Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte européen
Examen : 30/06/2010 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 526 (2009-2010) : voir le dossier legislatif


Institutions européennes

Proposition de résolution européenne sur les garanties professionnelles des élus locaux qui sont travailleurs frontaliers

Rapport de M. Jean Bizet

(Réunion du 30 juin 2010)

Notre collègue Jean-Louis Masson a déposé le 7 juin une proposition de résolution concernant les garanties professionnelles des élus locaux qui sont travailleurs transfrontaliers. Le Règlement du Sénat nous impose d'examiner cette proposition de résolution dans un délai d'un mois.

L'objet de cette proposition est de demander une harmonisation des garanties professionnelles accordées aux élus locaux qui sont travailleurs transfrontaliers. Le problème soulevé est réel. En France, les élus locaux bénéficient de dispositions leur permettant de concilier leur mandat avec l'exercice d'une activité professionnelle. Ce sont :

- les autorisations d'absence,

- les crédits d'heures,

- les règles de protection particulière pour les salariés élus locaux (qui sont comparables à celles applicables aux délégués syndicaux),

- le droit à la suspension du contrat de travail pour les salariés et le droit à obtenir une mise en disponibilité pour les fonctionnaires (ou, dans certains cas, un détachement),

- le droit à la protection sociale en cas de suspension d'activité professionnelle.

Naturellement, ces règles s'appliquent également aux ressortissants de l'Union qui sont élus en France et y exercent leur activité professionnelle.

Le problème des travailleurs transfrontaliers qui sont élus locaux dans un autre pays que celui où ils travaillent est bien différent. Rien, dans le droit de l'Union, n'oblige un employeur à prendre en compte le fait qu'un salarié est élu local. C'est un problème réglé par le droit national. Et si le droit national ne prévoit rien pour les salariés qui sont élus dans un autre pays, il n'y a pas d'obligation particulière pour l'employeur. Pour essayer de résoudre ce problème, la proposition de résolution demande au Gouvernement de prendre une initiative en vue d'obtenir une harmonisation des garanties accordées aux élus locaux, ou du moins une législation européenne améliorant la situation des élus locaux qui travaillent dans un autre pays membre.

Je vais dire tout de suite que, si le problème soulevé est réel, la solution proposée ne me paraît pas appropriée, et c'est pourquoi je vous proposerai le rejet de la proposition de résolution.

Pourquoi la solution proposée ne paraît-elle pas appropriée ?

D'abord, parce qu'une harmonisation européenne ne règlerait pas la totalité du problème. En effet, un nombre important de nos travailleurs transfrontaliers ont leur activité professionnelle en Suisse, qui ne fait pas partie de l'Union.

Ensuite et surtout, il n'y a pas de base juridique suffisante dans les traités pour une action de l'Union à ce sujet. La seule solution possible, comme le relève d'ailleurs l'exposé des motifs de la proposition de résolution, serait de s'appuyer sur l'article 25 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Cet article permet au Conseil de « compléter » les dispositions du traité concernant le droit d'être électeur et élu aux élections municipales et européennes. Toutefois, on doit observer que les décisions prises par le Conseil sur la base de cet article 25 doivent être adoptées à l'unanimité des États membres, puis approuvées par le Parlement européen, puis approuvées par chaque parlement national. C'est une procédure à certains égards plus lourde encore que la révision des traités, qui est entourée de plus de formalisme, mais pour laquelle l'approbation du Parlement européen n'est pas nécessaire.

Donc, si l'on veut arriver à l'harmonisation souhaitée par la proposition de résolution, il faut soit réviser les traités, soit passer par la procédure encore plus contraignante de l'article 25 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est manifestement irréaliste et, de plus, cela paraît disproportionné par rapport à l'ampleur réelle du problème à traiter, même si je ne veux pas le minimiser.

J'ajouterai qu'une harmonisation européenne dans ce domaine pourrait poser un problème de subsidiarité. Est-ce que le problème intéresse véritablement l'Union dans son ensemble ? Est-ce qu'il ne pourrait pas être résolu par des moyens plus légers ? Je rappelle ce que dit l'article 5 du traité sur l'Union européenne : « En vertu du principe de subsidiarité (...), l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres (...) ».

Le traité ne dit pas que tout problème qui dépasse un État membre pris isolément doit être traité par l'Union. L'Union n'a pas à intervenir si le problème ne concerne qu'un très petit nombre d'États membres, voire deux d'entre eux, et qu'il peut être réglé par un arrangement entre ces États, pourvu que cet arrangement ne soit pas contraire au droit européen. Si nous voulons créer par exemple une université franco-espagnole, nous n'avons pas besoin qu'une législation européenne intervienne : un accord entre les deux pays suffit.

Il faut constater que le problème des travailleurs transfrontaliers qui sont élus locaux en France ne peut véritablement concerner que quatre pays voisins de la France : la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne et la Suisse. (En Allemagne, le statut des élus locaux est d'ailleurs une compétence des Länder). Il semble que régler le problème par des accords bilatéraux serait une solution plus réaliste et finalement plus appropriée à la nature du problème que d'essayer de le régler par une législation européenne.

Mais les accords bilatéraux n'entrent pas dans le champ des résolutions européennes prévues à l'article 88-4 de la Constitution. Ils n'entrent donc pas dans les compétences de notre commission. Une résolution du Sénat préconisant des accords bilatéraux concernerait la politique étrangère de la France. Celle-ci, depuis la révision constitutionnelle de 2008, peut désormais faire l'objet de résolutions, mais sur la base de l'article 34-1 de la Constitution, avec une procédure complètement différente de celle des résolutions européennes.

Pour ces raisons, je vous invite donc à rejeter la proposition de résolution de notre collègue Jean-Louis Masson. Elle a le mérite de soulever un problème réel, même si le nombre des personnes concernées n'est pas très élevé. Mais la voie proposée ne paraît pas appropriée.

Compte rendu sommaire du débat

M. Yann Gaillard :

De minimis non curat praetor !

M. Michel Billout :

Je partage votre analyse. Je suis étonné que, dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, on fasse état d'une réponse du Premier ministre qui commence par : « en l'absence d'une directive européenne sur le sujet... » et qui, donc, paraît considérer qu'une telle directive serait possible. Le problème n'est pas négligeable, mais devrait pouvoir être réglé par des voies plus simples. La commission des affaires étrangères serait mieux placée pour y réfléchir.

M. Jean-François Humbert :

Ma région est frontalière avec la Suisse. Comme vous l'avez dit, le problème ne serait pas réglé pour nous par une législation européenne, puisque la Suisse ne va pas adhérer de sitôt à l'Union, la partie alémanique notamment y étant hostile. Avec la Suisse, nous avons trouvé des solutions par des accords bilatéraux pour la plupart des problèmes qui peuvent se poser aux travailleurs transfrontaliers. Cette méthode devrait pouvoir s'appliquer pour le problème évoqué.

M. Robert del Picchia :

Je crois également que les accords bilatéraux seraient une meilleure formule. Les relations entre pays voisins présentent des spécificités, je pense par exemple à l'Autriche et à la Hongrie qui ont fait partie d'un même empire. Des accords bilatéraux permettent de mieux s'adapter aux particularités.

*

À l'issue du débat, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 526.