Mercredi 9 avril 2008

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président

Défense - Emplois réservés - Examen du rapport

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. André Dulait sur le projet de loi n° 324 (2006-2007) relatif aux emplois réservés et portant dispositions diverses relatives à la défense

M. André Dulait, rapporteur, a tout d'abord rappelé que les emplois réservés désignaient un mode d'accès à la fonction publique, dérogatoire à la règle du concours, ouvert par ordre de priorité aux invalides de guerre et à leurs ayants droit, aux militaires réformés, ainsi qu'aux militaires et aux anciens militaires. Leur nombre est déterminé par l'application d'un pourcentage sur les flux de recrutement dans des corps et cadres d'emplois énumérés par une liste limitative. Les candidats doivent passer un examen professionnel correspondant au corps souhaité. Ils choisissent alors deux départements d'affectation. Après examen des vacances de postes prévisibles, le ministre chargé des anciens combattants prend un arrêté répartissant le nombre de postes par département. En fonction des résultats de l'examen, pondérés notamment par l'ancienneté, les candidats sont inscrits sur une liste de classement à concurrence du nombre de postes fixé par l'arrêté de répartition ; ils y demeurent jusqu'à l'obtention d'un emploi. Les candidats qui n'ont pu être classés conservent le bénéfice de leur examen pendant deux ans. Au fur et à mesure des vacances de poste, les personnes figurant sur la liste de classement sont affectées dans l'ordre de la liste sans que l'administration d'accueil ne puisse se prononcer sur le profil de la personne qu'elle recrute.

M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que les blessés en campagne de guerre et les personnes prioritaires n'avaient représenté qu'une trentaine de dossiers au cours des quinze dernières années. Compte tenu de ce faible volume, ces personnes font l'objet d'un traitement personnalisé et ne rencontrent pas de difficulté particulière. Il a en revanche observé que le dispositif peinait à offrir un véritable débouché pour les militaires en reconversion et souffrait d'une désaffection partagée tant des candidats que des administrations. Il a souligné qu'en conséquence le dispositif était largement sous-utilisé : sur les 3 544 postes théoriquement disponibles, 2 922 avaient été rendus aux administrations en 2005. En 2006, le nombre des reclassements s'est établi à un niveau historiquement bas avec 381 personnes effectivement nommées. Il a rappelé que le dispositif dit « loi 70-2 » qui permet à des militaires d'accéder à la catégorie A par la voie du détachement, traditionnellement plus sélectif, avait permis, pour la même année, de reclasser 250 personnes.

M. André Dulait, rapporteur, a souligné qu'à l'examen de ces chiffres une réforme s'imposait clairement pour trois raisons principales : l'ancienneté du dispositif, qui, conçu après la première guerre mondiale, n'a jamais été véritablement réformé, l'importance prise par la question de la reconversion, ainsi que l'ampleur annoncée des suppressions de postes qui rend indispensable de mobiliser l'ensemble des instruments de reconversion.

M. André Dulait, rapporteur, a souligné que le projet de loi consistait d'abord en une actualisation. Il élargit le champ des bénéficiaires prioritaires pour l'étendre à toute personne atteinte dans son intégrité physique, alors qu'elle se trouvait au service de la collectivité, qu'il s'agisse de professionnels, d'élus, ou encore de personnes que la jurisprudence désigne comme des collaborateurs occasionnels du service public.

L'accès est ouvert aux militaires servant à titre étranger. Le champ des ayants droit est également élargi et ne concerne plus seulement les veuves, mais aussi les concubins, partenaires de PACS, et personnes ayant à charge l'enfant d'une personne blessée ou décédée en service.

Le texte élargit le champ des emplois réservés en substituant à une liste limitative un principe général d'ouverture de tous les corps et cadres d'emploi de catégorie B et C. Il ouvre l'accès à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière. Enfin, le projet de loi assouplit les conditions de fonctionnement du dispositif en matière de choix d'affectation, de limite d'âge ou de délai. Le délai de quatre ans minimum de service pour l'accès des militaires sera en revanche maintenu par voie réglementaire.

M. André Dulait, rapporteur, a ensuite rappelé que le projet de loi marquait l'aboutissement d'un long processus, les premières concertations ayant été engagées en 2003. Il a souligné qu'entre son premier dépôt à l'Assemblée nationale, en 2006, et son examen par le Sénat, des évolutions très importantes étaient intervenues, tant pour ce qui concerne les militaires que pour la fonction publique. La réflexion et la concertation interministérielles se sont poursuivies et la réforme proposée par le Gouvernement devrait être modifiée de façon substantielle par voie d'amendements. Il est ainsi envisagé une réforme beaucoup plus large des modes d'accès avec la suppression de l'examen professionnel et des listes de classement au profit d'un mécanisme qui emprunte à la fois à la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle et aux procédures de nomination de la fonction publique territoriale. Le dispositif de reconversion des armées fournirait à chaque candidat un passeport professionnel permettant aux administrations d'apprécier son profil. Les candidats seraient ensuite inscrits par ordre alphabétique sur une liste régionale ou nationale. Les administrations ne seraient plus obligées de recruter dans l'ordre de la liste et le candidat ne serait plus tenu d'accepter la proposition qui lui est faite. Seule la caducité des listes lui serait opposable : deux ans sur une liste régionale, suivis d'un an sur une liste nationale, soit trois ans au maximum.

M. André Dulait, rapporteur, a souligné que l'incitation des administrations à recruter était renforcée par l'article L-407 proposé par le projet de loi qui prévoit qu'elles ne peuvent remettre directement au concours les postes non pourvus, mais qu'elles doivent les proposer à d'autres publics prioritaires, notamment aux personnes handicapées.

Il a considéré que ces modifications étaient positives et qu'elles allaient davantage dans le sens des intérêts partagés entre les administrations et les candidats.

Il a indiqué qu'il proposerait pour l'essentiel d'apporter trois modifications à ce texte. Il a estimé que, dans l'équilibre du nouveau dispositif, les militaires réformés devaient rejoindre la catégorie des personnes prioritaires et ne plus faire l'objet d'une catégorie spécifique. En second lieu, il a proposé d'exclure du dispositif les militaires radiés des cadres ou ayant fait l'objet d'une résiliation de contrat pour motif disciplinaire. Enfin, il a considéré qu'après le dépôt des amendements annoncés par le Gouvernement, rien ne justifierait désormais, dans le nouveau dispositif, tel qu'il sera proposé au Sénat, de restreindre l'accès par la voie des emplois réservés aux seules catégories B et C. Il a précisé que le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels, soumis à l'examen du Sénat, prévoyait quant à lui l'accès des fonctionnaires à tous les corps militaires par la voie du détachement.

Il a considéré qu'à terme, il serait logique de rapprocher le dispositif des emplois réservés de celui dit de la loi 70-2 au profit d'un mécanisme unique de mobilité des militaires vers la fonction publique. Il faudrait alors réserver un mécanisme spécifique aux personnes prioritaires qui relèvent fondamentalement d'une autre logique, celle de la solidarité nationale.

M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que le projet de loi comportait par ailleurs cinq articles n'ayant pas trait au dispositif des emplois réservés.

Il a noté que le plus substantiel était l'article  6, qui permet de recruter directement en catégorie B dans le corps des secrétaires administratifs du ministère de la défense, sans concours et sans passer par les emplois réservés, les conjoints des personnels civils et militaires de la défense, dont le décès est en relation avec l'exercice de leur fonction. Cette possibilité existe actuellement pour la catégorie C. M. André Dulait, rapporteur, a considéré que cette disposition était très dérogatoire, si on considérait le caractère extrêmement sélectif de ce type de concours, mais qu'elle permettait à la défense de réagir très vite face à des situations dramatiques.

Il a indiqué que deux articles étaient relatifs au contentieux de droits accessoires au droit des pensions militaires d'invalidité. Il a précisé qu'il proposait deux amendements pour transférer aux juridictions des pensions le contentieux de l'appareillage pour tenir compte d'une jurisprudence récente du Conseil d'Etat.

Il a estimé, en conclusion, que le projet de loi représentait un pari sur la rénovation d'un dispositif qui nécessiterait la mobilisation de tous les acteurs dans un contexte de maîtrise de l'emploi public. Il a toutefois souligné que le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux n'impliquait pas l'arrêt de tout recrutement.

Il a également considéré qu'il était nécessaire de modifier l'intitulé du dispositif au profit d'une appellation plus attractive et qui fasse moins penser aux candidats qu'un emploi leur est « réservé » dans une administration, mais qu'ils entament une nouvelle carrière après avoir servi une première fois l'Etat au sein des armées.

Il a recommandé l'adoption du projet de loi assorti des amendements proposés.

Un débat a suivi l'examen du rapport.

M. André Rouvière a fait part de son inquiétude quant à la capacité du dispositif à assurer la reconversion des militaires, alors que l'emploi public se raréfie. Il a fait part de son souhait, M. Jean-Louis Carrère s'y associant, de disposer des propositions d'amendement du rapporteur avant la réunion de commission.

M. Robert Bret a exprimé son accord sur la nécessité d'une modernisation du dispositif des emplois réservés, dont l'intitulé même pose effectivement problème. Il s'est néanmoins interrogé sur son application en raison de la réduction du nombre d'emplois publics. Il a indiqué qu'il s'abstiendrait lors du vote sur le projet de loi.

M. Jean-Pierre Fourcade a précisé que sur les 6 millions de fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux, 70 000 départs en retraite étaient prévus en 2009 et que par conséquent, même si l'on appliquait strictement le principe du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, les administrations devraient recruter quelque 35 000 personnes, flux sur lequel s'imputerait le dispositif des emplois réservés.

M. Jean-Louis Carrère a souligné que les collectivités territoriales, soumises à de fortes contraintes et à des dépenses croissantes, ne pourraient très certainement accueillir un nombre important de militaires.

M. André Dulait, rapporteur, a précisé que pour les collectivités territoriales, le recrutement par la voie des emplois réservés, était une faculté et non une obligation.

M. André Trillard s'est interrogé sur le volume actuel des recrutements par la voie des emplois réservés dans la fonction publique territoriale. Soulignant l'importance du nombre des pactes civils de solidarité conclus pour des raisons de convenance personnelle et ne correspondant pas à une communauté de vie, il s'est interrogé sur le maintien de cette mention dans les amendements du rapporteur. Il a enfin noté que selon certaines estimations, compte tenu des évolutions démographiques, la fonction publique pourrait employer jusqu'à 40 % d'une classe d'âge diplômée à bac + 2. Il importait que ces jeunes puissent exercer d'autres métiers que celui de fonctionnaire.

M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que le volume actuel des recrutements par la voie des emplois réservés dans la fonction publique territoriale était anecdotique. Il a rappelé que pour les PACS, il s'en était tenu aux règles en vigueur dans la fonction publique.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles.

A l'article premier (refonte du chapitre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre), la commission a adopté 7 amendements, dont deux rédactionnels, qui visent à :

- prendre en compte le fait que les militaires réformés peuvent se prévaloir du 5° de l'article  L-394 qui énumère les personnes prioritaires et supprimer les dispositions qui prévoyaient un traitement particulier pour les réformés et leurs ayants droit ;

- exclure les personnes radiées des cadres ou ayant fait l'objet d'une résiliation de contrat pour motif disciplinaire ;

- élargir les postes pris en compte dans le calcul des emplois réservés en visant non seulement les concours, mais l'ensemble des recrutements.

Aux articles 2, 3 et 4 (définition et fonctionnement de la période transitoire), la commission a adopté deux amendements rédactionnels.

A l'article 5 (prise en compte des emplois réservés dans l'obligation d'emploi de 6 %), la commission a adopté un amendement rédactionnel tenant compte de la nouvelle rédaction du code du travail ;

A l'article 6 (accès des conjoints à la catégorie B), elle a adopté un amendement corrigeant une erreur matérielle.

Aux articles 7 et 8 (contentieux des soins gratuits), elle a adopté deux amendements visant à :

- ajouter au transfert du contentieux des soins gratuits vers les juridictions des pensions celui du contentieux de l'appareillage ;

- supprimer les juridictions des soins gratuits et transférer les procédures en cours aux juridictions des pensions.

Elle adopté l'article 9 (limite d'âge des contrôleurs généraux en mission extraordinaire) sans modification.

A l'article 10 (maintien des servitudes autour des établissements maniant des poudres et explosifs), elle a adopté un amendement corrigeant une référence.

La commission a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié, les groupes socialiste et communiste s'abstenant.

Traités et conventions - Convention France-Luxembourg sur la sécurité sociale - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. André Rouvière sur le projet de loi n° 143 (2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg sur la sécurité sociale.

M. André Rouvière, rapporteur, a rappelé qu'en matière de sécurité sociale, les relations de la France avec le Luxembourg, comme avec l'ensemble des pays de l'Union européenne, relèvent du règlement communautaire 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.

Celui-ci prévoit cependant que deux ou plusieurs Etats membres peuvent conclure des conventions particulières destinées à en compléter et en améliorer les dispositions. Tel est l'objet de la convention franco-luxembourgeoise du 7 novembre 2005 sur la sécurité sociale, qui vise notamment à tenir compte des problèmes spécifiques posés par la situation des travailleurs ou anciens travailleurs transfrontaliers, près de 65.000 résidents français exerçant aujourd'hui quotidiennement leur activité professionnelle au Luxembourg.

La convention comporte trois séries de stipulations.

En matière d'assurance maladie, elle permet désormais aux travailleurs frontaliers, qu'ils soient en activité ou retraités, ainsi qu'aux membres de leur famille, d'accéder aux soins de santé sans restriction dans l'un ou l'autre des deux Etats, en levant notamment les restrictions actuellement imposées pour les soins programmés. En matière d'assurance vieillesse, elle améliore la situation des personnes dont la carrière s'est déroulée entre la France, le Luxembourg, et un ou plusieurs autres pays, en assurant la prise en compte de toutes les périodes d'assurance lorsque ces pays tiers ont conclu une convention bilatérale de sécurité sociale avec la France et le Luxembourg. Enfin, la convention assure une coordination pour les personnes résidant en France et pouvant bénéficier d'une prestation luxembourgeoise au titre de la dépendance. Elle prévoit une assistance administrative entre institutions des deux pays et fixe des règles claires en matière de cumul d'une allocation française et d'une prestation servie par l'assurance maladie luxembourgeoise.

En conclusion, le rapporteur a souligné que cette convention s'inscrivait dans un mouvement plus général de renforcement de la coopération sanitaire dans les zones transfrontalières. Il a cité la constitution, sous la forme d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE), d'un observatoire transfrontalier de la santé dont le périmètre d'intervention couvre le Grand-Duché du Luxembourg, la province belge de Luxembourg et les trois départements lorrains de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle.

Signalant que la Chambre des députés du Luxembourg avait autorisé la ratification de cette convention le 11 juillet 2007, il a invité la commission à adopter le projet de loi.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Josselin de Rohan, président, a estimé que cette convention, en dépit de son champ d'application restreint, aurait une incidence pratique très positive sur les droits sociaux de nombre de nos compatriotes frontaliers du Luxembourg.

En réponse à M. Robert del Picchia, M. André Rouvière, rapporteur, a précisé que la situation de certains ressortissants français ayant successivement travaillé ou résidé en France et au Luxembourg devrait s'en trouver améliorée.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'approbation simplifiée en séance publique.

Industrie de défense - Audition de M. Louis Gallois, président-directeur général d'EADS

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Louis Gallois, président-directeur général d'EADS.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé le contexte spécifique dans lequel s'inscrivait l'audition de M. Louis Gallois, président-directeur général d'EADS, à savoir la révision générale des politiques publiques (RGPP), la rédaction du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et, enfin, la préparation de la loi de programmation militaire. Il a indiqué que s'il n'appartenait pas aux industriels de définir la politique de la défense nationale, leur éclairage était néanmoins important, car il était nécessaire qu'ils puissent présenter leur point de vue à la représentation nationale. Il a souhaité que le président Louis Gallois s'exprime en particulier sur la future loi de programmation militaire, les programmes industriels de l'avenir actuellement en préparation, les problèmes d'exportation liés à la dépréciation du dollar par rapport à l'euro et, enfin, sur le renforcement de la politique européenne de défense.

En réponse au président de la commission, M. Louis Gallois, a rappelé que s'il n'appartenait pas effectivement aux industriels de la défense de définir la politique de défense, inversement, il ne pouvait y avoir de politique de défense autonome sans base industrielle et technologique solide. S'agissant du Livre blanc, il a indiqué qu'un cycle de 15 ans venait de se clore, et que le cycle qui s'ouvrait était marqué par l'émergence de nouvelles menaces et la nécessité de définir un nouveau modèle d'armée. L'industrie a été associée aux travaux du Livre blanc par l'intermédiaire du sous-groupe présidé par M. Jean-Martin Foltz et la tenue d'une réunion d'information présidée par M. Jean-Claude Mallet, président de la commission du Livre blanc. Il a exprimé sa préoccupation sur le retard pris par la publication du Livre blanc, et donc sur les risques de décalage de la loi de programmation militaire. Dans ce contexte, le budget 2009 risque fort d'être un budget « blanc », c'est-à-dire un budget d'attente, ne pouvant pas traduire des décisions politiques qui n'auraient pas encore été prises ou qui auraient été prises trop tardivement.

Après ces remarques, M. Louis Gallois s'est exprimé sur la direction générale de l'armement (DGA). Il a indiqué que l'idée de faire de la DGA une « agence d'achats » (solution déjà expérimentée, puis abandonnée au Royaume-Uni) était une mauvaise idée. En revanche, les industriels ressentent la nécessité d'une « interface » forte, capable de définir une véritable politique industrielle, d'avoir une vision stratégique et d'engager un partenariat de long terme constructif et exigeant avec l'industrie de la défense. Tel est le cas désormais en Grande-Bretagne, où EADS discute avec des interlocuteurs parlant un langage industriel et allant au-delà d'une politique d'achats reposant sur de simples critères de prix ; EADS a signé un partenariat stratégique avec quatre ministères (défense, industrie, universités et recherche et collectivités locales). Il est également important que le ministère de la défense s'interroge sur une application moins systématique de la règle du « moins-disant » pour privilégier, au contraire, le « mieux-disant ». Aux Etats-Unis, par exemple, pour l'appel d'offres relatif au programme d'avions ravitailleurs, le prix n'était qu'un critère de choix parmi d'autres et pas le plus important. Les autres critères portaient sur la qualité, le niveau de risque et l'adéquation du produit aux objectifs. En outre, le choix du « moins-disant » se traduit souvent à terme par des retards ou des surcoûts, liés à des compléments de prestations non pris en compte à l'origine ou pour compenser la non-tenue des spécifications par l'achat de prestations ou matériels supplémentaires. Concernant l'application des règles de la concurrence, M. Louis Gallois a indiqué qu'il y avait un code de conduite élaboré par l'Agence européenne de défense (AED) et qu'il y souscrivait sans réserve. Compte tenu des préférences nationales qui s'expriment légitimement dans les appels d'offres, il a souhaité que les entreprises véritablement européennes, telle EADS, soient traitées sur un strict pied d'égalité avec les sociétés nationales. M. Louis Gallois a appelé l'attention des sénateurs sur la nécessité de se méfier de certaines clauses susceptibles d'avoir des effets anti-économiques. Ainsi, il a regretté que le programme de l'avion de transport A-400 M ait porté, moyennant un prix fixe, à la fois sur un programme de développement d'un avion extrêmement complexe et sur la livraison de 179 exemplaires de cet avion. Il eût été souhaitable d'avoir, sur ce projet, des études préalables et des programmes d'évaluation du risque permettant d'identifier les difficultés, d'esquisser des solutions et, en définitive, de réduire les risques industriels à supporter. EADS ne s'engagera plus à l'avenir dans de tels contrats, trop déséquilibrés en matière de portage de risques.

M. Louis Gallois a ensuite indiqué que la politique de recherche devait à tout prix demeurer une priorité dans la future loi de programmation militaire et qu'il fallait impérativement maintenir la capacité de nos bureaux d'études, véritable patrimoine national, dont la construction a nécessité 30 ans. Il revient à l'Etat seul de décider du maintien ou non de ces capacités qui ont jusqu'à présent fait partie de sa posture de défense ; le réemploi des personnels concernés ne posera pas de difficulté à EADS qui a besoin de ressources dans d'autres secteurs en forte croissance, comme l'aéronautique civile. L'objectif d'un milliard d'euros fixé par le rapport Fromion et le CIDEF sur la recherche de défense devrait être réaffirmé. S'agissant d'EADS, trois domaines sont essentiels : les missiles balistiques, les missiles de croisière et les satellites d'observation. Il a également émis le souhait d'une plus grande coordination européenne. La recherche européenne ne représente que 20 % de l'effort de recherche américain en matière de défense. De plus, 90 % de cette recherche sont effectués sur une base nationale, et seulement 10 % sont coordonnés au niveau européen, ce qui donne lieu à de multiples redondances.

M. Louis Gallois a indiqué, qu'en dehors du cas particulier de la dissuasion, aucun pays en Europe n'avait les moyens, seul, de développer de grands programmes. Il ne fait aucun doute, pour lui, que le prochain avion de combat sera européen. La création d'une industrie européenne de défense forte peut enclencher un cercle vertueux et susciter un accroissement de l'effort national de défense qui ferait qu'un nombre très limité de pays aurait moins à supporter, les autres se réfugiant plus ou moins derrière le « parapluie américain ». Pour cela, il faut être capable de leur montrer qu'industriellement cela serait avantageux pour eux.

M. Louis Gallois a considéré qu'il serait souhaitable de renforcer, l'Agence européenne de défense (AED). Dans cette perspective, il a formulé sept recommandations : 1° identifier en commun les lacunes capacitaires. Telle est la condition nécessaire pour permettre l'élaboration de programmes communs qui constituent la synthèse, et non pas la superposition, des besoins des états-majors nationaux ; 2° accepter une certaine dépendance réciproque fondée sur des accords d'approvisionnements sécurisés ; 3° s'engager à ne pas dupliquer les programmes, sauf exigences impératives ; 4° mettre l'Agence européenne de développement au coeur des processus de décision, afin que son information lui permette de jouer son rôle de catalyseur ; 5° accepter la clause de la nation la plus favorisée sans restriction opérationnelle, c'est-à-dire sans « dégrader » les matériels livrés aux armées nationales entre pays européens. Cette clause pourrait s'appliquer, par exemple, aux six pays de la lettre d'intention ; 6° se faire confiance et s'engager à regarder honnêtement toutes les possibilités européennes avant d'avoir recours à d'autres offres nécessaires à une réelle compétition ; 7° se doter d'organes de pilotage des programmes européens forts, l'OCCAR constituait un progrès à cet égard comparé à certaines expériences antérieures (NH90). Enfin, il a espéré qu'on n'oppose pas les coopérations bilatérales et l'Europe de la défense, les premières permettant d'amorcer des coopérations plus larges.

M. Louis Gallois a ensuite souhaité s'exprimer sur l'externalisation. Le fait de confier à l'industrie les tâches qu'elle connaît et pour lesquelles elle est la plus efficace permet au ministère de la défense de concentrer son énergie sur l'opérationnel. Les économies à en attendre ne sont pas toujours gigantesques, mais elles existent. Elles permettent en outre aux états-majors de se concentrer sur leur coeur de métier. Il a cité le cas du contrat des avions ravitailleurs FSTA passé avec les forces armées britanniques pour lequel EADS garde la propriété des avions et en assure l'entretien, ainsi que PARADIGM, opérateur qui fournit les communications satellitaires sécurisées aux armées britanniques à un coût très compétitif car il peut amortir ses investissements en vendant le service à d'autres utilisateurs. De la même façon, sur la base aérienne de Cognac, le fait qu'EADS assure la première formation des pilotes induit des économies de l'ordre de 35 % pour le ministère de la défense. En Allemagne, EADS assure le maintien de la flotte aérienne de la Luftwaffe, en équipe intégrée avec celle-ci. Une telle politique, en France, suppose des avancées en matière de distorsion fiscale (notamment la TVA) entre solutions patrimoniales et externalisations, ainsi que des règles adaptées de consolidation de la dette publique.

Enfin, M. Louis Gallois a indiqué qu'en matière d'exportations, EADS avait toujours bénéficié d'un soutien très fort de la part du gouvernement français. Il s'est félicité des décisions positives prises à la suite du rapport Fromion, avec la création du comité interministériel des exportations de défense et celle de la « war room » informelle à l'Elysée. Il a souhaité que soit mis en place un « Schengen » des matériels de défense pour au moins les six pays européens signataires de la LOI, afin de permettre la création de matériels en Europe. Cette création d'un marché intérieur ne doit cependant pas conduire à donner à la Commission européenne une compétence sur les marchés extérieurs.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

M. Robert del Picchia a demandé des précisions sur le déroulement du programme d'avion de transport A400M. Il a évoqué l'impact de la baisse du dollar sur la compétitivité d'EADS. Enfin, il a rappelé que la France accusait un certain retard en matière de drones, du fait des difficultés enregistrées sur plusieurs programmes, alors que les besoins sont de plus en plus avérés en la matière. Il a interrogé M. Louis Gallois sur la coexistence de plusieurs programmes de drones conduits par des industriels français et sur les perspectives de coopération européenne plus affirmée sur un secteur où les industriels américains et israéliens sont très présents.

M. André Dulait a évoqué la perspective d'une centralisation renforcée de la fonction « achats » au sein du ministère de la défense, en souhaitant qu'elle ne privilégie pas le « moins-disant » au détriment du « mieux-disant ».

M. Robert Bret a rappelé à M. Louis Gallois qu'il avait qualifié de « tournant » pour Airbus le contrat conclu avec le ministère de la défense américain sur les avions ravitailleurs. Il a demandé des précisions sur les conditions de réalisation de ce contrat, en soulignant que la chaîne de montage se situerait aux Etats-Unis. Il s'est demandé si ce type de solution allait se généraliser, compte tenu de la volonté d'Airbus de se développer outre-Atlantique. Il a également évoqué l'attitude de certains pays européens qui voient dans l'OTAN un moyen de se dispenser d'un effort renforcé dans le domaine de la défense ; enfin, il a souhaité des éclaircissements sur la récente annonce de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur les délits d'initié au sein d'EADS.

M. Philippe Nogrix a indiqué que les travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale allaient vraisemblablement souligner la nécessité d'un renforcement des capacités de renseignement, au travers notamment des systèmes spatiaux. Il a demandé à M. Louis Gallois si, dans ce domaine, les relations entre les deux industriels européens du secteur, EADS-Astrium et Thales Alenia Space, allaient plutôt dans le sens de la coopération ou de la concurrence. Il a également évoqué l'hélicoptère NH90, en soulignant le bon déroulement de la production industrielle sur les chaînes d'Eurocopter, mais en déplorant une échéance de livraison si tardive pour la France. Il a également évoqué la question des drones.

M. Jean-Pierre Fourcade s'est demandé quels étaient les moyens d'enrayer la tendance à la « frénésie technologique » et s'il revenait aux directions nationales d'armement ou à l'Agence européenne de défense d'agir en la matière. Il a par ailleurs souhaité savoir s'il était envisageable d'accentuer l'accès des petites et moyennes entreprises aux budgets de recherche de défense.

En réponse à ces interventions, M. Louis Gallois a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de l'A400M, les cinq motoristes qui en sont en charge paraissent désormais avoir repris le contrôle des difficultés rencontrées sur le développement du moteur ; il en est de même pour les problèmes propres à EADS. La livraison de moteurs en état de vol est programmée en vue d'un premier vol de l'A400M avant la fin de l'été ; le retard sur le programme est toujours évalué entre 6 mois et un an. Les étapes clés sont : les essais en vol, l'intégration des systèmes militaires à l'avion, puis la qualification et la certification par les différents pays parties au programme, qui n'ont pas tous les mêmes impératifs calendaires ;

- la baisse du dollar est particulièrement pénalisante pour Airbus, dont les coûts sont en euros  alors que ceux de son concurrent - Boeing - sont en dollars ; l'actuelle parité euro/dollar a pour effet de laminer les marges des industries exportatrices, ce qui ne permettra pas de maintenir leur capacité de recherche et d'innovation ; elle constitue une puissante incitation à délocaliser la production et la sous-traitance dans des pays à bas coûts ou situés en zone dollar ;

- le système intérimaire de drones Male (SIDM) est déployé à Mont-de-Marsan depuis l'automne dernier et a achevé ses vols de qualification sur cette base ; l'entrainement des personnels de l'armée de l'air a commencé. Le programme de drones de surveillance « Advanced UAV » fait actuellement l'objet d'un programme d'évaluation et de réduction des risques ; en l'attente de l'aboutissement de ce dernier, prévu à l'horizon 2015, les armées souhaitent couvrir leurs besoins en matière de surveillance, par une solution intermédiaire. SIDM demeurant la solution nominale dans le cas d'un calendrier court pour AUAV. En cas de retard, les armées pourraient être tentées par d'autres solutions intérimaires. Dans cette hypothèse, EADS serait ouvert à une coopération avec Dassault Aviation sur une solution qui devrait naturellement s'appuyer sur l'expérience et les investissements réalisés pour SIDM. Il n'y a pas de concurrence directe entre les activités actuelles de Dassault, orientées vers les drones de combat avec le programme Neuron, auquel participe EADS par sa filiale espagnole, et celles d'EADS dans le cadre du programme « Advanced UAV » ;

- en ce qui concerne les programmes d'armement, M. Gallois rappelle à nouveau que la DGA ne peut se réduire à une simple centrale d'achats ; elle doit intégrer la perspective industrielle, la recherche et le soutien à l'exportation ;

- les programmes menés en coopération comportent un fort risque de course excessive à la technologie, par accumulation des spécifications émises par chaque état-major ; aussi bien la coopération doit-elle être orientée et conduite par des organes forts, tels que l'Agence européenne de défense et l'OCCAR ;

- l'obtention du contrat des avions ravitailleurs pour l'armée de l'air américaine par Northrop Grumman associé à EADS, après le contrat gagné par Eurocopter pour le Light Utility Helicopter et les avions CASA pour les Coast Guards, constitue effectivement un tournant stratégique pour EADS, car il est difficile de s'imposer comme acteur industriel majeur dans le domaine de la défense sans être présent sur le marché américain des équipements militaires, qui représente plus de la moitié du marché mondial de l'armement ; il faut rappeler que la réalisation de ce contrat créera des emplois des deux côtés de l'Atlantique. Mais pour être reconnu sur le marché américain de la défense il faut être présent industriellement dans ce pays, Northrop Grumman a reçu du département américain de la défense notification du contrat, puis de son gel, compte tenu du recours introduit par Boeing devant le General Accounting Office, équivalent américain de la Cour des comptes. Ce recours ne porte que sur la régularité de la procédure ; il y a lieu de rester confiant sur son issue, compte tenu des précautions prises par les autorités américaines pour cette mise en concurrence qui faisait suite à une précédente annulation du même ordre ;

- il est important que les nouveaux pays membres de l'Union européenne prennent conscience de leur intérêt à participer à l'effort européen dans le domaine de la défense ;

- la procédure conduite par l'AMF est engagée depuis déjà deux ans. Jusqu'à présent, elle n'a pas été contradictoire ; elle va le devenir dès lors que la Commission des sanctions de l'AMF a été saisie. M. Gallois a déploré des fuites renouvelées qui déstabilisent l'entreprise EADS. EADS souhaite que la procédure se déroule dans le plein respect de la présomption d'innocence ;

- Astrium et Thales Alenia Space sont concurrents mais peuvent aussi coopérer sur des programmes spatiaux ; la coexistence de deux acteurs industriels en Europe n'est pas nécessairement synonyme d'une concurrence négative ; il y a des arguments pour et contre, à juger au niveau de la concurrence mondiale. L'Agence spatiale européenne souhaite, quant à elle, éviter une situation de monopole en Europe ;

- le progrès technologique ne doit pas être considéré comme un risque pour le développement et le financement des programmes d'armement ; il importe en revanche d'éviter l'addition inutile de technologies, en ajustant au mieux les spécifications aux besoins et en renforçant l'évaluation et la réduction des risques technologiques ;

- la densification du tissu industriel des petites et moyennes entreprises est nécessaire dans le domaine de la défense ; ces entreprises ont bien entendu pleinement vocation à profiter d'un renforcement de l'effort de recherche ; EADS est disposée à travailler davantage avec les PME qui ont elles-mêmes intérêt à travailler en réseau, comme leur en donnent l'occasion les pôles de compétitivité qui se sont mis en place dans les régions ces dernières années. Il ne faut toutefois pas oublier que la pérennité des PME est indissociable de celle de leurs donneurs d'ordre industriels.

Nomination de rapporteurs

La commission a enfin procédé à la nomination de rapporteurs sur les projets de loi suivants. Elle a désigné :

- M. André Dulait, sur le projet de loi n° 270 (2007-2008) ratifiant l'ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté et l'ordonnance n° 2007-465 du 29 mars 2007 relative au personnel militaire modifiant et complétant la partie législative du code de la défense et le code civil et portant diverses dispositions relatives à la défense

- M. Christian Cambon, sur le projet de loi n° 352 (AN - XIIIe législature) autorisant la ratification du traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ;

- M. Christian Cambon, sur le projet de loi n° 353 (AN - XIIIe législature) autorisant la ratification du traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d'auteur ;

- M. André Vantomme, sur le projet de loi n° 574 (AN - XIIIe législature) autorisant l'approbation de l'accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Madagascar ;

- M. André Boyer, sur le projet de loi n° 611 (AN - XIIIe législature) autorisant l'adhésion à la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires ;

- M. Philippe Nogrix, sur le projet de loi n° 669 (AN - XIIIe législature) autorisant la ratification de l'accord multilatéral entre la Communauté européenne et ses Etats membres, la République d'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, la Bosnie-et-Herzégovine, la République de Bulgarie, la République de Croatie, la République d'Islande, la République du Monténégro, le Royaume de Norvège, la Roumanie, la République de Serbie et la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo sur la création d'un espace aérien commun européen ;

- M. Jacques Blanc, sur le projet de loi n° 718 (AN - XIIIe législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco relatif à la mise à disposition de personnels de la police nationale française au profit de la Principauté de Monaco à l'occasion d'événements particuliers ;

- Mme Catherine Tasca, sur le projet de loi n° 729 (AN - XIIIe législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République gabonaise relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement.

Sécurité - Avenir de la gendarmerie - Examen du rapport d'information

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a examiné le rapport d'information du groupe de travail sur l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie, présidé par M. Jean Faure.

M. Jean Faure, président du groupe de travail sur l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie, a rappelé qu'en novembre 2007, la commission avait décidé de constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie. Ce groupe de travail, qui était composé de Mme Michèle Demessine, et de MM. Hubert Haenel, Philippe Madrelle, Charles Pasqua, Yves Pozzo di Borgo et André Rouvière, a procédé, au cours des cinq derniers mois, à l'audition de plus de vingt-six personnalités, dont de nombreux gendarmes et officiers de gendarmerie, mais aussi de la police et du ministère de la justice, ainsi que des représentants d'associations de retraités ou d'épouses de gendarmes, ou encore des officiers de l'Arme des carabiniers italiens et de la garde civile espagnole.

Le groupe de travail a aussi effectué plusieurs déplacements, dont l'un au siège du groupement blindé de gendarmerie mobile à Versailles Satory, l'autre en Isère, auprès du groupement de gendarmerie départementale et de plusieurs brigades territoriales. Enfin, la commission a auditionné le ministre de la Défense, M. Hervé Morin, et le ministre de l'Intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie, sur la gendarmerie.

Au terme de ses travaux, le groupe de travail a formulé dix-sept recommandations :

- la première proposition consiste à reconnaître à la gendarmerie la qualité de « quatrième armée », a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail. La place de la gendarmerie est actuellement ambiguë, a-t-il fait observer, puisqu'elle n'est pas véritablement considérée comme une armée, à l'image de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine, et qu'elle ne peut être assimilée à une force de police en raison de son statut militaire. Certes, à la différence des trois armées, la gendarmerie n'a pas pour vocation première de participer directement au combat, puisqu'elle est chargée essentiellement d'une mission de sécurité sur le territoire, mais pour autant, la gendarmerie fait partie intégrante des forces armées. Elle est, en effet, investie de missions militaires, comme la police militaire, par exemple, elle participe à la défense, sur le territoire national et dans le cadre des opérations extérieures, et les officiers et les sous-officiers de gendarmerie sont des militaires de carrière soumis au statut général des militaires. Dès lors, pourquoi ne pas reconnaître à la gendarmerie la qualité de « quatrième armée », à l'image de ce qui existe en Italie pour l'Arme des carabiniers italiens ? L'expression de « quatrième armée » marquerait nettement son appartenance pleine et entière à la communauté militaire et elle constituerait un signal fort pour le maintien du statut militaire de la gendarmerie dans le contexte de son futur rattachement au ministre de l'intérieur. Elle ne fait pas obstacle à ce rattachement ni à la reconnaissance d'une place spécifique de la gendarmerie au sein des armées justifiée par la nature particulière de ses missions ;

- la deuxième recommandation du groupe de travail consiste à maintenir, dans l'optique de son futur rattachement au ministre de l'intérieur, des liens étroits avec le ministère de la défense et le ministère de la justice. Le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie au ministre de l'intérieur, à compter du 1er janvier 2009, a été annoncé par le Président de la République, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Certains membres du groupe de travail ont émis des réserves sur ce rattachement, mais cette réforme s'inscrit dans le prolongement des évolutions précédentes, a-t-il indiqué en rappelant que, depuis 2002, la gendarmerie est placée pour emploi auprès du ministère de l'intérieur, pour ses missions de sécurité intérieure, et que 95 % de l'activité de la gendarmerie est consacrée à la sécurité, contre 5 % aux missions militaires. Le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie au ministre de l'intérieur permettra de développer des mutualisations de moyens et de renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie en matière de lutte contre la délinquance et d'améliorer ainsi la sécurité, qui reste une des premières préoccupations des Français ;

- cette réforme soulève toutefois la question du maintien du statut militaire de la gendarmerie, dès lors que celle-ci ne sera plus placée sous l'autorité du ministre de la défense, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Dès lors que les gendarmes et les policiers seront placés sous une tutelle unique, comment éviter que ne s'expriment des aspirations à une convergence accrue. L'attitude de la communauté militaire à l'égard de la gendarmerie lorsqu'elle aura été rattachée au ministère de l'intérieur est également source d'interrogation. Dans ce contexte, le groupe de travail considère qu'il est indispensable de préserver le statut militaire, car il en va de l'essence même de la gendarmerie. Composante à part entière de l'institution militaire, la gendarmerie permet au gouvernement d'assurer, sans discontinuité, la gestion des crises, du temps de paix au temps de guerre. L'Etat a besoin de disposer d'une force capable en permanence d'affronter de manière certaine, instantanée et efficace les situations pouvant revêtir un caractère extrême. Il paraît donc indispensable de conserver le statut militaire de la gendarmerie et de maintenir des liens étroits entre la gendarmerie et le ministère de la défense, ainsi qu'avec le ministère de la justice.

La troisième recommandation du groupe de travail vise donc à garantir dans la future loi sur la gendarmerie le maintien de son statut militaire. L'annonce, par le Président de la République, d'une loi sur la gendarmerie a été très bien accueillie par les personnels, a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail, en rappelant que la gendarmerie est actuellement régie par un simple décret datant de 1903. Cette loi ne devrait pas se résumer à un texte d'affichage, mais elle devrait rappeler les missions et le statut militaire de la gendarmerie, a-t-il estimé ;

- Quatrièmement, si la gendarmerie a progressivement acquis une certaine autonomie au sein des armées, elle le doit notamment à la création d'une direction générale spécifique au sein du ministère de la défense, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. L'une des craintes fréquemment évoquées à l'égard du rattachement au ministère de l'intérieur tient à l'éclatement des différents services de la direction générale de la gendarmerie parmi ceux du ministère de l'intérieur, qui conduirait à une marginalisation des gendarmes au profit des policiers. Dans ce contexte, le maintien d'une direction générale de la gendarmerie autonome au sein du ministère de l'intérieur constituerait une garantie importante pour la préservation de la spécificité de la gendarmerie. La nomination à la tête de la direction générale de la gendarmerie d'un général issu de ses rangs en 2004 a été une nouveauté particulièrement appréciée par l'ensemble des personnalités entendues par le groupe de travail, car elle est apparue comme la marque d'un attachement à la pérennité de cette institution ;

Compte tenu du futur rapprochement avec le ministère de l'intérieur, il paraît d'autant plus souhaitable de conserver cette règle à l'avenir, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. En effet, tant que la gendarmerie était rattachée au ministère de la défense, la désignation à sa tête d'un magistrat ou d'un préfet avait une certaine logique, mais dès lors qu'elle sera rattachée au ministère de l'intérieur, le fait qu'elle soit dirigée par un général issu de ses rangs constituera une garantie supplémentaire pour le maintien de son statut militaire ;

- la cinquième priorité vise à renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie sans fusionner les deux forces. Ainsi, l'action des groupements régionaux d'intervention (GIR), qui présentent l'originalité de regrouper au sein d'une même structure des gendarmes, des policiers, des douaniers et des agents d'autres administrations, mérite d'être amplifiée, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail ;

- sixième recommandation, la coopération entre la police et la gendarmerie passe aussi par la mise en commun de leurs moyens. La mutualisation des moyens de la gendarmerie et de la police devrait être développée, notamment pour l'achat des équipements, le soutien logistique, ou encore les systèmes d'information et de communication. On pourrait également envisager des formations communes, dans certains domaines spécialisés, comme les maîtres-chiens par exemple. En revanche, la formation initiale doit rester distincte, et le maintien du recrutement d'officiers de gendarmerie à la sortie des grandes écoles des trois armées mérite d'être préservé car il participe de l'appartenance de la gendarmerie à la communauté militaire ;

- septième recommandation : le rapprochement entre police et gendarmerie ne doit pas non plus porter atteinte au dualisme de la police judiciaire, a estimé M. Jean Faure, Président du groupe de travail. Le dualisme de la police judiciaire, qui se traduit par le principe du libre choix du service enquêteur par les magistrats, constitue une garantie essentielle d'indépendance pour l'autorité judiciaire. Il convient donc de le préserver en mentionnant dans la future loi sur la gendarmerie que, pour l'exercice de sa mission de police judiciaire, la gendarmerie est placée sous la responsabilité de l'autorité judiciaire ;

- huitième recommandation : il en va de même pour l'emploi des forces mobiles. A la différence des CRS, les gendarmes mobiles ne peuvent être employés au maintien de l'ordre que sur réquisition des préfets, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Ce système de réquisitions est la traduction du principe de subordination des forces armées à l'autorité civile, de plus, en vertu de cette procédure, l'autorité civile n'interfère pas dans le commandement de la force armée ; enfin, elle constitue une garantie pour les citoyens, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, où serait prescrit l'usage des armes ou de véhicules blindés pour le rétablissement de l'ordre. C'est la raison pour laquelle il paraît très important de conserver cette procédure, en particulier son caractère écrit, même si l'on pourrait envisager d'en alléger le formalisme, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail ;

- neuvième recommandation : la coopération entre police la gendarmerie passe aussi par une meilleure répartition des deux forces sur le territoire. Le « maillage » territorial de la gendarmerie, assuré grâce à l'implantation des brigades territoriales, doit être absolument préservé, car il est la condition de la proximité de la gendarmerie avec la population. L'évolution des bassins de vie et de la délinquance rend toutefois de nouveaux redéploiements indispensables, afin de mettre l'organisation territoriale des forces de sécurité en adéquation avec les réalités du terrain. La police devrait s'inscrire dans une logique d'agglomération, tandis que la gendarmerie devrait s'inscrire dans une logique de contrôle du territoire et des flux ;

- la dixième recommandation du groupe de travail porte sur l'action internationale et européenne de la gendarmerie. L'exemple de l'Espagne montre que le rattachement de la Garde civile au ministère de l'intérieur se traduit par une moindre implication de cette force dans les opérations extérieures, car le ministère de l'intérieur espagnol est réticent à laisser partir à l'étranger des forces destinées à assurer la sécurité sur le territoire et à en supporter le coût budgétaire.

Il convient donc de veiller à ce qu'en France, le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur n'entame pas l'investissement de la gendarmerie dans les opérations extérieures, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail, rappelant que le Président de la République s'est engagé à préserver la capacité opérationnelle de la police et de la gendarmerie ;

- onzième recommandation : dans le même temps, se pose la question de l'application éventuelle à la gendarmerie du principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui est étudiée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Certes, la suppression de 3500 postes sur trois ans sur un effectif total de 101 000 personnels de la gendarmerie peut sembler à première vue négligeable, mais elle équivaudrait cependant à la suppression d'un poste de gendarme par brigade territoriale, alors que de nombreuses unités sont d'ores et déjà confrontées à un problème de sous-effectif. Afin de préserver sa capacité opérationnelle, il paraît donc indispensable aux membres du groupe de travail, sinon d'augmenter les effectifs, du moins de les maintenir à leur niveau actuel ;

- douzième recommandation : la future loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure devrait également poursuive les efforts de modernisation des équipements de la gendarmerie et de la police, en les dotant de nouveaux moyens technologiques. En outre, si d'importants efforts ont été réalisés ces dernières années par les collectivités territoriales, l'état de vétusté de certaines casernes appartenant à l'Etat demeure préoccupant et cela pèse lourdement sur les conditions de travail et de vie des personnels de la gendarmerie et de leur famille. Un important effort budgétaire de longue haleine nécessite donc d'être entrepris dans les prochaines années concernant la rénovation des casernes domaniales ;

- treizième recommandation : accroître le potentiel opérationnel de la gendarmerie passe aussi par le rencentrage des gendarmes sur leur coeur de métier et la réduction des « tâches indues ». Comme le groupe de travail a pu le constater, lors de son déplacement en Isère, la charge des transfèrements et des extractions judiciaires, c'est-à-dire des escortes de détenus d'un établissement pénitentiaire à un autre ou à une juridiction, pèse lourdement en temps et en personnel sur la gendarmerie. Faute d'unités spécialisées, cette mission est assurée par les gendarmes des brigades territoriales, au détriment de leur mission de surveillance.

Au total, la gendarmerie y aura ainsi consacré plus d'1,8 million d'heures en 2006 et plus de 1000 gendarmes sont mobilisés quotidiennement à ces tâches. Un transfert de cette charge à l'administration pénitentiaire ou la création d'une police spécifique, à l'image de l'Italie, mériteraient d'être étudiés. En tout état de cause, il semblerait logique que la charge financière des transfèrements et des extractions judiciaires incombe au ministère de la justice, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Cela correspondrait, en effet, à l'esprit de la loi organique relative aux finances publiques (LOLF), selon lequel « celui qui commande paie ». En outre, le transfert de la charge financière au ministère de la justice serait de nature à responsabiliser davantage les magistrats et à encourager le recours à des moyens alternatifs, comme la visioconférence ;

- quatorzième recommandation : loin de représenter un simple avantage, la concession de logement par nécessité absolue de service, qui se traduit par l'obligation statutaire faite aux gendarmes de vivre en caserne avec leur famille sur leur lieu de travail, constitue un élément essentiel du fonctionnement de la gendarmerie, a-t-il estimé. Avec le régime spécifique de disponibilité qui découle du statut militaire, elle permet à la gendarmerie d'assurer sur l'ensemble du territoire un service de proximité et une mobilisation immédiate. Elle doit donc être préservée ;

- quinzième recommandation : comme les membres du groupe de travail ont pu le constater lors de leurs différents entretiens, la principale attente des gendarmes porte sur leur pouvoir d'achat et tient à la parité de traitement avec les policiers. Dans un rapport de février 2007, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire avait, en effet, mis en évidence le net « décrochage » de la condition des militaires par rapport à celle des policiers. Garantir une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers n'est pas seulement une question d'équité, mais c'est aussi une condition du maintien du statut militaire de la gendarmerie, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Elle est indispensable pour éviter que les personnels de la gendarmerie ne soient tentés par un alignement de leur statut sur celui des policiers, qui entraînerait la disparition du statut militaire et sa fusion avec la police. A cet égard, si elle correspond à une forte attente des personnels, l'évolution de la condition des militaires de la gendarmerie ne se réduit pas seulement à une affaire de grille indiciaire, elle concerne également le déroulement des carrières ou le nombre d'officiers. Telle est la raison pour laquelle il paraît souhaitable au groupe de travail de poursuivre le mouvement engagé en matière de « repyramidage » des corps et d'accélération des carrières au sein de la gendarmerie ;

- seizième recommandation : le rapprochement entre la police et la gendarmerie soulève aussi la question de la représentation des personnels, a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail, en estimant que le dialogue social au sein de la gendarmerie ne fonctionne pas de manière satisfaisante. C'est aussi l'une des raisons qui expliquent les manifestations de gendarmes en décembre 2001, qui ont causé un grand traumatisme au sein de la gendarmerie et un certain ressentiment de la part des armées. Si l'appartenance à un syndicat est incompatible avec le statut militaire, la représentativité des membres du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, qui sont actuellement tirés au sort, pourrait être grandement renforcée par l'instauration d'élections, a estimé le groupe de travail ;

- enfin, la dernière recommandation du groupe de travail concerne la réserve. Elément essentiel du lien Armée-Nation, la réserve de la gendarmerie, qui compte 25 000 personnes, constitue aujourd'hui une force d'appoint indispensable à l'efficacité opérationnelle des unités, notamment en période estivale. A l'avenir, son rôle est appelé à se développer, notamment pour faire face à l'augmentation de la population dans les zones périurbaines. Dans ce contexte, il paraît souhaitable aux membres du groupe de travail de conforter la montée en puissance de la réserve, pour atteindre un effectif de 40 000 réservistes à l'horizon 2012.

En conclusion, M. Jean Faure, président du groupe de travail, a indiqué qu'il a semblé nécessaire aux membres du groupe de travail sur la gendarmerie de mentionner la situation préoccupante de la condition des autres militaires des trois armées. Il ne faudrait pas, en effet, qu'au net « décrochage » constaté entre les gendarmes et les policiers se substitue un nouveau « décrochage » entre les personnels des armées et ceux des forces de sécurité. Le maintien de la gendarmerie au sein de la communauté militaire passe aussi par l'amélioration des conditions des militaires des trois autres armées.

La commission a décidé de publier les conclusions du groupe de travail sous forme d'un rapport d'information.

A l'issue de cette présentation, un débat s'est engagé au sein de la commission.

Après avoir remercié le président et les membres du groupe de travail pour la qualité de leurs travaux, M. Josselin de Rohan, président, s'est félicité de la pertinence des propositions formulées dans leur rapport qui permettra d'éclairer les discussions sur les textes législatifs dont le Parlement va être saisi prochainement.

M. André Rouvière, membre du groupe de travail, s'est déclaré globalement satisfait du déroulement des auditions et des visites du groupe de travail. Il a toutefois regretté que la ministre de la justice n'ait pas été auditionnée par la commission, compte tenu du rôle joué par la gendarmerie en matière de police judiciaire, de même que les animateurs des sites internet consacrés à la gendarmerie. Il a souligné l'accueil très positif réservé par les gendarmes aux membres du groupe de travail. Il se sont montrés très sensibles à l'intérêt de la Haute Assemblée pour leur institution et ont fait part de leurs fortes attentes à l'égard du rapport de la commission.

Sur ce point, M. André Rouvière, membre du groupe de travail, a fait valoir que la principale attente des gendarmes tenait à une revalorisation de leur rémunération, indépendamment de la comparaison avec le salaire des policiers. Il a souhaité que le rapport de la commission se fasse l'écho de cette préoccupation, en estimant que l'objectif d'une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers ne reflétait pas exactement cette attente.

S'il s'est déclaré en accord avec la plupart des propositions formulées, comme le maintien du statut militaire, la translation de la charge budgétaire des transfèrements et des extractions judiciaires au ministère de la justice ou encore la nécessité de rénover certaines casernes, il a toutefois rappelé son opposition de principe et dès l'origine à l'idée de rattacher la gendarmerie au ministère de l'intérieur énoncée par le Président de la République.

Estimant que le Parlement aurait à se prononcer le moment venu sur ce rattachement, il a demandé que les conclusions du groupe de travail ne préjugent pas à ce stade de ce rattachement.

Mme Michèle Demessine, membre du groupe de travail, s'est déclarée en accord avec les observations formulées par M. André Rouvière, rappelant que la création du groupe de travail avait été décidée lors de l'examen par la commission du budget de la gendarmerie pour 2008, dans le contexte du malaise de la gendarmerie et des difficultés budgétaires, notamment en matière de logement.

Elle a également mentionné la forte attente des gendarmes à l'égard des conclusions du groupe de travail, et leur satisfaction que la représentation nationale se préoccupe de leur institution dans ce contexte de réforme. En effet, la gendarmerie a déjà connu d'importantes transformations ces dernières années, notamment la mise en place des communautés de brigades, si bien que l'on peut s'interroger sur le rythme de ces réformes et la capacité d'adaptation des personnels de la gendarmerie à ces évolutions.

Comme M. André Rouvière, Mme Michèle Demessine, membre du groupe de travail, a estimé que la principale attente des gendarmes portait sur la revalorisation de leur rémunération, compte tenu des efforts importants qu'ils ont accomplis ces dernières années en matière de volume de travail.

Elle a également estimé que les instances de concertation et de dialogue social au sein de la gendarmerie ne fonctionnaient pas de manière satisfaisante, et elle s'est déclarée favorable à une réforme de ces instances afin d'assurer une meilleure représentativité sur la base d'élection des représentants des personnels.

Enfin, dans le cas où la gendarmerie serait rattachée au ministre de l'intérieur, elle a estimé qu'il sera très difficile de maintenir sur le long terme son statut militaire et les sujétions qu'il impose, notamment en matière de disponibilité et d'absence de représentation syndicale, et qu'une fusion avec la police sera inévitable.

M. Robert del Picchia a fait part de son interrogation concernant la proposition d'élire les représentants au Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, en se demandant si cela ne tendait pas à une sorte de syndicalisation.

M. Hubert Haenel, membre du groupe de travail, s'est félicité de la création de ce groupe de travail par la commission, en estimant que le Parlement était dans son rôle en intervenant en amont pour évaluer les données des réformes avant leur mise en oeuvre. Il a également regretté que le garde des Sceaux n'ait pas été auditionné par la commission ou entendu par le groupe de travail,

Tout en rappelant que la gendarmerie était déjà placée depuis 2002 sous l'autorité du ministre de l'intérieur pour ses missions de sécurité intérieure, M. Hubert Haenel a fait part de ses interrogations concernant la préservation du dualisme de la police judiciaire et le principe de réquisition en matière de maintien de l'ordre.

M. Josselin de Rohan, président, a fait observer que si les représentants siégeant au sein des conseils de la fonction militaire, tant de la gendarmerie que des autres armées, étaient actuellement tirés au sort après volontariat, le statut militaire des gendarmes n'était pas incompatible avec le principe de l'élection.

M. Yves Pozzo di Borgo, membre du groupe de travail, a cité à cet égard le cas des présidents de catégorie qui sont élus par leurs pairs ou celui des membres du Conseil supérieur de la fonction militaire, élus à partir des membres des différents conseils.

Il a estimé que l'un des risques fréquemment évoqués du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur tenait à l'éclatement des différents services de la direction générale de la gendarmerie au sein du ministère de l'intérieur, où la culture policière est très forte. C'est la raison pour laquelle l'une des recommandations du groupe de travail vise au maintien d'une direction générale de la gendarmerie, avec à sa tête un officier issu de ses rangs, au sein du ministère de l'intérieur.

En effet, tant que la gendarmerie était placée sous la tutelle du ministère de la défense, la désignation à sa tête d'un magistrat ou d'un préfet répondait à une certaine logique, a-t-il fait valoir, mais dès lors qu'elle sera rattachée au ministère de l'intérieur, le fait qu'elle soit dirigée par un général issu de ses rangs serait une garantie supplémentaire de la préservation de son statut militaire.

M. Roger Romani a déclaré partager les réserves émises par M. Robert del Picchia au sujet de l'élection des représentants siégeant au sein du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, en estimant qu'elle pourrait avoir des incidences sur les trois armées et qu'elle ouvrirait la voie vers une sorte de syndicalisme, que certains appellent de leurs voeux, contrairement à lui.

M. Roger Romani a également fait part de la préoccupation de nombreux élus, notamment dans les zones rurales, à l'égard du fonctionnement des communautés de brigades, dont la mise en place a parfois entraîné une moindre proximité avec la population et l'allongement du délai d'intervention, notamment en zone de montagne. Il a souhaité que ce point soit évoqué dans le rapport.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a fait part de sa perplexité à l'égard de la reconnaissance à la gendarmerie de la qualité de « quatrième armée », en rappelant que la gendarmerie n'était pas considérée aujourd'hui comme une armée, mais comme une force armée et qu'elle pourrait soulever des difficultés vis-à-vis des autres pays. Elle a souhaité avoir des éclaircissements sur ce point, notamment savoir si cela correspondait à une demande formulée par les gendarmes et les conséquences de la reconnaissance de cette qualité à l'Arme des carabiniers en Italie.

M. André Trillard a souhaité savoir si les membres du groupe de travail avaient eu le sentiment d'un décalage entre les sous-officiers et les officiers de gendarmerie, notamment lorsque ces derniers étaient issus des écoles militaires, car la possibilité pour les sous-officiers d'accéder aux grades d'officiers constituait à ses yeux un aspect important de promotion sociale et une garantie pour la cohésion du corps de la gendarmerie.

M. André Boyer a insisté sur le fait que la commission devait s'en tenir à formuler des propositions.

M. Jean-Pierre Fourcade a suggéré le terme de « recommandations ».

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le mandat du groupe de travail ne portait pas sur le « malaise » des gendarmes, qui est un sujet controversé, mais sur l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie. Il a également précisé que, si la commission avait confié aux membres du groupe de travail le soin d'étudier ces questions, le rapport d'information et ses conclusions étaient rendus au nom de la commission dans son ensemble. Il a, enfin, marqué son accord sur le terme de « recommandations ».

En réponse, M. Jean Faure, président du groupe de travail, a apporté les précisions suivantes :

- comme l'a souligné le président de la commission, M. Josselin de Rohan, le mandat du groupe de travail ne portait pas sur l'éventuel « malaise » au sein de la gendarmerie, mais il revêtait un caractère beaucoup plus large, puisqu'il s'agissait de définir un modèle pour la gendarmerie du XXIe siècle. Le rapport ne passait pas sous silence cette question, puisqu'une partie y était spécialement consacrée, mais il traitait de bien d'autres questions, comme par exemple le système des réquisitions en matière de maintien de l'ordre ou le dualisme de la police judiciaire, qui sont effectivement des sujets délicats ;

- si le ministre de la justice a été sollicité pour être entendu au sujet de la gendarmerie, il a souhaité se faire représenter par le directeur des affaires criminelles et des grâces qui a été auditionné par le groupe de travail, notamment sur la question du dualisme de la police judiciaire et sur les extractions et transfèrements judiciaires ;

- s'agissant de l'absence, parmi les personnalités entendues par le groupe de travail, des animateurs de sites internet consacrés à la gendarmerie, il s'agit d'une décision mûrement réfléchie, qui tient aux interrogations relatives à la réelle représentativité de ces sites et aux sanctions disciplinaires dont leurs animateurs ont fait l'objet par la hiérarchie militaire. Il convient toutefois de rappeler que le groupe de travail a auditionné l'ensemble des représentants des associations de retraités, d'anciens élèves ou de familles de gendarmes, qui jouent un rôle très important pour l'expression des revendications du personnel d'active ;

- s'il est vrai que la revalorisation de leur traitement constitue une forte attente des personnels de la gendarmerie, compte tenu du net « décrochage » constaté ces dernières années avec le salaire des policiers, comme l'a mis en évidence le rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire de février 2007, la question de l'avenir de la gendarmerie ne peut se résumer uniquement à ce sujet ;

- il ne semble pas y avoir de décalage entre la base et les officiers de gendarmerie, ces derniers se faisant très souvent l'écho des préoccupations des sous-officiers. Le maintien du recrutement d'officiers de gendarmerie à partir des écoles militaires doit être préservé, car il participe de l'appartenance de la gendarmerie à la communauté militaire. Dans le même temps, l'accession de sous-officiers au rang d'officiers est également un facteur important de promotion sociale et le « Plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées », dont le groupe de travail souhaite la poursuite, vise précisément à la développer ;

- il y a certes diverses interprétations de la « parité globale de traitement et de carrière » entre les gendarmes et les policiers, pour reprendre l'expression employée par le président de la République, mais celle-ci paraît la plus pertinente pour prendre en compte à la fois les différences de statut qui existent entre les deux catégories de personnels, mais aussi les parcours de carrière, le nombre d'officiers, ainsi que les régimes indiciaires, indemnitaires ou autres ;

- concernant les communautés de brigades, les membres du groupe de travail ont pu, à la lecture de l'audit interne rendu en octobre 2006 et dont le groupe de travail a eu connaissance, mais aussi lors de leur déplacement en Isère, tirer un bilan globalement positif de ce dispositif, tout en relevant certains dysfonctionnements, qui semblent toutefois plus résulter d'un défaut d'application locale de ce mode d'organisation que du modèle lui-même. Il a rappelé que le dispositif des communautés de brigades, qui se caractérisait par une certaine rigidité au départ, avait évolué depuis sa mise en place et qu'il laissait la possibilité de conserver des brigades territoriales autonomes, lorsque les circonstances locales l'exigent, notamment en zone de montagne ;

- l'Arme des carabiniers italiens s'est vue reconnaître la qualité de « quatrième armée » par une loi de 2000. Auparavant, elle était partie intégrante de l'armée de terre. Cette réforme s'est donc traduite par une prise d'autonomie vis-à-vis des armées. Dans le cas de la gendarmerie française, la situation est certes différente, puisque la gendarmerie est indépendante des armées depuis 1920 et qu'elle est considérée comme une force armée. La reconnaissance de la qualité de « quatrième armée » à la gendarmerie ne ferait pas obstacle à la reconnaissance d'un statut particulier de la gendarmerie, justifié par la nature particulière de ses missions, mais elle constituerait un signal fort pour la préservation de son statut militaire et marquerait son appartenance pleine et entière à la communauté militaire ;

- enfin, tout en rappelant que le rattachement de la gendarmerie au ministre de l'Intérieur, à partir du 1er janvier 2009, avait été décidé par le Président de la République, il a accepté de retenir la formulation proposée par M. André Rouvière et Mme Michelle Demessine, afin de préserver le caractère consensuel des propositions émises par le groupe de travail ;

A l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité les recommandations proposées par le groupe de travail et a autorisé la publication du rapport d'information.

Jeudi 10 avril 2008

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président.

Industrie de défense - Audition de M. Denis Ranque, président-directeur général de Thales

La commission a procédé à l'audition de M. Denis Ranque, président-directeur général de Thales.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que la commission avait souhaité, à travers l'audition des responsables des principales entreprises de défense, aborder les implications technologiques et industrielles des réflexions en cours dans le domaine de la défense. Il a plus particulièrement cité la question des relations entre le ministère de la défense et l'industrie, les axes prioritaires à privilégier pour maintenir les compétences technologiques, le soutien à l'exportation et les perspectives d'une coopération européenne accrue en matière de recherche et d'armement.

M. Denis Ranque, président directeur général de Thales, a tout d'abord évoqué les exigences auxquelles était soumise l'élaboration d'un nouveau Livre blanc destiné à refonder notre doctrine de défense, pour l'adapter au contexte stratégique, tout en tenant compte d'une contrainte budgétaire qui n'a vraisemblablement jamais été aussi forte. Il a estimé qu'en tout état de cause, l'industrie de défense resterait un élément indissociable de la politique de défense, et a indiqué que Thales, 1er fournisseur du ministère de la défense, avait identifié quatre enjeux principaux portant respectivement sur la base industrielle et technologique de défense, le maintien des compétences industrielles dans les domaines prioritaires en termes de capacités de défense, les relations entre l'Etat et l'industrie et le cadre européen et transatlantique de notre politique d'équipement.

M. Denis Ranque a insisté pour que le futur Livre blanc ne fasse pas l'impasse sur la stratégie industrielle. Il a rappelé qu'au cours des années récentes, les ministères de la défense britannique et allemand avaient adopté des documents stratégiques sur la consolidation de leur base industrielle et technologique de défense. Convenant que le contexte budgétaire amènerait inévitablement à faire des choix en matière d'équipement militaire, il a suggéré que les différents scénarios prévus soient systématiquement évalués à l'aune de leur impact à moyen et long terme sur nos capacités technologiques, sur l'emploi et sur l'avenir des capacités industrielles.

Il a ensuite analysé les implications des premières priorités qui semblaient se dégager des travaux du Livre blanc, à savoir le renforcement des capacités d'anticipation, le maintien des deux composantes de la dissuasion et la place accrue de la fonction de protection et de sauvegarde.

Le haut degré de priorité accordé au renseignement devra impliquer une accentuation de l'effort dans le domaine spatial. Les crédits des programmes spatiaux militaires ont atteint ces dernières années le faible niveau de 400 à 450 millions d'euros par an. Un effort budgétaire de l'ordre de 700 à 750 millions d'euros annuel apparaît indispensable à l'acquisition de capacités conformes aux ambitions d'une puissance moyenne comme la France. Un tel niveau resterait en tout état de cause 20 fois inférieur à celui des Etats-Unis. Même s'il n'y a pas lieu que la France et l'Europe alignent leurs ambitions spatiales militaires sur celles des Etats-Unis, l'écart considérable des investissements de part et d'autre de l'Atlantique a évidemment un impact sur la capacité d'innovation et la compétitivité d'entreprises qui sont en concurrence sur le marché mondial.

Le renforcement des capacités spatiales militaires devra être impérativement envisagé en coopération européenne. Sur le plan industriel, les compétences d'EADS-Astrium et de Thales paraissent plus complémentaires que concurrentes. Il est urgent d'engager le programme Musis (Multinational space-based imaging system), qui vise à développer une solution européenne pour assurer la continuité des systèmes d'observation satellitaires français, allemand et italien.

En ce qui concerne les systèmes d'information, il faudra veiller à ne pas faire des programmes de cohérence opérationnelle une variable d'ajustement, car ils conditionnent l'interopérabilité entre les systèmes d'armes des trois armées.

Par ailleurs, dans l'esprit d'une politique soucieuse d'assurer la continuité entre défense et sécurité, il serait utile de doter le ministère de l'intérieur d'un centre de commandement inter-crises, interopérable avec celui du ministère de la défense.

En ce qui concerne la dissuasion, la pérennisation de la composante aérienne comporte des exigences fortes de maintien de l'effort technologique dans les domaines de la furtivité, des contre-mesures et des systèmes d'autodéfense, qui contribuent à l'invulnérabilité de l'avion porteur de l'arme nucléaire. Le maintien d'une compétence européenne en matière d'aviation de combat imposera inévitablement la coopération des différents acteurs industriels concernés.

L'attention accrue portée à la fonction de protection et de sauvegarde concernera notamment la protection des forces terrestres, de plus en plus exposées à des engins explosifs improvisés (IED) difficiles à brouiller, ainsi que la protection contre les missiles. La France est longtemps restée réservée sur la notion même de défense antimissile balistique, notamment du territoire, jugée incompatible avec la doctrine de dissuasion. Il apparaît aujourd'hui que la dissuasion nucléaire reste efficace face au risque d'une frappe sur le territoire national, mais qu'il faut mieux prendre en compte la menace balistique sur les troupes déployées sur les théâtres extérieurs afin de garder toutes options de projection malgré cette menace. Le niveau technologique actuel de la France permet de bien répondre à la menace aérienne et à celle des missiles de croisière et balistique de théâtre grâce à une capacité préliminaire construite à partir du SAMPT. L'effort en cours devra être poursuivi sur les compléments radar M3R et BMC3 de cette capacité vis-à-vis de la menace des missiles balistiques de théâtre. Il pourra être éventuellement élargi ultérieurement vis-à-vis d'éventuels missiles balistiques proliférants menaçant le territoire, afin de renforcer la dissuasion. Il est à cet égard possible de partir des capacités actuellement disponibles avec le missile Aster et les radars M3R en cours de développement, d'améliorer progressivement leurs performances face aux missiles balistiques pénétrant dans l'atmosphère à vitesse supersonique, voire d'utiliser les radars de théâtre afin de surveiller l'évolution de la menace balistique et de disposer d'une première capacité d'alerte.

M. Denis Ranque a ensuite abordé le thème des relations entre l'Etat et l'industrie. Il a souligné que la nécessité de porter de 700 millions d'euros à 1 milliard d'euros par an l'effort budgétaire de recherche et technologie était largement reconnue. En permettant de préserver nos capacités dans un certain nombre de technologies de base, un effort de recherche de ce niveau constituerait une véritable police d'assurance garantissant notre aptitude, dans les prochaines années, à réaliser les équipements adaptés à un contexte aujourd'hui difficilement prévisible.

M. Denis Ranque a évoqué le débat sur l'avenir de la délégation générale pour l'armement (DGA). Il a indiqué que, de son point de vue, c'était moins la place de la DGA au sein du ministère de la défense que l'évolution de ses relations contractuelles avec l'industrie qui importait.

Il a également souligné le caractère vital de l'exportation pour l'industrie de défense, a fortiori dans un contexte de réduction des commandes nationales. Il s'est félicité de ce que le Président de la République en ait fait l'une de ses priorités, réhabilitant l'exportation de défense au sein de l'action politique et diplomatique de la France. Il a détaillé les conséquences négatives de la baisse du dollar pour les industries exportatrices, en précisant que, convertis en euros, les prix de vente de Thales en dollar avaient diminué de 50 % en cinq ans ; une telle dégradation ne pouvant être intégralement compensée par des gains de productivité. Il a estimé que la réduction des commandes nationales, le cours du dollar et les distorsions de concurrence liées à une application très inégale, selon les pays, des règles anticorruption de l'OCDE, constituaient aujourd'hui trois handicaps à l'exportation pour un groupe comme Thales.

En conclusion, M. Denis Ranque a estimé que notre stratégie de défense devait s'inscrire de manière pragmatique dans un cadre européen et transatlantique. Il importe de définir les domaines où le maintien d'une maîtrise nationale s'impose, par exemple le nucléaire, les contre-mesures électroniques ou la cryptographie, et ceux qui se prêtent à une coopération européenne, transatlantique ou plus largement, multinationale.

S'agissant de la coopération européenne, il a jugé primordial d'assurer la garantie d'approvisionnement par des instruments juridiques appropriés dès lors que des dépendances mutuelles sont consenties. Il a plaidé à cet égard pour une approche par cercles, le premier cercle étant constitué par la coopération franco-britannique, qui s'appuie sur un socle commun très solide, le deuxième cercle par les 6 pays de la Letter of Intent (LoI), le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suède, et le troisième cercle par l'ensemble des pays européens regroupés dans l'Agence européenne de défense, dont les perspectives se situent à plus long terme. Evoquant les possibilités de coopérations concrètes avec le Royaume-Uni, il a cité le soutien à l'avion de transport A400M, les développements dans le domaine des missiles et la coordination des deux groupes aéronavals.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

M. André Boyer a demandé des précisions sur l'avancement du programme CVF (Carrier vessel future - porte-aéronefs futur) britannique et, parallèlement, sur la situation du programme du second porte-avions français, et l'attente d'une décision sur son lancement.

S'agissant du CVF, M. Denis Ranque a indiqué que nous en étions au stade du lancement du programme. Il a précisé que la décision de scinder les phases d'étude et de définition des spécifications n'avait finalement pas occasionné de retard. Le contrat est prêt. Il attend la signature du gouvernement britannique. M. Denis Ranque a déclaré n'avoir aucun doute quant à la réalisation du programme. A l'appui de son affirmation, il a indiqué que les autorités britanniques avaient d'ores et déjà réservé les tonnes d'acier nécessaires à la réalisation du porte-aéronefs. L'incertitude réside, selon lui, dans le fait de savoir si le gouvernement britannique lancerait ce programme en préemptant les ressources financières disponibles pour les autres programmes ou bien s'il attendrait d'avoir une vision d'ensemble à l'issue du « Program review 08 », au terme duquel serait définie la politique budgétaire britannique en matière de défense.

S'agissant de la construction, en France, du second porte-avions (PA 2), M. Denis Ranque a indiqué que nous étions dans la même situation que la Grande-Bretagne. La phase de conception (design) était achevée. Il s'agit du reste du même design que le CVF, à l'exception du pont d'envol. Les équipes chargées de la conception des projets sont basées en Grande-Bretagne. Quelle que soit la décision de construire ou non le second porte-avions français, M. Denis Ranque a déclaré que la France aurait intérêt à poursuivre une approche commune sur l'emploi des capacités aéronavales.

M. Phillippe Nogrix a interrogé le président Denis Ranque sur la coopération entre Thales et EADS et sur la possibilité réelle d'accentuer la part de la recherche-développement réalisée en commun. Il a demandé des précisions sur l'état d'avancement des programmes spatiaux d'alerte et de surveillance, ainsi que sur les drones, le renseignement électromagnétique et la situation du programme Galiléo.

En réponse, M. Denis Ranque a déclaré que les deux champions franco-européens Thales et EADS étaient bien plus dans une relation client-fournisseur que dans une relation de concurrence. Au cours des dernières années, Thales a cédé des actifs non stratégiques pour se recentrer sur l'électronique de défense, l'électronique aéronautique civile et la sécurité. Aujourd'hui, on peut donc considérer que 90 % du portefeuille d'activité d'EADS s'intègre dans une relation client-fournisseur dont Thales ; par exemple, très présent chez Airbus ou Eurocopter et dans une moindre mesure dans les missiles. Les domaines où les deux groupes se concurrencent pèsent cependant proportionnellement beaucoup plus dans le chiffre d'affaires de Thales que dans celui d'EADS. Il s'agit notamment du segment des satellites qui représente environ un milliard d'euros de chiffre d'affaires de chacune des deux sociétés et de l'électronique de défense, y compris les missiles. A cet égard, il a rappelé le poids de l'électronique de défense et de sécurité en Europe : 7 milliards d'euros pour Thales, 4 pour Finmeccanica et 2 pour EADS. Il reste que la relation entre les deux entreprises en matière de recherche et développement suit le même paradigme.

S'agissant des satellites d'observation, M. Denis Ranque a rappelé qu'ils étaient seuls à même de s'affranchir des limitations physiques qui s'imposent aux moyens aériens, navals ou terrestres. La succession du système Hélios II se prépare dans le cadre du programme Musis. Fruit d'une coopération entre six nations européennes, ce programme vise au remplacement, à terme, de l'ensemble des composantes militaires ou duales en cours de réalisation : les systèmes français Hélios, allemand SAR-Lupe et italien Cosmo SkyMed. La coopération actuelle repose sur le concept de la propriété nationale des satellites et la mise en commun des images. L'étape suivante, proposée par Musis, implique le partage des mêmes instruments.

En matière d'écoute électromagnétique, le démonstrateur « Essaim », constitué de quatre micro-satellites, permet la détection des sources d'émissions et de manière non intrusive. Une véritable capacité suppose une constellation de satellites, seule à même d'assurer la permanence du renseignement.

S'agissant de Galiléo, M. Denis Ranque a indiqué que 2007 avait été une année de restructuration importante et qu'il était désormais convaincu que le projet pourrait être mené jusqu'à son terme. Il a précisé que le projet se situait dans sa première phase (in orbit validation), avec l'envoi de deux sondes destinées à réserver les fréquences. Quatre satellites sont en cours de construction. La seconde phase prévoit la construction de 26 autres satellites. Ce programme a fait l'objet, au départ, d'un problème de financement. Les Etats avaient pensé qu'il serait possible de mettre en place un financement industriel. Mais tel n'est pas le cas. Du reste, les conditions de marché en 2008 rendent encore moins envisageable une telle solution. M. Denis Ranque s'est félicité de ce que, grâce au travail effectué par M. Jacques Barrot, vice-président de la commission européenne chargé des transports, et son équipe, Galiléo avait été considéré comme une infrastructure européenne et avait pu bénéficier des financements publics européens. Galiléo donne, en effet, à l'Europe son autonomie. Cette autonomie a un coût et ce coût ne pouvait être financé que par les autorités publiques. D'autant plus, a rappelé M. Denis Ranque, que le système américain GPS (global positionning system), concurrent de Galiléo, est totalement gratuit depuis sa mise en service. M. Denis Ranque a encore précisé que, dans un monde où la mobilité se généralise, savoir où sont les hommes et les choses est absolument indispensable. Il a donné l'exemple du transport aérien européen. Afin de pouvoir le densifier, il est nécessaire de rapprocher les avions et de raccourcir les interdistances, ce qui suppose de pouvoir localiser les avions de façon très précise. Il est donc nécessaire de pouvoir disposer d'un système performant et autonome.

Enfin, M. André Trillard, s'est interrogé à son tour sur l'état d'avancement des programmes militaires en matière de drones.

M. Denis Ranque a indiqué que dans le domaine des drones tactiques, le Royaume-Uni venait d'accomplir un saut technologique avec la mise en service du drone Watchkeeper (Tactical Unmanned Air Vehicle). Il a regretté que la France n'ait pas effectué ce saut, alors même que les enjeux financiers sont raisonnables et surmontables. Il a précisé que l'approche et la réalisation de ce programme avait été très pragmatique, puisqu'il s'agissait à la base d'un drone israélien industrialisé en Grande-Bretagne. Le site de fabrication est installé à Leicester. Son caractère européen a été totalement sécurisé et Thales serait en droit de racheter, si nécessaire, les parts du partenaire israélien. La réalisation de ce programme s'est effectuée en avance sur le calendrier initial et des drones Watchkeepers sont déployés en ce moment même sur les théâtres d'opérations afghan et iraquien. Il a à nouveau regretté que l'armée française ne dispose pas d'un outil comparable.

Il a ajouté qu'en matière de drones de longue endurance, le besoin opérationnel restait largement insatisfait en raison des difficultés et des limitations du programme SIDM (système intérimaire de drones Male) et de l'annulation du projet Euromale. Quant au projet très orienté de développement d'une plate-forme entre la France et l'Allemagne, il a déclaré qu'il n'y avait pas, pour le moment, de réponses satisfaisantes sur le plan technico-financier, alors même que le besoin opérationnel, au niveau français, était clairement défini.