Mardi 17 janvier 2006

- Présidence de M. Alain Gournac, vice-président, puis de M. Georges Othily, président

Audition de MM. Philippe Leroy, sénateur, président du conseil général de la Moselle, président de la commission « urbanisme et politique de la ville » de l'Assemblée des départements de France, Eric Delzant, directeur général des services du conseil général du Pas-de-Calais, Dominique Delepierre, conseiller du président du conseil général du Pas-de-Calais, et Jean-Michel Rapinat, chef du service social de l'Assemblée des départements de France

La commission d'enquête a d'abord entendu MM. Philippe Leroy, sénateur, président du conseil général de la Moselle, président de la commission « urbanisme et politique de la ville » de l'Assemblée des départements de France, Eric Delzant, directeur général des services du conseil général du Pas-de-Calais, Dominique Delepierre, conseiller du président du conseil général du Pas-de-Calais, et Jean-Michel Rapinat, chef du service social de l'Assemblée des départements de France.

M. Philippe Leroy a observé que la présence en France de mineurs étrangers isolés en situation irrégulière revêtait désormais un caractère permanent, ces mineurs étant toutefois inégalement répartis sur le territoire national.

Il a rappelé qu'une partie d'entre eux était prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance des départements et l'autre par les services de l'Etat. Il a indiqué qu'au total, 25 départements, tout particulièrement ceux de la région Ile-de-France, du Pas-de-Calais et de la Moselle, prenaient en charge chaque année environ 2.500 mineurs et 1.200 jeunes majeurs étrangers en situation irrégulière.

Il a exposé que ces jeunes étaient traités comme les jeunes français mais qu'un grand nombre de départements, à l'instar du département de la Moselle, avaient dû créer des structures spécifiques pour les prendre en charge.

M. Philippe Leroy a ainsi expliqué que 51 mineurs étrangers isolés avaient été présentés au centre départemental de l'enfance de la Moselle en 2005, contre 118 en 2003 et 92 en 2004 : 16 originaires d'Afrique noire, 19 d'Europe de l'Est et 16 d'autres pays (Chine, Afghanistan, pays du Maghreb...).

Il a précisé que ces mineurs représentaient 42 % du nombre total des mineurs présentés au centre, la moitié d'entre eux lui ayant été confiée par les services de police et l'autre moitié par un collectif d'assistance aux demandeurs d'asile.

Il a ajouté que le nombre des jeunes en situation irrégulière excédait parfois les capacités d'accueil du département, que tous n'étaient pas mineurs et que certains, notamment originaires d'Europe de l'Est, avaient un comportement de délinquants.

M. Philippe Leroy a ensuite évoqué les difficultés rencontrées par les départements dans l'exercice de leur compétence.

Il a ainsi déploré l'insuffisance des moyens de contrôle des services de l'aide sociale à l'enfance sur les jeunes qui leur étaient présentés, l'absence d'une procédure d'accueil uniforme sur le territoire national et le manque de coordination entre les services de l'Etat (juge des enfants, juge des tutelles, services sociaux, police) et ceux des départements. Il a appelé de ses voeux l'élaboration de procédures d'accueil plus précises.

M. Philippe Leroy a observé qu'un grand nombre de mineurs présentés aux services de l'aide sociale à l'enfance quittaient les structures départementales dans le délai de cinq jours suivant leur accueil en urgence et précédant la saisine de l'autorité judiciaire, délai qu'il a défini comme une période de « no man's land juridique ».

Il a déploré que le juge des tutelles considère le département comme responsable des mesures d'assistance éducative, alors que celles-ci étaient décidées par le juge des enfants.

Il a rappelé qu'à leur majorité, les jeunes étrangers en situation irrégulière relevaient de la responsabilité de l'Etat. Il a indiqué que les départements s'efforçaient de les orienter vers des structures d'accueil des étrangers adultes mais que, rien n'étant prévu en la matière, tout dépendait de la bonne entente entre les services de l'aide sociale à l'enfance et ceux de l'Etat, les solutions variant d'un département à l'autre. A titre d'exemple, il a précisé que le département de la Moselle proposait aux jeunes étrangers devenus majeurs et ayant montré leur volonté d'intégration un contrat « jeunes majeurs » aux termes duquel il contribuait au financement de leur formation.

M. Philippe Leroy a souligné la difficulté d'évaluer le coût global de la prise en charge des mineurs étrangers en situation irrégulière. Il a indiqué que, dans le département de la Moselle, le coût de l'hébergement et des mesures d'assistance éducative était estimé à 150 euros par jour et par mineur, soit un total de 4 millions d'euros par an, hors frais de structures.

En conclusion, il a indiqué que l'Assemblée des départements de France n'avait pas de position officielle sur la question de l'immigration irrégulière mais entendait se montrer solidaire des départements d'outre-mer, confrontés à des difficultés particulières.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur l'origine des mineurs étrangers en situation irrégulière et sur les filières ayant permis leur arrivée en France. Il a exprimé la crainte qu'un grand nombre de jeunes filles ne soient victimes de réseaux de prostitution.

M. Philippe Leroy lui a répondu qu'aucune étude nationale n'avait été réalisée sur l'origine des mineurs étrangers. Il a précisé qu'en 2005, les jeunes filles représentaient 22 % des mineurs étrangers pris en charge par le centre départemental de l'enfance de la Moselle, soit 9 mineurs sur 39, et que toutes étaient d'origine congolaise ou angolaise.

Il a observé que les mineurs d'origine africaine rencontraient moins de difficultés d'intégration que les mineurs en provenance de pays d'Europe orientale en raison de leur connaissance de la langue française.

Précisant que les filières de cette immigration n'étaient guère connues, M. Philippe Leroy a souligné que, dans le département de la Moselle, les fiches établies par les services de police étaient extrêmement succinctes et ne permettaient de connaître ni l'origine ni le parcours des mineurs. Il a observé que le collectif d'assistance aux demandeurs d'asile fournissait au conseil général davantage d'informations.

M. Eric Delzant a prié les membres de la commission d'enquête de bien vouloir excuser le président du conseil général du Pas-de-Calais, empêché. Il a expliqué que ce département était confronté à une situation particulière liée à l'afflux d'étrangers désirant se rendre au Royaume-Uni et à la création du centre de Sangatte, fermé en 2002.

Après avoir souligné que la quasi-totalité des mineurs étrangers isolés était concentrée à Calais, il a exposé que le nombre des mineurs pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département avait connu un pic en 2002, pour atteindre 525, avant de diminuer à 315 en 2004. Il a toutefois observé une nouvelle hausse de ce nombre en 2005, qui s'est élevé à 332.

M. Eric Delzant a indiqué que l'origine des mineurs variait selon les périodes, la ville de Calais connaissant des flux en provenance tantôt d'Europe centrale et orientale, tantôt du Moyen Orient ou d'Afrique. Il a ajouté que les services départementaux ignoraient les filières de cette immigration.

M. Eric Delzant a relevé tout à la fois la grande volatilité de la présence des mineurs étrangers dans les structures départementales et la volonté d'un grand nombre d'entre eux d'obtenir un titre de séjour. Il a ajouté que certains, le plus souvent d'origine asiatique, suivaient des études et s'engageaient dans de véritables parcours d'insertion, tandis que d'autres ne songeaient qu'à fuir leur structure d'accueil.

M. Eric Delzant a insisté sur l'engagement humain et financier du département du Pas-de-Calais dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés. Il a ainsi expliqué qu'une cellule d'accueil et d'orientation avait été créée et que le coût de cette prise en charge s'était élevé à 3,6 millions d'euros en 2005 ce qui correspondait, pour le département, à un point de fiscalité, le montant total des dépenses de l'aide sociale à l'enfance ayant atteint 167 millions d'euros.

Enfin, M. Eric Delzant a déclaré que, selon le conseil général du Pas-de-Calais, les mineurs étrangers isolés devraient être pris en charge par l'Etat, au titre de sa compétence en matière d'immigration, et non par les départements, au titre de leur compétence en matière d'aide sociale à l'enfance.

A la demande de Mme Catherine Tasca, M. Dominique Delepierre a précisé que les mineurs étrangers en situation irrégulière pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance pouvaient, à leur majorité, faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière. Il a ajouté qu'une circulaire de M. Dominique de Villepin, alors ministre de l'intérieur, avait cependant invité les préfets à faire preuve de tolérance et à délivrer des titres de séjour aux jeunes étrangers en situation irrégulière ayant montré leur volonté d'intégration dans la société française. Il a toutefois souligné la fragilité de la base juridique de cette politique.

M. Bernard Frimat a déclaré qu'il serait regrettable que les efforts importants consentis par les départements pour prendre en charges les mineurs étrangers isolés en situation irrégulière fussent ensuite réduits à néant par des mesures de reconduite à la frontière décidées par l'Etat. Il a rappelé qu'à Lyon, une délégation de la commission d'enquête avait été informée par les services du conseil général du Rhône que nombre de jeunes pris en charge par le département fuguaient peu de temps avant leur majorité. Par ailleurs, il a souhaité savoir si les services de la protection maternelle et infantile des départements prenaient en charge les jeunes enfants d'étrangers en situation irrégulière.

M. Philippe Leroy a souligné que les agents des services de l'aide sociale à l'enfance n'étaient pas indifférents au sort des mineurs dont ils avaient eu la charge. Il a rappelé que le département de la Moselle proposait aux jeunes devenus adultes des contrats « jeunes majeurs » pour les aider à achever leur formation mais que leur sort était entre les mains de l'Etat. Il a qualifié de « bancal » ce dispositif reposant sur la bonne volonté des uns et des autres. Enfin, il a précisé que les services départementaux de la protection maternelle et infantile n'avaient pratiquement jamais à prendre en charge des mineurs étrangers dans la mesure où les enfants de moins de trois ans étaient généralement accompagnés par leurs parents et, comme eux, étaient pris en charge par les services de l'Etat.

M. Eric Delzant a précisé, pour sa part, qu'il n'y avait pratiquement pas eu de familles avec des enfants en bas âge à Sangatte.

M. Dominique Delepierre a souligné que la durée moyenne de séjour des mineurs étrangers isolés en situation irrégulière dans les structures du département du Pas-de-Calais était de 2,5 jours.

M. Philippe Leroy a confirmé qu'il en était de même en Moselle, la plupart des jeunes restant moins de 5 jours dans les structures du département. Il a indiqué que 42 jeunes bénéficiaient d'un contrat « jeune majeur ».

M. Jean-Michel Rapinat a précisé que, même si les cas étaient rares, les mineurs étrangers de moins de trois ans en situation irrégulière arrivant en France avec leurs parents étaient effectivement pris en charge administrativement par l'Etat mais que les dépenses correspondantes étaient finalement supportées par les départements.

Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères

La commission a ensuite entendu M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, a souligné que les services de son ministère, et plus particulièrement les services consulaires, jouaient un rôle essentiel dans la prévention de l'immigration illégale mais aussi dans l'accompagnement des étrangers que le gouvernement souhaitait accueillir sur le territoire national.

Rappelant que la maîtrise de l'immigration était une des priorités du Gouvernement et que le Premier ministre avait souligné, à l'issue du Comité interministériel de lutte contre l'immigration (CICI) du 29 novembre 2005, la nécessité d'une politique de l'immigration globale et choisie, il a observé que le contexte de la mondialisation rendait l'action du Gouvernement particulièrement complexe et impliquait à la fois de maîtriser l'accès au territoire français et de concourir à l'attractivité de la France pour les personnes que le Gouvernement souhaite voir travailler ou étudier en France ainsi que pour celles qui visitent notre pays en qualité de touristes.

Il a affirmé que le ministère des affaires étrangères était pleinement mobilisé pour mettre en oeuvre cette politique, dont plusieurs aspects étaient au coeur de ses attributions : la politique de visas ; l'éloignement des étrangers ; le contrôle des mariages à l'étranger ; la politique de l'asile ; les défis d'une politique européenne et d'un dialogue sur les migrations.

M. Philippe Douste-Blazy a indiqué que le réseau diplomatique et consulaire de la France était aux avant-postes de la politique migratoire en France, la délivrance des visas constituant la voie d'entrée normale, pour un certain nombre de nationalités, des étrangers en France. Il a précisé que les postes consulaires avaient pour instruction de faciliter la venue des ressortissants étrangers qui concourent à la vitalité des relations bilatérales de leur pays avec la France ou qui ont avec elle des attaches fortes. Il a souligné que le nombre de visas délivrés à des étudiants étrangers avait augmenté de plus de 10 % entre 2001 et 2004 et que le CICI avait décidé de nouvelles mesures pour favoriser la venue d'un plus grand nombre d'étudiants de haut niveau.

Il a relevé que les postes consulaires se montraient vigilants dans l'instruction des demandes de visas, précisant que le nombre de visas délivrés était stable depuis trois ou quatre ans et que l'exigence, depuis le 1er janvier 2003, du paiement préalable des frais de dossier s'était traduite par une baisse de la demande de visas et du taux de refus de ces derniers, qui s'élevait à 15 %. Il a indiqué qu'en 2005, plus de 200 postes consulaires et 750 agents avaient instruit quelque 2,4 millions de demandes et délivré 2 millions de visas, ce qui correspondait à 20 % du total des visas délivrés par l'ensemble des partenaires de l'espace Schengen.

Il a mis l'accent sur l'introduction de données biométriques dans les visas, autorisée par la loi du 26 novembre 2003 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, précisant que cette mesure préfigurait la création d'une base de données européenne (VIS) devant permettre, à partir de 2008, l'échange d'informations en temps réel sur les délivrances et les refus de délivrance de visas dans l'ensemble des postes consulaires des pays partenaires. Il a précisé qu'une expérimentation avait été lancée en mars 2005, sous le nom de BIODEV, dans cinq consulats (Bamako, Colombo, Minsk, San Francisco et Annaba) et serait étendue en 2006 à trente autres postes en fonction des moyens budgétaires, avant sa généralisation en 2008.

M. Philippe Douste-Blazy a indiqué que, afin de développer l'attractivité de la France, des centres d'études en France (CEF) avaient été créés dans les trois pays du Maghreb, au Vietnam et au Sénégal, qui délivraient des visas étudiants tout en assurant une préinscription des demandeurs dans un établissement d'enseignement supérieur français. Il a précisé que ces centres, inspirés du centre d'évaluation linguistique et académique (CELA) mis en place en Chine en 2003, seraient étendus à une douzaine de nouveaux pays en 2006, estimant qu'à terme près de 70 % des étudiants étrangers demandeurs de visas se verraient appliquer cette procédure avant son éventuelle généralisation.

Il a souligné que le développement des CEF s'accompagnait de mesures destinées à faciliter l'installation en France des étudiants de haut niveau, le CICI ayant décidé que les étudiants passés par les CEF obtiendraient un visa de long séjour pour études qui les dispenseraient de se rendre en préfecture pour obtenir leur titre de séjour l'année de leur arrivée en France.

Il a souhaité souligner que le lien entre la délivrance de visas et l'immigration irrégulière était assez ténu. Il a en effet expliqué que la France ne délivrait que 20 % des visas Schengen et que les étrangers avaient dans près de 80 % des cas accès au territoire français grâce à un visa délivré par un autre Etat de l'espace Schengen. Il a ensuite noté que, selon les statistiques de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), moins de 15 % des demandeurs d'asile entraient sur le territoire munis d'un visa. Il a précisé, en outre, que quarante-trois nationalités n'étaient pas soumises à l'obligation de visa pour venir en France, alors que certaines d'entre elles occasionnaient de réelles difficultés en matière d'immigration ou d'asile. Il a enfin déclaré que 21 % seulement des personnes éloignées du territoire français s'étaient vues accorder un visa par un consulat français.

M. Philippe Douste-Blazy a observé que l'évolution du contexte international devait conduire à privilégier le renforcement de la coopération entre les pays européens et la mutualisation des moyens, l'objectif devant être, à terme, la création de consulats européens chargés de délivrer les visas pour l'ensemble des Etats de l'espace Schengen.

Abordant ensuite le problème de la fraude et des détournements de procédure, M. Philippe Douste-Blazy a indiqué qu'en 2005, le mariage avec un ressortissant français constituait la première source d'immigration légale en France, constatant une augmentation de plus de 100 % de ces mariages depuis 1996.

Il a souligné que la fraude consistant à obtenir le droit au séjour ainsi que l'accès quasi-automatique à la nationalité française par le biais du mariage prenait la forme de mariages de complaisance ou de mariages forcés, notant que les mariages mixtes célébrés à l'étranger représentaient 28 % du total des mariages célébrés ou transcrits dans l'état civil français. Il a mis en exergue le fait que l'augmentation de ces mariages était particulièrement marquée pour les ressortissants d'Etats à partir desquels s'exerçait une forte pression migratoire, le nombre de ces mariages ayant augmenté de 487 % dans les Etats du Maghreb et de 656 % en Turquie. Il a indiqué que le nombre de mariages entre un ressortissant français et un étranger s'était élevé à 90.000 en 2003, la moitié d'entre eux ayant été célébrés à l'étranger.

M. Philippe Douste-Blazy a précisé qu'il avait proposé au garde des sceaux que la transcription en France des actes de mariages conclus à l'étranger soit subordonnée à des contrôles de l'autorité consulaire et éventuellement des autorités judiciaires françaises et ne vaille plus mécaniquement titre de séjour, mesures qui ont été retenues lors de la réunion du CICI du 29 novembre 2005. Il a indiqué que celui-ci avait également décidé de resserrer le dispositif actuel d'accès à la nationalité par déclaration, en allongeant de deux ans la durée minimale de communauté de vie. Il a noté qu'un dispositif plus radical consisterait, à l'instar de la plupart des pays européens, à mettre en place au bénéfice des conjoints de Français une procédure spécifique de naturalisation par décret, mais qu'il n'avait pas été retenu à ce stade.

Sur le sujet de la fraude communautaire, M. Philippe Douste-Blazy a constaté qu'à l'appui d'une demande de visa, de regroupement familial ou de certificat de nationalité française, étaient souvent produits des actes d'état civil falsifiés ou frauduleux, délivrés avec la complicité des autorités locales compétentes, ainsi que des jugements supplétifs ou rectificatifs concernant des naissances ou des filiations fictives et des reconnaissances mensongères d'enfants : en Afrique notamment, le taux d'actes faux ou frauduleux peut dépasser 90% des actes présentés à nos consulats.

Il a estimé que, pour lutter contre cette fraude documentaire, il convenait de réformer l'article 47 du code civil relatif à la validité des actes d'état civil étrangers. Il a indiqué que le CICI avait souhaité que l'administration dispose d'un délai de 8 mois pour statuer et que, en cas de refus, soit laissé au demandeur, concurremment avec l'administration, le soin de produire les éléments de nature à forger la conviction du juge, ajoutant qu'il s'agissait là d'une première réponse n'excluant pas d'engager une réflexion sur le recours à des tests ADN, comme dans d'autres pays européens, en cas de doute sur les filiations invoquées. Il a néanmoins souligné que la véritable réponse à la fraude documentaire résidait dans la mise en place par les pays concernés d'un état civil digne de ce nom, aidés en ce sens par la politique d'aide au développement menée par la France.

Sur l'éloignement, M. Philippe Douste-Blazy a jugé que le choix d'une politique globale de l'immigration impliquait le renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière et, par voie de conséquence, une politique de retours forcés humaine mais déterminée. Rappelant que la France compterait entre 200.000 et 400.000 clandestins, il a indiqué que près de 20.000 reconduites à la frontière avaient été réalisées en 2005, depuis la métropole, alors que la France avait expulsé 16.000 étrangers en situation irrégulière sur son territoire en 2004, l'objectif du gouvernement étant d'atteindre 25.000 reconduites en 2006.

Il a souligné que les procédures de reconduite n'étaient pas toujours couronnées de succès, la personne interpellée pouvant saisir le juge, tout au long de la procédure d'expulsion, pour demander l'annulation de la décision prise à son encontre par l'autorité préfectorale, et les délais de la rétention administrative étant en France parmi les plus courts d'Europe, soit 32 jours au maximum.

Notant qu'un étranger sur le point d'être reconduit refusait en général de coopérer, affirmait fréquemment qu'il avait perdu son passeport et n'hésitait pas à mentir sur sa nationalité, il a jugé indispensable la collaboration des ambassades et des consulats étrangers pour qu'ils reconnaissent leurs ressortissants et délivrent des laissez-passer consulaires. Or, certains Etats refusent de reconnaître leurs nationaux, ce qui est une des principales causes d'échec à l'exécution des mesures d'éloignement. M. Philippe Douste-Blazy a indiqué que, dans ce contexte, le CICI avait décidé, le 27 juillet 2005, de notifier à ces pays un préavis de trois mois avant la mise en oeuvre de mesures restrictives dans la délivrance des visas.

Il a indiqué que douze pays avaient ainsi été placés sous surveillance (Egypte, Guinée, Géorgie, Serbie Monténégro, Soudan, Tunisie, Maroc, Biélorussie, Inde, Pakistan, Cameroun et Mauritanie) et avaient fait l'objet entre septembre et décembre 2005 de plusieurs démarches diplomatiques. Il a noté, pour s'en féliciter, que plusieurs d'entre eux avaient fait preuve d'une grande réactivité et délivraient désormais plus facilement des laissez-passer consulaires.

Il a indiqué qu'il disposerait prochainement d'un bilan, établi pays par pays, sur le taux de délivrance des laissez-passer consulaires pour les derniers mois de l'année 2005. Il a expliqué que, pour les pays les moins coopératifs, il n'excluait pas de demander, le cas échéant, le rappel des fonctionnaires consulaires ou diplomatiques étrangers qui persisteraient à traiter cette question avec désinvolture, voire avec la volonté délibérée de faire échec à ces mesures de reconduite à la frontière.

Evoquant la réforme de l'asile opérée par la loi du 10 décembre 2003, M. Philippe Douste-Blazy a salué le succès des nouvelles procédures mises en place, soulignant la diminution du nombre des demandes d'asile, leur traitement plus rapide, ainsi que la garantie désormais offerte contre les persécutions et les menaces qui émanent d'autorités ou de groupes non étatiques et la protection subsidiaire accordée à certaines personnes encourant des risques graves mais ne pouvant être reconnues comme réfugiées au titre de la Convention de Genève, qui constituait une avancée majeure du droit d'asile.

Il a précisé que le délai total de traitement des demandes d'asile, qui était supérieur à dix-huit mois avant la réforme, était actuellement inférieur à huit mois, l'OFPRA étant devenu le « guichet unique » pour tous les demandeurs d'asile et la Commission des recours des réfugiés (CRR) étant la seule juridiction compétente pour traiter des recours contre les décisions de l'OFPRA.

Il a souligné que d'importants moyens financiers et humains avaient été mis en oeuvre afin d'atteindre l'objectif de traitement des demandes d'asile en six mois, relevant que la subvention annuelle de fonctionnement de l'OFPRA et de la CRR avait été portée de 34,5 millions d'euros en 2003 à 52,1 millions d'euros en 2005 mais qu'elle serait ramenée, pour 2006, à 49 millions d'euros afin de tenir compte de la baisse de la pression en matière d'asile. Il a indiqué que les effectifs de la CRR étaient passés de 140 en 2002 à près de 400 en 2005, l'essentiel des recrutements ayant concerné 125 agents contractuels, embauchés pour un an afin de gérer le stock de demandes d'asile accumulé au cours des années récentes. Il a précisé qu'alors que le nombre de recours déposés en 2005 s'était élevé à 37.786, la juridiction avait rendu 62.262 jugements dans l'année, ce qui avait permis de réduire le stock de dossiers en instance de 45.000 fin 2004 à environ 22.000 au 31 décembre 2005.

M. Philippe Douste-Blazy a constaté que la France restait le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile mais que les demandes baissaient dans les mêmes proportions que dans les autres Etats européens, et avaient diminué de 27 % entre 2003 et 2004, passant de 90.000 à 65.600. Il a souligné que cette baisse s'était poursuivie en 2005, l'OFPRA ayant reçu, selon les données provisoires disponibles, 59.455 demandes, soit 9,4 % de moins qu'en 2004. Il a précisé que pour les demandes nouvelles, au nombre de 43.100, cette baisse était de 14,7%.

Il a souligné que la composition de la demande d'asile s'était sensiblement modifiée en 2005, les ressortissants d'Haïti figurant désormais en tête avec une augmentation du nombre de dossiers déposés de 76%, représentant 5.145 demandes. Il a précisé que, pour traiter cette demande, une antenne permanente de l'OFPRA avait été installée en Guadeloupe et que des audiences de la CRR seraient organisées en 2006 dans ce département d'outre-mer. Il a indiqué que les autres nationalités les plus représentatives étaient les Turcs (3.571 demandes), les Chinois (2.657), ainsi que les ressortissants de Serbie-Monténégro (2.597) et de la République démocratique du Congo (2.566).

Le ministre a précisé que des adaptations de nature non législative avaient également permis d'améliorer les procédures, telle la définition, en juin 2005, par le conseil d'administration de l'OFPRA, d'une liste de douze pays d'origine sûrs, sur la base d'une enquête menée auprès des ambassades et d'un travail des services du ministère des affaires étrangères. Il a souligné que les demandes des ressortissants de ces douze pays, traitées désormais prioritairement, étaient depuis en diminution de 62%. Il a également indiqué que, dans le cadre du CICI, il avait été chargé de ramener, par voie réglementaire, d'un mois à quinze jours le délai imparti pour contester les décisions de l'OFPRA devant la CRR, afin d'harmoniser ce délai avec celui accordé dans d'autres Etats européens, tels le Royaume Uni, l'Allemagne et l'Autriche, qui ont des délais de 10 à 15 jours.

M. Philippe Douste-Blazy a estimé que l'ampleur des phénomènes d'immigration nécessitait une réponse impliquant les pays d'origine et de transit des migrants, soulignant que la France s'efforçait d'être en ce domaine une force de proposition et d'initiative au niveau européen et mondial et que le ministre des affaires étrangères s'attachait à promouvoir un dialogue global, en particulier avec les pays d'Afrique sub-saharienne, et à mettre en avant des projets concrets de coopération.

Il a indiqué que l'action de la France tendait à concilier la logique de l'attractivité et celle du développement, rappelant que l'aide publique au développement, en constante augmentation, était passée de 5 milliards d'euros en 2001 à 8,2 milliards d'euros pour 2006 et que le Président de la République avait pris l'engagement de porter cette aide à 0,5 % du revenu national brut en 2007 et à 0,7 % en 2012.

Il a affirmé que la politique de conduite en matière d'aide au développement devait davantage tenir compte de la nécessité de développer nos relations avec les pays d'origine et de transit de l'immigration illégale et qu'il convenait de poursuivre une approche incitative prévoyant des contreparties pour nos partenaires, indiquant qu'une telle approche était partagée par les autres Etats européens. Il s'est déclaré convaincu que l'aide au développement devait se concentrer sur les projets susceptibles de retenir les populations dans les régions dont sont originaires les candidats à l'émigration et a mis en avant l'importance des initiatives prises lors du sommet Afrique-France récemment tenu à Bamako. Il a indiqué que parmi les projets retenus, le principe d'une action du Fonds de solidarité prioritaire portant sur les diasporas scientifiques, techniques et économiques avait déjà été adopté : il prévoit une conditionnalité entre les bourses offertes par le Gouvernement français et l'engagement de retour des attributaires dans leurs pays, afin que les formations qu'ils auront reçues bénéficient aux pays dont ils sont originaires.

M. Philippe Douste-Blazy a annoncé que le co-développement serait une priorité de l'action du ministère des affaires étrangères en 2006, avec l'objet d'inciter les migrants venant en France à participer à des actions d'aide au développement en faveur de leur pays d'origine, qu'ils soient disposés à y investir pour promouvoir des activités productives ou des projets sociaux, ou qu'ils souhaitent le faire profiter de leurs compétences ou de leurs réseaux de relations. Il a souligné l'intérêt d'une telle action alors que les migrants rapatrient dans leur pays d'origine des sommes d'un montant total supérieur à celui de l'aide publique au développement et ont souvent atteint un niveau de qualification élevé dans des domaines où leur pays souffre de manques graves.

Le ministre a souligné en conclusion que la France s'efforçait d'être une force de proposition et d'initiative au niveau européen pour favoriser la mise en oeuvre d'une véritable stratégie sur les migrations en provenance d'Afrique. Il a rappelé que, dans cette perspective, il avait réuni à l'automne 2005, à Toulouse, les ministres des Etats européens du nord de la Méditerranée pour examiner le dossier de l'immigration, tandis que la France avait accueilli, au mois de novembre 2005, la conférence ministérielle du dialogue « 5 + 5 » pour évoquer les migrations en Méditerranée occidentale. Il a enfin relevé que la France avait contribué, avec l'Espagne et le Maroc, à la relance du volet consacré à l'immigration au sein du processus de Barcelone, à l'occasion du dixième anniversaire du partenariat euro-méditerranéen, en novembre 2005. Il a affirmé qu'elle soutenait le projet de conférence euro-africaine sur les migrations qui devrait permettre, en 2006, de mener une réflexion commune sur ces problèmes.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, soulignant que de nombreux étrangers pénétraient sur le territoire français avec des visas de tourisme d'une durée de validité limitée, a souhaité savoir s'il était possible de contrôler la réalité de leur sortie du territoire.

M. Philippe Douste-Blazy a souligné que de tels contrôles n'étaient envisageables que si la date d'entrée de l'étranger sur le territoire était préalablement enregistrée. Il a indiqué que le CICI du 27 juillet 2005 avait, dans cette perspective, décidé la mise en place d'un dispositif de lecture optique des visas à l'entrée et à la sortie des étrangers sur le territoire de la Réunion, précisant que la question du contrôle des entrées et sorties du territoire relevait de la compétence du ministère de l'intérieur.

Mme Alima Boumediene-Thiery a jugé qu'il existait une contradiction entre la volonté d'apporter une aide au développement des Etats d'origine des immigrés et celle de choisir d'attirer en France les meilleurs d'entre eux. Elle s'est étonnée que le ministre puisse disposer de chiffres sur la fraude documentaire qui, par nature, reste difficilement quantifiable. Elle s'est inquiétée de la politique de délivrance de visas menée par certains consulats, estimant scandaleux que l'on puisse voir dans chaque demandeur de visa un immigrant clandestin potentiel et soulignant que les demandeurs de visas étaient souvent traités de façon inhumaine. Elle a estimé qu'il conviendrait de délivrer des visas à entrées et sorties multiples, relevant que la délivrance de visas à entrée unique poussait souvent leur titulaire à ne pas quitter le territoire français de peur de ne pouvoir y revenir.

M. Philippe Douste-Blazy a souligné que la communautarisation de la politique des visas ne permettait pas la délivrance de visas à entrées multiples. Il a indiqué que les chiffres relatifs à la fraude documentaire résultaient d'enquêtes menées sur le terrain.

Reconnaissant que la situation de certains pays d'origine était catastrophique et qu'il n'était pas envisageable de laisser se creuser l'écart de développement entre les pays du nord et ceux du sud, il a souligné qu'il n'était pas possible d'empêcher des personnes originaires de ces pays de migrer vers le nord et qu'il était tout aussi impossible de les accueillir toutes, ce qui serait de nature à exacerber les réflexes racistes et xénophobes. Il a estimé qu'une solution pourrait être d'instituer des mécanismes d'alerte, notamment pour prévenir les conséquences des catastrophes naturelles dans les pays d'origine.

Afin d'assurer le développement de ces pays, il a estimé qu'il serait souhaitable de disposer d'un outil financier euro-africain. S'agissant du choix des candidats à l'émigration, il a jugé nécessaire qu'une fois formées, ces élites puissent revenir dans leurs pays d'origine, ces derniers ne pouvant se développer sans la présence notamment d'ingénieurs ou de médecins. Il a souligné que la croissance existait en Afrique et qu'il fallait considérer cette dernière comme un véritable partenaire.

M. Jean-Paul Virapoullé a estimé que la politique de libre-échangisme actuelle ne profitait qu'aux pays d'Asie et aux Etats-Unis, mais non à l'Europe. Il a relevé que l'Inde et la Chine formaient chacune, chaque année, plus de 300.000 ingénieurs. Il a souligné que l'Afrique avait été livrée au pillage et qu'il conviendrait de la laisser se développer, relevant notamment les difficultés rencontrées dans la filière du coton alors que les cotonniers américains bénéficiaient de larges subventions. Il a regretté que des technocrates siégeant à l'Organisation mondiale du commerce ou à la Banque mondiale définissent eux-mêmes les conditions du commerce et du développement mondial, souhaitant la mise en place de quotas au profit des productions africaines afin d'en assurer l'écoulement sur le marché mondial.

Evoquant le cas de La Réunion, il a souligné les entraves au développement économique et technologique résultant du fait que les investisseurs étrangers venant d'Inde, de Chine ou d'Afrique du Sud ne pouvaient se rendre facilement dans ce département d'outre-mer faute de pouvoir obtenir des visas rapidement et sans difficulté. Il a mis en avant les problèmes créés par l'absence d'état civil aux Comores, les Comoriens venant à Mayotte obtenir des faux papiers, ce qui posait la question de savoir si les maires devaient inscrire ces personnes sur leurs listes. Il a estimé qu'à Mayotte, territoire français, les mariages devraient être célébrés par des officiers d'état civil et non par des cadis.

M. Philippe Douste-Blazy a souligné que les services consulaires faisaient un travail remarquable mais qu'il souhaitait faire une évaluation des conditions de l'accueil des demandeurs, cet accueil étant essentiel pour l'image de notre pays.

Il a considéré qu'il n'y avait pas de déclin européen, relevant l'importance des activités à forte valeur ajoutée telles que l'aéronautique, mais a estimé qu'il conviendrait de favoriser plus encore les investissements en matière de recherche dans les nouvelles technologies.

S'agissant de la filière du coton, il a indiqué que la France s'était battue pour qu'une politique spécifique soit menée et que la politique agricole commune (PAC) soumettait l'importation de ce type de produit à des droits de douanes très faibles, ce qui permettait à environ 85 % des produits agricoles d'Afrique de parvenir sur le territoire communautaire. Il s'est dit déçu par la position des pays africains lors du cycle de Doha à l'OMC, estimant que ceux-ci auraient dû davantage soutenir les thèses défendues par l'Union européenne. Il a jugé que l'action de l'OMC était en tout état de cause nécessaire afin que les relations commerciales internationales ne soient pas livrées à la « loi de la jungle ».

Il a estimé le développement des Etats d'origine des immigrants d'autant plus nécessaire que les organisations terroristes profitaient souvent de la pauvreté et du désespoir de l'Afrique sub-sahélienne pour essayer de recruter dans les pays appartenant à cette zone géographique.

Il a annoncé que, dans les consulats, des guichets spécifiques seraient prochainement mis en place pour les hommes d'affaires, qui pourraient ainsi se voir délivrer des visas de longue durée.

Mme Catherine Tasca a estimé que l'image de la France à l'étranger était ternie par la façon avec laquelle étaient traités les demandeurs de visas. Elle a souhaité que soient instituées des listes de personnes, tels des scientifiques et des acteurs économiques, dont les allers et retours entre leur pays d'origine et la France seraient facilités. Elle a suggéré la création d'un livret ou d'un carnet de visas permettant des entrées et sorties multiples du territoire français.

Elle s'est réjouie de l'approche macroéconomique retenue par le ministre, jugeant qu'elle contrastait avec celle exposée par le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission d'enquête et elle a souhaité savoir si le projet de loi sur l'immigration, en partie divulgué dans la presse, serait soumis au Parlement avant la fin des travaux de la commission d'enquête.

M. Philippe Douste-Blazy a souligné que les consulats avaient déjà mis en place des procédures de traitement spécifique des demandes de visas émanant d'hommes d'affaires ou de scientifiques. Il a indiqué qu'était en cours de développement la création de « visas de circulation » dont la validité pourrait aller jusqu'à cinq ans. Il a annoncé que, pour inciter au co-développement, l'étranger qui retournerait dans son pays après son séjour en France pourrait obtenir un visa lui permettant de revenir sur le territoire français.

Il a précisé qu'il n'existait pas, à ce stade, de calendrier précis pour le dépôt du projet de loi sur l'immigration au Parlement, mais que les services de son ministère avaient des échanges nombreux et réguliers avec ceux du ministère de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Cantegrit a relevé que les conditions d'accueil des demandeurs de visas dans les postes consulaires avaient été dénoncées lors du congrès de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), en septembre 2005. Il s'est félicité que le ministère des affaires étrangères ait tenu compte des demandes de l'AFE et ait amélioré cet accueil. Il a néanmoins souligné que la fermeture de certains consulats rendait plus difficile la délivrance de visas, évoquant particulièrement le cas du consulat de Port-Gentil au Gabon.

Rappelant qu'une délégation de la commission d'enquête s'était rendue la semaine précédente en Guyane, M. François-Noël Buffet, rapporteur, a indiqué que la situation juridique actuelle du fleuve Maroni rendait difficile l'exercice de contrôles en matière d'immigration. Il a souhaité savoir si une évolution du statut de ce fleuve était envisageable.

M. Philippe Douste-Blazy a souligné que la pression migratoire qui s'exerçait sur la Guyane avait rendu nécessaire la conclusion d'accords de réadmission avec les Etats voisins dont étaient originaires les immigrants clandestins. Il a indiqué qu'un tel accord avait été conclu avec le Surinam en novembre 2004 et que des négociations étaient en cours avec le Guyana, la Dominique et la Barbade. Il a ajouté que des projets d'accords du même ordre seraient également soumis prochainement à la République Dominicaine et à Haïti.

Il a souligné que la conclusion de tels accords impliquait des contreparties au profit des Etats contractants, certains souhaitant notamment bénéficier en retour d'accords de libre circulation pour leurs ressortissants. Il a néanmoins précisé que ces derniers suscitaient une certaine réticence de la part des ministères de l'intérieur et de l'outre-mer.

Après avoir regretté que la France n'envoie plus de coopérants dans les pays en voie de développement, dont l'action pourrait favoriser le développement de l'activité locale et atténuer ainsi la pression migratoire sur la France, M. Georges Othily, président, a souligné la spécificité de la situation de Saint-Martin, qui fait face à un afflux considérable d'immigrés et doit accéder prochainement à un nouveau statut. Il a indiqué que cette situation provenait en grande partie de la partition de l'île et de l'absence de frontière clairement matérialisée entre la partie hollandaise, rattachée aux Antilles néerlandaises, et la partie française. Il a souhaité savoir si une évolution des relations entre les deux parties de l'île était envisagée conjointement avec l'adoption du nouveau statut.

M. Philippe Douste-Blazy a indiqué que plusieurs ministères travaillaient sur le projet de statut de cette collectivité et qu'une réponse écrite faisant le point sur ce sujet serait rapidement fournie à la commission d'enquête. Sur la question des coopérants, il a relevé que la Chine et les Etats-Unis étaient de plus en plus présents en Afrique et qu'il convenait que la présence de la France y reste effective.

Audition de M. Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois, vice-président de l'Association des maires de France

Enfin, la commission d'enquête a entendu M. Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois, vice-président de l'Association des maires de France.

A titre liminaire, M. Claude Pernès a rappelé que les quelque 36.000 maires de France étaient inégalement confrontés à la question de l'immigration irrégulière. Il a précisé qu'étant maire d'une commune de Seine-Saint-Denis depuis 1983, il avait connu les évolutions des politiques conduites par les gouvernements successifs en matière d'immigration.

M. Claude Pernès a expliqué que les maires étaient confrontés à la question de l'immigration en trois occasions : l'attestation d'accueil, le mariage et le regroupement familial.

Il a tout d'abord rappelé qu'il incombait au maire de valider l'attestation d'accueil d'un étranger devant être produite par un hébergeant résidant sur le territoire de la commune pour justifier les conditions de séjour de l'étranger en France dans le cadre d'une visite familiale ou privée. A cet égard, il a déploré que le maire n'ait pas les moyens de s'assurer du retour dans son pays de l'étranger accueilli sur le territoire communal à l'issue du délai indiqué dans l'attestation.

M. Claude Pernès a ensuite expliqué qu'en cas de doute sur la réalité d'une intention matrimoniale, l'officier de l'état civil pouvait alerter le ministère public afin que ce dernier ordonne qu'il soit sursis à la célébration du mariage. Il a toutefois indiqué qu'en présence de deux candidats au mariage, l'un titulaire d'une carte nationale d'identité française l'autre en situation irrégulière mais présentant une attestation d'accueil périmée, il saisissait le procureur de la République, mais que ce dernier l'invitait, dans 99 % des cas, à célébrer le mariage.

Enfin, M. Claude Pernès a rappelé qu'avant de se prononcer sur une demande de regroupement familial, le préfet devait recueillir les avis de l'Office des migrations internationales, devenu l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, et du maire de la commune concernée. Il a déploré que les préfets accèdent à des demandes ayant fait l'objet de deux avis négatifs, jugeant nécessaire qu'une plus grande attention soit prêtée aux avis formulés par des maires soucieux de veiller au respect des équilibres sociologiques de leurs communes.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé à M. Claude Pernès s'il considérait qu'il faudrait responsabiliser davantage l'hébergeant d'un étranger désirant se rendre en France dans le cadre d'une visite familiale ou privée.

Exprimant son accord avec cette idée, M. Claude Pernès a rappelé que, jusqu'à la loi du 26 novembre 2003, les attestations d'accueil pouvaient être présentées auprès du maire ou des autorités de police et de gendarmerie et consistaient en une simple déclaration sur l'honneur ne pouvant faire l'objet d'aucune vérification. Il a expliqué que, depuis, le maire était seul compétent pour valider l'attestation d'accueil et pouvait faire vérifier au préalable les conditions de ressources et de logement exigées de l'hébergeant. Il a ajouté que la loi du 26 novembre 2003 avait également prévu l'obligation, pour l'étranger qui souhaite se rendre en France, de fournir, outre les documents relatifs à ses conditions de séjour, à ses moyens d'existence en France et aux garanties de son rapatriement, une attestation de souscription d'assurance médicale.

M. Claude Pernès a observé que ces dispositions avaient entraîné une diminution du nombre des attestations d'accueil. Il s'est toutefois fait l'écho d'observations selon lesquelles un étranger ne parvenant pas à obtenir une attestation d'accueil dans une commune tenterait de l'obtenir dans une autre commune.

Il a une nouvelle fois souligné la volonté des maires de pouvoir obtenir la preuve du retour dans leur pays d'origine des personnes hébergées sur le territoire de leur commune, précisant que lui-même s'attachait à demander à ces personnes de lui adresser une carte postale à leur retour et que, lorsqu'il en recevait une, il accordait une attention plus bienveillante aux demandes d'attestation concernant des membres de leur famille.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, lui a demandé si les communes avaient les moyens de contrôler la validité des attestations d'accueil.

M. Claude Pernès lui a répondu que les contrôles étaient lourds à mettre en oeuvre et exposaient les agents chargés de les effectuer à des situations conflictuelles.

Il a précisé que le contrôle des ressources de l'hébergeant ne consistait pas en un contrôle fiscal mais en une simple demande de fiches de paie, faciles à établir et difficiles à contester.

Il a indiqué que le contrôle des conditions de logement d'un étranger pouvait être plus strict mais que toutes les communes n'avaient pas les moyens de le réaliser.

M. Georges Othily, président, a souhaité connaître la proportion des mineurs étrangers en situation irrégulière dans les effectifs des écoles primaires.

Rappelant que tout mineur étranger devait être scolarisé, M. Claude Pernès a indiqué que la part des mineurs étrangers en situation irrégulière scolarisés dans les écoles primaires de sa commune était probablement comprise entre 1 % et 2 % de leurs effectifs.

En réponse à deux questions de M. Georges Othily, président, M. Claude Pernès a ensuite indiqué que l'Association des maires de France n'avait pas pris de position officielle sur la question de l'immigration irrégulière, ni reçu de demandes d'associations de maires l'y invitant.

Mercredi 18 janvier 2006

- Présidence de M. Alain Gournac, vice-président, puis de M. Georges Othily, président

Audition de M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice

La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice.

M. Marc Guillaume a rappelé qu'environ 270.000 mariages étaient célébrés chaque année en France, dont 45.000 mariages dits « mixtes », c'est-à-dire entre un ressortissant français et un ressortissant étranger.

Il a ajouté qu'en moyenne, 45.000 mariages célébrés à l'étranger - la quasi-totalité entre un ressortissant français et un ressortissant étranger - étaient transcrits sur les registres de l'état civil français chaque année. Il a précisé que tous les mariages célébrés devant des autorités étrangères ne faisaient pas l'objet d'une demande de transcription, cette demande étant par exemple peu fréquente dans le cas des mariages célébrés en Allemagne.

Il a souligné qu'au total les quelque 90.000 mariages mixtes recensés chaque année représentaient un peu moins d'un tiers des 320.000 mariages de Français et a estimé que cette proportion devait être rapportée à celle des étrangers dans la population vivant en France, comprise entre 8 et 10 %.

M. Marc Guillaume a indiqué que, selon les statistiques établies par le ministère des affaires étrangères, sur les 45.000 mariages célébrés à l'étranger et transcrits sur les registres de l'état civil français, 20.000 concernaient des ressortissants d'Etats du Maghreb en 2004, contre 4.600 en 1993, soit une augmentation de plus de 300 %. Il a relevé que les données relatives aux mariages mixtes célébrés en France, établies par l'Institut national de la statistique et des études économiques, ne permettaient pas de connaître la répartition par sexe et par nationalité des époux.

Il a ajouté que 50 % des titres de séjour étaient délivrés à des conjoints étrangers de ressortissants français et qu'en 2005, 36.000 acquisitions de la nationalité française avaient été prononcées au titre du mariage.

Sans méconnaître les évolutions liées à la mondialisation, M. Marc Guillaume a estimé que ces chiffres, associés à la découverte de réseaux d'immigration irrégulière, montraient combien le contrôle des mariages constituait un enjeu migratoire important.

Il a rappelé que le projet de loi annoncé par M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, avait pour objet de permettre aux officiers de l'état civil de s'assurer de la réalité de l'intention matrimoniale des futurs époux, notamment en réécrivant l'article 63 du code civil afin de faire apparaître plus clairement que la publication des bans et, en cas de dispense de publication, la célébration du mariage sont subordonnées aux deux formalités préalables de la constitution d'un dossier complet et de l'audition des candidats au mariage.

M. Marc Guillaume a relevé qu'en l'état actuel du droit, un mariage mixte célébré à l'étranger et n'ayant pas été transcrit sur les registres de l'état civil français ne permettait, certes, à l'époux étranger ni d'acquérir la nationalité française ni d'obtenir un titre de séjour mais, pour le reste, produisait les mêmes effets, notamment patrimoniaux et successoraux, qu'un mariage ayant fait l'objet d'une transcription.

Il a considéré que cette absence de distinction entre les mariages transcrits et les mariages non transcrits constituait une lacune du droit en vigueur au motif qu'elle n'incitait guère les époux à se conformer aux règles françaises du mariage.

Il a expliqué que le projet de loi annoncé par le garde des sceaux tendait en conséquence à soumettre aux mêmes règles les mariages de Français à l'étranger que les mariages célébrés sur le territoire national, en élevant au rang législatif l'exigence de l'obtention d'un certificat de capacité à mariage délivré par l'autorité consulaire, en prévoyant que la délivrance de ce document est subordonnée à la publication préalable des bans, tant au lieu de la célébration du mariage qu'au lieu de la résidence du futur conjoint français, et en autorisant l'audition du futur époux résidant en France par l'officier de l'état civil français, à la demande de l'agent diplomatique ou consulaire.

S'agissant de la transcription sur les registres de l'état civil français des mariages célébrés à l'étranger, M. Marc Guillaume a indiqué que le projet de loi tendait à distinguer deux situations.

Il a expliqué qu'en cas de mariage célébré après accomplissement des formalités de l'article 63 du code civil mais malgré l'opposition du parquet, la transcription serait impossible tant qu'une décision judiciaire de mainlevée, sollicitée par les époux, ne l'aurait pas autorisée.

Il a indiqué qu'en cas de mariage célébré sans délivrance du certificat de capacité matrimoniale et, par conséquent, sans respect des formalités prévues à l'article 63 du code civil, la demande de transcription donnerait lieu à une audition obligatoire des époux par l'autorité consulaire, celle-ci devant surseoir à la transcription en cas de doute sur la réalité de l'intention matrimoniale et saisir le procureur de la République. Il a ajouté que ce dernier disposerait alors d'un délai de six mois pour demander la nullité du mariage et qu'en l'absence de réponse ou en cas de refus de transcription, les intéressés pourraient exercer un recours devant le tribunal de grande instance.

Dressant le bilan des actions en nullité engagées à l'encontre de mariages mixtes dans le cadre du droit en vigueur, M. Marc Guillaume a indiqué que 874 procédures d'annulation, dont 83 % concernaient des mariages mixtes, avaient été traitées par les tribunaux de grande instance en 2004, sur un total de 320.000 mariages, 90 à 95 % ayant été engagées par le parquet et 5 à 10 % par les intéressés. Il a précisé que 597 décisions d'annulation avaient été rendues, sur le fondement de trois motifs principaux :

- l'absence de consentement de l'un des époux (97 % des cas concernant des mariages mixtes) ;

- la bigamie ou la polygamie (77 % des cas concernant des mariages mixtes) ;

- l'absence de l'un des époux lors de la célébration du mariage (98 % des cas concernant des mariages mixtes).

Il a ajouté que la possibilité donnée par la loi du 26 novembre 2003 à l'officier de l'état civil de surseoir à un mariage avait sans doute permis de dissuader un certain nombre de candidats à un mariage de complaisance.

M. Marc Guillaume a indiqué que le projet de loi annoncé par le garde des sceaux tendait également à modifier l'article 47 du code civil, relatif à la force probante des actes de l'état civil faits à l'étranger, afin de lutter contre la fraude documentaire.

Il a rappelé que, depuis la loi du 26 novembre 2003, la valeur probante de ces actes n'était plus absolue, des doutes pouvant être opposés sur leur authenticité ou leur véracité. Il a toutefois estimé que la procédure de vérification par les administrations, nécessitant l'intervention du procureur de la République de Nantes saisi par l'administré, s'était avérée inapplicable en raison de sa complexité.

Il a expliqué que le projet de loi tendait à accorder aux administrations qui, à l'appui d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou d'un titre, se voient remettre un acte de l'état civil étranger sur la régularité duquel elles ont un doute, de disposer d'un délai de huit mois pour instruire le dossier lorsqu'elles font procéder à toutes vérifications utiles auprès des autorités étrangères compétentes, leur silence valant rejet.

A la demande de M. Alain Gournac, M. Marc Guillaume a précisé que les données relatives aux annulations de mariage concernaient l'ensemble de la France, y compris les départements d'outre-mer.

M. Alain Gournac a observé qu'à Mayotte un grand nombre de mariages n'étaient pas célébrés devant un officier de l'état civil.

S'agissant des mariages célébrés à l'étranger, il a exprimé la crainte que la mesure consistant à prévoir la publication des bans au lieu de résidence du futur conjoint français ne soit guère dissuasive en raison du peu d'attention accordé à ce document placardé dans les mairies.

Enfin, il a souligné les difficultés rencontrées par les maires pour détecter les mariages de complaisance, indiquant à titre d'exemple que l'un de ses adjoints s'était rendu compte de l'existence d'un réseau d'immigration irrégulière en constatant l'utilisation d'un même bouquet de fleurs pour trois mariages différents. Il a estimé que les agents consulaires et diplomatiques, moins proches des Français établis hors de France que les maires de leurs administrés, éprouveraient des difficultés encore plus grandes à vérifier à la réalité de l'intention matrimoniale des candidats au mariage.

M. Marc Guillaume lui a répondu que le projet de loi avait pour objet de répondre à ces inquiétudes en renforçant les moyens des officiers de l'état civil, en France ou à l'étranger, pour s'assurer de la réalité de l'intention matrimoniale. Il a estimé que les différentes mesures prévues pouvaient, chacune prise isolément, apparaître insuffisantes mais, qu'ajoutées les unes aux autres, elles étaient de nature à améliorer l'efficacité des contrôles, dans le respect de la liberté du mariage.

Il a estimé que la publication des bans du mariage dans la commune de résidence du futur conjoint français permettrait de détecter certains comportements frauduleux, citant en exemple le cas d'une personne qui se marierait successivement avec plusieurs ressortissants étrangers.

De même, il a estimé que la possibilité offerte à l'agent diplomatique ou consulaire de demander à l'officier de l'état civil français de procéder à l'audition du futur époux résidant en France, tandis qu'il réaliserait lui-même celle du futur époux résidant à l'étranger, était de nature, grâce à la confrontation des procès verbaux de ces auditions, à faciliter la détection des mariages forcés ou de complaisance.

A la demande de M. Louis Mermaz, M. Marc Guillaume a précisé la procédure de contrôle, par les agents diplomatiques ou consulaires, des mariages célébrés à l'étranger, en soulignant que cette procédure permettrait de lutter contre la fraude sans gêner les personnes de bonne foi.

En réponse à une question de M. Bernard Frimat, M. Marc Guillaume a indiqué que l'INSEE, dans le cadre du recensement, ne faisait pas de distinction selon le mode d'acquisition de la nationalité française des époux.

Tout en souscrivant à l'objectif de lutte contre les réseaux de l'immigration irrégulière et sans rejeter par principe l'alignement des conditions exigées pour la transcription des mariages célébrés à l'étranger sur celles requises pour la célébration d'un mariage en France, M. Bernard Frimat a souligné la nécessité de veiller, dans un climat de montée de la xénophobie, à ne pas accréditer l'idée selon laquelle tout mariage mixte serait entaché d'une intention frauduleuse et d'éviter une « chasse » aux étrangers. Il a par ailleurs souhaité obtenir des précisions sur le rôle des autorités consulaires.

M. Marc Guillaume a indiqué que les autorités consulaires ne célébraient généralement pas les mariages mais se contentaient d'enregistrer la demande de transcription émanant des époux et de la transmettre au service central de l'état civil établi à Nantes. Il a précisé que le consul était compétent pour procéder lui-même au mariage d'un Français résidant à l'étranger dans 13 Etats figurant sur une liste établie par un décret de 1939 au motif qu'à l'époque, ces Etats ne pratiquaient que les mariages religieux.

M. Marc Guillaume a expliqué que le projet de loi présenté par le garde des sceaux n'avait nullement pour objet d'entretenir un climat de défiance à l'égard des étrangers mais de mieux contrôler la réalité de l'intention matrimoniale des candidats au mariage. Il a souligné que le régime des mariages mixtes célébrés en France ne serait pratiquement pas modifié, seules les règles relatives à la constitution du dossier de mariage étant complétées, et, s'agissant des mariages célébrés à l'étranger, qu'aucune distinction ne serait faite entre les mariages mixtes et les mariages entre deux Français, une telle distinction étant au demeurant susceptible d'être jugée contraire à la Constitution.

Mme Catherine Tasca a souhaité savoir comment seraient organisées les auditions des époux. Elle a relevé le manque de fiabilité des documents de l'état civil dans certains Etats étrangers. Enfin, elle a souligné la nécessité d'améliorer le fonctionnement du service central de l'état civil de Nantes, notant en particulier les difficultés d'obtention de certificats de nationalité.

M. Marc Guillaume a précisé que les époux devaient être entendus par des officiers de l'état civil : le maire et ses adjoints en France, les agents diplomatiques et consulaires à l'étranger. Il a souligné l'importance de ces auditions pour lutter contre les mariages forcés.

Enfin, il a insisté sur la nécessité de permettre aux autorités françaises de disposer de délais suffisamment longs pour contrôler l'authenticité des actes de l'état civil étrangers.

Audition de M. Philippe Seguin, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de MM. Jean-François Carrez, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, et Jean-Yves Audoin, conseiller-maître en service extraordinaire

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de MM. Jean-François Carrez, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, et Jean-Yves Audoin, conseiller-maître en service extraordinaire.

A titre liminaire, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a indiqué que les informations et appréciations qu'il pourrait porter à la connaissance de la commission d'enquête seraient l'expression des constats de la Cour sur le sujet, des conclusions qu'elle en avait tirées et des remarques sur les suites qui avaient été données à ce jour à ses recommandations : il a souligné qu'en ce sens sa parole était serve et qu'il ne pouvait être que le porte-parole de sa juridiction.

Rappelant que la Cour des comptes n'avait jamais négligé le sujet de l'immigration, comme en témoignaient une importante insertion au rapport public 1997 sur divers aspects de la politique d'intégration des populations immigrées et la synthèse, présentée dans le cadre du rapport public pour 2000, d'un ensemble de rapports sur les actions de l'État pour l'accueil des demandeurs d'asile et l'intégration des réfugiés, M. Philippe Séguin a souligné que la réflexion la plus importante et la plus synthétique de la Cour sur l'immigration était intervenue à l'occasion d'un ensemble de 24 enquêtes conduites de 2002 à 2004, complétées par le contrôle de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et celui de certains postes diplomatiques et consulaires, et qui ont abouti en novembre 2004 à un rapport public particulier sur « l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration ».

M. Philippe Séguin a relevé que ces enquêtes avait montré que la question de l'immigration irrégulière était incontournable, d'abord parce que l'entrée et le séjour des étrangers étaient des thèmes récurrents de l'action publique, ensuite parce que l'immigration irrégulière a, sans aucun doute possible, un impact considérable sur la capacité de l'ensemble des populations issues de l'immigration à être intégrées. Il a noté que la Cour n'avait pas manqué de souligner que les phénomènes liés à l'immigration irrégulière hypothéquaient toute initiative publique et que leur résolution était une des conditions de succès des politiques d'intégration.

Abordant l'exposé des principaux constats de la Cour des comptes, M. Philippe Séguin a en premier lieu mentionné l'absence de données chiffrées sur l'immigration irrégulière, qui est au coeur du débat public sur les flux migratoires mais ne fait l'objet que d'estimations à partir de diverses données, parmi lesquelles il a cité les régularisations, le nombre des interpellations, celui des rejets des demandes d'asile, celui des bénéficiaires de l'aide médicale d'État.

Il a indiqué que cette situation avait conduit la Cour à recommander de parvenir à une meilleure connaissance des flux et il a noté que le premier rapport annuel au Parlement sur les orientations de la politique gouvernementale en matière d'immigration, déposé en mars 2005, commençait à répondre à cette préoccupation, soulignant qu'il comportait des éléments concrets, même si la plupart concernaient l'année 2003 alors qu'on disposait déjà des données de 2004.

Remarquant que l'immigration irrégulière avait deux origines, l'entrée irrégulière et l'entrée régulière qui conduit ensuite à une situation irrégulière, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a observé que la seconde hypothèse, correspondant au maintien sur le territoire à l'expiration de la validité d'un titre de séjour, recouvrait la très grande majorité des cas.

La place des filières est également avérée, certaines assurant un « service complet », de la fourniture de faux papiers à la prise en charge à l'arrivée, mais on peut avancer qu'à la différence de l'Espagne et de l'Italie, peu d'immigrants arrivent en France clandestinement, sans aucun papier ou en déjouant les contrôles, sauf ceux qui tentent de franchir la Manche ou la mer du Nord et pour lesquels la France ne constitue qu'une étape.

M. Philippe Séguin a cependant remarqué que les frontières extérieures Schengen de la France avaient sur certains points besoin d'être renforcées et souligné le problème posé par la fraude documentaire, certaines communautés mettant à profit la multiplicité des formulaires de même que l'ampleur des flux à gérer dans les grands aéroports : il a souligné sur ce dernier point qu'il conviendrait de prendre en compte dès à présent les prévisions d'évolution du trafic à Roissy.

Il a insisté sur l'importance de hiérarchiser les priorités de la politique de contrôle, citant :

- la politique des visas, au sujet de laquelle il a relevé que ce n'était pas parce que la politique générale des visas n'était plus de la compétence nationale qu'il n'y avait pas lieu de s'assurer de la régularité des demandes et du respect des conditions imposées pour le séjour en France : la Cour a d'ailleurs constaté diverses difficultés en la matière, tenant aux conditions de travail difficiles des agents, à la difficulté de s'assurer de l'authenticité de certaines pièces justificatives ou à l'existence de fortes pressions locales, et qui appelleraient des actions correctrices ;

- l'utilisation abusive des titres de séjour, avec des fraudes à l'état civil et des détournements de procédure liés aux mariages blancs ou à l'utilisation d'attestations douteuses ou de complaisance, tous comportements délictueux contre lesquels on dispose de peu d'armes pénales ;

- l'insuffisance des procédures permettant d'éviter la prolongation irrégulière du séjour ;

- le maintien sur le territoire des déboutés du droit d'asile.

Notant que par nature les effets de la présence d'une population en situation irrégulière n'étaient guère étudiés, il a indiqué qu'il avait paru possible à la Cour d'en retenir trois conséquences :

- la précarité de la situation des intéressés eux-mêmes, qui relève souvent de l'exclusion, voire de la grande exclusion, bien que, paradoxalement, pour faire face à cette situation, se soit institué une sorte de « statut de l'irrégulier », qui bénéficie de certaines dispositions du code du travail, de l'accès à la scolarisation, du dispositif de l'aide médicale d'État et, en ce qui concerne l'action sociale, d'un accès au dispositif de veille et d'urgence. Il n'en demeure pas moins que la clandestinité conduit à des démarches de survie qui sont elles-mêmes irrégulières et procèdent souvent de la pure et simple délinquance ;

- le fait que l'immigration irrégulière est une source de main d'oeuvre bon marché en France, avec les risques que cela comporte en termes d'exploitation des clandestins et de désorganisation du marché du travail ;

- les effets négatifs de l'importance de l'immigration irrégulière pour l'immigration régulière, tant en termes d'image et en raison des réactions de l'opinion et des problèmes d'amalgame que parce que, comme la Cour l'a constaté, les préfectures consacraient jusqu'à présent plus de temps aux sans-papiers et aux irréguliers qu'à leurs missions en matière d'accueil et d'intégration des primo immigrants et de leurs familles.

Enfin, la Cour s'est intéressée aux deux voies de traitement de l'immigration irrégulière, l'éloignement et la régularisation.

En ce qui concerne l'éloignement, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des Comptes, a précisé que la Cour avait relevé trois raisons principales expliquant, jusqu'à un récent début de redressement, la dégradation de la situation :

- la mise en oeuvre des décisions se heurte au problème de l'existence des documents d'origine, aux difficultés de délivrance de laissez-passer consulaires et à l'inégale qualité de la coopération avec les pays de retour ;

- l'utilisation de toutes les voies de recours complique la gestion de la rétention, l'intervention du juge administratif et celles du juge judiciaire se superposant en outre dans certains cas ;

- les problèmes concrets d'éloignement, qui peuvent tenir au manque de liaisons avec certains pays, aux capacités et à l'implantation des centres et locaux de rétention, à la gestion des quotas de places sur les avions des compagnies aériennes et aux éventuels refus d'embarquement. En outre, ces opérations parfois délicates doivent être conciliées avec le respect de la dignité des personnes, d'où la nécessité de leur préparation et d'une formation adéquate des personnels qui y participent.

En ce qui concerne les régularisations, M. Philippe Séguin a relevé que la Cour avait constaté la constance des opérations de régularisation collective depuis plus de 50 ans, notamment au moment de la forte croissance des années 1950 et 1960, puis en 1981-1982 et en 1997-1998 ainsi que l'existence, parallèlement à ces opérations épisodiques et spectaculaires, d'un flux de régularisations quasi permanent par la voie du traitement des dossiers individuels, dont certains aboutissent par usure ou médiatisation. Il a souligné que ces régularisations individuelles étaient d'ailleurs devenues plus fréquentes avec la pratique de la régularisation humanitaire qui permet désormais à tout moment de demander cette mesure.

La Cour avait également constaté que ces régularisations, notamment les régularisations collectives, avaient un impact dans les pays voisins, les exemples de ces dernières années montrant l'extrême capacité de réaction des migrants.

Exposant ensuite, face à ce constat, les recommandations formulées par la Cour il y a à peine plus d'un an, M. Philippe Séguin a tout d'abord rappelé qu'elle n'avait pas traité spécifiquement la question de l'immigration irrégulière.

Elle avait néanmoins noté, pour le regretter, que notre pays paraissait s'accommoder de l'existence d'une population non négligeable d'irréguliers, sans doute largement en raison de l'impact politique présumé des mesures à prendre pour sortir de cette situation, quelle que soit celle des deux voies -reconduite ou régularisation- qui serait retenue. Il lui avait en outre semblé vain de légiférer à nouveau si les dispositions existantes n'étaient pas fermement appliquées.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a indiqué que, logiquement, les premières recommandations de la Cour concernaient la prévention de l'immigration irrégulière : elle demandait à cet égard une gestion rigoureuse des visas et le renforcement des contrôles.

Réguler l'immigration par la délivrance des visas est un choix que les pouvoirs publics n'ont jamais clairement affiché : M. Philippe Séguin a souligné que si tel devait désormais d'être le cas, il faudrait que les objectifs de cette politique soient clairement définis (délivrance de visas avec ou sans quotas, volonté ou non de privilégier certains types de demandeurs) et qu'ils soient admis par l'opinion. Il faudrait ensuite que ces objectifs soient atteints, ce qui suppose que les moyens nécessaires à leur réalisation soient disponibles et que leur remise en cause soit sanctionnée.

La Cour recommandait ainsi la création d'un comité mixte réunissant le ministère de l'intérieur et le ministère des affaires étrangères, chargé de définir une politique de visas pays par pays ; elle suggérait d'examiner le remodelage de notre réseau consulaire et de chercher une interconnexion des fichiers des administrations concernées. Il lui semblait aussi qu'il importait de traiter la question récurrente du passage du service des visas sous le contrôle du ministère de l'intérieur, à la lumière de l'objectif d'une plus grande cohérence de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Elle formulait également des recommandations plus immédiates portant sur le réexamen de la procédure de délivrance des visas de courte durée, de façon à connaître rapidement les étrangers restant sur le territoire à l'issue de la validité du visa, sur la mise en place de procédures d'alerte, de sanction et d'interdiction du territoire pour les contrevenants de mauvaise foi et elle suggérait, après examen, de généraliser et de mettre en réseau les expérimentations engagées avec certaines ambassades pour contrôler les retours sur place.

En ce qui concerne le contrôle de l'action aux frontières, M. Philippe Séguin a rappelé que les travaux de la commission « d'évaluation Schengen » avaient mis en évidence les insuffisances des dispositifs de contrôle aux frontières en France et le déficit des contrôles lié notamment à une insuffisance de moyens : la Cour suggérait donc que les recommandations de la commission d'évaluation non suivies d'effet fussent rapidement étudiées.

Elle estimait également, au sujet des accès aéroportuaires, qu'il y avait lieu de réexaminer la procédure d'asile à la frontière, qui permet d'entrer sur le territoire national sans passeport ni visa, et que l'examen des requêtes sur le fond avant l'arrivée sur le territoire était susceptible de prévenir l'entrée de personnes ayant statistiquement très peu de chances de bénéficier rapidement d'un droit au séjour.

Enfin elle avait constaté la faiblesse de la coopération entre les différentes administrations ainsi que la médiocre circulation de l'information entre les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur, comme entre les préfectures et les consulats. Elle relevait également que la coopération avec la police aux frontières n'était pas systématique et que les postes n'étaient pas toujours avisés des arrestations d'immigrants illégaux.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a ensuite exposé que la Cour suggérait en deuxième lieu d'accroître, dans plusieurs directions, l'efficacité des procédures d'éloignements.

Outre une amélioration de la collaboration et de la complémentarité entre la DCPAF et la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), et une meilleure implantation des centres de rétention administrative, elle préconisait à cet effet :

- de remédier aux défauts du traitement contentieux de l'éloignement, soit en enserrant les contentieux dans des délais courts dont le respect devrait être strict, soit, ce qui marquerait un changement plus profond, en unifiant le contentieux de l'entrée du séjour des étrangers dans les tribunaux judiciaires garants de l'état des personnes, ce qui permettrait une harmonisation de la jurisprudence et une plus grande rapidité du jugement ;

- de mettre en place une structure ministérielle ou, mieux, interministérielle, analysant et anticipant l'évolution du contentieux des étrangers et permettant de définir une politique de l'immigration respectueuse des libertés individuelles, mais réaliste et aisée à comprendre pour les candidats à l'immigration en France et dans les Etats de l'espace Schengen ;

- de proposer aux Etats concernés, au-delà de l'indispensable collaboration pour les laissez-passer consulaires, une coopération globale qui lierait leur participation active aux mesures d'éloignement à des engagements de la France en matière d'attribution de visas, ce partenariat pouvant également intégrer une part de l'aide publique au développement et des initiatives de co-développement, dont la relance lui paraissait opportune.

Présentant les recommandations de la Cour touchant à l'alternative entre régularisation et reconduite à la frontière, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a tout d'abord remarqué que, longtemps récurrent, le problème des immigrants en situation irrégulière était devenu permanent et que les contraintes étaient connues : les régularisations peuvent paraître constituer un signal d'encouragement aux candidats à l'immigration irrégulière ; à l'inverse, la politique du renvoi dans le pays d'origine trouve rapidement ses limites et son renforcement ne sera jamais quantitativement à la mesure de l'enjeu.

En fonction de ces contraintes, la Cour avait estimé que l'objectif devait être, par le jeu combiné des départs du territoire et des régularisations, de tendre vers une situation que l'on pourrait caractériser par le concept de « zéro étranger en situation irrégulière ».

Elle relevait en tout cas la nécessité d'une politique active, organisée et soutenue, évitant d'avoir à intervenir par à-coups au moment des crises, et celle de ne pas ignorer la dimension européenne du problème : M. Philippe Séguin a relevé à ce sujet que deux illustrations des méthodes possibles s'étaient révélées ces derniers mois avec les importantes régularisations effectuées en Italie et les expulsions décidées aux Pays-Bas. Il a souligné qu'une action coordonnée des Etats constituait une obligation minimale afin d'éviter les transferts de population et que, compte tenu du principe de libre circulation et de la communautarisation des politiques d'immigration, il serait logique et opportun d'aller au-delà, peut-être en définissant à l'échelle européenne l'équilibre même entre expulsions et régularisations.

Après les constats et les préconisations de la Cour, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a présenté les suites qui leur avaient été données.

Il a observé que le rapport de suivi des recommandations de la Cour sur le sujet serait publié dans quelques semaines, soit 16 mois après le rapport initial, ce qui constituait une « première » dans les pratiques de la juridiction.

Il a noté en premier lieu que l'annonce et la mise en oeuvre par le Gouvernement d'un plan d'action contre l'immigration irrégulière et le séjour irrégulier seraient pris en compte dans ce rapport, soulignant que les trois priorités définies par le conseil des ministres du 12 mai 2005 en matière de lutte contre l'immigration clandestine rejoignaient les préoccupations que la Cour avait exprimées.

La première de ces priorités porte sur l'amélioration du contrôle de l'entrée sur le territoire français : les décisions prises ces derniers mois se situent largement dans le sens des recommandations de la Cour, qu'il s'agisse de mieux définir la politique de délivrance des visas de court séjour, de renforcer le contrôle des transcriptions des mariages célébrés à l'étranger, de mieux organiser l'hébergement des demandeurs d'asile ou d'appliquer en priorité l'aide au retour volontaire aux demandeurs d'asile déboutés.

L'établissement d'une liste des pays d'origine sûrs permettra de traiter plus rapidement les demandes d'asile de leurs ressortissants.

Enfin, il a été décidé de s'attacher à améliorer le taux de délivrance de laissez-passer consulaires, notamment par des contacts bilatéraux et au besoin par des mesures restrictives en matière de délivrance de visas.

La deuxième priorité est le renforcement de la coordination des politiques relatives à l'immigration : cette coordination sera désormais assurée par le comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI), qui fixera les orientations de la politique gouvernementale en matière de contrôle des flux migratoires.

C'est également dans cette perspective que s'inscrivent l'expérimentation d'un système de guichet unique permettant aux consulats de délivrer, en liaison avec les préfectures, des documents valant à la fois visa de long séjour et carte de séjour, ou l'organisation d'une procédure de « déclaration de retour » pour les personnes ayant bénéficié d'un visa de court séjour.

Le démarrage de la biométrie s'est fait dans huit postes consulaires, et des lecteurs ont été installés aux entrées sensibles. L'objectif est la généralisation des visas biométriques en 2008, mais le coût des procédés techniques risque de ralentir cette généralisation.

Notant qu'une appréciation générale de l'efficacité de ces dispositifs serait prématurée, M. Philippe Séguin a cependant observé que se mettaient en place des éléments qui pourraient permettre la réalisation d'un réseau unique de fonctionnaires de l'État chargé de l'immigration, ce qui existe dans la plupart des pays voisins.

La troisième priorité est la mise en place d'une véritable « police de l'immigration » couvrant l'ensemble du territoire, la DCPAF réorganisée devant animer la lutte contre l'immigration irrégulière et le travail illégal.

L'objectif d'éloignement a été porté à 23 000 reconduites à la frontière en 2005, et à 26 000 en 2006 : pour atteindre ce résultat, le nombre de places dans les centres de rétention administrative devrait doubler en deux ans, un plan triennal organisant parallèlement la fermeture des centres les plus vétustes.

Commentant ces mesures, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a observé que les éloignements continuaient à se faire au cas par cas, sans qu'aient été dégagées des priorités dans les catégories de personnes à éloigner et il a estimé que l'on pourrait sans doute progresser sur ce point.

Il a en outre constaté des blocages :

- la situation des personnes « ni régularisables ni expulsables », dont la reconduite est extrêmement difficile, voire impossible en pratique ;

- les quotas et les règles des compagnies aériennes limitant les capacités de transport, ce qui conduit à envisager un recours plus fréquent à des vols spécialement affrétés ou à des opérations conjointes avec d'autres pays européens.

Il a enfin mentionné les deux secteurs présentant des difficultés spécifiques : l'outre-mer, où le nombre de clandestins est considérable, et les étudiants étrangers.

En second lieu, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a pris acte de la relance d'un dispositif de lutte contre le travail illégal, qui rejoint les observations de la Cour selon lesquelles les initiatives prises dans ce domaine ne suffisaient pas et les efforts devaient être plus ambitieux.

Il a noté à cet égard la création de l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), appelé à coopérer avec l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) et les groupes d'intervention régionaux (GIR), en concertation avec la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI). A propos de cette dernière, M. Philippe Séguin a remarqué qu'elle paraissait avoir repris de l'activité après avoir été en sommeil et qu'elle s'intéressait notamment à l'intervention en France des entreprises étrangères prestataires de services, ainsi qu'à l'emploi détaché, qui prend de plus en plus la forme d'un emploi ouvrier intérimaire et peut constituer un « nid à fraudes ».

M. Philippe Séguin a relevé que le premier bilan du plan de lutte contre le travail illégal dressé en mars 2005 traduisait un niveau élevé de mobilisation mais des résultats encore limités et que, si la proportion de fraude impliquant des étrangers était notable, il n'existait pas d'actions spécifiques à leur égard.

En conclusion, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a souligné que des progrès avaient incontestablement été enregistrés dans la prise en compte de l'immigration irrégulière depuis les investigations menées par la Cour en 2003, et qu'un bilan global plutôt positif semblait pouvoir être dressé, même si certaines actions exigeraient du temps pour produire des résultats.

Il a cependant observé que le traitement de l'immigration irrégulière ne devait pas cacher des insuffisances et des risques, soulignant que privilégier la lutte contre ce phénomène revenait à focaliser une nouvelle fois l'action publique sur les entrées, les sorties et les questions de flux, au risque d'occulter les autres questions relatives à l'accueil et à l'intégration.

Il a enfin soulevé quelques interrogations portant sur :

- la lenteur de la mise en place de la nouvelle Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) ;

- la justification du maintien du Fonds d'actions et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), désormais placé entre l'ANAEM et la nouvelle Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) ;

- l'apparition d'une nouvelle organisation dans le projet de loi sur l'égalité des chances, avec notamment la création d'une agence nationale. Notant à cet égard que la promotion de l'égalité des chances visait tous les publics en difficulté, M. Philippe Séguin a rappelé que la Cour avait posé la question de savoir s'il convenait de retenir des mesures de droit commun ou des mesures spécifiques pour certains de ces publics.

Souhaitant que les travaux de la commission d'enquête contribuent à faire prendre conscience du danger de se contenter de peu pour régler le problème de l'immigration irrégulière, il a rappelé qu'il resterait, au-delà, à reprendre le dossier essentiel de l'accueil des immigrants et de l'intégration des populations issues de l'immigration.

Regrettant que M. Philippe Séguin ne puisse s'exprimer devant la commission d'enquête à titre personnel, M. Louis Mermaz a rappelé que l'on ne devait pas oublier, en matière de politique de l'immigration, que l'on avait voulu faire « la France de Dunkerque à Tamanrasset » et que cela nous créait aujourd'hui des devoirs particuliers vis-à-vis du monde de la francophonie.

Il a par ailleurs souhaité savoir si les magistrats de la Cour des comptes avaient visité des zones d'attente, y compris la zone des correspondances de Roissy, et les lieux de rétention situés dans certains commissariats de la région parisienne, où les étrangers sont retenus dans des conditions déplorables qui font à la France un tort considérable au niveau international.

Estimant qu'il pouvait sans manquer à son devoir de réserve répondre sur le premier point soulevé par M. Louis Mermaz, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a observé, en faisant allusion au débat qui se développait actuellement sur les conséquences de la colonisation, qu'une centaine d'années de présence et de coexistence ne pouvaient pas ne pas laisser de traces, et que cela expliquait que, spontanément, des citoyens de pays africains puissent considérer que la France était aussi leur pays.

Sur le second point, il a indiqué que les magistrats de la Cour des comptes s'étaient effectivement rendus dans les zones d'attente et que la Cour avait soulevé le problème posé par la situation de certains locaux de rétention dont chacun pouvait reconnaître, avec M. Louis Mermaz, qu'elle était indigne.

M. Alain Gournac, après avoir remercié M. Philippe Séguin de son exposé, a relevé la recommandation de la Cour des comptes d'appliquer les textes existants avant d'en élaborer de nouveaux.

Sur la politique des visas, il a cité l'exemple américain pour affirmer le droit de la France de faire respecter ses frontières et de contrôler l'accès à son territoire.

Indiquant que la commission d'enquête avait pu constater que la salle d'audience réalisée dans la zone d'attente de Roissy ne servait à rien, il s'est enquis de la position de la Cour des comptes sur cette absence d'utilisation d'un équipement public, destiné au surplus à faciliter le respect des délais d'éloignement.

Il a enfin évoqué la situation de Mayotte, dont il avait constaté à l'occasion d'une récente mission d'information que le développement risquait d'être « asphyxié » par l'immigration irrégulière et il s'est interrogé sur les conditions de contrôle des mariages, qui ne sont pas toujours célébrés en présence d'un officier de l'état civil.

Se référant aux propos tenus devant la commission d'enquête par M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a observé que le principe du maintien d'une salle d'audience à Roissy semblait acquis, sous réserve de la réalisation de certains aménagements qui manifestement n'avaient pas fait l'objet au préalable de la concertation nécessaire.

Sur la situation dans l'outre-mer, il a souligné l'extrême complexité des problèmes qui se posent en Guyane et à Mayotte. Ainsi, on ignore parfois que le pays qui a la plus longue frontière commune avec la France est le Brésil : 1.500 Kms entre le Brésil et la Guyane, ce seul chiffre suffisant à résumer l'ampleur du problème. Quant à Mayotte, il suffit de quelques heures pour y accéder a partir d'Anjouan, et la situation de l'immigration irrégulière dans cette collectivité est encore compliquée par les liens familiaux entre les populations mahoraise et comorienne et par le fait que la nationalité des individus qui les composent résulte des hasards de l'histoire plutôt que d'un choix délibéré. Il a ajouté qu'une fois que l'on est à Mayotte, on peut aller à La Réunion où se rendent beaucoup de futures mères comoriennes désireuses d'accoucher en territoire français. M. Philippe Séguin a également évoqué le cas de la Guadeloupe, confrontée à l'immigration haïtienne, que l'évolution de la situation à Haïti ne va pas ralentir à brève échéance, et en particulier celui de Saint-Martin, où la frontière entre la partie française et la partie néerlandaise n'est pas surveillée.

Après avoir mentionné les très grandes difficultés des communes d'outre-mer, contraintes de fournir les équipements, notamment scolaires, et les prestations nécessitées par l'afflux d'immigrés en situation irrégulière, tandis que leurs dotations sont calculées en fonction d'un nombre d'habitants sans rapport avec leur population réelle, M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé si la Cour des comptes avait étudié le problème des coûts de l'immigration clandestine pour l'État et pour les collectivités territoriales et s'il paraissait possible de parvenir à évaluer l'ensemble de ces coûts, y compris ceux pouvant résulter de prestations dont le bénéfice a été obtenu frauduleusement.

A ce propos, M. Philippe Séguin a relevé que l'éventualité de dérogations aux dispositions des lois de décentralisation relatives à la répartition des compétences et des responsabilités financières, en cas de situations provoquées directement ou indirectement par des décisions de l'État, par exemple une augmentation du chômage, était une question qui avait parfois été soulevée. De telles dérogations n'ont cependant jamais été admises, même si des aides exceptionnelles ont pu être attribuées. Il paraît en outre très difficile d'envisager d'identifier les immigrés en situation irrégulière pour en tirer des conséquences financières, ne serait-ce qu'en raison du grave problème de principe que poserait cette identification. Il convient toutefois d'être conscient que l'immigration irrégulière outre-mer a des conséquences sur l'équilibre général des territoires concernés, mais aussi sur les finances des collectivités territoriales.

M. Georges Othily, président, faisant état des informations recueillies par la commission d'enquête sur les montants importants des transferts financiers entre les départements d'outre-mer et les pays d'origine des migrants, s'est interrogé sur l'importance des transferts analogues effectués à partir de France métropolitaine et a demandé si la Cour des comptes s'était penchée sur cette question.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a indiqué que la Cour n'était pas en mesure de chiffrer ces mouvements de fonds mais qu'elle était en mesure d'en apprécier les raisons et les origines.

Il a souligné à cet égard que les flux financiers vers les pays d'origine des migrants étaient aussi anciens que l'immigration de travail : il a mentionné l'exemple des premiers temps de l'immigration algérienne, immigration alors célibataire et masculine de travailleurs vivant seuls en foyer et envoyant en Algérie l'essentiel de leurs rémunérations, au risque d'ailleurs de fragiliser leur propre situation ; il a rappelé que la modernisation et le « décollage » économique du Portugal et de l'Espagne avaient été financés par des transferts analogues.

Il a observé que ces transferts existeraient toujours et que, dans la perspective de la coopération avec les pays d'origine des migrants, il fallait s'en réjouir dans la mesure où ils permettaient de « vivifier » un certain nombre de micros régions ou de villes.

Il a considéré qu'il fallait admettre l'idée que l'on assisterait dans les décennies à venir à une explosion des chiffres de l'immigration en Europe, nos pays, même si la France a encore un comportement démographique susceptible d'assurer le renouvellement des générations, devant perdre dans les 20 ou 30 ans qui viennent des millions d'habitants.

Ils auront donc besoin de faire venir des migrants et, d'une façon ou d'une autre, de les choisir. M. Philippe Séguin a observé que cela pourrait passer pour un nouveau pillage des pays concernés et que la seule façon d'éviter ce risque était d'encourager les relations, non seulement financières mais aussi en termes de partage et d'échange des savoirs, entre les communautés installées en France et leurs pays d'origine.

Relevant que l'un des constats de la Cour qui avait le plus étonné cette dernière était le développement exponentiel de la double nationalité, il a estimé que ce développement se poursuivrait sans doute et qu'il constituait probablement une perspective d'évolution du dossier de l'immigration dans les prochaines décennies.

Audition de M. Eric Le Douaron, directeur central de la police aux frontières

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Eric Le Douaron, directeur central de la police aux frontières.

M. Eric Le Douaron a rappelé que la maîtrise des flux migratoires était un enjeu majeur pour l'action du Gouvernement.

A cet égard, il a ajouté que le Parlement avait su donner les moyens juridiques et budgétaires de cette ambition.

Il a indiqué que la circulaire du ministre d'Etat en date du 23 août 2005 avait confié le pilotage et l'animation de « la police de l'immigration » à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

Il a ensuite expliqué que la police aux frontières avait le devoir de s'adapter en permanence à une immigration clandestine en mutation constante.

Il a déclaré que la DCPAF avait profondément modifié son organisation au cours des deux dernières années et qu'elle continuerait à le faire cette année dans un souci d'efficacité opérationnelle et de simplification administrative.

Décrivant ensuite l'organisation administrative de la DCPAF, il a indiqué que l'échelon central avait été restructuré autour de trois sous-directions. Il a également évoqué la nouvelle impulsion donnée à l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) ainsi que la création, dans le droit fil de la circulaire du 23 août 2005, d'une unité de coordination de la lutte contre l'immigration illégale chargée de coordonner l'action des différents services de l'Etat dans ce domaine au niveau opérationnel.

Au niveau territorial, il a expliqué que la police aux frontières s'organisait autour de sept directions zonales, quarante et une directions départementales et six services déconcentrés ayant une assise géographique particulière (collectivités d'outre-mer, aéroports parisiens).

Souhaitant souligner la capacité d'adaptation de la police aux frontières, il a insisté sur la création, à compter du 1er janvier 2006, de quatre nouvelles directions départementales dont l'une dans l'Oise pour tirer les conséquences de la hausse très importante du trafic de l'aéroport international de Beauvais-Tillé.

M. Eric Le Douaron a poursuivi en indiquant que cette réorganisation s'accompagnait d'une hausse importante des effectifs de la DCPAF qui ont augmenté de 900 personnes depuis 2004 pour atteindre au 1er janvier 2006 le nombre de 8.154 fonctionnaires. Il a ajouté qu'en 2006 les effectifs devraient croître encore de 300 personnes.

Il a expliqué que ces renforts avaient surtout été affectés aux unités de terrain, et plus particulièrement aux brigades mobiles de recherche qui sont l'outil fondamental d'investigation de la police aux frontières.

Il a ajouté que l'unité de coordination de la lutte contre l'immigration illégale avait été déclinée au niveau local au travers de cellules de coordination opérationnelle zonales.

M. Eric Le Douaron a ensuite décrit les différentes formes d'immigration clandestine auxquelles est confrontée la DCPAF.

Il a tout d'abord distingué l'immigration de transit et l'immigration d'installation, expliquant que ce caractère dual compliquait la définition d'une riposte adaptée, d'autant plus que le cas particulier de l'outre-mer exigeait également des réponses spécifiques.

Concernant l'état de la pression migratoire en métropole, il a estimé qu'elle se répartissait quasiment à part égale entre les frontières aériennes extra-Schengen et les frontières terrestres intérieures.

A cet égard, il a indiqué que la plateforme aéroportuaire de Roissy concentrait la moitié des mesures de réadmission et 80 % des placements en zone d'attente. Il a ajouté que la frontière terrestre la plus sensible était celle avec l'Italie.

Commentant la nationalité des étrangers en situation irrégulière, il a constaté la forte hausse en 2005 du nombre de ressortissants irakiens et somaliens interpellés, qui sont désormais les deux premières nationalités représentés, à la place des ressortissants marocains et algériens.

Il a ensuite observé que, dans les départements et collectivités d'outre-mer, la problématique migratoire était tout aussi disparate bien que différente.

Il a indiqué que l'immigration clandestine était préoccupante depuis longtemps en Guyane et à Mayotte et qu'elle avait connu une très forte progression dans les Caraïbes, 58 % entre 2004 et 2005. Il a expliqué que la lutte contre cette immigration était rendue très difficile du fait qu'elle empruntait essentiellement la voie maritime.

Toutefois, il a affirmé que de nombreux succès avaient été obtenus à Mayotte grâce à la mise en place d'un système de détection radar et à la collaboration étroite avec la marine nationale. Incidemment, il a signalé que les passeurs utilisaient des moyens technologiques perfectionnés, notamment des GPS, prouvant ainsi, si cela était nécessaire, l'existence de filières organisées. Il a ajouté qu'un projet identique de détection radar était en cours dans les Caraïbes.

M. Eric Le Douaron a ensuite procédé à un bilan de l'action de la DCPAF en 2005. Il a déclaré que tous les indicateurs d'activité étaient orientés à la hausse.

En ce qui concerne le volet préventif visant à empêcher les entrées illégales, il a indiqué que 37.000 étrangers dont 25.000 pour la métropole avaient fait l'objet d'un refus d'admission en 2005 soit 12 % de plus qu'en 2004. Il a également indiqué que 3.281 demandes d'asile avaient été présentées à la frontière dont les trois-quarts dans les aéroports parisiens.

Il a mis en exergue les opérations conjointes de contrôle développées avec nos partenaires européens, notamment avec l'Italie, ou aux frontières extérieures de l'Union européenne dans le cadre de la nouvelle agence aux frontières extérieures (Frontex) basée à Varsovie et en activité depuis le 1er octobre 2005.

Il a estimé que ces activités de contrôle avaient des vertus dissuasives importantes et contraignaient les filières à modifier constamment leur organisation. A cet égard, il a souligné l'efficacité des contrôles à la descente des avions effectués à Roissy, 15.000 vols ayant été ainsi contrôlés en 2005 permettant l'interpellation de 8.154 passagers dépourvus des documents de voyage exigés.

Enfin, il a déclaré que le volet préventif de l'action de la police aux frontières s'incarnait également dans les 73.000 interpellations d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire national en 2005, soit une hausse de 26 % par rapport à 2004.

Concernant le volet répressif, M. Eric Le Douaron a expliqué que l'accent avait été particulièrement mis sur cet aspect de l'activité de la DCPAF.

Il a déclaré que l'effort portait principalement sur la lutte contre le travail illégal et les filières qui l'alimentent. Après avoir indiqué que ces investigations étaient conduites sous l'égide de l'OCRIEST et des brigades mobiles de recherche, il a cité l'exemple du démantèlement en décembre 2005 d'une filière dite « pachtou », après un an d'enquête, dans le cadre d'une commission rogatoire internationale ayant permis l'interpellation de 53 personnes dans toute l'Europe parmi lesquelles se trouvaient les organisateurs et les financiers de cette filière.

Au total, il a indiqué que l'OCRIEST avait démantelé en 2005 quatorze filières se traduisant par l'arrestation de 2.619 passeurs, soit une hausse de 88 % par rapport à 2003.

De la même façon, il a observé que l'action de la DCPAF s'intensifiait à l'encontre des employeurs d'illégaux.

Enfin, M. Eric Le Douaron a souligné le progrès sensible en matière d'éloignement, 19.841 étrangers en situation irrégulière ayant été éloignés en 2005 à partir de la métropole, soit 26 % de plus qu'en 2004, et 35.373 au niveau national.

Il a affirmé que ces éloignements s'étaient effectués dans de bonnes conditions, aucun incident sérieux n'ayant été constaté.

Il a conclu son propos en présentant les objectifs de la police aux frontières pour 2006 :

- éloigner 25.000 étrangers en situation irrégulière à partir de la métropole grâce à des effectifs renforcés, un plus grand nombre de places en centre de rétention administrative et une meilleure efficacité dans l'emploi des moyens ;

- poursuivre l'effort en matière d'investigation et de lutte contre les filières ;

- développer l'usage des technologies, notamment la biométrie dans les visas.

M. Louis Mermaz a souhaité connaître le déroulement concret de la procédure en cas de demande d'asile à la frontière. Il s'est également interrogé sur le taux d'occupation des zones d'attente.

A la première question, M. Eric Le Douaron a répondu qu'en cas de demande d'asile à la frontière, il était immédiatement vérifié grâce à des bornes Eurodac que l'étranger n'avait pas déjà déposé une demande d'asile dans un autre Etat de l'espace Schengen. En cas de réponse négative, il a indiqué que le dossier était transmis à l'OFPRA. Il a précisé qu'à Roissy la barrière de la langue n'était pas un obstacle à la prise en compte des demandes d'asile en raison de la disponibilité d'interprètes dans toutes les langues.

En réponse à la seconde question, il a indiqué que la zone d'attente de Roissy avait un taux d'occupation d'environ 50 personnes par jour, la durée moyenne de séjour ne dépassant pas deux jours.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé si, dans les départements et collectivités d'outre-mer, les services disposaient des moyens nécessaires au bon exercice de leurs missions.

M. Eric Le Douaron a estimé que les moyens alloués étaient suffisants. Il a précisé qu'ils se répartissaient de la façon suivante : près de 100 agents à Mayotte, 238 en Guyane, 234 en Guadeloupe et 142 en Martinique.

Il a ajouté que la création de cellules de coordination dans ces collectivités devrait permettre d'utiliser plus efficacement les moyens en place en faisant travailler ensemble la police nationale, la gendarmerie nationale ou les douanes.

M. Alain Gournac a souhaité savoir à qui incombait les coûts de transport à l'occasion de l'éloignement d'un étranger non admis, notamment dans le cas où ce dernier était porteur d'une somme d'argent.

M. Eric Le Douaron a répondu que dans tous les cas ces frais de transport étaient à la charge de l'Etat.

Audition de M. Bernard Basset, sous-directeur de la sous-direction « santé et société » au ministère de la santé et des solidarités

La commission d'enquête a enfin entendu M. Bernard Basset, sous-directeur de la sous-direction « santé et société » au ministère de la santé et des solidarités.

M. Bernard Basset, sous-directeur de la sous-direction « santé et société » au ministère de la santé et des solidarités, a tout d'abord indiqué que sa sous-direction était en charge de la santé des personnes précaires ou vulnérables et qu'elle s'intéressait, à ce titre, à la situation des migrants, et notamment de ceux en situation irrégulière.

Il a expliqué que la direction générale de la santé (DGS) menait, d'une part, des actions s'inscrivant dans le cadre de la politique générale de santé publique et qu'elle concourait, d'autre part, à l'application des règles législatives et réglementaires relatives au séjour des étrangers en France.

Sur le premier point, il a souligné qu'une réflexion importante avait été menée par les experts lors de la préparation de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Leur rapport montrait que les étrangers non communautaires étaient dans une situation défavorable en matière de santé et que les étrangers en situation irrégulière constituaient un sous-groupe particulièrement vulnérable ; ils invitaient les autorités sanitaires à améliorer leur connaissance de l'état de santé de cette population.

Les étrangers peuvent par ailleurs présenter des problèmes de santé spécifiques en fonction de leur origine géographique : les ressortissants de pays d'Afrique sub-saharienne sont ainsi davantage concernés par l'infection au VIH. Un volet du programme de lutte contre le sida est consacré à la prévention de l'épidémie chez les migrants, afin d'améliorer l'information de ces populations, de favoriser les comportements de prévention et d'inciter au dépistage.

Sur le second point, M. Bernard Basset a rappelé que la DGS participait à la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui permet au préfet de délivrer une carte de séjour temporaire pour raisons de santé. Cette carte est délivrée dans l'hypothèse où le défaut de prise en charge de ses problèmes de santé entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'étranger et à condition qu'il ne puisse bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

La décision de l'autorité préfectorale est prise après avis du médecin inspecteur de la santé publique, sauf à Paris où l'avis est formulé par le médecin-chef de la préfecture de police. En théorie, le médecin inspecteur peut convoquer le demandeur devant une commission médicale régionale, dont la composition est fixée par décret. Les commissions régionales ne sont cependant pas encore constituées, la publication des nécessaires décrets d'application ayant sans doute été retardée par les réflexions en cours sur la définition d'une nouvelle politique d'immigration.

Au niveau central, le ministère de la santé travaille avec les ministères de la cohésion sociale et de l'intérieur. Soucieux de protéger la santé des personnes, il veille à préserver les étrangers des conséquences fâcheuses qui pourraient résulter d'une interruption de traitement consécutive à une expulsion.

Le nombre de titres de séjour délivrés en 2004 en application de l'article L. 313-11 du CESEDA s'est élevé à 16.000, selon les chiffres du ministère de l'intérieur, ce qui ne représente qu'environ 1% du nombre total de titres de séjours délivrés dans l'année. Très peu d'étrangers bénéficient donc de cette disposition pour séjourner en France.

La DGS a également participé à la réflexion sur la réforme de l'aide médicale d'Etat (AME), dispositif dont elle n'assure cependant pas le pilotage. Elle s'est attachée à garantir la santé des personnes tout en luttant contre les détournements de procédure.

M. Louis Mermaz a demandé si les personnes dans un état grave bénéficiaient obligatoirement d'une assistance médicale.

M. Bernard Basset a répondu que, comme le précisait la circulaire relative aux bénéficiaires de l'AME, l'accès au système de santé était toujours garanti dans les situations d'urgence. Dans les autres cas, les étrangers peuvent effectuer une demande de titre de séjour à la préfecture s'ils estiment que leur état de santé risquerait de s'aggraver s'ils retournaient dans leur pays d'origine.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur l'état de santé des étrangers en situation irrégulière.

M. Bernard Basset a indiqué que l'infection au VIH était la pathologie la plus répandue parmi les bénéficiaires de titres de séjour délivrés pour raisons de santé et qu'elle représentait environ 15% des cas. Il a cité les chiffres relatifs à la Guyane et à Mayotte, qui sont particulièrement concernés par l'immigration irrégulière : en 2004, 544 avis ont été émis par les médecins inspecteurs en Guyane, dont 535 étaient favorables, et 433 avis ont été rendus à Mayotte, dont 300 étaient favorables. Il a ensuite remis à la commission un document contenant les données statistiques sur la France entière.

En réponse à une question de M. Georges Othily, président, qui a souhaité connaître le coût budgétaire de l'AME, M. Bernard Basset a indiqué que 360 millions d'euros avaient été consacrés à l'AME sur les quatre derniers trimestres et que les dépenses avaient diminué depuis l'entrée en vigueur de la réforme de 2003, puisqu'elles étaient auparavant de l'ordre de 500 millions d'euros chaque année.