Mardi 11 avril 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président - La mission a procédé à un échanges de vues sur son programme de travail.

Programme de travail - Echanges de vues

M. Alex Türk, président, a rappelé que l'objet de la réunion était de faire un bilan des premières auditions et des déplacements effectués par la mission et de fixer son programme de travail pour les trois mois à venir. Il a ensuite indiqué que les auditions avaient permis de mettre en évidence les problèmes qui se posent aux quartiers en difficulté, même s'il est encore difficile, à ce stade, d'en identifier les causes majeures et de les hiérarchiser. L'objectif de la mission est, selon lui, de parvenir à reconstituer l'ordre de causalité des phénomènes observés afin de formuler un certain nombre de recommandations.

M. Pierre André, rapporteur, a confirmé que l'objectif de la mission était de réaliser un bilan débouchant sur des recommandations concrètes, qui seraient directement applicables par l'Etat et par les acteurs en charge de la politique de la ville.

A cet égard, les auditions et les déplacements déjà réalisés ont été instructifs et ont ouvert des pistes de réflexion qui permettent de dépasser les problématiques franco-françaises. Toutefois, les politiques observées dans les pays voisins ne sont pas forcément applicables dans notre pays : par exemple, la « loi de Rotterdam », qui met en oeuvre des règles très rigoureuses afin de favoriser la mixité sociale.

Il a ensuite annoncé l'audition des responsables de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) le mardi 30 mai à 16 heures et la tenue de plusieurs tables rondes sur l'éducation, l'urbanisme et le logement, ainsi qu'avec des représentants du monde économique et des syndicats.

Il a confirmé les déplacements du 4 mai en Seine-Saint-Denis à Clichy-sous-Bois, Sevran et Montfermeil, du 18 mai à Marseille, du 1er juin à Barcelone, du 5 au 9 juin en Guadeloupe et en Martinique, du 15 juin au Royaume-Uni et du 21 juin à Lille et à Roubaix.

M. Gilbert Barbier a demandé s'il était possible de disposer d'un calendrier détaillé des déplacements.

M. Alex Türk, président, a indiqué que ce programme serait communiqué aux membres de la mission.

Mme Marie-France Beaufils a exprimé le souhait que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées soient également auditionnés. Elle a également demandé que des éléments d'information précis soient communiqués à la mission sur la répartition de la dotation de solidarité urbaine.

M. Pierre André, rapporteur, a indiqué que ces chiffres avaient été demandés aux administrations concernées.

M. Jacques Mahéas a fait observer que le maire de Montfermeil avait déjà été auditionné par la mission et s'est interrogé sur l'opportunité d'un déplacement dans cette commune. Il a renouvelé son souhait qu'une table ronde soit organisée avec les médias et que la mission puisse disposer d'une analyse détaillée des dépenses consacrées à la politique de la ville par département afin d'en évaluer l'importance en les rapportant notamment au nombre d'habitants qui en sont bénéficiaires. Il a enfin indiqué qu'il serait intéressant de distinguer les engagements et les dépenses effectives.

Mme Marie-France Beaufils a souligné l'intérêt de distinguer les dépenses d'investissement et les dépenses de fonctionnement.

M. Alex Türk, président, a indiqué qu'un courrier à l'intention des préfets devait être envoyé dans les prochains jours, afin d'obtenir des précisions sur les crédits relevant de la politique de la ville dans chaque département.

M. Yves Dauge a souligné que si les quartiers connaissent des difficultés communes, les situations sont très diverses et ne se prêtent pas à un amalgame, celles-ci requérant une analyse fine de chaque territoire, en tenant compte des effets de propagation des comportements relayés notamment par les médias.

Il a ensuite insisté sur la nécessité de hiérarchiser selon l'urgence les propositions de la mission : l'amélioration des relations des populations avec la police, l'affectation des moyens de l'éducation nationale réalisée en fonction des besoins constatés sur le terrain ou la réorganisation de l'administration en charge de la politique de la ville, qui devrait être placée sous la responsabilité directe du Premier ministre, constituent, à son sens, des questions prioritaires auxquelles il faudra apporter des réponses. Pour le long terme, il a souhaité que la mission engage une réflexion sur une politique destinée à réduire les phénomènes de ségrégation et de ghettoïsation, soulignant en outre la nécessité de confier des pouvoirs plus importants aux maires et aux agglomérations.

Mme Dominique Voynet, souscrivant à cette analyse, a émis le voeu que les déplacements soient l'occasion de rencontrer non seulement les élus, mais aussi les acteurs associatifs, les chefs d'entreprise, les médiateurs et les policiers. Elle a également souhaité que les propositions de la mission soient hiérarchisées selon l'urgence, mais aussi selon l'efficacité, le coût et la rapidité de leur mise en oeuvre.

Mme Marie-France Beaufils a également souligné les différences qui existent entre les territoires. Elle a souhaité que la mission précise la notion de « responsabilité des maires », notamment en indiquant les moyens dont ils disposent pour s'acquitter de leurs missions et en définissant la nécessaire coopération qu'ils entretiennent avec les services de l'Etat.

M. Pierre André, rapporteur, a confirmé que l'objectif de la mission était d'aboutir à une liste de recommandations opérationnelles fondées sur une analyse fine de la réalité dans toute sa diversité, telle qu'elle aura pu être observée par exemple lors de ses déplacements.

Il s'est dit attentif à l'évolution du rôle du maire dans le cadre de la mise en place progressive des structures intercommunales et des nouvelles modalités de contractualisation entre les communes et l'Etat, via les nouveaux contrats de territorialisation et de cohésion sociale et les contrats de plan Etat-Région. Il s'est inquiété, à cet égard, de l'incidence de ces novations sur le tissu associatif.

M. Jacques Mahéas a exprimé sa crainte que les mesures prévues dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et dans le Livre blanc sur la sécurité ne soient en contradiction avec les propositions de la mission d'information.

M. Pierre André, rapporteur, a précisé que les propositions de la mission, fondées sur l'analyse des politiques de la ville et de leurs résultats depuis plus de quinze ans, auront leur cohérence propre et seront formulées en toute indépendance. Il a en outre indiqué que les premières auditions avaient déjà permis de recenser un grand nombre de propositions concrètes.

M. Jacques Mahéas a demandé si ces éléments pouvaient être transmis aux membres de la mission.

M. Alex Türk, président, lui a répondu par l'affirmative en précisant que certaines de ces propositions pouvaient être contradictoires.

Mercredi 12 avril 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Table ronde consacrée à la sécurité

A l'occasion d'une table ronde consacrée à la sécurité, la mission d'information a tout d'abord entendu Mme Lucienne Bui Trong, commissaire divisionnaire honoraire, ancien chef de la section « Villes et banlieues » à la Direction des renseignements généraux.

Mme Lucienne Bui Trong a en premier lieu rappelé avoir créé en mai 1991, soit quelques mois après les émeutes de Vaulx-en-Velin, une échelle de violences urbaines comprenant huit degrés, conçue comme un instrument d'aide à la décision pour le Gouvernement et permettant d'estimer l'intensité d'une réaction de solidarité pouvant le cas échéant conduire à des émeutes à partir de l'analyse de petits incidents quotidiens. Elle a en effet souligné que les émeutes intervenaient toujours dans des zones où s'étaient installés de petites violences collectives quotidiennes et des phénomènes de bande.

Elle a indiqué que ce phénomène était en pleine expansion, 105 quartiers connaissant ce type de violence en 1991, contre 900 en 2000, date à laquelle elle a quitté ses fonctions. Elle a précisé que le nombre de quartiers connaissant des difficultés importantes entravant l'intervention de la police était passé dans le même temps de 40 à 165, et que la violence urbaine s'était étendue aux centres-villes ainsi qu'aux lieux de vacances.

Elle a souligné le caractère novateur des événements de novembre 2005, à l'origine fondés sur un sentiment d'injustice et circonscrits à un territoire déterminé, puis étendus à l'ensemble du territoire. Elle a regretté que les cellules de crise et de veille n'aient pu endiguer cette dérive en raison d'une politisation rapide relayée par les médias ayant entraîné un effet d'émulation entre les cités.

Elle a ensuite déploré que ce qui n'était qu'un mouvement ludique généralisé ait pris une dimension politique et se soit vu dès lors légitimé comme l'expression d'un malaise. Elle a rappelé que les renseignements généraux luttaient contre l'indifférence à l'égard des violences urbaines au quotidien, en soulignant qu'elles constituaient une source de nuisances et de souffrances très importante.

Elle a enfin considéré qu'il ne fallait pas opposer répression et prévention et que s'il convenait de défendre la politique de la ville, il fallait aussi chercher à comprendre les actions de la police et ne pas se fier aux rumeurs et stéréotypes véhiculés sur elle.

M. Cédric Gambaro, commissaire de police du Raincy, a ensuite indiqué avoir été affecté à 28 ans, dès sa sortie de l'Ecole nationale supérieure de police, à Aulnay-sous-Bois, avant d'être nommé ensuite chef de circonscription pour les communes du Raincy et de Clichy-sous-Bois.

Il a présenté les particularités de cette dernière commune, en rappelant qu'elle comptait 28.000 habitants et se distinguait par la jeunesse de sa population (50 % de moins de 25 ans), un taux de chômage important (de 23,5 % en 1999, contre 12,9 % au plan national), un fort taux d'étrangers (de 35 %, pouvant atteindre 56 % dans certains quartiers), ainsi que par la verticalité de son habitat, collectif à 78 %. Il a ajouté que 49 % des logements étaient situés dans des immeubles comportant au moins neuf étages et que 27 % des ménages de six personnes ou plus résidaient dans des appartements d'au maximum 3 pièces, ceci ayant pour conséquence une dégradation des parties communes et des problèmes de savoir-vivre ensemble. Il a ensuite déploré l'absence d'interlocuteurs pour la police en raison du surendettement de nombreuses copropriétés, qu'il s'agisse de demander des aménagements de sécurité ou l'enlèvement d'épaves automobiles situées sur le domaine privé.

Il a ensuite rappelé la faiblesse de l'activité économique et l'enclavement de la ville en l'absence de desserte de RER, estimant que cette situation renforçait la logique de territoire et le caractère local de la délinquance.

Il a jugé difficile de connaître le volume réel de la délinquance, la population recherchant d'abord un règlement communautaire et répugnant à dénoncer les crimes et délits par crainte des représailles. Il a indiqué qu'étaient ainsi favorisés le dépôt de pétitions ainsi que les dénonciations anonymes, et qu'un poste de police de proximité avait été fermé, une seule main courante ayant été déposée en huit mois, la population préférant se déplacer au Raincy par souci de discrétion. Il a ajouté que les plaintes visaient avant tout des infractions susceptibles d'être indemnisées par les assurances.

Il a précisé que la délinquance de roulage (concernant les automobiles) représentait près de la moitié de la délinquance de voie publique, ce qui traduisait la vitalité de l'économie souterraine, les dégradations et les incendies de biens publics et privés représentant près de 60 % de la délinquance de voie publique. Il a rappelé qu'avant même les émeutes de novembre, l'année 2005 avait été marquée par trois incendies d'écoles, les incendies, particulièrement visibles, visant à montrer un contrôle du territoire.

Il a ensuite souligné la surreprésentation de la délinquance des mineurs, ceux-ci étant impliqués dans 83 % des vols avec violence, 71 % des extorsions, 75 % des cambriolages et 89 % des dégradations de biens publics.

Il a rappelé que si la population ressentait le plus durement des infractions peu réprimées, comme l'occupation des halls d'immeubles et les rixes entre les bandes, elle refusait souvent de témoigner, et que les victimes, si elles déposaient plainte, ne participaient pas ou se rétractaient, leur voiture étant fréquemment incendiée et leurs enfants menacés, la police ne pouvant alors que favoriser leur déménagement.

Il s'est toutefois félicité de la qualité du partenariat institutionnel.

Après avoir indiqué que la police nationale de sécurité publique, hors préfecture de police et services spécialisés, représentait 80.000 personnes, M. Philippe Laureau, directeur central de la sécurité publique, a déclaré partager l'analyse faite par Mme Lucienne Bui Trong et souligné que si des émeutes avaient eu lieu en novembre dernier, la situation était très tendue depuis de nombreuses années. Il a toutefois estimé exceptionnel qu'un phénomène ponctuel comme la mort de deux adolescents atteigne une telle ampleur nationale.

Il a jugé paradoxale la hausse des violences urbaines, se manifestant notamment par une croissance des incendies de voitures, parfois par pure oisiveté, alors même la délinquance générale avait baissé depuis 2001 de 10 % et celle de voie publique, de 20 %.

Il a jugé peu concluante la mise en place d'une police de proximité, et considéré que la délinquance de violences urbaines était le fait des mêmes personnes que la délinquance traditionnelle, et qu'il convenait d'accroître la sévérité à l'encontre des auteurs de violences urbaines afin d'endiguer la criminalisation d'adolescents.

Il a donc appelé à l'engagement de tous les partenaires, en estimant indispensable d'apporter une présence policière et un soutien financier accrus à de nombreux quartiers, en sus des 24 quartiers bénéficiaires d'un programme spécifique.

Il s'est enfin félicité du passage d'une logique de sécurité publique visant à faire cesser des actes de délinquance sans interpeller leurs auteurs à une logique de police judiciaire consistant à multiplier les interpellations, ainsi que de la mobilité et de la souplesse des compagnies républicaines de sécurité.

Après avoir mis en exergue la « faiblesse doctrinale » de la police de proximité, en s'appuyant sur l'exemple de sa mise en place à Avignon, ville figurant parmi les plus criminogènes de France, M. Patrick Chaudet, chef du bureau de la délinquance urbaine et des affaires judiciaires, a fait valoir que les horaires de présence de cette police sur le terrain s'étaient avérés mal adaptés aux caractéristiques de la délinquance. Précisant qu'elle avait été non pas supprimée, mais réformée, il a expliqué que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure et l'instruction ministérielle du 24 octobre 2002 avaient donné davantage de souplesse aux directeurs départementaux pour l'adapter aux réalités locales et avaient renforcé les équipes d'intervention. Il a ensuite relevé que, parallèlement à la réduction de la délinquance de voie publique, une hausse des violences contre les personnes avait été constatée à partir de 2004, et a souligné que la lutte contre les violences urbaines était devenue une priorité à compter de cette date. Cette priorité, a-t-il ajouté, s'est traduite par la réactivation des bureaux de coordination de la lutte contre les violences urbaines et par la création d'un bureau national de coordination de ces violences, chargé d'analyser les dispositifs existants et de mettre en place des outils pour mieux comprendre le phénomène. Après avoir jugé que la notion de violences urbaines n'était définie ni juridiquement ni administrativement (les services de gendarmerie en ayant, par exemple, une autre définition que les services de police), il a rappelé la création, il y a dix-huit mois, d'un nouvel indicateur de mesure de ces violences, permettant notamment de mieux prendre en compte les déclarations effectuées par les usagers. Il a ajouté que cet indicateur était encore perfectible, et indiqué qu'un plan d'action sur 25 quartiers prioritaires avait été mis en place, afin d'associer les différents ministères concernés, notamment ceux de l'éducation nationale et de l'emploi, et d'élaborer un indicateur reposant sur des critères tels que les violences scolaires ou l'absentéisme.

A propos des violences urbaines de l'automne, M. Sébastian Roché, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a estimé nécessaire d'adopter une approche modeste s'agissant de la détermination des causes de ce phénomène, notamment du fait de l'absence de communication par les administrations de données précises concernant les circonstances du décès tragique des deux jeunes au début des événements. Qualifiant ces derniers de phénomène « unique et plurifactoriel », il a évoqué une « séquence d'événements marquée par des bifurcations successives » : décès des deux jeunes, gestion de cet événement par les autorités, insuffisance des effectifs de police et diffusion des violences dans l'ensemble de l'Ile-de-France, y compris dans des villes comportant peu de quartiers classés en zone urbaine sensible. Relevant que les décisions les plus importantes avaient été prises après la crise, il a comparé celle-ci à une épidémie propagée par deux vecteurs, la proximité géographique et le système médiatique, et accentuée par la réceptivité des quartiers. Après avoir constaté que des pays étrangers confrontés aux mêmes problèmes économiques et de ségrégation n'avaient pas connu de tels événements, il a estimé que l'idée d'un facteur déclenchant constituait une « illusion rétrospective », dans la mesure où d'autres incidents du même type n'avaient pas engendré d'émeutes, et a conclu à l'absence de certitudes quant aux facteurs favorisant ces violences.

Il a ensuite jugé qu'un certain nombre d'éléments structurels n'avaient pas été corrigés, et s'étaient même aggravés :

- la faible capacité d'anticipation des services de police, marqués par une « culture de la réaction » ;

- l'absence de construction d'un outil pertinent de compréhension des violences urbaines depuis les premières émeutes, survenues 25 ans auparavant, et l'imperfection de l'indicateur national des violences urbaines (INVU), qui n'a pas enregistré de pic pendant les émeutes, et qui résulte d'un compromis entre administrations, destiné à établir un constat a posteriori, alors qu'il faudrait un indicateur local, permettant d'anticiper les événements ;

- la classification « Confidentiel défense » des rapports des renseignements généraux, alors qu'il n'existe aucune autre source d'information ;

- l' « oubli des banlieues », dès avant 2002, qui s'est caractérisé par l'absence d'utilisation des indicateurs de mesure des violences urbaines ;

- la judiciarisation des renseignements généraux, visible, par exemple, à travers les groupements d'intervention régionaux (GIR), qui porte atteinte à la légitimité de la police en banlieue.

Enfin, il a estimé que la police de proximité avait constitué un outil de reconquête, permettant d'intervenir dans les zones les plus en difficulté, et d'ancrer la police dans ces quartiers.

Après avoir rappelé qu'un maire auditionné par la mission avait attribué les violences urbaines à la nature des relations entretenues par les jeunes avec les unités d'intervention de la police, M. Thierry Repentin a interrogé les intervenants sur les relations des services de police avec le parquet, sur la mise en place du système de dépôt de témoignages sous X, et sur l'évolution, depuis cinq ans, du nombre d'implantations immobilières dans les zones urbaines sensibles.

M. Yves Dauge a jugé, également, que la question de la stratégie policière face à la crise n'avait toujours pas été réglée, et qu'une présence permanente de la police était indispensable pour mieux connaître le terrain. Il s'est ensuite interrogé sur le bilan de l'application des conseils locaux de sécurité.

Après avoir insisté sur la nécessité d'une « reconquête des territoires », Mme Marie-France Beaufils a demandé si la police de proximité n'aurait pas mieux fonctionné en étant dotée de moyens suffisants, et ajouté que la connaissance de la population était essentielle. Relevant que les délinquants étaient de plus en plus jeunes, elle a regretté la multiplicité des intervenants et l'absence d'unité de réflexion, notamment entre la police municipale et la police nationale, et a souhaité que les formations des personnels soient harmonisées.

M. Jacques Mahéas a fortement insisté sur les conséquences très positives de la mise en place de la police de proximité, et sur la récente dégradation des rapports entre policiers et jeunes. Jugeant nécessaire d'élaborer un indicateur pertinent et de mettre en place un référent policier sur le terrain pour chaque groupe d'immeubles, il a relevé l'importance de la faillite éducative et de la misère sociale dans les facteurs de violences urbaines.

Soulignant que le rapport sur les circonstances de la mort des deux jeunes était très attendu et devrait être rendu public, Mme Dominique Voynet a souligné les similitudes entre jeunes des banlieues et jeunes policiers, et s'est interrogée sur les moyens d'améliorer la formation de ces derniers, alors même que ce sont les policiers les plus jeunes qui sont affectés dans les quartiers difficiles. Elle a ensuite relevé que les intervenants n'avaient pas évoqué le rôle de l'immigration clandestine, et a souhaité connaître leur avis sur cette question, notamment sur l'existence d'un sentiment de relégation parmi les populations concernées. Enfin, elle s'est interrogée sur l'utilité des contrôles d'identité répétitifs.

Mme Valérie Létard a souligné l'ambivalence des indicateurs par rapport au sentiment d'insécurité, en relevant que les statistiques indiquaient une délinquance plus élevée dans les quartiers où l'îlotage était développé, du fait de la présence accrue des policiers. Jugeant nécessaire de ne pas opposer police d'intervention et de prévention, elle s'est interrogée sur les modalités de leur articulation et sur le développement d'un partenariat entre police nationale et police municipale.

Déplorant la réduction constante des effectifs policiers dans le département de Seine-Saint-Denis, M. Philippe Dallier a interrogé les intervenants sur le nombre de policiers par habitant dans ce département, notamment en comparaison avec certains arrondissements de Paris. A propos de la disparition de la police de proximité, il a souligné que les habitants avaient eu le sentiment d'une réduction de la présence de la police nationale dans les quartiers concernés. Il a enfin regretté l'affectation dans ces quartiers des policiers et des professeurs les plus jeunes, et insisté sur la nécessité de leur maintien en poste pendant une certaine durée.

Revenant sur l'importance du pourcentage de délinquants mineurs et mettant en avant l'influence des majeurs dans ce phénomène, Mme Raymonde Le Texier a déploré la fermeture de postes de police et estimé que la police de proximité était très appréciée des maires. Indiquant que le département du Val d'Oise était touché par l'insuffisance et la jeunesse des effectifs de police, elle a ensuite évoqué les problèmes de discrimination, et souhaité une analyse plus approfondie de la question de l'urbanisme et des co-propriétés dégradées.

Après avoir jugé nécessaire de définir précisément la notion de police de proximité et insisté sur l'insuffisance des patrouilles nocturnes de police, M. Pierre André, rapporteur, a demandé communication de la cartographie des violences urbaines afin, le cas échéant, de pouvoir la recouper avec la géographie prioritaire de la politique de la ville.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Laureau a fait part des éléments suivants :

- les comportements policiers ne sont pas à l'origine des violences, qui sont plutôt dues au mal-être des populations ;

- un équilibre entre la police d'investigation et de proximité doit être trouvé, les policiers n'ayant pas vocation à constituer le seul lien social ;

- il n'existe pas encore de réponse adaptée aux violences commises par des populations de plus en plus jeunes ;

- la formation des policiers a déjà été améliorée, notamment avec la mise en place de dispositifs maintenant les personnels cinq ans en poste, le maintien autoritaire pouvant toutefois être problématique ;

- la répétition des contrôles d'identité sur les mêmes populations est essentiellement liée à la présence de celles-ci dans des lieux où des enquêtes sont en cours ;

- la collaboration avec la police municipale est particulièrement active, notamment à travers les dispositifs de vidéo surveillance.

M. Sébastian Roché a souligné que la police de proximité avait commencé à disparaître avant 2002, mais que sa disparition symbolique était liée à l'analyse politique qui en avait été faite par le ministre de l'intérieur en 2002. Il a relevé que le caractère « social » attribué à cette police était spécifique à la France, des pays comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, qui ont une police de ce type, figurant parmi les pays les plus sévères en matière de sanctions pénales. Après avoir exposé les trois caractéristiques de cette police (la décentralisation de la décision, l'intégration des demandes des citoyens dans la définition des priorités policières et le partenariat), il s'est prononcé en faveur d'une plus grande décentralisation de son fonctionnement.

Mme Lucienne Bui Trong a ensuite apporté les précisions suivantes :

- la participation des jeunes issus de l'immigration aux violences a été évaluée à environ 85 %, cette proportion prenant en compte les immigrés de la deuxième ou troisième génération ;

- la police de proximité constitue à certains égards un « rêve », qu'il a été difficile de mettre en pratique ;

- le travail effectué par les policiers n'aboutit pas toujours, du fait du manque de moyens de la justice et de l'absence de sanctions pénales, notamment s'agissant des multirécidivistes, ce qui induit un certain découragement dans les services de police ;

- il convient de distinguer les deux objectifs fixés par le colloque de Villepinte : d'une part la mise en place d'une police de proximité, d'autre part l'exigence de partenariat, cette dernière étant prise en compte à travers la mise en place de référents, notamment au sein des écoles.

Après s'être félicité des résultats obtenus à Clichy par le groupement local de traitement de la délinquance (GLTD), qui a abouti à un doublement du nombre d'écrous, M. Cédric Gambaro a estimé que le parquet, compte tenu de ses moyens, jouait un rôle efficace et a, en revanche, regretté à son tour l'insuffisance des sanctions pénales. Soulignant que les policiers, notamment les gardiens de la paix, constituaient le dernier recours institutionnel face aux délinquants, il a souligné qu'ils avaient besoin de stabilité et de simplicité, et a déploré le manque de reconnaissance dont souffrent les policiers.