Mardi 20 janvier 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Philippe Josse, directeur du budget

La commission a procédé à l'audition de M. Philippe Josse, directeur du budget, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, comme toutes les lois de programmation, cette future loi constituerait un déterminant important pour l'évolution des finances publiques au cours des six prochaines années. C'est pourquoi il est très souhaitable de recueillir les éclairages du directeur du budget.

Il a précisé que M. Philippe Josse, membre de la Commission du Livre blanc, avait participé, très en amont, aux réflexions et à la préparation des arbitrages sur la base desquels ce projet de loi a été élaboré. De même, il participera au comité financier, dont la création est prévue par le Livre blanc, et qui sera chargé de procéder « à un examen contradictoire de la soutenabilité financière de la programmation et au suivi régulier de la politique d'engagements du ministère en matière d'investissements ».

Cette loi de programmation innove en institutionnalisant le dialogue entre le ministère de la défense et celui du budget, avec l'objectif de l'améliorer et de limiter les sources de blocage nuisibles à la mise en oeuvre de la loi.

Il a observé que, comme les précédentes, la LPM couvrirait une période de six ans, mais qu'un point d'étape d'ensemble doit être réalisé dès 2010, à l'occasion de l'élaboration du prochain budget triennal, et qu'une révision de la loi sera opérée au bout de quatre ans, avec l'adoption d'une nouvelle loi de programmation couvrant la période 2013-2018.

Il a souhaité des éclairages sur le cadrage financier retenu, qui doit permettre d'augmenter très sensiblement les crédits d'équipement, ainsi que sur les incidences du plan de relance, qui vient modifier le profil des annuités de la LPM.

Procédant tout d'abord à un bref bilan de la loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008, M. Philippe Josse a porté les appréciations suivantes :

- la loi de programmation a été globalement satisfaisante sur le plan financier. Les crédits de la mission « Défense », qui atteignaient 25 milliards d'euros en 2002, ont été portés à 30 milliards d'euros en 2008, hors gendarmerie et hors pensions, soit une progression de quelque cinq milliards d'euros, permettant d'injecter chaque d'année dans la défense une somme presque équivalente au budget de la justice. La loi a été globalement respectée en construction et en exécution budgétaire (à l'exception de l'année 2004) ;

- la LPM 2003-2008 a été une loi de recapitalisation de l'outil de défense. Sur les cinq milliards d'augmentation, 3,5 ont ainsi été consacrés à l'équipement ;

- la période de programmation a permis le traitement de l'essentiel de la question du financement des surcoûts liés aux opérations extérieures dont le provisionnement en loi de finances initiale est passé de 24 millions d'euros en 2002 à 510 millions d'euros en 2009 ;

- le point noir de l'exécution de la loi est la mise à mal de la cohérence « physico-financière » par la dérive du coût des programmes et par des difficultés industrielles.

M. Philippe Josse a considéré que les leçons du bilan de la précédente LPM avaient été tirées pour l'élaboration de la programmation 2009-2014, à la fois pour la méthode utilisée et les résultats obtenus.

La méthode a tout d'abord été marquée par une transparence accrue à l'égard de l'ensemble des acteurs. Un vrai travail d'équipe a été réalisé sur le bouclage « physico-financier » de la loi. Le choix de raisonner sur l'ensemble de la mission « Défense » au sens de la LOLF permet d'éviter les difficultés de périmètre et incite à réaliser des économies sur les dépenses courantes qui sont recyclées au profit des programmes d'équipement. Une concordance parfaite est ainsi organisée entre le périmètre de la loi de programmation militaire et celui des budgets qui lui succéderont. Cette articulation est également assurée entre la LPM et le budget triennal. Le ministère du budget est généralement considéré comme hostile aux lois de programmation au motif qu'elles sont sectorielles et trop ambitieuses, sans cadrage programmatique de l'ensemble du budget. Ce n'est plus le cas grâce au budget triennal. Dans le cas de la LPM, la concordance avec le budget triennal est ainsi une garantie de bonne exécution et elle est bénéfique pour la gestion publique en prenant mieux en compte le temps de mise en oeuvre de réformes qui excèdent l'annualité budgétaire, telles que la mise sur pied des bases de défense ou l'exécution des programmes d'armement.

En termes de résultats, le Livre blanc prévoit une enveloppe de 377 milliards d'euros sur douze ans, dont 185 milliards sur la période 2009-2014, qui est celle de l'actuelle LPM. Le principe de « zéro volume » s'applique en 2009, 2010 et 2011, le volume de crédits étant ainsi stabilisé au niveau élevé atteint en 2008. A partir de 2012, la progression des ressources est de 1 % par an en volume.

Évoquant la « bosse » de la programmation, M. Philippe Josse a indiqué qu'une telle augmentation des besoins en crédits de paiement pouvait s'analyser soit comme un écart entre les ressources disponibles et les crédits nécessaires pour atteindre le modèle de programmation, soit comme la nécessité d'honorer un volume important d'engagements juridiques passés. En l'occurrence la « bosse » de 6 milliards d'euros était surtout une bosse programmatique liée à un écart entre les ressources et le modèle.

Cet écart est résorbé selon quatre modalités :

- 2015 n'est plus l'échéance pour la réalisation du modèle, la programmation du Livre blanc allant jusqu'à 2020 ;

- le modèle a été révisé, avec des économies sur les programmes ;

- les économies réalisées sur les titres 2 et 3 sont recyclées sur l'effort d'équipement ;

- des ressources exceptionnelles tirées de cessions d'actifs viennent abonder les années 2009-2010-2011.

Evoquant les questions posées pour l'avenir, M. Philippe Josse a estimé qu'un effort substantiel avait été accompli sur le financement des opérations extérieures. Cet effort sera poursuivi, la provision étant portée à 630 millions d'euros en 2011. C'est un bon niveau de provisions. Les montants atteints en 2008 sont certes supérieurs mais, outre qu'il s'agit de surcoûts bruts, hors remboursement des Nations unies, ces montants sont liés au choix européen de financer, via le mécanisme Athéna, les coûts de structure de l'opération EUFOR au prorata des hommes déployés sur le terrain, ce qui désavantage la France mais n'a pas vocation à durer.

Pour ce qui concerne les ressources exceptionnelles issues de cessions d'actifs, le mécanisme est vertueux tant du point de vue de l'effort de défense que du point de vue budgétaire puisque les cessions de l'immobilier parisien du ministère de la défense lui permettront de se doter d'installations plus modernes et plus efficaces. Le régime du compte d'affectation spéciale permet de sécuriser les ressources et si le régime juridique retenu permet à une société d'acheter en bloc les différents immeubles, la cession de gré à gré de certains lots reste possible. Le dispositif est opérationnel.

En matière de cohérence physico-financière, les objectifs sont de rendre plus sincère l'évaluation du coût des programmes d'armement, d'éviter la surspécification des programmes, de fiabiliser l'information financière des différents acteurs et de savoir mettre l'industrie sous tension. A cet effet, différents comités ont été installés ; le comité financier s'assurant de la soutenabilité des programmes et de la bonne cohérence entre le physique et le financier.

M. Philippe Josse a ensuite évoqué le plan de relance, rappelant que ce plan faisait une place très importante à l'équipement militaire selon quatre modalités :

- 1,425 milliard d'euros est ouvert en autorisations d'engagement par la loi de finances rectificative pour 2009 pour l'équipement militaire stricto sensu. Les crédits de paiement correspondants seront ouverts en deux tranches ; la première, pour 2009, est de 725 millions d'euros ;

- 110 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement sont ouverts pour le financement d'études amont de technologie de défense ;

- 220 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 150 millions d'euros de crédits de paiement sont inscrits au titre de l'immobilier de la défense.

Au total, ce sont 1,755 milliard d'euros d'autorisations d'engagement et 985 millions d'euros de crédits de paiement qui sont mobilisés en 2009.

Au-delà des crédits budgétaires nouveaux, le ministère de la défense a été autorisé à consommer 500 millions d'euros de crédits issus de reports des gestions précédentes. Pour 2009, il s'agit bien d'une augmentation nette qui permet d'accélérer des investissements.

Les crédits anticipés seront soustraits des annuités à venir sur l'ensemble de la période de programmation jusqu'en 2020. En net, la programmation 2009-2014 sera donc majorée dans la mesure où les augmentations de 2009-2010 ne seront pas intégralement compensées d'ici 2014.

A court terme, c'est une majoration nette de l'effort de défense même si la programmation reste identique sur douze années, à 377 millions d'euros.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné que si la provision en loi de finances initiale pour le financement des opérations extérieures était portée à 630 millions d'euros, le surcoût à financer en 2008 avait atteint le milliard d'euros, ce qui laissait persister une impasse à financer. Il s'est interrogé sur le fonctionnement de la société de portage immobilier et sur les 600 millions d'euros inscrits au budget 2009 au titre de la vente de fréquences. Évoquant l'avenir de l'A400M, il s'est interrogé sur la capacité de l'entreprise à supporter l'ensemble des pertes liées à ce programme et sur leur impact éventuel sur le budget de la défense. Il a enfin souhaité savoir si les crédits prévus par la loi de programmation permettaient de répondre aux défis du maintien des capacités technologiques et industrielles françaises.

M. Philippe Josse a apporté les précisions suivantes :

- le montant atteint par les surcoûts OPEX en 2008 est de 833 millions d'euros et constitue un pic historique. La tendance moyenne des années précédentes se situe plutôt autour des 630 millions d'euros atteints en 2007. En outre, ces 833 millions d'euros en 2008 constituent le surcoût brut, ramené à 770 millions d'euros après remboursement par les Nations unies et l'OTAN. Il est évident que si l'on reste à ce niveau en 2009, un besoin de financement demeure qui n'est pas insurmontable par rapport à la masse financière du ministère. Ces efforts ne dispensent pas d'une revue des différentes opérations pour bien optimiser l'effort de défense ;

- en matière immobilière, l'Etat s'est donné les moyens juridiques de constituer une société commune à la SOVAFIM et à la Caisse des dépôts. Cette formule n'est qu'une option, l'essentiel étant d'optimiser l'immobilier de l'État. Il est vrai que le contexte est moins favorable mais les investisseurs restent demandeurs de cessions occupées, ce qui est le cas pour les immeubles de la défense ;

- sans se prononcer sur le fond du dossier de l'A400M, on peut affirmer qu'il n'y a pas de porosité entre le capital social d'EADS et le budget d'équipement militaire ;

- sur les études amont de défense, il est compréhensible que les bureaux d'études aient demandé plus qu'ils n'ont obtenu. Aux 700 millions d'euros prévus par la LPM, soit un peu plus que la reconduction de l'existant, s'ajoutent 110 millions d'euros du plan de relance (hors nanotechnologies). Il faut veiller à ne pas développer des rentes de situation sur longue période.

Mme Dominique Voynet s'est interrogée sur la crédibilité des hypothèses de cessions d'actifs et sur leur contribution à la résorption de la « bosse ».

M. André Dulait s'est interrogé sur les modalités d'apurement de la dette des Nations unies et de l'Union européenne sur les OPEX. Évoquant l'évolution du titre 2, il a souhaité connaître les marges attendues de la réduction des effectifs alors que les dernières années ont été marquées par la consommation intégrale des crédits du titre 2 et que persistaient d'importants sous-effectifs.

M. François Trucy a souhaité des précisions sur la vente de fréquences et sur les crédits du plan de relance.

M. Robert del Picchia a souhaité connaître les sociétés concernées par le plan de relance.

M. Daniel Reiner a considéré que l'histoire des lois de programmation militaire incitait à beaucoup de modestie. Il a souhaité connaître le montant des crédits reportés et ce qu'il adviendrait de ceux qui ne s'intégraient pas dans le plan de relance. Il s'est interrogé sur la possibilité de mobiliser les ressources exceptionnelles dès l'année 2009.

M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur le financement des opérations extérieures et sur les systèmes d'armes concernés par le plan de relance. Il a souhaité être éclairé sur la cohérence entre les besoins opérationnels et les chaînes de montage prêtes à tourner.

M. Didier Boulaud a souhaité des précisions sur le projet de Pentagone à la française et sur le recours à un partenariat public-privé. Il s'est étonné que des travaux d'amélioration soient réalisés dans des établissements dont la fermeture a été annoncée. Il a souhaité connaître les conditions d'accueil par les collectivités locales des personnels de la défense et l'existence éventuelle d'aides spécifiques.

M. Philippe Josse a apporté les précisions suivantes :

- s'il ne devait pas y avoir de réorganisations à l'appui des diminutions d'effectifs, ce serait dommageable mais du fait de ces réorganisations, les suppressions de postes ne sont pas des coupes, elles ne portent pas atteinte à la capacité opérationnelle des armées et concernent la fonction soutien pour près de 80 %. Elles résultent de la modification des contrats opérationnels, de la mise en place des bases de défense et de nouvelles applications informatiques qui permettront des gains de productivité ;

- l'évolution du titre 2 dépend d'un grand nombre de paramètres comme l'évolution de la valeur du point d'indice, le plan d'amélioration de la condition du personnel, le glissement vieillesse technicité qui joue en négatif du fait du renouvellement rapide des effectifs de la défense. Une clause de rendez-vous est néanmoins prévue et indispensable pour surveiller cette évolution globale. Dans l'immédiat, la dynamique implicite et sous-jacente du titre 2 paraît parfaitement soutenable ;

- le support juridique pour la réutilisation du produit de la cession de fréquences existe. Felin, la première fréquence cédée, devra l'être en même temps que les fréquences analogiques de télévision, dénommées dividende numérique. Il n'est pas nécessaire que les opérateurs soient effectivement en mesure d'utiliser les fréquences pour réaliser les opérations de cessions et, par suite, que l'Etat encaisse une recette. Le dossier est confié à l'ARCEP, dont le président est M. Jean-Claude Mallet. Même si le calendrier est extrêmement tendu, il n'y a pas de raison de ne pas le tenir. Les crédits d'un compte d'affectation spéciale peuvent être librement reportés ; l'important est de garantir l'équilibre emplois-ressources sur la période de programmation ;

- le calcul des coûts bruts des OPEX -et non pas des surcoûts- est particulièrement complexe dans la mesure où, lorsque les militaires perçoivent l'indemnité pour service à l'étranger, d'autres indemnités ne sont plus servies ;

- l'ONU rembourse un forfait de 1 100 dollars par homme et par mois (soit un peu moins de 900 euros), ce qui représente environ un quart du coût total. Elle verse aussi un forfait pour l'utilisation des matériels. Pour les chars Leclerc, ce forfait est de 6 000 euros, pour un coût réel de près de 300 000 euros. 52 millions d'euros de remboursement devraient être perçus au titre de l'année 2008 ;

- le coût des installations de Balard n'est pas encore précisément connu. Il ne concerne pas majoritairement l'actuelle LPM ;

- le plan de relance ne comprend pas uniquement l'autorisation de consommer des crédits de reports, il ouvre également des crédits nouveaux. Les 500 millions d'euros de crédits de reports proviennent des exercices précédents et ne sont pas dans le modèle des 377 milliards sur douze ans ; ils sont additionnels. La consommation des crédits de reports, au demeurant très anciens, n'est pas un droit ;

- la cohérence militaire de la relance existe à travers l'accélération de certains programmes d'armement mais l'objectif prioritaire est la relance économique. Les crédits anticipés seront repris par la suite mais, sur l'ensemble des douze années de programmation, la première loi de programmation bénéficiera donc de davantage de crédits qu'initialement prévu tandis que ce sera l'inverse pour la seconde.

Mercredi 21 janvier 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Loi de programmation militaire 2009-2014 - Audition du général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées

La commission a procédé à l'audition du général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, a estimé que le projet de loi de programmation militaire 2009-2014 marquait le lancement d'une réforme délicate appelant de la part des armées beaucoup de constance et un travail considérable d'adaptation. Partant des acquis de la précédente loi, le projet prend en compte les orientations capacitaires découlant du Livre blanc, les réformes liées à la révision générale des politiques publiques et les retours d'expérience des engagements opérationnels récents. La future loi accompagnera une transformation de l'outil de défense au moment même où les armées sont engagées dans des missions difficiles marquées par le retour des opérations de guerre. En permanence, 13 000 soldats français sont engagés en missions extérieures, 35 000 participent aux missions de présence et de souveraineté et près de 2 000 sont engagés dans les missions quotidiennes de sûreté sur le territoire national. Il est essentiel de conserver à l'esprit que l'unique raison d'être du ministère de la défense demeure le maintien d'une armée opérationnelle.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a souligné que le projet de loi de programmation militaire traduisait en termes physiques et financiers la volonté forte exprimée par le Président de la République en matière de défense. Il permettra à la France de rester parmi les puissances, peu nombreuses, capables d'assurer leur sécurité et d'appuyer leur diplomatie sur des capacités militaires crédibles, et il prolongera de façon très significative l'effort de recapitalisation de l'outil de défense entamé lors de la précédente loi de programmation.

Première étape de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale, la loi de programmation organisera la transformation des forces, sous-tendue par de nouveaux contrats opérationnels, tout en garantissant en permanence l'efficacité de l'outil militaire.

La priorité donnée à la fonction connaissance et anticipation se traduira, à terme, par un doublement des budgets alloués au domaine spatial. Au-delà de la poursuite des programmes en cours de réalisation, plusieurs opérations lourdes, dont les premiers effets sont attendus à partir de 2015, seront lancées, notamment le futur système d'observation spatiale Musis et le satellite d'écoute électromagnétique Ceres. Le renforcement des effectifs et la rationalisation de la chaîne de renseignement sont également programmés.

Le rôle dévolu à la fonction dissuasion est conforté. Maintenue à un niveau de stricte suffisance, la dissuasion demeure un fondement essentiel de la stratégie française. Au cours de la période 2009-2014, l'effort portera sur la modernisation des deux composantes, avec la mise en service d'un quatrième sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération et la livraison des missiles M51 et ASMPA. Cet effort portera également sur la préparation de l'avenir avec la poursuite du développement du programme de simulation.

Pour la fonction intervention, l'effort sera porté sur la modernisation de l'outil de combat aéro-terrestre, la modernisation progressive de l'outil de combat aérien, la projection et la mobilité, les appuis et la frappe dans la profondeur, ainsi que les structures de commandement et le renseignement. Il s'agira également de renforcer la protection des combattants et des zones de stationnement. Les études de définition des équipements à venir ont pris en compte les nouveaux besoins liés à la mobilité sur les théâtres, aux engagements dans les zones urbaines ou d'accès difficile et ceux liés à la maîtrise des effets à travers l'acquisition de munitions de précision.

Pour les deux autres fonctions stratégiques, il s'agira essentiellement de recentrer le dispositif de prévention et de développer les capacités de protection de la population et du territoire national.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé que, à la fin de la période de programmation, la capacité d'appréciation autonome des situations serait nettement renforcée, cinq brigades terrestres seraient entièrement numérisées et la proportion d'armes concourant à la frappe de précision serait doublée tout en étant diversifiée, grâce aux missiles de croisière équipant les frégates multi-missions puis les sous-marins d'attaque Barracuda, et à la mise en oeuvre de l'armement air-sol modulaire (AASM) sur le Rafale.

Il a ajouté qu'au cours de la période 2015-2020, l'accent serait porté sur la poursuite de la modernisation des forces terrestres, avec la livraison des blindés multirôles et de reconnaissance destinés à remplacer l'AMX 10RC et les véhicules de l'avant blindés (VAB), sur la modernisation des capacités des avions de combat, sur la poursuite du renouvellement de la flotte de surface, notamment pour les capacités amphibies et de projection maritime, et sur l'acquisition des premiers moyens dédiés à l'alerte avancée.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé qu'avec 185 milliards d'euros de crédits de paiement consacrés à la mission défense, hors charges de pensions, le projet de loi de programmation respectait un bon équilibre entre les effectifs, le fonctionnement, l'entraînement, les équipements et les munitions.

Il a précisé que les crédits consacrés à l'activité et au fonctionnement des armées, fixés à 11,2 milliards d'euros, seraient en diminution par rapport à la période précédente compte tenu de la réduction des effectifs et des gains attendus de la réforme en cours, mais qu'ils permettraient de maintenir les objectifs annuels d'activité en cohérence avec les standards d'entraînement de l'OTAN.

Les crédits de masse salariale, hors pensions, s'élèveront à 63 milliards d'euros, en cohérence avec la diminution attendue des effectifs. Ils permettront en particulier de poursuivre le plan d'amélioration de la condition du personnel.

Les crédits d'équipement atteindront 101 milliards d'euros sur la période, passant de 16,6 milliards d'euros en 2009 à 18 milliards d'euros en 2014, soit une augmentation de 9% au-delà de l'inflation théorique. Cette croissance se poursuivra chaque année pour atteindre 20,2 milliards d'euros en 2020.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que la mobilisation de recettes exceptionnelles représenterait 3,7 milliards d'euros sur la durée prévue par la loi, près de 90% de ce montant devant être attribués au cours des trois premières années.

Il a souligné que l'ensemble des économies dégagées par la mise en oeuvre de la réforme serait entièrement réutilisé au profit de la défense, au travers des mesures d'amélioration de la condition du personnel et d'une majoration globale de 6 milliards d'euros des crédits d'équipement pour l'ensemble de la période.

Il a évoqué l'impact positif du plan de relance économique, avec notamment l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement, ainsi que la livraison plus rapide qu'initialement envisagée des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des Rafale et des petits véhicules protégés (PVP). Il a précisé que ce plan constituait une avance sur les crédits des deux prochaines lois de programmation, à l'exception de 2 Caracal et de 15 véhicules blindés Aravis. Ces derniers relèvent d'acquisitions en urgence opérationnelle, tout comme certaines munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Par ailleurs, le plan de relance permet l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin s'est félicité de l'effort important prévu au profit des équipements et du maintien en condition opérationnelle, en augmentation de 8% en moyenne sur 2009-2014 par rapport à 2008, et des mesures sociales d'accompagnement de la réorganisation des armées.

Il a considéré que le projet de loi permettrait de remplir les objectifs fixés à condition de réussir la « manoeuvre » des effectifs qui se déroulera au cours des sept prochaines années.

Il a ajouté que les contraintes financières conduisaient à devoir accepter des réductions temporaires de capacités dans des domaines tels que le transport aérien, le combat aéroterrestre, avec le nécessaire maintien en service d'une partie des VAB et la diminution de la capacité à tirer des missiles à longue portée à partir d'hélicoptères, la composante navale, qui sera durablement en deçà de l'objectif en termes de frégates, d'hélicoptères embarqués et de missiles anti-navires, et enfin le combat aérien, où la polyvalence des Mirage 2000D ne sera pas réalisée avant 2018/2019.

Dans ces conditions, l'intégralité de la cible finale des objectifs du Livre blanc ne pourra être atteinte qu'à l'horizon 2023-2025.

En conclusion, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a fait part de certains sujets de préoccupation.

Il a constaté que le solde de gestion 2008 se traduisait par une encoche de 700 millions d'euros pénalisant l'entrée dans la nouvelle programmation.

Il a estimé que la réalisation de la loi de programmation reposerait en partie sur la capacité des industriels à maîtriser les coûts de production et de maintien en condition opérationnelle.

Il a souligné l'ampleur inégalée des mesures à mettre en oeuvre en matière de ressources humaines. Au cours des six prochaines années, le format des armées sera réduit de 17%, passant en 2014-2015 à 225 000 hommes et femmes, dont 192 600 militaires, soit l'équivalent des effectifs du Marine Corps américain. L'effort de déflation sera trois fois supérieur à celui de la période de professionnalisation. Sur la base d'un ratio de 75% de militaires pour 25% de civils, les effectifs diminueront de 4 000 officiers, 18 000 sous-officiers, 18 200 militaires du rang et 13 500 civils. L'effort portera essentiellement sur les soutiens qui devront représenter 75% de ces déflations.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a indiqué que, pour ne pas tarir la source de recrutement des militaires, les mesures de reclassement dans la fonction publique devraient être mises en oeuvre dans des conditions optimales et les mesures d'accompagnement au départ devraient être attractives. Il faudra également que les engagements en matière de masse salariale soient effectivement respectés.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a également mentionné, parmi les sources de préoccupation, la concrétisation effective des ressources planifiées, les recettes exceptionnelles, les incertitudes lourdes pesant sur certains programmes d'armement, en tout premier lieu l'avion A400M dont le retard risque de prolonger de façon inquiétante le déficit en capacité de transport aérien, et enfin les conditions de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique, afin de ne pas fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux lois de programmation. Il a observé que les facteurs de succès ne dépendaient pas uniquement du seul volontarisme du ministère de la défense mais exigeaient une véritable mobilisation entre les ministères et au sein de la fonction publique, ainsi que le soutien de la représentation nationale.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la commission.

M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'au cours des déplacements réalisés sur les théâtres d'opérations, les membres de la commission avaient constaté le vieillissement de certains matériels, notamment les hélicoptères et avions de transport. Il s'est demandé ce qu'était, dans ces conditions, la capacité de la France à participer à d'éventuelles nouvelles opérations. Abordant le coût de ces opérations, il a relevé que la future LPM assurerait leur couverture à hauteur de 630 millions d'euros jusqu'en 2011, et que cette somme était inférieure au coût constaté en 2008. Il a souhaité savoir dans quelle mesure pouvait être escomptée une réduction du surcoût des opérations extérieures au cours des prochaines années. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences, pour les capacités opérationnelles, de l'étalement envisagé de certains programmes, comme les hélicoptères, les frégates et les véhicules blindés, et a souhaité savoir si des solutions palliatives telles que des locations de matériel, des achats sur étagère ou des mutualisations entre pays européens étaient envisagées.

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :

- les effectifs militaires des trois armées, qui passeront de 245 000 hommes, aujourd'hui, à 192 000 à la fin de la prochaine LPM, permettent clairement à la France de réaliser dans de bonnes conditions les déploiements extérieurs qui s'élèvent actuellement à 13 000 hommes en moyenne ;

- ces personnels disposent d'équipements adaptés, même s'il existe certaines difficultés, particulièrement dans les capacités de transport stratégique, de transport inter-théâtres et de recueil du renseignement. Ces difficultés peuvent être compensées par les moyens fournis par d'autres pays au sein des coalitions multinationales auxquelles la France participe ;

- notre pays doit cependant s'interroger sur la pertinence du niveau actuel de ses effectifs dans certaines opérations, voire sur le maintien de ces opérations elles-mêmes. Des allègements semblent possibles en Côte d'Ivoire, au Kosovo et au Liban. La mission de l'Union européenne au Tchad va être relevée en avril prochain par les troupes de la MINURCAT, sous l'égide des Nations unies, et celle déployée en Bosnie pourrait s'achever rapidement ;

- le conseil de défense réuni en 2002 avait décidé que le surcoût des OPEX serait intégralement financé par des crédits supplémentaires qui leur seraient spécifiquement affectés, suivant l'exemple des Etats-Unis d'Amérique ou du Royaume-Uni ; cette décision n'a malheureusement pas été suivie d'effet, puisque ces surcoûts sont financés, au sein du ministère de la défense, par des apports de crédits au demeurant inférieurs aux besoins. Ces crédits sont ainsi comptabilisés comme effort de défense. En 2008, le surcoût des OPEX devrait s'élever à 833 millions d'euros, alors que 460 millions seulement ont été provisionnés à cet effet, auxquels s'ajoutent 60 millions au titre de la réserve interministérielle. En dépit de ces insuffisances, la situation actuelle est un progrès considérable par rapport à celle qui prévalait avant 2002, époque à laquelle le surcoût des OPEX était financé par les crédits d'équipements ;

- le taux de disponibilité des matériels déployés sur les théâtres extérieurs avoisine les 95 % pour les matériels terrestres, et est un peu inférieur pour les matériels aéronautiques. Certains dysfonctionnements sont apparus sur le théâtre tchadien ; il conviendra d'en rechercher les causes. En revanche, en Afghanistan, la disponibilité des matériels militaires français est la meilleure parmi toutes les nations déployées sur ce théâtre : cette disponibilité est à la mesure des risques encourus par les militaires présents dans cette région. De plus, 104 millions d'euros ont été dégagés en 2008 pour financer, en urgence opérationnelle, les programmes nécessaires à un renforcement de la protection de nos soldats. Ainsi la disponibilité globale des équipements sur les théâtres extérieurs est-elle satisfaisante, même si certains, comme les hélicoptères, y sont exposés à une usure rapide. Le plan de relance va permettre, de surcroît, l'achat de pièces de rechange supplémentaires à hauteur de 186 millions d'euros.

M. Didier Boulaud a souligné que toutes les lois de programmation militaire qui se sont succédé ont été sous-exécutées, et que la LPM 2003-2008 n'échappait pas à cette constatation, comme semble l'indiquer un rapport de la Cour des comptes dont la commission n'a cependant pas été destinataire. Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences, en termes de personnels et de financement, de la réintégration de la France dans l'OTAN, soulignant que cette organisation est caractérisée par une lourde technocratie, que notre pays devrait s'attacher à alléger. Evoquant ensuite le programme de simulation nucléaire, il s'est interrogé sur les raisons du décalage de sa réalisation. Il s'est enfin enquis des mesures prévues pour inciter les collectivités territoriales, comme la fonction publique d'Etat, à recruter certains des personnels civils et militaires qui devront quitter le ministère de la défense dans le cadre de la suppression des 54 000 emplois prévue par la RGPP (révision générale des politiques publiques).

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que :

- la LPM 2003-2008 est certainement celle dont l'exécution financière a été la plus satisfaisante ;

- la France n'a pas à réintégrer l'OTAN, puisqu'elle ne l'a jamais quittée : en 1966, le Général de Gaulle a décidé de retirer nos forces du dispositif militaire intégré mis en place pour faire face aux troupes du pacte de Varsovie, mais ce dispositif n'existe plus aujourd'hui où ne subsistent que des états-majors. Avec la fin de la guerre froide, l'OTAN s'est déjà fortement restructurée, avec la création d'un commandement spécifiquement dévolu à la « transformation » et la suppression de nombreux états-majors. Par ailleurs, la France compte parmi les premiers contributeurs tant financièrement qu'en participation aux interventions qui se sont succédé depuis la crise des Balkans. Un rapprochement s'est déjà opéré en 1995, avec la décision de la France de participer au comité militaire, puis avec l'insertion de personnels dans les états-majors. La situation actuelle est donc paradoxale, la France consacrant d'importants moyens aux opérations de l'OTAN, sans disposer de représentants dans les structures de commandement où s'opère la maturation des décisions. Une plus grande place dévolue à la France au sein de l'OTAN s'accompagne, ainsi que l'a exprimé le Président de la République lors de ses récents voeux aux armées, d'une réelle consolidation de la politique de défense européenne. Par ailleurs, la présence pleine et entière de notre pays au sein de l'OTAN lui permettra de contribuer à mieux réformer cette organisation.

M. François Trucy, rapporteur spécial de la mission « défense » pour la commission des finances, a souhaité savoir combien de régiments seraient supprimés dans l'armée de terre, du fait des futures réductions d'effectifs. Il s'est également interrogé sur le périmètre géographique des futures bases de défense.

M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur les buts de guerre poursuivis par la coalition présente en Afghanistan, et les moyens les plus adéquats à mettre en oeuvre pour espérer remporter une victoire. Il a fait état de l'ardeur des populations animées par l'esprit du djihadisme, qu'on peut estimer à 1,2 milliard de personnes, et a exprimé le doute qu'une force d'une telle ampleur puisse être caractérisée comme « faible », par opposition à la force qui serait représentée par l'Occident. Il s'est étonné que le chef d'état-major des armées se déclare satisfait de l'état des matériels déployés en opération tout en admettant la réduction de certaines capacités comme la possibilité de délivrer des missiles à longue portée depuis les hélicoptères. Il a déploré que les capacités de frappe dans la profondeur soient réduites depuis l'abandon du lance-roquettes multiple, ainsi que l'insuffisance des blindés, ce qui constitue d'importantes défaillances dans les actions de guerre que nous avons à mener en Afghanistan, ces lacunes n'étant pas comblées par les indéniables qualités de matériels tels que le VAB ou le Caracal. Enfin, M. Jean-Pierre Chevènement a souhaité avoir confirmation que la réalisation du modèle d'armée esquissé dans la LPM 2009-2014 serait effective à l'horizon 2023-2025.

M. Daniel Reiner a souligné l'importance et la difficulté présentées par la réduction d'effectifs de 54 000 personnes requise par la RGPP, et s'est interrogé sur sa faisabilité. Il a également évoqué la création des bases de défense, dont onze mises en place en 2009 à titre expérimental, déplorant la diversité des problèmes à régler pour leur bon fonctionnement, comme l'unification des systèmes de comptabilité. Il s'est également interrogé sur une prise en compte réaliste des coûts de MCO (maintien en condition opérationnelle) des matériels par la LPM 2009-2014, coûts qui ont été notablement sous-évalués par la LPM 2003-2008.

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :

- la réduction de 54 000 postes au sein du ministère de la défense impliquera de doubler le recrutement d'anciens militaires par chacune des trois fonctions publiques ; ces recrutements pourront se faire sous le régime de l'article 70-2, ou sous celui, nouveau, du détachement-intégration. Seules des solutions locales, appuyées par la délégation aux reconversions, seront pertinentes. L'ampleur d'une telle réduction d'effectifs requiert indéniablement une réflexion interministérielle ;

- la simulation constitue un volet important de l'effort de dissuasion, effort qui représente 20 % des crédits d'investissement de la défense, soit au total 10 % des crédits affectés à cette mission : dans le cadre de la doctrine de stricte suffisance, les crédits affectés à cette fonction stratégique sont d'une ampleur limitée. Les programmes de simulation en cours suivent le calendrier prévu ;

- le redéploiement de l'armée de terre se traduira globalement par la dissolution en métropole de 18 régiments, de 30 détachements et de 6 états-majors ; la création des bases de défense est une mesure complexe à mettre en oeuvre : elle consiste à mutualiser l'ensemble des soutiens des différents organismes de la défense stationnés sur une aire géographique donnée, d'un rayon moyen d'une trentaine de kilomètres. Cette mutualisation portera sur le règlement de soldes, la gestion des effectifs ; il s'agit d'un schéma simple mais qui ne doit pas méconnaître les spécificités de la condition militaire ; en effet, la menace majeure pesant aujourd'hui sur notre armée réside dans une banalisation du métier militaire, qui ferait obstacle à l'accomplissement des missions assignées à l'armée. Par exemple, les travaux de soutien à effectuer en opérations, qu'il s'agisse de soutien des hommes ou des matériels, ne peuvent être correctement effectués que par des militaires, et cette évidence ne doit pas être occultée. Onze bases de défense expérimentales sont mises en place à compter de janvier 2009 : cette expérience requerra une durée suffisante pour pouvoir en tirer toutes les conclusions opérationnelles ;

- la décision d'intervenir sur le théâtre afghan relève de la responsabilité des hautes autorités de l'Etat. Celle du chef d'état-major des armées consiste à assurer sa mise en oeuvre dans de bonnes conditions. Il faut souligner que les unités envoyées en juillet 2008 dans la zone estimée fort dangereuse de Kapisa viennent de rentrer en France sans aucun blessé majeur, et en ayant contribué à une notable amélioration de la sécurité locale, ce qui témoigne de la qualité de la préparation des troupes françaises. La situation sécuritaire en Afghanistan peut être qualifiée de tendue, avec l'utilisation d'engins explosifs improvisés et le recours aux attentats suicide ; les talibans ne constituent pas pour autant une armée cohérente capable de conduire de réelles opérations militaires, à l'image de celles qui ont caractérisé les combats en Indochine ou en Algérie. Les deux bataillons français présents en Afghanistan bénéficient de moyens de renseignements, nationaux ou provenant de la coalition. Ils peuvent s'appuyer sur les hélicoptères Gazelle et Caracal, qui ont un bon taux de disponibilité. Il est donc impossible de dire que les troupes françaises sont insuffisamment dotées d'appuis de précisions, puisqu'elles disposent de ceux de la coalition, ainsi que de leur matériel propre ;

- le modèle d'armée résultant du Livre blanc pourrait en effet être réalisé à l'horizon 2023-2025.

Mercredi 28 janvier 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Coopération entre la France et l'Australie en matière de défense - Examen du rapport

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a d'abord procédé à l'examen du rapport de M. André Dulait sur le projet de loi n° 422 (2007-2008) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Australie concernant la coopération en matière de défense et le statut des forces.

M. André Dulait, rapporteur, a tout d'abord souligné qu'après les turbulences traversées par la relation bilatérale en 1995 suite à la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique, la France et l'Australie avaient renoué une relation de confiance et de qualité traduite par une coopération active dans de nombreux domaines.

Par les collectivités françaises du Pacifique et de l'océan indien (Nouvelle-Calédonie et Kerguelen), la France assume sa part de la stabilité et du développement de la région.

C'est principalement via les Forces Armées en Nouvelle-Calédonie, les FANC, qu'est mise en oeuvre cette coopération en matière de défense sous la forme d'exercices communs, d'échanges d'informations et d'escales.

De son côté, l'Australie souhaite élargir son champ d'intervention au-delà de la région et s'affirmer comme un acteur de la sécurité globale. Elle est ainsi présente en Afghanistan où son contingent de 1 800 hommes est la première contribution à la Force Internationale d'Assistance et de Sécurité (FIAS) d'un pays non membre de l'OTAN.

Elle constitue donc un interlocuteur de qualité en matière de défense.

M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que l'accord soumis au Sénat visait à donner un cadre juridique au développement de la coopération de défense. Il comporte onze articles et deux annexes relatives au statut des forces et au règlement des dommages. L'accord énumère les activités concernées par la coopération. Il exclut toute participation des personnels à la préparation ou à la conduite d'opérations de guerre. Il prévoit qu'un accord de soutien logistique mutuel sera signé.

Il précise également que chaque partie supporte ses propres coûts lors des activités de coopération.

Pour ce qui concerne le statut des forces, l'accord pose le principe de l'application de la législation et de la règlementation locales. Il prévoit toutefois un monopole de l'État d'envoi en matière disciplinaire et une priorité de juridiction pour certains types d'infractions qui ne concernent que les biens, la sécurité ou les personnels de l'État d'envoi.

L'accord prévoit certaines facilités en matière d'entrée et de séjour et renvoie à la convention fiscale entre les deux pays pour le régime d'imposition. En matière de règlement des dommages, l'annexe énumère les cas dans lesquels chaque partie renonce à toute demande d'indemnités à l'encontre de l'autre partie : pour les dommages survenus dans le cadre des fonctions officielles et ne résultant pas d'une faute lourde ou intentionnelle, pour le sauvetage maritime. Les conditions des demandes d'indemnités doivent être déterminées en commun.

M. André Dulait, rapporteur, a considéré en conclusion que cet accord était proche d'accords du même type conclus avec d'autres pays ; il se réfère, chaque fois que c'est possible, aux cadres juridiques existants, qu'il s'agisse de la législation applicable dans le pays d'accueil ou d'accords bilatéraux, comme en matière de fiscalité ou d'informations classifiées.

Il a été ratifié par l'Australie à la fin de l'année 2008.

A la suite de l'exposé du rapporteur et suivant l'avis du rapporteur, la commission a alors adopté le projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Coopération transfrontalière entre la France et la Suisse en matière judiciaire, policière et douanière - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 142 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a rappelé que la France et la Suisse avaient conclu, le 11 mai 1998, un accord relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière, et que ce texte avait conduit à la création d'un Centre de coopération policière et douanière (CCPD), puis de patrouilles mixtes en zone frontalière.

Elle a donc souligné que le présent accord, signé à Paris le 9 octobre 2007, s'inscrivait dans le contexte d'une coopération déjà active entre les deux pays, et visait à adapter les bases juridiques de cette coopération à la situation nouvelle induite par l'association de la Suisse à l'acquis de Schengen. En effet, un accord, signé le 26 octobre 2004 entre l'Union européenne et la Suisse, avait concrétisé cette association.

Elle a rappelé que l'espace Schengen regroupait 22 des 27 Etats membres de l'Union européenne et trois Etats associés qui sont l'Islande, la Norvège et la Suisse. L'« acquis de Schengen » a été intégré, en 1999, dans les textes régissant l'Union européenne par un protocole annexé au traité d'Amsterdam ; il est fondé sur deux axes de coopération, reposant sur l'harmonisation des contrôles aux frontières extérieures et sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire.

Elle s'est félicitée que le présent texte élargisse le domaine géographique et fonctionnel de cette coopération, qui était auparavant limitée à la zone frontalière. Cette coopération pourra désormais s'étendre à l'ensemble du territoire de chacun des deux Etats signataires, pour l'exercice du droit de poursuite, ou l'assistance en cas d'événements importants comme les manifestations sportives ; les administrations compétentes de chacun des pays pourront également échanger des agents de liaison, qui constituent les meilleurs relais de communication entre des ministères aux traditions différentes.

Elle a précisé que le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) voyait ses compétences fortement élargies, puisqu'il associera désormais l'ensemble des services chargés des missions de police et de douane de chacun des deux pays, alors qu'il était jusqu'à présent dévolu à de simples échanges d'informations.

Elle a rappelé que la France avait déjà conclu plusieurs accords de coopération policière et douanière avec ses partenaires frontaliers visant à la mise en place de tels CCPD, pour remédier à l'absence de contrôles fixes aux frontières internes dans l'espace Schengen.

Elle a estimé que la situation de la Suisse, située géographiquement au coeur de l'Europe, rendait ce pays vulnérable aux activités criminelles, en dépit de l'efficacité de ses services policiers et douaniers. Son exposition aux menaces conduit ce pays à développer des coopérations avec ses voisins dans le but de renforcer la lutte contre les dangers transfrontaliers ainsi que contre la criminalité internationale au moyen d'un système de sécurité fondé sur la coopération. Elle a rappelé que l'accord définissait les services chargés de la mise en oeuvre de cette coopération, qui sont, pour la France, la police, la gendarmerie, les douanes, ainsi que les autorités judiciaires, la compétence de ces dernières étant limitée aux seules infractions aux prescriptions sur la sécurité routière, évoquées au titre VIII de l'accord. Pour la Suisse, les services impliqués sont les autorités fédérales de police, d'immigration, de douane, ainsi que le corps des gardes frontières, les polices cantonales, et les autorités judiciaires de la Confédération et des cantons, limitées également à la mise en oeuvre du titre VIII.

Les dispositions du présent accord permettront, lorsqu'elles seront appliquées, de mieux garantir la qualité d'espace de liberté et de sécurité que la zone Schengen s'efforce d'être. Sa ratification rapide par le Parlement français constituera un signe positif important pour notre partenaire helvétique, dont la vie politique intérieure est marquée par une initiative de l'Union démocratique du Centre (UDC), la formation politique populiste, qui appelle à récuser, par votation populaire, le 8 février prochain, l'accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne, conclu en 2004, au motif que la Bulgarie et la Roumanie n'appartenaient alors pas à l'Union européenne, et que ces deux pays feraient peser des risques migratoires inacceptables sur la population helvétique.

En conclusion, elle a donc recommandé l'adoption du présent accord.

Puis un débat s'est instauré au sein de la commission.

M. Bernard Piras s'est interrogé sur l'impact de l'accord en matière de réduction de la fraude fiscale qui trouve refuge en Suisse.

M. Jacques Berthou a évoqué la porosité de la frontière entre les deux pays, permettant à des trafiquants de se déplacer facilement entre Lyon et Genève.

M. Rachel Mazuir a fait état de l'action très efficace des patrouilles de sécurité routière composées de personnels suisses et français dans la région de Haute-Savoie, et a rappelé que l'application du présent accord était très attendue par la France, qui en espérait une répression accrue des trafics en provenance des pays d'Europe centrale.

En réponse, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a précisé que l'accord instaurait des possibilités accrues de surveillance de tous les trafics, quelle que soit leur nature. Le droit de poursuite de délinquants passant d'un État à l'autre est ainsi instauré, dans le respect du cadre juridique déterminé par l'accord.

En conclusion, suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi, et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'approbation simplifiée en séance publique.

Présidence commune de M. Robert del Picchia, vice-président, et de M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes -

Relations extérieures de l'Union européenne - Audition de M. Eneko Landaburu, directeur général des relations extérieures de la Commission européenne (DG Relex)

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission, conjointement avec la commission des affaires européennes, a procédé à l'audition de M. Eneko Landaburu, directeur général des relations extérieures de la Commission européenne (DG Relex) sur les relations extérieures de l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, a souhaité que le directeur général dresse un état des lieux et présente les évolutions futures de la politique étrangère de l'Union européenne, notamment dans la perspective de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

M. Eneko Landaburu, directeur général des relations extérieures de la Commission européenne, a tout d'abord souhaité faire le point sur la présence actuelle de l'Union européenne dans le monde.

Il a rappelé que l'Union européenne était la première puissance commerciale mondiale, qu'elle était en tête dans le domaine de l'aide au développement, que, en soixante ans, plus de 700 accords avaient été conclus avec des partenaires extérieurs, que l'euro constituait la deuxième monnaie de réserve au niveau mondial et que l'Europe jouait un rôle clef dans un certain nombre de domaines, comme la lutte contre les changements climatiques et la réduction des gaz à effet de serre.

La Commission européenne dispose d'un réseau de 130 délégations, auprès de pays tiers ou d'organisations internationales, qui réunissent plus de 5 000 collaborateurs. Cependant, s'il est incontestable que l'Union européenne est aujourd'hui un acteur mondial, elle n'est pas encore devenue un acteur politique global, a estimé M. Eneko Landaburu, car elle n'a développé à l'extérieur que ce qui relève des politiques communautaires, celles qui font l'objet d'un partage de compétences entre les Etats membres et les institutions européennes et qui concernent prioritairement le domaine économique. C'est pourquoi on parle souvent du « soft power » de l'Union européenne.

Il n'existe pas encore de véritable politique extérieure commune ni de politique de défense européenne, parce que les Etats membres, à tort ou à raison, n'ont pas voulu partager leur souveraineté dans ces domaines régaliens, qui continuent de relever de mécanismes intergouvernementaux, dans le cadre du deuxième pilier. La politique extérieure de l'Union n'a donc pas atteint un degré de maturité suffisant à ce stade pour que l'Europe puisse jouer le rôle qu'elle devrait assumer, a estimé M. Eneko Landaburu, car elle a des mécanismes de décision et de fonctionnement trop intergouvernementaux pour atteindre une véritable capacité d'influence.

M. Eneko Landaburu a ensuite présenté les actions que la Commission européenne s'est efforcée de réaliser durant le mandat de la Commission Barroso.

La Commission européenne a d'abord voulu adapter la politique d'élargissement. Si l'Union européenne a rencontré de grandes difficultés pour « digérer » l'élargissement à l'est, car on ne passe pas sans conséquences de quinze à vingt-sept membres, notamment en termes d'organisation et de prise de décision, cet élargissement était nécessaire, car, comme le disait M. Jacques Delors : « L'histoire n'attend pas ». De plus, ses résultats ne sont pas négatifs, puisque l'entrée de ces pays dans l'Union européenne n'a pas fondamentalement perturbé son fonctionnement, même s'il l'a compliqué. Cela explique pourquoi la Commission européenne mène actuellement une politique d'élargissement plus réduite, plus réaliste et moins ambitieuse. Aujourd'hui, l'élargissement est limité à certains pays des Balkans, et personne ne souhaite accélérer le processus en cours.

En ce qui concerne le cas de la Turquie, ce qui est dangereux, a estimé M. Eneko Landaburu, c'est d'avancer dans la négociation sans en connaître le résultat final, sans en avoir clairement annoncé l'issue à nos interlocuteurs. Cette attitude risque de créer une tension politique majeure avec ce pays qui négocie de bonne foi, qui s'adapte aux exigences de l'Union européenne et qui pourrait être déçu.

Parallèlement à l'élargissement, une des priorités de l'action extérieure de l'Union a été le développement de la politique européenne de voisinage au Sud et à l'Est, a indiqué M. Eneko Landaburu. Il s'agit de permettre aux pays situés dans ces régions de se rapprocher le plus possible de l'Union, sans en adopter les institutions, de créer avec eux un espace de sécurité, de démocratie partagée et de prospérité, ce que M. Romano Prodi a appelé « l'intégration sans les institutions », même si la réalité est un peu plus complexe.

Quoiqu'il soit encore un peu tôt pour tirer des conclusions définitives, le bilan de la politique de voisinage est plus ou moins mitigé selon les pays. Avec certains, l'Union européenne est allée très loin. Par exemple, l'Union est actuellement en train de finaliser un important accord d'association avec l'Ukraine. De même, avec le Maroc, des progrès importants ont été réalisés à travers le « statut avancé », qui lui a été octroyé récemment. Il en va de même avec Israël. Au contraire, peu d'avancées ont été réalisées avec l'Égypte.

S'agissant de l'Union pour la Méditerranée (UPM), M. Eneko Landaburu a reconnu que la Commission européenne avait rencontré certaines difficultés avec le gouvernement français lors du lancement de ce projet, mais que la situation s'était aujourd'hui apaisée. L'initiative du Président de la République française s'est avérée bénéfique, car elle a apporté une valeur ajoutée au Processus de Barcelone, sans pour autant remettre en cause ce qui existait auparavant. La Commission a oeuvré pour que cette initiative concerne tous les pays de l'Union et pas seulement les pays riverains de la Méditerranée, car il fallait absolument maintenir l'unité politique de l'Europe.

L'Union européenne a également consolidé ses relations avec les partenaires stratégiques que sont les Etats-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie, le Japon et la Chine, même si cela ne s'est pas toujours fait sans difficultés, en particulier avec la Russie. L'Union européenne existe aujourd'hui aux yeux de ces Etats, qui, pour la plupart, sont favorables à l'émergence de l'Europe comme acteur international dans un monde multipolaire.

De plus, depuis 2004, l'Union européenne a développé des coopérations stratégiques avec de grands pays émergents comme le Brésil ou l'Inde. Ainsi, l'Union européenne a instauré des sommets annuels au plus haut niveau, notamment avec le Brésil, ce qui permet de faire le point sur les relations bilatérales, de lancer des initiatives politiques et d'échanger sur les questions internationales.

Sous le mandat de la Commission Barroso, il y a eu également un développement spectaculaire des aspects externes de certaines politiques communautaires, par exemple en matière de transports, avec Galileo ou dans le domaine de la recherche. Dans le domaine de l'environnement, l'Europe a pris l'initiative grâce à une initiative de la Commission pour lutter contre le réchauffement climatique.

M. Eneko Landaburu a également souhaité insister sur les valeurs de l'Union européenne. L'Union européenne n'a eu de cesse, dans les enceintes internationales et dans le cadre du dialogue avec les Etats tiers, de mettre en avant le concept du multilatéralisme comme élément essentiel du règlement des conflits et des crises internationales. Il en va de même pour la défense des droits de l'homme et la promotion de la démocratie. Ainsi, l'Union européenne est la première puissance qui conditionne la conclusion d'accords économiques et commerciaux à un dialogue sur le respect des droits de l'homme. Certes, cela ne donne pas toujours les résultats escomptés, notamment avec la Chine, mais est bien présente la volonté affirmée de promouvoir les principes et les valeurs qui fondent l'identité européenne.

La Commission européenne a également beaucoup oeuvré depuis 2004 pour soutenir les initiatives qui ont été prises dans les domaines de la politique de défense et de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), notamment par le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana. La Commission européenne a contribué à la définition d'une stratégie européenne de sécurité, et surtout au financement de la PESC et de certaines opérations, par exemple à Aceh en Indonésie, en Afrique et dans les Balkans.

Enfin, M. Eneko Landaburu a souhaité présenter quelques réflexions plus institutionnelles. Il a estimé qu'il ne pourra pas y avoir d'amélioration notable de la politique extérieure de l'Union européenne tant que le traité de Lisbonne ne sera pas ratifié et mis en oeuvre. Certes, ce traité ne règlera pas tous les problèmes, mais il permettra à l'Union européenne d'être plus visible, plus cohérente dans son action extérieure et d'avoir plus d'influence, avec un président stable du Conseil européen, qui assurera la représentation de l'Union à l'extérieur, et un vice-président de la Commission, qui sera en même temps le Haut représentant pour les questions extérieures. Ces améliorations ne signifient pas que, s'il y avait une nouvelle guerre en Irak, l'Union ne serait pas à nouveau divisée, mais elles mettent sur la voie du consensus et d'une capacité d'expression commune qui n'existent pas aujourd'hui. De ce point de vue, le service d'action extérieure commun prévu par le traité de Lisbonne serait un instrument de poids. Comme le Conseil des ministres des affaires étrangères n'a pas le temps de s'arrêter pour réfléchir à des stratégies à moyen terme vis-à-vis de la Russie ou du monde musulman, il faut donc créer une boîte à outils pour la politique extérieure, qui soit aussi efficace que celle qui a fonctionné pour le marché intérieur, et qui se rapproche de la méthode communautaire. Cependant, pour être réaliste, M. Eneko Landaburu a estimé que les Etats membres n'accepteront pas du jour au lendemain que les décisions dans les domaines régaliens de la défense ou de la politique extérieure se prennent à la majorité qualifiée.

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission, a souhaité évoquer trois sujets.

Tout d'abord, concernant le rôle de l'Union européenne au Proche Orient, il s'est demandé si, après le cessez-le-feu intervenu dans la bande de Gaza, l'Union européenne était prête à s'impliquer plus fortement, et pas seulement en matière d'aide humanitaire, pour favoriser un plan de paix durable dans la région.

Il a également souhaité avoir des précisions au sujet des relations transatlantiques, en soulignant que si l'investiture de M. Barack Obama avait suscité beaucoup d'espoirs, il avait été frappé, à la lecture du compte rendu de l'audition de Mme Hillary Clinton devant le Sénat américain, de constater que l'Union européenne n'avait été pratiquement pas mentionnée en tant que telle par la nouvelle Secrétaire d'État.

Enfin, il s'est demandé si l'Union pour la Méditerranée ne connaissait pas actuellement une panne.

M. Simon Sutour a également souhaité évoquer les relations transatlantiques, en estimant que si l'Europe attend beaucoup des Etats-Unis, sur l'énergie, sur le climat, sur le conflit du Proche-Orient ou encore sur la crise financière, elle devait aussi montrer au nouveau Président américain qu'elle peut être un partenaire efficace.

En réponse, M. Eneko Landaburu a apporté les précisions suivantes :

- sur le Proche-Orient, la situation était déjà difficile et compliquée mais, après ce qui s'est passé à Gaza, elle est tellement terrible que l'on voit mal comment s'en sortir. Il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles la politique antérieure, celle du Quartet, qui rassemble les Etats-Unis, la Russie, l'Union européenne et les Nations-Unies, n'a pas fonctionné. En réalité, l'Union européenne était persuadée que les Etats-Unis pouvaient influencer Israël pour l'obliger à faire des concessions dans le sens de la paix sur un certain nombre de questions : la coexistence de deux Etats avec les frontières de 1967, le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés. Or, les Etats-Unis n'ont pas pu ou n'ont pas voulu influer sur Israël, et, par là-même, ils n'ont fait que renforcer des aspects inacceptables pour les Palestiniens et le monde arabe : l'installation des colons en Cisjordanie, le mur, la fermeture de Gaza. En outre, le Quartet présupposait aussi que l'Europe pouvait influencer le monde arabe afin que celui-ci limite les capacités de terrorisme des extrémistes. Mais l'Europe n'a pas su le faire et le terrorisme a prospéré.

Aujourd'hui, l'Union européenne se trouve dans une position de faiblesse car elle est relativement divisée. En effet, certains Etats membres comme la République tchèque, la Hollande et, avec un peu plus de distance, le Royaume-Uni, soutiennent la politique israélienne. À l'inverse, il y a ceux qui sont plus proches de la défense des positions du monde arabe, comme l'Espagne et la France. Et puis il y a l'Allemagne qui, sur ce sujet, est toujours culpabilisée. Comme il n'y a pas d'unité européenne, il ne peut y avoir de capacité d'entraînement ou d'influence de la part de l'Union européenne, a estimé M. Eneko Landaburu.

Il s'est dit convaincu que le règlement du conflit israélo-palestinien passerait par le développement d'une politique américaine plus conciliante à l'égard de l'Iran. La question essentielle est en effet de savoir comment traiter l'Iran, et si ce pays peut être sensible à un discours plus conciliant et rassurant qui l'obligerait, en contrepartie, à adopter une attitude responsable dans la région. Il faut donc créer une rupture par rapport à la situation actuelle, et cette rupture ne peut venir que d'un dialogue avec les Etats-Unis.

Concernant l'Union pour la Méditerranée, M. Eneko Landaburu a indiqué que, si la Commission européenne avait initialement critiqué l'initiative du Président de la République, c'est parce qu'elle lui semblait utopique et susceptible par là-même de conduire à des effets négatifs, en créant de la déception et de la désillusion. Ainsi, par son discours de Marseille, M. Nicolas Sarkozy proposait aux pays de la rive Sud de la Méditerranée une Union semblable à l'Union européenne. Or, il est difficile d'imaginer une telle union entre des pays dont les frontières sont fermées et qui ne se parlent pas. M. Hubert Védrine a donc parlé à juste titre de chimère, a indiqué M. Eneko Landaburu. De plus, pour la Commission européenne, il était primordial que l'ensemble des Etats membres soient concernés, même s'ils ne sont pas riverains de la Méditerranée, car il fallait maintenir l'unité européenne, comme l'a souligné la Chancelière Angela Merkel. Néanmoins, la proposition du Président Nicolas Sarkozy de mettre en oeuvre un certain nombre de grands projets structurants et visibles, pour améliorer la coopération entre les deux rives de la Méditerranée, est pertinente. Ces projets représentent, en effet, la valeur ajoutée de l'Union pour la Méditerranée par rapport au Processus de Barcelone. Le budget communautaire financera d'ailleurs en partie ces grands projets dans le domaine de l'énergie, du transport et de l'environnement. En outre, l'Union pour la Méditerranée instaure une réunion tous les deux ans au niveau des chefs d'État et de Gouvernement, ce qui donnera une visibilité et une impulsion politique qui n'existaient pas avec le Processus de Barcelone. Le grand mérite de l'approche française a donc été de replacer la Méditerranée au coeur de l'agenda politique de l'Europe, a souligné M. Eneko Landaburu. Malheureusement, à la suite des événements de Gaza, les pays arabes ont décidé de cesser toutes les discussions en cours sur la mise en oeuvre les conclusions du Sommet de Paris. Finalement, il doit être constaté que l'Union pour la Méditerranée ne peut pas du jour au lendemain régler les contradictions du Processus de Barcelone, dont l'échec s'explique en partie par l'incapacité européenne à régler le conflit israélo-palestinien, a estimé M. Eneko Landaburu.

La Méditerranée est probablement, avec les Balkans, la priorité de la politique extérieure de l'Union européenne. La population d'une partie du pourtour méditerranéen croît fortement alors que celle de l'Union européenne décroît. Il y a aussi un écart de développement économique qui ne cesse de s'élargir, tandis que l'intégrisme musulman religieux se développe de façon préoccupante. L'Union européenne devrait donc accorder encore plus d'importance à la Méditerranée, a estimé M. Eneko Landaburu.

En ce qui concerne les relations transatlantiques, le maître mot est «espoir», a souligné M. Eneko Landaburu, car seuls les Etats-Unis d'Amérique peuvent changer la donne en Palestine, en Afghanistan ou en Irak. D'ores et déjà, le Président Barack Obama a annoncé le retrait des troupes américaines d'Irak et a adopté une attitude volontariste pour lutter contre les changements climatiques. S'il est très difficile aujourd'hui de dire précisément ce qui va changer et comment dans la politique américaine, puisque tous les responsables n'ont pas encore été désignés et que le nouveau Président ne s'est pas encore prononcé clairement sur un certain nombre de sujets importants, l'Europe, si elle veut être prise au sérieux, devra exprimer sur les grands sujets une position commune a estimé M. Eneko Landaburu. Sur le climat, c'est déjà le cas, avec l'adoption du paquet « énergie-climat » sous la présidence française. De même, sur la crise financière, l'Union européenne a défini une position commune. Tel n'est pas le cas au sujet des zones de crise telles que l'Afghanistan, l'Iran, le Moyen-Orient. L'urgence, pour l'Europe, d'ici le sommet Union européenne-Etats-Unis, qui aura lieu en juin à Washington, a estimé M. Eneko Landaburu, est donc de consolider une position européenne commune sur tous les grands sujets de politique internationale. Soit l'Europe parle d'une seule voix et elle sera prise en considération, ce qui lui donnera une réelle capacité d'influence, soit elle reste divisée et elle n'obtiendra rien.

Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité obtenir des précisions au sujet du partenariat oriental et sur sa valeur ajoutée par rapport à la politique de voisinage, dont elle a considéré qu'elle avait été un échec, puisqu'en dehors de la zone de libre échange, aucune avancée n'avait été réalisée en faveur de la libre circulation des personnes, de la paix pour les peuples, et encore moins de la démocratie et des droits de l'homme.

Indiquant qu'elle avait pu constater elle-même, lors d'un récent déplacement, le désastre humain et les violations des droits de l'homme causés par l'intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza, elle s'est interrogée sur la possibilité d'adopter des sanctions pour faire respecter les droits humains, mentionnés à l'article 2 des accords d'association.

M. Jacques Blanc a estimé que, si l'Union pour la Méditerranée n'est pas, à elle seule, en mesure d'instaurer la paix entre les Palestiniens et Israël, elle pourrait toutefois favoriser des échanges au plus haut niveau. Il s'est interrogé sur l'articulation entre la synergie de la mer Noire et le partenariat oriental. Enfin, il s'est demandé si la politique de voisinage n'allait pas dans le sens d'une plus grande diversification, avec des politiques régionalisées, telles que l'UPM, le partenariat oriental ou la synergie de la mer Noire.

Mme Catherine Tasca a souhaité connaître les raisons qui avaient conduit l'Union européenne à donner une réponse de principe favorable au rehaussement de sa relation avec Israël, tout en évoquant systématiquement dans ses prises de position la nécessité pour Israël de cesser la colonisation, d'interrompre le blocus et de changer radicalement de politique ; elle a qualifiée de schizophrénique cette attitude européenne.

Estimant que l'Europe avait adressé par ce biais un signal très positif à Israël, forcément ressenti par les Palestiniens comme une préférence, elle s'est interrogée sur le point de savoir si cette schizophrénie de l'Union européenne ne la privait pas de toute capacité d'influence.

Mme Annie David s'est demandé s'il n'était pas aujourd'hui envisagé de suspendre cette procédure de rehaussement des relations avec Israël, au vu des événements dramatiques que vient de subir le peuple palestinien.

M. Michel Billout a souhaité savoir si l'Union européenne était disposée à faire évoluer sa position vis-à-vis du Hamas, en relevant l'ambiguïté qui consiste, d'un côté, à soutenir le processus démocratique, et, de l'autre côté, à ne pas accepter le résultat des élections. Il a fait un parallèle avec l'organisation des moudjahidines du peuple iranien, dont la Cour de justice des Communautés européennes avait demandé la radiation de la liste européenne des organisations terroristes.

M. Richard Yung a souhaité obtenir des précisions au sujet des négociations sur le futur accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie.

En réponse, M. Eneko Landaburu a apporté les précisions suivantes :

- à l'égard d'Israël, la faiblesse de l'Union européenne tient à sa division. Le conflit israélo-palestinien pose un problème humanitaire et politique. L'Union européenne répond au problème humanitaire, mais, sur le plan politique, elle est bien dans une situation de schizophrénie, puisqu'elle veut ménager la chèvre et le chou pour pouvoir éventuellement jouer un rôle de médiation dans ce conflit, ce qui constitue sans doute une erreur ;

- en ce qui concerne le rehaussement des relations avec Israël, le Conseil a accepté d'envisager le renforcement du statut de coopération d'Israël avec l'Union, cependant, aucune décision formelle n'a été adoptée sur le rehaussement proprement dit. Cette décision sera prise au printemps prochain, sur la base de discussions techniques que la Commission mène actuellement avec le gouvernement israélien, concernant notamment les accords de science et de technologie ou les programmes communautaires. Compte tenu des évènements de Gaza, il est probable que les ministres reporteront ce rehaussement à des temps plus pacifiés, car le consensus sera difficilement atteint ;

- concernant la politique de voisinage, il est impossible de parler d'échec. Cette politique a apporté en trois ans des avancées très positives qui ne peuvent être occultées. L'un des principes fondamentaux de cette politique est celui de la différenciation, qui signifie que l'Union adapte le niveau d'ambition de la relation à la volonté de chacun de ses partenaires. Le processus de Barcelone a en partie échoué parce qu'il ambitionnait d'agir de manière identique avec chaque Etat, en dépit de leurs différences. La politique de voisinage tient compte de cet échec et s'adapte aux spécificités de chaque partenaire. Par exemple, il est évident qu'il est impossible d'aller encore très loin avec la Libye, avec qui les négociations viennent tout juste de commencer. Au contraire, avec le Maroc et la Jordanie, l'Union est allée très loin dans la coopération. Dans ce cadre, quel que soit le niveau d'ambition réalisable, il existe un dialogue sur les droits de l'homme avec l'ensemble des partenaires. L'Union a ainsi connu des moments de tension avec la Tunisie. Certes, il est impossible de prétendre imposer la démocratie dans tous les pays de par la seule action et par la seule volonté de l'Union, mais elle obtient peu à peu des résultats tangibles. Ainsi, l'Union a contribué à la libération de prisonniers homosexuels en Égypte ;

- si l'Union voulait condamner Israël, il faudrait être cohérent et condamner de même la Chine et certains pays africains. C'est toute la difficulté d'une politique des droits de l'homme au niveau international, qui oscille entre le réalisme et l'influence. Il est donc peu probable que l'Union européenne remette en question les accords d'association avec les pays voisins à cause du manque de mise en oeuvre effective des droits de l'homme ;

- il est impératif qu'on trouve les voies et les moyens pour discuter avec le Hamas. Pour le moment, il ne s'agit pas de demander au Hamas de renoncer à ses principes et de reconnaître Israël, mais de s'engager dans un processus de paix. Toutefois cette position n'est pas encore soutenue par la majorité des pays européens. La Commission travaille donc actuellement sur deux priorités : la première vise à remettre le Hamas dans le processus de paix pour qu'il devienne un interlocuteur dans les négociations. La seconde vise à obliger Israël à ouvrir les points de passage entre Gaza et Israël ;

- en ce qui concerne le partenariat oriental, celui-ci a été lancé sous l'impulsion des pays de l'Est pour faire contrepoids à l'Union pour la Méditerranée. Ce partenariat oriental n'offre ni la sécurité militaire, ni l'adhésion à l'Union aux six pays concernés. Il ne fait qu'améliorer la politique de voisinage en termes financiers, parce qu'il prévoit davantage de fonds pour aider au développement. Il apporte aussi un élément de dialogue entre ces pays concernés, sur un certain nombre de sujets, notamment la démocratie et la gouvernance, ainsi que la question énergétique. Sa valeur ajoutée par rapport à la politique de voisinage est l'instauration d'une dimension multilatérale. Il s'agit d'un dialogue de l'ensemble de l'Union européenne avec ces six pays, qui doivent eux-mêmes discuter et coopérer entre eux. C'est donc un partenariat régional ;

- la synergie de la mer Noire, qui a fait l'objet d'une communication de la Commission européenne en avril 2008, n'est pas destinée aux mêmes interlocuteurs, mais l'idée est la même : il s'agit d'assurer un espace de sécurité, de prospérité et d'avancées démocratiques. Il est évident que la pacification du Sud Caucase, surtout après la guerre de Géorgie, dépend d'une intervention de la Turquie, qui est un acteur incontournable de la région. De même, il n'y aura pas de règlement du conflit du Nagorno-Karabakh, en Azerbaïdjan, sans une autre intervention de la Turquie ;

- enfin, sur les relations entre la Russie et l'Union européenne, il est vrai que, depuis une dizaine d'années, la Russie fait preuve d'agressivité et n'a pas progressé sur la voie de la démocratie et du respect des droits de l'homme. Le problème est de savoir si l'Union doit continuer à entretenir des rapports privilégiés avec ce grand pays. Après la guerre en Géorgie et la violation de son intégrité territoriale par la Russie, l'Union européenne s'est interrogée sur une éventuelle suspension de ses relations avec la Russie. La Commission européenne, qui avait été chargée par les Etats membres de réaliser une analyse sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, est arrivée à la conclusion, qui a été reprise par le Conseil européen du mois d'octobre, que les interdépendances et les intérêts mutuels étaient si importants que l'Union devait trouver une forme de coopération, quels que soient les sentiments que leur inspirait ce pays. La dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie est incontestable, et l'Union a tout intérêt à favoriser une modernisation de ce pays et sa démocratie. Le retour à la guerre froide serait une catastrophe. Il faut aussi tenir compte du fait que les Russes ne comprennent pas pourquoi l'Union prétend entretenir de bonnes relations avec eux, tout en laissant installer un bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque ; de même, ils expriment des inquiétudes quand l'Ukraine et la Géorgie demandent leur adhésion à l'OTAN. En définitive, le choix est entre le maintien d'un climat de tension avec la Russie et l'ouverture d'espaces de dialogue stratégiques. Toutefois, comme sur le conflit israélo-palestinien, l'Europe est divisée avec, d'un côté, les pays pragmatiques qui soutiennent le dialogue et la discussion par nécessité et, de l'autre, les pays de l'Est de l'Europe qui ne veulent faire aucune concession à la Russie. Le ressentiment de la Pologne et des Pays baltes peut se comprendre, mais ce n'est pas le degré de souffrance causé par l'oppression soviétique qui permet de détenir la vérité sur la réponse adéquate à apporter à la situation politique d'aujourd'hui.