Mercredi 4 avril 2007

- Présidence de M. Serge Vinçon, président.

Audition de Son Exc. M. Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran en France

La commission a procédé à l'audition de Son Exc. M. Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran en France.

En préambule, M. Ali Ahani a évoqué les solides relations nouées de longue date entre la France et l'Iran, ainsi que les nombreuses coopérations établies dans les domaines politique, économique, scientifique, culturel et universitaire. Il a souligné l'existence d'intérêts communs entre les deux pays et la nécessité de dissiper les malentendus qui peuvent parfois résulter d'informations erronées diffusées par certains médias dans les pays occidentaux à propos de l'Iran.

Abordant la question du programme nucléaire iranien, il a tout d'abord rappelé que les activités de son pays en la matière n'étaient pas nouvelles. Elles furent en effet initiées dès les années 1960, avec notamment l'appui des Américains. Il s'agissait déjà de répondre aux besoins énergétiques du pays qui comptait alors 30 millions d'habitants, contre 70 millions d'habitants aujourd'hui. Le premier réacteur de recherche iranien fut construit à Téhéran en 1967 dans le cadre d'une coopération avec les Etats-Unis. Des contacts furent établis avec le Canada, l'Allemagne et la France pour la construction de centrales nucléaires, mais ces pays se sont retirés après la révolution islamique. Seule fut alors poursuivie la coopération avec la Russie en vue de la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr, en phase d'achèvement.

M. Ali Ahani a précisé que bien que durant plusieurs années l'Iran n'ait pas déclaré à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) toutes ses activités dans le domaine nucléaire, selon les rapports de l'Agence, cela ne violait en rien les engagements souscrits dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il a ajouté que les obligations découlant de l'accord entre l'Iran et l'AIEA étaient beaucoup moins contraignantes que celles résultant du protocole additionnel. Par exemple, dans le cadre du TNP, les opérations liées à l'enrichissement ne doivent être déclarées à l'AIEA que 180 jours avant l'introduction d'uranium gazeux dans les centrifugeuses, alors que le protocole additionnel impose une déclaration des activités beaucoup plus en amont.

M. Ali Ahani a rappelé qu'à la suite de la négociation engagée avec la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, l'Iran avait signé avec l'AIEA le protocole additionnel et qu'il avait accepté de le mettre en oeuvre volontairement avant même sa ratification, pour montrer sa bonne volonté. Ainsi, deux années durant, l'Iran s'est volontairement soumis à l'équivalent de plus de 2400 personnes/jours d'inspections de l'AIEA sur ses sites nucléaires et certains sites militaires.

M. Ali Ahani a estimé que l'Iran n'avait en rien été récompensé de sa coopération renforcée avec l'AIEA, ni de sa suspension volontaire des activités liées à l'enrichissement et au retraitement, puisque le Conseil des gouverneurs de l'AIEA avait au contraire décidé de faire un rapport au Conseil de sécurité des Nations-unies. En réponse à cette attitude, l'Iran ne pouvait faire autrement que de revenir sur la suspension volontaire de ses activités en raison de la loi approuvée par le Parlement iranien.

M. Ali Ahani a souligné qu'à travers son programme nucléaire, l'Iran ne poursuivait aucun objectif militaire. Il a indiqué que l'Iran militait depuis longtemps pour un Moyen-Orient exempt d'armes nucléaires. Il a regretté les entraves mises au développement d'un programme nucléaire civil alors que des pays non signataires du TNP poursuivent leur programme nucléaire militaire et bénéficient même d'une coopération américaine pour leur programme nucléaire civil.

Evoquant l'article 12 du statut de l'AIEA, il a estimé que le renvoi du dossier iranien au Conseil de sécurité des Nations-unies ne reposait sur aucune base juridique ou technique solide, mais résultait d'une décision purement politique prise par le Conseil des gouverneurs de l'Agence, sous la pression des Etats-Unis. En effet, selon lui, aucun des rapports établis par les inspecteurs de l'AIEA ne relève une violation par l'Iran de ses engagements.

M. Ali Ahani a regretté la logique de confrontation dans laquelle s'inscrivent les Etats-Unis et a estimé que seule une solution négociée était envisageable. Celle-ci devrait reconnaître le droit de l'Iran à l'énergie nucléaire pacifique, y compris à l'enrichissement de l'uranium à des fins civiles, sous le contrôle de l'AIEA. Elle devrait aussi apporter à la communauté internationale les garanties nécessaires sur la nature exclusivement civile de ce programme.

M. Ali Ahani a précisé que l'Iran avait effectué plusieurs propositions pouvant servir de base à une solution négociée. Il a notamment été suggéré que la production de combustible nucléaire s'effectue en Iran sous l'égide d'un consortium régional ou international géré par un conseil d'administration dans lequel l'Iran ne serait qu'un partenaire parmi d'autres. Ce consortium alimenterait en combustible les centrales nucléaires de l'Iran ou de tout autre pays intéressé.

M. Ali Ahani a indiqué qu'à l'horizon 2025, les besoins de l'Iran en énergie d'origine nucléaire étaient estimés à 20 000 mégawatts et devraient être couverts par une vingtaine de centrales nucléaires. Citant l'exemple des contentieux survenus l'an passé sur la fourniture de gaz russe à plusieurs pays européens, il a estimé que pour son futur parc de centrales nucléaires, l'Iran ne pouvait se satisfaire de garanties d'approvisionnement en combustible fournies par la Russie ou par d'autres pays. Aussi est-il nécessaire que l'Iran puisse couvrir une partie au moins de ses besoins en combustible par sa propre production d'uranium enrichi, celle-ci étant réalisée sous contrôle de l'AIEA.

M. Ali Ahani a conclu en soulignant que les sanctions ne pouvaient en aucune manière contribuer au règlement du dossier. Il a estimé que la France pouvait jouer un rôle important en faveur d'un tel règlement.

Il a ensuite évoqué la situation des marins britanniques retenus en Iran depuis le 23 mars dernier. Il a indiqué que leur interpellation relevait de la procédure normale en cas de pénétration de forces étrangères dans les eaux territoriales. Il a rappelé qu'un incident similaire survenu en 2004 s'était réglé bilatéralement dans la sérénité, après que les Britanniques eurent reconnu leur erreur, et il a regretté que les autorités britanniques aient donné un écho démesuré à cette affaire, en voulant y impliquer l'Union européenne et le Conseil de sécurité des Nations-unies. Le caractère injuste des accusations portées en Grande-Bretagne, où l'on a parlé d'enlèvement ou même d'otages, a conduit les autorités iraniennes à diffuser des images des marins pour démontrer qu'ils étaient en bonne santé et bien traités. La politique erronée britannique n'a pas permis de procéder à la libération de la jeune femme, initialement envisagée.

M. Ali Ahani a constaté qu'au cours des dernières heures Londres avait modifié sa position et il a souhaité que la question puisse se régler dans le cadre de discussions bilatérales normales.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est instauré.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rappelant que la limite des eaux territoriales entre l'Irak et l'Iran était discutée, a souligné l'importance pour l'Iran de donner des gages de bonne volonté. Elle a interrogé l'ambassadeur sur la situation des droits de l'Homme et des libertés en Iran, évoquant les entraves à la liberté de la presse et l'emprisonnement de journalistes ainsi que la répression des manifestations organisées le 8 mars à l'occasion de la journée de la femme. Elle a enfin rappelé l'organisation par l'Iran d'une conférence sur l'holocauste, considérant que ce type d'événement contribuait à exacerber les tensions dans la région.

M. Robert del Picchia s'est interrogé sur le délai nécessaire à la libération des marins britanniques. Il a estimé qu'une solution diplomatique rapide serait à l'avantage de l'Iran. Évoquant l'hypothèse de constitution d'un consortium international pour la production de combustible nucléaire, il a souhaité savoir si une entreprise française comme Areva pourrait figurer dans le montage retenu. Il a souhaité connaître les réactions de la population iranienne face aux rumeurs d'une intervention militaire américaine.

M. Jean François-Poncet a rappelé que la constitution d'un consortium international pour satisfaire les besoins en combustible de l'Iran serait possible à l'extérieur du territoire iranien. Placé sous le contrôle des Nations unies et de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, il serait susceptible d'apporter une solution non seulement à l'Iran mais aussi à d'autres Etats confrontés aux mêmes difficultés. Estimant que cette solution donnait toutes les garanties nécessaires en termes de fiabilité et d'indépendance à l'égard des Etats-Unis, il a souhaité recueillir l'appréciation de l'ambassadeur.

En réponse, M. Ali Ahani a apporté les éléments suivants :

- la ligne de partage des eaux territoriales entre l'Irak et l'Iran a déjà été discutée mais un accord entre les deux pays a permis de régler cette question. L'Iran a fourni des éléments précis sur le lieu d'arraisonnement des marins britanniques. En 2004, où un événement similaire s'était produit, les Britanniques avaient également commencé par prétendre être restés hors des eaux territoriales iraniennes avant de se rendre aux arguments qui leur avaient été présentés, ce qui avait permis de régler le problème. Cette fois, ils ont fait appel aux médias avant de solliciter la solidarité européenne alors que l'Iran ne fait que préserver sa souveraineté territoriale. Des contacts étroits sont maintenus entre Londres et Téhéran, ce qui permet d'être optimiste sur l'issue de cette affaire ;

- Pour ce qui concerne la situation des droits de l'Homme, l'Iran, placé pendant longtemps sous un régime dictatorial, a accompli beaucoup de progrès depuis la révolution. Il convient cependant de maintenir un rythme de réformes compatible avec celui de l'évolution de la société. Sur des sujets comme la lapidation des femmes ou l'exécution des mineurs, les autorités judiciaires ont pu trouver des punitions alternatives, de manière à ce que ces condamnations, pourtant conformes à la loi islamique, ne soient plus appliquées. Quant à la situation des femmes, elle a connu bien des progrès et elle n'est pas du tout comparable à celle des autres pays de la région. Les échanges avec d'autres pays, notamment au niveau des systèmes judiciaires, peuvent être utiles et constructifs dans le sens de la promotion des droits de l'Homme  ;

- Près de 30 000 juifs vivent en Iran, la communauté juive ayant une présence multiséculaire dans le pays. L'antisémitisme n'est présent ni chez les gouvernants, ni dans la population. Certes, des critiques sont formulées à l'égard du régime israélien mais non à l'égard des juifs qui disposent au demeurant d'une représentation au Parlement.

Les déclarations du président iranien concernant la tragédie de l'holocauste ont été manipulées et n'avaient pas pour objet de nier celle-ci. Elles ne visaient qu'à poser certaines questions. De même, la conférence organisée à Téhéran sur l'holocauste visait à s'interroger sur cette réalité historique sans tabou et à laisser aux chercheurs, qu'ils soient pour ou contre, la possibilité d'exprimer librement leurs points de vue sur ce sujet.

- L'arraisonnement des bateaux et l'arrestation des marins britanniques est une question de souveraineté. La mission des Britanniques, même si elle s'inscrit dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, ne les autorise pas à violer les eaux territoriales iraniennes ;

- Les entreprises françaises ont naturellement leurs chances dans l'hypothèse de la constitution d'un consortium international en Iran mais il faut qu'un cadre politique puisse être défini au préalable ;

- Avant d'envisager de frapper l'Iran, les Etats-Unis devraient tirer les leçons de leur intervention en Irak. Des frappes sur l'Iran seraient une catastrophe pour les Etats-Unis et le monde et auraient des conséquences à la fois terribles et inattendues. La France, le Gouvernement, le Parlement et les médias français peuvent jouer un rôle dissuasif important pour faire prendre conscience de ces conséquences aux Etats-Unis ;

- Ayant accès à la technologie d'enrichissement d'uranium, l'Iran a une préférence pour la localisation sur son sol du consortium international de production du combustible nucléaire. Une installation hors d'Iran pourrait aussi être complémentaire. En tout état de cause, l'Iran ne souhaitant pas aller au delà de 3,5 % d'enrichissement de l'uranium, une telle solution doit permettre de dissiper les inquiétudes.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité connaître l'appréciation de l'ambassadeur sur l'avenir de l'Irak, dans l'hypothèse d'un retrait des Etats-Unis.

M. Serge Vinçon, président, l'a ensuite interrogé sur les conditions d'une sortie de crise au Liban.

M. Ali Ahani a rappelé les liens culturels, religieux et même familiaux qui unissent l'Iran à l'Irak, alors même que huit années de guerre imposées par le régime de Saddam Hussein ont opposé les deux pays. Il a rappelé que l'Iran avait été le premier pays dans la région à reconnaître le processus politique irakien après la chute de Saddam Hussein en raison de son intérêt à la stabilité de l'Irak. Ce processus politique a suscité l'inquiétude de pays arabes de la région quant à l'émergence d'une domination iranienne et donc chiite en Irak, ce qui n'a pas de sens. Il a considéré qu'il serait extrêmement dangereux d'aller vers une communautarisation de l'Irak. Il faut redonner à chaque groupe une vision nationale du pays. On ne peut attendre le calme tant que la présence américaine se maintient. Un calendrier de retrait doit être annoncé de manière à ne pas donner de prétexte aux éléments extrémistes et terroristes pour créer des affrontements entre sunnites et chiites et les Irakiens doivent être soutenus dans l'amélioration de la formation de leurs forces de sécurité, l'armée et la Police, et dans la reconstruction de leur économie.

M. Ali Ahani a souligné que le Liban était un point d'intérêt commun entre l'Iran et la France. Une grande méfiance sépare les différentes factions libanaises mais la France, l'Iran, l'Arabie saoudite et la Syrie peuvent les aider à la surmonter et à travailler ensemble en veillant à éviter les interférences dans les affaires intérieures du pays, car les Libanais sont très sensibles à l'égard des modèles imposés de l'extérieur.

A M. Robert del Picchia qui l'interrogeait sur les investissements français en Iran, M. Ali Ahani a rappelé que de grands projets avaient été lancés par des entreprises comme Peugeot ou Total. Avec 6,2 % du marché iranien, la France occupe la troisième place, derrière l'Allemagne et l'Italie. Elle pourrait occuper le premier rang en raison d'une perception positive de la part de la population. L'Iran a mené de nombreuses réformes en faveur des investissements étrangers et a signé un accord bilatéral avec la France sur la protection des investissements ; ce qui constitue un instrument efficace pour les entreprises françaises désireuses d'investir en Iran.

En conclusion, M. Ali Ahani a appelé à la vigilance à l'égard du groupe terroriste des Moudjahiddines du peuple, classé comme terroriste par l'Union européenne, et dont le siège est situé en banlieue parisienne. Il a indiqué que ce groupe était détesté de l'opinion iranienne et qu'il fallait se garder des actions de ses membres qui se présentent sous différentes couvertures (par exemple, le Conseil National de la Résistance Iranienne) pour piéger les personnalités politiques françaises et abuser de leur confiance.

M. Serge Vinçon, président, a indiqué que les initiatives individuelles n'engageaient ni la commission ni le Sénat, qui n'entretient pas de relations officielles avec ce groupe.