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Mardi 30 juin 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Institutions européennes

La présidence suédoise de l'Union européenne
Audition de M. Joël de Zorzi, Ambassadeur de France en Suède

M. Hubert Haenel. - Je vous remercie d'avoir bien voulu quitter Stockholm pour venir au Palais du Luxembourg nous parler de la présidence suédoise de l'Union européenne.

La semaine dernière, nous avons entendu votre collègue suédois en poste à Paris qui nous a présenté les priorités de la présidence suédoise. En complément, nous serions heureux que vous nous présentiez le contexte dans lequel se présente, pour les Suédois, l'exercice de cette présidence qui est leur deuxième présidence de l'Union européenne depuis leur adhésion. Nous aimerions également que vous nous parliez des difficultés et des défis qui se présentent à l'orée de la présidence suédoise ainsi que des rapprochements ou des oppositions qui sont susceptibles d'apparaître entre les positions française et suédoise à l'occasion de cette présidence.

Peut-être pourrez-vous nous apporter également quelques informations sur les relations franco-suédoises, voire sur la manière dont la présidence française a été jugée par la Suède.

M. Joël de Zorzi. - Je souhaiterais aborder deux aspects différents :

- les tendances lourdes qui structurent le sentiment européen des Suédois et l'évolution de celui-ci ;

- les priorités de la présidence suédoise de l'Union européenne et la manière dont elles peuvent provoquer des convergences ou des divergences avec notre pays.

La Suède, dont l'économie est très dépendante des exportations, est fortement touchée par la crise. Le ralentissement a été perceptible dès 2007 et le pays connaît actuellement une récession d'environ 5 % du PIB. Toutefois, le redémarrage de l'économie devrait être plus rapide qu'ailleurs en Europe grâce à la compétitivité des entreprises suédoises et à la dépréciation de la couronne (- 20 % depuis septembre dernier). Le taux de chômage s'établissait à 6 % de la population active en 2008 ; il atteint 9 % actuellement ; il devrait approcher 11 % au début 2010, ce qui constitue un seuil critique pour les Suédois. Sur le plan budgétaire, la Suède présentait un excédent de 2,5 % du PIB en 2008, mais connaît cette année un déficit de 3 %. L'effort de relance représente donc 5,5 % du PIB, dont environ 4 % relèvent des seuls effets des stabilisateurs automatiques. Le solde correspond à des dépenses budgétaires en faveur des infrastructures et du soutien à l'emploi, ainsi que des baisses d'impôts décidées en 2006. En dépit de la suppression d'environ 15 000 emplois par mois en moyenne depuis octobre dernier, les négociations entre les entreprises et les syndicats se poursuivent pour limiter les effets sociaux de la crise ; on peut donc dire que le modèle social suédois résiste pour l'instant, même s'il faut attendre, pour porter un jugement définitif, de connaître l'évolution de la situation au cours de l'été.

Les réserves suédoises initiales à l'égard de l'Union européenne n'ont pas totalement disparu. La Suède a adhéré à l'Union européenne en 1995, après la grave crise qu'elle a connue dans les années 1990, non sans hésitations. Carl Bildt, l'actuel ministre des affaires étrangères, avait négocié l'adhésion de son pays en profitant d'une « fenêtre de tir » relativement étroite, l'opinion publique suédoise étant depuis lors redevenue, jusqu'à une période récente, majoritairement sceptique envers l'Union européenne.

Les Suédois, en effet, sont confiants dans la supériorité de leur modèle qui, selon eux, offre une protection sociale parmi les plus avancées au monde. Ils sont donc très attachés à la préservation de leur modèle et sont préoccupés à l'idée que l'Union européenne pourrait le tirer vers le bas. De surcroît, ils acceptent encore difficilement de privilégier la solidarité européenne par rapport aux affinités nordiques et aux engagements plus globaux de leur pays, l'espace euro-atlantique ou les Nations unies par exemple.

Les Suédois sont également favorables au libre-échange et à la réforme en profondeur de politiques communautaires, à commencer par la politique agricole commune (PAC). Enfin, ils sont traditionnellement favorables à l'élargissement de l'Union européenne, qui présente l'avantage à leurs yeux de réduire les tendances fédéralistes.

Pour autant, on peut noter une progression incontestable des sentiments pro-européens. L'action au niveau communautaire est en effet considérée comme incontournable en matière de lutte contre le réchauffement climatique et d'harmonisation des règles relatives à l'asile, à l'immigration et à la lutte contre la criminalité. Les derniers sondages traduisent également une amélioration de plus de 10 points en faveur de l'adhésion à la monnaie unique, question sur laquelle les Suédois sont désormais partagés en deux parts égales.

L'analyse des résultats des dernières élections européennes confirme cette tendance générale. D'abord, la participation a progressé de 7 points par rapport aux précédentes élections. Ensuite, les partis politiques qui ont développé des arguments européens pendant leur campagne ont globalement obtenu de bons résultats, comme les Libéraux, qui appartiennent à la coalition gouvernementale, les Verts, qui se trouvent dans l'opposition, mais qui ont récemment opéré un virage sur l'Europe, ou encore le « parti pirate », qui devrait rejoindre le groupe écologiste au Parlement européen. Inversement, les partis qui n'ont pas affiché suffisamment clairement leurs convictions européennes, comme celui du Premier ministre ainsi que les socio-démocrates, ont obtenu des résultats décevants et les partis ouvertement eurosceptiques ont été durement sanctionnés.

J'en viens maintenant aux priorités de la présidence suédoise de l'Union européenne.

La première priorité concerne la lutte contre la crise économique et financière, qui passe par la mise en place des systèmes de surveillance des marchés financiers. Elle n'était guère attendue de la part de la Suède, traditionnellement proche du Royaume-Uni sur ces questions. Les Suédois se sont pourtant montrés particulièrement coopératifs avec les Français vis-à-vis du rapport Larosière sur la supervision financière. La Suède aurait souhaité aller plus loin sur la révision de la stratégie de Lisbonne, mais la Commission ne devrait présenter un texte qu'au début de l'année prochaine, sous présidence espagnole. La Suède est également attachée à arrêter une stratégie de retour à l'équilibre budgétaire et financier, ce qui, dans le contexte actuel, peut être à l'origine de difficultés avec la France.

La Suède a fait de la lutte contre le réchauffement climatique l'une de ses priorités. Elle a été très agréablement surprise par l'engagement de la France en la matière, notamment à l'occasion des négociations sur le « paquet énergie-climat », et compte sur notre pays pour réussir la Conférence de Copenhague sur le climat. En revanche, la question de l'instauration de mesures de protection aux frontières destinées à éviter les délocalisations et les « fuites de carbones » est source de tensions potentielles avec la France, soutenue sur ce point par l' Allemagne.

Le programme de Stockholm dans le domaine « Justice, liberté et sécurité » constitue une priorité soigneusement préparée avec les services de Jacques Barrot, et qui s'inscrit dans la droite ligne de l'adoption du Pacte sur l'immigration et l'asile, sous présidence française.

En ce qui concerne les relations de l'Union européenne avec le reste du monde, y compris la question de l'élargissement, les Suédois ne devraient pas mettre en avant leur position nationale, mais devraient se comporter avec neutralité, par exemple sur la question de l'adhésion de la Croatie et de la Turquie. On note également une convergence entre nos deux pays sur la politique de sécurité et de défense (PESD).

De manière générale, la Suède a été très impressionnée par la façon dont la présidence française de l'Union européenne s'est déroulée et nous nous efforçons de tirer profit de la qualité de notre concertation en matière européenne pour densifier notre relation économique bilatérale. Au titre des échanges bilatéraux, je rappelle que le Premier ministre français s'est rendu en Suède à l'automne 2007 et que, à cette occasion, avaient été mis en place des groupes de travail franco-suédois sur le développement durable et les pôles de compétitivité qui ont du mal toutefois à fonctionner. Le gouvernement suédois, en effet, préfère généralement laisser faire les entreprises et n'est guère tenté par l'interventionnisme.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je m'étais abstenu, en 1995, lors du vote sur l'adhésion de la Suède à l'Union européenne car j'avais l'impression que les sentiments européens de ce pays n'ont jamais été très affirmés. La Suède va diriger la politique extérieure de l'Union européenne au cours des six prochains mois, alors que c'est un pays neutre. Pensez-vous que ce pays puisse un jour renoncer à sa neutralité ?

M. Joël de Zorzi. - La Suède ne met pas sa neutralité en avant. On ne parle d'ailleurs plus, en Suède, de neutralité, mais de non appartenance à des organisations militaires. Bien qu'elle ne soit pas membre de l'OTAN, la Suède constitue l'un des plus forts soutiens de la France en matière de PESD. Elle est d'ailleurs présente dans toutes les opérations externes de l'UE et notamment au Tchad ou en Afghanistan. De ce point de vue, son comportement est irréprochable. Les Suédois ont une forte tradition de présence sur la scène internationale et tant Carl Bildt que le Premier ministre suédois seront très attentifs à ce que l'Union européenne ne soit pas absente des relations internationales.

M. Denis Badré. - Effectivement, les Suédois sont très allants sur les questions internationales. Je peux également le constater au Conseil de l'Europe. Je me demande si les responsables politiques suédois ne sont pas trop prudents quant à l'adhésion de leur pays à l'euro, l'opinion publique y étant majoritairement défavorable.

M. Jean Bizet. - La Suède éprouve quasiment une aversion envers la PAC, alors que celle-ci ne se réduit pourtant pas à des enjeux budgétaires. Je voulais donc savoir s'il était possible, selon vous, de faire évoluer sa position sur ce point.

M. Jacques Blanc. - La Suède prendra-t-elle des initiatives fortes en faveur de la politique européenne de voisinage pendant sa présidence ? Compte tenu de sa forte implication dans le Partenariat oriental, peut-on craindre un moindre intérêt de sa part pour l'Union pour la Méditerranée ? Enfin, quelle devrait être son action à l'égard de la Turquie, dont elle approuve l'adhésion à l'Union européenne ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Vous nous avez dit que la Suède obtenait plutôt de bons résultats dans le contexte de crise que nous connaissons. Je me demande s'il ne s'agit pas de la conséquence de la mise en oeuvre de politiques qui demeurent largement centrées sur ses intérêts nationaux. Par ailleurs, la politique suédoise en matière d'immigration et d'asile est traditionnellement considérée comme généreuse. Je rappelle que la Suède est l'un des rares pays européens à avoir accordé le droit de vote aux étrangers aux élections locales. Comment pourrions-nous nous inspirer du modèle suédois en la matière ?

Mme Colette Mélot. - Quel est l'intérêt des Suédois pour la langue française ? Les étudiants suédois sont-ils attirés par l'apprentissage de notre langue, et plus généralement, par notre culture ?

M. Joël de Zorzi. - Je rappelle que les Suédois se sont prononcés par référendum contre l'adhésion de l'euro. La quasi-totalité des membres du gouvernement est favorable à la monnaie unique, mais, faute d'un accord avec l'opposition qui est pour l'instant hostile à la tenue d'un nouveau référendum, la question est renvoyée à plus tard.

Les Suédois sont extrêmement présents sur les questions de défense et de sécurité. Ils sont convaincus de la nécessité de projeter les valeurs européennes à l'extérieur et constituent, de ce point de vue, des partenaires majeurs pour notre pays. Sur l'élargissement, je suis convaincu qu'ils se comporteront en « honnête courtier » et qu'ils ne prendront pas d'initiative particulière sur la Turquie susceptible de créer une difficulté avec notre pays et avec l'Allemagne.

Les Suédois sont conscients des enjeux liés à la PAC, par exemple la sécurité alimentaire ou l'aménagement du territoire, mais il est vrai qu'ils sont, avec les Britanniques, les adversaires les plus résolus de cette politique communautaire. Ils adoptent toutefois une attitude pragmatique dans leur approche, estimant que chaque réforme de la PAC est une avancée dans la bonne direction.

La Suède est, en effet, exemplaire en matière d'asile et d'immigration. Sa politique est traditionnellement généreuse. Elle occupe ainsi, en alternance avec la France, la première ou la deuxième position en matière d'accueil des réfugiés politiques. Il s'agit là de valeurs partagées par tous les Suédois. Pour autant, des changements récents peuvent être notés, par exemple pour l'accueil des réfugiés irakiens, qui ne sont plus considérés comme des réfugiés politiques. On constate également un réveil de l'extrême-droite, qui prospère sur la concentration de populations immigrées.

À la différence de leurs homologues européens, les socio-démocrates suédois sont très prudents à l'égard de l'Union européenne car ils estiment que le modèle suédois offre une meilleure protection que la réglementation communautaire.

Quasiment tous les Suédois parlent également anglais. La langue française arrive loin derrière, même si l'apprentissage du français est plus fréquent depuis peu. Les étudiants français sont très présents en Suède où ils suivent des cours en anglais. En revanche, les étudiants suédois voyagent relativement peu.

M. Hubert Haenel. - Les Suédois ont été les seuls parmi les Vingt-sept à rejeter le système préconisé au niveau européen pour régler les conflits de loi en matière de divorce. Comment expliquer cette position ?

M. Joël de Zorzi. - Tout simplement parce que les Suédois estiment qu'il n'y avait pas de raison de modifier leur législation en la matière et qu'ils ne craignent pas d'être isolés.

Ils fonctionnent sur la base de consensus, qui sont lents à obtenir. Le modèle suédois « fascine » souvent, notamment en France. Il est en effet très différent du nôtre. Les Suédois sont généralement d'une grande efficacité, par exemple dans l'organisation des réunions et la planification de leur agenda. Ils tiennent leurs engagements et défendent fermement leurs positions, qu'ils ont souvent mis du temps à arrêter. Ils paraissent ainsi changer difficilement d'avis. Je crois que la prise en compte du facteur « temps » est fondamentale pour comprendre le mode de fonctionnement des Suédois.

Jeudi 2 juillet 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Économie, finances et fiscalité

La réponse de l'Union européenne à la crise est-elle adéquate ?
Table ronde autour de deux économistes,
MM. Nicolas Baverez et Xavier Timbeau

M. Hubert Haenel. - Depuis la création de la monnaie unique européenne, c'est la première fois que nous connaissons une crise financière débouchant sur une crise économique. Or, la constitution de la zone euro et les progrès qui ont été faits - même s'ils sont très lents - en matière de coordination des politiques économiques des États membres font aujourd'hui de l'Union européenne un acteur financier et économique de premier plan.

C'est la raison pour laquelle il nous a paru intéressant d'organiser un débat sur l'action menée par l'Union européenne dans ce contexte. Pour cela, nous avons fait appel à deux économistes de renom. D'une part, Nicolas Baverez, dont nous pouvons lire les chroniques dans Le Monde et dans Le Point et qui intervient fréquemment dans les émissions télévisées. D'autre part, Xavier Timbeau qui, depuis huit ans, dirige le département « Analyse et prévision » de « l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques ».

Je veux d'abord les remercier vivement tous deux d'avoir accepté de venir aujourd'hui au palais du Luxembourg pour cette table ronde dont le sujet exact est une question : « La réponse de l'Union européenne à la crise est-elle adéquate ? ». Ce libellé devrait nous amener à évaluer les mesures qui ont été prises par l'Union européenne et, le cas échéant, à définir les mesures supplémentaires ou complémentaires qui devraient être prises. Et cela d'abord en matière financière. Le Conseil européen des 18 et 19 juin a effectué une avancée sensible en ce domaine avec la création d'un comité européen du risque systémique et la constitution d'un système européen de supervision. Mais cette évaluation doit également porter sur la crise économique. Ceci devrait amener à évaluer les mesures prises en vue d'une relance de l'économie, voire d'une limitation de l'augmentation du chômage.

M. Xavier Timbeau. - La critique a posteriori des réponses à la crise est beaucoup plus facile que l'analyse et la mise en oeuvre sur le moment des mesures qu'il fallait prendre. Cette critique est néanmoins utile, ne serait-ce que pour montrer les insuffisances du dispositif institutionnel européen ou pour comparer les mesures européennes à celles des autres grands ensembles économiques mondiaux.

Parmi les réponses satisfaisantes que l'Europe a apportées à la crise, je mentionnerai d'abord la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE). Loin de s'enfermer dans une position dogmatique, la BCE a pris des décisions plutôt bien adaptées, d'une part par la baisse des taux d'intérêt - malgré une prise de conscience plus tardive qu'aux États-Unis de l'entrée en récession de l'Europe -, d'autre part avec des mesures d'irrigation du marché bancaire par des injonctions de liquidités et par des mesures non conventionnelles de prise en pension de titres de qualité de plus en plus dégradée. La BCE s'est en outre bien coordonnée avec les autres banques centrales - en particulier la Banque fédérale américaine.

Après la faillite de la banque Lehman Brothers, l'Europe a également bien réagi dans l'adoption en catastrophe d'un plan de sauvetage du système financier à l'instigation du Royaume-Uni et sous l'égide de la présidence française de l'Union européenne. Elle fut alors une lumière dans les ténèbres pour faciliter la coordination internationale et pour sortir les États-Unis de l'ornière dans laquelle ils s'étaient enlisés avec le plan Paulson.

Parmi les insuffisances européennes dans la réponse à la crise, il faut en premier lieu noter la faiblesse des plans de relance. Les Etats-Unis, qui vont subir une régression de l'activité cumulée par rapport à leur croissance potentielle de l'ordre de 10 points du produit intérieur brut (PIB), ont engagé sur deux ans un plan de relance de 5 points de PIB. L'Europe, qui va subir une récession de l'ordre de 8 points de PIB, n'engagera dans le même temps qu'un montant dérisoire de programmes de relance de l'ordre d'un à deux points de PIB.

Une des explications vient du retard de la prise de conscience de la gravité de la crise puisque, à l'automne 2008, on prévoyait encore en France pour 2009, une croissance de 0,5 % du PIB alors que ce dernier va en fait régresser de 3 %. La France était déjà en récession quand, au premier trimestre 2008, les comptes nationaux prévoyaient toujours une progression du PIB. Tous les instituts de statistiques se sont trompés sur l'état réel de l'économie en Europe, estimant que les États-Unis étaient entrés en récession avant l'Europe alors qu'il n'en était rien.

Ces insuffisances de la connaissance de la situation économique réelle ont conduit à de véritables erreurs de décisions économiques comme l'insuffisant calibrage des plans de relance. De même, il est probable que la BCE n'aurait pas augmenté ses taux d'intérêt en juin 2008 si elle avait connu l'état réel de l'économie européenne. Dans ce type de crise, le délai avec lequel les pouvoirs publics réagissent est un élément particulièrement critique. Ne pas savoir, c'est retarder la prise de décision. C'était d'ailleurs une des grandes leçons de la crise des années 30 que de constater les erreurs d'appréciation commises par ignorance ou par excès d'optimisme. Nos systèmes d'information sont tout autant inadaptés que dans les années 30.

Les plans de relance conduisent à s'interroger sur la capacité de l'Europe à résoudre les problèmes d'endettement des États. De ce point de vue, les États-Unis peuvent facilement tirer sur la ligne de crédit que leur accorde le monde entier et, le moment venu, ils pourront mener une politique vigoureuse de redressement de leurs comptes publics. L'Europe n'est pas dans la même situation, même si elle bénéficie d'une ligne de crédit interne importante. Essentiellement parce que les États en Europe ne sont pas dans la même situation : certains, comme la France et l'Allemagne, peuvent tirer sans limites sur leur ligne de crédit ; d'autres, comme l'Italie, sont plus surveillés ; d'autres enfin, comme l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande, font l'objet de doutes importants. Le Royaume-Uni serait plutôt dans la seconde catégorie car ce pays, comme tous ceux qui ne sont pas dans l'euro, risque une crise de change ; or une crise de change est un formidable accélérateur des difficultés de financement d'un pays.

La zone euro peut-elle d'ailleurs continuer à fonctionner avec des destins aussi divergents entre États membres de l'Union européenne ? Ne doit-on pas profiter de la crise actuelle pour envisager un système de solidarité entre les États autre que celui qui existe actuellement par le moyen du Fonds Monétaire International (FMI) ? D'une manière plus générale, la crise n'est pas seulement une crise américaine, et les Américains ne pourront pas remettre en route leur économie et celle de l'Europe. La crise est aussi une crise européenne qui doit conduire les Européens à trouver eux-mêmes les solutions pour éviter le déclenchement d'une déflation sur le continent européen.

La régulation financière est la dernière réponse insatisfaisante de l'Europe à la crise. Il règne une grande incertitude sur la question. La Commission européenne a certes repris à son compte les conclusions du rapport du groupe de Larosière. Mais la régulation macro-prudentielle pour éviter de nouvelles crises systémiques pose aussi la question de la gouvernance de la régulation au niveau européen. La BCE, qui est parfaitement compétente en la matière, est candidate à cette gouvernance. Ce choix aurait des conséquences très importantes s'il n'était pas soumis à un contrôle démocratique parce que la Banque disposerait alors de pouvoirs considérables en plus de ceux dont elle dispose déjà, comme celui de la gestion du taux de change.

M. Nicolas Baverez. - La crise actuelle est la crise la plus rude du capitalisme depuis les années 1930. C'est aussi la crise du capitalisme universel. De ce point de vue, l'année 2009 est décisive. D'abord pour la gestion du choc puisque sont en voie d'être enrayés les risques d'effondrement du système bancaire mondial et de spirale déflationniste de l'activité, des prix, des salaires et de l'emploi. Ensuite du point de vue de la transformation du capitalisme puisque cette année va largement trancher entre le retour à la norme antérieure ou l'émergence d'une régulation différente de la mondialisation.

L'Europe affronte cette crise dans une situation particulière. Après le Marché Commun - principale source de la croissance française dans les années 60 -, après le Grand Marché, l'euro et les élargissements des dernières décennies, l'Europe fait face difficilement à la mondialisation. Elle rencontre en effet de grandes difficultés pour adapter ses institutions et faire évoluer ses politiques. La crise économique se double ainsi d'une crise européenne, dont la première traduction est à chercher dans la renationalisation des politiques économiques.

L'Europe reste assurément la meilleure réponse pour traiter des risques globaux, tels le changement climatique, la protection de l'environnement, les crises sanitaires, les règles du commerce, la gestion du système monétaire ou la régulation financière. Mais, ces dernières années, la partie « européenne » de l'Union est restée en panne, tandis que la partie étatique prenait le contrôle de l'Union. Face à cette tension, le citoyen européen est réduit à une position schizophrène : il se désengage à travers l'abstention tout en confirmant sa forte demande d'Europe.

La crise actuelle révèle un paradoxe majeur. C'est aux États-Unis que se situe l'origine du choc, et c'est pourtant l'Europe qui acquitte le prix le plus lourd. À l'origine de la crise, on trouve une succession de bulles venues des Etats-Unis : immobilière, du crédit, financière et économique. Leur origine est double : les erreurs de la politique monétaire conduite par la Fed sous l'impulsion d'Alan Greenspan après les attentats du 11 septembre 2001 ; le modèle économique fondé sur le surendettement privé, la consommation et les importations qui avait pour contrepartie l'épargne, l'investissement et les exportations de la Chine, de l'Allemagne, du Japon ou de la Corée. Or, l'Europe comprend les deux types de pays concernés par ces déséquilibres majeurs des échanges et de paiements : l'Allemagne d'un côté, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande de l'autre.

Par ailleurs, nombre des principes sur lesquels reposait la mondialisation se sont révélés faux comme l'autorégulation des marchés, la « share-holders value » dans le domaine de la gouvernance des entreprises, la « fair-market value » dans le domaine comptable, et, d'une manière générale, l'idée selon laquelle la mondialisation pouvait fonctionner sans réassurance politique. La thèse du découplage - entre la finance et l'économie réelle, entre les États-Unis et l'Europe, entre les pays développés et les pays émergents - s'est révélée tout aussi illusoire, essentiellement parce que le capitalisme est devenu universel. Aujourd'hui, un choc majeur se propage à l'ensemble du monde et il se propage extrêmement rapidement. Il n'y a eu que dix jours entre la faillite de Lehman Brothers et le blocage du système bancaire mondial alors qu'il avait fallu deux ans, dans les années 30, pour transmettre les faillites bancaires américaines à l'Europe.

L'Europe est maintenant plus touchée que les États-Unis par la crise. Elle continuera à être en récession (- 0,4%) en 2010 quand les États-Unis recommenceront à avoir une croissance positive (+ 0,7%). Alors que la croissance atteindra sans doute 2 % aux États-Unis, elle risque de plafonner durablement en Europe à 1 %. Le chômage est aussi élevé en Europe (9,5% de la population active) qu'aux États-Unis. Enfin, l'Europe est entrée en déflation avec une baisse des prix de 0,1% au premier trimestre 2009.

L'Europe est surendettée. En 2009, les États de la zone euro vont lever 900 milliards de dettes, et l'Europe est plus vulnérable que les États-Unis à un risque de krach obligataire du fait de la grande hétérogénéité des Etats qui la composent. Les États-Unis ont une croissance potentielle supérieure à celle de l'Europe, une capacité plus grande à attirer les capitaux et les talents, un Etat de droit et des institutions plus légitimes et efficaces, une capacité de réassurance stratégique sans équivalent qu'ils peuvent offrir en Asie ou dans le Golfe.

Les banques européennes doivent encore déprécier entre 700 et 900 milliards d'actifs. Les tests de résistance n'ont pas été conduits ni publiés à ce jour. Les banques n'ont pas encore achevé leurs restructurations.

L'explication de ce paradoxe de la crise qui vient des Etats-Unis mais se déchaîne en Europe tient tout entier aux lacunes de la politique économique.

La déflation par la dette qui dévaste le capitalisme mondialisé renvoie aux analyses de Keynes et d'Irving Fisher, qui a insisté fortement sur la nécessité absolue de sauver le système bancaire et de baisser les taux d'intérêt. Trois priorités se dégagent : sauver les banques, éviter la déflation, empêcher le protectionnisme. La contraction des trois quarts du commerce international dans les années 30 fut en effet un facteur décisif d'enfermement dans la déflation. Dans cette situation, les principes d'action sont clairs : il faut aller vite ; il faut aller fort car attendre ou segmenter coûte cher ; il faut utiliser tous les instruments de la politique économique, monétaire, budgétaire, fiscale, industrielle ; il faut mener ces actions de manière coordonnée.

La spectaculaire mobilisation de la politique économique depuis la faillite de Lehman Brothers a respecté ces principes, sauf en Europe qui reste le maillon faible de cette première intervention à l'échelle du monde contre un risque d'implosion du capitalisme universel. La crise est loin d'être terminée, mais le point bas de l'activité semble avoir été atteint en avril dernier. Pour autant, le chômage continuera à augmenter et à s'installer, touchant autour de 12% de la population active dans les pays développés, et nombre de déséquilibres ne sont pas résorbés. Il n'en reste pas moins que la politique économique a fonctionné. Les banques ont été sauvées, recevant 4 000 milliards de dollars aux Etats-Unis, 3 000 milliards d'euros en Europe. La relance américaine, qui correspond sur plusieurs années à 40 % du PIB, et chinoise (30 % du PIB) a bloqué la déflation. Le protectionnisme généralisé a été refusé par le G20, même si les tentations perdurent.

Cependant, ce sont les pays qui auront réassuré le capitalisme mondial qui tireront partie de cette crise, à savoir les États-Unis et la Chine. L'Europe paiera le prix d'une mobilisation partielle et non coordonnée. Le système bancaire européen reste fragile. La baisse des crédits bancaires va plus vite que les efforts de la BCE pour alimenter le système en liquidités. Il faut donc accélérer la restructuration des banques. La BCE maintient des taux d'intérêt réels très fortement positifs, donc une politique monétaire restrictive. Le choix de relever les taux d'intérêt en juin 2008, dicté par des raisons purement idéologiques, fut une erreur majeure. Quant aux mesures non conventionnelles, elles restent très limitées en volume (60 milliards d'euros). Les stratégies de la Fed et de la BCE n'ont donc pas été convergentes, comme le montre le bilan de la Fed qui est passé de 800 à 4500 milliards de dollars. Les pays d'Europe centrale et orientale subissent une crise du type de la crise asiatique sans soutien du système européen.

Enfin et surtout, les plans de relance en Europe sont restés limités à 1,5 % du PIB et n'ont pas été coordonnés. Au reste, la coordination ne passe pas nécessairement par des priorités identiques. L'Allemagne a davantage besoin d'une relance par la consommation que par l'investissement, alors que la France, du fait du poids des transferts sociaux, a plutôt besoin de mettre l'accent sur l'offre pour traiter son problème de compétitivité. Chaque pays présente un cas particulier. Mais la coordination des plans de relance est nécessaire pour éviter des effets pervers, comme cela a été le cas dans l'automobile avec les primes à la casse.

S'agissant du protectionnisme, s'il n'y a pas eu de politique strictement de ce type en Europe, en revanche, on a assisté à un nationalisme bancaire qui a conduit au rapatriement des engagements de crédits effectués sur l'Europe centrale et orientale, et surtout au recours à des dévaluations compétitives, comme au Royaume-Uni (- 35 %) ou en Suède.

Trois défis se présentent désormais devant l'Europe.

Premier défi : va-t-on revenir au système antérieur ? L'exemple de la banque d'affaire américaine Goldman Sachs sera déterminant, dont la stratégie est tout entière fondée sur le maintien d'une forte volatilité. De même, au plan des nations, le cas du Royaume-Uni confronté à l'effondrement de la City, à la chute de l'immobilier et à la fin de la rente pétrolière est éclairant : une dévaluation compétitive de 35 %, un déficit des finances publiques de 12 % du PIB, une stratégie de passager clandestin poussant l'Europe continentale à surréglementer pour pouvoir à nouveau jouer de la déréglementation et d'une fiscalité réduite.

Deuxième défi : le basculement du capitalisme vers l'Asie. Toute crise conduit au transfert des activités des mains faibles vers les mains fortes. Aujourd'hui, les mains fortes ce sont les pays émergents et l'Asie. Les moins faibles sont dans les pays développés, et notamment en Europe, confrontée à un risque de déclassement.

Troisième défi : l'Europe peut-elle être réindustrialisée ? Quelle sera la véritable croissance verte ?

L'Europe est menacée à court terme par la déflation qui s'installe avec une croissance durablement bloquée en dessous de 1 % et un chômage de l'ordre de 11 à 12 % de la population. Elle va cumuler le vieillissement de la population, le surendettement, la sous-compétitivité, la surévaluation de l'euro et la crainte de l'inflation. C'est la conséquence du rôle que joue l'Allemagne dans la réassurance de l'euro, qui l'a conduite à bloquer la progression des salaires et à mener une politique restrictive en matière de finances publiques. L'Allemagne est le seul pays de la zone euro à être correctement positionné dans la mondialisation avec la meilleure industrie et une excellente compétitivité. Elle est la clé de voûte de l'euro, mais refuse absolument l'inflation.

Si la France n'arrive pas à reconstruire son potentiel de production, on peut donc craindre des tensions de plus en plus fortes avec l'Allemagne, qui va se désendetter rapidement. Toutefois, l'éclatement de la zone euro n'est pas crédible car aucun pays, sauf l'Allemagne, n'a intérêt à sortir de la zone euro en raison des risques de crise de change et des paiements.

L'Europe garde des atouts, mais les facteurs de handicaps sont nombreux. Il n'y a cependant pas de fatalité à cette situation. L'Europe doit d'abord mettre en application le traité de Lisbonne et se doter d'un système de décision plus rapide et efficace. Par ailleurs, le gouvernement économique européen devrait être institutionnalisé pour empêcher la renationalisation des politiques économiques. Pour mieux positionner l'Europe dans la mondialisation, il faut accélérer la réalisation du grand marché, poursuivre le soutien aux pays d'Europe centrale et orientale, engager des politiques d'amélioration de la compétitivité structurelle au bénéfice de l'industrie, renforcer une régulation et une supervision des risques indépendante des banques. Il faut aussi remettre l'accent sur la politique de la concurrence - notamment pour éviter que les banques en situation d'oligopoles et sûres de ne pas faire faillite n'abusent de leurs positions -, et revenir sur les normes comptables de la « fair value », sur la directive « solvency 2 » et sur les normes prudentielles de Bâle II.

La sortie de crise sera donc très délicate. Elle devra éviter à la fois le retour à la déflation et la formation d'une nouvelle bulle : celle de la dette publique qui va rester au-delà de 100 % du PIB et des banques centrales transformées en méga « hedge funds ». Il faut être conscient que cette bulle serait la dernière, car il n'existerait aucun recours pour la gérer. Voilà pourquoi il faut travailler activement à une nouvelle régulation du capitalisme mondialisé, mais aussi à la résorption des séquelles du choc sur les dettes publiques et les banques centrales ainsi qu'à la restauration de la compétitivité du monde développé.

Mme Catherine Tasca. - On peut convenir que, dans la panique générale, les initiatives ont été efficaces pour éviter la panique totale du système bancaire. Mais, lors de cette panique, il m'a semblé aussi qu'il y avait une forte attente de la remise en question des mécanismes fondamentaux du capitalisme financier. Or, j'ai le sentiment qu'on reste dans les mêmes mécanismes qu'avant la crise. En outre, les banques ont été sécurisées par les États sans que ceux-ci aient posé de conditions aux contreparties des efforts collectifs engagés pour elles. Je suis surprise qu'on ne s'attaque pas plus fortement aux mécanismes de fonctionnement du capitalisme, notamment au regard du chômage et de la destruction des emplois qu'entraîne cette crise.

M. Jean Bizet. - À quelle échéance, proche ou lointaine, les tensions entre la France et l'Allemagne, risquent-elles de se manifester ? Comment imaginez-vous à terme la solution à la dette : impôt ou inflation ?

M. Didier Boulaud. - Vous avez été plutôt sévère avec les instituts de statistiques. Mais il me semble que, dès le premier semestre 2008, le débat politique portait sur les risques de récession. Les instituts statistiques ne sont peut-être pas les seuls responsables de ce retard dans la prise en compte de la crise.

La désindustrialisation remonte aux années 70 quand on a cassé en France, par exemple, le secteur de la machine-outil dont les brevets ont été récupérés par l'Allemagne. Il n'y a par exemple plus aucune entreprise en France capable de produire des tours à dérouler le bois ou des machines d'ajustage. L'industrie de base a malheureusement quitté la France depuis longtemps et la conséquence en est la disparition des ingénieurs techniques dont la formation n'est plus assurée, en particulier après la réforme des universités.

Le dollar progresse en tant que monnaie de réserve. Quelles en sont les causes ? Quel serait par ailleurs le point de rupture en cas de baisse importante du dollar par rapport à l'euro ? Enfin, le fait que la Suède ne fait pas partie de l'euro peut-il avoir des conséquences sur les conditions d'exercice de sa présidence ?

M. Bruno Retailleau. - L'Allemagne est cohérente avec ses choix quand elle bloque le pouvoir d'achat. Comme est cohérente sa décision d'inscrire dans la loi fondamentale la règle du retour à l'équilibre des comptes publics. Mais la stratégie de l'Allemagne est fondamentalement non coopérative en Europe depuis une décennie.

Sans réindustrialisation, les pays se condamnent indéfiniment à des importations, à des déséquilibres des finances publiques, au chômage et à la création de nouvelles bulles financières. Sans le secours du crédit, la croissance ne serait que l'addition de la croissance démographique et de la productivité. Or, la compétitivité n'a progressé que grâce à l'innovation industrielle. Comment réindustrialiser notre pays ?

M. Nicolas Baverez. - La mondialisation est fondamentalement positive pour la croissance, pour la progression du commerce international et pour sortir de la pauvreté les populations des pays en voie de développement. Certains de ses principes se sont révélés erronés et il faut les corriger. Mais la mondialisation est un bien commun qu'il faut préserver. Le système d'échanges ouverts et de marché doit être sauvé. Il faut le stabiliser, mais éviter à tout prix la fermeture et le protectionnisme. Le vice majeur tenait à l'absence de réassurance politique pour les risques systémiques et à l'illusion qu'elle pouvait être apportée par le seul marché : c'est cela qu'il faut corriger en priorité.

Il peut exister de nombreuses contreparties aux aides apportées aux banques : la concurrence, la supervision des risques, le provisionnement dynamique, l'obligation de garder dans leur bilan une partie des risques, ou encore la séparation institutionnelle entre les activités d'investissement et la banque de dépôt. Le crédit va repartir dès que les banques auront assaini leurs bilans, en commençant par les entreprises. Il faudra être prêt à ce moment.

La réponse au chômage, c'est la compétitivité. Comment refaire de l'Europe une base de compétitivité ? L'Allemagne est parvenue à relocaliser certaines activités pour assurer la qualité de la production ; ce fut le cas par exemple dans l'automobile. Elle a pu le faire grâce au maintien des petites et moyennes entreprises, mais aussi grâce à la rationalisation du système social et aux efforts déployés en matière de coûts de production.

L'euro tient grâce à la signature de l'Allemagne. C'est la contrepartie de sa stratégie non coopérative. Pour mener des politiques de désendettement, il n'y a que trois solutions : la croissance, les hausses d'impôts et l'inflation. L'inflation, en raison de l'Allemagne et de l'euro, semble écartée. Il reste l'impôt et la croissance : le réglage entre les deux sera particulièrement délicat lorsque nous sortirons de la crise, car la hausse des impôts est le meilleur moyen d'étouffer la croissance, surtout dans un pays où les prélèvements atteignent 45% du PIB.

La progression du rôle du dollar comme monnaie de réserve s'explique par les quatre qualités constitutives que seuls les Etats-Unis réunissent : une balance des paiements en fort déficit pour alimenter le monde en monnaie internationale ; une croissance potentielle élevée ; un État de droit performant et des institutions fortes ; une puissance stratégique globale. L'Europe a un État de droit qui fonctionne, mais ses institutions sont faibles ; sa croissance potentielle est également limitée ; elle n'offre aucune garantie en matière stratégique ; et elle n'a pas de déficit de balance des paiements. La Chine dispose d'une croissance potentielle extrêmement forte, mais sa monnaie n'est pas convertible et l'Etat de droit inexistant ; elle n'offre pour l'heure qu'une garantie stratégique régionale. Le dollar sera contesté à moyen terme, mais conservera sa suprématie tant qu'il sera non seulement la monnaie des Etats-Unis, mais aussi, implicitement, celle de la Chine et des Etats du Golfe.

M. Xavier Timbeau. - Les mécanismes du capitalisme ont été changés le jour de la faillite de Lehman Brothers par la mise de l'État au service du capitalisme, selon la formule de Braudel. La concurrence du secteur bancaire est la seule solution pour sortir du « capitalisme de connivence ». Il en va de la capacité de nos sociétés à survivre. Il faut un capitalisme régulé qui n'est pas l'État au service du capitalisme. C'est le danger majeur apporté par la crise.

La dette publique pose essentiellement un problème de répartition. Les factures sont celles laissées par la crise. Mais comment répartir ces factures ? C'est une question très politique du fait du transfert des pertes effectuées par certains acteurs vers la collectivité publique ou vers les générations futures. Elle pose la question des bases de la solidarité dans la prise en charge des coûts de la crise.

La compétitivité structurelle est certes fondamentale. Mais elle n'est pas la clé de la sortie de la crise. C'est même une idée dangereuse. La déflation menace en Europe, mais elle n'est pas encore présente. Le processus s'est amorcé et il faut d'abord éviter le risque posé par des politiques non coopératives en matière de déflation des coûts salariaux ou en matière de dévaluation. Des pratiques de conquête de parts de marchés justifiées par la recherche de la compétitivité peuvent conduire à une déflation destructrice pour l'économie.

Si l'Europe veut vraiment jouer de la compétitivité, il lui suffit de jouer avec le taux de change de l'euro, comme le font les Britanniques avec leur monnaie. Pour avoir un déficit extérieur massif conduisant à cette modification du taux de change, il suffirait en fait de mettre en oeuvre des plans de relance eux aussi massifs. L'Europe, du fait de la masse de ses actifs, ne risque pas une crise de change comme certains pays. Pourquoi ne pas aussi se rallier à la proposition de la Chine de créer une monnaie internationale comme le Bancor imaginé en son temps par Keynes ?

On peut aussi réguler les taux de change - et aussi l'activité bancaire - par zones géographiques et commerciales qui seraient protégées les unes des autres par des murs financiers. La gestion des taux de change pourrait s'effectuer de manière concertée et elle permettrait sans doute d'éviter de nouvelles crises. Il ne s'agirait pas de limiter les mouvements de capitaux, de marchandises ou des personnes dans la mondialisation, mais d'assurer une meilleure stabilité de la finance internationale avec une responsabilité des grandes zones dans la régulation de leurs services financiers.