COM (2011) 560 final  du 16/09/2011
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 22/10/2013

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 23/09/2011
Examen : 17/11/2011 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n°117 (2011-2012) : voir le dossier legislatif


Justice et affaires intérieures

Textes E 6612 et E 6626

Contrôles temporaires aux frontières de l'espace Schengen

COM (2011) 559 final et COM (2011) 560 final

(Réunion du 17 novembre 2011)

Proposition de résolution de Mme Catherine Tasca

Mme Catherine Tasca. - Cette proposition de règlement tend à modifier les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles.

Elle est l'un des éléments d'un « paquet » sur la gouvernance de Schengen, que la Commission européenne a présenté, le 16 septembre 2011, en réponse aux demandes du Conseil européen du 24 juin 2011. Ce paquet comprend deux autres textes :

- une communication intitulée « Gouvernance de Schengen - Renforcer l'espace sans contrôle aux frontières intérieures », qui souligne l'importance de la libre circulation, propose de confier la gouvernance de Schengen à l'Union européenne et fait valoir la nécessité d'aller plus loin que les règles actuelles en reconnaissant que de simples lignes directrices pour la mise en oeuvre de ces règles ne seraient pas suffisantes ;

- une proposition de règlement portant création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi destiné à contrôler l'application de l'acquis de Schengen, qui renforcerait le rôle de la Commission européenne dans l'évaluation ;

I/ Quel est le contexte ?

1/ Le fonctionnement de l'espace Schengen

L'espace Schengen est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières intérieures pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée.

Afin de garantir la sécurité au sein de l'espace Schengen, la coopération et la coordination entre les services de police et les autorités judiciaires ont été renforcées. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. L'espace Schengen regroupe vingt-six Etats, dont 22 Etats membres de l'Union. Chypre ayant demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie sont les derniers nouveaux Etats membres à faire l'objet d'une procédure d'évaluation en vue de leur entrée dans l'espace Schengen.

L'agence FRONTEX est chargée de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen. En novembre 2010, l'opération dite RABIT (Rapid Border Intervention Teams) a permis de déployer en Grèce près de 200 gardes frontières provenant de l'ensemble des Etats membres. Une récente réforme tend à renforcer les capacités opérationnelles de FRONTEX et à développer ses possibilités d'assistance effective aux Etats membres.

L'esprit de Schengen veut qu'un Etat membre assume la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures pour le compte de l'ensemble des autres Etats membres. C'est pourquoi la confiance mutuelle est essentielle. C'est aussi pour cette raison que le mécanisme d'évaluation mis en place doit être réellement efficace. Dans sa nouvelle proposition, la Commission européenne propose que son rôle soit renforcé, que des visites inopinées soient possibles, qu'il y ait des évaluations thématiques et régionales. Ce renforcement de la dimension communautaire de l'évaluation me semble indispensable. Il faut souligner que ces évaluations sont effectuées par la méthode dite de « comitologie » qui associe experts et Etats concernés.

Notre commission a elle-même pris toute la mesure des enjeux attachés à un bon fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, commun avec notre homologue de l'Assemblée nationale, dont Richard Yung et Jean-René Lecerf sont les co-rapporteurs.

2/ L'argument des récentes migrations en provenance de Tunisie à l'appui des demandes de révision du « code frontières Schengen ».

Dès l'origine, une clause de sauvegarde a été prévue dans les accords de Schengen, permettant aux Etats de rétablir les contrôles à leurs frontières dans deux situations.

Le règlement établissant le « code frontières Schengen » prévoit en premier lieu la possibilité de réintroduire de façon urgente et exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures dans les « cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. » Cette possibilité relève de l'initiative d'un Etat membre et sa durée est limitée à une période maximale de trente jours (ou à la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours).

En second lieu, dans les cas d'évènements prévisibles, tel un sommet international, comme le G20, ou une manifestation sportive ou culturelle de grande dimension, l'information préalable des Etats membres et de la Commission est requise dès que possible. Une procédure de consultation est alors engagée. La Commission peut émettre un avis.

Lorsque la menace se prolonge au-delà de cette durée, l'Etat membre peut maintenir les contrôles pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. La Commission indique qu'il y a eu 26 cas de réintroduction des contrôles depuis 2006, tous pour une durée de moins de trente jours et en général pour une durée bien plus courte ne dépassant pas cinq jours.

La prolongation par l'Etat-membre des contrôles aux frontières intérieures requiert une information des Etats membres et de la Commission. Le Parlement européen est informé « dès que possible ». Un rapport est transmis après la levée des contrôles au Parlement, au Conseil et à la Commission.

La décision des autorités italiennes de délivrer aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie entre les mois de janvier et d'avril 2011 des titres de séjour provisoires d'une durée de six mois, pour raisons humanitaires, a soulevé une polémique artificielle ou, pour le moins disproportionnée, sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l'espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité intra-européenne en matière de gestion des flux migratoires.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République Française et le président du Conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements des règles applicables à l'espace Schengen (code frontières Schengen) incluant la possibilité, en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes, de rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures. Le Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 a appelé la Commission européenne à présenter des propositions législatives avant la fin septembre.

II/ Quels changements propose la Commission européenne ?

Dans le prolongement de la communautarisation de la convention de Schengen par le traité d'Amsterdam en 1997, la Commission européenne entend « européaniser » la procédure de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, y compris dans les cas actuellement prévus de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. Ainsi, il appartiendrait à la Commission européenne, dans le cadre de la « comitologie » qui permet d'associer les Etats membres, de décider la réintroduction du contrôle aux frontières et sa prolongation éventuelle.

La décision de réintroduction des contrôles pourrait être prise, pour une durée de trente jours maximum (ou pour la durée prévisible de la menace si elle est plus longue) renouvelable dans la limite de six mois.

Dans les cas de manquements graves persistants dans la gestion des frontières extérieures, et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, la Commission européenne, à l'issue d'un processus d'évaluation qu'elle conduirait et de la mise en oeuvre d'un plan d'action dans le cadre du règlement sur le nouveau mécanisme d'évaluation Schengen, pourrait réintroduire pour une période de six mois les contrôles aux frontières intérieures. Un rapport serait établi tous les six mois par la Commission sur la mise en oeuvre du plan d'action et l'Etat membre concerné transmettrait un rapport après trois mois. Faute de progrès significatifs, la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pourrait être prolongée pour une durée de six mois dans la limite de trois prolongations.

La préoccupation sur ce point porte plus particulièrement sur la frontière gréco-turque où, selon les précisions qui m'ont été données par le Gouvernement, on estime qu'il y aurait chaque jour 1 200 passages irréguliers. L'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'espace Schengen assurerait une continuité territoriale qui rendrait d'autant plus sensibles les défaillances des contrôles sur cette portion de la frontière extérieure.

III/ Quelle appréciation porter sur ce texte ?

1/ Nous devons prioritairement réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen

Je crois d'abord indispensable de réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen qui sont des réalisations majeures de la construction européenne. L'espace Schengen a su faciliter au quotidien la vie des citoyens européens et des ressortissants étrangers en leur conférant une liberté de circulation au sein d'un espace sans frontières regroupant aujourd'hui 26 Etats. C'était le tout premier axe de la proposition de résolution du groupe socialiste, défendue ici-même par Richard Yung en juin dernier. Comme l'a souligné le Parlement européen dans une résolution du 7 juillet 2011 : « la liberté de circulation est devenue l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice. »

Dès lors, les rétablissements de contrôles aux frontières intérieures peuvent constituer une brèche très sérieuse dans le principe de liberté de circulation. Dans le contexte actuel où l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée par un défaut de solidarité entre Etats, remettre en cause l'acquis Schengen constituerait un mauvais coup supplémentaire à la construction européenne et un très mauvais signal lancé aux eurosceptiques. C'est l'analyse que disent partager la plupart des acteurs du dossier.

2/ Refuser l'assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public

La faculté de permettre un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures couvrirait aussi bien une situation de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans la gestion de ses frontières extérieures que celle d'une pression migratoire soudaine et forte dans laquelle un Etat membre, volontairement ou non, ne respecte plus ses obligations.

Dans sa résolution du 7 juillet 2011, le Parlement européen avait estimé que les conditions concernant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures étaient déjà clairement énoncées dans le « code frontières Schengen ». Il avait souligné que l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures ne pouvait en aucun cas être considéré comme une raison supplémentaire pour réintroduire des contrôles aux frontières. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution du groupe socialiste, ici au Sénat, qui voyait dans « la réintroduction de contrôles temporaires aux frontières intérieures en cas de pression migratoire illégale forte, imprévue mais non extraordinaire » une remise en cause de l'acquis Schengen et par là même de la liberté de circulation et s'opposait en conséquence « à toute modification de l'acquis Schengen tendant à l'élargissement des clauses dites de sauvegarde ».

L'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire forte et inattendue, par assimilation aux critères existants de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure, est tout à fait inacceptable. De cela aussi la plupart des acteurs du dossier (Conseil, Commission et Parlement européen) semblent convenir.

Je note que le gouvernement français, pourtant demandeur de l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire conteste aujourd'hui l'assimilation opérée notamment dans le considérant n° 5 de la proposition de règlement. A l'occasion d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale, le mardi 8 novembre 2011, le ministre des Affaires européennes, Jean Leonetti, a contesté « le choix de la Commission [visant] à regrouper au sein de la même procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou à la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures » et dénoncé l' « amalgame » opéré par la Commission entre ces menaces et des situations d'augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

D'autant que, comme l'ont admis les représentants des ministères auditionnés par le groupe de suivi des accords de Schengen, le cas d'afflux massif de migrants est une notion qui est elle-même difficile à définir. La notion est suffisamment floue pour permettre des interprétations contradictoires. Ainsi s'agissant de la venue de migrants afghans, une proposition de résolution du groupe socialiste présentée par Louis Mermaz avait souhaité que la France, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire, puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l'octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d'Afghanistan et du Pakistan. Cette proposition de résolution a été rejetée en séance publique lors de son examen le 10 février 2010, le Gouvernement ayant argué qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un afflux massif de nature à permettre le déclenchement de la procédure de protection temporaire. Il y a donc asymétrie dans l'appréciation du caractère « massif » d'un afflux de migrants.

Entre la France et l'Italie, en l'absence de contrôle systématique, il n'y a pas eu d'évaluation précise des mouvements migratoires récents. C'est à la suite des contrôles effectués dans la bande des 20 km le long de la frontière italienne, que 3 200 personnes ont été renvoyées vers l'Italie qui les a réadmises sans difficulté. Au total, on estime à 34 000 le nombre de Tunisiens arrivés en Italie depuis le 1er janvier 2011. De l'avis même des autorités françaises ceux-ci n'ont aucunement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité intérieure. A la suite de l'accord italo-tunisien du 5 avril 2011, la Tunisie a réadmis tout nouvel immigrant arrivé illégalement après le 5 avril.

La situation a donc pu être réglée dans le cadre des règles en vigueur de Schengen.

3/ Réaffirmer le caractère indispensable d'une politique communautaire de l'immigration

On n'avancera pas sur la gouvernance de Schengen et l'amélioration des dispositifs existants sans affirmer une politique communautaire ambitieuse de l'immigration. Cette politique ne peut se résumer aux contrôles des frontières et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous avons en particulier besoin d'une véritable politique européenne de l'asile dont la mise en place apparaît malheureusement très laborieuse. Toutefois, selon Mme Malmström, commissaire européenne en charge des affaires intérieures, un texte est en cours d'élaboration et devrait aboutir d'ici fin 2012. Il faut aussi inscrire la démarche européenne dans le cadre d'un véritable partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.

4/ Traiter au niveau communautaire les cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures

En toute hypothèse, la prise en compte des cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures pour permettre le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures représente une menace importante pour la libre circulation et pour la préservation des acquis de Schengen.

C'est pourquoi il me paraît nécessaire que, dans un tel cas, la décision puisse être prise par la Commission, à la suite d'une évaluation et de la mise en oeuvre d'un plan d'action qui n'aurait pas donné les résultats escomptés.

Ce choix répond à une logique juridique, celle de la communautarisation des accords Schengen par le traité d'Amsterdam qui consacre la Commission comme gardienne du principe de liberté de circulation. Au demeurant, on ne saurait confier à un Etat déjà défaillant dans le contrôle de ses frontières extérieures la responsabilité de décider unilatéralement le rétablissement de ses frontières intérieures.

Cependant, ce pouvoir de contrôle de la Commission européenne ne peut être dissocié de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'immigration, notamment en matière d'asile.

5/ Trouver un juste équilibre entre initiative des Etats et intervention de la Commission

La proposition de la Commission a aussi pour effet de modifier les règles actuelles en matière d'ordre public en s'attribuant le pouvoir de décision, dans tous les cas pour les évènements prévisibles, et après cinq jours pour les cas exigeant une action immédiate. Dans un communiqué conjoint, en date du 13 septembre, les ministres de l'Intérieur allemand,  espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilité pour des cas qui jusqu'à présent ont relevé de la souveraineté des Etats membres par exemple ceux d'une menace terroriste ou la protection d'un évènement politique ou sportif majeur. Pour les ministres, « c'est aux Etats membres de maintenir l'ordre public et d'assurer la sécurité intérieure ».

Dans une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, au titre de l'article 88-6 de la Constitution, qu'elle a adoptée le 8 novembre 2011, l'Assemblée nationale a considéré, pour les mêmes raisons, que « la décision de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne peut être communautarisée dans les conditions prévues par la proposition de règlement sans qu'il ne soit porté atteinte au respect du principe de subsidiarité. »

Dans sa proposition de résolution sur la révision de l'acquis Schengen, le groupe socialiste jugeait « indispensable [...] le renforcement de la gouvernance de Schengen dans le sens de sa communautarisation ». C'est pourquoi la proposition demandait plus particulièrement aux Etats membres d'accepter la communautarisation du système d'évaluation Schengen.

Toutefois, sans abandonner la poursuite de cet objectif d'une meilleure gouvernance de Schengen, il nous appartient, s'agissant des cas classiques risquant d'affecter l'ordre public ou la sécurité intérieure, de définir des procédures qui n'entravent pas la capacité d'initiative des Etats de réintroduire les contrôles aux frontières intérieures.

Cela paraît nécessaire dans un souci de réactivité et d'efficacité. Mais, il apparaît aussi utile de confier un rôle accru à la Commission européenne. Dans ce but, il conviendrait, à mon sens, de renforcer l'information de la Commission et de veiller à ce qu'elle cette information lui soit communiquée de manière précoce.

Il resterait à l'avenir à se demander si, dans un espace au sein duquel les interdépendances se renforcent, il ne faudrait pas envisager d'aller plus loin afin de conférer à la Commission européenne une responsabilité accrue, au moins au stade de la prolongation des contrôles aux frontières intérieures.

6/ Un dialogue à poursuivre entre la France et la Commission européenne

La proposition de la Commission européenne fait l'objet de nombreuses critiques, parfois très contradictoires selon les parties et de l'opposition de la plupart des Etats membres.

Un compromis doit à l'évidence être recherché entre le dispositif actuel et la proposition de la Commission. Celle-ci réduit excessivement la marge d'initiative des Etats. Le compromis devrait intervenir sur les délais et les obligations d'information dans les cas considérés comme classiques

Rappelons déjà que la Commission n'était pas demandeuse de cette réforme, jugeant, à juste raison, que les clauses de sauvegarde actuelles permettent de faire face à l'essentiel des situations, y compris par exemple dans le cas d'un afflux de migrants via l'Italie.

La France n'a du reste pas fermé sa frontière avec l'Italie. Le Ministre des Affaires européennes précisait, le 8 novembre 2011, à l'Assemblée nationale : «on l'a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n'a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité et d'ordre public ».

La préservation de l'acquis Schengen aurait dès lors dû nous conduire à nous en tenir là. C'était sans compter sur l'insistance de la France et de l'Italie à réclamer une réforme. On peut regretter que la Commission y ait cédé. On peut regretter qu'elle soit allée au-delà des révisions souhaitées. Le gouvernement français lui-même conteste l'amalgame opéré entre menace à l'ordre public et pression migratoire et redoute la communautarisation de la procédure. En tout état de cause, au-delà même de l'invocation du principe de subsidiarité, on est encore loin d'un accord des diverses instances européennes. Notre Haute Assemblée doit rester attentive à l'évolution de ce dossier qui confronte des approches politiques différentes et même des analyses juridiques divergentes, y compris entre les services juridiques de la Commission et du Conseil. La France fait ainsi les frais d'une demande de réforme improvisée.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie pour cet excellent rapport.

M. Richard Yung. - Je souscris entièrement à ce rapport. Les flux migratoires récents entre l'Italie et la France n'ont été qu'un prétexte pour demander une réforme des règles de fonctionnement de Schengen. Le gouvernement italien s'est retrouvé un peu seul pour faire face à une crise difficile. Il n'a pas bénéficié du soutien de la France alors que les deux pays auraient dû gérer ensemble cette situation. Je constate que les flux en provenance de Tunisie se sont taris d'eux-mêmes comme ce fut le cas pour ceux venant de Libye ou, il y a quelques années, pour les mouvements migratoires de Marocains en direction de l'Espagne.

Ce cas spécifique me paraît bien illustrer les problèmes posés par la politique de Schengen. La Commission européenne est garante des résultats de cette politique. Je regrette pour ma part qu'il existe une pléthore de consulats des Etats membres qui font exactement le même travail pour délivrer des visas Schengen. Il serait préférable de constituer des bureaux communs sous l'autorité de la commission européenne. Malheureusement, les Etats membres s'y opposent. Il n'y a pas de volonté politique dans ce sens.

Je soutiens entièrement la proposition de résolution européenne qui nous a été présentée. Il conviendra par ailleurs d'intégrer dans les politiques d'immigration la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Ces questions doivent être traitées au niveau communautaire.

M. Alain Richard. - Ce rapport très complet permet de distinguer trois situations. La défaillance du système de contrôle des frontières extérieures par un Etat membre justifie que les décisions soient prises au niveau communautaire dans un souci de cohésion, cette situation ayant un impact sur tous les Etats membres. Ce que propose la Commission européenne est donc sur ce point un progrès.

Par ailleurs, le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières intérieures pour un événement prévisible ou en cas de menace immédiate pour l'ordre public, est une responsabilité qui relève de chaque Etat membre sous le contrôle du juge et dans le cadre d'un dialogue avec les autres Etats membres.

Enfin, concernant les flux migratoires, il serait à mon sens abusif et pas opérationnel de considérer par principe qu'il s'agit d'une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Pour autant, il me semble difficile de dire que ces flux ne constituent jamais une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Je suggère donc de modifier la proposition de résolution afin d'indiquer que seraient inacceptables les modifications du code frontières de Schengen « qui assimileraient, par nature » les flux migratoires à une telle menace.

M. Michel Billout. - Ce rapport est bien argumenté et délivre des analyses que je partage. La refonte des règles de Schengen intervient dans un contexte d'une Europe en difficulté. La crise de la zone euro conduit à la mise en oeuvre de politiques de forte austérité qui auront deux conséquences : d'une part, l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures risquent d'être mis en cause par la réduction des personnels qui sont affectés à cette mission ; d'autre part, la relance des mouvements migratoires est inévitable, en particulier entre Etats membres de l'Union européenne. Lors de notre récent déplacement en Croatie, j'ai notamment relevé des inquiétudes exprimées sur le risque de flux migratoires vers ce pays en provenance de Bulgarie et de Roumanie.

Ce n'est certes pas le meilleur moment pour porter atteinte à la libre circulation. Le seul événement qui vient justifier la refonte des règles en vigueur c'est l'afflux récent de migrants sur l'île de Lampedusa. Or, je rappelle que cet afflux a été limité et sans commune mesure avec la situation qu'a connue la Tunisie, laquelle a accueilli des centaines de milliers de réfugiés venant de Libye dans un contexte pourtant difficile pour elle. Cette comparaison me paraît rendre dérisoire la réaction disproportionnée de l'Union européenne.

En Italie, les difficultés sont nées de la concentration des migrants à Lampedusa. Mais cette situation a pu être bien gérée notamment en répartissant les personnes concernées dans les différentes régions italiennes.

Cette refonte des règles de Schengen poursuit une visée électoraliste dans un contexte préoccupant de montée des nationalismes en Europe. Lors des auditions du groupe de suivi des accords de Schengen, le directeur de la police de l'air et des frontières s'est déclaré sceptique sur la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Cela ne serait possible que sur une portion limitée de ces frontières avec le soutien des douanes et sur une période courte. Il y aurait des disparités inévitables, de nombreux postes de contrôle aux frontières ayant été supprimés.

Je suis aussi inquiet de la dérive vers un déficit de démocratie dans l'Union européenne. La Commission s'arroge de plus en plus de pouvoirs au détriment du Conseil et du Parlement européen, même si il peut y avoir parfois des ambivalences. Je crois qu'il faut être attentif à cette évolution.

M. Georges Patient. - Je souhaiterais avoir des précisions sur les possibilités de circulation d'une personne qui a accédé à l'espace Schengen. Qu'en est-il de l'Outre-mer ?

Mme Catherine Tasca. - J'approuve pleinement l'idée de bureaux européens communs pour la délivrance des visas Schengen.

Il y a effectivement trois situations qui doivent être distinguées. Mais je veux souligner que les règles actuelles permettent d'ores et déjà de répondre à une situation dans laquelle des flux migratoires auraient un impact sur l'ordre public et la sécurité intérieure.

Il est exact que, dans le contexte actuel de crise économique et financière, de nouveaux flux migratoires apparaissent inéluctables.

Les mécanismes actuels de décision sont très lourds et exigent beaucoup de temps. Il faut donc être d'autant plus vigilant sur le respect des compétences de chacun.

L'accès de l'espace Schengen permet en principe la libre circulation au sein de cet espace mais sous certaines conditions qui sont prévues par le code frontières.

M. Simon Sutour. - Je suggère que la situation de l'Outre-mer fasse l'objet d'un examen spécifique afin de répondre aux interrogations de notre collègue Georges Patient.

M. Jean-François Humbert. - Je remercie notre rapporteur. La rédaction du deuxième alinéa de la proposition de résolution, qui juge « inacceptable » toute assimilation d'un flux migratoire à un problème d'ordre public, me paraît néanmoins un peu forte. Le groupe UMP propose un amendement qui souligne que la modification du code frontières de Schengen doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés.

Mme Catherine Tasca. - Il est vrai que le terme « inacceptable » peut paraître trop marqué. Je vais proposer une nouvelle rédaction de cet alinéa qui prendra en compte votre préoccupation et celle exprimée par Alain Richard.

M. Jean-Paul Emorine. - Je souhaite que, dans le troisième alinéa, nous affirmions plus nettement notre volonté que les cas de manquements graves et persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures fassent l'objet d'une réponse communautaire.

M. Michel Delebarre. - Je ne crois pas que l'Europe soit armée pour répondre à de nouvelles exigences portant sur le contrôle aux frontières intérieures.

*

A l'issue du débat, et après les interventions de MM. Alain Richard et Richard Yung, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (texte E 6612) ;

Rappelle son attachement au principe de libre circulation et à l'espace sans frontière de Schengen, qui est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne ;

Juge qu'une modification du code frontières de Schengen ne peut se fonder sur une assimilation automatique des flux migratoires à une menace grave contre l'ordre public et la sécurité intérieure, et doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés ;

Considère que les réponses à la situation créée par des manquements graves persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures doivent être apportées au niveau communautaire ; 

Souligne que ces réponses ne peuvent être dissociées de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre de véritables politiques européennes de l'immigration et de l'asile, s'inscrivant dans un partenariat avec les pays d'origine et de transit ;

Estime préférable de ne pas modifier les règles en vigueur concernant la réintroduction à titre exceptionnel et temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans les cas qui, comme la protection d'un évènement politique ou sportif majeur, ont jusqu'à présent relevé de la responsabilité des États membres sans créer de difficultés ;

Considère que, dans ces cas, l'obligation d'information de la Commission européenne par les États membres devrait être renforcée et mise en oeuvre de manière plus précoce.