Mercredi 20 juin 2007

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Délégation parlementaire pour le renseignement - Examen du rapport

Dans une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. René Garrec sur le projet de loi n° 326 rectifié (2006-2007) portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement.

Après s'être félicité de la priorité donnée par le Gouvernement à ce texte, M. René Garrec, rapporteur, a rappelé que plusieurs propositions de loi déposées au cours des dernières années, notamment au Sénat, visaient à mettre fin à une singularité française, notre pays restant l'une des rares démocraties à ne pas disposer d'une instance parlementaire chargée de suivre, selon des modalités adaptées, l'activité des services de renseignement.

Il a indiqué que le Parlement français n'était pas en mesure de connaître réellement de l'activité des services de renseignement, les instruments habituels du Parlement se heurtant aux limites infranchissables du secret défense.

Il a expliqué qu'en raison du rapprochement croissant des enjeux de sécurité intérieure et extérieure, les services de renseignement étant amenés à traiter de la criminalité organisée ou du terrorisme et à travailler de plus en plus avec l'autorité judiciaire, la création d'un organe parlementaire chargé du suivi des services de renseignement était devenue encore plus légitime et nécessaire.

Il a indiqué que le projet de loi prévoyait la création d'une délégation composée de trois députés et de trois sénateurs issus de la majorité et de l'opposition, habilités à connaître d'informations classifiées sur l'activité générale, le budget et l'organisation des services de renseignement relevant des ministères de la défense et de l'intérieur. Il a ajouté que cette délégation pourrait procéder à l'audition périodique des ministres et directeurs de service, sans pouvoir toutefois accéder aux informations concernant les activités opérationnelles des services.

Sans remettre en cause l'équilibre du texte et soucieux de préserver les conditions permettant que se noue une relation de confiance entre les membres de la délégation et les responsables des services, sans laquelle aucun travail efficace ne pourra se faire, il a expliqué souhaiter ménager à la délégation une plus grande liberté d'action, conforme au rôle de la représentation nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat s'était saisie pour avis du projet de loi et que les deux rapporteurs avaient travaillé de concert, procédant à des auditions communes ouvertes aux membres des deux commissions.

M. Jean-Claude Peyronnet a estimé que ce texte devrait être consensuel. Tout en partageant la plupart des observations du rapporteur, il a souhaité connaître les raisons pour lesquelles le projet de loi ne faisait pas le choix de créer une délégation parlementaire dans chaque assemblée.

M. René Garrec, rapporteur, a répondu qu'une délégation commune aux deux assemblées était propre à faciliter la préservation du secret en limitant le nombre d'intervenants et favoriserait la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, qui n'auraient qu'un seul interlocuteur.

Puis la commission a examiné les amendements proposés par le rapporteur.

A l'article unique du projet de loi, la commission a examiné, outre trois amendements rédactionnels ou de coordination, qui ont été adoptés, huit amendements.

M. René Garrec, rapporteur, a tout d'abord présenté un amendement portant de trois à quatre le nombre respectif de députés et de sénateurs membres de la délégation, afin notamment de faciliter le respect de la condition d'une représentation pluraliste au sein de la délégation.

Craignant que la condition de représentation pluraliste n'aboutisse pas obligatoirement à la désignation d'un sénateur et d'un député de l'opposition, M. Michel Dreyfus-Schmidt a proposé qu'il soit précisé que plusieurs membres de la délégation devraient être choisis parmi le principal groupe d'opposition.

M. Bernard Frimat a proposé une solution alternative consistant à préciser que les membres de la délégation non membres de droit soient choisis parmi les deux groupes politiques les plus nombreux de chaque assemblée.

M. René Garrec a répondu que, d'une part, la notion d'opposition n'était pas un concept juridique admis par le Conseil constitutionnel et que, d'autre part, la référence aux groupes politiques ne couvrait pas toutes les combinaisons politiques possibles. En réalité, il a estimé que l'esprit de la loi était très clair et que la condition de représentation pluraliste signifiait qu'au moins un député et un sénateur devraient être choisis parmi les membres de l'opposition.

La commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite adopté sept amendements tendant :

- à supprimer l'obligation pour la délégation de désigner un rapporteur, estimant que l'organisation de son travail relevait de son règlement intérieur ;

- à préciser que la délégation a pour mission de suivre, sans préjudice des compétences des commissions permanentes, l'activité générale et les moyens des services de renseignement ;

- à permettre à la délégation de recueillir de façon générale les informations utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- à élargir les possibilités de procéder à des auditions au Premier ministre, ainsi qu'aux personnes ne relevant pas des services de renseignement ;

- à laisser à chaque assemblée le soin de déterminer le mode de désignation des fonctionnaires parlementaires qui assisteront la délégation ;

- à prévoir la remise d'un rapport public chaque année ;

- à préciser que les dépenses de la délégation sont financées et exécutées comme dépenses des assemblées parlementaires.

La commission a ensuite adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article unique et ayant pour objet de rendre la délégation destinataire du rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux créée en 2002.

M. René Garrec, rapporteur, a expliqué que, sans remettre en cause la compétence de la commission de vérification des fonds spéciaux, l'expérience des différents organismes de contrôle ou de suivi des services de renseignement devait être partagée.

M. Jean-Claude Peyronnet a estimé que les pouvoirs de la délégation parlementaire en matière financière n'étaient pas assez étendus.

Puis la commission a adopté un amendement rédactionnel tendant à modifier l'intitulé du projet de loi.

La commission a alors adopté le projet de loi ainsi modifié.

Régime des prescriptions civiles et pénales - Examen du rapport d'information

Puis la commission a examiné le rapport d'information de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que la mission d'information constituée par la commission avait procédé à plus de trente auditions, qui lui avaient permis d'entendre tant des représentants des ministères de la justice et de l'économie et des finances que des représentants des magistrats, des avocats, des notaires, des employeurs et des consommateurs, ainsi que de nombreux universitaires.

Il a souligné que l'écoulement prolongé du temps peut conduire soit à l'extinction d'une action appartenant jusqu'alors à une personne juridique (prescription extinctive ou libératoire) -cet effet étant connu tant en matière pénale qu'en matière civile, soit à l'acquisition d'un droit ou d'un bien par la personne qui le détient sans pour autant en avoir la propriété (prescription acquisitive ou usucapion) -seule la matière civile connaissant cette institution.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a relevé que le caractère foisonnant et le manque de cohérence des règles de prescription actuelles donnent un sentiment d'imprévisibilité et parfois d'arbitraire.

Il a exposé qu'en matière pénale, la durée de la prescription de l'action publique -exercée par le ministère public contre l'auteur d'un acte punissable- se déduit en principe de la nature de l'infraction commise et qu'elle est en conséquence d'un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Il a souligné que cet état du droit s'est fortement compliqué au fil des multiples allongements des délais de prescription, certains délits d'infractions sexuelles se prescrivant désormais par dix ans, tandis que d'autres -notamment en matière de stupéfiants- se prescrivent par vingt ans. Il a également relevé que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que certains crimes -tels les viols sur mineurs- se prescrivent par vingt ans tandis que d'autres, à l'instar des actes de terrorisme, connaissent une prescription de trente ans.

Il a constaté que si les délais de prescription de l'action publique répondent en principe à la gravité des peines encourues, les exceptions se sont multipliées, citant le cas des violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire supérieure à huit jours, passibles d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, qui se voient appliquer une prescription de vingt ans alors qu'à l'inverse, certaines agressions sexuelles autres que le viol, pourtant punies de sept ans d'emprisonnement, se prescrivent seulement par dix ans.

Il a estimé que le sentiment d'arbitraire que peuvent faire naître les règles de prescription en matière pénale résulte également des possibilités, reconnues par la jurisprudence, de report du point de départ des délais de prescription à l'égard de délits « occultes » ou « dissimulés » sans que la détermination des infractions répondant à ces qualifications prétoriennes puisse être dégagée avec une réelle certitude.

Abordant la prescription en matière civile, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que, sous réserve d'hypothèses très circonscrites donnant lieu à imprescriptibilité (biens du domaine public ou droit moral de l'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique, par exemple), la matière civile connaît une prescription de droit commun de trente ans, dans le cadre tant de la prescription acquisitive que de la prescription extinctive, cette durée ne constituant qu'un plafond et s'appliquant seulement en l'absence de dispositions législatives spéciales prévoyant des délais plus brefs.

Il a précisé que l'on compterait aujourd'hui, selon un recensement établi par la Cour de cassation en 2004, plus de deux cent cinquante délais de prescription différents, dont la durée varie de trente ans à un mois, certains champs de l'activité juridique connaissant, de manière généralisée, des délais relativement courts, mais extrêmement divers. Il a indiqué que les obligations entre commerçants se prescrivent, à titre général, par dix ans, mais que la plupart des règles concernant les effets de commerce (chèque, lettre de change...) se voient appliquer des prescriptions de trois ans ou d'un an.

Il a relevé que cet état du droit conduit à des situations paradoxales : si l'action en responsabilité contractuelle est soumise en principe au délai trentenaire de droit commun, l'action en responsabilité extra-contractuelle connaît un délai de prescription de dix ans ; du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision entre cet autobus et un autre véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur de ce véhicule et de trente ans pour agir contre son transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice.

Il a souligné que les modes de computation des délais apparaissent également problématiques, en particulier au regard de leur point de départ fluctuant. Il a ajouté que certains délais -qualifiés de délais préfix ou de délais de forclusion- ne supportent en principe, à l'inverse des autres délais, ni suspension, ni interruption et peuvent être relevés d'office par le juge, mais que, d'une part, le caractère préfix d'un délai n'est souvent établi avec certitude qu'après que le juge eut statué, d'autre part, tous les délais préfix ou de forclusion ne sont pas soumis à un régime juridique uniforme...

M. Jean-Jacques Hyest, président, a jugé les règles de prescription du droit français inadaptées à l'évolution de la société et à l'environnement juridique actuel.

Il a observé que, dans une société où le devoir de mémoire et la vertu « restauratrice » du procès pénal sont de plus en plus mis en avant, le droit à l'oubli qu'illustre la prescription est, dans son principe, fortement mis en question tant par les justiciables que par les juges eux-mêmes. Il a ajouté que l'allongement ponctuel du délai de prescription de l'action publique à l'égard de certaines infractions jugées particulièrement graves témoigne de la volonté de poursuivre inexorablement leurs auteurs, avec l'aide des progrès de la police scientifique.

Il a indiqué que le droit français se caractérise par la brièveté des délais de prescription de l'action publique au regard de ceux retenus par les systèmes juridiques voisins, souvent fixés en fonction de la durée de la peine applicable, soulignant que, dans leur grande majorité, les Etats membres de l'Union européenne prévoient la prescription de l'action publique et ont tendance à allonger sa durée.

S'agissant de la prescription en matière civile, M. Jean-Jacques Hyest, président, a fait observer que si les règles relatives à la prescription acquisitive ne donnent pas lieu à des critiques fortes, il n'en va pas de même de la prescription extinctive. Il a insisté sur le fait que le délai de droit commun de trente ans se révèle inadapté à une société marquée par des modifications multiples des relations juridiques, intervenant à un rythme sans cesse plus soutenu, la sécurité des transactions juridiques s'accommodant mal d'une prescription particulièrement longue et d'autant moins nécessaire que les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits. Il a insisté également sur le coût, pour les acteurs juridiques, d'une prescription longue, le choix d'un délai de prescription ayant de fortes incidences en matière de conservation des preuves, alors même que cette conservation est aujourd'hui particulièrement encadrée.

Il a exposé que les règles de prescription actuelles présentent un décalage de plus en plus marqué avec celles prévues par nombre d'Etats européens, qui retiennent des durées de prescription de droit commun plus courtes : l'Italie, la Suisse, la Suède et la Finlande connaissent un délai de droit commun de dix ans, le Royaume-Uni un délai de six ans et l'Allemagne un délai de trois ans. Il a relevé que plusieurs Etats ont même institué un délai-butoir, non susceptible d'interruption ou de suspension, au terme duquel le droit du créancier est définitivement éteint.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que, sur la base de ces constatations, la mission d'information formule dix-sept recommandations ayant pour objet de rendre le droit de la prescription moderne et cohérent.

Les sept recommandations relatives à la prescription en matière pénale consistent à :

- conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée essentiellement aux crimes contre l'humanité ;

- veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles ;

- préserver le lien entre la gravité de l'infraction et la durée du délai de la prescription de l'action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ;

- allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle ;

- consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction est révélée, et étendre cette solution à d'autres infractions occultes ou dissimulées dans d'autres domaines du droit pénal et, en particulier, en matière criminelle ;

- établir, pour les infractions occultes ou dissimulées, à compter de la commission de l'infraction, un délai-butoir de dix ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle, soumis aux mêmes conditions d'interruption et de suspension que les délais de prescription ;

- fixer l'acquisition de la prescription au 31 décembre de l'année au cours de laquelle expirent les délais de prescription.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a ensuite présenté les dix recommandations de la mission d'information en matière civile, à savoir :

- abaisser de trente ans à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive ;

- maintenir, en principe, les délais de prescription extinctive actuellement inférieurs à cinq ans, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence ;

- étendre le délai de cinq ans aux prescriptions extinctives d'une durée plus longue, notamment aux obligations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence ;

- maintenir à trente ans le délai de droit commun de la prescription acquisitive en matière immobilière et la fixation d'une durée abrégée unique de dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur, quel que soit le lieu de résidence du propriétaire de l'immeuble ;

- faire de la négociation entre les parties une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation ;

- transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription extinctive et conférer également un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé ;

- supprimer les interversions de prescription ;

- prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par voie contractuelle, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation ;

- poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion ou préfix au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques.

- consacrer les solutions jurisprudentielles en matière de droit transitoire.

M. Richard Yung, co-rapporteur, s'est déclaré favorable à une réduction de la durée des délais de prescription en matière civile et à son augmentation en matière pénale. Il a toutefois marqué sa préférence pour un délai de droit commun de la prescription extinctive de trois ans, en matière civile, au nom de la nécessité d'une harmonisation des législations nationales des différents Etats membres de l'Union européenne. Or, a-t-il souligné, ce délai de trois ans a déjà été retenu en Allemagne et est actuellement envisagé au Royaume-Uni ; la France doit être à la tête, et non à la traîne du mouvement d'harmonisation qui se dessine.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé que le choix d'un délai de droit commun de la prescription extinctive de trois ans impliquerait de prévoir, comme en Allemagne, un grand nombre de dérogations, notamment au bénéfice des créances salariales qui se prescrivent actuellement par cinq ans, et ne contribuerait donc pas à une simplification du droit. Il a également fait valoir qu'au cours des auditions, la durée de cinq ans était celle qui avait suscité le plus d'adhésions, notamment de la part des représentants des entreprises et des consommateurs. Enfin, il a souligné que la réduction de trente à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive constituerait déjà une évolution considérable.

Dissociant le civil et le pénal, M. Hugues Portelli, co-rapporteur, a jugé que les recommandations de la mission d'information relatives à la prescription en matière pénale étaient raisonnables, mais pas prioritaires. En revanche, il a appelé de ses voeux une réforme rapide de la prescription en matière civile énonçant des règles simples, favorisant la liberté contractuelle et laissant au juge un pouvoir d'appréciation pour tenir compte des cas concrets. A titre personnel, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas, pour des raisons de sécurité juridique, de soumettre l'ensemble des prescriptions extinctives à des délais-butoir. Enfin, il a insisté sur la nécessité d'une harmonisation européenne, observant à cet égard qu'un délai de droit commun de cinq ans, en matière de prescription extinctive, placerait la France dans la moyenne des Etats membres de l'Union européenne.

Tout en soulignant l'intérêt des travaux de la mission d'information, M. Michel Dreyfus-Schmidt a exprimé sa surprise face à certaines de ses recommandations.

Il a tout d'abord souhaité connaître les raisons justifiant un éventuel allongement des délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en déclarant qu'il n'en voyait pas la nécessité, sauf en matière de presse. Or, a-t-il regretté, l'allongement des délais de prescription de l'action publique en matière de presse ne figure pas parmi les recommandations de la mission.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a ensuite demandé les motifs ayant conduit la mission d'information à préconiser non seulement de consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction est révélée, mais encore à étendre cette solution à d'autres infractions occultes ou dissimulées dans d'autres domaines du droit pénal et, en particulier, la matière criminelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a estimé que cette extension serait opportune par exemple pour les crimes dissimulés par leur auteur, en déguisant par exemple un meurtre en une mort naturelle. Il a exposé qu'en effet, le point de départ du délai de prescription de l'action publique ne serait plus alors la commission des faits, mais la découverte du crime. Il a ajouté qu'en contrepartie de ce report du point de départ du délai de prescription, il convenait d'instituer un délai-butoir courant à compter de la commission des faits, afin de ne pas rendre imprescriptibles de facto certaines infractions.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a observé que les règles actuelles prévoyant le report du point de départ de la prescription de l'action publique à la date de la majorité de la victime, pour les infractions commises contre les mineurs, soulevaient des difficultés considérables, en raison notamment de la disparition des preuves, et conduisaient à des erreurs judiciaires.

M. Richard Yung, co-rapporteur, a estimé qu'il était difficile de les remettre en cause.

Evoquant la prescription en matière civile, M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé que la négociation entre les parties ne devait être admise comme une cause de suspension de la prescription extinctive que dans des conditions très strictes, destinées notamment à faciliter l'administration de la preuve.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a suggéré de modifier le libellé de la recommandation afin de n'admettre comme cause de suspension de la prescription extinctive que les négociations de bonne foi entre les parties.

La commission a approuvé cette modification.

Enfin, M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est demandé s'il n'y avait pas d'autres domaines que le droit des assurances et le droit de la consommation où la situation de faiblesse de l'une des parties devrait conduire à restreindre les possibilités d'aménagement contractuel de la durée de la prescription extinctive.

M. Jean-Jacques Hyest, président, lui a répondu qu'il s'agissait des deux domaines de prédilection des contrats d'adhésion, mais qu'il convenait effectivement de ne pas étendre la liberté contractuelle en cas de déséquilibre entre les parties.

M. Laurent Béteille a approuvé la réduction de trente à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive en matière commerciale, mais a estimé qu'elle risquait de susciter des difficultés dans les relations entre non commerçants.

M. Christian Cointat a salué la qualité du travail de la mission et le choix précurseur de la commission des lois du Sénat d'associer des rapporteurs de la majorité et de l'opposition pour conduire ses travaux d'information.

La commission a ensuite approuvé le rapport de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales et autorisé sa publication.

Lutte contre la récidive - Audition de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Dans une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi n° 333 (2006-2007) renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que la justice, placée au coeur de la démocratie, devrait faire l'objet d'un large consensus. Après avoir exprimé le souhait de restaurer la confiance des Français dans la justice, elle a soutenu que notre pays ne devait pas avoir peur d'une justice réellement indépendante servie par des magistrats soumis à des devoirs. Elle a plaidé pour une justice mieux organisée et plus efficace, évoquant la réforme de la carte judiciaire ainsi que le développement de nouveaux moyens de communication. Considérant que toute violation des lois de la République portait atteinte aux valeurs portées par la France, elle a appelé de ses voeux des réponses fermes et graduées en matière de lutte contre la délinquance, rappelant qu'il s'agissait d'un engagement essentiel du nouveau Président de la République. Elle a par ailleurs prôné une France généreuse et fraternelle déterminée à favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables, en particulier des mineurs et des détenus. Elle a fait part de son intention de présenter dès cet été des actions en ce sens, citant la présentation d'une loi pénitentiaire et la mise en place d'un contrôle général des lieux privatifs de liberté.

Abordant le projet de loi de lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré que la récidive de crimes et délits exaspérait les citoyens et appelait des sanctions plus sévères.

Elle a indiqué que le projet de loi comportait, d'une part, un volet visant à instaurer des peines minimales applicables tant aux majeurs qu'aux mineurs, d'autre part, des mesures facilitant l'exclusion de l'atténuation de responsabilité des mineurs de plus de seize ans, ces derniers encourant de plein droit les peines prévues pour les majeurs dès la deuxième récidive d'infractions d'une particulière gravité. Dressant un état des lieux de la récidive, elle a exposé que le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits avait connu une augmentation de 68,5 % entre 2000 et 2005 et que les crimes ou les délits violents avaient, eux, progressé de 145 % sur la même période. La délinquance des mineurs n'échappe pas à ces tendances : elle est de plus en plus violente, de plus en plus fréquente et touche des tranches d'âge de plus en plus jeunes. En attestent les chiffres suivants : 9.509 mineurs ont été condamnés pour des délits de violence en 2005, contre 6.815 en 2000 (soit une augmentation de 39,5 %) et 1.567 mineurs ont été condamnés pour des délits de nature sexuelle en 2005, contre 1.135 en 2000 (soit une augmentation de 38 %). Après avoir observé qu'en 2006, la part des mineurs dans le total des personnes mises en cause pour l'ensemble des crimes et des délits était de 18,3 % et que ce pourcentage était même de 46,8 % pour les vols avec violence, elle a souligné que, selon une récente étude du ministère de la justice, 30,1 % des mineurs condamnés en 1999 l'ont été pour des faits en récidive dans les cinq ans qui ont suivi.

Compte tenu de ces chiffres, elle a appelé de ses voeux une loi pénale plus sévère, donc dissuasive, indiquant que l'emprisonnement deviendrait désormais la peine de principe pour les récidivistes majeurs ou mineurs. Elle a toutefois relevé que le projet de loi maintenait des possibilités d'individualisation des peines, eu égard à la nécessité de permettre au juge de prendre en compte des situations humaines particulières. Soulignant que le droit actuel, en ne prévoyant que le doublement des peines encourues, outre des dispositions procédurales plus sévères et un régime d'exécution des peines plus rigoureux, ne prenait pas suffisamment en compte le phénomène de la récidive, elle a expliqué que le projet de loi entendait fixer des peines-plancher pour les récidivistes.

Déclarant que le Conseil d'Etat avait reconnu la complète conformité du projet de loi à la Constitution, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé que le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 3 mars 2007 sur la loi relative à la prévention de la délinquance, a souligné la nécessité pour le législateur de concilier différentes exigences : d'une part les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, résultant de l'article 8 de la Déclaration de 1789, d'autre part, la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens.

Détaillant le contenu du projet de loi, elle a expliqué que ses deux premiers articles, créant les deux nouveaux articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal, instaurait des peines minimales d'emprisonnement applicables, dès la première récidive, à l'ensemble des crimes et aux délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement. Ces peines minimales, a-t-elle poursuivi, sont fixées en tenant compte de la gravité de l'infraction.

Pour les crimes, la durée des peines minimales est ainsi fixée dans le projet de loi à : 5 ans pour un crime puni de 15 ans de réclusion ou de détention ; 7 ans pour un crime puni de 20 ans ; 10 ans pour un crime puni de 30 ans ; 15 ans pour un crime puni de perpétuité.

S'agissant des délits, le texte fixe la durée des peines minimales à 1 an pour un délit puni de 3 ans d'emprisonnement ; 2 ans pour un délit puni de 5 ans ; 3 ans pour un délit puni de 7 ans ; 4 ans pour un délit puni de 10 ans.

Elle a précisé que les peines minimales ont été déterminées à partir de l'échelle actuelle des peines hors récidive et que le projet de loi ne modifie pas le principe du doublement de la peine encourue en cas de récidive.

Distinguant, pour l'application des ces peines minimales, d'une part, un régime général applicable aux majeurs et aux mineurs dès la première récidive, c'est-à-dire dans les cas où la personne a déjà été condamnée au moins une fois pour une infraction identique ou assimilée, d'autre part, un régime spécial applicable aux majeurs et mineurs dès la deuxième récidive de certaines infractions d'une particulière gravité, elle a déclaré que le premier régime concerne tous les crimes, ainsi que tous les délits punis d'au moins trois d'emprisonnement. Dans ces hypothèses, la juridiction ne pourra prononcer une peine inférieure au seuil minimal qu'en « considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ».

Elle a précisé qu'en matière de délits, le tribunal correctionnel devrait alors rendre une décision spécialement motivée et pourrait prononcer une peine autre que l'emprisonnement, tandis qu'en matière de crimes, conformément au droit commun, la cour d'assises n'aurait pas à motiver sa décision et ne pourrait pas prononcer une peine autre qu'une peine d'emprisonnement. Toutefois, a-t-elle observé, la peine ne pourra pas être inférieure aux seuils minimaux prévus à l'article 132-18 du code pénal, c'est-à-dire d'un ou deux ans d'emprisonnement si le crime est puni respectivement d'une peine à temps ou d'une peine à perpétuité.

S'agissant du régime spécial applicable aux majeurs et mineurs dès la deuxième récidive, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a signalé qu'il ne s'appliquait qu'à certaines infractions d'une particulière gravité, à savoir les crimes, les délits comportant un élément de violence ou de nature sexuelle et les délits punis de dix ans d'emprisonnement. Dans ces hypothèses, a-t-elle précisé, la juridiction ne pourra prononcer qu'une peine d'emprisonnement. Toutefois, elle pourra déroger à ce principe si le coupable présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion, à condition, d'une part, en matière criminelle, de respecter les seuils minimaux d'un ou deux ans prévus par le droit actuel, d'autre part, en matière délictuelle, de prendre une décision spécialement motivée. La notion de « garanties exceptionnelles » lui a paru très stricte et pourrait trouver à s'appliquer, par exemple, en matière de récidive criminelle commise, trente ans après les faits ayant entraîné la première condamnation, par une personne qui, entre temps, se serait particulièrement bien insérée socialement.

Abordant les dispositions relatives aux mineurs, elle a souligné que le projet de loi, conformément au principe général d'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs âgés de treize à dix-huit ans, posé par l'ordonnance du 2 février 1945, prévoyait expressément une diminution de moitié des peines minimales. Toutefois, elle a rappelé que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a facilité l'exclusion de cette atténuation de responsabilité, en prévoyant que le tribunal pour enfants pouvait, dans certaines conditions, dès la première récidive, écarter l'atténuation de la peine sans motivation, et en supprimant la notion de « cas exceptionnels » pour la mise en oeuvre de l'exclusion. Après avoir déclaré que le projet de loi maintenait ce régime tout en élargissant la liste des infractions auxquelles il s'applique, elle a relevé que le projet de loi prévoyait de plein droit l'application des peines des majeurs aux mineurs de seize ans reconnus coupables d'une deuxième récidive. Toutefois, a-t-elle nuancé, la juridiction pourra rétablir l'atténuation de peine, soit par décision spécialement motivée du tribunal pour enfants, soit par une décision de la cour d'assises après s'être prononcée sur l'opportunité d'appliquer à l'accusé le bénéfice de la diminution de peine.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné la conformité du texte aux exigences constitutionnelles en matière de justice des mineurs, c'est-à-dire l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, la majorité pénale demeurant à dix-huit ans, la nécessité de rechercher des mesures éducatives adaptées, ainsi que le jugement par des juridictions pour mineurs spécialisées.

Elle a conclu en indiquant que le projet de loi serait complété par un dispositif soumettant certaines personnes condamnées, notamment pour infractions sexuelles, à une injonction de soins, ajoutant que cette mesure, que la juridiction pourrait toujours écarter, serait subordonnée à une expertise psychiatrique concluant à la possibilité d'un traitement.

M. François Zocchetto, rapporteur, a souhaité connaître le nombre de mineurs condamnés en état de récidive et savoir si ce taux était supérieur à celui des adultes et s'il avait augmenté au cours des dernières années. Il s'est également interrogé sur les raisons de la permanence du phénomène de la récidive chez les mineurs.

Il s'est ensuite inquiété des conséquences du projet de loi sur l'effectif des détenus, en demandant si des projections précises sur la base du nombre de personnes actuellement condamnées en état de récidive légale avaient été réalisées et quels moyens supplémentaires, le cas échéant, seraient attribués aux établissements pénitentiaires.

Enfin, M. François Zocchetto, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur le sens à donner aux « garanties exceptionnelles de réinsertion » requises en matière criminelle ou délictuelle pour prononcer une peine inférieure aux peines-plancher s'agissant d'un multirécidiviste, ainsi que des exemples de ces garanties.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a répondu que, d'après les statistiques de l'année 2004, 5 % des mineurs avaient été condamnés en état de première récidive et 6 % en état de troisième récidive. Elle a ensuite indiqué que les mineurs sont souvent jugés une seule fois pour plusieurs faits. Elle a marqué l'importance de la prévention pour éviter que les mineurs ne s'ancrent dans la délinquance. Elle a plaidé pour la définition d'un régime adapté et proportionné à l'infraction afin de mettre fin à l'absence de cohérence des décisions rendues en matière de récidive.

Elle a indiqué que les éléments de personnalité de l'auteur de l'infraction lui semblaient un critère déterminant pour décider d'appliquer ou de déroger au régime de peines minimales défini par le projet de loi. Elle a signalé qu'une circulaire venait d'être diffusée pour clarifier la politique pénale afin qu'à chaque infraction corresponde une réponse claire. Elle a jugé important de permettre aux magistrats de prononcer une peine adaptée aux circonstances et à la personnalité du condamné, précisant en outre que les peines alternatives à l'emprisonnement n'étaient pas remises en cause par le projet de loi. En conséquence, la ministre a estimé faible l'impact du projet de loi sur la densité de la population carcérale, mais significatif son effet de dissuasion.

Après avoir rappelé qu'il était élu d'un département, la Seine-Saint-Denis, où la récidive est jugée importante, M. Jacques Mahéas a tout d'abord demandé si une étude d'impact avait été réalisée pour évaluer le risque d'augmentation de la population carcérale induit par les mesures contenues dans le projet de loi. Il a rappelé qu'au 11 juin 2007, les établissements pénitentiaires français accueillaient 60.870 détenus, alors qu'ils ne disposaient que de 50.329 places, et connaissaient donc un taux d'occupation moyen de 121 %.

M. Jacques Mahéas a ensuite exprimé le souhait que le Parlement soit rendu destinataire non seulement de l'ensemble des données statistiques dont dispose le ministère de la justice, mais aussi des avis rendus par le Conseil d'Etat et la Commission d'analyse et de suivi de la récidive sur le projet de loi, ces avis exprimant, semble-t-il, des réserves sur les dispositions proposées.

Enfin, il a estimé que le projet de loi présentait un caractère illusoire, dans la mesure où il paraissait plus efficace de prononcer et d'appliquer effectivement les sanctions pénales plutôt que d'augmenter le quantum des peines.

M. Jean-Pierre Sueur a tout d'abord observé qu'au cours de la précédente législature pas moins de sept lois avaient été adoptées pour aggraver les sanctions pénales, le motif invoqué à l'appui de chaque nouveau texte étant l'insuffisance du précédent. Se faisant l'écho du souhait de nombreux magistrats, confrontés à la difficulté d'assimiler toutes ces évolutions législatives, que le code pénal ne soit plus sans cesse modifié, il a interrogé la ministre sur sa volonté d'arrêter cette « échelle de perroquet ».

M. Jean-Pierre Sueur a ensuite indiqué que, selon un chercheur du CNRS entendu dans le cadre des auditions organisées par le rapporteur de la commission des lois sur le projet de loi, les détenus bénéficiant d'une libération conditionnelle récidiveraient moins que ceux ayant purgé la totalité de leur peine au sein d'un établissement pénitentiaire. Après avoir demandé si le ministère de la justice disposait d'informations contredisant cette affirmation, il a estimé pour sa part qu'une loi tendant à améliorer les conditions de détention, à développer le suivi et la réinsertion des détenus à leur sortie de prison et à renforcer les moyens de la justice était prioritaire par rapport à un texte prévoyant des peines minimales en cas de récidive.

Enfin, M. Jean-Pierre Sueur a souhaité savoir, lui aussi, si une étude avait été réalisée pour évaluer l'impact des dispositions du projet de loi sur la population carcérale.

M. Henri de Richemont a souhaité connaître la proportion, sur les 4.500 condamnés en récidive pour crimes et délits violents en 2005, des personnes s'étant vu infliger une peine inférieure aux peines minimales prévues par le projet de loi.

Tout en approuvant l'économie générale du projet de loi, M. Christian Cointat s'est demandé comment expliquer à ses concitoyens, qui taxent la justice française de laxisme, que les dispositions proposées, en permettant aux juges de prononcer par décision spécialement motivée des peines inférieures aux planchers prévus par la loi, risquent d'aboutir à ce que l'exception devienne la règle, donc à ce que rien ne change.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a tout d'abord rappelé la demande réitérée de nombreux sénateurs, parmi lesquels ceux du groupe communiste républicain et citoyens, que chaque loi soit précédée d'une étude d'impact et suivie d'une évaluation.

Elle a ensuite déclaré que le constat de l'augmentation de la récidive, malgré l'adoption de sept lois aggravant les sanctions pénales, entre 2002 et 2007, eût achevé de la convaincre, si elle n'avait déjà été convaincue, de l'absence de corrélation entre la délinquance et le quantum des peines. Elle a par ailleurs observé que l'idée d'instaurer des peines-plancher en cas de récidive avait été repoussée en 2005.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a souligné, elle aussi, que les magistrats éprouvaient des difficultés à appliquer la loi en raison de ses modifications incessantes.

Elle a estimé qu'avant de songer à soumettre par principe les personnes condamnées pour des infractions graves, notamment sexuelles, à une injonction de soins, il importait de renforcer les moyens nécessaires au suivi médical des détenus.

Elle a appelé de ses voeux une loi sur l'amélioration des conditions de détention et de réinsertion des condamnés, qu'elle a jugée bien plus prioritaire que les dispositions du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Enfin, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a interrogé la ministre sur ses intentions à l'égard de la création d'un contrôleur général doté d'un statut d'indépendance des prisons, doté d'un statut d'indépendance.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a déclaré qu'il s'attendait à ce que le Parlement fût saisi en premier lieu d'un projet de loi pénitentiaire.

Il a estimé que l'augmentation sensible de la récidive relevée par la ministre attestait les piètres résultats de la politique menée au cours de la précédente législature, marquée par une accumulation effrénée de lois rendant impossible leur assimilation par les magistrats et les avocats.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a également rappelé que le précédent garde des sceaux, M. Pascal Clément, s'était opposé à l'instauration de peines-plancher en cas de récidive.

Evoquant les dispositions du projet de loi, il a jugé choquant et contraire à la Constitution d'obliger un magistrat qui voudrait faire preuve de clémence à motiver spécialement une décision prononçant une peine inférieure à un plancher législatif.

M. Laurent Béteille a qualifié la récidive de véritable gangrène pour certains quartiers urbains. Tout en convenant de la nécessité de permettre aux juges de prononcer une peine inférieure aux seuils prévus par la loi « en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci », il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de rendre ces conditions cumulatives plutôt qu'alternatives.

M. Richard Yung a réclamé une évaluation des sept lois adoptées au cours de la précédente législature pour aggraver les sanctions pénales. Il a par ailleurs demandé à la ministre si elle envisageait d'étendre les peines-plancher à d'autres hypothèses que la récidive.

En réponse, Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué que :

- l'impact du présent projet de loi sur la population carcérale sera minime, sous réserve que les peines alternatives à l'emprisonnement se développent ; la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a permis un premier pas en ce sens en étendant l'éventail des mesures de ce type applicables aux mineurs ; ces dispositions entreront en vigueur rapidement grâce à la publication prochaine des décrets d'application ;

- les établissements pénitentiaires comporteront 60.000 places d'ici à 2012 ; en outre, un projet de loi pénitentiaire, qui sera présenté au Parlement dès l'automne prochain, permettra de ne plus faire l'impasse sur l'impératif d'insertion qui doit accompagner toute mesure de sanction et qui lui donne tout son sens. Un projet est actuellement en cours pour développer la formation en alternance en milieu carcéral. Les mineurs âgés de 16 à 18 ans doivent également davantage réfléchir à leur insertion professionnelle : actuellement, un grand nombre d'entre eux n'ont aucune activité en prison ;

- la présente réforme ne remet pas en cause les possibilités d'aménagement de peine, qui relèvent de la compétence du juge de l'application des peines ;

- une diffusion plus large des statistiques en matière de récidive est souhaitable, car elle est de nature à favoriser une plus grande transparence de la politique du Gouvernement dans le domaine de la lutte contre la délinquance. Elle permettra également de mieux appréhender le fonctionnement de la justice en France ;

- les dispositions du projet de loi concernant l'ordonnance de 1945 sur les mineurs n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part du Conseil d'Etat ;

- en ce qui concerne l'exécution des peines, l'extension des mesures d'aménagement de peine et des mesures alternatives à l'incarcération doit être poursuivie ;

- la matière pénale et la procédure pénale ont donné lieu à une incontestable inflation législative ces dernières années. Afin de clarifier l'état du droit, le président de la République souhaite créer une commission chargée de revoir la cohérence d'ensemble du droit en vigueur dans ces domaines ;

- le choix de déposer à l'automne le projet de loi pénitentiaire se justifie par le double souci de lui conférer une portée très ambitieuse et de recueillir le plus large consensus sur les orientations susceptibles d'être retenues, notamment s'agissant des conditions de détention et d'insertion. Une telle réforme ne peut être mise en oeuvre sans qu'une large consultation de tous les acteurs concernés ne soit menée au préalable. A l'occasion de l'examen de cette réforme, une attention particulière sera portée au problème des sorties de prison « sèches » -non accompagnées d'un projet d'insertion ;

- la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a élargi les conditions dans lesquelles la récidive peut être constatée pour certains crimes et délits violents. En outre, cette loi laisse une large marge d'appréciation aux magistrats. Le présent projet de loi se borne à prendre acte de la jurisprudence en ce qui concerne les crimes, les peines effectivement prononcées actuellement étant rarement inférieures à celles qui figurent dans la réforme présentée au Parlement ;

- le quantum des peines minimales des délits visés dans le projet de loi reste inférieur à la moitié du quantum de la peine encourue hors récidive, ce qui garantit la conformité de l'échelle des peines propres au principe de proportionnalité ;

l'avancée principale du projet de loi sera de permettre au Gouvernement de définir une politique pénale claire et ainsi d'encourager l'unification de la jurisprudence en matière de récidive. Toutefois, à la différence du système américain, cette réforme n'a pas pour objectif d'ériger les magistrats en « distributeurs automatiques de peines ». Une telle évolution apparaît contraire à la culture juridique française ;

- les problèmes de santé qui touchent de nombreux détenus méritent qu'une réflexion soit engagée pour trouver les moyens adaptés de développer les structures hospitalières en prison. L'inspection des services pénitentiaires devrait rendre prochainement des propositions en vue d'améliorer la médecine pénitentiaire. La question se pose de savoir si l'hôpital doit entrer en prison ou s'il incombe à l'hôpital d'accueillir la prison. Cette préoccupation concerne également les détenus mineurs. Sur les 29 centres éducatifs fermés qui seront créés avant la fin de cette année, 5 incluront une structure pédopsychiatrique et s'appuieront sur des professionnels de la santé (médecins, psychiatres). Il n'entre pas dans la vocation des éducateurs de traiter les problèmes de santé des mineurs ;

- l'application des peines minimales en dehors du cas des infractions commises en état de récidive n'est pas à l'ordre du jour ;

- les dérogations prévues par le projet de loi en faveur d'une adaptation des peines minimales d'emprisonnement préservent la liberté d'appréciation souveraine des magistrats, sous réserve d'un encadrement défini très strictement ; elles se justifient par le souci de répondre à l'exigence constitutionnelle de l'individualisation des peines. Toutefois, ces exceptions ne remettent pas en cause la philosophie de la réforme tendant à réprimer plus sévèrement, et de manière plus lisible, les infractions commises en état de récidive ; la présente réforme, loin d'être inutile, apporte au contraire une réponse plus claire et plus ferme à la récidive, conformément aux préoccupations des Français. En pratique, une restriction des possibilités d'adaptation de la peine par un resserrement des critères permettant de déroger à l'application de peines minimales en cas de récidive ne garantira pas une plus grande efficacité du nouveau dispositif, l'interprétation des critères autorisant les dérogations relevant en dernier lieu de la libre appréciation des magistrats.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a conclu cette audition en soulignant la nécessité de concevoir une politique pénale d'ensemble, rappelant l'important travail de réflexion de la commission des lois sur les impératifs d'insertion et de réinsertion à la sortie de prison. Outre le rapport de la commission d'enquête sur les prisons, qui a abouti à une proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, il a cité les rapports sur les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques et sur la délinquance des mineurs. En conséquence, il a fait valoir que le Sénat apporterait toute son expertise à l'examen des textes de loi à venir dans le domaine pénal ou pénitentiaire.