Mercredi 8 mars 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Audition de MM. François Asensi, maire de Tremblay-en-France, Serge Dassault, maire de Corbeil-Essonnes, Gérard Gaudron, maire d'Aulnay-sous-Bois, Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, Jacques Mahéas, maire de Neuilly-sur-Marne, Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois, François Pupponi, maire de Sarcelles et Gilbert Roger, maire de Bondy

La mission a procédé à l'audition de MM. François Asensi, maire de Tremblay-en-France, Serge Dassault, maire de Corbeil-Essonnes, Gérard Gaudron, maire d'Aulnay-sous-Bois, Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, Jacques Mahéas, maire de Neuilly-sur-Marne, Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois, François Pupponi, maire de Sarcelles et Gilbert Roger, maire de Bondy.

M. Alex Türk, président, a tout d'abord indiqué que le déplacement de la mission, prévu le vendredi 24 mars à Lille, aurait lieu à une date ultérieure, celui du jeudi 23 mars à Bruxelles, étant maintenu.

Il a remercié les maires d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information et a invité chacun d'entre eux à exposer brièvement leur analyse des difficultés que connaissent certains quartiers de leur commune.

M. François Asensi, maire de Tremblay-en-France, a rappelé en préambule que sa commune, située à proximité de l'aéroport de Roissy et dotée d'un potentiel financier élevé, ne bénéficiait pas d'un contrat de ville.

Pourtant, certains quartiers de sa commune ont toutes les caractéristiques d'une zone urbaine sensible (ZUS) et constituent de véritables lieux de relégation et de ségrégation sociale, ce qui se traduit par une proportion croissante de jeunes déscolarisés et désocialisés. Malgré le nombre important des dispositifs mis en oeuvre au cours des quinze dernières années dans le cadre de la politique de la ville, il a estimé que les conditions étaient réunies pour que les violences urbaines de novembre 2005 éclatent. Il a déploré que la multiplication des textes législatifs et réglementaires ait abouti à une discontinuité de l'action publique, alors qu'en ce domaine, il est préférable que celle-ci s'inscrive dans la durée.

Il a également évoqué les coûts importants des émeutes urbaines de novembre dernier pour les communes de sa circonscription. Pour Sevran par exemple, le montant des dégâts s'élève à 2,5 millions d'euros et se traduit par un déficit budgétaire difficilement supportable, sauf à ce que l'intégralité de cette commune soit classée en Zus pour obtenir de l'Etat des moyens supplémentaires.

Exprimant son pessimisme pour l'avenir, il a appelé de ses voeux une réforme de la fiscalité locale et une véritable solidarité financière en Ile-de-France selon les niveaux de potentiel financier des communes. Il a également souligné l'importance du développement des réseaux de transport, qui permettent d'accéder aux bassins d'emplois, en veillant à ce que les tarifs pratiqués pour les usagers les plus éloignés ne soient pas excessifs.

Il a enfin déploré l'insuffisance des moyens consacrés à la rénovation des écoles et des collèges dans certains quartiers et a rappelé à quel point il était essentiel de garantir à tous les jeunes une offre scolaire de qualité.

M. Serge Dassault, maire de Corbeil-Essonnes, a tout d'abord souligné l'importance du rôle des élus, et spécialement du maire, qui doit accompagner les populations lorsqu'elles connaissent des difficultés.

Il a ensuite exposé les actions mises en oeuvre dans sa commune : le soutien des jeunes, au travers d'associations ou de maisons de quartiers, qui organisent des vacances et des stages ou aident les jeunes en recherche d'emploi à passer l'examen du permis de conduire, l'assistance aux familles par l'éducation à la parentalité et l'accompagnement vers l'emploi, notamment pour les jeunes.

Considérant que l'inactivité des jeunes est à l'origine de la majorité des problèmes qu'ils rencontrent, il s'est félicité de la promotion de l'apprentissage dans le cadre du projet de loi pour l'égalité des chances. Il a également souhaité la mise en place d'un examen obligatoire à partir de la classe de cinquième, permettant de déterminer plus en amont l'orientation scolaire des élèves. A cet égard, il a estimé que la décision d'orientation devrait être du ressort des professeurs, et non des parents. Il a enfin souhaité que le service civil soit obligatoire et non volontaire, tout comme l'apprentissage de quatorze à dix-huit ans, afin que les jeunes ne soient pas livrés à eux-mêmes.

M. Gérard Gaudron, maire d'Aulnay-sous-Bois, a rappelé que sa commune bénéficie, depuis 1983, de nombreux dispositifs et soutiens, financés par la politique de la ville : grand projet urbain (GPU), dotation de solidarité urbaine (DSU), programme de rénovation urbaine (PRU), contrat de ville, etc., qui ont permis de financer des actions de soutien à la parentalité, d'éducation à la citoyenneté et d'alphabétisation, ainsi que la mise en place d'un contrat local de sécurité, d'une maison de l'économie et de l'emploi, la construction d'un gymnase et la rénovation des bâtiments scolaires.

Malgré tous les efforts entrepris, notamment en direction des jeunes, la commune d'Aulnay-sous-Bois a connu des violences urbaines et des dégradations, dont le coût est estimé à 1,1 million d'euros. Il s'est dit à la fois surpris et inquiet que de telles révoltes aient pu se développer malgré l'importance des moyens déployés dans les quartiers les plus sensibles, au détriment, selon certains, des résidents des autres quartiers plus favorisés, qui commencent à émettre des critiques sur le coût de ces politiques.

M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, a rappelé que sa commune conduisait une politique de la ville depuis 1983, en particulier en direction du quartier des Bosquets, qui représente seulement 3 % du territoire communal, mais 50 % de la population des moins de 20 ans. Les événements de novembre dernier étaient, de son point de vue, prévisibles, dès lors que les politiques engagées par M. Nicolas Sarkozy et M. Jean-Louis Borloo avaient perturbé le jeu de trois catégories d'acteur de la vie de ces quartiers : certaines associations qui, en présentant les jeunes comme des victimes de l'ultralibéralisme, contribuent à les éloigner des réalités du monde du travail, les représentants du fondamentalisme religieux, notamment musulman, qui trouvent un intérêt à la désagrégation du tissu social pour mieux apparaître comme un recours, et les bénéficiaires de l'économie souterraine, qui mine la vie de ces quartiers.

Il a vivement critiqué le relativisme et le droit à la différence qui prévalent depuis 25 ans dans notre pays et qui ne préparent pas les jeunes à leur arrivée dans le monde du travail. Ainsi, alors que tous les jeunes aspirent à fonder une vie de famille et à trouver un logement, ils ne disposent ni des savoir-faire, ni des « savoir-être » nécessaires à leur insertion dans la vie active.

Il a par ailleurs insisté sur le décalage existant entre notre culture, centrée sur l'individu, et la vision du monde de certaines populations de confession musulmane, fondée sur l'appartenance à la communauté, cette divergence expliquant des comportements et des positionnements différents. Il a ainsi considéré que l'enjeu dans les quartiers difficiles était autant d'ordre culturel que social et économique.

Il a estimé que trois priorités devaient être prises en compte dans les contrats de ville : l'apprentissage du français pour les primo arrivants comme pour les populations présentes depuis longtemps sur le territoire national, mais ne maîtrisant pour autant pas notre langue, l'aide à la parentalité, et la découverte des grandes oeuvres de la culture française pour éviter le repli sur le communautarisme.

Il a remarqué que le calme actuel des quartiers lui semblait très précaire et que tout se passait comme si deux mondes distincts, avec leurs logiques propres, n'avaient plus envie de se parler.

M. Jacques Mahéas, maire de Neuilly-sur-Marne, a fait part de cinq constatations tirées des violences urbaines de novembre dernier : elles n'étaient pas organisées, les médias leur ont servi de caisse de résonance et ont piégé certains élus, les incendiaires ont pénalisé leurs propres quartiers, les propos d'un ministre ont déclenché la crise tout en contribuant à accroître sa popularité, la mobilisation des élus et des populations a joué un rôle décisif dans la gestion de cette crise. Il a considéré que deux attitudes étaient possibles face aux événements, soit avoir recours à la force armée et décréter le couvre-feu, soit voir dans la crise le symptôme de la misère sociale et de la faillite éducative de notre pays. Il a opté pour la seconde perspective tout en rappelant qu'en dépit de la dégradation de la situation des quartiers, la politique de la ville avait permis de retarder le déclenchement de la crise et même de sauver certains quartiers.

Il a ensuite évoqué le développement de la pauvreté dans nombre de quartiers, tout comme la stagnation culturelle des populations qui y vivent et le rôle « abêtissant » de la télévision. Il a dressé la liste des difficultés de ces quartiers : carence en professeurs aguerris, communautarisme, montée des extrémismes, en particulier religieux, extension des marchés parallèles (trafic de drogue...), déclin des commerces traditionnels, crise du logement, déficit d'équipements publics, absence de mixité des populations, multiplication des familles monoparentales.

Il a estimé que, pour répondre à ces enjeux, la politique de la ville devait pouvoir s'adosser à une véritable solidarité financière entre les communes et a notamment critiqué l'évolution négative des dotations de l'Etat depuis quatre ans. Parmi les mesures à prendre, il s'est prononcé en faveur d'une combinaison entre petits programmes d'accession à la propriété et loyers libres, du maintien des zones d'éducation prioritaires et de la préservation de leurs moyens lors de la création de zones de réussite scolaire, d'une meilleure adéquation entre les formations des jeunes et les besoins du bassin d'emploi. Il a souligné l'importance de l'objectif de 20 % pour le logement social, ainsi que la nécessité d'éviter, en cas de destruction des immeubles, de reloger leurs habitants dans une autre ZUS.

M. Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois, a constaté que la situation réelle des quartiers pouvait être appréhendée en rassemblant chaque « part de vérité » exprimée par les maires présents. Il a rappelé que sa commune était déjà une des villes pilotes créées par Gilbert Bonnemaison et qu'elle avait, comme beaucoup d'autres, appliqué toutes les recettes de la politique de la ville. Il s'est associé au souhait du maire de Montfermeil d'échapper au « politiquement correct » pour qualifier la réalité des situations des quartiers. Il a souligné que la politique de la ville était engagée dans une course-poursuite avec les conséquences des difficultés économiques nées de la mondialisation et des transformations sociales, que l'on pouvait illustrer en comparant les photographies des mêmes cours d'écoles depuis 20 ans.

Il a distingué deux catégories de populations des quartiers : celle, très majoritaire, sur laquelle les politiques en matière d'éducation ou d'accompagnement social peuvent faire effet, et celle qui est désormais hors de portée de ces politiques, qui vit dans un autre univers et vis-à-vis de qui le dialogue est devenu impossible. Il a précisé son propos en mentionnant les jeunes qui ne fréquentent plus les centres sociaux et que les éducateurs ne rencontrent plus. Il a estimé que ces populations à la dérive devaient faire l'objet d'un investissement lourd consistant à « récupérer » et resocialiser chaque jeune individuellement.

M. François Pupponi, maire de Sarcelles, a considéré que la situation actuelle était le résultat de 50 années de ghettoïsation et de relégation des couches sociales les plus défavorisées et, en particulier, des populations issues de l'immigration. Il a cité en exemple de ghettos ethniques les collèges des quartiers que les professeurs de l'enseignement public évitent, désormais, pour leurs propres enfants. Il s'est vivement élevé contre la discrimination qui conduit la commune de Sarcelles à subir un taux de chômage de 21 %, soit le double de la moyenne nationale, alors qu'elle est située au centre d'une zone de plein emploi qui bénéficie notamment de la présence de l'aéroport de Roissy. S'agissant des événements de novembre 2005, il a relevé que l'embrasement n'avait pas pris fin et qu'il se manifestait, depuis, par la multiplication des agressions violentes et gratuites. Il a estimé que les jeunes très minoritaires qui se livraient à ces actes de délinquance (une vingtaine d'individus sur une population totale de 50.000 habitants) considéraient, depuis novembre 2005, avoir reçu une autorisation d'agresser et de voler. Il a considéré que le traitement des événements par les médias et l'état de déshérence du secteur de la psychiatrie en France avaient chacun leur part de responsabilité dans le comportement de jeunes qui, pour passer à la télévision, n'hésitent plus à mettre le feu. Rappelant que de récentes agressions à caractère antisémite avaient eu lieu à Sarcelles, il a estimé que la façon dont les médias avaient traité du drame de l'assassinat du jeune Ilan Halimi avait sans doute contribué à la multiplication de tels actes. Il a, enfin, exprimé sa crainte face à une évolution qui conduit des jeunes, d'abord violents contre eux-mêmes, à agresser désormais leur propre environnement et bientôt peut-être les « beaux quartiers ».

Précisant que la commune de Sarcelles compte 38 000 habitants en zone urbaine sensible ainsi que 3 000 personnes hébergées, il a regretté que ces dernières ne soient pas prises en compte dans le calcul des dotations aux collectivités territoriales, ce qui aboutit à surtaxer ceux qui peuvent payer l'impôt. Il a déploré, à cet égard, la nouvelle répartition de la majoration de la dotation de solidarité urbaine (DSU) qui, en s'ouvrant aux grandes villes, a pénalisé les 300 villes françaises disposant de plus de 80 % de logements sociaux. Il a, enfin, souligné qu'il serait stigmatisant et traumatisant pour les habitants des zones urbaines sensibles de leur imposer une « mixité sociale » qui ne pourrait se réaliser que par la disparition de la moitié des logements de leur quartier.

M. Gilbert Roger, maire de Bondy, a indiqué que les violences avaient duré 11 nuits dans sa commune, mais que les dégâts y avaient été relativement limités. Il a noté que le quartier de Bondy-Nord avait connu, en 22 ans, une dégradation inacceptable des conditions économiques et sociales, celles-ci se caractérisant notamment par une forte cohabitation des générations dans les logements dont plus de 50 % sont des logements sociaux, et par la disparition des services publics et privés. Il a souligné, à cet égard, la pénalisation que représente pour une population de 14 000 habitants, soit l'équivalent d'une ville moyenne en milieu rural, l'absence d'antenne EDF, de caisse d'allocations familiales, de banques, de police de proximité qui favorise en outre le développement de trafics en toute impunité. Il a insisté sur la nécessité d'appliquer, comme sur l'ensemble du territoire, le droit commun. Il a souligné que souvent, ce qui était donné au titre de la politique de la ville était repris par le biais d'une restriction des crédits attribués au titre des politiques générales.

Il a évoqué, ensuite, les conséquences regrettables sur les quartiers sensibles de certaines décisions politiques nationales en prenant l'exemple des contraintes liées à l'application de la loi sur l'archéologie préventive qui ont entraîné, pour la ville de Bondy, une dépense de 2,2 millions d'euros à la suite de la découverte d'un cimetière de l'époque mérovingienne. Il a regretté également que les résultats du dernier recensement ne puissent être pris en compte qu'à compter de 2009, alors que sa commune a connu une très forte augmentation de population entre 1999 et 2005. Il a estimé que ce décalage permettait à l'Etat de réaliser des économies en pesant sur les budgets des collectivités.

Il a également fait état de différences de traitement injustifiées s'agissant des effectifs policiers, dont la densité est d'un policier pour 630 habitants à Bondy, contre un policier pour 200 habitants à Paris. Il a rappelé qu'une partie des effectifs de la Seine-Saint-Denis avait été, pendant les nuits d'émeutes, affectée à la surveillance des abords du stade de France. Evoquant les mesures susceptibles d'améliorer la situation des quartiers, il a proposé d'accélérer les procédures de renouvellement des titres de séjour en autorisant le dépôt des demandes en mairie afin d'éviter des files d'attentes peu compatibles avec la dignité des personnes. Il a souligné le rôle parfois négatif des médias, indiquant que l'intervention de journalistes suisses de l'Hebdo de Lausanne avait pu conduire à radicaliser l'attitude de certains jeunes. Il a, enfin, regretté la lenteur de l'instruction des dossiers par l'ANRU et l'impossibilité statutaire de rétribuer les employés des communes pour le travail supplémentaire effectué pendant les événements, alors que les policiers se sont vus attribuer une prime exceptionnelle.

A l'issue de ces exposés, un large débat s'est engagé.

M. Alex Türk, président, a tiré de ces différentes interventions la conclusion que nos quartiers pouvaient connaître de nouvelles flambées de violence. Il s'est en outre félicité de la diversité des approches mise en évidence par cette table ronde.

M. Pierre André, rapporteur, a reconnu, comme M. Claude Pernès, que la politique de la ville était au coeur des débats depuis de nombreuses années, mais il a aussi constaté que les événements de novembre dernier avaient mis en lumière le rôle central du maire, en première ligne tout au long de cette crise. Au rang des principales questions à traiter par les maires, il a évoqué les problèmes d'indemnisation et les enseignements à tirer pour l'avenir de ces événements.

S'associant aux propos de M. François Asensi, il a insisté sur l'impératif de continuité en matière de politique de la ville, ainsi que sur la nécessité de développer également des politiques de droit commun en ce domaine. S'agissant des relations avec les représentants de l'Etat au cours des événements, il a déploré non pas trop d'Etat, mais au contraire une absence trop fréquente d'interlocuteurs, en particulier du côté de la police nationale.

A la différence de M. Xavier Lemoine, il a considéré que les communes étaient confrontées à un problème de moyens dont la solution se trouvait dans le système de péréquation des ressources. A cet égard, il a rappelé l'adoption d'une réforme importante de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et a regretté le dépôt, dans le projet de loi pour l'égalité des chances, d'un amendement tendant à faire bénéficier les communes rurales de la DSU, celui-ci illustrant la difficulté à mettre en oeuvre une péréquation efficace en faveur des communes les plus en difficulté.

Revenant sur l'intervention de M. Gérard Gaudron, il a déclaré avoir reçu, depuis les événements de la fin de l'année 2005, plusieurs lettres anonymes mettant en cause les actions menées par sa commune dans les quartiers en difficulté, ceci illustrant un début de remise en cause du principe de solidarité.

Il a enfin insisté sur l'importance des contrats de ville qui vont être négociés dans les mois à venir et qui détermineront le niveau de financement de la politique de la ville pour les prochaines années.

Evoquant l'impact des images télévisées, en particulier pour les incendies de forêt dans son département, M. André Vallet a souligné les effets dévastateurs de la télévision sur les habitants des quartiers en difficulté et a demandé aux maires auditionnés s'ils souhaitaient plus de retenue de la part des médias. Il s'est également interrogé sur le rapport des jeunes à la police, ainsi que sur l'implication des enseignants dans les quartiers.

M. Thierry Repentin a noté que même si la télévision avait privilégié l'Ile-de-France dans le traitement des événements en novembre 2005, la situation avait été tout aussi préoccupante en province, où les violences n'ont d'ailleurs pas cessé. Il a demandé aux maires s'il convenait de poursuivre les efforts vis-à-vis de la mixité et s'est enquis de leurs souhaits concernant leurs compétences en matière de justice, de sécurité ou de versement des prestations sociales.

M. Dominique Braye a considéré qu'il ne fallait plus se contenter de demi-mesures et qu'il convenait de dépasser le débat trop convenu entre prévention et répression. S'appuyant sur son expérience d'élu local, il a regretté qu'à force d'avoir été victimisés, beaucoup de jeunes aient cru que la société leur devait réparation. Il a souligné que l'emploi était au coeur du malaise de ces jeunes et, dans cette perspective, il s'est interrogé pour savoir si l'éducation et la formation n'étaient pas à la racine de ce mal.

Il a estimé, comme l'avait fait M. François Pupponi, que l'imputation de la mort du jeune Ilan à l'antisémitisme était trop réductrice et ne rendait pas compte de la réalité des problèmes des quartiers difficiles.

M. Claude Pernès a fait part des difficultés auxquelles il avait été confronté avec les équipes de télévision couvrant les événements dans sa commune. Il a regretté que seules les images les plus négatives pour sa ville et les plus spectaculaires aient été retenues dans les reportages, sans avoir eu l'opportunité d'exercer le moindre droit de réponse. Il a estimé qu'une réflexion commune avec les représentants des médias était devenue nécessaire pour encadrer ces pratiques dans le respect du droit à l'information.

M. Serge Lagauche a souhaité que soient bien distingués les rôles entre les membres de la mission et les personnalités auditionnées, alors même que certains membres de la mission pourraient tout aussi bien, au titre de leurs expériences, figurer parmi les maires entendus.

Il a considéré qu'il était illusoire d'envisager un contrôle strict des médias et a rappelé qu'ils n'étaient d'ailleurs pas à l'origine des événements, qui résultent plutôt des taux de chômage élevés, y compris dans les bassins créateurs d'emplois.

M. Xavier Lemoine, a expliqué qu'il avait été contraint de se soustraire aux journalistes lors des événements, afin que leurs commentaires, largement dictés par une logique d'audience, ne suscitent de nouvelles catastrophes. Après avoir rappelé que les premiers incidents dans sa commune avaient d'abord été le fait de collégiens, puis que les auteurs des exactions étaient de jour en jour plus âgés, il a expliqué que la présence de la brigade anti-criminalité suscitait une rancoeur au quotidien dans ces quartiers, mais qu'en revanche l'expérience de la police de proximité dans sa commune avait permis de nouer un dialogue entre les jeunes et la police. A la lumière de ce double constat, il a estimé qu'il convenait donc de revoir le mode opératoire de la police dans ces quartiers. Enfin, après avoir considéré que les contrats de ville et leurs cahiers des charges étaient désormais clairs, il a souligné que l'attribution d'éventuelles nouvelles compétences aux maires devait s'accompagner de moyens supplémentaires.

M. François Pupponi, a réclamé des engagements contractuels tenus par l'Etat et qui puissent lui être effectivement opposables, le Grand Projet de Ville (GPV) qu'il avait signé avec l'Etat pour la période 2000-2006 à Sarcelles étant par exemple devenu caduc. Il a formé également le voeu que les communes ne soient pas contraintes chaque année de « mendier » leurs financements auprès de l'Etat.

Abordant le thème de l'emploi des jeunes, il a dénoncé les discriminations à l'embauche dont certains font l'objet et qui se fondent tant sur le patronyme et que sur la ville de domicile, et a proposé la création « d'emplois francs » bénéficiant d'une exonération de charges pour l'embauche de jeunes issus des quartiers en difficulté. Il a regretté que trop souvent les communes supportent les nuisances liées à l'activité économique sans en toucher les dividendes en matière d'emploi. Ainsi, alors que Sarcelles s'engageait dans la réalisation d'opérations de construction de logements en accession à la propriété, une récente redéfinition de son Plan d'exposition au bruit a brutalement remis en cause les réserves foncières constituées à cet effet par la commune depuis plusieurs années.

Revenant sur les agressions à caractère antisémite, il a lui aussi jugé utile de préciser que celles-ci ne devaient pas occulter les autres actes de violence.

S'agissant de l'école publique, il a également souligné la nécessité de donner à l'école de la République les moyens d'accueillir tous les enfants, en particulier ceux issus de populations d'origine étrangère. Il a en outre exprimé son souci de pouvoir initier puis conduire dans le temps les politiques de réussite éducative sans être entravé par des contrôles prématurés de la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV).

Enfin il a salué le travail de fond accompli par les associations en matière de politique de la ville.

M. Gilbert Roger a indiqué que les images diffusées à la télévision avaient contribué à l'amplification des événements et favorisé une certaine rivalité entre les quartiers. Il a exprimé des doutes sur la possibilité d'engager un véritable débat avec la presse sur ce sujet. Il s'est déclaré en accord avec M. François Pupponi sur la nécessité d'attribuer aux maires les moyens de leurs compétences. S'agissant des relations entre la jeunesse et la police, il a souhaité que les jeunes policiers soient mieux formés et relevé que les contrôles à répétition créaient un état de tension permanente dans les quartiers. Il a considéré, enfin, que les maires étaient les mieux placés pour évaluer le travail des associations et souhaité une plus grande stabilité des fonctionnaires de l'Etat, notamment des préfectures, dans les quartiers sensibles.

M. François Asensi a souligné que les maires, qui assurent déjà le rôle d'assistants sociaux et d'éducateurs, ne souhaitaient pas de nouveaux pouvoirs, mais des moyens, sans lesquels le déterminisme social continuera à détériorer la vie des quartiers. Il s'est élevé contre la « valse » des représentants de l'Etat dans les quartiers sensibles et s'est interrogé sur la nature de la formation dispensée à l'Ecole nationale d'administration sur la vie dans les banlieues.

M. Gérard Gaudron a salué le rôle des associations dans la résolution des problèmes rencontrés sur le terrain ainsi que celui des équipes pédagogiques. Soulignant, à propos du rôle des médias, que l'incendie de la concession Renault d'Aulnay-sous-Bois avait été largement évoqué par de nombreux journalistes étrangers, et en particulier CNN, il a admis que certains journalistes avaient fini par s'interroger sur la manière dont il convenait de traiter des évènements. Il a, enfin, regretté les retards dans l'attribution des subventions et l'obligation, pour les maires, de se plier à un formalisme très lourd dans le cadre des contrats de ville, même pour des crédits d'Etat d'un montant limité.

A l'issue de ce débat, M. Alex Türk, président, a remercié l'ensemble des participants et indiqué que cette table ronde permettrait d'affiner l'orientation des travaux de la mission d'information et ses choix de déplacements.