COM (2006) 319 final  du 22/06/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 06/07/2006
Examen : 19/09/2006 (délégation pour l'Union européenne)


Agriculture et pêche

Communication de M. Simon Sutour
sur la réforme du secteur vitivinicole européen

Texte E 3184 - COM (2006) 319 final

(Réunion du 19 septembre 2006)

La Commission européenne a présenté, au mois de juillet, un document de réflexion en vue d'une réforme du secteur vitivinicole.

La Commission va poursuivre ses consultations durant l'automne sur la base de ce document intitulé « Vers un secteur vitivinicole durable ». Son objectif est d'adopter une proposition de règlement à la fin de l'année ou, plus probablement, au début de l'année prochaine. Ce texte serait examiné par le Conseil au premier semestre 2007.

Je n'ai pas besoin de souligner l'importance de cette question pour notre pays. Nous sommes le plus important producteur européen de vin de qualité et le premier exportateur de vin hors de l'Union. Notre production représente 30 % de la production européenne en volume et 50 % en valeur. Nous sommes également le premier pays consommateur, ce qui - après tout - nous donne un droit de regard !

L'objectif de la délégation - nous l'avons souvent dit - doit être d'intervenir en temps utile. C'est pourquoi j'ai souhaité, en accord avec le Président Haenel, faire le point de cette question devant vous à la première réunion possible de la délégation. Je me propose d'organiser ensuite des auditions et de suivre les discussions préparatoires à l'échelon européen, de manière à ce que nous puissions réagir dès que le texte définitif de la proposition de la Commission sera connu.

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Je voudrais d'abord rappeler en quelques mots le cadre en vigueur. L'organisation commune de marché (OCM) du secteur vitivinicole a été réformée en 1999. Elle comprend quatre aspects :

une politique d'encadrement du potentiel de production par la limitation des droits de plantation, l'octroi de primes pour l'abandon ou l'arrachage des vignes et la mise en oeuvre de programmes de restructuration destinés à favoriser la qualité de la production au lieu de la quantité ;

des mécanismes de régulation du marché (mesures de distillation, aide au stockage privé, encouragement à la fabrication de jus de raisin) ;

une réglementation de la production et de la commercialisation (encadrement strict des pratiques oenologiques, classement des vins, règles d'étiquetage détaillées) ;

- un régime d'échange avec les pays tiers comprenant des droits à l'importation et des restitutions à l'exportation, et surtout l'interdiction de coupage avec des vins étrangers et l'interdiction de fabriquer du vin avec des moûts de raisin importés.

Pour la Commission européenne, le bilan de l'OCM sous sa forme actuelle est décevant, en raison d'une inadéquation entre l'évolution de la demande et celle de l'offre.

D'un côté, la demande ne cesse de baisser. La consommation de vin dans l'Union diminue en moyenne de 750 000 hectolitres par an. Les exportations progressent moins vite que les importations. L'Union reste un exportateur net (en 2005, les exportations s'élevaient à 13,2 millions d'hectolitres et les importations à 11,8 millions), mais le solde a tendance à se réduire rapidement. De l'autre côté, la production ne suit pas cette évolution de la demande. Les mesures tendant à restreindre le potentiel de production ont été en partie contrebalancées soit par l'octroi de droits de plantation supplémentaires, soit, dans certains cas, par l'augmentation des rendements. Il en résulte, année après année, des excédents importants qui ne peuvent être résorbés que par des mesures coûteuses (aide au stockage et surtout distillation). Les mesures de distillation coûtent ainsi 500 millions d'euros par an. Parallèlement, la conquête ou la reconquête de parts de marché est rendue difficile, toujours selon la Commission, par la rigidité des règles concernant les pratiques oenologiques et par la complexité des dispositions concernant le classement et l'étiquetage des vins. La production européenne paraît aujourd'hui moins bien adaptée aux demandes des consommateurs que celle de ses concurrents.

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La Commission conclut de cette analyse que le statu quo n'est pas envisageable. Cependant, elle estime que ni la déréglementation complète du secteur, ni l'application des règles de la nouvelle politique agricole commune (paiements directs découplés de la production) ne sont des solutions envisageables. Ces solutions permettraient sans doute, au bout d'un certain temps, d'arriver à un marché équilibré, mais au prix d'une restructuration brutale qui aurait des conséquences très lourdes dans les régions concernées.

La Commission privilégie donc la solution d'une réforme profonde de l'OCM. Les principales mesures qu'elle envisage sont les suivantes :

arrachage de 400 000 hectares de vignes (c'est-à-dire environ 12 % de la superficie plantée aujourd'hui) sur une période de cinq ans, le budget de cette mesure étant de 2,4 milliards d'euros ;

suppression des instruments de gestion du marché (aide au stockage privé, distillation) ; en contrepartie, une enveloppe serait mise à la disposition de chaque État membre producteur pour prendre, à l'intérieur d'une liste de mesures autorisées, celles qu'il jugerait les mieux adaptées ;

- réorientation d'une partie des dépenses vers des mesures de développement rural, notamment le financement de formules de préretraite et de programmes agri-environnementaux ;

- simplification du classement et de l'étiquetage des vins, et assouplissement des pratiques oenologiques ; les décisions dans ces domaines relèveraient désormais de la Commission et non plus du Conseil.

En ce qui concerne les échanges extérieurs, la Commission souligne que la réforme supprimerait des mesures d'intervention aujourd'hui classées dans la « boîte jaune » de l'OMC. Par ailleurs, sans que ce soit dit très clairement, elle envisage de supprimer l'interdiction de vinifier des moûts de raisin importés et de mélanger des vins communautaires avec des vins non communautaires.

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Les débats qui ont commencé à s'engager sur la base de ce document montrent que, si la nécessité d'une réforme est admise par tous, les pays producteurs sont très réservés sur les modalités envisagées, en particulier l'ampleur du programme d'arrachage, la suppression de tous les instruments de gestion du marché et les mesures concernant les échanges extérieurs. En France, la profession plaide pour une adaptation beaucoup plus limitée de l'OCM et se prononce pour une approche plus offensive visant à rétablir l'équilibre par la conquête de parts de marché.

Ce débat ne fait que commencer ; comme je l'ai dit au départ, je compte maintenant suivre son évolution et procéder à de larges consultations de sorte que la délégation, si elle le souhaite, puisse déposer une proposition de résolution dès que la Commission présentera sa proposition définitive. De cette manière, le Sénat pourra intervenir utilement, car nous savons bien que, passé un certain délai, les discussions sont trop avancées pour que nous puissions espérer avoir une influence.

Compte rendu sommaire du débat

M. Paul Girod :

Le problème que nous rencontrons est que la demande n'est pas la même des deux côtés de l'Atlantique. Les consommateurs américains veulent du vin de cépage, alors que nous mélangeons les cépages. Ils souhaitent une certaine standardisation. Nos concurrents ont su s'adapter à ces exigences.

M. Simon Sutour :

J'ajouterai que, chez nous, la viticulture est tributaire d'une longue histoire. Les producteurs américains, quant à eux, ont pu développer rationnellement des vignobles sur des terres vierges, s'appuyant sur une main-d'oeuvre immigrée peu coûteuse. Ils bénéficient aujourd'hui d'une demande intérieure en expansion, alors que la consommation baisse en Europe.

Au-delà du problème des cépages, nous devons reconnaître que nos dénominations sont compliquées. Le consommateur français a déjà des difficultés à s'y retrouver ; le consommateur étranger y parvient encore moins. C'est pourquoi nous sommes en train de lancer le label « vin du Sud de la France » pour faciliter l'identification. Dans le Midi, la situation est dramatique : les caves sont encore pleines, alors que les vendanges commencent. Une intervention est indispensable.

M. Christian Cointat :

Ce sujet me touche par tradition familiale : je suis petit-fils de viticulteur ! La viticulture française s'est sans doute un peu trop reposée sur ses lauriers, alors que se développait une concurrence redoutable en Australie et en Amérique sur les vins de moyenne gamme. Notre riposte dans les vins de cépage n'a pas toujours été convaincante. Surtout, la banalisation des AOC a eu des effets très négatifs. Ce label ne représente plus la même garantie de qualité. L'image du vin français s'en est trouvée affaiblie.

M. Gérard Le Cam :

L'aménagement du territoire est aussi un aspect du problème. Les terres affectées à la vigne sont souvent inadaptées à d'autres cultures. Un arrachage massif aurait des conséquences très négatives sous cet angle. Il est nécessaire de réfléchir à des solutions alternatives. Les viticulteurs du Languedoc-Roussillon ont fait beaucoup d'efforts ; cependant, cette région risque de devoir supporter à nouveau une partie importante des sacrifices. Le système de commercialisation porte une part de responsabilité. Le vin est cher pour le consommateur ; il est souvent servi trop vert dans les restaurants, qui ne sont pas toujours convenablement équipés pour le stocker.

M. Simon Sutour :

Dans ma région, le Languedoc-Roussillon, j'ai vu la viticulture beaucoup évoluer en trente ans ; la qualité a considérablement progressé. Mais ces progrès n'ont pas été suffisamment mis en valeur par les circuits de distribution.

M. Serge Lagauche :

La progression de la qualité n'a pas été générale.

M. Simon Sutour :

La baisse de la consommation va se poursuivre en Europe. Je suis persuadé, en revanche, que nous pouvons gagner de nouveaux débouchés à l'exportation. Je partage les inquiétudes qui se sont exprimées sur les conséquences d'une politique d'arrachage massif. On verra se développer les friches, avec une augmentation des risques d'incendie et une détérioration des paysages. Le vin a une dimension culturelle et pas seulement économique.