Mardi 6 octobre 2009

- Présidence conjointe de M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances -

Audiovisuel - Audition de M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France, sur le contrat d'objectifs et de moyens de Radio France de 2006-2009.

Après avoir rappelé que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est commune avec la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, M. Jean Arthuis, président, a interrogé M. Jean-Luc Hees sur la vision stratégique qu'il entend développer dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

A titre liminaire, M. Jean-Luc Hees a rappelé que Radio France bénéficie d'un financement public à hauteur de 88 %. Rendant hommage à son actionnaire, il s'est félicité de la progression des recettes de Radio France dans le projet de loi de finances pour 2010. Puis, il a ajouté qu'il entend assurer ses nouvelles fonctions dans le respect de la continuité des programmes et d'une gestion responsable, tout en accompagnant la transition du groupe vers de nouveaux défis technologiques.

Il a insisté sur la qualité du dialogue à mettre en oeuvre au sein de Radio France dans la perspective des négociations prochaines de la nouvelle convention collective et du contrat d'objectifs et de moyens. Le groupe comprend 4 500 personnes qui exercent 120 métiers différents. Il a précisé que la négociation de la convention collective devrait, dans ce cadre en mutation, permettre de préciser les métiers et fonctions et établir, sur de nouvelles bases, le dialogue social.

Le projet multimédia constitue un axe stratégique du développement de Radio France. M. Jean-Luc Hees a déclaré vouloir « faire entrer le multimédia en résonance » avec l'offre de Radio France et non dupliquer ce qui est déjà diffusé. Il a illustré son propos par la diffusion des quarante-et-une stations de France Bleu sur les téléphones et les ordinateurs. Radio France participera également au lancement de la radio numérique terrestre (RNT) à Paris, Nice et Marseille.

Outre le développement du multimédia et le déploiement de la RNT, il a notamment mentionné, au titre des projets de Radio France, l'ouverture d'une université d'entreprise, la mise en valeur des formations musicales et la réhabilitation de la Maison de la Radio. S'agissant de cette dernière, les travaux ont commencé le 8 juin 2009. Ils doivent se poursuivre pendant quatre-vingts mois. Il s'est félicité de la nouvelle négociation des appels d'offres qui a conduit à une économie générale de 85 millions d'euros, sans modification du projet. Il a ajouté que le budget d'investissement s'élève à 328 millions d'euros (en euros 2008) pour l'ensemble du programme, dont un surcoût d'environ 5 millions d'euros pour l'introduction d'un orgue au sein de l'Auditorium et de 8 millions d'euros pour les travaux de désamiantage. Le budget de fonctionnement s'établit, quant à lui, à 115 millions d'euros (en euros courants) sur la période 2005-2015.

En réponse à l'interrogation de M. Michel Thiollière sur les perspectives de développement de France Bleu, M. Jean-Luc Hees a fait valoir que le multiplexe numérique constitue une opportunité d'essor pour cette radio qui ne couvre que 75 % du territoire.

Répondant au constat de M. Michel Thiollière relatif à l'âge plus élevé que la moyenne des auditeurs de Radio France, M. Jean-Luc Hees est convenu que leur âge médian est de soixante ans. Exprimant des réserves sur le qualificatif d'« auditeur jeune », il a reconnu que Radio France doit conquérir l'audience la plus large possible, compte tenu de la concurrence exercée par le multimédia. Il a illustré son propos par l'antenne Le Mouv' dont il souhaite élargir le contenu éditorial.

Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, sur la place de la publicité dans le développement de Radio France, M. Jean-Luc Hees a admis qu'elle constitue une ressource propre nécessaire, tout en se félicitant néanmoins de l'exposition modérée des auditeurs de Radio France aux messages publicitaires. Il a souligné que la diffusion de ceux-ci est strictement encadrée.

S'inquiétant de l'avenir de la radio, au regard de l'évolution des modes de consommation des médias, Mme Catherine Morin-Desailly s'est interrogée sur l'élaboration des plans d'investissement régionaux de Radio France dont l'objectif est d'accompagner cette évolution. Puis, elle a souhaité connaître les détails de la politique de mécénat qui accompagne la création et la diffusion des formations musicales. En réponse à la première question, M. Jean-Luc Hees a fait valoir l'existence d'une relation particulière de l'auditeur avec l'antenne. Il a insisté sur la nécessité de privilégier la création, quels que soient les moyens de diffusion. A titre d'illustration, il a rappelé que France Info est devenue la première radio française en 2001, en raison d'un mode de diffusion de l'information unique en son genre, que le paysage radiophonique d'alors n'offrait pas. Il a fait observer que l'érosion de son taux d'audience, qui s'établit aujourd'hui à 8,5 %, ne peut aucunement être attribuée à un défaut de qualité, mais à l'évolution des techniques et corrélativement à celle des besoins des auditeurs. Il a en conséquence jugé nécessaire de procéder l'été dernier à une adaptation du format rédactionnel de France Info afin de répondre à ses nouveaux défis.

S'agissant des formations musicales, il a précisé que la direction en a été confiée, voilà un mois, à M. Marc-Olivier Dupin. Qualifiant la contribution de ces formations à la vie de Radio France d'essentielle, M. Jean-Luc Hees a déclaré vouloir les « exposer » sur toutes les antennes et pas seulement sur France Musique. Il s'est également félicité de l'existence d'un mécénat en ce domaine.

Puis, M. Ivan Renar s'est inquiété, d'une part, des moyens dédiés à la mise en oeuvre de la RNT et, d'autre part, de l'exposition de Radio France à la concurrence des nouveaux entrants sur le marché. Il s'est ensuite interrogé sur les voies et moyens à mettre en oeuvre pour améliorer l'indépendance des médias. Il a souhaité une présence plus visible de la culture scientifique sur les antennes. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité de permettre aux orchestres de Radio France de participer à des événements diffusés sur d'autres antennes que le service public.

Revenant sur les travaux de réhabilitation de la Maison de la Radio, M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité en connaître les modalités de financement. Il a ensuite demandé dans quelle mesure Radio France a recours à la mutualisation des services de rédaction.

M. David Assouline s'est interrogé sur l'adaptation de Radio France au défi numérique qui, selon lui, n'est pas étranger à la question de la classe d'âge de ses auditeurs. Il a ensuite voulu recueillir l'avis de M. Jean-Luc Hees sur la séparation de Radio France International (RFI) du groupe Radio France. Il a également fait part de ses craintes quant aux conséquences éventuelles du mode de désignation et de révocation des présidents des groupes de l'audiovisuel public sur leur gestion. Sur ce point particulier, M. Jean-Luc Hees a tenu à rappeler avec force l'esprit d'indépendance dont il a constamment fait preuve au cours des trente-cinq dernières années ainsi que sa sérénité face à ses responsabilités. Il s'est déclaré « non manipulable ».

Puis, M. Serge Lagauche a interrogé M. Jean-Luc Hess sur les oppositions manifestées au sein de Radio France au projet de mise en place d'un programme unique, pour l'ensemble des antennes du groupe, le 9 novembre 2009 à l'occasion de l'anniversaire de la chute du mur de Berlin.

En réponse, M. Jean-Luc Hees a fait valoir que cette initiative permettra une promotion des talents de toutes les radios composant Radio France, en France comme en Allemagne, auprès de plus de 14 millions d'auditeurs. En effet, alors que le groupe ne dispose pas de moyens financiers comparables à ceux de ses concurrents privés, ce programme unique doit être conçu comme l'occasion de promouvoir l'ensemble de ses antennes et notamment FIP ou Le Mouv'. De surcroît, un tel programme permet de participer à la célébration de l'un des événements historiques majeurs du vingtième siècle.

Répondant à la question de M. Jean-Pierre Fourcade sur le financement des travaux de réhabilitation de la maison de Radio France, M. Fabrice Lacroix, directeur financier à Radio France, a indiqué que ce dernier est pris en charge à hauteur de 22,3 millions d'euros par an par une redevance « équipement », d'une part, et à hauteur de 7,2 millions d'euros par autofinancement de Radio France, d'autre part. Il a précisé que ce programme de financement tient compte d'un certain nombre d'aléas qui ont augmenté depuis le projet d'origine. Il s'est déclaré confiant quant à la soutenabilité d'un tel projet en dépit de la longueur des travaux. L'hypothèse d'inflation est fixée à 2,5 % pour toute la durée du chantier.

S'agissant du développement de la RNT, M. Jean-Luc Hees a relevé que Radio France, couvrant 95 % du territoire, se doit d'assurer la continuité du service public dans le cadre du déploiement numérique. De surcroît, il a déclaré vouloir anticiper ces mutations, non seulement technologiques mais sociales, en intensifiant la création. Sur RFI, rappelant que la séparation du groupe avait eu lieu en 1984, il a mentionné son attachement au rayonnement extérieur de l'audiovisuel public français.

Puis il a partagé l'opinion de M. Ivan Renar sur la culture scientifique à la radio. En réponse à M. Jean-Pierre Fourcade sur la mutualisation des services de rédaction, M. Jean-Luc Hees a relevé que chaque antenne possède une identité propre. Seuls le service des sports, les envoyés spéciaux à l'étranger et les bureaux d'information en province travaillent de manière mutualisée pour l'ensemble du réseau de Radio France.

Audiovisuel - Audition de M. Patrick de Carolis, président-directeur général de France Télévisions

La commission conjointement avec la commission des finances a procédé à l'audition de M. Patrick de Carolis, président-directeur général de France Télévisions, sur le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, s'est réjoui d'accueillir M. Patrick de Carolis pour ce désormais traditionnel rendez-vous de rentrée, commun avec la commission des finances présidée par M. Jean Arthuis, pour faire le point sur l'exécution du contrat d'objectifs conclu par France Télévisions avec l'Etat pour la période 2007/2010.

Il a constaté que cette réunion revêtait cependant un caractère exceptionnel cette année, suite à l'importante réforme du service public de l'audiovisuel qui a bouleversé l'organisation du groupe. Cette réforme s'est traduite par une transformation de France Télévisions en entreprise unique, ce qui signifie non seulement des négociations sociales sur le projet de nouvelle organisation, mais également un nouveau plan d'affaires et un nouveau cahier des charges

Il a considéré que cette réforme constituait une garantie de financement inédite. En effet, le versement par l'Etat d'une compensation de 458 millions d'euros pour la suppression de la publicité et l'augmentation de la redevance, à laquelle le Sénat a grandement contribué, placent France Télévisions dans une situation que ses concurrents du secteur privé lui envient, d'autant que l'avance enregistrée sur les prévisions de recettes publicitaires lui assure un surplus très convoité.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a demandé à M. Patrick de Carolis de faire le point sur les projets présentés aux partenaires sociaux et sur sa stratégie pour transformer France Télévisions en média global.

M. Patrick de Carolis, président-directeur général de France Télévisions, a fait un tour d'horizon de l'exécution en 2008 du contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2007-2010, signé entre l'Etat et France Télévisions, en insistant sur le fait que le groupe a continué sa mutation entamée en 2007, qui vise à recentrer son activité sur sa mission de service public :

- ainsi, 800 émissions culturelles, hors fictions patrimoniales, ont été diffusées en 2008 sur les antennes de France Télévisions contre 280 en 2004 ;

- au premier semestre 2009, deux programmes culturels ont même été diffusés quotidiennement aux heures de grande écoute (« prime time ») ;

- 62 % des documentaires diffusés en première partie de soirée l'ont été sur le service public ;

- les engagements en faveur de la création ont été dépassés, avec un investissement à hauteur de 368 millions d'euros en 2008 (l'objectif fixé était de 364 millions d'euros) et à hauteur attendue de 375 millions d'euros en 2009, ce qui démontre que les craintes exprimées par les producteurs de voir France Télévisions freiner ses investissements, suite à la réforme opérée par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, étaient infondées.

M. Patrick de Carolis, président-directeur général de France Télévisions, a ensuite déclaré que la réforme de l'organisation de France Télévisions était en bonne voie :

- un premier schéma d'organisation a été présenté aux collaborateurs et aux partenaires sociaux dès le mois d'avril dernier, un accord de méthodologie a été signé avant l'été, une consultation est prévue pour le mois de décembre et la nouvelle organisation devrait voir le jour dès le mois de janvier ;

- le climat studieux et respectueux qui s'est instauré entre la direction et les représentants du personnel devrait favoriser la mise en place de la nouvelle « constitution sociale du groupe », c'est-à-dire de l'ensemble des conventions collectives, avant le mois de juin 2010 ;

- le plan de départs volontaires à la retraite devrait favoriser le retour à l'équilibre financier, qui pourrait être atteint dans un avenir plus proche que celui envisagé dans le plan d'affaires négocié entre l'Etat et France Télévisions cette année.

Après avoir rendu un hommage appuyé aux collaborateurs de France Télévisions, il a enfin souligné la bonne performance commerciale de l'année 2009, qui a permis à France Télévisions de percevoir 105 millions d'euros de recettes publicitaires de plus que ce qui avait été anticipé. Le fait que l'Etat actionnaire n'ait prélevé qu'une faible partie de cette somme (35 millions d'euros) est un élément essentiel de la mise en place d'un débat social serein et constructif.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Michel Thiollière, rapporteur pour avis des crédits de la mission Médias, a félicité M. Patrick de Carolis pour la réalisation d'un certain nombre d'objectifs fixés dans le COM. L'émergence d'une véritable identité pour le service public audiovisuel est une réussite majeure du groupe. Le virage éditorial a porté ses fruits et France Télévisions est aujourd'hui clairement identifié comme un groupe de service public qui se démarque des chaînes privées, grâce à la qualité et à l'ambition des programmes diffusés. L'émission « La boîte à musique » de Jean-François Zygel, le documentaire « 14-18 le bruit ou la fureur » et la série des Maupassant sont autant d'exemples de succès d'audience de programmes de très grande qualité. Dans le traitement de l'information, et même dans la diffusion du sport, l'empreinte de service public est également devenue visible. Enfin, les inquiétudes relatives à la mise en place d'un « guichet unique » pour les producteurs ont été apaisées.

Toutefois, France Télévisions a également rencontré des difficultés :

- d'une part, le vieillissement de l'audience est une réalité indéniable. L'indice d'attractivité des moins de 49 ans baisse très régulièrement depuis quelques années. Il s'agit certes d'un phénomène général à la télévision, mais accentué chez France Télévisions ;

- d'autre part, les programmes à vocation scientifique semblent être en partie délaissés, alors que le renforcement de leur présence dans la grille paraît hautement opportun. Ce serait au demeurant une excellente alternative que l'on pourrait proposer à ceux qui souhaitent la création d'une chaîne spécifique à vocation scientifique et pédagogique.

S'interrogeant sur la stratégie de développement de France Télévisions en matière de média global, Mme Catherine Morin-Desailly a souhaité obtenir tout d'abord des informations sur la mise en oeuvre des préconisations du nouveau cahier des charges relatives au multilinguisme, à l'accès du public malentendant aux programmes et à la télévision de rattrapage. Elle a demandé ensuite des précisions sur les activités menées par le comité pour la diversité mis en place par France Télévisions en 2009. Enfin, de retour d'une mission sénatoriale au Brésil, elle a fait observer que la nouvelle télévision publique brésilienne, mise en place en 2006, s'est construite sur le modèle français de service public de télévision.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a ensuite posé des questions relatives :

- aux dispositions du nouveau plan d'affaires 2009-2012 ;

- à l'évolution de la trajectoire de charges de France Télévisions et à l'impact de la création d'une entreprise unique sur les dépenses ;

- aux conséquences de la notification à la Commission européenne de la dotation budgétaire apportée au groupe ;

- et enfin au partage des droits entre les producteurs et France Télévisions sur les programmes co-produits. A cet égard, il a estimé qu'il n'était pas satisfaisant que les droits liés à l'exploitation d'oeuvres principalement financées par des personnes publiques leur échappent. Il a souhaité savoir si le décret relatif à ces questions avait été publié.

Après avoir déclaré que l'approfondissement des questions économiques et financières lui semblait insuffisant dans les journaux d'actualité, M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité savoir si un effort de mutualisation des données était réalisé entre les rédactions des différentes chaînes.

M. Jack Ralite s'est, quant à lui, vivement ému du choix du Gouvernement de prélever une partie des gains commerciaux de France Télévisions qui n'avaient pas été anticipés et a regretté que l'on supprime de facto des emplois à France Télévisions, via le plan de départs à la retraite. Souhaitant sortir des faux semblants, il a ensuite demandé à M. Patrick de Carolis si le climat social était serein « en profondeur » ou seulement « en surface », et s'il était réellement satisfait par le projet de budget 2010 de France Télévisions.

M. Ivan Renar a enfin interrogé le président de France Télévisions sur l'effort en matière de soutien à la création en région et sur l'impact de la modification des horaires de programmation des chaînes de France Télévisions suite à la suppression de la publicité en soirée.

M. Patrick de Carolis, président-directeur général de France Télévisions, a apporté les réponses suivantes à ces questions :

- si l'audience globale de la télévision est déclinante, celle des chaînes de France Télévisions connaît une érosion plus faible que celle des autres chaînes historiques ;

- la stratégie du groupe en direction des jeunes s'exprime principalement à travers les programmes de France 4 et ceux mis en ligne sur les portails internet jeunesse ;

- la courbe de visite des sites Internet de France Télévisions est montante. En 2009, une augmentation de 40 % du nombre de pages vues (à hauteur de 350 millions) et de 23 % du nombre de visiteurs uniques (à hauteur de 7,2 millions) a été constatée par rapport à 2008 ;

- les progrès en matière de représentation de la diversité sont réels, notamment grâce à l'action du comité de la diversité, présidé par M. Hervé Bourges, qui réunit des collaborateurs du groupe et des personnalités extérieures. Les sondages montrent au demeurant que les chaînes publiques sont considérées comme étant les plus représentatives de la diversité de notre société ;

- l'équilibre opérationnel de France Télévisions devrait être atteint en 2011 et l'équilibre net en 2012 ;

- la renégociation des accords collectifs doit être réalisée sous l'égide de deux principes directeurs ; d'une part, la souplesse et la réactivité sont au coeur du métier de France Télévisions et, d'autre part, la responsabilité est portée par l'encadrement et l'entreprise n'est pas autogérée.

- enfin, le budget 2010 du groupe est tout à fait satisfaisant par rapport aux objectifs du cahier des charges.

Des informations complémentaires ont été apportées par M. Patrice Duhamel, directeur général en charge des antennes, du développement et de la diversification, puis par Mme Geneviève Giard, directrice de France 3, qui ont précisé que :

- les reports de la publicité de France Télévisions sur les chaînes privées ont été réels ;

- la stratégie de rajeunissement de l'audience vise à attirer le public des 15-25 ans dans le bouquet France Télévisions via France 4, mais l'augmentation du nombre d'émissions culturelles globalement diffusées rend objectivement plus difficile le succès de cette politique. L'autre moyen d'étoffer l'audience des chaînes publiques généralistes est de créer l'événement autour de programmes phares tels que le documentaire « Apocalypse », dont le dernier épisode a attiré près de 600 000 jeunes de 10 à 18 ans ou la retransmission d'épreuves sportives populaires ;

- les programmes scientifiques de France Télévisions se déclinent de façons diverses (divertissements scientifiques, émissions sur la médecine...) afin qu'ils ne soient pas « ghettoïsés » ;

- le nombre d'émissions politiques (sept) n'a jamais été aussi important sur la télévision publique ;

- les chefs d'entreprise sont assez réticents à venir parler sur les plateaux de télévision, ce qui ne facilite pas l'approfondissement des sujets économiques, qui ne peuvent pas être laissés entre les mains des seuls experts ;

- le fait que le premier choix du téléspectateur en soirée se fasse sur France Télévisions est un avantage certain, qui perd de son poids en deuxième partie de soirée ;

- les investissements sur la création en région représentent environ 12 millions d'euros par an, avec une attention particulière portée à la diffusion de programmes sur l'actualité culturelle régionale ;

- si les chaînes ne disposent pas des droits d'exploitation des oeuvres qu'elles financent, elles négocient en revanche avec les producteurs un retour sur investissement sur la commercialisation des droits.

M. Damien Cuier, directeur général chargé de la gestion, des finances et des ressources humaines de France Télévisions, a quant à lui apporté les précisions suivantes :

- le prochain plan d'affaires (2009-2012) prévoira un rythme de croissance des dépenses moins rapide que celui du COM 2007-2010. L'augmentation du coût de la grille devra ainsi être limitée à 1,5 % par an (contre 2,7 % actuellement) et l'évolution globale des dépenses devra être très faible (croissance annuelle de 0,2 % contre 2,1 % aujourd'hui). Cette baisse des coûts de France Télévisions sera rendue possible par la réforme interne et le plan de départs à la retraite ;

- ces équilibres sont conditionnés par la validation de la dotation de 450 millions d'euros à France Télévisions qui fait actuellement l'objet d'une enquête diligentée par la Commission européenne.

Mercredi 7 octobre 2009

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Audition de M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF)

La commission a procédé tout d'abord à l'audition de M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF).

M. Jacques Legendre, président, a indiqué que, compte tenu du soutien apporté par la commission au projet Europeana par le passé, de l'importance du débat actuel sur la numérisation des livres et imprimés, et de la demande formulée par M. Jack Ralite, la commission avait tenu à entendre les différents protagonistes.

M. Bruno Racine, président de la BNF, a rappelé que son institution avait été pionnière en la matière, en démarrant la numérisation de ses oeuvres en 1997. Il a précisé que l'opération concernait presqu'exclusivement les oeuvres ou documents entrés dans le domaine public (c'est-à-dire antérieurs à la première guerre mondiale) afin de respecter les délais de prescription des droits.

Il a relevé que si 24 millions de pages de textes, imprimés, livres ou périodiques avaient été numérisés au cours des trois dernières années, seuls 30 à 40 000 livres et une infime partie des collections de journaux, pourtant fragiles, étaient concernés.

Il a fait également état du lancement d'un programme de numérisation des collections spécialisées (telles qu'estampes, cartes ou partitions musicales).

Au total, l'ensemble des frais afférents à ces opérations, y compris le stockage, s'élèvent à 6 ou 7 millions d'euros par an, financés via le Centre national du livre (CNL), un tel financement sur fonds publics n'ayant pas d'équivalent dans le reste de l'Europe. Ceci explique d'ailleurs que le projet Europeana soit composé, pour l'essentiel, de documents numérisés par la France.

Pour ce qui concerne l'accès payant aux oeuvres protégées par le droit d'auteur, une expérimentation est en cours, le CNL subventionnant les projets des éditeurs. Relevant que seulement 215 000 de ces ouvrages sont accessibles, il a souligné l'absence de base légale en vue de protéger les quelques millions d'oeuvres orphelines. Des propositions en vue d'y remédier seront avancées en 2010.

Puis M. Bruno Racine, président de la BNF, a apporté des précisions concernant Europeana : à l'inverse de Gallica, il ne s'agit pas d'une bibliothèque numérique, mais d'un portail d'accès aux ressources numériques des différents pays européens et d'un moteur de recherche. Les documents ainsi accessibles sont essentiellement des images, la numérisation de ces dernières étant moins onéreuse que celle des livres et imprimés. Ce projet s'intéresse par conséquent davantage aux fonds des musées qu'à ceux des bibliothèques. Par comparaison, le projet de Google Livres concerne sept à dix millions de livres et imprimés. Un partenariat a déjà été conclu avec de grandes bibliothèques mondiales, telles que, pour la partie francophone, Lausanne, Gand et bientôt Lyon.

Le président de la BNF a ensuite exposé que s'il avait défendu l'idée d'une numérisation sélective des oeuvres, voilà deux ans et demi, il était désormais convaincu que l'internaute souhaitait pouvoir accéder à l'exhaustivité des oeuvres. Alors qu'un tel projet paraissait utopique, Google serait susceptible de le réaliser en une dizaine d'années.

S'il a exclu l'idée de confier la totalité d'un programme de numérisation à un partenaire privé, la BNF devant rester maîtresse de sa politique de numérisation, il a jugé que le recours à un tel acteur pouvait intervenir en complément d'une politique réalisée grâce aux subventions publiques et aux ressources propres de l'établissement.

S'agissant de la presse, il a jugé nécessaire de changer d'échelle, les crédits alloués à cette fin par le CNL (6 millions d'euros) s'avérant insuffisants.

Il a évoqué la possibilité de confier à un partenaire privé la numérisation d'un certain nombre de collections et d'engager des discussions avec Google pour ce qui concerne les ouvrages français déjà numérisés.

Puis il a fait valoir la possibilité de mettre en oeuvre un schéma au niveau national, afin que d'autres grandes bibliothèques nationales, universitaires ou de grandes villes, puissent profiter des marchés négociés par la BNF.

M. Bruno Racine, président de la BNF, a rappelé les réflexions relatives à l'inscription d'un projet de numérisation, notamment de la presse, dans le cadre du grand emprunt, sachant que la numérisation et la conservation (presque aussi coûteuse) de 20 % des collections concernées (couvrant la période 1870 - 1939) sont estimées à 40 millions d'euros.

Il a souligné ensuite, hormis la Norvège, qu'aucun autre Etat européen n'avait l'intention de lancer un tel programme, les autres bibliothèques nationales ayant conclu un partenariat avec une entreprise privée ou étant en pourparlers. Il a donné l'exemple du Danemark et de la Belgique, à qui la société américaine ProQuest propose, à titre de contrepartie, un accès gratuit aux oeuvres numérisées par ses soins pendant dix ans et un accès payant dans les autres pays pendant cette période.

Il a aussi cité le cas de :

- la Grande-Bretagne, où un partenariat devrait être conclu pour la numérisation de la presse, l'accès auxdites collections étant gratuit pendant dix ans ;

- l'Italie, en cours de négociation avec Google pour la numérisation des fonds de 50 bibliothèques dépendant de l'Etat.

M. Bruno Racine, président de la BNF, a jugé nécessaire la définition d'une charte déontologique de partenariat entre les institutions publiques patrimoniales et les partenaires privés, afin de définir les contreparties dont ces derniers, qui supporteraient le coût de la numérisation des oeuvres, pourraient bénéficier durant un temps limité. A défaut d'une réflexion sur les conditions d'acceptabilité d'un tel partenariat, notre pays risquerait de perdre son avance et le projet Gallica serait menacé.

Avec le partenariat envisagé avec Google, la BNF se verrait confier les ouvrages français tombés dans le domaine public et que l'entreprise a déjà numérisés. Par ailleurs, sans perturber le fonctionnement de la BNF, la numérisation des quelque 300 000 ouvrages détenus en double exemplaire serait confiée à Google.

M. Michel Thiollière, évoquant l'accord conclu entre la Bibliothèque de Lyon et Google, s'est inquiété du risque que cette entreprise puisse, en captant un fonds d'oeuvres, en déposséder la bibliothèque concernée.

M. Jack Ralite a fait part de son émotion à l'annonce du processus de partenariat engagé par la BNF, regrettant qu'une telle démarche n'ait pas été précédée par une décision politique, inspirée par une vision de long terme, s'agissant de l'avenir de la « mémoire de la famille humaine ».

Evoquant ensuite la charte déontologique souhaitée par le président de la BNF, il a rappelé l'avoir appelée de ses voeux depuis des années. Il a souhaité que la France ne s'engage pas dans la marchandisation de sa mémoire et s'est inquiété des arguments avancés par l'avocat de Google pour contester la compétence du juge français dans ce domaine.

Rappelant les principes qui président aux classements effectués par les moteurs de recherche et qui sont inspirés d'une simple démarche commerciale, et non culturelle, il a jugé scandaleux qu'une partie de l'appareil d'Etat s'engage dans cette voie sans recourir à un arbitrage politique préalable.

M. Jack Ralite s'est inquiété, ensuite, de la constitution d'un immense oligopole américain couvrant les secteurs de la culture - Google captant environ la moitié du marché publicitaire sur internet - et il a formé le voeu que la France s'engage dans une autre démarche.

Enfin, après avoir demandé des précisions sur le contenu de l'accord conclu entre la Bibliothèque de Lyon et Google, il a souhaité que la France prenne l'initiative de réunir une conférence européenne sur cette question essentielle.

M. Jacques Legendre, président, a alors proposé que la commission auditionne le directeur de la Bibliothèque de Lyon.

M. Daniel Percheron a suggéré également l'audition du commissaire européen à la culture sur cette question.

M. David Assouline, replaçant ce sujet dans le cadre du débat général sur l'impact de la révolution numérique pour la culture, s'est étonné de la justification des démarches entreprises, qui laisserait supposer son caractère inéluctable. Il a demandé si la liste des principes intangibles d'un éventuel partenariat était déjà établie. Puis, il s'est inquiété du fait que Google pourrait détenir la mémoire universelle, les bibliothèques nationales n'étant que des partenaires.

Il a jugé que l'exclusivité dont Google bénéficierait pendant une certaine période constituerait, pour cette société, une immense contrepartie, lui permettant de capter une part croissante du marché publicitaire. A cet égard, il a rappelé le débat actuel sur la participation des moteurs de recherche et des fournisseurs d'accès à internet au financement de la création.

S'insurgeant contre la dénonciation de poètes chinois par des moteurs de recherche, il a souhaité que le respect de principes éthiques leur soit imposé comme condition à tout partenariat éventuel.

Enfin, il a évoqué la possibilité que des fonds publics permettent, dans un cadre mondial et surtout européen, de procéder à la numérisation des oeuvres, sans qu'il soit besoin de conclure de tels partenariats.

M. Bruno Racine, président de la BNF, a apporté aux orateurs les éléments de réponse suivants :

- la Bibliothèque de Lyon est la seule bibliothèque municipale à avoir conclu un accord avec Google mais des négociations sont en cours avec une bibliothèque universitaire ;

- les discussions de la BNF avec Google n'ont porté que sur une base technique ;

- il paraît peu pertinent d'évoquer la propriété de la mémoire collective, dans la mesure où c'est la propriété d'un fichier numérique qui y donne accès. Certes, le moteur de recherche est dépositaire de cette mémoire pendant la période d'exclusivité (de 20 ans à Lyon), mais les partenaires retrouvent ensuite leur liberté. Or, il faudrait plus de 20 ans à notre pays pour réaliser une opération de numérisation d'une telle ampleur ;

- néanmoins, dans le cadre des réflexions sur le grand emprunt, il a été proposé d'y consacrer 100 millions d'euros, ce qui ne permettrait toutefois de réaliser que 5 à 15 % de l'objectif, sur cinq ans ;

- il était envisageable de mobiliser les Européens sur le sujet voilà cinq ans. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, compte tenu à la fois de leur manque de volonté politique et des dispositions alternatives retenues par nos voisins.

Audition de M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France

La commission a ensuite entendu M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France.

Après avoir évoqué l'accueil privilégié que lui avait réservé la commission des affaires culturelles, en janvier 2006, lors d'une précédente audition et le soutien explicite apporté à ses thèses qui s'était avéré très utile dans la poursuite de son « combat », M. Jean-Noël Jeanneney a précisé, tout d'abord, qu'il s'était imposé un devoir de réserve à l'égard des orientations de son successeur à la présidence de la Bibliothèque nationale de France. Or, l'apparent revirement de la position de la BNF concernant la numérisation des collections par rapport à une ligne qu'il avait considérée comme définitive et soutenue par la représentation nationale, l'a conduit à intervenir publiquement au mois d'août dernier. Il a indiqué aussi que, dans le cadre d'une invitation qui lui avait été faite par la Bibliothèque nationale de la Diète au Japon, ses interlocuteurs, bibliothécaires, universitaires, éditeurs, lui avaient fait part de leur incrédulité et de leur stupéfaction à propos de l'abandon de cette ligne de conduite par la France.

Il a fait remarquer que les thèses qu'il défendait concouraient à lutter contre le monopole culturel, conformément aux résolutions adoptées par l'UNESCO en 2005, et que le brusque revirement de notre pays, s'il se produisait effectivement, interviendrait au moment où la situation hégémonique de Google, au niveau mondial, est remise en cause. Puis, il a dénoncé la violation des règles les plus élémentaires du droit d'auteur, héritées du XIXe siècle, par Google qui s'est approprié un nombre considérable d'ouvrages non libres de droits, afin de les mettre en ligne dans une proportion de 30 à 40 % de leur contenu.

Il a mentionné les protestations qui se manifestaient en Europe et au Japon de la part des éditeurs contre Google, notamment concernant l'accord passé par les éditeurs américains avec ce dernier qui conduirait à numériser des livres originaires d'autres pays sans l'accord des éditeurs concernés.

Exposant les dimensions culturelles, financières, économiques et politiques de cette question, mais aussi citant la responsabilité de l'Etat, il a défendu la ligne adoptée entre 2005 et 2007, dans ses précédentes fonctions de président de la Bibliothèque nationale de France, après avoir levé toute ambiguïté sur les reproches qui lui étaient parfois adressés sur son éventuel positionnement antiaméricain et son hostilité supposée vis-à-vis des nouvelles technologies.

Dans une présentation qu'il a souhaité novatrice de sa position, M. Jean-Noël Jeanneney a organisé sa réflexion autour de « 3 V », à savoir « le grand risque qui est celui du vrac, accru par la vitesse et qui pose immédiatement la question de la validation ». Il a fait observer que la question fondamentale qui se pose est celle du classement, c'est-à-dire de l'ordre des propositions qui sont faites aux utilisateurs sur Internet, principalement aux enseignants et aux journalistes qui, en tant que médiateurs de la connaissance, s'appuient essentiellement sur ce type de ressources documentaires.

Contestant la volonté de Google d'organiser l'information du monde, il a déclaré se méfier d'une forme de bonne conscience associée à la prospérité économique. Il a réfuté aussi le fait que le souci commercial et le succès conduisent à organiser la nature de l'offre.

Il a fait observer également que dans le domaine du numérique la gratuité n'existait pas, puisque son financement repose soit sur le paiement à l'acte, soit sur le contribuable, soit sur le consommateur par l'intermédiaire de la publicité. Il a mis en avant le rôle d'organisation, d'incitation et de validation des institutions nationales dans ce domaine à partir de toutes les compétences, notamment celles des bibliothécaires.

Au regard de l'évolution rapide des technologies, il a insisté sur le problème de la pérennité des oeuvres et de leur migration sur différents supports. Partant du principe d'une adaptation du contenu à chaque support, il a déclaré accorder davantage sa confiance à une institution qui a vocation à pérenniser les oeuvres qu'à une entreprise. Il a cité en exemple la politique de conservation et de mise en ligne de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Il a considéré, par ailleurs, que le cadre institutionnel était plus adapté à une collaboration européenne, concrétisée ainsi par la mise en oeuvre du projet de bibliothèque européenne intitulé Europeana.

Concernant la défense de la francophonie, il a indiqué qu'avait été lancé avec les Canadiens, les Suisses, les Belges et les pays francophones d'Afrique un projet de réseau francophone avec une attention particulière à la numérisation des journaux. Il a rappelé la dotation spécifique apportée par le Sénat, qui a contribué à la numérisation d'une vingtaine de journaux nationaux et régionaux à partir du milieu du XIXe siècle.

Enfin, il a réfuté l'objection sur le caractère trop centralisateur du projet initial, en soulignant la nécessité d'une collaboration étroite, notamment avec les éditeurs, en mettant en place un système de micro-paiement pour valoriser le stock important d'oeuvres qui ne sont plus disponibles en librairie et difficiles d'accès, et avec les grandes bibliothèques régionales. Il a estimé également que l'objection qui tend à considérer que l'Etat n'a pas les compétences techniques nécessaires pour entreprendre ce travail était contredite par l'existence d'entreprises françaises et européennes qui s'étaient préalablement lancées dans la numérisation.

Pour conclure, il a relativisé la question du coût de la numérisation, en indiquant que la Diète au Japon avait récemment décidé de multiplier par cent le crédit accordé à sa bibliothèque nationale, à hauteur de 90 millions d'euros pour numériser 900 000 ouvrages en japonais dans les deux ans à venir.

Il a rappelé que le soutien particulier que lui avait apporté l'ancien président de la République avait permis de dégager alors une enveloppe budgétaire supplémentaire de 10 millions d'euros par an qui permettait la numérisation de 100 000 à 150 000 ouvrages.

Après des applaudissements nourris des commissaires, un débat s'est engagé.

M. Ivan Renar a remercié le président pour l'organisation de cette audition qui permet à la commission de réaffirmer ses convictions et de jouer pleinement son rôle de garant de la protection de la mémoire collective.

M. Jean-Noël Jeanneney a rappelé qu'il avait défendu devant le Parlement la loi sur le dépôt légal, qui relève entre autres de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Il a estimé préoccupant le déséquilibre existant au sein de la base Europeana en faveur des archives audiovisuelles au détriment des documents écrits.

M. David Assouline a souhaité disposer d'éléments d'information sur le modèle économique cité en référence.

M. Jean-Noël Jeanneney a indiqué que l'étude qu'il avait menée à l'époque comprenait deux volets : l'estimation du coût financier pour la Bibliothèque nationale de France de la numérisation, et la capacité matérielle à déplacer les ouvrages pour conduire l'opération. Les moyens nécessaires à la saisie des livres en cause avaient pu être ainsi dégagés, pour un coût estimé à 10 millions d'euros par an, jugé suffisant compte tenu des économies d'échelle réalisables en raison du nombre de livres numérisés. Une collaboration avec les éditeurs avait également été envisagée pour les mettre en situation de partenaires. Il a mentionné enfin la récente création d'une commission, présidée par l'éditeur Claude Durand, pour engager une réflexion sur la numérisation des livres.

Reprenant les propos de M. Bruno Racine sur le caractère nécessairement exhaustif de la numérisation des collections et la nécessité de recourir à des prestataires extérieurs, alors que les bases Gallica et Europeana se développent lentement, M. Jacques Legendre, président, a souhaité connaître le sentiment de l'ancien président de la Bibliothèque nationale de France sur ce sujet. Il a rappelé également l'enthousiasme de la commission chargée de la culture de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, suscité par le lancement du projet Europeana, tout en déplorant un contenu actuellement plus axé sur l'image que sur l'écrit.

Evoquant le nombre de titres parus depuis l'invention de l'imprimerie - de l'ordre de 120 à 150 millions -, M. Jean-Noël Jeanneney a considéré que l'exhaustivité en la matière n'avait aucun sens et qu'une réflexion sur la détermination de critères était essentielle. Il a suggéré ainsi la numérisation de tous les livres ayant porté le développement de notre culture occidentale, de ceux qui ont été particulièrement traduits ainsi que des traités de droit, pour oeuvrer à la préservation du droit continental contre le droit anglo-saxon.

Il a précisé que la base Europeana avait été initiée avec les Hongrois et les Portugais avec une approche des titres par arborescence, pour regretter ensuite l'abandon d'une telle ambition et la marginalisation progressive du volume de livres disponibles.

Il a jugé inquiétants les propos de Mme Viviane Reading, commissaire européenne responsable de la société de l'information et des médias, sur la nécessité de faire évoluer la législation relative aux droits d'auteur en Europe et de signer des accords avec des partenaires privés compte tenu des aspects financiers en jeu.

M. Ivan Renar a souhaité savoir si les bibliothèques du Sénat et de l'Assemblée nationale pourraient contribuer au développement du processus de numérisation des collections des bibliothèques nationales.

Approuvant cette idée, M. Jean-Noël Jeanneney a reconnu avoir échoué dans sa tentative à convaincre les présidents respectifs des deux assemblées de l'utilité d'entreprendre rapidement la numérisation de l'ensemble des débats parlementaires.

M. Jacques Legendre, président, a précisé que cette opération était désormais en cours de réalisation et qu'une réflexion sur la numérisation des fonds de la bibliothèque du Sénat était engagée.

M. Jack Ralite a mis en garde contre le danger de la marchandisation de tout ce qui touche à l'imaginaire et à la création. Il a insisté en outre sur la nécessité d'entreprendre une action commune sur le plan européen.

Soulignant que plus de la moitié des documents figurant sur la base Europeana étaient d'origine française, M. Jacques Legendre, président, s'est interrogé sur l'attitude de plusieurs pays européens qui optent désormais plutôt pour des solutions d'ordre commercial.

A cet égard, M. Jean-Noël Jeanneney a distingué l'attitude de la Grande-Bretagne, qui tend à opter pour des solutions autonomes, de celle des autres pays européens et a insisté sur la nécessité de donner confiance aux autres pays européens dans la possibilité d'affirmer leur destin.

Audition de M. Philippe Colombet, directeur du projet Livre Google France

La commission a ensuite entendu M. Philippe Colombet, directeur du projet Livre Google France.

M. Jacques Legendre, président, a exprimé la préoccupation de la commission devant le débat sur un projet de partenariat entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et Google. Il a souhaité connaître le point de vue de Google sur la numérisation des richesses des grandes bibliothèques, sur le rôle de l'entreprise et sur les conditions matérielles et surtout légales de la réalisation de ce projet.

Après avoir remercié le président et les membres de la commission de l'avoir invité, M. Philippe Colombet a brièvement présenté son parcours, notamment dans le secteur de l'édition, et son rôle chez Google. Il a retracé l'historique de développement du projet Google Livres, né au milieu des années 1990 alors que les deux fondateurs du groupe, Larry Page et Sergey Brin, étaient étudiants à Stanford et qu'ils se demandaient comment rendre une bibliothèque accessible au plus grand nombre. Il a précisé que c'est en 2004, après la création du moteur de recherche de Google, que le projet Google Livres a été présenté au salon des éditeurs de Francfort.

M. Philippe Colombet a présenté, ensuite, la politique de Google Livres en matière d'ouvrages publics : l'idée maîtresse part du constat que l'information disponible est de deux natures, la première étant l'information en ligne donc déjà accessible sur l'internet, la deuxième étant de nature analogique et correspondant aux archives, journaux, thèses et livres. Il a souligné le paradoxe de la situation puisque l'information la plus accessible, car déjà sur la toile, ne représenterait que 10 à 15 % de l'information globale, l'essentiel de la connaissance venant des livres. Il a ainsi résumé l'objectif de Google Livres qui est de permettre aux internautes d'accéder à ces contenus analogiques, et pour cela de rendre possible leur identification par le moteur de recherche. L'enjeu est ainsi celui de la visibilité des contenus académiques, universitaires et grand public.

Il a évoqué la perspective de numérisation de plusieurs dizaines de millions de livres, jusque dans 40 langues différentes, qui ne peut s'inscrire que dans une logique de partenariat, Google n'étant ni une bibliothèque ni un éditeur. Le projet Livres vise à répondre aux besoins propres des partenaires de Google, c'est-à-dire, pour ce qui concerne les ouvrages tombés dans le domaine public, à concilier les deux axes de conservation et de visibilité des contenus.

Pour illustrer l'objectif de conservation, M. Philippe Colombet a fait référence à la bibliothèque de Gand dont les ouvrages, destinés à une numérisation, ont failli être détruits à la suite d'une inondation importante. Il a ainsi estimé que Google Livres rend un premier service de mémoire en garantissant la conservation d'un patrimoine souvent unique. Il est ensuite revenu sur l'objectif de visibilité qui tend à rendre ces fonds accessibles au plus grand nombre, et a cité le témoignage du directeur de la Bibliothèque de Lyon relatif aux chercheurs qui utilisent au quotidien Google pour leurs travaux à partir d'ouvrages anciens numérisés, illustrant ainsi l'intérêt de ces nouvelles technologies pour les ouvrages appartenant au domaine public.

Il a indiqué que Google, après avoir numérisé un ouvrage, en transmet une copie à la bibliothèque partenaire qui peut ainsi alimenter sa propre bibliothèque numérique, tandis que le référencement par le moteur de recherche en garantit la visibilité. Le partenariat s'inscrit donc dans une démarche de « maximisation » de la rencontre entre les « curieux » (chercheurs, étudiants) et les contenus, à l'instar de la logique du « Guichet du savoir » de la Bibliothèque de Lyon.

M. Philippe Colombet a insisté en outre sur l'importance de l'enjeu de développement d'un espace francophone pour Google Livres, le français étant la quatrième langue de recherche après l'anglais, l'espagnol et l'allemand. Il a précisé que cet enjeu était une priorité depuis 2005 pour Google qui doit s'efforcer de proposer un contenu reflétant cette réalité. Aujourd'hui trois bibliothèques francophones ont établi un partenariat avec Google Livres et représentent environ 100 000 livres pour la Suisse, 300 000 en Belgique et entre 400 et 500 000 ouvrages issus de la Bibliothèque de Lyon. Il a détaillé les grandes lignes du projet de cette dernière, avec la mise en place d'un centre de numérisation à la charge de Google employant des salariés locaux pour une durée qui variera entre 5 et 10 ans. Il a souligné l'attachement de Google à ne pas laisser s'imposer une prédominance de la langue anglaise dans l'offre de contenus.

M. Philippe Colombet a abordé le second volet du projet Google Livres qui concerne les partenariats avec les éditeurs pour l'accès aux livres sous droits. Faisant référence à un échange avec des lycéens de la ville de Verdun ayant eu lieu la veille, il a noté qu'un programme de livres numériques qui ne prendrait pas en compte ces ouvrages ne répondrait pas aux besoins des internautes. Il a ajouté que les objectifs d'un éditeur diffèrent de ceux d'une bibliothèque puisque l'intérêt de la conservation s'efface au profit de celui de la commercialisation. Dans cette perspective, Google Livres propose à l'éditeur partenaire de choisir les titres des livres publiés qui sont affichés à l'issue d'une recherche à partir d'un nom d'auteur, l'internaute ayant ensuite la charge de se procurer lesdits ouvrages auprès d'une librairie réelle ou virtuelle. Il a précisé que pour aider l'internaute à se décider dans l'achat d'un livre, Google Livres lui permet d'en feuilleter 20 % du contenu. Après avoir rappelé le caractère gratuit du service de référencement dans le moteur de recherche proposé par Google Livres, il a enfin précisé qu'il existe aujourd'hui 10 millions de livres numérisés et référencés avec une part croissante d'ouvrages français.

M. Jack Ralite, après avoir souligné l'atout majeur que représente l'arrivée d'internet, s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles de tels projets peuvent être menés aujourd'hui. Evoquant la controverse judiciaire aux Etats-Unis, où Google a été attaqué sur le fondement de la violation des droits d'auteur, et l'action des éditions « la Martinière » en France, il s'est étonné des arguments de l'avocate de Google ayant remis en cause la compétence de la justice française ainsi que l'étendue de la protection des droits d'auteurs sur les versions numériques de leurs oeuvres. Il s'est ensuite inquiété de la procédure d'affichage des résultats d'une recherche qui traditionnellement correspond au plus grand nombre de requêtes et risque de faire abonder dans un sens déjà connu. Il a enfin demandé que soit communiqué à la commission l'accord entre Google et la Bibliothèque de Lyon, dans un esprit de transparence et pour mettre fin aux controverses et inquiétudes suscitées par un tel partenariat.

M. Philippe Colombet a reconnu que les auteurs et éditeurs américains avaient exprimé leur désaccord sur la façon dont Google avait numérisé des livres sans les consulter. Il a cependant rappelé la démarche de Google, initiée dès 2005, pour imaginer un accord satisfaisant toutes les parties et proposant un nouveau modèle d'accès aux livres épuisés. Il a rappelé que selon le principe du « fair use » ou « usage raisonnable », jamais une page entière n'a été rendue accessible tandis qu'était donnée l'indication pour se procurer le livre. Il a noté que le juge américain et le département de la justice ont souligné, si un accord était finalement trouvé, les progrès qui seraient alors réalisés par rapport à ces oeuvres épuisées pour définir un modèle d'offre légale rémunérant leurs auteurs et les éditeurs. Il a ajouté qu'après une étude des droits d'auteur en Europe, Google a conclu que les partenariats devaient se concentrer sur les livres libres de droits, et que si certains ouvrages européens étaient concernés, c'était en leur qualité d'ouvrages appartenant à des bibliothèques américaines. Il a enfin proposé de relayer la demande de la commission auprès de la Bibliothèque de Lyon pour que le contrat de partenariat avec Google soit rendu public.

M. David Assouline a fait part de son scepticisme sur le projet de partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, qui pourrait la déposséder de son patrimoine, et demandé si Google avait une compétence exclusive sur la technologie utilisée pour numériser les ouvrages. Il a également souhaité savoir si, sur le long terme, Google était le seul à pouvoir techniquement lire et exploiter la copie transmise à la bibliothèque.

M. Philippe Colombet a précisé que tous les partenaires actuels avaient antérieurement un projet interne de numérisation de leurs fonds. Si Google possède ses propres logiciels, d'autres sociétés ont les compétences pour effectuer ce même travail et peuvent d'ailleurs répondre aux appels d'offre. Cependant, Google contribue à l'assurance de la visibilité des ouvrages qui justifie de tels investissements dans les projets de numérisation.

M. David Assouline a réagi en évoquant une sorte de « chantage », estimant que l'accessibilité devrait être toujours garantie, même pour les ouvrages numérisés par d'autres sociétés.

M. Philippe Colombet a alors souligné que l'intérêt d'un partenaire est de maximiser les chemins d'accès et que la liberté de choix qu'il est bien normal de défendre n'empêche pas d'utiliser le portail de Google Livres.

M. Bernard Fournier a demandé des précisions sur la part de livres français dans les 10 millions d'ouvrages aujourd'hui numérisés.

M. Louis Duvernois a souhaité connaître la durée de l'exclusivité figurant dans l'accord avec la Bibliothèque de Lyon, puis souligné l'antinomie d'un système visant à numériser des ouvrages libres de droits et reposant financièrement sur la publicité.

M. Jean-Pierre Chauveau a souhaité savoir comment Google Livres travaillait avec les collectivités territoriales.

M. Jacques Legendre, président, s'est interrogé sur la nécessité de l'exhaustivité de la numérisation d'un fonds de bibliothèque. Il a aussi demandé comment Google conciliait la logique consistant à orienter les internautes vers les pages les plus intéressantes commercialement avec la qualité du contenu attendue dans la recherche d'un savoir.

M. Philippe Colombet a apporté les éléments de réponse suivants :

- il est difficile de donner un chiffrage précis compte tenu de l'évolution quotidienne des fonds numérisés ; les partenariats avec les bibliothèques de Gand, Lausanne et Lyon représentent entre 900 000 et un million d'ouvrages ;

- on constate le grand engouement pour les livres anciens ;

- toutes les universités françaises ont une maison d'édition et elles ont choisi le référencement de leurs ouvrages dans le moteur de recherche ;

- le chantier de numérisation de la bibliothèque de Lyon devrait s'étaler sur dix années ;

- la durée des opérations dépend également de la capacité des bibliothèques à faire la sélection des ouvrages, Google n'ayant aucune compétence pour choisir les livres devant être numérisés ;

- les fichiers transmis aux partenaires ont un caractère tout à fait standard ; ces derniers sont invités à en choisir le format, généralement très stable au regard de l'évolution technologique des 20 dernières années ;

- Google opte principalement pour une approche contractuelle classique, mais n'écarte pas les appels d'offres publics, qui ont d'ailleurs débouché sur quelques partenariats comme à Lyon ou en Bavière ;

- les bibliothèques peuvent adopter différentes stratégies en fonction de l'ampleur de leur fonds. Google Livres ne souhaite pas effectuer ce choix qui est laissé aux partenaires ;

- aucune page de publicité ne figure en face des résultats pour les oeuvres appartenant au domaine public, tandis que cette possibilité est laissée au choix des éditeurs.

Nomination de rapporteurs

Au cours de la même séance, la commission a procédé à la nomination de rapporteurs. Elle a nommé :

M. Michel Thiollière sur la proposition de loi n° 590 (2008-2009) de M. David Assouline visant à réguler la concentration dans le secteur des médias ;

M. Christian Demuynck sur la proposition de loi n° 612 rectifié (2008-2009) de M. Yvon Collin relative au service civique ;

M. Jean-Léonce Dupont sur la proposition de loi n° 633 (2008-2009), adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat

La commission a ensuite désigné M. Yves Dauge comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger comme membre titulaire au conseil d'administration de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.