Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte européen

Ce texte a fait l'objet des propositions de résolution : n°298 (2010-2011) : voir le dossier legislatif, n° 579 (2010-2011) : voir le dossier legislatif


Agriculture et pêche

Proposition de résolution de MM. Gérard César et Simon Sutour
sur les droits de plantation de la vigne

(Réunion du 9 février 2011)

M. Simon Sutour :

Nous présentons, Gérard César et moi-même, cette proposition de résolution sur le maintien des droits de plantation. Cela fait plusieurs années que nous travaillons sur ces questions vitivinicoles, d'abord séparément, puis conjointement puisque, en 2009, nous avons également présenté ensemble une proposition de résolution sur le coupage des vins rosés.

Depuis vingt ans, toutes les réformes de la PAC ont été inspirées par un seul principe : la dérégulation. Chaque année apporte de nouvelles preuves du caractère illusoire d'un tel choix en matière agricole quand il est poussé aux extrêmes.

Il est donc bien naturel de s'inquiéter d'une des mesures emblématiques de la dernière réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole (dite « OCM vins ») : l'abandon des droits de plantation.

Après avoir rappelé le régime juridique des droits de plantation, j'expliquerai pourquoi l'abandon de cet outil de régulation nous semble être une décision sans recul et sans vision, incohérente et dangereuse.

1. Les droits de plantation sont réglementés en France depuis 1953. La première OCM vin de 1970 s'accompagne d'un encadrement du potentiel de production qui en fait sa spécificité. En 1987, le régime des droits de plantation prend la forme qu'il aura jusqu'en 2008. Ainsi, l'architecture générale de l'OCM vin est articulée autour de trois outils :

- le contrôle des productions par les procédés de vinification ;

- la gestion des marchés en cas de surproduction (par la distillation à prix préfixés) ;

- la maîtrise des capacités de production par deux moyens : la diminution des surfaces plantées par une politique d'arrachage et le contrôle des plantations fondé sur des possibilités assez larges de replantation après arrachage mais un strict contrôle des plantations nouvelles.

Je rappelle que l'arrachage est massif puisque le programme d'arrachage porte sur 170 000 hectares dans l'Union européenne, même si la Commission européenne avait envisagé 400 000 hectares.

Ainsi, le régime des droits de plantation apparaît comme l'élément structurant de l'OCM vin. C'est une singularité dans l'ensemble de la PAC puisque l'OCM vin vise une discipline de production, alors que la PAC est globalement orientée vers la croissance des productions. D'ailleurs, je ne résiste pas à citer les propos de Michel Cointat, puisque son fils est là aujourd'hui, qui fut un grand ministre de l'agriculture au début des années 70, qui disait alors que « la PAC consiste à donner une Cadillac à ceux qui en ont déjà une ».

Trois réformes adoptées par des règlements du Conseil à la majorité qualifiée, organisent la fin du régime des droits de plantation, dans des termes de plus en plus clairs et rigoureux.

La réforme de l'OCM vin en 1999 est une étape cruciale dans la mesure où le régime des droits de plantation reste un pivot de l'OCM, mais est annoncé comme provisoire. L'échéance programmée est alors le 31 juillet 2010. En 2008, la nouvelle réforme de l'OCM vin annonce une disparition du régime des droits de plantation fin 2015, ou fin 2018 pour les États qui veulent encore le maintenir provisoirement. Cette nouvelle réforme de l'OCM vin constitue une rupture formelle et de fond avec le régime précédent. Le libellé a changé en régime transitoire des droits de plantation. Le dispositif est repris en 2009 lorsque l'OCM vin est intégrée à l'OCM unique.

Ainsi, la fin des droits de plantation est expressément programmée pour le 31 décembre 2015, avec toutefois une exception pour les États membres qui veulent les maintenir jusqu'au 31 décembre 2018 sur tout ou partie de leur territoire.

Il me semble que l'Union européenne a commis plusieurs erreurs en choisissant d'abandonner le régime des droits de plantation.

2. Vous me permettrez d'abord de penser qu'il s'agit d'une décision sans recul

La mise en oeuvre d'une discipline stricte des droits de plantation est le résultat d'une longue maturation, vieille de plus de mille ans d'histoire.

Pendant des siècles, les plantations de vigne ont été pratiquement libres. Les noms des rues dans des milliers de villages en France témoignent encore de cette époque où le vin était partout en France, ou presque partout puisqu'il semblerait que le vin ait été rare en Bretagne et en Normandie.

Trois phénomènes ont bouleversé cette situation. Les crises phytosanitaires du XIXe siècle ont ravagé les vignobles. L'émergence de la viticulture de prestige a donné une autre image du vin. Mais surtout, la première guerre mondiale a été le catalyseur du changement. Comment faire oublier le « pinard » chanté par les poilus ? En travaillant sur la qualité et, par conséquent, sur les quantités.

Cette exigence s'est d'abord traduite par la création des célèbres AOC. Les droits de plantation sur des aires délimitées et avec des cépages définis ont permis une discipline de production, ont apporté de la rigueur, et vont de pair avec une exigence de qualité.

Il est certain, en particulier, que le contrôle des droits de plantation a sauvé la viticulture française.

3. C'est donc une décision sans recul mais c'est aussi une décision sans vision.

Pourquoi avoir décidé d'abandonner les droits de plantation, fruits d'une longue maturation historique ? Trois facteurs peuvent être avancés.

Il y a d'abord un choix délibéré de dérégulation de la PAC dans son ensemble, à commencer par les instruments qui entravent les productions à l'image de l'abandon des quotas laitiers.

Il y a ensuite l'idée d'appliquer à l'Europe les pratiques viticoles des nouveaux pays producteurs. Car les producteurs de vin du nouveau monde ne sont pas encadrés par des barrières administratives. Ils plantent où ils veulent, ce qu'ils veulent, comme ils veulent.

Y aurait-il distorsion de concurrence, comme le prétend la Commission ? Il s'agit seulement de deux stratégies de compétitivité et de deux productions différentes.

En quoi les droits de plantation seraient-ils un frein à la compétitivité ?

Il est incontestable que la concurrence avec les vins du nouveau monde est farouche et que les vins européens perdent du terrain sur les marchés internationaux et même sur le marché intracommunautaire. Mais l'explication est bien connue et n'a pas de lien avec le régime des droits de plantation ! Les nouveaux producteurs proposent des vins de cépage, faciles à identifier et donc faciles à vendre, tandis que les producteurs européens continuent à proposer des vins de caractère, parfois des vins d'assemblage, au risque d'un embrouillamini destructeur pour les producteurs eux-mêmes. Il faut d'ailleurs saluer les initiatives régionales telles que le label « sud de France » pour sortir de cet enchevêtrement de vins de pays, de coteaux, de châteaux... incompréhensible au consommateur étranger.

Il y a bien un problème de positionnement, d'identification, de commercialisation, mais sans lien avec le régime des droits de plantation. Y renoncer est d'autant plus grave qu'elle priverait les vins européens de leur atout : une réputation d'exigence et de qualité.

4.  Le choix d'abandonner les droits de plantation est aussi une décision incohérente

Il faut bien avouer que la réforme de l'OCM vin a tout d'une énigme. En effet, comment justifier qu'au moment où l'Union européenne décide de libérer les droits de plantation, elle prépare cette libéralisation par une politique d'arrachages massifs des plants de vigne ?

Quelle est la cohérence d'un tel projet ? « Assainir le marché avant de laisser faire les forces du marché » répondait-on à la DG Agri au moment de la préparation de la réforme de l'OCM vin. Cette succession est tout simplement absurde. Comment piloter une voiture avec un pied à fond sur le frein (arrachage) et un pied à fond sur l'accélérateur (liberté de plantation) ? Personne ne peut comprendre que l'on prépare la liberté de plantation par une obligation d'arrachage !

La deuxième incohérence est liée à un manque d'analyse du marché et de respect des hommes. Cette libéralisation est presque humiliante pour tous ceux qui ont multiplié leurs efforts pour améliorer la qualité des vins.

Les plus hautes autorités des États allemand et français ont exprimé leur opposition de façon claire. En avril 2010, Mme Angela Merkel fut le premier chef de gouvernement européen à prendre une position officielle sur le soutien des droits de plantation.

Début 2011, le Président de la République a, à son tour, clairement exprimé son opposition à la libéralisation des droits de plantation. « Supprimer ou libéraliser les droits de plantation, c'est choisir le produit au plus bas coût possible. C'est condamner à terme une culture du savoir-faire et de la qualité. Une idée qui conduira à la catastrophe (...) » « Je ne sais pas qui a pensé à cette idée, mais il faut qu'il change d'avis ! »

M. Gérard César :

Cette convergence au plus haut niveau entre Français et Allemands est une nouvelle donnée fondamentale. L'échéance est fixée par un règlement communautaire, mais cette volonté commune ne peut être ignorée. La décision de supprimer le régime des droits de plantation est une décision sans recul, sans vision, et incohérente. La charge est déjà lourde. Mais le pire est que ce choix est également dangereux.

La libéralisation totale des droits de plantation entraînera inévitablement de profondes perturbations du marché vitivinicole et des territoires. Les conséquences régionales de la libération totale des droits de plantation seront redoutables. La liberté de plantation ne peut pas ne pas s'accompagner d'une délocalisation du vignoble des coteaux vers les plaines. Quel intérêt y aurait-il à travailler, dur, souvent à la main, sur des pentes à 10 % alors que les vignes peuvent être plantées sur des terrains plus accessibles ? La liberté de plantation est, tout simplement, la condamnation à mort de la viticulture en zone aride.

Cette éventualité ne choque apparemment pas la Commission européenne, qui, dans un document de travail, sur les conséquences de la dérégulation du marché viticole, mentionnait, je cite : « les risques considérables liés à la nécessité d'une forte restructuration et un déplacement éventuel de la production entre régions », mais sans s'émouvoir plus que cela.

Comment ne pas comprendre la méfiance des Français pour une telle construction européenne qui déconstruit, au contraire, au nom du libre marché ? Un tel aveuglement ne peut conduire qu'aux catastrophes.

Il faut remettre du bon sens, avant qu'il ne soit trop tard. Et pour ce faire, conserver les droits de plantation.

La France est bien consciente que cette réforme suscite de plus en plus d'appréhensions dans le milieu viticole. Mais ces appréhensions touchent aussi un nombre de plus en plus important de pays.

Le règlement OCM unique prévoit que « la Commission élabore un rapport sur le secteur viticole avant la fin de 2012 en tenant compte en particulier de l'expérience acquise dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme ». Tenir compte de l'expérience doit commencer par une écoute des parlements nationaux. C'est tout le sens de cette proposition de résolution.

De plus, la prochaine réforme de la PAC est une opportunité pour intervenir et modifier l'OCM unique.

Ce serait vraiment une catastrophe si la libéralisation totale des droits de plantation était appliquée sans restriction. Pour donner une idée du déséquilibre que cela induirait, je peux évoquer une récente mission en Ukraine, où Simon Sutour et moi-même avons visité une exploitation de 1 000 hectares de vignes, plantées par des Géorgiens. Mais la pression existe aussi en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie. Tous ces pays sont prêts à se lancer dans une production de masse dont nous connaissons les effets. Une telle orientation se fera au détriment d'une présence équilibrée sur les territoires, et au mépris des hommes qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour travailler sur la qualité.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Bernadette Bourzai :

Cette proposition de résolution me convient tout à fait. La libéralisation est en oeuvre et va très vite. Croire que le marché va tout régler est utopique et je pense, comme l'a demandé notre groupe de travail sur la PAC, que la France doit tenir bon quand elle demande la sauvegarde des outils de régulation. Or, peu à peu, tout est démantelé, et les discours officiels rassurants sont vains. Je rappellerai par exemple que, le 13 décembre 2007, M. Michel Barnier, qui était alors ministre de l'agriculture, avait annoncé qu'« il ne lâcherait pas sur le régime des droits de plantation ». Mais, en avril 2008, c'était fait. Le règlement OCM vin était adopté.

Je ne peux que me féliciter que la déclaration commune des parlements français et allemand évoque la nécessité d'un « cadre de régulation ».

M. Christian Cointat :

Il faut bien reconnaître qu'il est difficile d'avoir une claire vision d'une politique viticole quand ceux qui la mènent boivent du lait ! Ce qui fut le cas il y a quelques années. Il faut revenir à la raison et au bon sens. En revanche, il me semble que la tonalité de la proposition de résolution est trop défensive. Il me paraît important d'insister sur l'articulation entre la maîtrise des droits de plantation et la politique de qualité.

L'expérience du Languedoc doit être rappelée, car les viticulteurs ont su tirer partie de la réglementation européenne qui a permis aux vins de pays d'avoir le nom d'un cépage. Ces vins sont présents en Europe et s'en tirent très bien, mieux que les « châteaux » inaccessibles et incompréhensibles. La réglementation européenne n'est pas forcément négative ! Mais les droits de plantation sont légitimes parce qu'ils sont un des éléments qui assurent cette qualité. La proposition de résolution devrait être aménagée en ce sens, en rappelant cette exigence non dans les considérants généraux, mais dans les objectifs explicites.

Mme Fabienne Keller :

Les viticulteurs alsaciens sont eux aussi très préoccupés par la disparition du régime des droits de plantation. Je pense qu'il y a un rapprochement à faire entre le vin et le fromage, qui sont deux productions qui font partie de notre richesse patrimoniale. Il y a quelques années, on a voulu abandonner la spécificité des productions fromagères au lait cru pour créer des productions standardisées. Cette banalisation aurait été une erreur car la qualité et l'identité d'un produit sont des atouts irremplaçables. On ne peut appliquer à l'alimentation la même logique que s'il s'agissait de vendre des produits interchangeables, avec des productions mondialisées comme les boissons au cola ou comme les téléphones portables ! Priorité à la qualité, et le maintien des droits de plantation y contribue.

M. Jacques Blanc :

Je retiens de l'exposé de nos deux rapporteurs l'incohérence de la mesure. Dans une région qui a été conduite à arracher des milliers d'hectares de vigne, comment expliquer que dans quelques années, les droits de plantation seront totalement libres ? La vigne, c'est aussi les paysages, le tourisme, la lutte contre les incendies, la lutte contre les inondations... Les déséquilibres territoriaux qui pourraient suivre la libéralisation totale des droits de plantation sont énormes. La décision est tout simplement incompréhensible pour l'ensemble de la profession, qui a fait des efforts pour améliorer la qualité des productions.

M. Michel Billout :

La libéralisation sur tous les fronts m'inquiète. Je suis satisfait de cette proposition frappée du coin du sens, mais il faudrait avoir le même recul sur l'ensemble des questions agricoles. Les conséquences des accords internationaux sont préoccupantes. Sur le sucre, l'Europe excédentaire, il y a encore trois ou quatre ans, est devenue importatrice ! De même, le Parlement européen a donné quitus à la négociation de l'OMC sur la banane, ce qui pourrait avoir des conséquences redoutables sur la production des Antilles. Il ne me semble pas qu'un député UMP/PPE s'y soit opposé. Je souhaite plus de cohérence politique et plus de recul.

M. Jean Bizet :

Il faut éviter les jugements abrupts sur les négociations commerciales internationales, car l'exercice est fondé sur l'équilibre des concessions. La négociation sur la banane fait suite à un contentieux lourd. L'objectif est désormais de parvenir à des compensations adéquates pour les DOM. Nous venons d'adopter une proposition de résolution à ce sujet.

Concernant la proposition de résolution, la politique des marques a supplanté la politique traditionnelle des indications géographiques, mais il faut rester très vigilant sur ce point qui a structuré nos productions. Sur la résolution, il me semble que nous devons dire plus clairement quelle place nous laissons à la subsidiarité, à la possibilité pour les États de garder ou non les droits de plantation à leur choix. Qu'en pensent les rapporteurs ?

M. Gérard César :

L'idéal serait bien sûr de maintenir le régime des droits de plantation partout en Europe. Mais il faut reconnaître que cet objectif sera difficile à atteindre. L'Espagne a une politique de libéralisation beaucoup plus poussée. Elle attaque le marché chinois avec des vins à un euro la bouteille ! L'accord avec les Allemands paraît assuré, mais il ne faut pas croire que nous aurons l'unanimité sur les droits de plantation. La faculté laissée aux États de maintenir un régime dérogatoire est plutôt un objectif de second rang, comme une proposition de repli. La rédaction de la proposition de résolution doit être ajustée en conséquence, en ajoutant au dernier alinéa l'expression « à défaut ».

M. Jean Bizet :

La résolution s'adresse à notre gouvernement. Autant avoir une position ferme, quitte, en effet, à avoir une solution de repli.

M. Simon Sutour :

Le débat qui nous anime montre que le vin suscite toujours beaucoup de passion. Chacun est bien conscient des effets dévastateurs, d'une part de la libéralisation totale qui va conduire à l'abandon d'exploitations et à la multiplication des friches, d'autre part de l'incohérence et même de l'absurdité de la politique européenne qui prône à la fois l'arrachage des plants de vigne et la libéralisation des droits. Depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen est codécideur. La résolution s'adresse formellement au gouvernement, mais la cible est aussi européenne.

*

À l'issue de cette proposition, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 85 septies et octies du règlement (CE) N° 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 modifiant le règlement (CE) n° 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole,

Vu l'article 184 § 8 du même règlement donnant mission à la Commission d'établir, avant la fin de 2012, un rapport sur le secteur vitivinicole en tenant compte de l'expérience acquise,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions en date du 18 novembre 2010 : « La PAC à l'horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l'avenir » [COM (2010) 672 final],

Considère que les droits de plantation constituent un outil éprouvé et moderne de gestion harmonieuse du potentiel viticole européen, garant de la qualité des productions européennes,

Craint que la libéralisation totale des droits de plantation n'entraîne des délocalisations des vignobles et n'ait des répercussions dramatiques sur l'activité vitivinicole de certains territoires,

Se félicite que les plus hautes autorités d'Allemagne et de France se soient prononcées pour le maintien des droits de plantation,

Demande que cette manifestation d'intention se traduise par des actes juridiques,

Souligne que les droits de plantation sont un instrument indispensable pour une politique de qualité et de promotion des « terroirs »,

Souhaite que le régime communautaire et transitoire des droits de plantation soit modifié afin de permettre le maintien permanent des droits au-delà de 2015,

Demande, à défaut, que la faculté laissée aux États de maintenir, sur tout ou partie de leur territoire, le régime d'interdiction des droits de plantation jusqu'au 31 décembre 2018 soit prolongée, sans limitation de durée.

Agriculture et pêche

Volatilité des prix agricoles

Proposition de résolution de M. Jean Bizet et M. Jean-Paul Emorine1(*)

(Réunion du 8 juin 2011)

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

L'excessive instabilité des marchés agricoles, et d'une manière générale, des marchés des matières premières, constitue aujourd'hui un immense défi auquel nous devons apporter des solutions. Les prix de ces produits se caractérisent en effet par une très grande volatilité, exacerbée depuis 2007 et qui déstabilise l'ensemble des agricultures du monde.

Je voudrais tout d'abord très brièvement rappeler quelques repères, simples, qui permettent de se rendre compte de l'ampleur des conséquences d'une telle situation.

La production agricole représente aujourd'hui 1,3 milliard d'emplois à travers le monde. C'est la première activité mondiale. J'ajouterai que plus de 40 % de la population active mondiale dépend directement des marchés agricoles. Quant aux produits de l'agriculture, ils représentent 10 % du commerce mondial.

Vu l'importance de ce phénomène de volatilité des prix, la commission des affaires européennes et la commission de l'économie ont su, une nouvelle fois, travailler ensemble en bonne intelligence sur cette question. Le groupe de travail sur la PAC que nous avons mis en place en mai 2010 avec le président Jean Bizet et co-présidé également avec Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai, s'inscrit dans cette logique. Je suis pour ma part très attaché à cette méthode de travail en commun : c'est un bon modèle de fonctionnement qui permet au Sénat de se prononcer en connaissance de cause et avec force.

Cette fois-ci, nous avons choisi, avec M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, de co-signer une proposition de résolution qui est présentée aujourd'hui devant votre commission, dans la mesure où cette dernière constitue le point d'aboutissement de travaux menés conjointement sur la question de la volatilité des prix agricoles.

Nos deux commissions ont en effet organisé, le 27 avril dernier, une table ronde fort intéressante sur ce thème, qui réunissait l'ensemble des acteurs concernés (la FAO, des représentants du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, du Ministère de l'Agriculture, de la FNSEA, de l'ANIA ainsi que M. Serge Guillon, contrôleur général et co-auteur avec M. Jean-Pierre Jouyet, d'un rapport relatif à la gestion de l'instabilité des marchés agricoles.)

Cette table ronde fut très instructive. Elle nous a permis de mieux cerner les difficultés posées par ce phénomène volatilité des prix, qui, s'il n'est pas ancien, semble aujourd'hui durablement amplifié par la spéculation existant sur les marchés dérivés et qui a des répercussions sur les marchés physiques.

Elle nous a permis aussi de dégager un certain nombre de pistes qui pourraient utilement être prises en compte afin d'atténuer les effets de cette volatilité excessive, qui peuvent être désastreux, vous le savez.

C'est pourquoi mes chers collègues, dans le prolongement de ces travaux, nous avons souhaité déposé une proposition de résolution européenne qui puisse émettre des recommandations en ce sens, en vue notamment du prochain G20 des 22 et 23 juin prochains.

Je voudrais, mes chers collègues, souligner l'importance de l'imbrication, sur un sujet comme celui-là, de trois niveaux d'action :

- le niveau national : c'est ce que la LMAP s'est attachée à faire via la contractualisation, l'encouragement aux assurances contre les aléas climatiques et sanitaires ou encore l'organisation et la structuration de filières ;

- le niveau européen : avec le défi de la PAC pour 2013 ;

- et enfin le niveau international par le biais de cette mise à l'agenda des négociations et de la volatilité des prix agricoles.

Les défis qui devront être abordés lors de ce sommet sont au nombre de quatre.

Le premier défi concerne la solidité de la croissance économique. Les fluctuations excessives des prix génèrent de l'incertitude et le manque de transparence des marchés des matières premières en général et des produits agricoles en particulier accentuent ce phénomène.

Le second défi concerne la sécurité alimentaire. Environ 40 pays ont connu des émeutes de la faim en 2007-2008 suite à la flambée des prix de plusieurs produits de base comme le blé ou le riz. Or les niveaux atteints aujourd'hui s'en rapprochent dangereusement.

Le troisième défi est celui de la libéralisation des marchés, qui a marqué la période récente et changé le contexte institutionnel. Le retrait de l'intervention publique s'est traduit principalement par la diminution des stocks, qui connaissent donc aujourd'hui des niveaux historiquement bas. Cette diminution a rendu les marchés très sensibles aux chocs externes.

Ce constat est apparu très clairement lors de notre table ronde : les réformes de la PAC ont accru le phénomène de volatilité des prix agricoles. L'idée directrice en a été le recul de toute forme de régulation. Les prix réglementés ont disparu et les stocks ont fondu, avec l'idée que les phases de baisse des prix permettraient de faire émerger des champions compétitifs tandis que les phases de hausse des prix permettraient d'engranger des bénéfices. Cette alternance est en réalité au fondement même du fonctionnement des marchés financiers.

Le dernier défi, d'ailleurs, porte sur la financiarisation des marchés des matières premières agricoles.

Plusieurs éléments y ont contribué. Les fondamentaux poussent à une hausse du prix des produits agricoles, ce qui ne peut qu'inciter les placements dans ces valeurs. De même, le prix des produits agricoles et le prix des autres matières premières ont été de plus en plus liés. Ce qui a conduit les opérateurs financiers à proposer des placements constitués de panels de matières premières regroupant à la fois métaux, énergie et produits agricoles.

La spéculation fut d'ailleurs une question centrale de la table ronde. Si la volatilité des prix est structurelle, tous les économistes s'accordent à dire que la spéculation contribue à amplifier ce déséquilibre. Mais la spéculation vient moins de la hausse elle-même que du risque de l'anticipation. Alors que jusque dans les années 2000, les agriculteurs pouvaient espérer vendre une récolte sur pied à un horizon de un an. Aujourd'hui, on prend des options sur les récoltes de 2013, soit deux ans à l'avance !

A ces quatre défis, l'on peut ajouter les initiatives de certains États qui accentuent parfois l'instabilité, comme les restrictions aux exportations par exemple. C'est ce qu'on a vu au cours de l'été 2010 en Russie : à la suite d'une flambée des prix provoquée par des prévisions de mauvaises récoltes, le gouvernement a instauré un embargo sur ses exportations de blé, ce qui a amplifié la hausse des prix.

Par ailleurs, la situation actuelle ne semble pas devoir s'améliorer dans les années qui viennent. En effet, d'après les prévisions d'un rapport commun, l'OCDE et la FAO considèrent que les prix réels et nominaux des produits agricoles baisseront par rapport aux niveaux record atteints au début de 2008 mais qu'ils resteront plus élevés pendant les dix prochaines années que pendant la décennie précédente.

D'autres éléments vont dans le même sens : ainsi la demande de biocarburants et le prix élevé du pétrole devraient entraîner un maintien des prix à un niveau tout de même élevé.

De la même manière, la conjugaison de la demande croissante provenant d'Asie et des pays émergents et de la croissance démographique importante laissent entrevoir une accentuation de la variabilité des prix sur les marchés agricoles.

A cela s'ajoute enfin l'intensification des aléas climatiques qui laisse penser que du côté de l'offre aussi l'instabilité devrait s'accroître toujours davantage.

Autant d'éléments qui prouvent que la définition d'une réponse coordonnée au niveau international est aujourd'hui indispensable.

J'ajouterai pour finir que si l'on parle souvent de l'importance des marchés de matières premières, il me paraît néanmoins important d'étudier spécifiquement les marchés de produits agricoles.

Mais je laisse la parole à M. Jean Bizet pour présenter notre proposition de résolution.

M. Jean Bizet :

Je me réjouis à mon tour de cette réunion commune des deux commissions. Elle est logique, dans la mesure où c'était déjà en commun que nous avions organisé le 27 avril dernier, une table ronde sur la volatilité des prix agricoles avec la participation de six experts.

Notre réunion d'aujourd'hui est le prolongement de cette table ronde. Il nous est apparu nécessaire, au président Emorine et à moi-même, que le Sénat en tire les enseignements et prenne position avant que le G20 n'aborde ces sujets. Et lorsque la Commission de l'économie se sera prononcée définitivement, nous aurons une base pour notre contrôle de l'action du Gouvernement, et une position que nous pourrons communiquer aux autres parlements.

Face à l'instabilité des prix, quelles régulations sont envisageables ? Comment limiter le phénomène et comment limiter ses effets ?

La première voie envisagée est celle de l'encadrement des marchés physiques par la constitution de stocks régulateurs. Cette solution souvent préconisée par les Français a été discutée.

La gestion moderne des entreprises allant vers les flux tendus, l'idée de stocks de régulation a reculé. Plusieurs expériences ont été très négatives et ont entraîné une grande suspicion à l'égard de cette procédure. Dans l'esprit de l'opinion de plusieurs de nos partenaires, le stockage est même l'illustration de ce que la PAC administrée peut faire de pire. Le souvenir de cette époque est cette image désastreuse de « montagnes de beurre » à la fin des années 80 ; immanquablement rappelée à quiconque évoque le retour d'une politique de régulation par le stockage.

Si le stockage devait s'imposer, et j'insiste sur ce point, il devrait plutôt s'appliquer aux pays de consommation pour faire baisser le prix des produits alimentaires, et non aux pays de production.

Enfin, le stockage international pose des quantités de problèmes pratiques : qui paye ? Qui gère les stocks ? Où sont-ils ? Il est presque certain que les États ne s'entendraient pas sur ce sujet.

Tous les intervenants ont donc exprimé leurs doutes sur cette piste préconisée par la France. Il faudra beaucoup d'inventivité pour faire passer cette notion, à travers, par exemple, l'idée de stocks d'urgence, préférable à celle de stocks régulateurs, pratiquement condamnée.

L'autre voie est celle du contrôle des marchés financiers.

L'expérience américaine mérite d'être rappelée et peut donner quelques repères. Aux États-Unis, les marchés agricoles ont 150 ans d'histoire et n'ont cessé de se développer. Le plus grand marché américain de Chicago représente des volumes de transactions considérables. Plus de 100 000 contrats de céréales sont échangés en une journée. A Chicago, l'équivalent de la production annuelle de blé américain s'échange en cinq séances.

Le principal atout d'un marché organisé porte sur la transparence des transactions. Les marchés organisés se distinguent en cela des marchés de gré à gré, des OTC - over the counter - qui ne sont connus que des seules parties contractantes. Le deuxième atout est que, contrairement aux marchés OTC, les marchés organisés imposent de disposer des garanties auprès des chambres de compensation qui s'assurent que le vendeur détient des provisions suffisantes, avant d'opérer sur le marché.

Ces règles sont complétées par un dispositif public d'encadrement. Les deux structures les plus connues sont la CFTC et la DOA.

La CFTC - la Commodity Futures Trading Commission - est une agence indépendante créée en 1974. Elle publie les positions des différents types de traders. Elle applique des limites de position.  Elle dispose d'un pouvoir d'enquête. Elle peut même imposer des limites de variations journalières de prix, voire fermer les cotations. Certains traders américains ont ainsi été conduits à quitter les Etats-Unis pour Londres, où les contraintes étaient moins sévères sur les marchés !

La CFTC a été renforcée par le Dodd Frank Act du 21 juillet 2010. Il vise à encadrer les marchés de gré à gré avec une obligation de compensation. Cette dernière met fin à l'un des intérêts du marché de gré à gré qui permettait aux vendeurs de swap de prendre des positions sans avoir à mobiliser des capitaux, ce qui était provocateur et déstabilisant.

Cette expérience américaine peut être utile aux Européens.

Il est absolument nécessaire de mettre en place une régulation financière des marchés dérivés sur les produits agricoles.

Cela suppose une mobilisation des acteurs agricoles et financiers, un encadrement des intermédiaires agissant sur ces marchés, ainsi qu'une transparence des marchés dérivés qui permette d'avoir une vue d'ensemble sur le fonctionnement des marchés, y compris sur les marchés de gré à gré.

L'amélioration passera aussi par une chambre de compensation qui centralise les options et impose des limites afin que les positions prises sur les marchés dérivés ne soient pas déconnectées des livraisons attendues.

Ces pistes sont régulièrement évoquées. Il faut néanmoins en reconnaître les limites. L'organisation des marchés profite-t-elle aux agriculteurs ou aux places financières ? En outre, pourra-t-on justifier longtemps le maintien d'une dotation annuelle de plus de 50 milliards d'euros à des agriculteurs qui vont consacrer une grande partie de leur travail à surveiller les options et les swaps à Chicago ? Il ne serait pas admissible que l'argent du contribuable aille massivement vers des agriculteurs traders tandis que les éleveurs loin de ces marchés resteraient au bord de la faillite.

Cette évolution posera la question cruciale de l'équité de la PAC. La PAC ne peut se transformer, sans débat, en un complément de revenus pour opérateurs financiers.

Ces questions seront passées en revue lors du G20 des 22 et 23 juin 2011 à Paris.

Cette réunion est un succès français. Le mérite du G20 est d'avoir remis l'agriculture dans l'agenda international. Cette initiative a été très bien perçue par nos partenaires. Cet enthousiasme doit être cependant tempéré. L'accord va probablement se faire sur le plus petit dénominateur commun, sur la transparence des échanges, des productions, des stocks. En revanche, un accord sur les stocks mondiaux est peu probable.

Cette réunion peut permettre de sortir l'agriculture de l'ornière dans laquelle elle est enfermée. Coup sur coup, la volatilité des prix et la nouvelle crise sanitaire ont montré que la sécurité alimentaire en prix, en quantité et en qualité devait être au coeur de la PAC. L'insistance sur la compétitivité et le verdissement ne doivent pas faire oublier que la priorité doit rester sur l'alimentation. Il est temps de revenir à une stratégie agricole. Ce sera sans doute demain le message du G20 et c'est, aujourd'hui, notre appel.

Au vu de ce constat, la proposition de résolution que nous vous présentons aujourd'hui propose au Gouvernement cinq pistes qui pourraient utilement être abordées au sommet du G20 :

- en premier lieu, au niveau européen, la future PAC 2013 devra faire de la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments des objectifs fondamentaux ;

- au niveau international, un certain nombre d'outils devront être mis en place pour pouvoir lutter contre l'instabilité excessive des marchés agricoles ;

- troisième point, ces outils devront accroître de manière significative la transparence de la production et des stocks et permettre un système d'alerte rapide afin de prévenir les crises alimentaires ;

- la transparence sur les marchés dérivés doit être améliorée pour ne pas engendrer de dysfonctionnements sur le marché des produits agricoles ; des règles prudentielles consistant par exemple à exiger que les opérateurs financiers couvrent une fraction de leur position en détenant des stocks devront être mises en place ;

- enfin, la constitution de stocks d'urgence en Europe et de stocks alimentaires stratégiques dans les grandes zones de consommation les plus pauvres pourrait être prévue.

M. Jean-Paul Emorine :

Concernant les stocks, je crois qu'il est important en effet d'éviter de les qualifier de « régulateurs » et de privilégier l'appellation « stock d'urgence » ou « stocks de garantie pour l'alimentation » pour les zones de consommation les plus fragilisées. Cela sera plus compris par l'opinion et nos partenaires de l'Union européenne, réticents à ce concept de régulation administrative. Je voudrais également insister sur l'importance de la réunion du G20 sur cette thématique agricole. Réunir 19 pays, plus l'Union européenne, sur ce thème est une performance qu'il faut saluer.

M. Gérard César :

Cette proposition intervient au bon moment, le timing est parfait. Nous sommes favorables à la transparence au niveau mondial. Des progrès sur ce point seraient déjà considérables. Les difficultés vont arriver en discutant des détails : à quelle hauteur mettre des filets de sécurité, à quelle hauteur fixer les stocks stratégiques ? En revanche, je suis assez réservé sur l'idée de mettre des stocks dans les pays de consommation. Les événements récents dans le monde arabe montrent qu'il y a beaucoup d'instabilité, voire des risques de guerre civile. Installer des stocks dans ces pays, c'est prendre le risque de pillage. Il est utile d'insister sur l'importance des stocks pour les pays consommateurs, mais il serait prudent de les mettre en Europe.

M. Yannick Botrel :

La crise alimentaire s'éloigne, mais attention à ne pas retomber dans un optimisme naïf. La volatilité des prix est un phénomène complexe qui dépend beaucoup de l'aléa climatique, des crises sanitaires, de la spéculation, des décisions publiques, des compétitions nationales qui vont bien au-delà des seules gestions de stocks, puisqu'il y a aujourd'hui une concurrence pour l'achat de terres.

Comme l'a fait le président Emorine, il faut distinguer les différents niveaux d'intervention, communautaire et mondial. L'Union européenne garde une indéniable capacité d'action dès lors que les États manifestent leur volonté d'agir. En cas de crise, les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. Certains États du monde ne se sont pas embarrassés avec cela et le revendiquent ouvertement. L'Europe semble gênée à se positionner clairement. J'en veux pour preuve cette grande prudence vis-à-vis de la régulation. On évite d'employer le mot alors que cela a été au centre des débats pendant plusieurs années.

Je note également une contradiction dans les pratiques : ainsi, avec la technique des marchés à terme, on peut vendre sa récolte à l'horizon de deux ans alors qu'elle est, par définition, très aléatoire, tandis que, dans le même temps, on ne peut stocker ce qui existe ! C'est absurde !

Mme Bernadette Bourzai :

Nous avons été, Odette Herviaux et moi-même, surprises de découvrir, au travers d'une convocation, que nous étions considérées comme co-signataires d'un texte dont nous n'avons pu prendre connaissance que cinq jours après l'envoi de cette même convocation. Cette méthode ne nous paraît pas acceptable, d'autant plus que notre participation à un rapport sur la PAC ne saurait impliquer a priori une collaboration automatique sur toutes les initiatives parlementaires dans le domaine agricole. Même si nous sommes prêtes à débattre du contenu.

La proposition de résolution avance plusieurs pistes dans l'intérêt des producteurs et des consommateurs. Néanmoins, la tonalité générale nous paraît trop défaitiste et pas assez combative. L'influence des marchés financiers sur les produits agricoles paraît acquise, admise. Certaines présentations sont contestables. Tel cet argument selon lequel, je cite, « il n'y avait aucune raison pour que l'agriculture ne suive pas le courant de libéralisation des échanges appliquée globalement avec succès aux produits industriels et aux services ».

Il y a une sorte d'écart entre l'objectif de sécurité alimentaire revendiqué et l'acceptation de la situation actuelle marquée par la percée des marchés financiers. De même, vous relevez justement que le prix mondialisé ne dépend plus de la confrontation entre une offre et une demande alimentaire, et est désormais connecté au prix de l'énergie, sans aller jusqu'au bout de l'argument : pourquoi aurait-on des stocks stratégiques de pétrole et pas de stock alimentaire ?

Pour finir, la fin de l'exposé me semble étriquée, vous vous contentez de demander le minimum. Si le Sénat veut peser, il doit être plus ambitieux. Cette proposition de résolution a minima ne répond qu'imparfaitement aux enjeux du moment.

M. Jean-Paul Emorine :

Nous avons pensé vous associer à cette proposition par courtoisie et parce que nos travaux en commun avaient été, à mon sens, un succès. Mais j'accepte volontiers vos arguments et votre franchise.

M. Marcel Deneux :

Cette proposition de résolution vient au bon moment et j'adhère globalement à l'exposé des motifs et au dispositif. Malgré certains manques. L'examen de ce sujet par le G20 ne doit pas nous exonérer d'une réflexion interne à l'Union. Il me semble qu'un des objectifs de la PAC doit être de sortir l'Union de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur, et de revenir à des règles adaptées à notre situation. Les règles de l'Organisation mondiale du commerce sont inadaptées à l'agriculture et cela doit être rappelé dans les considérants de la proposition. La notion de prix mondial s'applique très mal à l'agriculture, car il y a, en vérité, très peu d'échanges internationaux. L'essentiel des productions est consommé en interne, par grandes zones, et la part des échanges ne porte que sur 4 à 10 % des productions. De surcroît, ce sont souvent des exportations d'excédents dont les prix s'écartent des règles traditionnelles des marchés.

Je pense qu'il faut aller plus loin dans la résolution, notamment concernant les banques. De même que les banques proposent des SICAV sans que personne ne sache vraiment quelles sont les actions concernées, les placements sur les matières premières devraient être détaillés. Il faudrait que les établissements financiers inscrivent leurs positions dans leur bilan. La transparence si justement évoquée dans la proposition ne doit pas concerner les seuls échanges et les stocks, mais doit s'appliquer aussi aux opérateurs financiers qui interviennent sur le marché des matières premières agricoles. Il faut aller jusqu'au bout de la logique de transparence.

M. Michel Bécot :

Les stocks régulateurs sont une garantie et une protection des pays les plus pauvres, afin d'assurer leur sécurité alimentaire. Il faut plus de transparence d'autant plus que les échéances des positions sur les marchés à terme sont lointaines. Quand on se positionne aujourd'hui sur des récoltes à deux ans, on ouvre la voie à la spéculation.

M. Daniel Raoul :

La proposition de résolution devrait rappeler, dans un considérant, le défi alimentaire mondial. Il faut remettre l'alimentation au coeur de la stratégie agricole. Je m'interroge sur l'articulation entre le G20 et la réforme de la PAC. Peut-on parler de volatilité des prix au G20 et rester inerte en Europe, puisqu'aujourd'hui, rien n'est encore annoncé dans le cadre de la PAC ?

Je comprends mal les réticences exprimées par nos deux présidents sur la régulation, alors que tous la demandent. Les marchés à terme sont-ils incompatibles avec la régulation des quantités et des prix ?

J'ajoute qu'il y a une guerre naissante sur les questions agricoles, entre les États-Unis et la Chine. L'Union européenne, absente, compte les points.

M. Gérard Bailly :

Je souhaiterais ajouter un considérant d'actualité. En effet, dès lors que l'aléa climatique est un facteur décisif du prix des productions agricoles, le changement climatique dont nous commençons à voir les effets sur l'agriculture ne peut qu'avoir des conséquences majeures sur les productions et sur les prix. La volatilité des prix sera donc accrue par le changement climatique, et je crois que cela mériterait d'être rappelé dans un considérant.

M. Jean-Paul Emorine :

L'alimentation doit être au coeur de la stratégie agricole. L'enjeu est mondial, on le sait. L'arrivée de la Chine sur ce secteur est un élément capital pour l'agriculture du monde. La Chine a 140 millions d'hectares de surface agricole utile, pour 1,3 milliard d'habitants, alors que la France, par comparaison a 30 millions d'hectares pour 64 millions d'habitants. Nous arrivons à produire tandis que les Chinois ne le peuvent tout simplement pas. Ils sont obligés d'aller chercher ailleurs les terres qu'ils n'ont pas chez eux. Il y aura inévitablement des tensions sur les terres agricoles, et par là, sur les prix.

M. Jean Bizet :

Plusieurs intervenants ont regretté notre prudence sur la régulation et l'idée de stocks régulateurs.

Tout d'abord, il y a une confusion entre stock stratégique et stock régulateur. Le premier est admis et peut être revendiqué. Même s'il y a des problèmes à régler. Où constituer des stocks stratégiques ? J'entends bien les réticences de M. César sur les risques de pillage. Certains évoquent même le risque de corruption. Autant d'arguments qui ne plaident pas, d'ailleurs, en faveur d'une politique de stockage. Je crois tout simplement que ce n'est pas à nous de nous prononcer sur les lieux. Il semble logique que ce soit la FAO qui le fasse.

En revanche, c'est le concept de régulation par les stocks qui fait débat. Nous l'expliquons dans l'exposé des motifs. Certains croient que tous la demandent. Ce n'est pas tout à fait exact. C'est un mot qui fait peur à nos partenaires. Il y a trop de mauvais souvenirs, trop d'appréhensions. Le mot même de régulation est débattu. Ceux qui ont participé à nos travaux en commun avec le Bundestag se souviennent sans doute que nous sommes restés une heure sur ce concept, rejeté par nos amis allemands, pour finalement s'accorder sur un « cadre de régulation ». Il nous semble que nous devons prendre acte de ces réticences, en cherchant à ne pas provoquer inutilement nos partenaires, en proposant de nouveaux concepts, plus fédérateurs. Il y a un combat idéologique derrière le combat des mots. C'est pourquoi nous avons pensé que le concept de stocks d'urgence pouvait passer.

L'achat par la Chine de 56 millions d'hectares est évidemment un signal qui ne peut que nous conforter dans l'idée qu'il faut protéger les terres agricoles. C'est d'ailleurs tout le mérite de votre commission de l'économie d'avoir créé les outils à cet effet dans la LMA.

Je comprends bien aussi vos inquiétudes sur les dérives des marchés à terme. Nous n'approuvons pas cette évolution contrairement à ce que certains pensent. Notre proposition explique le phénomène : dès lors que les produits agricoles ont rejoint les panels de matières premières, les mêmes techniques financières s'y sont engouffrées. Il y avait des marchés à terme sur les matières premières, il y a et il y aura des marchés à terme sur les produits agricoles. Ces marchés sont devenus instables. C'est presque mécanique. Il peut y avoir un jugement moral, mais il y a, au départ, un lien économique qui se décrypte très bien.

Pour répondre à Mme Bourzai, le passage qu'elle cite sur la libéralisation n'était qu'une présentation de ce que la plupart des pays pensaient. La demande de libéralisation était générale, qu'elle vienne des pays d'Amérique du Sud ou de l'OMC. Nous avons d'ailleurs pris nos distances avec cette évolution, en évoquant « la foi, l'aveuglement dans la libéralisation en Europe ».

De même, plusieurs intervenants ont considéré que notre proposition était timide ou a minima. Cela a été rappelé par le président Emorine, nous nous sommes mis dans une stratégie d'alliance, en cherchant le consensus. Bien sûr, nous nous adressons au Gouvernement mais si l'on veut que nos positions soient écoutées par nos partenaires, il nous faut montrer une capacité d'écoute et d'ouverture. Même si cela ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions. Mais il va de soi que tous vos amendements sont bienvenus. C'est le cas de M. Deneux qui veut renforcer les contraintes sur les banques, de M. Raoult qui veut rappeler l'importance du défi alimentaire, de M. Bailly qui veut rappeler le lien entre volatilité des prix et changement climatique. C'est l'objet même d'un examen en deux temps, par les deux commissions ainsi que le prévoit notre règlement. L'examen définitif par la commission de l'économie permettra d'améliorer le texte.

A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante, parue sous le n°579.

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne du 18 novembre 2010 sur la réforme de la politique agricole commune (PAC),

Vu la communication de la Commission européenne du 2 février 2011 « Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières »,

Considérant que l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fixe parmi les objectifs de la PAC des revenus équitables à la population agricole et des prix raisonnables pour les consommateurs,

Considérant que l'instabilité excessive des prix agricoles est dommageable tant aux producteurs qu'aux consommateurs,

Considérant que les réformes de la PAC depuis 1992 ont limité les outils de régulation,

Considérant que la déclaration franco-allemande du 3 février 2011 signée par les délégations du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Bundestag rappelle que la volatilité des prix impose le maintien d'un cadre de régulation,

Invite le Gouvernement :

- à mettre au coeur de la future PAC, dans l'intérêt de tous, les agriculteurs comme les consommateurs européens, les concepts de sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de sécurité sanitaire des aliments ;

- à faire adopter dans le cadre européen et à promouvoir plus largement dans le cadre du G20 un panel d'outils permettant de lutter efficacement contre le fléau de l'instabilité excessive des marchés agricoles ;

- à faire en sorte que ces outils permettent d'améliorer au niveau mondial la transparence de la production et des stocks de matières premières agricoles, actuels et futurs, et de mettre en place des instruments d'alerte rapide pour prévenir les crises ;

- à faire en sorte que ces outils favorisent la transparence sur les marchés dérivés, en particulier les marchés de gré à gré, et permettent une bonne application des règles de régulation des marchés financiers, comme les limites de position, afin de lutter contre la spéculation financière incontrôlée ;

- à prévoir la constitution de stocks d'urgence en Europe, dans le cadre de la PAC, et à favoriser la constitution de stocks alimentaires stratégiques dans les grandes zones de consommation où les populations souffrent structurellement de déficits de couverture de leurs besoins alimentaires.


* Cette réunion est en commun avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.