciaires

Les ministres de la justice français et allemand ont décidé, lors du sommet franco-allemand de l'Élysée du 22 janvier 2003, de constituer un groupe de travail chargé de réfléchir à la création d'un casier judiciaire européen. Il a été élargi à la participation de l'Espagne, en novembre 2003, puis, plus récemment, à la Belgique.

Compte tenu des difficultés juridiques et techniques inhérentes à la création d'un casier judiciaire européen, le groupe de travail a jugé préférable de privilégier, au moins dans un premier temps, une mise en réseau des casiers judiciaires nationaux, par un échange de données électroniques. Ce système permettrait ainsi, selon ses promoteurs, d'éviter la duplication de données sensibles et de maintenir le contrôle au niveau national de chaque casier, des conditions d'accès aux informations et de l'effacement des données qu'il contient.

Trois objectifs ont été retenus par le groupe de travail :

- une interrogation systématique du casier judiciaire de l'État de nationalité d'une personne qui fait l'objet de poursuites dans un autre État de l'Union. Il s'agit donc de rendre plus automatique et plus efficace le recours au mécanisme existant de la Convention de 1959 ;

- les demandes de renseignement adressées aux casiers judiciaires nationaux des autres États seront transmises par l'intermédiaire du casier judiciaire national de l'autorité judiciaire requérante par voie électronique. Le casier judiciaire requis transmettra la réponse dans sa langue, le casier judiciaire requérant en assurant la transmission à son autorité judiciaire et, le cas échéant, la traduction ;

- cette interconnexion électronique permettra à chaque casier judiciaire de communiquer aux casiers judiciaires des autres États les fiches de condamnation concernant leurs ressortissants, qu'ils soient ou non résidents, dès leur enregistrement.

La définition d'un support unique de communication des informations, un protocole de communication et un langage commun sont en cours d'élaboration.

Des travaux sont également en cours afin d'établir des documents types pour les échanges de données, dont l'utilisation devrait faciliter l'interrogation des casiers judiciaires, et pour élaborer des tables de correspondance des infractions, destinées à faciliter l'enregistrement automatique des condamnations étrangères et l'interprétation, par chaque État, des mentions de condamnations communiquées. Dans le but de faciliter ce travail de traduction des concepts juridiques, il a été convenu que, dans un premier temps, ces tables de correspondance pourraient s'appliquer à la liste des 32 infractions prévues par la décision cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen.

Conformément au calendrier annoncé lors du sommet franco-allemand de l'Élysée, les premiers essais de connexion électronique entre les casiers judiciaires de ces quatre pays ont débuté à la fin de l'année dernière. L'objectif fixé est de réaliser une mise en réseau opérationnelle des quatre casiers judiciaires nationaux dans le courant de l'année 2005. Il est envisagé que d'autres États membres s'associent à l'avenir à cette initiative. D'ores et déjà, plusieurs pays, comme la Pologne ou la Lettonie, auraient fait part de leur intérêt.

C/ Le Livre blanc de la Commission

Ce document de la Commission européenne comporte deux volets.

1. Le premier volet concerne l'amélioration de l'échange d'informations sur les condamnations pénales.

A cet égard, la Commission européenne distingue trois options :

- la facilitation des échanges bilatéraux ;

- la mise en réseau des casiers judiciaires nationaux ;

- et la création d'un véritable casier judiciaire européen.

Aucune de ces trois options ne paraît toutefois entièrement satisfaisante pour la Commission.

Les deux premières options présentent l'avantage d'éviter toute duplication. Elles impliquent toutefois, pour bénéficier d'une information exhaustive, d'interroger systématiquement les registres nationaux des 24 autres États membres. Par ailleurs, elles laissent entière la question des condamnations prononcées à l'encontre des ressortissants de pays tiers.

La troisième option, qui consisterait à créer un casier judiciaire centralisé au niveau européen, est a priori la plus séduisante. Elle impliquerait, toutefois, que l'information contenue dans les casiers judiciaires nationaux soit dupliquée au niveau européen. Elle supposerait également la création d'un système ad hoc de maintenance, d'accès, ainsi que la définition d'un régime juridique pour ces informations. Il s'agirait donc d'une entreprise extrêmement lourde qui se heurterait, au moins dans l'immédiat, à de nombreuses difficultés dues à la disparité des cultures juridiques des États membres. La Commission européenne préconise donc le recours à une solution intermédiaire entre la constitution d'un casier judiciaire européen et la mise en réseau des casiers judiciaires nationaux.

On pourrait cependant imaginer de créer un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions spécifiques, comme le terrorisme, la traite des êtres humains ou la fraude aux intérêts de la Communauté.

La solution préconisée par la Commission nécessiterait deux étapes.

a) Dans une première phase, la Commission préconise la mise en place d'un index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations, afin de permettre de repérer rapidement le ou les États membres dans lesquels la personne a déjà été condamnée.

Cet index reprendrait uniquement les éléments permettant d'identifier la personne (le nom, le prénom, le lieu et la date de naissance, la nationalité, etc.) et l'État membre dans lequel elle a déjà été condamnée. Il ne porterait pas sur le contenu et la forme de la condamnation. En interrogeant l'index, un État membre pourra savoir automatiquement si la personne a déjà fait l'objet d'une condamnation et dans quel État. Il pourra ensuite s'adresser directement à cet État pour obtenir le descriptif de la condamnation.

Au terme d'une première étude de faisabilité technique, la Commission envisage de déposer prochainement une proposition de décision relative à la mise en place de cet index européen. Sa création implique, selon la Commission, l'adoption au niveau de l'Union d'une définition commune de la notion de condamnation pénale.

b) Dans une deuxième phase, afin d'accélérer encore la circulation des informations et de garantir que ces informations seront immédiatement compréhensibles et utilisables par tous, la Commission propose l'élaboration d'un « format européen standardisé ». Celui-ci devrait notamment permettre d'intégrer des informations relatives à la personne faisant l'objet de la décision, à la forme de la décision, aux faits ayant donné lieu à la décision et au contenu de celle-ci. Pour la Commission, « chacune de ces données devrait faire l'objet d'une définition précise et, si possible, être codifiée, afin de faciliter la traduction ».

La création de ce « format européen standardisé » est un aspect fondamental, dont la mise en oeuvre s'avère urgente.

2. Le deuxième volet du Livre blanc porte sur l'utilisation des informations sur les condamnations prononcées dans les autres États membres de l'Union.

Selon la Commission, améliorer l'échange d'informations sur les condamnations pénales n'a de sens que dans la mesure où celles-ci peuvent avoir des effets juridiques. Or, à l'heure actuelle, la possibilité de donner effet aux condamnations étrangères, qui est laissée aux législations nationales, est souvent limitée. A cet égard, une difficulté essentielle tient au fait que dans certains États les effets des condamnations pénales antérieures sont encadrées par la loi, alors que dans d'autres ils sont laissés à la libre appréciation du juge. De plus, selon les États, les effets des condamnations pénales antérieures peuvent être très variés. Ils peuvent influer sur les règles juridiques régissant la poursuite elle-même, sur le type de procédure applicable lors du jugement, sur la qualification de l'infraction et sur le choix de la peine, ou encore sur le régime d'exécution de la peine.

La Convention du 28 mai 1970 relative à la valeur internationale des jugements répressifs n'a été ratifiée que par très peu d'États membres. Au niveau de l'Union européenne, un seul texte relatif à la protection de l'euro vise la récidive.

Dans son Livre vert sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l'exécution des sanctions pénales (texte E 2587), la Commission européenne avait évoquée l'idée d'une « récidive spéciale européenne » pour les infractions déjà harmonisées au niveau européen, comme le blanchiment, le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou encore la traite des êtres humains. Les autorités françaises avaient accueilli très favorablement cette idée.

La Commission devrait déposer prochainement, d'après le Livre blanc, un projet de décision-cadre sur la prise en compte des décisions de condamnations, sur le fondement du principe de la reconnaissance mutuelle.

Il peut sembler surprenant de voir ainsi traiter dans un même document deux questions aussi différentes : la première, qui concerne l'amélioration de l'échange d'informations sur les condamnations pénales, touche, en effet, à des aspects de procédure, tandis que la seconde, qui porte sur la prise en considération par le juge pénal des antécédents judiciaires d'une personne, touche au fond du droit. D'un point de vue méthodologique, il est contestable de traiter les deux aspects de manière simultanée car ce sont deux questions tout à fait différentes.

Plus généralement, on peut regretter que la Commission européenne n'ait pas cherché à s'inspirer des exemples étrangers, en particulier du système américain. Il existe, en effet, aux États-Unis une sorte d'index géré par le FBI : le National Crime Information Center (NCIC). Cet index contient certains éléments d'identification, comme le nom, la date de naissance ou le sexe de la personne, et il permet de retrouver rapidement le ou les États dans lequel une personne a fait l'objet de condamnations.

III - LES PREMIÈRES RÉACTIONS DES ÉTATS MEMBRES AU LIVRE BLANC DE LA COMMISSION

Lors du Conseil informel « Justice et Affaires intérieures » des 28 et 29 janvier dernier, les ministres de la justice ont eu un premier échange de vues sur le Livre blanc de la Commission.

Si les représentants de certains États membres ont accueilli favorablement l'idée d'un index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations pénales, d'autres se sont montrés plus réservés, comme les ministres de la justice allemand et espagnol.

Ceux-ci se sont interrogés sur la « plus-value » d'un index européen centralisé au regard des contraintes techniques et financières et de la protection des données personnelles.

Deux arguments ont été notamment avancés :

- La création de cet index imposerait aux casiers judiciaires nationaux de communiquer un volume considérable d'informations (8,5 millions de condamnations sont enregistrées chaque année en France pour 4 millions de personnes inscrites). De plus, ces informations devraient nécessairement être remises à jour, sans délai, chaque fois qu'une condamnation aura été effacée du casier judiciaire concerné ;

Une première réponse à cet argument serait de limiter le champ de cet index aux infractions d'une certaine gravité.

- Une centralisation au niveau européen n'est pas utile dans la mesure où les casiers judiciaires nationaux centralisent déjà les condamnations prononcées à l'encontre de leurs ressortissants, y compris dans les autres États membres de l'Union. La mise en place d'un index européen pourrait donc avoir paradoxalement pour effet d'alourdir et de ralentir la procédure, puisqu'une autorité judiciaire française devrait, dans le système proposé par la Commission, consulter d'abord cet index puis le casier judiciaire de l'État concerné, alors même qu'il lui suffirait d'interroger directement le casier judiciaire français, qui est en mesure de lui communiquer immédiatement le relevé des condamnations prononcées non seulement en France mais aussi dans les autres États membres de l'Union.

Cela suppose cependant que le mécanisme de la Convention de 1959 fonctionne correctement, ce qui reste douteux. Au demeurant, la création de l'index ne supposerait pas forcément de renoncer à la centralisation des condamnations dans l'État de nationalité.

En réalité, il n'y a pas véritablement d'incompatibilité entre le projet quadripartite d'interconnexion des casiers judiciaires nationaux, qui est limité aux quatre États participants à cette forme de « coopération renforcée », et le projet de la Commission de mettre en place un « index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnation », qui serait, quant à lui, applicable aux vingt-cinq États membres. 

IV - LA POSITION QUE JE VOUS PROPOSE D'ADOPTER

1. Approuver le projet de décision relative à l'échange d'informations extraites du casier judiciaire.

2. Encourager la mise en place rapide d'un « format européen standardisé » pour garantir que l'information soit immédiatement compréhensible et utilisable par tous les États membres.

3. Soutenir la proposition de la Commission européenne de créer un « index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations pénales ».

La création d'un « index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations pénales » présenterait deux mérites importants par rapport au dispositif existant de la convention de 1959, qui a montré ses limites, et au projet quadripartite d'interconnexion des casiers judiciaires nationaux :

- d'une part, la création de cet index serait de nature à résoudre le problème des ressortissants de pays tiers ou de personnes dont la nationalité est inconnue. En effet, pour ces personnes, il est nécessaire actuellement d'interroger les casiers des 24 autres États membres pour savoir si elles ont déjà fait l'objet de condamnations au sein de l'Union.

- d'autre part, la création de cet index permettrait de mieux connaître les antécédents judiciaires d'une personne. Actuellement, la convention de 1959 repose sur une centralisation des condamnations dans l'État membre de nationalité. Cela signifie que les condamnations étrangères enregistrées suivent le régime juridique de l'État membre de nationalité. Or, il n'est pas toujours pertinent de prendre pour référence l'État de nationalité, mais il peut être utile parfois de s'adresser directement à l'État de condamnation.

Afin de ne pas surcharger la mise en place de cet index, il pourrait peut-être être utile de limiter son champ aux infractions d'une certaine gravité.

4. Demander à la Commission européenne d'étudier la faisabilité d'un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions transnationales comme le terrorisme, la fraude au budget communautaire ou la traite des êtres humains.

Pour certaines infractions transnationales, tels que le terrorisme international, la traite des êtres humains ou la fraude au budget communautaire, il serait utile de disposer d'un casier judiciaire européen pour éviter d'interroger systématiquement les casiers judiciaires des vingt-quatre autres États membres.

*

À l'issue de cette présentation, la délégation pour l'Union européenne a conclu, sur proposition du rapporteur et en tenant compte des modifications proposées par Robert Bret, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre blanc relatif à l'échange d'informations sur les condamnations pénales et à l'effet de celles-ci dans l'Union européenne (texte E 2821),

Invite le Gouvernement à :

- encourager la mise en place rapide d'un « format européen standardisé » pour les informations extraites des casiers judiciaires ;

- approuver la création d'un index européen des personnes ayant fait l'objet de condamnations, limité aux infractions d'une certaine gravité ;

- demander à la Commission européenne de lancer une étude sur la faisabilité d'un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions transnationales, comme le terrorisme, la fraude au budget communautaire, le blanchiment de l'argent sale ou la traite des êtres humains.

Communication de M. Pierre Fauchon

(Réunion du 11 mai 2005)

L'idée d'un « casier judiciaire européen » ne constitue pas un sujet nouveau pour notre délégation. Le 9 mars dernier, j'avais, en effet, présenté une communication sur ce thème, à la lumière des orientations contenues dans le Livre blanc de la Commission européenne (texte E 2821). Lors de cette réunion, nous avions conclu au dépôt d'une proposition de résolution, que j'ai déposée au nom de la délégation (n° 241, 2004-2005). Celle-ci a été transmise à la commission des Lois du Sénat, qui m'a désigné comme son rapporteur.

Toutefois, si j'ai estimé nécessaire d'intervenir à nouveau devant vous sur ce sujet, c'est parce que les évolutions récentes de ce dossier m'amènent à penser que notre proposition de résolution est devenue désormais sans objet. Mais avant de vous suggérer de retirer cette proposition de résolution, je voudrais rappeler brièvement les données de la question.

Comme l'a mis en évidence l'« affaire Fourniret », la communication d'antécédents judiciaires entre les États membres de l'Union européenne, qui repose actuellement sur une convention conclue au sein du Conseil de l'Europe, fonctionne de manière très imparfaite.

C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a proposé de faciliter ces échanges, par un processus en deux temps.

Dans un premier temps, la Commission européenne proposait la mise en place d'un index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations. Cet index reprendrait uniquement les éléments permettant d'identifier la personne et l'État membre dans lequel elle a déjà été condamnée. Il permettrait d'éviter d'interroger les casiers judiciaires des vingt-quatre autres États membres pour savoir si une personne a déjà été condamnée au sein de l'Union. En effet, en interrogeant l'index, un État membre pourrait savoir automatiquement si la personne a déjà fait l'objet d'une condamnation, et dans quel État.

Dans une deuxième étape, elle envisageait la création d'un format européen standardisé, présentant sous une forme homogène les informations relatives à l'identité de la personne condamnée et aux faits ayant donné lieu à la condamnation.

Parallèlement, la France et l'Allemagne, rejointes par l'Espagne et la Belgique, ont engagé un projet d'interconnexion de leurs casiers judiciaires respectifs, afin de permettre la transmission immédiate, à chacun des États participant à cette forme de « coopération renforcée », des avis de condamnations concernant leurs ressortissants.

La proposition de résolution de notre délégation visait à encourager cette double démarche, en invitant le Gouvernement à approuver la mise en place rapide d'un format européen standardisé et la création d'un index européen des personnes ayant fait l'objet de condamnations, limité aux infractions d'une certaine gravité. Elle demandait, en outre, à la Commission européenne, de lancer une étude sur la faisabilité d'un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions transnationales, comme le terrorisme, la fraude au budget communautaire, le blanchiment de l'argent sale ou la traite des êtres humains.

Cependant, lors de sa réunion du 14 avril dernier, le Conseil « Justice et Affaires intérieures » a retenu la logique qui inspirait le projet quadripartite, de préférence au système proposé par la Commission européenne. Il a, en effet, privilégié les échanges d'informations fondés sur les communications bilatérales entre les casiers judiciaires des États membres, tout en retenant l'objectif de créer un index européen des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations, mais uniquement pour les ressortissants de pays tiers ou de nationalité inconnue. Il a donc demandé à la Commission européenne de présenter de nouvelles initiatives en ce sens. Nous serons donc appelés à nous prononcer prochainement sur un nouveau texte de la Commission.

Compte tenu de ces éléments, je suggère que nous retirions notre proposition de résolution qui n'a plus d'objet aujourd'hui.

*

À l'issue de cette communication, la délégation a décidé de retirer la proposition de résolution n° 241 (2004-2005) sur le texte E 2821.