Mardi 30 mai 2006

- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Lois de finances pour 2005 - Cour des comptes - Contrôle budgétaire - Audition de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, et de M. Christian Babusiaux, président de la première chambre

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, et de M. Christian Babusiaux, président de la première chambre, sur les rapports de la Cour des comptes concernant l'exécution 2005 et les comptes associés.

M. Philippe Séguin a rappelé, tout d'abord, que sa précédente audition devant la commission des finances, au mois d'avril 2006, était destinée à faire le point sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Il avait informé, à cette occasion, la commission de la remise de trois rapports, en mai et en juin.

Il a annoncé que les deux premiers, l'un portant sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour 2005 et l'autre sur les comptes de l'Etat pour 2005, étaient désormais publics.

Il a ajouté que le troisième rapport, préliminaire au débat d'orientation budgétaire, serait remis au Parlement à la mi-juin, conformément au calendrier fixé par la LOLF.

Il a indiqué que la réforme induite par la LOLF nécessitait encore « beaucoup de soins, d'encouragements et de soutien ». Nécessaire pour permettre aux administrations de s'adapter, la période de transition actuelle ne pourrait néanmoins pas durer trop longtemps.

M. Philippe Séguin a observé que, cette année, l'enjeu pour la Cour des comptes était double : repérer les difficultés de mise en oeuvre de la réforme et en analyser les causes, mais surtout formuler des recommandations pour que la réforme aboutisse et se traduise par des résultats concrets.

Il a souligné que les deux rapports ici présentés avaient pour objet de faire la jonction entre l'exercice 2005, régi par les normes anciennes, et l'état d'avancement de la réforme.

M. Philippe Séguin a ensuite précisé le contenu du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour 2005.

Il a reconnu que la présentation du budget en missions et programmes donnait au budget une lisibilité qu'il n'avait jamais eue. Il a ajouté que l'objectif de la nouvelle présentation budgétaire était de faire prévaloir la cohérence des politiques et des objectifs poursuivis, plutôt que l'organisation administrative.

A cet égard, il a pris pour exemple la mission « Sécurité », mission interministérielle qui associait le ministère de l'intérieur, via la police nationale, et le ministère de la défense, via la gendarmerie nationale. La construction d'une mission commune a, en effet, incité les gestionnaires à se concerter, à fixer des objectifs communs et des indicateurs comparables.

M. Philippe Séguin a toutefois relevé que cette logique vertueuse n'avait pas fonctionné dans tous les cas. Ainsi, il a déploré que certaines missions ou programmes décalquent des organigrammes qui n'étaient plus toujours adaptés, et reproduisent les cloisonnements administratifs, comme on pouvait le constater, par exemple, avec le programme « Actions en faveur des familles vulnérables », dont le contenu était très proche du programme « Inclusion sociale ».

Il a remarqué que, pour concilier l'organisation de l'Etat et l'architecture budgétaire, il convenait, soit d'adapter les organigrammes, soit de revoir le périmètre des programmes, en particulier au ministère des affaires sociales, où les programmes étaient trop nombreux.

Il a souligné, en outre, que le positionnement du responsable de programme, comme ses compétences et les modalités de sa nomination, méritaient d'être précisés.

M. Philippe Séguin a regretté qu'au niveau local la procédure de délégation se révèle longue, complexe et d'autant plus lourde que le nombre de budgets opérationnels de programme (BOP) était trop élevé (près de 2.300). A titre d'exemple des difficultés rencontrées, il a cité le programme « Gestion fiscale et financière de l'Etat et du secteur public local », ainsi que le cas d'un directeur départemental des affaires sanitaires et sociales qui devait désormais gérer, en lieu et place d'une enveloppe unique de crédits, 9 budgets étanches relevant de 9 programmes différents.

Pour éviter le risque d'une organisation verticale qui placerait les chefs de services déconcentrés en relation directe avec de nombreux responsables de programme, M. Philippe Séguin a plaidé pour une forte réduction du nombre de BOP. Il a également rappelé que le rapport de la Cour des comptes faisait toute une série de recommandations pour que la procédure de mise en place des crédits au niveau local soit plus rapide et plus satisfaisante.

Evoquant la gestion par les résultats, il a déploré que les indicateurs d'efficience, suivant les résultats obtenus par rapport aux moyens consommés, soient encore trop peu développés. Il a regretté que les indicateurs de qualité de service restent encore trop rares et que la satisfaction des usagers soit encore trop mal mesurée.

Il a observé, par ailleurs, qu'une fois les indicateurs choisis, il restait à les chiffrer et à leur fixer une cible, cette exigence requérant des systèmes d'information et de contrôle de gestion adaptés.

Il a aussi tenu à rappeler que les indicateurs ne renseignaient ni sur l'exécution budgétaire, ni sur le coût des actions, et encore moins sur l'efficacité des dépenses fiscales.

Examinant l'exécution budgétaire de 2005, M. Philippe Séguin a souligné les efforts importants accomplis pour limiter le déficit à 43,5 milliards d'euros, niveau légèrement inférieur à celui prévu en loi de finances initiale pour 2005. Il a toutefois ajouté que cette réduction tenait notamment à des opérations exceptionnelles, non reconductibles, qui ne changeaient pas la tendance de fond du déficit.

Il a indiqué que la Cour des comptes avait relevé certaines anomalies dans le calcul du déficit pour 2005, comme des versements de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) au budget de l'Etat, pour 3 milliards d'euros enregistrés en recettes budgétaires, alors qu'ils n'auraient pas dû l'être.

De même, il a relevé que la « reprise » par l'Etat du prêt de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), accordé en 1994 à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), avait été traitée comme une recette budgétaire, alors que la créance ainsi remboursée n'avait jamais été décaissée budgétairement.

M. Philippe Séguin a également rappelé que la reprise par l'Etat de la dette du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA), pour un montant de 2,5 milliards d'euros, avait été enregistrée comme une opération de trésorerie, alors qu'elle aurait dû être enregistrée en charge budgétaire et peser sur le déficit.

Il a observé, en outre, que le rapport de la Cour des comptes examinait le problème de l'avance à l'Agence centrale des organismes d'intervention de sécurité agricole (ACOFA), opération formellement régulière au regard du décret de 1986 sur les opérations réciproques, mais discutable au regard du principe de sincérité désormais affirmé par la LOLF en son article 32.

En matière de dépenses, M. Philippe Séguin a indiqué que la Cour des comptes relevait, comme les années précédentes, des ouvertures de crédits par décrets d'avance non conformes à la définition strictement prévue par la LOLF, et qu'elle revenait sur le problème de la régulation budgétaire, c'est-à-dire sur les pratiques de gel budgétaire et de dégel tardif, ce qui provoquait des reports de charges. Il a précisé que ces reports avaient toutefois été très fortement réduits par rapport aux années précédentes, même s'ils continuaient à perturber fortement l'action des services.

M. Philippe Séguin a souligné que la Cour des comptes travaillait, de façon plus générale, à faire davantage de lumière sur les modes de prévision de la croissance économique et des recettes fiscales, comme cela était courant dans les pays voisins, notamment en Grande-Bretagne. Il a précisé que l'objectif était, ainsi, de garantir au Parlement que les lois de finances soient bâties sur des bases réalistes et soutenables.

Présentant le second rapport, relatif aux comptes de l'Etat pour 2005, M. Philippe Séguin a rappelé qu'il constituait le prélude à la certification des comptes, qui aurait lieu pour la première fois, en juin 2007, sur les comptes de 2006.

Il a indiqué que ce rapport formulait un ensemble de recommandations pour que l'Etat passe le plus rapidement possible au système de comptabilité générale en droits constatés, analogue à celui qui existait dans les entreprises, les associations, les organisations non gouvernementales (ONG) ou les organismes de sécurité sociale. La LOLF exigeait, en effet, que l'Etat se conforme aux exigences d'une telle comptabilité et qu'il tienne, à compter de 2006, trois comptabilités différentes : la comptabilité budgétaire comme auparavant, mais aussi une comptabilité générale et une comptabilité d'analyse des coûts.

M. Philippe Séguin a souligné que cette comptabilité générale servirait notamment à effectuer un suivi du patrimoine de l'Etat : son patrimoine immobilier, ses actifs immatériels, ses créances envers des tiers ou ses stocks. Il a ajouté que cette méthode devrait permettre à l'Etat de valoriser à l'avenir certains actifs immatériels, tels que les licences UMTS (Universal mobile telecommunications system), ce qui exigerait des inventaires exhaustifs et fiables, ainsi qu'une gestion plus rigoureuse. Enfin, la comptabilité générale rendrait possible la mesure de l'appauvrissement de l'Etat au fur et à mesure de ses déficits et de la dégradation de son patrimoine.

M. Philippe Séguin a déploré qu'on se focalise sur le solde budgétaire de l'Etat, alors que celui-ci n'avait jamais renseigné sur le patrimoine, sur l'actif détruit ou créé, ni sur l'évolution du passif.

En revanche, il s'est félicité que la comptabilité générale permît de connaître les charges actuelles, mais aussi les évènements dont la survenance entraînerait ultérieurement une sortie de ressources et une dégradation des finances publiques. Ainsi, il a noté que les charges probables devraient désormais être retracées sous la forme de provisions, et les passifs éventuels sous la forme d'engagements hors bilan.

A cet égard, M. Philippe Séguin a averti que, même s'il existait des provisions pour dépréciation d'actif (de l'ordre de 20 milliards d'euros), les provisions pour risques et charges ne figuraient au passif que pour 74 milliards d'euros. Il a ajouté que le rapport de la Cour des comptes montrait que ces dernières devraient se chiffrer en dizaines de milliards d'euros.

Pour illustrer son propos, M. Philippe Séguin a décrit la comptabilité budgétaire comme une « loupe grossissante » sur les dépenses de l'année, et la comptabilité générale comme la « loupe et la longue vue ».

A propos de la certification des nouveaux comptes, il a rappelé les trois phases de la méthode de travail de la Cour des comptes : l'analyse des risques pour cibler les contrôles, puis le choix de missions dites « intermédiaires » pour étudier la fiabilité des processus comptables et des systèmes d'information, et enfin l'examen de « missions finales » pour auditer les comptes eux-mêmes.

M. Philippe Séguin a indiqué que le rapport de la Cour des comptes dressait un premier bilan de l'avancement de la réforme et formulait des observations sur les comptes de l'Etat.

Il a insisté sur les progrès réalisés avec la mise en place de départements comptables dans chaque ministère et la refonte importante du réseau comptable, permettant à la fois de diffuser le nouveau référentiel comptable dans les services gestionnaires et de produire les comptes dans de meilleures conditions.

Toutefois, il a appelé à ne pas sous-estimer la difficulté liée à la diffusion des nouvelles normes comptables et à la méconnaissance de la comptabilité générale dans des services plus habitués à la comptabilité budgétaire. Il a précisé que d'importants progrès restaient également à réaliser en matière d'audit et de contrôle interne, un dispositif devant être déployé prochainement dans les ministères.

M. Philippe Séguin a indiqué que, dans son rapport, la Cour des comptes formulait 48 observations d'audit, soit quatre fois plus que l'an dernier, les investigations s'étant à la fois étendues et approfondies. Il a ajouté que ces observations portaient sur des sommes s'élevant à plusieurs dizaines de milliards d'euros, les plus importantes concernant les provisions pour risques et charges.

M. Philippe Séguin a remarqué qu'il était inévitable que le changement de référentiel entraîne des reclassements et des ajustements de grande ampleur, et que les états financiers de 2006 ressembleraient très peu à ceux que l'administration publiait jusqu'alors.

Il a rappelé qu'il était indispensable que le bilan d'ouverture, c'est-à-dire la photographie du patrimoine de l'Etat au 1er janvier 2006, soit l'occasion d'une « mise au propre radicale » et que l'on n'échelonnât pas sur plusieurs années les ajustements nécessaires. En effet, toutes les provisions qui n'auraient pas été constatées dans le bilan d'ouverture au 1er janvier 2006 devraient l'être au plus tard dans les comptes de 2006 ou des années suivantes, et affecteraient alors le résultat comptable. Dès lors, il serait préférable de franchir totalement l'étape dès la présentation des comptes de 2006.

M. Philippe Séguin a enfin souligné que la LOLF, entendue sous l'angle de la démarche de performance ou de la réforme comptable, n'était pas une question purement technique, mais fondamentalement politique, nécessitant « de la hauteur et du souffle ».

M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Philippe Séguin pour ses observations, en soulignant qu'il partageait son opinion concernant la nécessaire implication des politiques dans la mise en oeuvre de la LOLF. Il a ajouté que la réforme budgétaire invitait le Parlement à s'interroger sur sa légitimité et à se réformer.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a relevé qu'il n'avait pas encore été tiré toutes les conséquences de cette innovation majeure que constituait l'introduction d'une comptabilité patrimoniale pour l'Etat. Il a ensuite posé quatre questions à M. Philippe Séguin.

Tout d'abord, il s'est interrogé sur les pratiques de régulation budgétaire et, en particulier, la mise en réserve des crédits, alors que la LOLF encadrait plus strictement les mouvements de crédits en phase d'exécution budgétaire.

Il s'est ensuite départi des critiques formulées à l'encontre des opérations budgétaires par lesquelles l'Etat récupérait des créances qui lui appartenaient. En effet, il a estimé que de telles pratiques relevaient de l'optimisation du patrimoine public et devaient donc être appréciées positivement.

Puis il a sollicité les conseils de la Cour des comptes afin de doter la commission des finances d'éléments méthodologiques permettant la classification des différents types de recettes fiscales.

Enfin, il a rappelé les réflexions conduites par la commission des finances pour densifier l'examen du projet de loi de règlement. D'une part, il a précisé que des auditions publiques seraient conduites avec les ministres gestionnaires pour comparer, de manière exhaustive, les prévisions et les réalisations budgétaires. D'autre part, il a souhaité connaître les réactions de la Cour des comptes sur la requalification de la loi de règlement en loi « portant reddition des comptes » ou « portant arrêté des comptes », tout en formulant le souhait d'une association plus étroite de la Cour des comptes à l'examen du projet de loi de règlement.

M. Philippe Séguin a observé que les mesures de régulation budgétaire seraient d'autant moins fréquemment utilisées que les budgets auraient été examinés sur des bases sincères et objectives. Il a confirmé que la Cour des comptes attacherait toute son importance à la transparence des mesures de régulation qui seraient adoptées.

S'agissant des « trésoreries dormantes » ou des « opérations discrétionnaires » par lesquelles « l'Etat récupérait son dû », il a précisé que son intention n'était pas de critiquer l'Etat quant au bien-fondé de telles opérations. Toutefois, la Cour des comptes déplorait « l'absence de ligne claire » du gouvernement en ce domaine.

Enfin, il a confirmé que la Cour des comptes se tenait à la disposition de la commission des finances pour examiner de manière plus approfondie le projet de loi de règlement, en observant qu'il convenait de changer les pratiques dès cette année, puisque le calendrier électoral de l'année 2007 serait, à l'évidence, moins propice à des innovations.

M. Paul Girod a tenu à tempérer l'optimisme de M. Philippe Séguin sur la nomenclature budgétaire de la mission « Sécurité » puisque, selon lui, d'autres administrations que la police nationale et la gendarmerie nationale concouraient également à la politique publique de sécurité intérieure.

En sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'Etat », il a souhaité connaître l'avis de la Cour des comptes sur la non-comptabilisation, dans la dette publique, des engagements de l'Etat au titre des pensions. Il a précisé que sa question faisait suite aux observations formulées en ce sens par M. Michel Pébereau dans son rapport, remis en décembre 2005, à M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Philippe Séguin a répondu que le rapport de M. Michel Pébereau serait analysé plus en détail par la Cour des comptes, lorsqu'elle remettrait, en juin prochain, son rapport préliminaire au débat d'orientation budgétaire.

M. Christian Babusiaux, président de la première chambre, a ajouté que la Cour des comptes avait été conduite à corriger positivement de 19 milliards d'euros le montant des engagements de l'Etat au titre des retraites des fonctionnaires.

S'agissant des principes, il a observé que l'analyse devrait porter sur les besoins des financements nets actualisés. Il a noté que cette réflexion devait être harmonisée avec les travaux en cours, au niveau international, sur la comptabilisation des engagements de retraite des Etats dans leur bilan patrimonial.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, il a relevé que ce différentiel de 19 milliards d'euros devait être comparé au montant total des engagements de retraite, soit 840 milliards d'euros en valeur actualisée, cette somme ne s'élevant plus qu'à 450 milliards d'euros si l'on déduisait les cotisations des fonctionnaires. Cependant, il a souligné les limites d'une comparaison directe avec une entreprise du secteur privé, l'hypothèse où l'Etat devrait déposer son bilan pouvant difficilement être retenue.

Mme Nicole Bricq a rappelé que, lors de sa précédente audition par la commission des finances, M. Philippe Séguin avait déjà souligné la dichotomie existant entre la nomenclature budgétaire et l'organisation des services de l'Etat.

En sa qualité de rapporteure spéciale des crédits de la mission « Sécurité sanitaire », elle a déploré les lacunes des missions interministérielles : ainsi, la Cour des comptes avait relevé que les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » ne comportaient pas les dépenses de l'ensemble des ministères qui concouraient à cette politique publique, et la même analyse pouvait être effectuée à propos de la mission « Sécurité sanitaire ». Elle a conclu qu'à défaut d'une évolution de l'organisation administrative de l'Etat qui se rapproche de la nouvelle nomenclature budgétaire, il faudrait envisager la disparition des missions interministérielles.

Par ailleurs, elle s'est interrogée sur la possibilité de simplifier la cartographie des budgets opérationnels de programme (BOP) en retenant le niveau régional. Toutefois, elle a noté que la puissance des structures départementales faisait obstacle à une telle évolution.

M. Philippe Séguin s'est réjoui de la convergence de ses analyses avec celles de Mme Nicole Bricq. S'agissant des missions interministérielles, il a souligné que le rapport de la Cour des comptes sur la gestion budgétaire en 2005 effectuait de nombreuses suggestions en vue de clarifier le pilotage stratégique des missions interministérielles.

En outre, il a précisé que la Cour des comptes réfléchissait effectivement à une diminution du nombre de BOP, en envisageant un maillage au niveau régional. Toutefois, il s'est déclaré optimiste, au regard du travail accompli, sur la conduite des prochaines étapes.

M. Jean-Jacques Jégou a exprimé sa conviction quant à la nécessité d'impliquer l'ensemble de ses collègues sénateurs pour faire vivre la réforme budgétaire, née d'une initiative parlementaire.

En sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Santé », il a fait part de ses interrogations sur la « politique d'essaimage » de la direction générale de la santé (DGS) : alors que de multiples établissements publics, voire associations, prenaient en charge la mise en oeuvre de politiques sectorielles de santé, à certains égards régaliennes, la DGS manifestait toujours une forte volonté d'intervention dans ces domaines.

Après avoir rappelé qu'il était membre du comité de surveillance du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA), M. Jean-Jacques Jégou s'est inquiété de l'insuffisance des recettes nécessaires au bon fonctionnement du fonds, dont le déficit devrait atteindre 1,5 à 1,7 milliard d'euros en 2006.

M. Philippe Séguin a rappelé l'attention constante portée par la Cour des comptes au dossier du FFIPSA. Concernant la DGS, il a rappelé qu'un rapport particulier de la Cour des comptes avait déploré qu'elle ne jouât pas son rôle de conception et d'impulsion des politiques publiques en matière de santé, tandis qu'elle se consacrait à la mise en oeuvre de certaines mesures qui ne relevaient pas du niveau d'une direction générale d'administration centrale. Par ailleurs, il a relevé qu'il conviendrait d'évaluer le « saupoudrage » résultant de l'action d'une pluralité d'intervenants dans le secteur de la santé.

M. Yann Gaillard a déclaré apprécier l'image utilisée par M. Philippe Séguin sur l'effet de « loupe grossissante » que permettait la comptabilité budgétaire, alors que seule la comptabilité générale pouvait constituer une « longue vue » pour apprécier pleinement la réalité des finances publiques. A cet égard, il s'est demandé si cette « myopie » était volontaire ou relevait de l'inadvertance.

Il a également demandé des précisions sur la différence de nature entre la dette de l'Etat et les engagements qui, comme les retraites, figuraient hors bilan.

M. Philippe Séguin a déclaré tout particulièrement apprécier les propos de M. Yann Gaillard quant au besoin de voir plus clair dans l'état de nos finances publiques.

M. Christian Babusiaux a ajouté que le niveau de la dette reflétait la situation actuelle de l'Etat, alors que le niveau des engagements de retraite dépendait des politiques publiques conduites à plus long terme.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité qu'une démarche pédagogique permette d'expliquer aux Français que le périmètre de la dette publique dépendait des variables retenues pour sa définition. Il a ensuite attiré l'attention de M. Philippe Séguin sur trois sujets.

Tout d'abord, il a fait état des travaux conduits par la commission des finances quant à l'évaluation du patrimoine immobilier de l'Etat, s'agissant en particulier des biens appartenant aux ministères de l'équipement et des affaires étrangères. Il a donc interrogé la Cour des comptes sur l'état d'avancement des travaux d'établissement du bilan de l'actif et du passif de l'Etat au 1er janvier 2006, appelé « bilan d'ouverture ». Dans ce cadre, il s'est demandé qui opérerait la certification de certaines participations financières de l'Etat, qui figuraient au sein de « comptes combinés ».

Puis il a estimé que l'architecture budgétaire en missions et programmes devait davantage coïncider avec l'organisation administrative de l'Etat, en observant que la logique de la LOLF impliquait l'évolution de la configuration gouvernementale dans le sens d'une disparition des missions interministérielles : il convenait que chaque ministre ait en charge une ou plusieurs missions du budget de l'Etat.

Enfin, il a souhaité connaître la position qu'aurait adoptée la Cour des comptes si elle avait dû certifier les comptes budgétaires de l'année 2005.

M. Philippe Séguin a répondu qu'il attendait que le gouvernement ait établi le bilan d'ouverture pour que la Cour des comptes commence ses études. A cet égard, il a déclaré souhaiter que l'essentiel des travaux d'inventaire et d'évaluation soit mené à leur terme par l'Etat, dès l'année 2006, de préférence à leur étalement sur plusieurs années. Mais dans l'hypothèse où ces résultats reflèteraient une situation douloureuse, il a établi un parallèle avec l'absorption d'un verre d'huile de ricin, qu'il était préférable de « boire d'un coup » et non pas de « siroter ».

S'agissant des comptes combinés qui étaient déjà certifiés par les commissaires aux comptes, il a conclu que « la Cour des comptes certifierait les certificateurs ».

Enfin, il a déclaré que la maquette budgétaire devait constituer l'un des critères présidant à la définition de l'organisation gouvernementale.

Au sujet de la certification des comptes de l'année 2005, M. Christian Babusiaux a estimé que l'exercice aurait été particulièrement délicat, dans la mesure où deux référentiels de base avaient été utilisés : l'ancien système, en principe applicable, et certaines nouvelles règles, utilisées par anticipation. Toutefois, il a noté que la Cour des comptes n'avait pas décelé d'anomalies significatives au regard des anciennes normes.

A une question de M. Jean Arthuis, président, sur l'encaissement accéléré, en 2006, du solde d'impôt sur les sociétés, M. Christian Babusiaux a noté que cette opération avait été correctement comptabilisée.

M. Jean Arthuis, président, a remercié les deux intervenants pour la grande qualité de leurs réponses aux questions de la commission des finances, en rappelant que la prochaine étape consisterait en l'audition des ministres gestionnaires lors de l'examen du projet de loi de règlement, afin de sortir du face-à-face entre le ministre du budget et la commission des finances.

Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. François Marc.

Comptabilité - Normes comptables internationales - Audition de MM. Gilbert Gélard, membre de l'International Accounting Standards Board (IASB), et Philippe Adhémar, conseiller-maître à la Cour des comptes, président du Conseil de normalisation comptable internationale pour le secteur public de l'International Federation of Accountants (IFAC)

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de MM. Gilbert Gélard, membre de l'International Accounting Standards Board (IASB), et Philippe Adhémar, conseiller-maître à la Cour des comptes, président du Conseil de normalisation comptable internationale pour le secteur public de l'International Federation of Accountants (IFAC).

M. Jean Arthuis, président, à titre liminaire, a souligné le rôle essentiel que jouaient les normes comptables internationales dans le contexte d'une économie mondialisée. Il a souligné que, si ces normes concernaient, au premier chef, le secteur marchand, le souci d'une meilleure transparence, et de référents comptables universels, animait de plus en plus nettement les gestionnaires des comptes publics. Après avoir rappelé les fonctions qu'exerçaient M. Gilbert Gélard et M. Philippe Adhémar, il les a invités à présenter l'activité de leurs institutions respectives.

M. Gilbert Gélard, en préambule à son exposé, a souligné que c'était la première fois qu'il était auditionné par un Parlement national, n'ayant jusqu'alors été entendu, aux côtés de Sir David Tweedie, président de l'IASB, que par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Par ailleurs, il s'est réjoui d'être auditionné en même temps que M. Philippe Adhémar, afin que les deux faces de la comptabilité, la comptabilité publique, d'une part, et la comptabilité privée, d'autre part, puissent être abordées également.

Il a rappelé que le Conseil européen de Lisbonne, en 2001, avait décidé d'adopter les normes IFRS (« International Financial Reporting Standards », jusqu'alors dénommées IAS, pour « International Accounting Standards ») comme « langue comptable » de l'Union européenne, et que l'IASB avait été retenu comme autorité de normalisation en ce domaine. Il a précisé que l'Union européenne restait libre d'adopter, ou de ne pas retenir, les normes proposées par cet organisme, en considération de l'intérêt public européen. Il a souligné l'importance, dans ce cadre, du règlement n° 1606/2002 du 19 juillet 2002 du Parlement européen et du Conseil sur l'application des normes comptables internationales, dont les dispositions obligatoires, directement applicables dans les Etats membres de l'Union européenne, et exclusives de toute adaptation législative ou réglementaire nationale, s'appliquaient, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, aux comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l'épargne sur un marché réglementé soit environ 7.000 groupes, dont environ 900 situés en France. Il a précisé que, néanmoins, ce règlement comprenait une partie optionnelle, concernant les comptes individuels des sociétés cotées et les comptes consolidés des groupes non cotés, qui laissait aux Etats la liberté de mettre en oeuvre, à leur choix, ces dispositions. Il a rappelé que la France avait effectivement opté en ce sens, s'agissant des comptes consolidés des groupes non cotés, mais non en ce qui concerne les comptes individuels des sociétés cotées, pour lesquels les normes nationales étaient restées applicables.

M. Gilbert Gélard a détaillé les raisons qui avaient conduit l'Union européenne à se doter, en la matière, d'un instrument juridique puissant, de préférence, en particulier, à une simple directive d'harmonisation. Il a relevé, notamment, le caractère stratégique d'un choix en faveur des normes internationales et non des normes américaines (US GAAP « Generally Accepted Accounting Principles in the United States »), ainsi que, surtout, les avantages économiques à long terme procurés par les IFRS, dans le contexte de marchés financiers de plus en plus intégrés. Sur ce dernier plan, il a fait valoir que l'application des IFRS, d'une part, devait réduire les coûts inhérents à l'application des diverses normes nationales par les sociétés opérant dans de nombreux pays et, d'autre part, devait permettre, conformément aux exigences de fonctionnement du marché unique, une présentation uniformisée des comptes consolidés des entreprises dont le siège social se trouvait dans l'un des Etats membres de l'Union européenne. Il a ajouté qu'un « langage comptable » commun, appliqué de façon cohérente, devrait faciliter, pour les investisseurs, la comparaison des résultats financiers des sociétés implantées dans plusieurs pays, et que la suppression du risque lié à la mauvaise compréhension des différences entre normes nationales contribuerait à réduire le coût du capital et à améliorer la rentabilité des investissements. Il a estimé, encore, que, pour les auditeurs, un référentiel comptable unique permettrait aux firmes internationales de rationaliser leur formation, et d'améliorer globalement la qualité de leurs travaux, tandis que, pour les régulateurs, le risque de confusion lié à la différence de normes se trouverait amoindri.

M. Gilbert Gélard, par ailleurs, a mis en exergue l'importance que revêtaient les normes comptables internationales, à des points de vue différents, pour les grandes puissances économiques mondiales, que ce soit les Etats-Unis ou le Japon, la Chine ou l'Inde. Il a indiqué que l'IASB, ayant vocation à établir et à maintenir un « langage comptable » universel, bien qu'elle se trouve dans une position institutionnelle privilégiée en Europe, disposait d'une stratégie pour un champ d'intervention plus vaste et entretenait des contacts avec tous les interlocuteurs internationaux pertinents. Dans cet ordre d'idées, il a mentionné la décision du gouvernement chinois, en février 2006, d'intégrer à son ordre juridique la plupart des normes IFRS. Il a précisé que plus de 100 pays acceptaient aujourd'hui ces normes, certains Etats les ayant adoptées en abandonnant leurs propres normes internes, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada ou Israël, même si beaucoup d'autres Etats ne les avaient pas rendues obligatoires.

Il a présenté, ensuite, l'organisation et le fonctionnement de l'IASB. Il a tout d'abord rappelé que cet organisme dépendait de l'International Accounting Standards Committee Foundation (IASCF), créée en 2001 pour succéder à l'International Accounting Standards Committee (IASC), qui avait entrepris, depuis 1973, d'établir des normes comptables internationales, sous l'égide de la profession comptable. Il a expliqué que l'IASCF, institution indépendante, était composée de 22 « trustees », personnes physiques, cooptées en raison de leurs qualités personnelles et de leur intérêt pour les questions de normalisation comptable. Représentant équitablement les diverses régions du monde, ces « trustees » exerçaient un triple rôle de gouvernance, de recherche d'un financement suffisant et équilibré, et de nomination des membres de l'IASB, de l'International Financial Reporting Interpretations Committee (IFRIC, organe d'interprétation des normes), ainsi que d'autres comités associés. M. Gilbert Gélard a indiqué que l'IASB comprenait 14 membres indépendants, nommés pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois, ne pouvant exercer d'autre activité parallèlement, et soumis à certaines restrictions quant à leurs investissements financiers. L'IASB décidait de son programme de travail et délibérait en public selon une règle de « due process », puis promulguait les normes comptables internationales et approuvait les interprétations élaborées par l'IFRIC.

M. Jean Arthuis, président, ayant fait observer que M. Gilbert Gélard était le seul Français membre de l'IASB, ce dernier a précisé que les membres de cet organisme, provenant de milieux professionnels variés, étaient indépendants et n'assuraient donc la représentation d'aucun pays.

Il a évoqué, alors, la mise en cause de la légitimité de l'IASB, et les reproches effectivement parfois adressés à une instance non étatique, sans vocation représentative, et insusceptible d'endosser une responsabilité d'ordre politique. Il a exposé que cette organisation, selon lui, s'était en définitive imposée à la suite de l'échec des autres, le mode interétatique traditionnel ayant échoué, en Europe, à harmoniser les normes comptables. En outre, la profession comptable elle-même ne pouvait, seule, assurer une normalisation pour laquelle elle serait perçue comme juge et partie à la fois. Il a précisé que la contrepartie de cette solution résidait dans la nature de simple force de proposition de l'IASB. Ainsi, pour l'Union européenne, la Commission, ayant pris l'avis du Comité réglementaire comptable où siégeaient les Etats membres et de son comité technique, l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), décidait d'adopter ou non les normes IFRS proposées par l'IASB.

S'attachant, pour conclure, à dégager les perspectives de l'action de l'IASB, M. Gilbert Gélard a déclaré que cette institution, fière du travail qu'elle avait accompli en quelques années, entendait se garder de toute autosatisfaction mais, au contraire, ne pas perdre de vue les difficultés pratiques susceptibles de freiner la poursuite de son action. Il a signalé, en premier lieu, que l'IASB était conscient de l'ampleur des efforts consentis par les entreprises européennes afin d'adopter les IFRS au 1er janvier 2005, et qu'une période de répit dans la normalisation serait à présent, sans doute, la bienvenue. Il a indiqué qu'en conséquence, il avait été décidé de ne pas mettre en oeuvre de nouvelles normes d'importance avant le 1er janvier de l'année 2008 au moins, l'organisme s'intéressant, dans cet intervalle, à des sujets qui requéraient des concertations approfondies.

Il a rappelé, en deuxième lieu, que l'accord dit de Norwalk, conclu en octobre 2002 entre le Financial Accounting Standards Board (FASB) américain et l'IASB, visait à faire converger le plus rapidement possible les référentiels US GAAP et IFRS, afin que la Security and Exchange Commission (SEC) puisse abroger, en 2008 ou en 2009, l'obligation de « réconciliation » comptable, encore imposée aux sociétés étrangères cotées aux Etats-Unis et utilisant les seules IFRS. Il a précisé que la proximité des concepts utilisés par les deux parties facilitait cette entreprise, à la différence du programme de convergence parallèlement entrepris avec le Japon, dont les notions propres s'étaient avérées éloignées des concepts internationaux.

En troisième et dernier lieu, il a insisté sur la difficulté de la tâche, qui s'imposait à l'IASB, d'élaborer des normes comptables pouvant s'appliquer dans des environnements très divers, tant du point de vue juridique qu'au plan économique et social, et aussi détaillées que possible tout en restant homogènes. Il a fait observer que de nombreux acteurs intervenaient dans l'application de ces normes, tels que les universitaires, les formateurs internes et externes, les auditeurs ou les autorités de marchés, mais que le premier risque d'écueil, en pratique, résidait dans les opérations de traduction des normes, originellement élaborées en anglais.

M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur le montant du budget de l'IASCF, ses sources de financement et le niveau de contribution des entreprises françaises, considérant en particulier les difficultés que ces dernières avaient apparemment éprouvées, dans le passé, pour accéder à cette instance et participer à son financement.

M. Gilbert Gélard, en réponse, a indiqué que le montant des dépenses de la fondation s'était élevé à 18 millions d'euros en 2005, et correspondait essentiellement aux émoluments des trustees, à l'indemnisation des membres de l'IASB, et aux rémunérations de la trentaine de collaborateurs permanents. Les ressources, aux termes des arrangements arrivant à échéance en 2007, reposaient sur les ventes de publications et les cotisations des entreprises, mais la recherche de nouvelles sources de financement était à l'étude. M. Gilbert Gélard a confirmé que la France, jusqu'à une date récente, n'avait pas été aussi présente qu'elle aurait pu, et avait dès lors peu cotisé au fonctionnement de l'organisme, compte tenu, notamment, des fortes divergences de vue exprimées par les industries et banques françaises sur l'application de la norme IAS 39 et la comptabilité de couverture.

Evoquant l'exemple des swaps de taux, il a rappelé que la comptabilisation optionnelle de la couverture, pour laquelle l'IASB exigeait une documentation précise afin de la rendre auditable, permettait de différer les gains et les pertes enregistrés sur des instruments de couverture, dans l'attente de la réalisation de ceux afférents aux instruments couverts. Les banques françaises apparaissaient particulièrement concernées par ce dispositif, dans la mesure où elles octroyaient peu de prêts à taux variable, contrairement aux banques américaines et britanniques. S'agissant de la controverse sur la norme IAS 39 relative à la comptabilisation des instruments financiers à leur juste valeur, M. Gilbert Gélard a indiqué que la Banque centrale européenne avait émis des réserves sur une application potentielle de la « full fair value » (juste valeur intégrale), susceptible de déstabiliser le système financier, et que la Commission européenne avait finalement adopté cette norme, tout en la modifiant légèrement. La comptabilisation à la juste valeur était, dès lors, devenue optionnelle, et permettait d'éviter d'exercer l'option relative à la couverture. Il a enfin ajouté que l'IASB avait des contacts réguliers et fréquents avec l'EFRAG.

La commission a ensuite entendu M. Philippe Adhémar sur le thème de la normalisation comptable du secteur public.

M. Philippe Adhémar, tout d'abord, a présenté les raisons de la mise en place d'une normalisation comptable internationale pour le secteur public et de la création du conseil de l'International Public Sector Accounting Standards (IPSAS), qui avait récemment succédé au Conseil de normalisation comptable internationale pour le secteur public de l'IFAC. La prise de conscience tardive, au cours des années 1990, de la nécessité d'une telle normalisation s'expliquait, selon lui, par trois facteurs : la prééminence, en comptabilité publique, du budget de l'Etat fondé sur les encaissements et décaissements, une comptabilité nationale généralement fondée sur une logique macro-économique, et la diversité des interventions publiques dans le secteur marchand. Il en résultait, dans certains pays, un « chaos comptable », se traduisant par l'application de plusieurs systèmes comptables différents dans des conditions peu claires, et l'insatisfaction de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse du Parlement, des contribuables, des gestionnaires publics eux-mêmes ou des institutions financières internationales. M. Philippe Adhémar a ajouté que la normalisation devait dès lors satisfaire la double condition, d'une part, d'un corpus de normes claires et adaptées, et, d'autre part, de contrôleurs formés au nouveau cadre comptable.

Il a expliqué que le conseil de l'IPSAS, qui jouait un rôle analogue à celui de l'IASB pour le secteur privé, était placé sous la tutelle de l'IFAC. Ce positionnement n'était, selon lui, guère logique, mais résultait d'un « accident historique » et de l'antériorité de l'IFAC, et comportait, du reste, des avantages pratiques. Il a précisé que l'IPSAS pourrait, néanmoins, à terme, s'autonomiser.

Il a indiqué que le conseil de l'IPSAS était composé de 18 membres, dont 3 nouveaux depuis le 1er janvier 2006, qui relevaient du secteur public et non plus de la profession comptable. Ces membres, nommés par l'IFAC, présentaient une grande diversité d'expériences comme d'origines géographiques, puisque se trouvaient ainsi représentés des pays tels que l'Australie, la France, les Etats-Unis, le Japon, le Canada ou l'Afrique du Sud, et probablement, à terme, la Chine.

S'agissant de l'approche inhérente aux nouvelles normes, M. Philippe Adhémar a relevé le caractère frustre et limité de la comptabilité par encaissements, et le nouvel objectif résultant de la LOLF d'une comptabilité fondée sur une approche patrimoniale et les droits constatés, analogue à celle du secteur privé. L'alternative consistait dès lors à créer, ex nihilo, un nouveau système comptable ou, ainsi que cela fut privilégié, à procéder par analogies en se référant, chaque fois que cela était possible, aux normes du secteur privé, et en prévoyant les adaptations éventuelles aux spécificités du secteur public. M. Philippe Adhémar a précisé que, de la sorte, 21 normes inspirées de celles des entreprises privées avaient été élaborées, avant que, dans une seconde étape, en cours depuis 2003, des normes spécifiques au secteur public soient conçues. La traduction en langues française et espagnole des 21 normes n'avait pas, initialement, été prévue, et il avait été parfois difficile de trouver un compromis entre l'intelligibilité et la fidélité au texte d'origine.

M. Philippe Adhémar a relevé que les travaux du conseil de l'IPSAS portaient aujourd'hui, principalement, sur certaines particularités du secteur public, telles que la prise en compte de l'impôt, qui n'était pas couvert par la démarche initiale, l'articulation entre les comptes de l'Etat et le « reporting » budgétaire, ainsi que les obligations au titre de la politique sociale et des pensions des fonctionnaires. Il a précisé que, pour ces dernières, il importait de déterminer si l'engagement de l'Etat était réel, quelle pouvait être sa traduction comptable, et si l'Etat était in fine redevable de l'équilibre du régime général des retraites.

Il a indiqué que le conseil s'attachait également à définir, ex post, un cadre conceptuel pour le secteur public, en concertation avec l'IASB et dans le respect des différences entre les secteurs public et privé, notamment au regard des « clients » et des destinataires des états financiers. Il a ajouté que s'était exprimé le besoin croissant d'une norme spécifique pour les partenariats public-privé, qui serait définie avec l'IASB et l'IFRIC.

Il a conclu en précisant les priorités qui avaient été définies par le conseil en 2003. Outre les normes spécifiques qu'il avait évoquées, il était prévu d'initier, d'une part, un nouveau mouvement de convergence entre les 21 normes et les normes IAS, compte tenu des évolutions dont ces dernières, au cours de la période récente, avaient fait l'objet, et, d'autre part, un rapprochement avec les systèmes de comptabilité nationale, afin de faciliter la comparabilité internationale des normes comptables publiques, aujourd'hui limitée aux critères de Maastricht. Il a souhaité que le nouveau corpus normatif trouve un équilibre entre, d'un côté, l'efficacité, la robustesse et la relative complexité de la norme, et d'un autre côté, sa clarté et sa simplicité.

En réponse aux questions de M. Jean Arthuis, président, M. Philippe Adhémar a indiqué que le siège de l'IFAC était à New York, son budget annuel d'1 million de dollars, et que ses membres n'étaient pas rémunérés. Il a précisé que lui-même se trouvait autorisé par la Cour des comptes à exercer ses fonctions au sein de l'IFAC, mais non mis à la disposition de cet organisme, ses fonctions de président occupant « environ 30 % » de son temps professionnel. M. Gilbert Gélard a souligné que l'absence de rémunération des membres du conseil de l'IPSAS expliquait la différence de budget entre celui-ci et l'IASB.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a alors souhaité savoir, d'une part, quelles relations le conseil de l'IPSAS entretenait avec Eurostat, et si, selon M. Philippe Adhémar, des évolutions étaient souhaitables en ce domaine, notamment par l'instauration d'un « régulateur comptable » européen. Il a voulu connaître, d'autre part, l'état de la réflexion du conseil de l'IPSAS sur les consolidations comptables que les Etats devraient mettre en oeuvre, en vue de délivrer une meilleure information sur leur situation économique globale. Evoquant le rapport de M. Michel Pébereau, « Rompre avec la facilité de la dette publique , remis au mois de décembre 2005 au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il a sollicité l'avis de M. Philippe Adhémar quant à la nécessité de nouvelles normes concernant les engagements des Etats au titre des retraites des agents publics et assimilés.

M. Philippe Adhémar, en réponse sur le premier point, a indiqué que le conseil de l'IPSAS et Eurostat avaient mis en place une coopération, concrètement traduite par l'institution d'une « task force », sous l'égide de l'OCDE, se réunissant trois à quatre fois par an, en vue de réduire les différences de référentiels des deux organisations. Il s'est déclaré défavorable à la création d'un « régulateur comptable » pour l'Europe, estimant que la meilleure solution résidait dans la généralisation des normes internationales plus que dans la coordination des normes nationales.

Répondant à la deuxième question de M. Philippe Marini, rapporteur général, il a expliqué que le conseil de l'IPSAS avait réglé la question des participations des Etats dans les entreprises, en jugeant que celles-ci devaient être prises en compte dans le bilan des comptes publics, mais qu'il lui restait, actuellement, à trancher le problème des participations aux associations non lucratives, dont la qualification comptable, au plan international, demeurait en débat. Il a indiqué que la doctrine majoritaire, parmi la profession comptable au plan national, consistant à refuser d'envisager les retraites des agents publics comme un engagement financier des Etats, était en train d'évoluer vers le point de vue inverse, de même qu'au sein du conseil de l'IPSAS. Il a estimé que cette nouvelle « vision » comptable serait conforme à la réalité des engagements en cause. M. Gilbert Gélard a fait valoir un point de vue identique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est alors enquis des perspectives d'adhésion de la Chine au conseil de l'IPSAS. M. Philippe Adhémar a indiqué que cet Etat, bien qu'il ne fasse pas partie du conseil, était actuellement membre d'un groupe consultatif associé. Il a fait part de son souhait que la Chine, à terme, intègre le conseil lui-même.

M. Gilbert Gélard a précisé que l'IASB avait mis en oeuvre des groupes de travail spécifiques, fréquemment réunis, afin d'expliquer aux autorités chinoises les normes IFRS. Il a souligné que ces normes n'étaient pas toujours facilement reçues au sein d'une « culture économique » qui ne correspondait pas au modèle capitalistique classique.

M. François Marc, président, s'est interrogé sur la pertinence de la focalisation, au plan comptable, sur le court terme, et la prise en considération des flux plus que du patrimoine, pour satisfaire à l'exigence de plus grande sincérité et de restitution d'une image fidèle des comptes des entreprises.

M. Gilbert Gélard a défendu l'idée qu'une vision axée sur le court terme permettait de fournir une assez bonne « photographie » de la situation des entreprises, sans emporter ipso facto de changement particulier dans le comportement de leurs dirigeants. Il a fait valoir qu'en dernière analyse, il revenait à ces derniers d'assurer la fidélité de la présentation des comptes à la réalité, selon un principe de « true and fair view » (vraie et juste vision).

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est demandé si la norme IAS 24 sur les parties liées était susceptible de s'appliquer aux sociétés cotées russes. Estimant que l'assiette de l'impôt sur les sociétés constituait un enjeu commun aux normes comptables publiques et privées, il a constaté que les normes IAS ouvraient de nouvelles marges de manoeuvre sur les bases imposables, en particulier par le biais des durées d'amortissement des biens au regard de leur durée d'utilisation effective. Il s'est dès lors interrogé sur les éventuelles démarches menées conjointement par l'IASB et le conseil de l'IPSAS pour apprécier les conséquences fiscales des normes IAS.

En réponse, M. Gilbert Gélard a confirmé que la norme IAS 24 avait vocation à s'appliquer à ces sociétés. Le champ potentiellement très étendu de cette norme l'avait toutefois conduit à solliciter l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur l'application qu'en faisaient les sociétés françaises, et à s'interroger sur l'opportunité de sa révision, en particulier par l'introduction d'une distinction entre les rôles de l'Etat en tant qu'actionnaire et en tant que puissance publique.

Puis après que M. Philippe Adhémar eut précisé que la question de l'impact sur l'assiette de l'impôt sur les sociétés avait été partiellement traitée par un « exposé sondage », il a souligné que cet impact était atténué par le principe de comptabilisation des impôts différés. Ce principe permettait, dans le cadre des nouvelles normes, de tenir compte des différences temporaires entre le résultat fiscal et le résultat comptable. M. Philippe Adhémar a ajouté qu'il était difficile, dans certains pays, d'opérer une distinction claire entre les impôts et redevances, dont le mode de comptabilisation différait.

M. François Marc, président, a remercié M. Gilbert Gélard et M. Philippe Adhémar pour la qualité et la précision des informations qu'ils avaient apportées à la commission.

Mercredi 31 mai 2006

- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Marchés financiers - Audition de M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext NV

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext NV.

M. Jean Arthuis, président, a chaleureusement remercié M. Jean-François Théodore d'être venu devant la commission pour préciser le contexte des deux offres d'acquisition dont avait récemment fait l'objet l'entreprise de marché Euronext, respectivement par la Deutsche Börse (DB) et le New York Stock Exchange (NYSE), dont l'issue conforterait une place boursière européenne, un an après l'échec du référendum sur le traité portant constitution européenne, ou conduirait à un partenariat transatlantique. Il s'est interrogé sur les raisons qui avaient présidé à la cotation d'Euronext et à ce que les principaux actionnaires français, notamment les banques, aient, à l'époque, rapidement cédé leurs titres pour réaliser des plus-values, « abandonnant » ainsi le capital à des investisseurs majoritairement anglo-saxons.

M. Jean-François Théodore, président-directeur général d'Euronext NV, a présenté les grandes caractéristiques organisationnelles et financières d'Euronext et l'alternative à laquelle cette société était aujourd'hui confrontée. Il a rappelé que l'organisation actuelle de cette bourse pan-européenne consistait en une pure holding de tête, Euronext NV, et cinq entités légales disposant d'une licence de bourse et respectivement domiciliées à Amsterdam, Bruxelles, Lisbonne, Paris et Londres. Grâce à l'harmonisation des systèmes d'information, qui avait permis de passer entre 2001 et 2004 de dix systèmes à deux tout en respectant les réglementations nationales, la négociation des actions pour les quatre premières places boursières reposait sur un système unique de transactions, NSC, de même que la négociation des produits dérivés avec le système Liffe.Connect, commun aux cinq entités. Cette rationalisation des systèmes informatiques avait permis d'étendre les bassins de liquidité pour les instruments financiers échangés.

Il a indiqué qu'Euronext NV était la première bourse européenne pour les négociations portant sur les actions, tant en nombre de transactions qu'en volume de capitaux échangés, devant le London Stock Exchange, la Borsa Italiana et la Deutsche Börse. Euronext était également en tête depuis début 2006 pour le nombre moyen de transactions, d'environ 400.000, et le volume moyen des capitaux échangés, de 11,6 milliards d'euros, par société cotée. Sur les cent plus grandes sociétés européennes cotées, selon le critère de capitalisation boursière, 30 étaient cotées sur les places d'Euronext, 26 sur le London Stock Exchange et 15 sur la Deutsche Börse. Il a ajouté qu'Euronext Paris avait enregistré 78 nouvelles introductions en bourse en 2005, meilleure année depuis 2001, et qu'Euronext était le premier marché réglementé européen pour les levées de capitaux, avec 16,2 milliards d'euros en 2005, devant le London Stock Exchange avec 12,5 milliards d'euros. Euronext Liffe constituait enfin un acteur majeur sur les marchés dérivés puisqu'il occupait la seconde place mondiale en 2005, pour l'ensemble des produits dérivés comme pour les contrats d'options sur actions.

M. Jean-François Théodore a ensuite détaillé la structure actionnariale d'Euronext, qui se révélait très internationale avec, fin avril 2006, 35,6 % en provenance des Etats-Unis, 26,2 % du Royaume-Uni, 22,4 % de France, 3,8 % des Pays-Bas et 3,6 % d'Italie. La cotation encore récente d'Euronext avait conduit à ce que peu de fonds de pension fussent actionnaires, au profit de fonds spéculatifs qui étaient, en outre, fréquemment actionnaires de la DB. Il a indiqué que cette structure actionnariale avait suscité des difficultés, dont un exemple récent avait été, lors de l'assemblée générale au cours de laquelle il avait présenté les deux offres concurrentes de la DB et du NYSE, le dépôt d'une résolution par un fonds spéculatif également actionnaire de la bourse allemande. Cette résolution préconisait un rapprochement d'Euronext et de DB, sans pour autant que ses conditions juridiques fussent précisées.

Puis il a exposé les deux projets présentés par le NYSE et la DB. Il a indiqué que, faute d'avoir pu parvenir à un équilibre lors des discussions de ces derniers mois, la gouvernance future d'une entité DB-Euronext se traduirait par la concentration à Francfort de l'essentiel de l'activité, des responsabilités et des emplois. Bien que le projet de composition du conseil d'administration fut paritaire, le centre de décision et la gestion de l'infrastructure informatique d'une telle entité, détenue par une holding de droit néerlandais, seraient en effet situés en Allemagne, ce qui tendrait à marginaliser les quelques services opérationnels demeurant à Paris, et introduisait des incertitudes sur les plateformes informatiques de négociation qui seraient finalement retenues.

Il a ajouté que la structure organisationnelle et financière de DB, très différente de celle d'Euronext, reposait sur un modèle vertical dit « en silo », intégrant l'ensemble des activités de marché jusqu'au règlement-livraison des titres, assuré par la filiale Clearstream, et était susceptible de poser un problème d'ordre concurrentiel en cas de rapprochement. Près de 58 % du chiffre d'affaires et 70 % de la marge opérationnelle de DB étaient ainsi dépendants des activités de règlement-livraison et de négociation des produits dérivés, alors qu'Euronext dégageait l'essentiel de sa marge sur l'activité de négociation des actions.

Une structure DB-Euronext serait dès lors, selon lui, « faussement européenne », ne maintiendrait qu'une filiale réduite en France et provoquerait la disparition d'une organisation réellement pan-européenne dont le centre était aujourd'hui à Paris. Il a ajouté qu'un contrôle communautaire de la concentration s'exercerait probablement sur les activités post-marché et de produits dérivés, et que la finalisation de l'opération se ferait à un rythme plus lent qu'avec le NYSE, de l'ordre d'un an au lieu de six mois, avec de fortes incertitudes sur certains points.

M. Jean-François Théodore a estimé qu'une fusion entre le NYSE, première bourse d'actions au monde, et Euronext permettrait, en revanche, de préserver le modèle polycentrique et ouvert d'Euronext ainsi que le poids des décideurs dans chacune des deux branches. La holding, structure assez légère, serait dirigée par un conseil d'administration de 20 membres, dont 9 issus d'Euronext, et les statuts prévoiraient que toute « décision importante » soit prise à la majorité des deux tiers. Il a précisé que le président du conseil d'administration et le directeur général adjoint seraient choisis au sein d'Euronext, et qu'en tant que sous-holding, Euronext NV conserverait l'intégralité de sa réglementation et de son organisation fédérale.

Une telle structure, qu'il percevait comme paradoxalement plus européenne que l'opération proposée par DB, serait susceptible de créer des synergies dans les systèmes d'information, à hauteur d'un montant net de 295 millions d'euros, supérieur à celui né d'un rapprochement avec DB, qui se situait selon les évaluations d'Euronext dans une fourchette de 124 à 154 millions d'euros. Une opération avec le NYSE pourrait également intégrer, à terme, la bourse italienne, et dégager des opportunités pour de nouvelles activités. Compte tenu des lourdes contraintes de la législation américaine (loi Sarbanes-Oxley) pour les émetteurs internationaux comme de l'attrait présenté par une cotation en euros, deuxième monnaie du monde, Euronext pourrait devenir la place européenne privilégiée pour la cotation de sociétés de pays émergents, et pourrait également accentuer le développement de ses marchés dérivés, dont le NYSE ne disposait pas.

M. Jean-François Théodore a conclu sa présentation en soulignant qu'un rapprochement entre Euronext et le NYSE constituerait une opportunité majeure pour la place financière de Paris et serait source de création d'emplois sur le marché primaire des actions et dans les services informatiques, dans la mesure où la structure européenne d'Euronext serait préservée et où Paris pourrait devenir la nouvelle place européenne de référence, au détriment de Londres.

Cet exposé a été suivi d'un large débat.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a remercié M. Jean-François Théodore d'avoir rapidement accepté l'invitation de la commission, et l'a félicité pour son sang-froid et la lucidité de son action à la tête d'Euronext, en particulier au cours des derniers mois. Il s'est associé aux regrets exprimés par M. Jean Arthuis, président, sur le désengagement trop rapide des banques et investisseurs français du capital d'Euronext, peu après son introduction en bourse. Relevant qu'il importait d'analyser les projets en cours à l'aune de la localisation des centres de décision, il a jugé nécessaire l'établissement d'une stratégie commune pour pérenniser et renforcer la place de Paris, avec les retombées économiques les plus fortes possibles. A ce titre, il a estimé qu'un partenariat transatlantique semblait, paradoxalement, mieux préserver les chances de Paris et l'architecture européenne d'Euronext.

Il a considéré que la Commission européenne avait une responsabilité importante dans l'application parfois sélective et peu compréhensible des règles communautaires en matière de concurrence et dans l'absence de contrôle, au motif que le chiffre d'affaires et le total de bilan des plates-formes boursières seraient inférieurs à certains seuils, exercé sur un éventuel regroupement des bourses, qui était pourtant susceptible de conduire sinon à un monopole de fait, du moins à une réelle position dominante sur le marché européen continental.

Il a rappelé que les modèles économiques d'Euronext et de DB étaient substantiellement différents, et que l'intégration verticale en « silo » de la Deutsche Börse comme la forte rentabilité de ses activités post-transactions, c'est-à-dire des segments de règlement-livraison et de compensation, devaient être confrontés à une réflexion globale, actuellement menée par la direction générale du marché intérieur de la Commission européenne, sur l'opportunité d'une nouvelle législation définissant une régulation claire et un positionnement plus neutre de ces activités post-marché. Il a considéré que ces dernières pouvaient être assimilées à des infrastructures d'intérêt général, semblables aux réseaux de télécommunication, de transport de gaz ou d'électricité, et devaient, dès lors, préserver un accès libre et égal de tous les opérateurs de marché, et être détenues et contrôlées en vertu de considérations d'intérêt général fixées par une loi européenne. Il a néanmoins déploré que les arbitrages internes à la Commission européenne n'aient pas encore eu lieu et ne fussent a priori connus qu'à l'été 2006, après avoir été plusieurs fois reportés, et que la Commission n'ait donc, pour l'heure, pas encore fixé un cap clair.

Il a estimé que l'alternative consistait donc, soit en l'absorption de l'activité d'Euronext qui conduirait à l'expatriation des compétences et de l'état-major à Francfort, où se situait déjà le siège de la Banque centrale européenne, soit en un rapprochement plus innovant et inattendu avec le NYSE, permettant de « contourner » la place de Londres par l'Atlantique.

Evoquant le parachèvement du réseau fédératif d'Euronext, il s'est ensuite demandé s'il était raisonnable d'escompter un rapprochement préalable avec la bourse de Milan, afin de renforcer le poids économique et la valorisation d'Euronext pour le calcul de la parité avec le NYSE. S'agissant de la gouvernance du futur ensemble américano-européen, il a également souhaité obtenir des précisions sur la nature exacte des décisions stratégiques qui seraient soumises à une majorité des deux tiers, laquelle tendait à conférer un droit de veto aux représentants des intérêts fédérés dans Euronext. A ce titre, il lui semblait nécessaire que toute décision significative concernant la localisation des équipes en Europe et toute décision de restructuration éventuelle des places financières d'Euronext fussent bien comprises dans une liste de matières ayant vocation à être soumises à cette majorité, une telle garantie statutaire étant essentielle pour la crédibilité d'un éventuel accord de regroupement.

M. Jean-François Théodore a relevé que la situation de la bourse espagnole était très différente de celle de la bourse italienne, dans la mesure où la première comptait préserver son indépendance, laquelle avait été renforcée par une récente loi soumettant toute prise de participation significative à l'agrément préalable du ministre espagnol des finances. Il a rappelé que la bourse de Madrid envisageait une introduction en bourse à court terme, et que celle de Milan tendait à privilégier un rapprochement et des synergies avec une autre place de marché, compte tenu de sa faible capitalisation potentielle. Il a indiqué que le gouverneur de la banque centrale italienne avait implicitement fait référence à Euronext, et que le ministre italien des finances l'avait quant à lui cité explicitement. Les négociations entre la bourse de Milan et Euronext devaient, dès lors, débuter dans les prochains jours.

Revenant sur la nature des décisions soumises à la garantie statutaire précédemment évoquée par M. Philippe Marini, il a expliqué qu'elles ne portaient pas uniquement sur les décisions stratégiques, mais sur toute « décision importante » de la holding concernant plus du tiers de l'activité de l'entité NYSE-Euronext, ce qui incluait non seulement le choix des systèmes d'information, mais également tout éventuel déplacement substantiel des effectifs à New York. Il a jugé que cette dernière hypothèse était toutefois peu probable, dans la mesure où les pôles d'activité américain et européen seraient complémentaires, à la différence d'un rapprochement avec DB, qui concernait deux centres de décision concurrents.

Puis en réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, sur la nationalité des principaux fonds actionnaires d'Euronext, il a estimé que le caractère américain ou britannique de ces fonds spéculatifs importait moins que leur stratégie d'investissement, focalisée sur la perspective de profits à court terme.

M. Maurice Blin s'est demandé quels étaient les principaux avantages d'une coopération avec le NYSE, et pourquoi cette bourse se montrait si déterminée dans sa volonté de rapprochement avec Euronext. Relevant que les intentions économiques réelles des sociétés américaines étaient parfois difficiles à appréhender, et redoutant que le NYSE apparaisse finalement comme un partenaire « encombrant » et portant atteinte à l'autonomie d'Euronext, il s'est interrogé sur le nombre d'actionnaires qui partageaient la vision « pro américaine » et l'apparente sérénité des dirigeants d'Euronext.

Il a estimé que Paris demeurait aujourd'hui un pôle financier reconnu, notamment grâce à l'action conduite au cours des dernières années par M. Jean-François Théodore, auquel il a rendu hommage, et qu'en privilégiant l'offre du NYSE, Paris semblait, en quelque sorte, s'appuyer sur New York pour riposter à Londres et contenir l'expansionnisme de Francfort.

M. Jean-François Théodore a indiqué qu'une fusion avec le NYSE permettrait de protéger la seule structure fédérative européenne tout en offrant des possibilités de cotation sur Euronext de sociétés russes et chinoises, qui à l'heure actuelle s'intéressaient davantage à la bourse de Londres, et qu'il n'était pas souhaitable que Francfort concentre la politique monétaire européenne et la principale bourse, dans le cas d'une opération associant DB et Euronext.

Puis en réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, M. Jean-François Théodore a précisé que le NYSE était coté sur son propre marché depuis six mois, et que les importantes mutations organisationnelles qu'avait connues cette place de marché, qui avait récemment abandonné son organisation mutualiste, témoignaient de sa volonté de s'extraire d'un long conservatisme.

M. Jean Arthuis, président, a vivement déploré l'absence de solidarité des banques françaises à l'égard d'Euronext lors de son introduction en bourse, et le fait qu'elles aient préféré concrétiser leurs plus-values, assises sur une valorisation de 6 euros avant l'introduction, de 24 euros au premier jour de cotation, et de plus de 60 euros aujourd'hui. Il a ajouté qu'Euronext tendait à privilégier ses actionnaires anglo-saxons, dans la mesure où la société projetait de rendre près d'un milliard d'euros à ses actionnaires en 2006 et 2007, sous la forme d'un dividende majoré et de rachats puis annulations d'actions.

M. Jean-François Théodore a indiqué que cette politique actionnariale était également mise en oeuvre par d'autres sociétés lorsque les taux d'intérêt étaient bas. Elle répondait aux critiques émises par certains actionnaires qui avaient demandé que les 1,8 milliard d'euros de fonds propres d'Euronext fussent mieux utilisés, après la réduction de son endettement à 388 millions d'euros, grâce à l'effet de levier de la baisse des taux d'intérêt.

M. Jean Arthuis, président, a considéré que les profits élevés d'Euronext pouvaient tout aussi bien se traduire par une diminution des coûts de transaction pour les utilisateurs, alors que la rentabilité tendait aujourd'hui à être captée au profit de quelques actionnaires motivés par le court terme.

M. Jean-François Théodore a entendu privilégier la problématique des utilisateurs de la bourse, qui avaient choisi en 2001 et 2002 de ne pas demeurer actionnaires d'Euronext, dont la cotation en bourse avait signifié la fin de sa structure semi-mutualiste. Il a relevé que ces mêmes utilisateurs avaient tardivement pris conscience de l'utilité d'une prise de participation dans le capital d'Euronext. Il a également souligné que les tarifs avaient diminué de 21 % pour certaines catégories d'opérations, et qu'il s'était à ce titre entendu reprocher par certains actionnaires de ne pas respecter leurs intérêts financiers. Cette vision « maximaliste » de l'intérêt des actionnaires contrariait ainsi une autre conception du partage des gains de productivité, qui pouvait être réalisé dans l'intérêt bien compris des clients.

M. Philippe Adnot a déclaré adhérer aux choix de M. Jean-François Théodore, qui devait faire face à certaines contradictions, et s'est demandé pourquoi ce n'était pas plutôt Euronext qui avait proposé d'acquérir la Deutsche Börse.

M. Jean-François Théodore a précisé que la capitalisation de DB, d'environ 14 milliards d'euros, était largement supérieure à celle d'Euronext, de 8 milliards d'euros.

Puis se référant aux propos de M. Jean Arthuis, président, qui considérait la préférence donnée à l'offre américaine symboliquement préoccupante, il a estimé que l'alternative consistait soit à construire un « champion » européen au détriment de la place de Paris, soit à jouer le jeu de la globalisation en préservant le particularisme de la structure fédérale d'Euronext, et sans laisser aux Etats-Unis le monopole du bénéfice de cette internationalisation. Il a ajouté que les deux offres étaient encore au stade préliminaire, et que la finalisation d'un accord nécessiterait plusieurs mois de négociation comme l'accord des régulateurs boursiers concernés, ce qui prendrait vraisemblablement davantage de temps avec l'autorité boursière allemande, qui partageait son pouvoir de régulation avec le Land de Hesse.

M. Jean-Jacques Jégou a souligné le courage et la constance de M. Jean-François Théodore, en dépit d'un certain manque d'intérêt des acteurs politiques au début de la présente décennie, qui manifestait les lacunes de la culture boursière en France. Il a appelé de ses voeux une plus grande mobilisation des parlementaires et des opérateurs financiers et une meilleure prise de conscience des enjeux auxquels était aujourd'hui confronté Euronext. Il a également rappelé que l'industrie financière représentait des centaines de milliers d'emplois en Ile-de-France, et qu'il importait donc de la préserver, au même titre que l'industrie automobile, qui suscitait davantage d'inquiétudes de la part des élus et de l'opinion.

M. Paul Girod s'est demandé si Euronext avait une connaissance précise de son actionnariat, selon sa domiciliation ou sa nationalité, et si les deux offres proposées comportaient un échange de titres.

M. Jean-François Théodore a confirmé que les deux opérations reposaient essentiellement sur un échange d'actions, et que le niveau élevé de l'euro, susceptible de se maintenir jusqu'à la fin du mandat du président des Etats-Unis, était à cet égard favorable à Euronext dans la parité d'échange avec les titres du NYSE. Il a rappelé qu'Euronext NV était une holding de droit néerlandais, ce qui avait été le fruit d'un compromis politique plutôt que de considérations fiscales. Il a indiqué que les principaux actionnaires d'Euronext étaient identifiés individuellement, selon leur domiciliation juridique, et que l'actionnariat était dans l'ensemble très concentré. Il a également rappelé que le principe de l'introduction en bourse d'Euronext avait été approuvé à l'unanimité des 400 actionnaires en septembre 2000, et que la première cotation avait eu lieu en juillet 2001, assortie d'une période de blocage des titres de six mois, conforme à la pratique.

M. Jean Arthuis, président, a remercié à nouveau M. Jean-François Théodore d'avoir répondu aussi rapidement à l'invitation de la commission. Il a salué sa ténacité, malgré la faible présence des actionnaires français, et a considéré qu'il était désormais nécessaire de mener une réflexion d'ordre politique, compte tenu de la portée symbolique que revêtirait une prise de contrôle d'Euronext par le NYSE. Il a déclaré espérer que la Deutsche Börse révise ses positions pour proposer une offre d'acquisition plus équilibrée, M. Jean-François Théodore ajoutant qu'une telle issue impliquait une véritable « révolution copernicienne » de la part de la Deutsche Börse.

Réunion du Bureau de la commission - Compte rendu

M. Jean Arthuis, président, a rendu compte de la réunion du bureau qui s'était tenue le mardi 30 mai 2006 et qui a été consacrée à l'examen des modalités de discussion, à la fin du mois de juin, du projet de loi de règlement pour 2005.

Il a indiqué que dans le prolongement de ce qui s'était déroulé en octobre 2005, à l'initiative de la commission des finances, pour la discussion du projet de loi de règlement pour 2004, il s'agissait de faire vivre « l'esprit de la LOLF » et de revaloriser la place tenue par la « loi de reddition de comptes ».

Elle a vocation, en effet, à devenir le moment privilégié du contrôle de l'exécution budgétaire en s'intéressant aux résultats obtenus par rapport aux objectifs et indicateurs présentés en loi de finances initiale.

Ainsi à l'occasion de la prochaine Conférence des Présidents, la commission des finances demandera l'organisation de débats en séance publique sur les crédits des missions « Administration générale et territoriale de l'Etat », « Défense », « Ecologie » et « Sport, jeunesse et vie associative » à l'une des dates suivantes, selon les disponibilités des ministres : le mardi 27 juin (après-midi ou soir) et le mercredi 28 juin (après-midi ou soir).

Par ailleurs, la commission des finances procédera à l'audition, en salle Médicis, d'une dizaine de ministres gestionnaires sur les crédits dont ils ont la responsabilité, à savoir ceux en charge des affaires étrangères, de la coopération, de la santé, de la politique des territoires, de la recherche et de l'enseignement supérieur, de l'enseignement scolaire, de la culture, de la ville et du logement, de la gestion et du contrôle des finances publiques et de l'outre-mer, à l'une des dates suivantes selon leurs disponibilités : le mardi 20 juin (après-midi), le mercredi 21 juin (matin ou après-midi) ou le jeudi 22 juin (matin).

Ces auditions de ministres gestionnaires, qui auront vocation à connaître le plus large écho, seront ouvertes à l'ensemble des sénateurs, et plus particulièrement aux rapporteurs pour avis au nom des autres commissions permanentes, ainsi qu'au public et à la presse. Elles seront placées sous le signe d'une plus grande interactivité des échanges entre le ministre et les parlementaires.

Enfin, M. Jean Arthuis, président, a précisé que les contributions et analyses des rapporteurs spéciaux feront l'objet d'une publication spécifique au sein d'un « tome II » joint au « traditionnel » rapport du rapporteur général portant sur ledit projet de loi de règlement.

Il a indiqué que l'ensemble des membres présents du bureau avait fait part de leur accord quant aux propositions ainsi faites.

M. Jean-Jacques Jégou s'est déclaré favorable à ce que ces auditions et débats puissent être le plus interactifs, tandis que M. Maurice Blin a relevé l'ampleur, mais aussi l'intérêt, du travail que la commission allait devoir accomplir.

La commission a alors donné acte à M. Jean Arthuis, président, de sa communication.