Mercredi 20 mai 2009

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Audition de M. Paul Champsaur, président de la commission sur l'organisation du marché de l'électricité

La commission a entendu M. Paul Champsaur, président de la commission sur l'organisation du marché de l'électricité.

M. Paul Champsaur a rappelé que la commission qu'il avait eu l'honneur de présider avait été installée par M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, et Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Elle était composée de neuf personnes : outre lui-même, y siégeaient quatre parlementaires (MM. les sénateurs Ladislas Poniatowski et Jean-Marc Pastor et MM. les députés François Brottes et Jean-Claude Lenoir), et quatre personnalités qualifiées (MM. Jean Bergougnoux, Martin Hellwig, Daniel Labetoulle et Jacques Percebois).

Evoquant l'objectif de la commission, il a cité la lettre de mission que lui avaient adressée les ministres : « comment garantir, dans le cadre des engagements européens de la France et de l'émergence d'un marché intérieur de l'énergie, une maîtrise des prix de l'électricité ? ». L'idée sous-jacente est que les coûts de l'électricité sont bas en France, et qu'il convient de faire en sorte qu'ils puissent le demeurer.

Dans un premier temps, M. Paul Champsaur a présenté quelques données physiques sur le marché de l'électricité français. Il a rappelé que l'électricité n'est pas un bien homogène, mais que ses coûts varient du simple au triple, selon qu'il s'agit d'une production en base, qui fonctionne régulièrement toute l'année, ou d'une production en pointe, qui fonctionne 2 000 à 3 000 heures par an. Les techniques de production ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour la production en base, qui représente en France 80 % du total, on recourt à l'hydroélectrique au fil de l'eau et à l'électronucléaire. La capacité de production est très largement supérieure à la demande française en base, et la France exporte son électricité en Europe. Pour la production en pointe, beaucoup plus chère, on recourt à l'hydroélectrique de barrage et aux centrales à combustibles fossiles. Le coût des investissements y est bien moindre que dans le nucléaire, ce qui explique que cette forme d'électricité puisse être compétitive. Les coûts de l'électricité en pointe fluctuent avec le coût des matières premières utilisées, charbon, fioul ou gaz. Pour la France, ils sont comparables avec ceux des autres pays, ce qui explique qu'il existe un marché européen de l'électricité en pointe, sous réserve des capacités d'interconnexion. Par ailleurs, compte tenu des émissions de CO2 découlant des énergies fossiles, la mise en place du système de quotas de CO2 va renchérir le coût de l'électricité produite par les centrales thermiques.

Dans un deuxième temps, M. Paul Champsaur a présenté le mode d'organisation du marché français de l'électricité. Du côté de la demande, il convient de distinguer deux types d'acheteurs : d'une part, les entreprises, qui ont les moyens de connaître demi-heure par demi-heure le niveau de leur consommation d'électricité, d'autre part, les consommateurs domestiques, qui pour la plupart n'ont qu'une connaissance globale de leur consommation d'électricité, et à qui il n'est donc pas pertinent d'adresser des signaux de prix différenciés. Cette situation devrait évoluer au cours des prochaines années, avec la diffusion des compteurs électriques « intelligents ». Mais en attendant, la production en base et en pointe, comme la consommation des entreprises et celle des consommateurs domestiques appellent des traitements très différents. D'une manière générale, pour qu'il y ait un marché de l'électricité en Europe, il faut que les fournisseurs puissent investir comme ils l'entendent : c'est vrai pour la pointe, mais non pour la base. L'organisation actuelle du marché résulte de l'histoire, mais aboutit à ce résultat non tenable qui fait que deux entreprises identiques peuvent payer leur électricité à des tarifs différents. Cette organisation du marché français doit donc être simplifiée et changée, indépendamment du fait que la Commission européenne la conteste.

Dans un troisième temps, M. Paul Champsaur a présenté la synthèse des recommandations faites par la commission sur l'organisation du marché de l'électricité : attribution à tout fournisseur d'un droit d'accès à l'électricité de base à un prix régulé, reflétant les conditions économiques du parc nucléaire historique pour un volume proportionné à son portefeuille de clientèle sur le territoire national ; suppression à terme des tarifs réglementés de vente aux consommateurs industriels et du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) ; maintien des tarifs réglementés pour les petits consommateurs avec la possibilité d'aller et venir sans contrainte des offres réglementées aux offres libres. Il a évoqué certains points qui n'ont pas été traités dans le rapport : la manière dont se fera la transition d'un système à l'autre ; l'organisation du marché, en particulier pour les autorités publiques ; la question de l'investissement et des prix dans le nouveau nucléaire, même si la nécessité du renouvellement du parc existant ne se pose pas dans l'immédiat en raison des possibilités d'allongement de la durée de vie des centrales.

Sur ce dernier sujet, M. Paul Champsaur a relevé que le coût de production attendu de la centrale en construction à Flamanville sera très élevé, mais que cela s'explique par le fait qu'il s'agit d'un prototype d'EPR. Si l'EPR peut être produit en série, ses coûts s'abaisseront vraisemblablement. Mais aujourd'hui, personne ne connaît véritablement le coût de l'électricité que produira la nouvelle génération de centrales nucléaires. De ce fait, l'Etat a intérêt à attendre avant de se prononcer sur l'opportunité de maintenir le monopole d'EDF, ou d'introduire sur le marché d'autre producteurs. Certains sont favorables au maintien du monopole. Toutefois, il s'agit d'une question ouverte, et il serait maladroit de prendre position aujourd'hui. Tout dépend de ce qui se fera à l'étranger. S'il devait y avoir toujours aussi peu de centrales nucléaire en Europe, on voit mal pourquoi il faudrait abandonner le monopole d'EDF. Il en irait différemment si les centrales se multipliaient dans les pays voisins. Dans tous les cas, il convient de discuter des évolutions nécessaires avec la Commission européenne, dont il faut chercher à obtenir l'accord. Car des interrogations juridiques pèsent sur le marché français de l'électricité, et il est vraisemblable que les tarifs à mettre en place seront contestés.

Remerciant l'intervenant pour la qualité de son travail, M. Ladislas Poniatowski a salué la publicité qui en a été faite, ce qui a permis aux personnes intéressées de réagir. Disant en approuver les grandes recommandations, il a plus particulièrement insisté sur trois d'entre elles, ainsi que sur les difficultés qu'elles soulèvent :

- l'attribution à tout fournisseur autre qu'EDF d'une part de l'électricité d'origine autre que nucléaire. Se pose à cet égard la question du prix, dans lequel divers éléments doivent être intégrés, tels que les investissements à réaliser pour le futur EPR et le traitement des déchets ;

- la disparition à terme du tarif réglementé et du tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché (TaRTAM). Dans un environnement extrêmement concurrentiel, il faudra veiller à ne pas mettre en difficulté les industries lourdes faisant une consommation massive d'électricité ;

- le maintien des tarifs réglementés pour les petits consommateurs, avec une possibilité d'aller-retour avec le marché libre pendant dix ans. La question d'un rapprochement progressif entre tarif régulé et prix de marché, que l'on observe actuellement, se pose à plus long terme.

Après avoir salué la qualité du travail réalisé pendant près de quatre mois par la commission, M. Jean-Marc Pastor a néanmoins regretté l'aspect très libéral du rapport. Observant la difficulté à concilier le modèle avancé par la Commission européenne et celui traditionnellement défendu par la France, il a noté une évolution dans l'approche communautaire préservant la spécificité française que constitue le prix régulé. Faisant remarquer que l'aspect « production », qui représente 55 % du tarif du prix de l'électricité, avait été évoqué dans le rapport, mais non la composante « transport », qui en explique les 45 % restants, il a questionné l'intervenant sur le financement des investissements importants en termes de fourniture et de transport d'électricité, en passe d'augmenter, ainsi que sur le prix de l'électricité.

Relevant que les relations avec les autres pays, point crucial sur lequel les attentes sont grandes, n'avaient pas non plus été abordées, il a regretté le manque de réaction de l'Union européenne sur ce sujet. Faisant remarquer l'innovation que représente la ventilation de la production auprès d'entreprises concurrentes d'EDF, il s'est demandé qui en assurerait le management, de la commission de régulation de l'électricité (CRE) ou de l'administration. Il a enfin rappelé l'annonce par les services du Premier ministre et du ministre chargé de l'industrie d'une nouvelle loi dans les mois à venir.

M. Michel Teston a demandé à l'intervenant si la fin des tarifs réglementés et du TaRTAM allait, selon lui, entraîner une hausse des prix de l'électricité pour les entreprises. Indiquant que la Commission européenne préconisait le maintien des tarifs réglementés et de la possibilité d'allers-retours entre ceux-ci et les tarifs libres, il s'est demandé dans quelle mesure cela n'aboutirait pas, à terme, à la suppression des tarifs réglementés.

Se félicitant de l'objectivité du rapport, M. Marcel Deneux a souligné la nécessité d'y évoquer le transport de l'électricité. Estimant que la gestion du paquet « climat-énergie » avait démontré la nécessité d'une politique européenne de l'énergie, et que la précarité des interconnexions entre Etats membres provoquait des goulots d'étranglement, il a relevé l'absence, au sein du rapport, de traitement du tarif de rachat des énergies renouvelables et de la situation des départements d'outre-mer (DOM).

En réponse aux différents intervenants, M. Paul Champsaur a apporté les éléments de précision suivants :

- les énergies renouvelables, les DOM et le transport ne faisaient pas partie de l'ordre de mission de la commission ;

- le tarif de l'électricité en sortie de centrale, obtenu en retranchant le tarif du transport du tarif réglementé, peut être négatif, ce qui pose problème ;

- les réseaux de transport constituent des monopoles naturels partout dans le monde. Si cela n'est pas problématique à court terme, il n'en est pas de même à long terme dans la mesure où cela provoque un surinvestissement et une hausse des prix. Les tarifs de transport varient substantiellement d'un pays à l'autre ;

- l'aspect environnemental, s'il n'a pas été mis en avant dans le rapport, y est cependant bien présent à travers les « signaux prix ». Il est ainsi recommandé que la consommation d'électricité en période de pointe, qui est plus fortement émettrice de CO2, fasse l'objet d'une taxation particulière ;

- la France ne connaît pas de problème particulier d'interconnexion pour assurer l'importation et l'exportation d'électricité, ce qui n'est pas le cas d'autres pays européens tels que l'Italie, l'Espagne ou l'Angleterre. La Commission européenne devra s'investir sur ce point ;

- la crainte d'une hausse des prix due à la fin des tarifs réglementés et du TaRTAM n'est pas infondée. L'expérience montre toutefois que, dans ce cas, des entreprises sont toujours prêtes à investir pour attirer des clients. D'autre part, les tarifs de gros réglementés étant publics, l'administration va pouvoir stimuler la concurrence de façon à ce qu'EDF ne soit plus tentée de vendre à un tarif de détail bien supérieur au tarif de gros. En effet, le développement de la concurrence dans d'autres secteurs et dans d'autres pays européens a fait baisser les prix ;

- les petits consommateurs bénéficieront d'une régulation intégrale, avec des prix réglementés définis par l'Etat, constituant des prix plafonds qu'EDF aura l'obligation de proposer et auxquels auront accès tous les fournisseurs, tels que Poweo ou GDF.

M. Ladislas Poniatowski a souhaité savoir pourquoi le rapport ne recommandait pas une prise de participation progressive des consommateurs électro intensifs dans le capital d'EDF, afin qu'ils puissent utiliser pour leur activité de l'électricité qu'ils auraient eux-mêmes produite. Il s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles EDF, qui a mis au point des « compteurs intelligents » incitant à réduire la consommation des appareils ménagers en période de pointe, ne les expérimentait pas localement en vue de leur généralisation. Enfin, il a demandé à l'intervenant s'il aurait une nouvelle fois l'occasion de s'exprimer sur l'objet de sa mission, à l'issue de la consultation publique en cours.

M. Paul Champsaur a indiqué que, celle-ci étant à présent terminée, il revenait au Gouvernement et au Parlement de se prononcer. Rappelant que le capital d'une partie des centrales nucléaires n'appartenait pas totalement à EDF, et que des producteurs concurrents de l'entreprise publique avaient un droit d'accès à l'électricité produite par ces centrales à leur coût de production, il a estimé que ce système ne constituait pas une méthode de régulation pérenne. Une solution durable serait soit que l'Etat intime à EDF d'ouvrir plus largement le capital de ses centrales, sous certaines conditions, soit qu'EDF le fasse de sa propre initiative, compte tenu des incitations qui l'y pousseront, ainsi que le préconise le rapport.