Mardi 29 avril 2008

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président. -

OTAN - Audition de l'amiral Jacques Lanxade, ancien chef d'état-major des armées

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de l'amiral Jacques Lanxade, ancien chef d'état-major des armées.

Accueillant l'amiral Jacques Lanxade, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que celui-ci avait exercé les fonctions de chef d'état-major des armées de 1991 à septembre 1995, et qu'il avait rédigé, avec ses anciens homologues allemand, américain, britannique et néerlandais, un rapport, paru au mois de janvier dernier, intitulé « Vers une grande stratégie pour un monde incertain : renouvellement du partenariat transatlantique ». Ce rapport appelle de ses voeux un renouvellement du partenariat transatlantique et contient un certain nombre de propositions, portant notamment sur le rôle de l'action militaire dans le règlement des crises, la stratégie nucléaire, l'OTAN et l'Europe de la défense. M. Josselin de Rohan, président, a souhaité que l'amiral Lanxade précise ces différents éléments et les conséquences à en tirer pour l'OTAN et l'Europe de la défense, notamment dans le contexte du débat sur la position de la France dans l'OTAN.

En introduction, l'amiral Jacques Lanxade a indiqué que l'origine de ce rapport venait d'une initiative qu'il avait prise, en tant que chef d'état-major des armées, avec ses homologues allemand, américain et britannique, rejoints plus tard par le chef d'état-major hollandais, de se réunir régulièrement de manière informelle pour évoquer les questions de défense et de sécurité. De ces rencontres régulières est née l'idée de ce rapport intitulé « Vers une grande stratégie dans un monde incertain : renouvellement du partenariat transatlantique » et publié au mois de janvier 2008. Il a précisé que la rédaction du rapport avait fait l'objet d'une « négociation » entre ses différents auteurs qui avaient nécessairement dû accepter des compromis, mais qu'il s'associait pleinement au document final.

Ce rapport comporte 4 chapitres.

Le premier chapitre procède à une analyse géostratégique des défis de sécurité actuels et à venir. Il cite les différents facteurs de crise ou de tension en insistant sur la nécessité de les prendre en compte par une approche globale. Il souligne également la montée des menaces asymétriques.

Le deuxième chapitre évalue la capacité du système international actuel à faire face à ces nouveaux défis. Aux Nations unies revient le rôle essentiel de faire respecter le droit international, mais leur capacité réelle est amoindrie par des désaccords politiques insurmontables du fait de la règle du consensus et par des faiblesses dans la conduite des opérations de maintien de la paix. L'Union européenne dispose d'une réelle capacité politique et économique, mais elle est handicapée tant par l'absence de consensus entre ses Etats membres que par l'insuffisance de ses capacités dans les domaines de la défense et de la sécurité. Quant à l'OTAN, elle a efficacement rempli sa mission pendant toute la guerre froide, mais le fait qu'elle dispose de moyens essentiellement militaires limite son aptitude à faire face au nouveau contexte stratégique. Le rapport conclut qu'aucune organisation internationale ou régionale, ni aucun pays, pas même les Etats-Unis, n'est en mesure, à lui seul, de faire face aux nouveaux défis. Un tel constat représente en lui-même une évolution significative au regard des conceptions traditionnelles de certains de nos partenaires.

Le troisième chapitre identifie les éléments d'une « grande stratégie » visant à mettre en oeuvre de manière conjointe et coordonnée tous les moyens de la puissance pour atteindre un objectif politique donné, en temps de paix comme en temps de guerre. Cette stratégie devrait englober les quatre phases de la crise (la prévention, la gestion de la crise par les moyens non militaires, l'engagement militaire et la stabilisation), et s'inscrire dans la durée. L'un des principaux enseignements des conflits actuels concerne le temps nécessaire au règlement des crises, qui a été gravement sous-estimé.

Le dernier chapitre regroupe les propositions portant sur l'organisation du système international. Il constate qu'aucune organisation internationale ou régionale n'est en mesure de répondre à elle seule aux défis actuels, sans pour autant proposer la création d'une nouvelle organisation, ni de confier à une seule organisation l'ensemble des missions. Le rapport propose plutôt de réformer les organisations existantes, en particulier l'Union européenne et l'OTAN, et d'organiser une meilleure coopération entre elles.

En ce qui concerne l'OTAN, le rapport considère qu'elle doit absolument se doter d'un nouveau concept stratégique en remplacement de celui de 1999, aujourd'hui dépassé. Il est également nécessaire de modifier le mécanisme de prise de décision. La règle de l'unanimité devrait être réservée aux affaires traitées par le Conseil de l'Atlantique Nord, organe de direction de l'OTAN. Dès lors qu'une décision a été adoptée à l'unanimité du Conseil, un vote à la majorité devrait suffire pour sa mise en oeuvre pratique au sein des comités ou groupes de travail subordonnés. Il serait également souhaitable que, seules, les nations qui contribuent militairement à une opération aient voix au chapitre dans la conduite de cette opération.

Par ailleurs, pour tenir compte de l'expérience des opérations précédentes, par exemple en Afghanistan, le rapport préconise l'abrogation des restrictions nationales (« caveats ») par lesquelles les nations encadrent la mission de leurs contingents sur le terrain. Le commandant d'opération de l'OTAN devrait exercer véritablement le commandement opérationnel sur l'ensemble des troupes mises à sa disposition.

Il serait également souhaitable de réformer le financement des opérations de l'OTAN. Le financement commun par le budget de l'OTAN devrait devenir la règle, alors qu'aujourd'hui le coût des opérations est principalement assumé par chaque nation contributrice.

Le rapport plaide aussi pour une approche prudente du processus d'élargissement. Toute nouvelle adhésion devrait être décidée en fonction de la capacité de l'Alliance à assurer la défense collective du nouvel Etat membre, mais aussi de la capacité de cet Etat à y contribuer. Le rapport définit trois cercles : le premier cercle serait limité aux Etats liés par l'article 5 du traité de Washington autour du principe de la défense collective ; le deuxième cercle couvrirait la zone des approches du territoire européen ; enfin, le troisième cercle, plus large, engloberait les partenaires désireux de contribuer à une zone de stabilité.

S'agissant de l'Union européenne, les mêmes principes pourraient s'appliquer, mais le point essentiel tient à l'insuffisance des capacités d'action militaire. Celle-ci prive l'Europe des possibilités d'agir de manière autonome et la handicape dans son dialogue avec les Etats-Unis.

Concernant le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, il semble nécessaire de changer d'état d'esprit, en dépassant la méfiance réciproque qui existe actuellement entre les deux organisations, ou du moins entre leurs bureaucraties. De même qu'il existe un accord dit « Berlin plus », donnant à l'Union européenne la possibilité de recourir aux moyens militaires de l'OTAN, il devrait y avoir un accord « Berlin plus » à l'envers, garantissant à l'OTAN de pouvoir s'appuyer sur les moyens civils de l'Union européenne.

Enfin, compte tenu de la communauté d'intérêt qui lie les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis, le rapport propose l'institution d'un « directoire » (« directorate ») au plus haut niveau politique, associant les Etats-Unis, l'Union européenne et l'OTAN. Ce directoire analyserait la situation et assurerait la coordination en matière de réponses aux crises, de manière à décider, sur chaque sujet, s'il faut agir ou ne pas agir, et quelle partie devrait assurer le leadership.

Cette idée de directoire a été avancée par le général Naumann, coauteur du rapport et ancien président du Comité militaire de l'OTAN.

Au départ, l'amiral Jacques Lanxade était plutôt favorable à une sorte de Conseil stratégique entre les Etats-Unis et l'Union européenne, mais à la réflexion, l'idée d'un directoire lui semble désormais préférable. Le directoire réunirait en effet deux entités politiques, les Etats-Unis et l'Union européenne, et deux organisations, l'OTAN et l'Union européenne, cette dernière étant en quelque sorte à la fois une organisation et une entité politique.

Le plus difficile à convaincre a été l'ancien chef d'état-major britannique, le général Peter Inge.

Cette idée d'un directoire entre les Etats-Unis, l'Union européenne et l'OTAN a reçu un accueil très positif, tant à l'OTAN qu'à Washington. Elle suppose toutefois que le traité de Lisbonne soit ratifié et que les nouvelles institutions prévues par ce traité, en particulier le Président du Conseil européen et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, puissent jouer pleinement leur rôle.

En conclusion, l'amiral Jacques Lanxade a évoqué les relations entre la France et l'OTAN. Il a rappelé que la décision prise par le général de Gaulle en 1967 de quitter le commandement militaire intégré de l'OTAN visait à préserver l'autonomie de décision de la France, notamment après l'acquisition de la force de frappe, et que cette situation avait perduré tout au long de la guerre froide sous tous les gouvernements successifs.

Toutefois, devant l'incapacité des Européens et des Nations unies à faire cesser les conflits liés à l'éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990, le recours à l'OTAN s'est imposé. Le président François Mitterrand avait accepté de modifier notre position vis-à-vis de l'OTAN de manière à ce que, les forces françaises étant engagées, la France puisse participer à la décision, à la planification et au commandement. Il avait également accepté que le chef d'état-major des armées participe au comité militaire de l'OTAN dès lors que l'emploi des forces était évoqué, décision qui a été effectivement mise en oeuvre par le Président Jacques Chirac. Ce dernier avait en outre envisagé que la France réintègre le commandement militaire intégré de l'OTAN, tout en subordonnant cette éventualité à la nomination d'un européen au poste de commandant de la zone sud, ce qui n'a pas été accepté.

Aujourd'hui, la question se pose à nouveau, car on voit bien que l'on ne pourra pas poursuivre la construction d'une Europe de la défense si celle-ci se fait contre l'OTAN. Cela était déjà difficile avant les derniers élargissements de l'Union, mais cela l'est encore plus aujourd'hui. Il est donc indispensable de modifier notre approche à l'égard de l'OTAN.

Aux yeux de l'amiral Jacques Lanxade, le plus important est de participer de manière constructive à la rénovation de l'OTAN et de changer d'attitude à son égard. Il faut donc améliorer la qualité de notre relation avec l'OTAN, sans que cela n'implique nécessairement un retour de la France dans le commandement militaire intégré. Une telle réintégration serait sans doute aujourd'hui prématurée et elle aurait un coût non négligeable, tant en termes politique qu'en termes d'effectifs, pour des gains incertains. Au demeurant, la structure de commandement territorial de l'OTAN, bien qu'ayant été réformée, n'est plus adaptée au contexte actuel et s'avère excessivement bureaucratique. Un changement de la position de la France à l'égard de l'OTAN supposerait néanmoins que les Etats-Unis et certains de nos partenaires acceptent clairement le développement d'une politique européenne de sécurité et de défense autonome. On peut à cet égard relever une amorce de changement d'attitude de la part des responsables américains, comme en témoignent les déclarations de l'ambassadeur américain à l'OTAN.

M. Jean François-Poncet a souhaité savoir si la cohésion du monde occidental ne pourrait pas être fragilisée à un horizon d'une vingtaine d'années, en raison d'éventuelles divergences d'intérêts entre les Etats-Unis et les Européens à l'égard de l'Asie. Il s'est à cet égard demandé s'il resterait toujours dans l'intérêt des Européens de privilégier la solidarité avec les Etats-Unis.

En réponse, l'amiral Jacques Lanxade a estimé qu'aujourd'hui il n'existait pas d'autre voie qu'un partenariat stratégique entre les deux rives de l'Atlantique, compte tenu de l'état actuel de l'Europe, mais qu'il serait de notre intérêt d'être véritablement associés au débat stratégique avec les Etats-Unis concernant les relations avec les puissances émergentes comme la Chine, l'Inde ou la Russie. L'échec de la guerre en Irak, les difficultés en Afghanistan et l'image dégradée des Etats-Unis dans le monde devraient faire évoluer la position américaine vers moins d'unilatéralisme et une plus grande coopération avec l'Europe.

Toutefois, beaucoup de choses dépendront de la future administration américaine qui se mettra en place après les élections présidentielles et, à cet égard, on peut avoir certaines inquiétudes en cas de victoire du candidat républicain.

M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité connaître le sentiment de l'amiral Jacques Lanxade sur l'attitude des nouveaux Etats membres à l'égard de l'OTAN et de l'Europe de la défense d'une part, sur l'élargissement du champ géographique de l'OTAN et sur l'adaptation de ses structures de commandement.

L'amiral Jacques Lanxade a estimé que l'attitude des nouveaux Etats membres, que ce soit au sujet de l'installation d'éléments du système de défense antimissile américain ou à propos de l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie, ne facilitait pas les relations avec la Russie. Il a cependant observé que si les militaires polonais restaient très attachés à l'OTAN, la Pologne participait simultanément à toutes les opérations militaires de l'Union européenne. Il a estimé qu'on avait eu trop tendance par le passé à présenter la construction d'une Europe de la défense comme une alternative à l'OTAN, alors que la question ne se posait pas en ces termes, chaque organisation s'appuyant sur les mêmes forces militaires. Il a estimé que, dès lors que les Etats-Unis accepteraient l'idée d'une défense européenne autonome, les réticences de certains de nos partenaires devraient être levées.

S'agissant de l'élargissement du champ géographique de l'OTAN, il semble que le débat sur l'association de partenaires tels que le Japon, la Corée ou l'Australie, soit désormais correctement recadré.

Enfin, en ce qui concerne la structure de commandement de l'OTAN, une réforme utile est intervenue avec le regroupement de la responsabilité des opérations au sein d'un seul commandement (Allied command operations - ACO), un autre commandement étant chargé de la doctrine et de la transformation des forces (Allied command transformation - ACT). En dépit de cette évolution, le dispositif territorial de l'Alliance reste largement inadapté et il serait nécessaire d'appliquer à l'OTAN un examen analogue à la révision générale des politiques publiques.

Interrogé par M. Michel Guerry sur l'articulation entre nos opérations extérieures menées sous l'égide de l'OTAN et celles relevant de l'Union européenne, l'amiral Jacques Lanxade a estimé que notre chaîne de commandement et nos structures politico-militaires permettaient de conduire ces opérations de manière satisfaisante, tant dans le cadre de l'OTAN que dans celui de l'Union européenne, la difficulté principale tenant aux capacités insuffisantes de l'Union européenne.

Interrogé par M. Josselin de Rohan, président, au sujet de l'attitude réservée des Britanniques à l'égard d'un renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense, l'amiral Jacques Lanxade a considéré ces réticences comme réelles, tout en soulignant que le Royaume-Uni avait aussi retenu avec pragmatisme les leçons de la seconde guerre d'Irak, au cours de laquelle le ralliement à la stratégie américaine leur avait valu de sérieuses déconvenues. Il a estimé que l'attitude britannique évoluerait d'autant plus que le « verrou » américain vis-à vis de l'Europe de la défense serait levé. Ce sera un processus long et difficile, qui demandera beaucoup de détermination et supposera également une nouvelle relation entre la France et les Etats-Unis après l'arrivée de la nouvelle administration américaine.

Industrie de défense - Audition de M. Jean-Marie Poimboeuf, président-directeur général de DCNS

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Marie Poimboeuf, président-directeur général de DCNS.

Accueillant M. Jean-Marie Poimboeuf, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé le processus ayant conduit à la transformation de la Direction des constructions navales en société, puis à l'ouverture de son capital, qui avait permis la concrétisation de l'alliance avec Thales pour constituer DCNS.

Il a indiqué que la commission avait souhaité obtenir un éclairage sur la dimension industrielle de notre politique de défense, à quelques semaines de la finalisation du futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Il a invité M. Jean-Marie Poimboeuf à exposer les principaux enjeux qui, du point de vue de sa société, méritaient d'être pris en compte dans la mise à jour de notre politique, plus particulièrement dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire.

En introduction, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS venait de vivre une période d'évolution positive. Le changement de son statut et sa transformation en société ont permis d'éliminer de nombreuses contraintes, DCNS pouvant désormais fonctionner avec le même degré d'efficacité que les autres industriels. Les deux principaux objectifs poursuivis avec le changement de statut ont en effet été atteints. D'une part, l'efficacité de l'entreprise s'est nettement améliorée. En témoignent l'amélioration de la disponibilité des bâtiments de la marine, dont le taux est passé de 58 % à 70 %, et des gains de productivité de l'ordre de 20 % puisque, dans le cadre d'un budget constant, la société a absorbé l'assujettissement à la TVA et une hausse de 10 à 15 % des coûts de rémunération liée à l'emploi croissant de personnels à statut de droit privé. D'autre part, DCNS s'est avérée capable de nouer des alliances, avec l'entrée de Thales à hauteur de 25 % du capital en contrepartie de l'intégration de ses activités en matière de systèmes navals. Désormais, la France dispose d'un acteur industriel unique dans le domaine naval de défense.

M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que le plan à moyen terme adopté au mois de janvier pour les années 2008 à 2010 faisait apparaître une diminution du chiffre d'affaires, qui devrait passer d'environ 2,8 milliards d'euros en moyenne ces cinq dernières années à 2,6 milliards d'euros pour 2008, 2009 et 2010. Le résultat d'exploitation, qui atteignait 7,2 % en 2007, ne serait plus que de 5,6 % en 2008. Pour rétablir sa rentabilité, DCNS a décidé de réduire son effectif d'environ 800 personnes, sur un effectif actuel de 13 000 personnes.

M. Jean-Marie Poimboeuf a souligné qu'en dépit des évolutions positives de ces dernières années, la situation de DCNS restait fragile. La transformation en société est encore récente et la mutation culturelle qu'elle implique n'est pas achevée. D'autre part, DCNS dépend pour plus de 70 % de son activité du budget français de la défense. Plus que d'autres entreprises de défense, elle est donc extrêmement sensible à toute réduction de ce budget.

M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que deux grands contrats passés avec le ministère de la défense étaient structurants pour l'avenir de DCNS : d'une part, le contrat des frégates européennes multi-missions (FREMM) conclu fin 2005, qui porte sur 17 frégates pour un montant global de 7 milliards d'euros, dont une tranche ferme de 8 frégates pour 3,5 milliards d'euros, et qui génère un volume d'activité très significatif pour les établissements de Lorient, Ruelle, Indret et Toulon ; d'autre part, le contrat des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda, conclu fin 2006, qui représente un volume global de 8 milliards d'euros pour 6 SNA, avec une tranche ferme comprenant le développement et la fabrication du premier SNA. Le programme Barracuda représente, en outre, un enjeu stratégique pour le maintien du savoir-faire français dans le domaine des sous-marins, et notamment des compétences spécifiques, sans équivalent dans le monde en dehors des Etats-Unis et de la Russie, pour la réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) qui forment la composante océanique de notre dissuasion nucléaire.

M. Jean-Marie Poimboeuf s'est déclaré inquiet des remises en cause qui pourraient affecter le contrat FREMM et le contrat Barracuda dans le cadre de la révision des programmes d'équipement militaire consécutive au futur Livre blanc.

S'agissant du contrat FREMM, on évoque à la fois une réduction du nombre de frégates commandées et un étalement de leur réalisation. Or, c'est l'optimisation du programme, fondée sur un rythme de livraison d'une frégate tous les sept mois, qui a permis d'obtenir un coût de réalisation unitaire très attractif, inférieur d'environ 100 millions d'euros à celui des frégates type 125 produites par les chantiers allemands TKMS. La renégociation du contrat, avec réduction du nombre et ralentissement des cadences de livraison, se traduirait inéluctablement par un renchérissement du coût unitaire des frégates, de l'ordre de 10 à 15 % selon le rythme de réalisation. Pour maintenir sa rentabilité, DCNS serait amenée à réduire ses effectifs et à rapatrier en son sein des activités actuellement sous-traitées. La société verrait sa valeur affectée et sa position affaiblie pour réaliser des rapprochements européens. Si l'on ajoute à l'étalement du programme FREMM celui du programme Barracuda, les réductions d'effectifs iraient jusqu'à 3 000 personnes, dans des bassins d'emploi où DCNS est souvent le premier employeur.

M. Jean-Marie Poimboeuf a ensuite exposé les actions engagées par DCNS pour réduire sa dépendance, aujourd'hui excessive, vis-à-vis du budget français de la défense.

Il a cité en premier lieu le rapprochement avec Thales qui a été suivi d'un changement d'objet social de l'entreprise, lui permettant d'intervenir en dehors du seul secteur naval de défense. Ce rapprochement est également très favorable au développement international de DCNS, avec la création en cours ou en projet de filiales à Singapour, en Inde ou en Malaisie, en vue d'assurer le soutien des bâtiments réalisés par DCNS dans ces pays. Des implantations sont également en cours en Arabie Saoudite, au Brésil et au Chili.

M. Jean-Marie Poimboeuf a ensuite évoqué le développement de l'exportation, qui bénéficie d'un fort soutien des autorités publiques. Le contrat avec le Maroc pour une frégate FREMM est en cours de finalisation. DCNS compte plusieurs autres prospects pour l'exportation des FREMM : la Grèce (6 frégates), l'Algérie (4 frégates) et l'Arabie Saoudite (4 à 6 frégates). DCNS est actuellement en discussion avec la Bulgarie et la Géorgie pour des corvettes. En ce qui concerne les sous-marins, les discussions sont engagées avec le Chili, la Malaisie, l'Inde, la Turquie, le Brésil et le Pakistan.

M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS cherchait également à diversifier ses activités hors du domaine de la défense. Il a cité le savoir-faire de l'entreprise dans certains sous-ensembles de chaufferies nucléaires, ce qui pourrait l'amener à coopérer avec Areva dans la réalisation de réacteurs nucléaires. Il a également estimé que DCNS devait développer ses activités de service au profit de clients autres que la marine nationale.

En conclusion, M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que DCNS visait à ramener à 50 % d'ici à 5 ans son taux de dépendance vis-à-vis du budget français de la défense.

Répondant à M. Josselin de Rohan, président, qui l'interrogeait sur le second porte-avions, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que ce projet n'avait pas pour DCNS un impact aussi important que les programmes FREMM et Barracuda en termes de construction navale, même si les retombées sont significatives en matière d'ingénierie et d'intégration des systèmes de combat ; la réalisation du bâtiment lui-même s'effectuerait dans le chantier Aker Yards de Saint-Nazaire. Il a noté que les Britanniques n'ont pas encore officiellement lancé la réalisation de leur programme de deux porte-avions.

M. André Dulait a interrogé M. Jean-Marie Poimboeuf sur les conséquences d'une non-réalisation du second porte-avions, compte tenu des contrats déjà passés pour l'accès aux études de conception britanniques. Il a, par ailleurs, demandé des précisions sur les conditions de réalisation dans les pays acheteurs des contrats remportés par DCNS.

M. Jean-Marie Poimboeuf a répondu qu'à sa connaissance, la France avait déjà acquitté un droit d'accès aux études britanniques sur le second porte-avions, et qu'une contribution complémentaire serait nécessaire si ce projet était lancé en coopération franco-britannique. Aucune pénalité ne paraît en revanche devoir être réglée aux Britanniques si la France renonçait à lancer le programme.

En ce qui concerne les contrats à l'exportation, il a précisé que la quasi-totalité des clients exigeaient une réalisation locale de tout ou partie du contrat. Toutefois, la part des sous-ensembles que DCNS, en tant qu'équipementier, continue à réaliser en France avant leur livraison, demeure non négligeable.

A M. Jean-Pierre Fourcade qui l'interrogeait sur le coût qu'aurait représenté la construction d'un second porte-avions identique au Charles de Gaulle, M. Jean-Marie Poimboeuf a répondu que le traitement des obsolescences devenait d'autant plus coûteux que le délai s'accroît entre la réalisation de deux équipements identiques. Les estimations effectuées ces dernières années montraient que la réalisation d'un second porte-avions à propulsion classique n'était pas plus coûteuse que celle d'une réplique du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. L'état-major souhaitait en outre disposer d'un bâtiment de tonnage plus élevé et soulignait les contraintes de déploiement liées à la propulsion nucléaire.

M. Robert Bret a demandé des précisions sur les conditions de protection de la propriété intellectuelle et du secret de la défense nationale, lorsque les équipements sont réalisés dans le pays acheteur.

M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que si la réalisation des bâtiments dans les pays clients se généralisait, c'est que ces derniers le demandaient explicitement et que DCNS n'était pas en situation de refuser, compte tenu du contexte de plus en plus concurrentiel des marchés. Pour autant, DCNS veille à maintenir un équilibre entre la construction locale et la part du contrat réalisée en France. Si le savoir-faire de réalisation peut être aisément transféré, il n'en va pas de même du savoir-faire de conception. La création de filiales avec des partenaires locaux vise également à rendre plus acceptables pour l'entreprise ces exigences de réalisation sur place. Enfin, la protection du secret de la défense nationale est assurée par les procédures étatiques de contrôle des exportations.

Répondant à M. André Boyer qui l'interrogeait sur les coopérations européennes, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS réalisait avec l'Italie les frégates anti-aériennes Horizon et les FREMM. En revanche, la coopération avec l'Espagne sur les sous-marins Scorpène connaît de sérieuses difficultés depuis que le partenaire de DCNS, Naventia, a développé un produit concurrent, le S 80, en coopération avec les Etats-Unis. A titre d'exemple, le Scorpène et le S 80 sont en concurrence en Turquie, Naventia étant partie prenante aux deux propositions. M. Jean-Marie Poimboeuf a estimé que sur le segment des sous-marins, la logique voudrait que DCNS et l'Allemand TKMS se rapprochent, la concurrence entre les deux principaux acteurs européens étant à terme suicidaire. Le contexte n'est pour l'heure pas encore pleinement propice à ce rapprochement. M. Jean-Marie Poimboeuf a enfin indiqué qu'un accord européen fort venait d'être conclu entre DCNS et Wass, filiale de Finmeccanica, pour constituer d'ici à la fin de l'année une société franco-italienne commune dans le domaine des torpilles. Cette société sera également ouverte à l'Allemand Atlas Electronik.

A Mme Michelle Demessine, M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que des groupes comme EADS ou Thales étaient beaucoup moins dépendants que DCNS des commandes de la défense française. De ce fait, l'impact d'une diminution des commandes serait beaucoup moins sensible pour le chiffre d'affaires de ces groupes que pour celui de DCNS.

A Mme Joëlle Garriaud-Maylam, il a indiqué que les Espagnols ne remettaient pas en cause leur coopération sur le Scorpène, à laquelle ils ne voient que des avantages dès lors qu'ils ont aussi noué des coopérations avec les Américains. Cette coopération s'avère cependant déséquilibrée pour DCNS, qui ne peut exporter le Scorpène sans l'accord d'un partenaire espagnol qui propose, avec le S 80, un produit concurrent.

M. Robert Bret a observé que la prise d'otage du « Ponant » avait souligné l'intérêt de disposer d'une flotte de haute mer, ce qui pourrait plaider pour une reconsidération des diminutions de commandes envisagées sur le programme FREMM.

M. Jean-Marie Poimboeuf a estimé que la marine ne disposait, dans son format actuel, d'aucune marge pour assurer l'ensemble de ses missions.

Mercredi 30 avril 2008

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président. -

Industrie de défense - Audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Nexter

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Nexter.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé qu'à la suite de longues et délicates restructurations, GIAT-Industries était devenu Nexter, la société enregistrant désormais pour la seconde année consécutive un résultat bénéficiaire. Il a invité M. Luc Vigneron à présenter la situation de son groupe dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire. Il lui a également demandé de préciser les principaux enjeux qui, à son sens, méritaient d'être pris en compte dans le cadre de la révision en cours de notre stratégie de défense.

M. Luc Vigneron, président-directeur général de Nexter, a tout d'abord évoqué l'impact potentiel sur son groupe de réductions de volumes d'activité qui pourraient intervenir à la suite du prochain Livre blanc et de la future loi de programmation militaire.

Il a rappelé qu'au cours des dix dernières années, la taille du groupe avait été divisée par quatre et le nombre de sites majeurs divisé par trois. Nexter se concentre aujourd'hui sur deux domaines d'activité : les blindés, qui représentent 80 % de l'activité, et les munitions, représentant les 20 % restants. Globalement, la part de la production proprement dite a considérablement diminué, au profit de l'ingénierie et de la commercialisation, mais cette évolution est beaucoup plus accentuée dans le domaine des blindés que dans celui des munitions. M. Luc Vigneron a précisé que sur un effectif d'environ 2 500 personnes, Nexter ne comptait plus qu'environ 600 « cols bleus » directement impliqués dans la production. Ceux-ci se répartissent à égalité entre la branche « blindés » et la branche « munitions », dans laquelle leur poids est proportionnellement beaucoup plus fort. De ce fait, la branche « munitions » est beaucoup plus sensible aux réductions des volumes des commandes, alors que pour la branche « blindés », la préoccupation principale porte sur le maintien d'une taille critique pour les bureaux d'études.

M. Luc Vigneron a jugé encourageantes les informations selon lesquelles les travaux du Livre blanc auraient souligné la nécessité de renforcer l'effort de recherche-développement, puisque l'activité des bureaux d'études pourrait ainsi être maintenue. Il a également évoqué la possibilité de redéfinir la répartition de la maintenance des parcs blindés entre la direction centrale du matériel de l'armée de terre (DCMAT) et l'industrie, avec une implication plus forte de cette dernière. Une telle évolution aurait elle aussi des répercussions positives pour les bureaux d'études, dans la mesure où la maintenance d'un matériel peut déboucher sur des activités d'ingénierie en vue de son adaptation ou de sa modernisation. Il a par ailleurs noté que le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) constituait une priorité majeure pour l'armée de terre au plan opérationnel. Si des réductions devaient affecter la cible du programme, on peut espérer qu'elles resteraient d'ampleur limitée. D'autre part, la capacité industrielle de Nexter dans le domaine des blindés a déjà été optimisée pour réduire l'impact d'éventuelles baisses des volumes de production.

M. Luc Vigneron a souligné la spécificité de l'activité « munitions ». Une fois produite, une munition ne donne pas lieu à des programmes visant à faire évoluer ses caractéristiques. Dans ce secteur, la part des études est proportionnellement moins importante que celle de la production. Une diminution des volumes de commandes, déjà peu élevés, créerait des difficultés de financement des frais fixes de l'outil de production. La question se poserait tant pour Nexter que pour les autres acteurs français de la filière munitions. C'est donc le maintien d'une industrie munitionnaire nationale qui serait en cause.

On peut observer que le Royaume-Uni, qui a fortement réduit le volume de ses commandes de munitions, a fait le choix de préserver son outil industriel munitionnaire, l'Etat britannique prenant à sa charge une partie des frais fixes des usines, de manière à garantir une capacité de remontée en puissance en cas de nécessité. Dans le domaine des munitions, l'achat sur étagère est bien entendu possible, par exemple auprès des industriels allemands ou américains, mais plus que dans beaucoup d'autres domaines, la garantie d'approvisionnement en munitions est essentielle en cas de crise. Même si cela est peu perçu, l'industrie munitionnaire continue de présenter pour cette raison un intérêt stratégique aux yeux de beaucoup de pays. Il est à cet égard révélateur que le gouvernement américain reste propriétaire des usines de munitions, même si leur gestion est confiée à un opérateur privé (government owned, company operated). M. Luc Vigneron a précisé que la plupart des pays avaient réduit leurs stocks de munitions, tout en restant attentifs à la possibilité de les recompléter très rapidement en cas de crise.

Citant l'obus antichar à effet dirigé Bonus coproduit avec les Suédois, M. Luc Vigneron a également souligné que l'industrie française se situait au meilleur niveau technologique en matière de munitions.

M. Luc Vigneron est ensuite revenu sur la question des relations entre Nexter et l'armée de terre. Il a rappelé que cette dernière détenait en matière de maintenance une large gamme de compétences allant de capacités intégrées au sein des régiments pour l'entretien courant, jusqu'aux établissements de la DCMAT qui procèdent à de véritables opérations industrielles de rénovation des matériels. S'il est normal que l'armée de terre tienne à maintenir un contrôle étroit de l'entretien de son parc, il n'en demeure pas moins que des optimisations sont souhaitables, en développant une véritable synergie entre établissements aujourd'hui trop segmentés. Une coopération beaucoup plus étroite entre l'usine Nexter de Roanne et l'établissement du matériel de Gien permettrait ainsi de réaliser des économies substantielles sur la maintenance, notamment pour les équipements d'entretien coûteux comme le char Leclerc.

Evoquant l'exportation, M. Luc Vigneron a salué les évolutions positives intervenues ces derniers mois avec la volonté de simplifier les procédures et de renforcer le soutien politique aux ventes à l'étranger. Il a suggéré une réactivation du dispositif des avances remboursables par lequel l'Etat acceptait de financer une partie des développements destinés spécifiquement à l'exportation. S'agissant des activités de Nexter à l'exportation, il a souligné l'intérêt suscité par le Caesar, canon d'artillerie monté sur camion, qui a déjà été acheté par l'Arabie saoudite et la Thaïlande. Il a estimé que le VBCI pourrait également répondre aux attentes d'armées étrangères, même si le Royaume-Uni ne semble pas actuellement vouloir le retenir pour l'équipement de ses forces. Nexter propose également à l'exportation un concept de munitions « insensibles » en vue de se prémunir des détonations lors d'incidents ou d'attaques survenant à l'occasion du transport.

M. Luc Vigneron a ensuite abordé les perspectives de regroupements européens dans le domaine de l'armement terrestre. Il a estimé que ceux-ci seraient à terme indispensables pour permettre aux acteurs industriels de bénéficier d'une assise plus large pour affronter les marchés étrangers. Il a estimé que pour Nexter, l'éventualité d'une alliance franco-allemande ne pourrait se concrétiser qu'une fois opéré un regroupement entre les deux principaux industriels allemands, Krauss Maffei Wegmann et Rheinmetall. L'alternative résiderait dans une alliance avec le britannique BAE. Pour l'heure, aucun des industriels considérés n'a manifesté de volonté de se rapprocher de Nexter.

A la suite de cet exposé, M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur les délais de reconstitution des stocks de munitions. Par ailleurs, il a demandé des précisions sur la protection du VBCI et sur la numérisation de son système d'information et de combat.

M. Luc Vigneron a précisé qu'un délai de l'ordre de 2 ans était nécessaire pour relancer un processus de production de munition ayant été arrêté. S'agissant du VBCI, 182 blindés ont d'ores et déjà été commandés et les livraisons débuteront à l'été 2008. L'engin bénéficie d'une bonne protection contre les engins explosifs improvisés. Il est également doté d'un système de commandement tactique et d'équipements numérisés compatibles avec les futurs équipements Felin des fantassins.

A M. Jean-Pierre Fourcade qui l'interrogeait sur le programme de revalorisation du char blindé à roues AMX10RC, M. Luc Vigneron a répondu que cette opération devant porter au total sur 256 chars permettra de prolonger la durée de vie de cet engin de reconnaissance jusqu'à l'horizon 2020. Il a ajouté que la rénovation du châssis avait été effectuée par la DCMAT à Gien alors que celle de la tourelle a été réalisée par Nexter à Roanne.

Industrie de défense - Audition de M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault-Aviation

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a entendu M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault-Aviation.

M. Charles Edelstenne a tout d'abord rappelé que sa société avait été longtemps considérée, à tort, comme une sorte d'arsenal dont le financement était exclusivement étatique. Or, un simple examen du chiffre d'affaires démontre que les recettes de Dassault-Aviation proviennent, en 2007, pour 57 % de la vente d'avions civils Falcon, pour 21 %, des recettes d'exportation, et pour 22 %, de ventes au ministère de la défense français. La même année, les prises de commandes d'avions civils représentaient 86 % du total, les exportations 4 %, et les commandes du ministère de la défense français 10 %.

La diminution de la part d'activité réalisée au profit de la défense française est particulièrement nette puisqu'en 1997, 64 % des prises de commande concernaient l'activité civile, 5 % l'exportation et 31 % les ventes à l'Etat français. La rentabilité nette de Dassault-Aviation a crû, durant la dernière décennie de 5  à 9,4 %, alors que la part des commandes du ministère de la défense français a été divisée par trois.

Evoquant ensuite le Rafale, il a souligné que ses spécificités contribuaient à la réduction du format de l'armée de l'air française, sans en diminuer pour autant les capacités. En effet, le Rafale a vocation à remplacer les 7 différents types d'avions militaires actuellement en ligne. Il est également, grâce à sa technologie unique, le premier avion terrestre à pouvoir, avec quelques légères adaptations, se poser sur un porte-avions.

M. Charles Edelstenne a ainsi rappelé que la France disposait, en 1995, de 687 avions de combat en ligne alors qu'à l'horizon 2025, on ne compterait pas plus de 294 Rafale en 2025, dont 234 Rafale air et 60 Rafale marine. Il a décrit les potentialités uniques de cet avion omnirôle, qui est le premier à pouvoir effectuer, durant la même mission, des actions de supériorité aérienne, de frappe air-sol, de frappe air-mer, de reconnaissance, et de frappe nucléaire ; il a rappelé que ces capacités avaient été obtenues grâce à une évolution par standards successifs, dont le dernier, le standard F3, sera qualifié en 2008. D'autres évolutions sont prévues, notamment la modernisation de l'antenne électronique du radar. Ces différents standards ont été accompagnés par d'une adaptation permanente du système d'armes, par un dialogue constant entre l'état-major des armées, la Direction générale de l'armement (DGA) et les bureaux d'études de Dassault-Aviation. Aujourd'hui, 120 Rafale ont été commandés et 57 ont été livrés. La mise en service opérationnelle est intervenue en 2004 dans la marine et en 2006 dans l'armée de l'air.

Evoquant le débat qui s'était développé dans notre pays lorsqu'a été décidée la construction d'un avion de chasse de façon autonome, et donc, de ne pas se joindre à celle de l'Eurofighter, programme réunissant quatre pays sous l'égide de BAE systems et d'EADS, M. Charles Edelstenne a précisé que ce choix avait été financièrement profitable à la France, contrairement à des allégations persistantes. L'ensemble du programme Rafale, comprenant le développement, l'industrialisation et l'environnement, représente un coût global de 28 milliards d'euros hors taxes sur 30 ans, plus de 98 % de cette enveloppe étant sécurisée contre tout risque de dérive financière. L'industrie a financé 25 % du développement sur ses fonds propres, soit environ 2 milliards d'euros, en vue notamment de respecter l'échéance initiale de mise en service du premier escadron dans l'armée de l'air, fixée à 1996. C'est uniquement pour des raisons budgétaires que cette mise en service n'est intervenue que 10 ans plus tard. Alors que 137 Rafale auraient dû avoir été livrés en 2000, 5 seulement l'ont été effectivement.

M. Charles Edelstenne a souhaité un maintien des cadences de livraison des Rafale, de la cible à 294 appareils, et une accélération de la montée en puissance. Il a estimé qu'avec le Rafale, la France avait démontré sa capacité à maîtriser les technologies les plus stratégiques.

Effectuant une analyse comparative entre le Rafale et l'Eurofighter, il a tout d'abord signalé que la France prévoyait une diminution de son parc d'avions de combat de 687 à 294 appareils entre 1995 et 2025, alors que durant la même période, le Royaume-Uni prévoyait de revenir de 563 à 370 appareils. Le Rafale est en effet véritablement omnirôle, alors qu'il conviendrait plutôt, pour l'Eurofighter, de parler d'avion « multirôle », puisqu'il s'agit en réalité d'un avion de supériorité aérienne, doté d'adaptations lui permettant d'accomplir des fonctions de combat air/sol.

M. Charles Edelstenne a précisé, que selon les chiffres officiels publiés par les instances nationales compétentes en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, le coût de développement du Rafale de l'armée de l'air s'établissait à 5,7 milliards d'euros, celui de l'Eurofighter étant plus de trois fois supérieur (21,6 milliards d'euros). Le coût unitaire du Rafale est de 89 millions d'euros, alors que celui de l'Eurofighter s'élève à 146 millions d'euros. Pour un coût 1,6 fois supérieur à celui du Rafale, l'Eurofighter n'offre donc que des capacités multirôles, c'est-à-dire, qu'à la différence du Rafale, il ne peut enchaîner ses différentes fonctions au cours d'une même mission.

M. Charles Edelstenne a estimé que ce bilan défavorable à l'Eurofighter tenait à ce que le programme souffrait d'une addition de spécifications et de l'absence de maître d'oeuvre unique. D'autre part, la coopération ne s'appuyait pas sur les points forts technologiques et industriels de chaque nation, mais visait à acquérir sur fonds publics des compétences technologiques, que celles-ci ne possédaient pas, au détriment des capacités opérationnelles de l'avion. Ceci avait mécaniquement suscité une explosion des coûts du programme.

Le Rafale est également beaucoup moins coûteux que le Joint Strike Fighter (JSF) américain, destiné aux trois forces ayant une composante aérienne dans l'armée américaine, c'est-à-dire la Navy, l'US Air Force, et les Marines. Le coût unitaire prévisionnel de cet appareil s'élevait en effet, en 2001, à 82 millions de dollars, pour atteindre 122 millions de dollars en 2006, alors qu'il en est à la période d'essai des premiers prototypes et devra donc encore évoluer. Il en est de même pour le F 22, avion de supériorité aérienne destiné à remplacer le F 15, dont le coût a été multiplié par 3 entre sa conception et sa livraison à l'US Air Force.

M. Charles Edelstenne a déploré que le programme américain JSF soit parvenu, mieux que tout programme européen, à fédérer plusieurs pays européens qui ont accepté de contribuer pour plus de 5 milliards de dollars au développement de l'avion.

M. Charles Edelstenne a ensuite abordé le coût du MCO (maintien en condition opérationnelle) du Rafale, c'est-à-dire les frais entraînés par sa maintenance, ses réparations, et les pièces de rechange. Les industriels impliqués dans le MCO du Rafale se sont engagés sur un coût compris entre 12 000 et 13 000 euros par heure de vol. Pour le Mirage 2000, ce coût est compris entre 10 500 et 11 000 euros par heure de vol. La différence, beaucoup plus faible que ce qui est parfois allégué, tient à ce que le Rafale est bimoteur alors que le Mirage 2000 est un monomoteur.

M. Charles Edelstenne a insisté sur le fait que le Rafale allait remplacer 7 types d'avions. Il a observé que tel ne serait pas le cas du JSF, qui cohabiterait avec l'Eurofighter au Royaume-Uni, avec le F 22 dans l'armée de l'air américaine et avec le F 18 dans l'US Navy.

Il s'est inquiété de ce que la dynamique industrielle et technologique indéniable, qui sous-tend le programme Rafale, ne soit sacrifiée une fois encore aux contraintes budgétaires.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

M. Jean François-Poncet s'est interrogé sur les raisons qui entravaient l'exportation du Rafale, malgré ses atouts en termes de performance.

M. Roger Romani a regretté les critiques récurrentes sur une supposée complexité excessive de cet avion.

M. André Boyer a souhaité connaître les différences de coûts entre un Rafale air et un Rafale marine, ainsi que les incidences d'un abandon éventuel de la construction d'un second porte-avions français sur la flotte de Rafale marine.

En réponse, M. Charles Edelstenne a apporté les éléments suivants :

- l'atout principal du Rafale réside dans la simplification du travail de pilotage, due en particulier à sa conduite par deux minimanches. Cette simplicité est attestée par le retour d'expérience de l'exploitation opérationnelle du Rafale en Afghanistan. Il est d'ailleurs révélateur que des pilotes étrangers puissent piloter le Rafale en monoplace au terme d'un apprentissage très rapide ;

- cet avion est également d'une grande facilité de maintenance, car il a été conçu pour fournir aux mécaniciens les résultats d'autotests affectés à l'issue d'un vol, qui diagnostiquent les raisons des pannes éventuelles : ce dispositif innovant explique sa forte disponibilité, tant sur les bases terrestres d'Afghanistan que sur le porte-avions Charles-de-Gaulle ;

- le Rafale marine est un peu plus coûteux que le Rafale Air, du fait du renforcement du cadre et du train d'atterrissage et de la présence d'une crosse d'appontage ;

- cette flotte de Rafale marine restera identique, que la France se dote ou non d'un second porte-avions, puisqu'elle est constituée d'un escadron à bord, d'un autre en préparation de mission et d'un troisième en formation.

Avant de développer la problématique de l'exportation du Rafale, M. Charles Edelstenne a souhaité évoquer celle, essentielle, du maintien des compétences. Il a souligné les difficultés spécifiques à la conception des avions de combat, dont la durée de vie s'étend sur une trentaine d'année, sans équivalent dans le secteur civil, notamment pour les avions Falcon dont les modèles se succèdent à un rythme rapide, environ tous les cinq ans. Il a cité, sur ce point, une déclaration faite par le vice-président américain Al Gore, en 1998, qui soulignait que la majorité des innovations technologiques mises au point pour l'aéronautique militaire, irriguaient l'ensemble du tissu économique. Sur 22 technologies stratégiques identifiées par les Américains, 17 sont directement liées à l'aéronautique militaire de combat. Ceci explique le soutien dont bénéficie cette industrie aux Etats-Unis, et rend d'autant plus précieuse la capacité, unique en Europe, acquise par la France pour maîtriser sans dépendance extérieure les technologies ainsi acquises.

M. Charles Edelstenne a estimé que le maintien des compétences supposait une relève permanente des générations d'ingénieurs maîtrisant la conception des avions de combat. Il a rappelé que le démonstrateur de drones de combat NEURON contribue à la stratégie du maintien des compétences françaises, mais aussi européennes, en associant les compétences de six pays européens (Espagne, Grèce, Italie, Suède, Suisse et France), pour un budget de 400 millions d'euros, dont 50 % sont apportés par l'Etat français. Ce démonstrateur n'a pas de finalité opérationnelle et son élaboration viendra à terme en 2011 ; il est probable qu'il sera suivi d'un programme NEURON II. Par ailleurs, la rénovation à mi-vie du Rafale, mais aussi les programmes de drones Male doivent également contribuer à cette stratégie de maintien des compétences, afin d'être, quand le moment sera venu, encore capable de disposer du savoir faire nécessaire à la réalisation des avions de la génération post-Rafale. Au-delà, il faudra s'en remettre au futur programme européen d'avion de combat, EFCAS (European Futur Combat Aircraft System).

M. Jean François-Poncet a souhaité savoir si ce démonstrateur de drones serait furtif.

En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que la furtivité constituait l'une des caractéristiques majeures du NEURON. Le coût de cette technologie progresse cependant proportionnellement à la qualité de la furtivité : il convient donc de trouver un équilibre financièrement acceptable sur ce point.

M. Charles Edelstenne a ensuite abordé le thème des exportations, rappelant que la chaîne de montage du Mirage 2000 avait été arrêtée il y a six ans, et que le Rafale n'avait été finalement été mis en service dans l'armée de l'air française qu'en 2006, avec un retard de dix ans sur les prévisions initiales. Ce retard de livraison, dû à l'étalement des commandes du ministère de la défense, avait fortement compromis ses chances à l'exportation sur de nombreux marchés.

Il a relevé que les exportations aéronautiques militaires de la France se heurtaient à plusieurs contraintes : la forte volonté américaine de dominer le marché mondial dans ce secteur ; la dégradation de la parité entre l'euro et le dollar, qui atteint près d'1,6 dollar pour 1 euro aujourd'hui, alors qu'elle était à peu près équivalente il y a six ans ; le respect très inégal, par nos concurrents, des prescriptions de la convention de l'OCDE contre la corruption, que la France a pour sa part mise en oeuvre avec un zèle tout particulier ; enfin, les exigences de la CIEEMG (commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre).

M. Charles Edelstenne a rappelé que la France exportait historiquement des avions de combat vers des Etats qui ne souhaitent ou ne peuvent se fournir auprès des Etats-Unis, ou vers des Etats qui souhaitent une double source d'approvisionnement. Ces critères restent pleinement valables aujourd'hui. C'est à leur lumière que doivent être analysées les décisions prises ces dernières années par des Etats pour lesquels le Rafale entrait en compétition avec d'autres avions de combat. Les premiers marchés qui se sont présentés étaient des chasses-gardées américaines. Il est également nécessaire de souligner que, dans plusieurs compétitions, notamment en Corée, en Autriche ou en Arabie Saoudite, le critère du prix ne s'était pas révélé, pour le client, un critère déterminant de choix.

Il a souligné le caractère essentiel de la volonté et du soutien politique pour l'exportation des avions de combat, car elle présente un caractère stratégique.

M. Jean François-Poncet a rappelé que l'Inde, comme le Pakistan, avaient été très satisfaits de leurs achats de Mirage. Il s'est demandé si ces deux pays étaient intéressés par l'acquisition du Rafale.

M. Robert Bret a déploré que la chute du dollar pénalise lourdement Dassault, comme Airbus, et a souligné que les exportations militaires étaient régies par des décisions essentiellement politiques, ce qui limitait considérablement le nombre des pays intéressés par les productions françaises. Il s'est interrogé sur les potentialités du marché européen, compte tenu de la construction de l'Europe de la défense.

Le président Josselin de Rohan a évoqué le discours prononcé récemment par le Président de la République à Cherbourg, qui annonçait la réduction d'un tiers de la composante aérienne stratégique, et s'est enquis de l'impact de cette décision sur les commandes de Rafale par la France.

M. Roger Romani a souligné les difficultés de l'industrie européenne de défense sur le marché européen, certains pays étant peu soucieux de privilégier les équipements fabriqués en Europe.

M. Jean François-Poncet a estimé que le succès d'Airbus pour le marché des avions ravitailleurs de l'armée de l'air américaine constituait une percée significative pour l'industrie européenne.

En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que :

- depuis toujours, les exportations militaires françaises ne sont dirigées que vers sept à huit pays, déterminés par l'autorité politique. Elles ne peuvent d'ailleurs rencontrer de succès qu'avec un très fort soutien de cette autorité ;

- la France maintient une industrie aéronautique militaire autonome et viable économiquement, appuyée sur des exportations limitées. Ce maintien est d'autant plus remarquable que le budget militaire français est dix fois inférieur au budget américain : environ 50 milliards de dollars annuels pour la France, contre 500 pour les Etats-Unis. Le maintien de cette autonomie passe évidemment par un fort soutien de l'Etat, qui l'a jugée jusqu'à présent indispensable ;

- l'Europe de la défense ne se construira que très progressivement, car la plupart des pays membres de l'Union européenne n'ont pas d'industrie de défense et ne ressentent donc pas un besoin d'autonomie sur ce point. Dans l'immédiat, les coopérations les plus efficaces sur les programmes d'équipement doivent se nouer autour de quelques pays partageant une même volonté et les mêmes besoins ;

- ce sont aujourd'hui les Mirage 2000 qui assurent la mission nucléaire ; la réduction d'un tiers de la composante aéroportée toucherait une vingtaine d'avions de ce type ; il est difficile d'évaluer l'impact sur le nombre de Rafale, dans la mesure où il s'agit d'un avion omnirôle, un même avion pouvant être indifféremment affecté à une mission nucléaire ou à une mission conventionnelle ;

- les succès français enregistrés sur le marché américain sont à saluer, mais touchent en réalité des matériels civils, comme l'A 330, dont la militarisation sera effectuée aux Etats-Unis ;

- les Etats-Unis fournissent 20 % des équipements militaires européens, alors qu'1 % seulement des équipements militaires américains proviennent d'Europe ; il faut déplorer qu'il n'existe pas, aujourd'hui, en Europe, une volonté politique forte de construire un contrepoids à la suprématie américaine.