Mercredi 19 novembre 2008

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Audition de M. Pierre Dartout, préfet en service détaché, délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Pierre Dartout, préfet en service détaché, délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires.

Rappelant en préambule son expérience territoriale en tant que sous-préfet, puis préfet, dans dix départements différents, M. Pierre Dartout a souligné l'attachement de la délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité (DIACT) à la diversité des territoires français et à leur histoire. Il a expliqué que la DIACT avait des interlocuteurs privilégiés au niveau des collectivités territoriales, mais entretenait des relations plus fréquentes avec les régions et les structures intercommunales qu'avec les départements et les communes. S'agissant des départements, il a estimé qu'ils se caractérisaient, malgré l'uniformité de leurs compétences sur l'ensemble du territoire, par d'importantes inégalités de population, d'atouts économiques et de compétitivité. Il a fait la même remarque au sujet des régions, opposant les régions très peuplées à celles qui sont beaucoup moins denses, tandis que certaines se composent de deux départements seulement alors que la région Midi-Pyrénées en compte huit. Il a également évoqué l'effet métropolitain observé par les économistes, notant que certaines régions sont dominées par une grande métropole alors que d'autres sont dotées d'une armature urbaine diversifiée.

M. Pierre Dartout a décrit la progression des structures intercommunales : syndicats intercommunaux à vocation unique, syndicats intercommunaux à vocation multiple, tentatives de fusions de communes par la loi « Marcellin » de 1971, enfin lois de 1992 et de 1999 concernant les intercommunalités à fiscalité propre (communautés de communes, puis communautés d'agglomération). Ce mouvement inexorable de regroupement a, selon lui, tendu à remédier à l'éclatement de la France en petites communes, à tel point que certains enjeux ne trouvent de réponse qu'au niveau intercommunal. En ce qui concerne les pays, encouragés par les lois Pasqua (1995) et Voynet (1999), qui ne sont pas des structures administratives, mais des territoires de projet, il a noté qu'ils pouvaient aussi bien consister en pays de fait que s'appuyer sur des établissements publics et qu'ils avaient répondu à un manque de structures intercommunales. La carte des établissements intercommunaux, a-t-il fait valoir, n'est pas complète, puisqu'elle ne couvre pas 100 % du territoire, et n'est pas non plus parfaite : selon la Cour des comptes, leur périmètre n'est pas toujours le plus pertinent et leur mise en place n'a pas été accompagnée du transfert des moyens et du personnel correspondants.

M. Pierre Dartout a, enfin, évoqué les relations entre les collectivités territoriales et l'Europe : les régions sont, en effet, le cadre de mise en oeuvre des fonds européens, notamment du fonds européen de développement régional (FEDER). Les instances communautaires mettent également l'accent sur la coopération territoriale qui constitue l'« objectif 3 » de sa politique régionale pour la période 2007-2013.

En conclusion, M. Pierre Dartout s'est interrogé sur le niveau le plus pertinent pour l'action publique, la question étant double : comment rendre le service le plus efficace possible à la population ? Comment y parvenir au moindre coût pour les finances publiques, c'est-à-dire pour l'argent des contribuables ?

M. Yves Krattinger, rapporteur, a interrogé le délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires sur la finalité des pays, sur son approche de l'intercommunalité et sur le degré d'optimisation de la décentralisation française.

M. Philippe Dallier a évoqué le cas particulier de la région Ile-de-France.

M. Dominique Braye a observé que les clivages concernant la réforme des collectivités territoriales étaient moins de nature politique que liés aux mandats exercés.

M. François Patriat a souhaité connaître les mesures qui, pour M. Pierre Dartout, accroîtraient l'efficacité de l'action des collectivités tout en la rendant moins coûteuse.

S'agissant de l'éventuelle économie que pourrait représenter la suppression d'une strate de collectivité, M. Pierre Dartout, après avoir rappelé que l'intercommunalité avait été créée pour contourner le problème du grand nombre de communes, a observé que les départements ne disposant pas tous de la même capacité financière, les compétences auraient dû être transférées à géométrie variable plutôt qu'uniformément. En ce qui concerne les communes, s'interrogeant sur leur nombre, il a constaté que les plus petites d'entre elles ne disposaient pas d'autonomie financière, alors que l'évolution de la société fait de leurs populations d'abord des consommateurs de services publics.

Abordant la question des pays, il a remarqué que leur succès différait selon les régions, avéré en Alsace et en Bretagne, par exemple, où ils remplissent une fonction stratégique, inopérant dans d'autres régions comme dans le sud de la France. Il s'est donc prononcé contre une suppression pure et simple des pays, privilégiant la voie d'une intégration dans un cadre intercommunal plus institutionnalisé à travers les SCOT ou les communautés de communes. Relevant que les périmètres de ces diverses formes de regroupements différaient, il a souhaité un renforcement des pouvoirs des préfets pour favoriser une harmonisation.

S'agissant du couple département-région, il a considéré qu'au-delà de la taille des collectivités, il convenait de prendre en compte la force de leur identité. Il a mis en doute l'existence d'un format européen des régions, constatant que les modèles étaient adaptés aux caractéristiques de chaque pays et étaient de ce fait très différents.

Il est convenu que certains enjeux, aujourd'hui, étaient communs à un ensemble de régions, citant l'exemple de la consommation d'espace sur le littoral européen.

Puis il a considéré que la délégation de pouvoir réglementaire aux collectivités locales se posait en France différemment que chez nos voisins comme l'Espagne, les Français s'avérant attachés à la fonction régulatrice de l'Etat, tout en l'étant également à la décentralisation qui rapproche le pouvoir des administrés : il a estimé, sur ce point, que l'équilibre, en France, entre ces deux exigences était proche.

Observant que les faiblesses nationales étaient souvent imputées à l'Europe, il a reconnu que les exigences européennes étaient parfois trop précises.

Il a jugé que l'Ile-de-France, dont la croissance démographique est contrastée, requérait un traitement particulier, sans appeler pour autant à développer l'intercommunalité dans la petite couronne.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a estimé qu'il importait de mieux définir le rôle et les missions respectifs de l'Etat et des collectivités territoriales, relevant que la décentralisation n'était pas achevée et s'apparentait parfois à de la déconcentration.

M. Jacques Mézard a remarqué que la décentralisation avait aggravé les inégalités entre territoires, leurs ressources s'étant déséquilibrées fortement dans le cadre de ce processus.

M. Dominique Braye a appelé à l'indispensable achèvement de la carte de l'intercommunalité qui devrait, parallèlement, être rationalisée. Il s'est déclaré persuadé qu'aucun échelon territorial ne pourra être supprimé. Il a, enfin, posé la question du rôle des pays.

En réponse, le délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) a observé que les pays avaient été très souvent considérés comme des enjeux de pouvoir. S'interrogeant sur la question de leur suppression, il a considéré qu'on ne pouvait les interdire.

M. Claude Belot, président, a toutefois estimé nécessaire de procéder à une simplification des structures des pays.

M. Pierre-Yves Collombat a approuvé les propos du délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires, en se déclarant, toutefois, opposé à la suppression des petites communes qui, pour lui, sont peu coûteuses ; il a souhaité connaître son avis sur l'attribution de compétences spécialisées -à définir- au département et à la région : pour lui, le département est responsable des territoires ruraux et de la solidarité rurale et sociale, alors que le développement économique, la formation professionnelle et l'emploi doivent être réservés à la région.

M. Charles Guené a soumis à M. Pierre Dartout deux questions : celle d'une péréquation financière établie dans un nouveau pacte républicain, « acte III de la décentralisation », et celle des relations entre les deux couples commune/intercommunalité, d'une part, et département/région, d'autre part.

M. Pierre Dartout s'est déclaré très favorable à l'obligation législative, pour chaque commune (hors Ile-de-France), d'intégrer une intercommunalité dans un délai à déterminer. Par ailleurs, il a estimé que les pays pouvaient servir de liens de « contractualité » entre les collectivités autres que l'Etat, leur périmètre devant être, selon lui, révisé et fixé autoritairement.

Le rapporteur Yves Krattinger a soutenu une rationalisation de ces périmètres.

Le délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires a souligné la difficulté à déterminer le périmètre idéal. Pour lui, il importe de définir des seuils minima, appréciés selon la situation des collectivités (zones montagneuses, outre-mer...).

Abordant la question des compétences des départements, il a estimé qu'au regard de la contrainte budgétaire, le bon sens inclinait à retenir le choix de compétences exclusives, établies en fonction des capacités financières de chaque collectivité et de l'existence éventuelle d'une métropole en son sein.

Il est convenu que les petites communes assumaient des prestations au moindre coût avec une optimisation de l'efficacité. Se référant au système allemand de péréquation entre Länder, il a estimé souhaitable que les collectivités territoriales puissent maîtriser des masses fiscales.

En conclusion, le président Claude Belot a demandé au délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires que puisse être dressé un état des lieux qualitatif de l'intercommunalité.

Audition de M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), président du conseil général des Côtes-d'Armor

La mission a procédé ensuite à l'audition de M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), président du conseil général des Côtes-d'Armor.

A titre introductif, M. Claudy Lebreton a souligné que la décentralisation, dont l'objectif est l'efficacité de l'action publique à des coûts maîtrisés, constituait une réforme essentielle à la modernisation de la France, et qu'elle devait se poursuivre. Faisant valoir qu'un des enjeux actuels de la décentralisation était de parvenir à rendre compte de la très grande diversité des situations locales, il a exposé les propositions de l'Assemblée des départements de France sur les questions de la clarification des compétences, des finances publiques, en particulier de la fiscalité, et de la démocratie territoriale.

Estimant que la clause générale de compétence offrait une réponse aux difficultés que pose l'hétérogénéité des territoires et des moyens des collectivités, il s'est prononcé pour son maintien. Il a jugé que la clarification des compétences pouvait être mise en oeuvre en distinguant trois types d'attributions : en premier lieu des compétences primaires, propres à un niveau de collectivité. Il a ainsi proposé que le département soit reconnu comme l'échelon des solidarités sociales et territoriales. Le deuxième type de compétence correspondrait aux compétences partagées comme la culture, le sport ou le tourisme qui pourraient être réparties en début de mandature entre les différents niveaux de collectivités, sur la base d'un schéma régional élaboré de manière concertée entre les différents acteurs concernés. Il a jugé qu'un tel dispositif permettrait d'adapter l'action locale aux spécificités des territoires. Plaçant à part la compétence de développement économique et s'interrogeant sur le « chef-de-filat », il a considéré que son attribution à une seule collectivité n'était pas une bonne solution et il a proposé qu'elle fasse l'objet d'un partage entre les différents échelons territoriaux, évoquant la possibilité, dans les cas de cofinancements, que l'instruction des dossiers de développement économique soit unifiée. Il s'est par ailleurs prononcé pour l'approfondissement des transferts de pouvoir réglementaire de l'État à destination des collectivités territoriales.

Examinant la question des finances et de la fiscalité locales, M. Claudy Lebreton a jugé nécessaire que les collectivités territoriales soient obligatoirement associées aux décisions de l'État susceptibles de peser sur les budgets locaux. Il s'est déclaré opposé à la mise en place d'un impôt unique par collectivité et a privilégié la solution consistant à accorder aux collectivités locales un panier d'impôts qui comprendrait notamment une recette spécialisée et propre à la catégorie de collectivité concernée dont la base fiscale serait en rapport avec sa compétence primaire. Il a considéré que, pour le département, cette recette spécifique pourrait être une part de la contribution sociale généralisée (CSG).

M. Claudy Lebreton a enfin exposé les propositions de l'Assemblée des départements de France sur la démocratie territoriale. Il a proposé que soit mis en place le renouvellement unique des conseillers généraux tous les six ans, qu'il soit procédé au redécoupage des cantons pour réduire les écarts de population et qu'une nouvelle dénomination soit donnée aux conseils généraux. Soulignant que s'il y avait unanimité parmi les membres de l'Assemblée des départements de France sur la nécessité de réformer le mode de scrutin cantonal, il n'y avait pas d'accord sur le mode de scrutin à retenir, il a proposé à titre personnel que le mode de scrutin actuel soit conservé pour les territoires ruraux et qu'un mode de scrutin proportionnel soit mis en place dans les agglomérations urbaines. Rappelant que cette question serait prochainement débattue au sein de l'Assemblée des départements de France, il a conclu son intervention en évoquant la nécessité de réfléchir sur le statut de l'élu local afin de garantir à chacun un traitement équitable.

M. Claude Belot, président, a remercié l'intervenant pour ses propos et, avant de lancer le débat, a souligné l'intérêt de la clause de compétence générale lorsque certaines collectivités n'exercent pas les compétences qui leur incombent, ce qui oblige d'autres collectivités à les exercer à leur place. Il a également mis en avant les problèmes de coordination, de liens fonctionnels entre les départements et les régions.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a interrogé M. Claudy Lebreton sur l'application du principe de subsidiarité pour l'administration des territoires. Il a ensuite évoqué la lancinante question de la péréquation, horizontale et verticale : comment mieux traiter les territoires en difficulté ? Il a ensuite demandé quelles pouvaient être les synergies entre la réorganisation des services territoriaux de l'Etat, dans le cadre de la RGPP, et celle des administrations locales.

Par ailleurs, M. Yves Krattinger, rapporteur, M. Charles Guené et M. Rémy Pointereau ont souhaité connaître la position de l'Assemblée des départements de France sur les projets évoqués dans la presse de rapprochement entre départements et régions.

M. Charles Guené s'est interrogé sur les finances et la fiscalité locales. Il a ensuite évoqué plusieurs questions liées à la gouvernance, notamment dans le cas où la compétence principale du département serait la solidarité sociale et territoriale.

M. Rémy Pointereau a rappelé que la mission se devait de dégager des solutions fortes et innovantes, notamment sur la question de la clarification des compétences. En ce qui concerne la compétence de solidarité territoriale qui pourrait être attribuée aux départements, il a posé le problème de la taille de certains départements et de leurs capacités financières. Il a enfin insisté sur le fait que la compétence liée à l'action économique devait être exercée au plus près possible du terrain.

M. Claude Bérit-Débat s'est interrogé sur la place des intercommunalités dans la conférence régionale des élus qui déciderait de la répartition de certaines compétences en début de mandat. Concernant l'idée de la spécialisation de l'impôt, il a rappelé que la plupart des intercommunalités sont maintenant dotées de la taxe professionnelle unique et connaissent donc déjà cette spécialisation. Il a enfin trouvé intéressantes les idées présentées par M. Claudy Lebreton en matière de mode de scrutin.

M. Pierre-Yves Collombat a mis en avant le fait que les chevauchements de compétences provenaient souvent d'un manque de moyens financiers et/ou d'un manque d'initiative de la part de certaines collectivités. Il s'est demandé comment avancer dans le débat et les propositions sans mettre de côté la clause de compétence générale.

M. Marc Laménie a rappelé que le maire et le conseiller général sont les interlocuteurs de proximité en zone rurale. En soulignant que chaque collectivité avait en définitive trouvé sa place et son rôle, il s'est interrogé sur l'autonomie financière des autorités locales.

Pour M. François Patriat, on sort d'une période où tout le monde voulait tout faire, mais, avec les difficultés financières des collectivités, sera-t-il possible à l'avenir d'assumer la clause de compétence générale ? Il a d'ailleurs lié la question de la clause de compétence générale avec celle des financements croisés. Par ailleurs, M. François Patriat a souligné les vertus de l'expérimentation. S'il n'envisage pas de supprimer un échelon territorial, il souhaite renforcer la lisibilité et l'efficacité de l'action locale, par exemple par un peignage fin des compétences.

M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, a ensuite répondu aux questions posées. Il a tout d'abord estimé que la clause de compétence générale était certainement à la base du succès de la décentralisation, car elle avait permis aux collectivités de développer des politiques innovantes et adaptées à leurs territoires. A ce sujet, il s'est interrogé pour savoir si l'on devait apporter les mêmes réponses à tous, alors même que leurs territoires sont très hétérogènes. La subsidiarité doit ainsi inspirer l'action publique pour s'adapter aux territoires : M. Claudy Lebreton a émis l'idée de développer des délégations de compétences entre collectivités par le biais de conventions.

Il a également souligné la force financière des départements, dont le budget total s'élève à 62 milliards d'euros, alors que celui des régions n'est que de 24 milliards. Pour M. Claudy Lebreton, les régions restent ainsi des collectivités de mission, de projets, notamment tournées vers l'Europe, mais non des collectivités de proximité ; les départements ont plutôt pour rôle dans ces conditions d'accompagner les petites collectivités.

En matière financière, M. Claudy Lebreton a estimé qu'un projet devrait être financé à un niveau minimum par son maître d'ouvrage. Plus généralement, il a noté que les bons gestionnaires publics étaient plutôt les collectivités territoriales, que ce soit en termes de déficit ou de dette, notamment du fait de la grande proximité entre les élus et l'administration locale.

Enfin, sur la question du rapprochement entre les fonctions de conseiller général et celles de conseiller régional, il s'est interrogé sur la légitimité d'un tel projet et a mis en avant la difficulté en termes de finances publiques : pour lui, certains élus adopteraient les recettes de la collectivité, d'autres groupes d'élus (par département) devraient voter les dépenses à partir de ce niveau de recettes.