COM (2014) 181 final  du 20/03/2014

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


6) Le texte suivant (COM 181) propose de prolonger le régime de réduction et d'exonération de la taxe « octroi de mer » au sein des régions ultrapériphériques françaises jusqu'au 31 décembre 2014. Comme indiqué plus haut à propos des îles portugaises ou des Canaries, ce type de disposition n'est pas contraire au principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 28/03/2014
Examen : 14/05/2014 (commission des affaires européennes)


Économie, finances et fiscalité

Texte E 9231

Régime de l'octroi de mer
dans les départements français d'outre-mer

COM (2014) 181 final

Communication de M. Georges Patient

(Réunion du 14 mai 2014)

M. Simon Sutour. - Nous allons maintenant entendre une communication de notre collègue Georges Patient sur l'octroi de mer.

C'est un sujet majeur pour nos collectivités d'Outre-mer qui dégagent plus d'un milliard de recettes à travers ce régime fiscal très ancien. Pourtant celui-ci fait l'objet de débats au regard de la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur.

En novembre 2012, nous avions adopté sur la suggestion de Georges Patient, une proposition de résolution européenne qui faisait plusieurs recommandations dans la perspective de l'échéance du régime actuel qui doit expirer au 1er juillet 2014.

Lors de son audition, le 10 avril dernier, le commissaire chargé de la fiscalité, M. Algirdas Semeta nous a indiqué que la Commission européenne avait proposé de prolonger temporairement ce régime jusqu'au 1er janvier 2015.

Georges Patient va donc nous faire un point très utile sur l'état de ce dossier et sur les perspectives pour ce régime de l'octroi de mer.

M. Georges Patient. - Le financement des régions ultrapériphériques françaises est largement tributaire de décisions qui relèvent de Bruxelles. Un sujet préoccupe particulièrement les RUP aujourd'hui: l'avenir du régime de l'octroi de mer. Je me propose de faire aujourd'hui un point sur l'actualité de ce dossier. C'est en effet le 1er juillet 2014 qu'expire la décision du Conseil du 10 février 2004, qui a autorisé le régime actuel pour dix ans.

Ce régime fiscal très ancien, puisqu'il remonte au XVIIème siècle, s'applique à la fois aux marchandises importées et aux biens fabriqués localement. Le principe est que les biens importés et les biens similaires produits sur place doivent se voir appliquer le même taux d'octroi de mer. Son taux de base diffère selon les régions : de 6,5 % à La Réunion à 17,5 % en Guyane. Toutefois, à titre dérogatoire, le conseil régional peut appliquer un régime de taxation différencié favorable aux productions locales, sous réserve de respecter un écart de taxation: ainsi, dans chaque DOM, le Conseil régional peut décider d'exonérer totalement ou partiellement les biens produits sur place, ce qui crée de fait un différentiel de taxation par rapport aux produits importés, pour compenser le handicap subi. L'industrie locale voit ainsi améliorée sa compétitivité, laquelle souffre des contraintes particulières énumérées à l'article 349 du TFUE : l'éloignement, la dépendance à l'égard des matières premières et de l'énergie, l'obligation de constituer des stocks plus importants, la faible dimension du marché local combinée à une activité exportatrice peu développée...

En 1998, la jurisprudence communautaire avait confirmé la validité de ce dispositif dérogatoire mais en l'encadrant : les exonérations sont compatibles avec le droit communautaire si elles sont « nécessaires, proportionnées, précisément déterminées et limitées dans le temps ». Le régime actuel d'octroi de mer est aujourd'hui encadré par deux textes :

- la décision de la Commission du 23 octobre 2007 qui autorise le régime d'aides d'État de l'octroi de mer, sur le fondement de l'article 299 du traité CE (devenu l'article 349 du TFUE) ;

- la décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les DOM qui a donc autorisé ce régime pour dix ans, jusqu'au 1er juillet 2014. Elle encadre les différentiels de taux qui peuvent être de 10, 20 ou 30 points de pourcentage.

Les recettes générées par l'octroi de mer et l'octroi de mer régional représentaient, en 2011, entre 147 millions d'euros pour la Guyane et 380 millions pour La Réunion. Au total, les DOM bénéficient de plus d'un milliard au titre de l'octroi de mer. Cela représente une part importante des recettes fiscales des collectivités, jusqu'à 90 % pour certaines communes guyanaises.

Or l'avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de liberté de circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Un rapport à mi-parcours était attendu des autorités françaises afin de vérifier l'impact du régime actuel. Si la France a bien remis ce rapport en 2009, la Commission a jugé que son contenu ne permettait pas d'étayer sérieusement le bien-fondé du régime dérogatoire.

Inquiet de voir l'échéance du 1er juillet 2014 se rapprocher, je vous avais soumis en novembre 2012 une proposition de résolution européenne afin de tirer la sonnette d'alarme et de presser le gouvernement de dialoguer avec la Commission européenne pour préparer l'avenir de ce régime fiscal. Cette résolution, adoptée par le Sénat le 19 novembre 2012, recommandait aussi d'améliorer les moyens statistiques des DOM pour rendre plus fiable l'évaluation de l'efficacité de l'octroi de mer au regard de son objectif premier, à savoir le développement local.

Où en sommes-nous à presque un mois de l'échéance ?

Les autorités françaises ont introduit une demande de reconduction du dispositif d'octroi de mer le 7 février 2013, assortie d'une note détaillée pour légitimer cette reconduction. Tout en sollicitant le maintien de l'essentiel du régime, la France a demandé plusieurs adaptations : abaissement du seuil d'assujettissement des entreprises à 300.000 euros, création d'un différentiel temporaire pour les productions nouvelles non listées, allègement des procédures de révision des listes ou extension des possibilités d'exonérations en faveur de certaines activités (infrastructures de développement économique, recherche et tourisme).

En mai 2013, les listes des produits susceptibles de bénéficier d'un différentiel de taxation ont été transmises à la Commission européenne. En août 2013, le Président de la République m'a adressé, en ma qualité de président de l'intergroupe parlementaire des outre-mer, un courrier confirmant que la France était mobilisée pour obtenir le maintien de l'octroi de mer.

Mais la Commission européenne entend faire un examen précis, ligne à ligne, de nos demandes. Elle veut vérifier, pour chaque produit - et plusieurs centaines de produits sont concernés-, qu'il existe bien :

- une production locale ;

- des importations significatives la menaçant ;

- et des surcoûts justifiés pour les produits fabriqués localement, du fait de la distance géographique par exemple.

Cet examen exigeant a rendu matériellement impossible toute proposition de décision dans les temps.

Afin d'éviter un vide juridique à partir du 1er juillet 2014, la Commission européenne a donc proposé de proroger le régime actuel pour six mois. Cette décision a obtenu l'aval du Parlement européen le 16 avril dernier. Elle doit désormais être adoptée définitivement par le Conseil afin de sécuriser la fin de l'année 2014.

Il est quand même regrettable d'avoir eu besoin d'une telle « rustine » juridique dans l'attente du nouveau régime qui suivra. Ce n'est pas faute d'avoir alerté nos autorités sur la brièveté des délais et la longueur des procédures européennes...

Mais l'essentiel est que les dernières informations que j'ai pu recueillir auprès du cabinet du commissaire Semeta, en charge de la fiscalité, me rendent raisonnablement optimiste sur la reconduction après 2014 du régime d'octroi de mer. La récente reconduction du régime équivalent dont bénéficient les Canaries plaide aussi en ce sens.

La plupart des difficultés semblent en voie d'être levées : des progrès nets ont été accomplis dans l'examen des lignes, ainsi que concernant la possibilité de couvrir des produits qui représentent une large part du marché local. L'examen des demandes françaises se poursuit : le cas de la Guadeloupe a été examiné, les compléments relatifs à la Guyane sont en cours d'analyse et les compléments sur la Martinique et la Réunion suivront. Il reste un déficit de données sur la production locale : les données n'existent pas toujours ou ne sont pas toujours disponibles, mais la France s'est engagée à faire le maximum pour combler les derniers manques.

En revanche, une difficulté semble persister sur une des demandes-clés de la France en matière de perfectionnement du dispositif : la France demande la possibilité de réviser la liste des produits éligibles de manière souple pour tenir compte de l'évolution des besoins, ainsi que la création d'un différentiel temporaire pour couvrir le délai d'examen et de réponse à de telles demandes exceptionnelles. La Commission entend cette demande, mais elle estime que cela pose des difficultés juridiques : encadrer des exceptions au sein d'un régime d'exception ne va pas de soi. Un travail spécifique devrait donc s'ouvrir sur ce sujet ; il sera découplé de la préparation de la décision pour ne pas la retarder, même s'il a vocation à y être inclus avant adoption, si son résultat est concluant.

Malgré le pointillisme de la Commission européenne et le retard accumulé en conséquence, le dossier est à présent sur les rails : la proposition de décision du Conseil portant sur le renouvellement de l'octroi de mer pour les cinq départements d'outre-mer, incluant donc Mayotte, devrait être adoptée par la Commission avant l'été, ou au plus tard en septembre prochain. Ceci devrait permettre la consultation du Parlement européen puis l'adoption de la décision par le Conseil (à la majorité qualifiée) avant la fin de l'année. La validation en matière d'aide d'État, qui ressort quant à elle de la DG Concurrence de la Commission, ne devrait pas ensuite poser de difficultés, selon les informations que j'ai recueillies auprès de notre représentation permanente auprès de l'Union européenne. La décision devrait donc normalement être adoptée assez tôt pour permettre d'intégrer ses dispositions dans le projet de loi de finances pour 2015.

Je crois que nous pouvons être rassurés, au moins pour la période 2015-2020. Toutefois, je rappellerai que mes entretiens à Bruxelles en juillet 2012 m'avaient beaucoup inquiété : la Commission nous avait encouragés à anticiper la fin du régime en place, rappelant l'incompatibilité de l'octroi de mer avec l'esprit du marché unique. Les services de la Direction générale Fiscalité de la Commission européenne avaient insisté sur le fait qu'un tel régime ne pouvait être que transitoire et devrait bientôt disparaître ; ils avaient jugé que si des décisions politiques avaient pu valider ce type de régimes par le passé, il faudrait de plus en plus les justifier au plan économique et préparer la transition vers un système alternatif, qui ne reposerait pas sur une taxation discriminatoire. Je rappelle aussi que la France est un État parmi les 28 qui sont au Conseil, et que seuls 3 États sur ces 28 ont des régions ultrapériphériques à défendre, ce qui ne permet même pas une minorité de blocage.

Selon moi, si le régime est bien renouvelé pour la période 2015- 2020, il faudra donc en profiter pour anticiper la prochaine échéance de 2020 et continuer à faire valoir la spécificité de l'outre-mer, en mettant en avant l'article 349 du TFUE qui la reconnaît et dont la Commission a une interprétation très, voire trop restrictive.

Alors que certaines voix dénoncent la part de responsabilité que l'octroi de mer pourrait avoir dans le coût de la vie outre-mer, il faudrait ouvrir très vite en amont un débat de fond sur le meilleur moyen d'assurer le développement économique outre-mer, sans fragiliser les recettes fiscales des collectivités territoriales. Je vous propose donc de rester attentif à l'évolution de ce dossier important pour l'outre-mer.

M. Simon Sutour, président. - C'est un dossier important avec un fort enjeu pour les recettes des collectivités territoriales. Nous avons fait un travail très important au sein de la commission avec Georges Patient. Je me réjouis de la bonne nouvelle que nous apporte cette communication si le dispositif doit être reconduit moyennant quelques aménagements. Comme l'a dit le rapporteur, seulement 3 pays sur 28 ont des régions ultrapériphériques, et la France est en outre celle qui en a le plus, surtout avec la récente accession de Mayotte au statut de RUP. Il faut commencer à préparer la prochaine échéance de 2020.