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Mercredi 25 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Questions sociales et santé

Proposition de résolution européenne portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs
Rapport de M. Denis Badré

M. Hubert Haenel. - Le 24 octobre dernier, M. Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés ont déposé une proposition de résolution européenne portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs. Conformément aux nouvelles dispositions du règlement du Sénat, cette proposition de résolution a été renvoyée à notre commission pour qu'elle l'examine. La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes sera ensuite soumise à la commission des affaires sociales, compétente au fond. De plus, le groupe socialiste a fait inscrire cette proposition de résolution à l'ordre du jour du Sénat, dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Elle sera examinée en séance publique le 10 décembre.

Pour que chacun dispose du même niveau d'information, j'indique que notre rapporteur a convié Richard Yung ainsi que le rapporteur de la commission des affaires sociales à ses auditions. Afin que notre discussion soit plus vivante, je vous propose que notre collègue Richard Yung présente d'abord la proposition de résolution en sa qualité d'auteur, puis que notre rapporteur Denis Badré fasse ses observations.

M. Richard Yung. - Le détachement de travailleurs est la situation des salariés travaillant habituellement dans un État membre de l'Union européenne qui se voient confier par leur employeur une mission temporaire dans un autre État membre. La directive du 16 décembre 1996 protège les droits de ces travailleurs en leur garantissant l'application du droit du travail du pays d'accueil, si ce droit est plus favorable que celui du pays d'origine. Elle concilie la libre prestation des services, reconnue comme une liberté fondamentale garantie par les traités, et la protection des travailleurs. En assurant l'égalité de traitement des salariés travaillant en un même lieu, elle évite les pratiques de dumping social.

Toutefois, par trois arrêts récents - les arrêts Viking du 11 décembre 2007, Laval du 18 décembre 2007 et Rüffert du 3 avril 2008 -, la Cour de justice des Communautés européennes a donné le sentiment de revenir en arrière en limitant strictement la définition du noyau dur de règles minimales impératives et en affirmant la primauté des libertés économiques fondamentales par rapport au droit de mener des actions collectives - le droit de grève et le blocus pour l'essentiel.

Dans l'arrêt Viking, elle a jugé que le blocus mené pour s'opposer au changement de pavillon d'un ferry finlandais constituait une entrave à la liberté d'établissement. Dans l'arrêt Laval, qui concernait cette fois la libre prestation de services et portait sur la directive du 16 décembre 1996, elle a jugé que le blocus des syndicats suédois à l'encontre d'une société lettonne pour la contraindre à adhérer à la convention collective locale était illégal et constituait une entrave injustifiée à la libre prestation de services. Cet arrêt est une critique indirecte du modèle de relations sociales suédois, très décentralisé et fondé sur la négociation collective au niveau de chaque entreprise, qui ne permet pas de définir des règles minimales.

Je vois dans ces arrêts la volonté d'instaurer une hiérarchie entre les libertés économiques et les droits sociaux. Cette dérive nourrie par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes est pourtant à l'origine de la mauvaise image de l'Union européenne chez beaucoup de citoyens européens. Et il n'est pas sûr que les avancées du traité de Lisbonne soient de nature à les rassurer. La Charte des droits fondamentaux est intéressante mais elle demeure très générale et plusieurs États membres bénéficient d'une clause d'opt out pour s'abstraire des contraintes de la Charte.

La proposition de résolution a donc pour but d'adresser un message fort à la Commission européenne et à la Cour de justice des Communautés européennes afin de rééquilibrer la balance entre les libertés économiques et les droits des travailleurs.

Plusieurs pistes sont ouvertes. La première repose sur l'adaptation des modèles sociaux nordique et rhénan, de manière à ce que la directive sur le détachement de travailleurs retrouve un effet utile dans ces États membres. Je crains que cela soit hypothétique. Ces États ne vont pas bouleverser leur modèle. Or, il n'est pas sûr que la Cour de justice se contente de quelques ajustements.

Du côté du gouvernement français, il semble que l'on compte sur la négociation entre partenaires sociaux européens. Malheureusement, le calendrier des discussions est très flou.

La dernière solution est celle d'une initiative de la Commission européenne en faveur d'un texte de clarification et d'application de la directive de 1996. Peu importe ou presque que cela passe par une modification de la directive ou par l'adoption d'un règlement comme l'a suggéré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. L'essentiel est d'avoir un instrument juridique contraignant qui envoie un message fort à Bruxelles et à la Cour de Luxembourg.

M. Denis Badré. - Richard Yung ayant présenté la proposition de résolution ainsi que le contexte qui l'a motivée, je passerai directement à une série d'observations.

Les inquiétudes exprimées par les auteurs de la proposition de résolution sont parfaitement compréhensibles et légitimes. Nous sommes tous d'accord pour considérer que le droit communautaire ne doit pas permettre le dumping social ou remettre en cause le droit de grève. Les débats sur la directive « services » l'ont bien montré. Toutefois, je ne partage pas complètement la lecture pessimiste qui est faite de cette jurisprudence et je crains que les solutions proposées par la résolution ne présentent des inconvénients.

Dans la proposition de résolution, il faut distinguer trois aspects :

- la condamnation de la jurisprudence de la Cour de justice qui relèguerait la protection des droits sociaux fondamentaux au second rang par rapport aux libertés économiques fondamentales ;

- la demande d'une révision de la directive de 1996 sur le détachement de travailleurs ;

- la proposition d'une clause de progrès social pour renverser la jurisprudence de la Cour de justice.

Sur le premier point, il est important que le Parlement marque sa vigilance à propos de la jurisprudence de la Cour qui serait en décalage par rapport à l'esprit dans lequel la directive de 1996 a été adoptée. Cette position est d'autant plus justifiée que le traité de Lisbonne devrait favoriser un nouvel équilibre entre l'impératif du développement du marché intérieur et la prise en compte du progrès social. En prenant position, nous envoyons un signal à la Cour de justice pour lui rappeler cette nouvelle équation.

J'attire également l'attention sur les répercussions possibles de la jurisprudence de la Cour sur la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de contrôle du droit de mener une action collective. A ce jour, la Cour de cassation n'applique pas un contrôle de proportionnalité pour juger de la légitimité d'une grève et de son adéquation aux revendications. Toutefois, à partir de l'instant où les juridictions nationales sont chargées de faire respecter le droit communautaire, elles devront certainement changer leur grille d'analyse lorsqu'elles auront à connaître d'une grève susceptible de porter atteinte aux libertés économiques d'un agent économique étranger. Il serait alors délicat de ne pas appliquer un raisonnement identique pour apprécier la légalité d'une grève intéressant une entreprise nationale. On pourrait sinon reprocher aux juges d'introduire une distorsion de concurrence entre les entreprises nationales et étrangères, les secondes étant mieux protégées contre le droit de grève.

Sur le deuxième point, il me semble moins évident que la révision de la directive soit la bonne réponse.

Certes, il faut regretter l'interprétation très stricte faite par la Cour de la notion de règles impératives minimales. Elle donne l'impression que l'on est en présence d'une directive d'harmonisation maximale ; les salariés détachés ne peuvent obtenir plus que les minimums légaux. Un autre arrêt, l'arrêt Commission c/Luxembourg du 19 juin 2008, ne fait que confirmer cette inclination de la Cour. Elle y interprète très strictement la notion de dispositions d'ordre public qui permet normalement aux États d'étendre selon leurs souhaits le champ du noyau dur. Je partage aussi les suggestions de la résolution en faveur d'une meilleure information des travailleurs et d'une meilleure effectivité des sanctions.

Pour autant, la révision de la directive ne s'impose pas de manière évidente. Le principe de réalité ne doit pas être négligé. Aucun État membre ne demande aujourd'hui la révision de la directive. Les États qui ont été directement touchés par les arrêts de la Cour ne sont pas demandeurs. Au contraire, ils réfléchissent à l'aménagement de leur modèle de relations sociales pour le rendre compatible avec la jurisprudence de la Cour. En Suède, des mesures ont été annoncées en octobre dernier et, en Allemagne, une loi a été adoptée en avril 2009.

Enfin, il faut rappeler que la directive de 1996 a été négociée dans une Europe composée de quinze États membres présentant des niveaux de richesse assez proches. Dans une Europe des Vingt-sept aux disparités économiques et sociales beaucoup plus marquées, il n'est pas acquis que la révision de la directive aboutirait au résultat souhaité par les auteurs de la proposition de résolution. Il est même certain que la liste des matières relevant du noyau dur serait rabotée. Or, pour donner un ordre d'idée, le noyau dur prévu par la directive recouvre environ la moitié du code du travail sans compter les dispositions dites d'ordre public. Il faut donc prendre garde à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Par ailleurs, sur un plan plus juridique, la révision ne serait pas nécessairement la solution. Il faut rappeler le contexte très particulier qui a entouré ces arrêts. Il portait sur des États membres dont le modèle social est très différent du nôtre. Le modèle nordique ou rhénan repose sur des négociations collectives très décentralisées aboutissant à la conclusion de conventions ad hoc non étendues. Ce modèle est mal taillé face à des notions comme celles de « salaire minimum » ou de « règles impératives minimales prévues par la loi ou des conventions collectives d'application générale ».

En outre, même si la directive était révisée pour soumettre les entreprises prestataires à des normes sociales allant au-delà des règles impératives de protection minimale, il n'est pas sûr que la Cour jugerait ce nouveau texte compatible avec les traités. Modifier la directive ne modifierait pas automatiquement la jurisprudence de la Cour. L'effort devrait donc porter avant tout sur une meilleure application de la directive en matière d'information ou de coopération administrative entre les États membres. Ces arrêts nous invitent aussi à mettre de l'ordre dans nos conventions collectives pour qu'elles soient plus lisibles et accessibles.

J'en viens enfin au troisième et dernier point de la résolution : la proposition d'introduire une clause de progrès social dans les traités pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Cet aspect dépasse la seule question du détachement de travailleurs. L'idée d'une clause ou d'un protocole de progrès social s'inspire directement du précédent de la clause Monti.

Pour mémoire, la clause Monti a été insérée dans le règlement de 1998 sur la libre circulation des marchandises. A cette époque, les traités ne comportaient pas de dispositions permettant d'assurer une juste balance entre, d'un côté, les droits sociaux fondamentaux, et, de l'autre, les libertés économiques fondamentales des Communautés. Or, le traité de Lisbonne rééquilibre le système, notamment en conférant à la Charte des droits fondamentaux une valeur juridique équivalente à celle des traités.

Passons sur le fait que l'introduction dans les traités d'une clause de progrès social ne pourrait plus être aujourd'hui annexée au traité de Lisbonne puisque celui-ci est définitivement ratifié par l'ensemble des États membres. Sur le fond, une telle clause n'est pas forcément indispensable pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice. Le nouveau traité comporte déjà des dispositions de nature à la faire évoluer dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Le dialogue des juges, en particulier avec la Cour européenne des droits de l'homme, pourrait aussi être fécond.

Enfin, il ne faut pas occulter les points positifs des récents arrêts de la Cour de justice. Le droit à l'action collective est consacré comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect. Par ailleurs, elle y affirme que la Communauté a « non seulement une finalité économique mais également une finalité sociale ». Les prémices d'un infléchissement sont peut-être déjà là.

M. Hubert Haenel. - Pour résumer l'exposé de notre rapporteur, on peut constater qu'il y a une convergence de vue sur les objectifs et des interrogations sur la meilleure stratégie. Ce dernier débat devra être tranché par la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Tasca. - L'accord sur les objectifs est un point positif. Il est très important d'affirmer notre refus du dumping social.

A propos du choix de la stratégie, une voie de compromis pourrait consister à interpeller le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pour lui demander des précisions sur l'idée d'un règlement d'application et d'interprétation. Dans tous les cas, il faut que nous engagions le débat avec un instrument juridique concret.

M. Hubert Haenel. - Cette idée est bonne. Il faut s'appuyer sur les pistes évoquées par M. Barroso. Pour votre information, je vous cite en substance ses déclarations : « les principes de la directive sont sains, mais il y a des problèmes d'interprétation, de mise en oeuvre et de coercition. Les affaires à la Cour ne nous ont donné qu'une interprétation de cas spécifiques, ce qui fait qu'il nous manque une solution générale. L'idée serait donc de proposer un règlement à adopter en codécision. Si des déficiences plus profondes de la directive étaient décelées au cours du processus, nous pourrions envisager de revoir la directive ».

M. Richard Yung. - Il faut évaluer les avantages du règlement ; il serait d'application immédiate et éviterait de rouvrir la directive. Toutefois, si nous envisagions une révision de la directive, je ne suis pas sûr que nous devions redouter que les États d'Europe centrale et orientale cherchent à abaisser le niveau de protection des travailleurs car certains de ces États peuvent aujourd'hui craindre eux-mêmes un dumping social venant d'autres États.

Mme Catherine Tasca. - Il faut s'adresser directement à la Commission européenne. Le traité de Lisbonne se met en place et va changer les équilibres. Il faut donc profiter de la phase de mise en place de la nouvelle Commission européenne pour la mandater sur ce sujet important.

M. Hubert Haenel. - À l'issue de l'examen de la proposition de résolution en séance publique, je vous propose d'écrire au président de la Commission européenne.

M. Richard Yung. - La Cour de justice des Communautés européennes est l'autre destinataire de notre débat.

M. Hubert Haenel. - Nous sommes donc tous d'accord pour interpeller la Commission européenne sur son idée de règlement complémentaire de la directive.

*

À l'issue du débat, au bénéfice de ces observations, la commission des affaires européennes, conformément à l'accord passé entre les groupes politiques sur l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires, a décidé de ne pas apporter de modifications à la proposition de résolution européenne et de la transmettre telle quelle pour examen à la commission des affaires sociales.


Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vus l'article 39 du traité CE sur la liberté de circulation des travailleurs d'une part, et l'article 49 du traité CE sur la liberté de prestation de services d'autre part,

Vu les articles 136, 137, 138, 140 du traité CE,

Vu l'article 152 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux et l'importance du dialogue social et de la négociation collective,

Vu les articles 27, 28 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, et notamment ses considérants (5), (12), et (22), ci-après nommée « la directive sur le détachement des travailleurs »,

Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, et en particulier ses articles 3 et 16(3),

Vu la « clause Monti » inscrite dans le règlement CE n° 2679/98 du Conseil du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne la libre circulation des marchandises entre les États membres,

Vu la communication de la Commission COM (2008) 304 final du 13 juin 2007 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « le détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs »,

Vus l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 11 décembre 2007 dans l'affaire C-438/05, International Transport Workers' Federation and Finish Seamen's Union/Viking Line ABP, l'arrêt de la CJCE du 18 décembre 2007 dans l'affaire C-341/05, Laval un Partneri Ltd, l'arrêt de la CJCE du 3 avril 2008 dans l'affaire C-346/06, Rüffert, ci-après nommés «Viking », « Laval », et « Rüffert »,

Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2006 sur l'application de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs,

Vu la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l'UE,

Considérant que la liberté de circulation des travailleurs dans l'Union européenne implique l'abolition de toute forme de discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs ressortissants d'un État membre en ce qui concerne les conditions d'emploi, de travail et de rémunération,

Considérant que le principe de l'égalité de traitement entre travailleurs pour un même travail sur un même lieu de travail est remis en cause par les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires « Laval », « Viking » et « Rüffert »,

Considérant que le droit de grève et le droit à l'action collective sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire,

Considérant le dialogue social entre partenaires sociaux comme un élément essentiel du modèle social et économique européen,

Déclare inacceptable que le droit fondamental des partenaires sociaux de recourir à des actions collectives passe après les droits économiques dans un ordre hiérarchisé des libertés fondamentales,

Estime que cette hiérarchisation des normes en droit communautaire pourrait poser des problèmes de cohérence avec d'autres systèmes juridiques, tels celui de l'Organisation Internationale du Travail et celui du Conseil de l'Europe,

Rappelle que le droit de grève est de nature constitutionnelle dans nombre d'États membres, dont la France, et qu'il est à ce titre protégé dans le cadre du marché intérieur par la « clause Monti »,

Estime essentiel dans un contexte de crise économique et sociale extrêmement grave de garantir un niveau élevé de protection aux travailleurs et de lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du « dumping social »,

Estime que la concurrence sur la seule base de conditions salariales et de travail différentes entre travailleurs européens dans le cadre transnational d'une prestation de services sape la confiance des citoyens envers la construction européenne,

Condamne l'instrumentalisation politique à visée nationaliste qui est faite de certains conflits sociaux impliquant des travailleurs européens de nationalité différente,

Condamne l'introduction d'un principe de proportionnalité pour juger des actions menées à l'encontre d'entreprises utilisant la liberté de prestation de services dans le marché intérieur pour remettre en cause les conditions d'emploi et de traitement des travailleurs détachés dans l'État membre d'accueil,

Estime que la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes ne saurait suffire à clarifier l'état du droit en matière de travailleurs détachés,

Estime que la nouvelle Commission européenne devra orienter son mandat en faveur d'une véritable politique de l'emploi centrée sur la qualité du travail et le progrès social,

Estime qu'il en va de la responsabilité du législateur européen de procéder à un éclaircissement juridique des dispositions de la directive par le législateur européen, notamment quant à la valeur juridique des conventions et accords collectifs au regard de l'article 3 de la directive sur le détachement des travailleurs,

Estime urgent de procéder à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs en consultation avec les partenaires sociaux européens,

Demande l'introduction d'une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur sur la base de l'article 3 (3) sous paragraphe 3 du traité de Lisbonne (sous réserve de sa ratification),

Souhaite un large champ d'application de ce qui peut être considéré comme des « dispositions d'ordre public » que les États membres peuvent appliquer en plus du noyau de normes minimales énoncées par la directive sur le détachement des travailleurs,

Demande que la directive introduise une délimitation temporelle dans la définition d'un travailleur détaché afin d'éviter toute utilisation abusive du détachement,

Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises vis-à-vis des États membres comme des employeurs, permettant de garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent,

Souhaite le renforcement des contrôles et des moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive,

Demande au Gouvernement de rendre compte à la Représentation nationale de l'application de cette directive en France,

Demande à la Commission européenne sur la base de ces orientations d'insérer dans son prochain programme de travail pour l'année 2010 une proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs,

Demande au Gouvernement d'agir dans le sens de cette résolution.

Justice et affaires intérieures

Enseignements de la rencontre parlementaire conjointe « Construire l'Europe des citoyens » (Programme de Stockholm) Bruxelles - 16 et 17 novembre 2009
Communication de Mme Annie David

Mme Annie David. - Cette rencontre parlementaire a permis d'aborder les différents thèmes qui composeront le prochain programme de Stockholm sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Dans une récente communication, avec Jean-Claude Peyronnet et Hugues Portelli, nous vous avons présenté les principales priorités qui devraient figurer dans ce prochain programme pluriannuel.

Organisée sur deux journées, la réunion a d'abord été consacrée, lundi 16 novembre, à un débat en séance plénière suivi de trois groupes de travail. Les thèmes retenus pour ces groupes de travail portaient respectivement sur « l'Europe des droits et des valeurs », « l'Europe de la justice » et « la protection des citoyens ». J'ai moi-même participé au premier groupe sur les droits du citoyen.

La deuxième journée, mardi 17 novembre, a donné lieu à une présentation des rapports des groupes de travail puis à un débat avec les représentants de la présidence suédoise, la ministre de la justice Mme Béatrice Ask, et de la commission européenne, M. Jacques Barrot.

Ces réunions interparlementaires sont devenues traditionnelles et chaque présidence veille à en organiser. Je crois que l'on peut souligner l'intérêt de ce dialogue entre parlementaires nationaux et européens auquel s'associent la présidence de l'Union et la Commission européenne. Sur la forme, on peut néanmoins regretter que la généralité des thèmes retenus n'ait pas permis des échanges plus concrets. En outre, ceux-ci auraient été plus vivants si l'on avait fait alterner les réponses de la présidence et de la Commission et les interventions de parlementaires.

Pour ma part, je retire de cette rencontre parlementaire trois enseignements principaux.

1. D'abord, la volonté a été largement partagée d'assurer une meilleure protection des droits fondamentaux

Certes, au cours des débats, l'enjeu de la sécurité a été souligné, en particulier dans le troisième groupe de travail. Je mentionnerai notamment le souhait d'améliorer les mécanismes de coopération policière, de renforcer Europol, Eurojust et FRONTEX, de mieux lutter contre le crime organisé et le cybercrime. Mais même dans ce domaine, et plus particulièrement pour la lutte contre le terrorisme, la préoccupation a été exprimée d'une évaluation précise de l'efficacité et de la proportionnalité des mesures adoptées. Sur un plan général, la ministre suédoise Mme Béatrice Ask a reconnu qu'il fallait insister sur l'évaluation et le suivi en soulignant qu'il fallait déjà utiliser l'acquis du programme de La Haye. Elle a aussi constaté les difficultés fréquentes dans la transposition des instruments européens.

Au-delà, la volonté d'un meilleur équilibre entre le renforcement de la sécurité et la sauvegarde des droits fondamentaux a été exprimée. Mme Béatrice Ask a ainsi assuré qu'avec le programme de Stockholm un meilleur équilibre serait atteint. Le commissaire Jacques Barrot a évoqué « l'ambition d'une communauté des droits ». J'ai moi-même fait valoir, comme je l'avais fait ici-même, les risques que la multiplication des fichiers et l'interopérabilité des systèmes faisaient courir à la protection des données personnelles.

Il a aussi été beaucoup question des valeurs de l'Union européenne dans le premier groupe de travail auquel j'ai participé. Les débats ont montré que la recherche d'un consensus sur ces valeurs était influencée par les positions politiques mais aussi par des considérations d'ordre culturel ou religieux, exprimées notamment par la délégation polonaise. La question de l'égalité des droits a été soulevée, notamment au regard de l'« opt-out » négocié par trois États membres (Pologne, Royaume Uni, République tchèque) pour la Charte des droits fondamentaux. En outre, l'enjeu de la protection de certaines catégories spécifiques a été mentionné. Il a ainsi été question des droits des enfants et de la lutte contre la traite des êtres humains.

L'asile et l'immigration ont été largement abordés. Un certain nombre d'intervenants ont critiqué la politique suivie dans ce domaine par l'Union européenne ainsi que les orientations envisagées pour le programme de Stockholm. Comme je l'avais fait devant notre commission, j'ai moi-même mis en garde contre le risque d'une « Europe forteresse » et plaidé pour les valeurs de solidarité, de liberté et de justice. Le commissaire Jacques Barrot a répondu en insistant sur la notion d'approche globale de la politique migratoire, mise en avant par la Commission en 2005, et sur l'importance de l'intégration pour faire de l'immigration une richesse. Je vous avais fait part de mes réserves sur cette notion d'intégration, à laquelle je préfère celle d'insertion plus respectueuse de l'identité des personnes. La ministre suédoise, Mme Béatrice Ask, a assuré pour sa part qu'il n'y avait pas de volonté d'établir une « Europe forteresse ».

2. Ensuite, l'accord sur certains objectifs va souvent de pair avec des divergences sur les moyens de les réaliser

Ce constat est plus particulièrement marquant pour la coopération judiciaire. Certes, l'objectif d'accroître la reconnaissance mutuelle des décisions de justice et, à cette fin, de progresser dans la confiance mutuelle, a été globalement partagé. Mais dans le même temps, la diversité qui prévaut entre les différents systèmes juridiques nationaux a été soulignée. Cette diversité repose sur des traditions qui ont évolué au cours des siècles. Elle est aussi perçue par les citoyens comme une garantie supplémentaire dans des situations particulières comme les procédures pénales.

L'utilité d'abolir la procédure d'exequatur en droit civil a été soutenue par une grande majorité d'intervenants. En revanche, son utilité a été mise en doute en droit administratif, les décisions apparaissant dans ce domaine standardisées et plus rapides.

L'idée, avancée par la Commission européenne, de soutenir l'activité économique en proposant un « 28e régime » en droit des contrats a été débattue. Son utilité pour renforcer le marché intérieur et les échanges commerciaux a été mise en doute. Nous l'avions nous-mêmes critiquée dans notre communication.

On a aussi pu constater une certaine prudence sur la recherche d'une harmonisation ou d'une reconnaissance mutuelle plus poussée en droit de la famille.

Il y a donc une volonté d'agir ensemble mais une difficulté à la traduire dans les faits. Ce qui est paradoxal.

3. Enfin, l'impact de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et la perspective d'une coopération accrue entre le Parlement européen et les parlements nationaux ont été soulignés

Comme nous l'avions relevé dans notre communication, les perspectives nouvelles ouvertes par le traité de Lisbonne ont été largement évoquées au cours des débats. Le commissaire Jacques Barrot a fait valoir que la procédure de codécision allait beaucoup aider au développement des politiques de liberté, de sécurité et de justice. En outre, la force obligatoire reconnue à la Charte des droits fondamentaux a été mise en avant comme un instrument essentiel d'une politique européenne dans ce domaine. De même, l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme permettra, selon l'analyse de M. Barrot, une convergence des jurisprudences respectives de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Tant la présidence suédoise que la Commission européenne ont néanmoins tenu à ne pas exagérer la portée des nouvelles dispositions issues du traité de Lisbonne. Jacques Barrot a ainsi assuré que l'Union européenne ne serait pas un « super État ». La ministre suédoise, Mme Béatrice Ask, a fait valoir que le renforcement de la coopération policière n'aboutirait pas à créer une police européenne. Le rôle d'Europol restera de faciliter une meilleure coordination entre les polices des États membres. De même, la création d'un Procureur européen sera seulement une option envisageable dans le cadre de la coopération développée au sein d'Eurojust.

Enfin, le besoin d'une coopération accrue entre le Parlement européen et les parlements nationaux a été affirmé par un grand nombre d'intervenants. Le traité de Lisbonne y invite notamment pour le contrôle d'Europol et l'évaluation d'Eurojust. Un consensus s'est dégagé pour considérer que des réunions interparlementaires, du type de celle que nous évoquons aujourd'hui, n'apparaissent plus suffisantes pour développer cette coopération. L'idée a même été évoquée par un parlementaire européen de mettre en place une structure comparable à la COSAC pour suivre la mise en oeuvre du programme de Stockholm.

Pour conclure, je veux souligner que cette rencontre parlementaire était enrichissante. Elle a permis des contacts très instructifs avec d'autres parlementaires car ils mettent en évidence que certaines préoccupations sont largement partagées. Par exemple, sur la question de l'asile, j'ai pu relever beaucoup de mises en cause des conditions actuelles d'accueil des demandeurs d'asile en Europe.

M. Hubert Haenel. - Je constate le souci, tant de la présidence suédoise que de la Commission européenne, d'être très prudentes sur la portée du traité de Lisbonne. C'est un peu inquiétant.

Mme Annie David. - C'est aussi une réponse aux interrogations qui ont été exprimées par certains parlementaires soucieux de préserver les compétences des États membres.

M. Hubert Haenel. - Nous n'avons pas besoin d'être rassurés. Nous voulons surtout aller de l'avant.

Mercredi 26 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Justice et affaires intérieures

Projet de décision du Conseil relative à la signature d'un accord
entre l'Union européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert
de données de messagerie financière afin de combattre le terrorisme (Accord Swift)
Communication de M. Hubert Haenel

M. Hubert Haenel. - Je vous rappelle que nous avons adopté une proposition de résolution le 28 octobre dernier. Cette proposition a été adoptée sans modification par la commission des lois, dans sa réunion du 16 novembre. Par le jeu des nouvelles dispositions du règlement, elle est devenue résolution du Sénat le 21 novembre.

Cette résolution affirme huit priorités dans la perspective de la conclusion du projet d'accord. Je voudrais faire un point sur ces priorités à la lumière du dernier état de la négociation. Je précise que, dans sa dernière version, le projet d'accord est soumis aujourd'hui même au COREPER en vue de son adoption par le Conseil « Justice et Affaires intérieures » du 30 novembre. L'objectif demeure que le dispositif soit en place pour l'entrée en vigueur de la nouvelle architecture SWIFT qui sera opérationnelle d'ici la fin de l'année.

1. La finalité de la transmission des données

Selon la résolution du Sénat, la lutte contre le terrorisme doit être la finalité exclusive de la transmission de données.

La nouvelle version du projet d'accord affirme clairement que la lutte contre le terrorisme et son financement sera la finalité exclusive de la transmission des données SWIFT (articles 1er et 5). Nous pouvons donc prendre acte de cette garantie qui est essentielle.

En outre, nous avions demandé que soit vérifiée la compatibilité de la définition du terrorisme - qui correspond à la définition américaine - qui figurera dans l'accord avec la définition européenne, telle qu'elle résulte de la décision cadre du 13 juin 2002. Le Gouvernement fait valoir que la définition retenue ne pose pas de difficulté. Je souhaite pour ma part que cette question soit examinée attentivement dans la perspective de l'accord à long terme qui devrait également être conclu.

Surtout, la nouvelle version permet une transmission en masse des données « potentiellement intéressantes » lorsque le fournisseur ne sera pas en mesure d'identifier et de produire les données spécifiques correspondant à la demande (article 4 § 6). Cependant, cette possibilité ne sera ouverte que sous réserve des dispositions spécifiques de l'accord relatives à la protection des données (article 5 § 2). Les autorités américaines s'engagent aussi à effacer sans délai les données transmises qui ne font pas partie de la demande initiale (article 5 § 2, j)).

En dépit de ces précautions, cette méthode me paraît très contestable. Elle aboutira nécessairement à la transmission de données sans lien direct avec la finalité de l'accord. En outre, a disparu le considérant n° 9 bis de la version précédente qui spécifiait la faculté des États membres de l'Union européenne de suspendre les flux de données afin de protéger les particuliers en cas de non-respect de l'accord ou de carence du Trésor américain. Chaque « partie » pourra certes suspendre ou dénoncer l'accord (article 14). Mais, cette faculté n'appartiendra pas aux États membres qui ne sont pas formellement « parties » à l'accord.

En vue de l'accord à long terme, cette question devra donc être reconsidérée pour qu'on s'en tienne à une transmission ciblée sur les seules données pertinentes pour la lutte contre le terrorisme.

2. La définition et le rôle des autorités compétentes pour la transmission des données 

Selon la résolution du Sénat, la qualité et les missions qu'aura l'autorité européenne responsable de la transmission des données doivent être définies précisément. Cette autorité doit pouvoir exercer un contrôle effectif sur la conformité des demandes aux conditions posées par le projet d'accord et par l'accord bilatéral sur l'entraide judiciaire.

La nouvelle version du projet d'accord ne précise pas quelle sera la qualité de cette autorité. En principe, il s'agira d'une autorité belge. En revanche, le projet d'accord prévoit expressément que cette autorité devra vérifier que la demande est conforme aux dispositions de l'accord et à celles applicables de l'accord bilatéral sur l'entraide judiciaire (article 4 § 5). Ce qui me paraît répondre à notre demande.

3. Le partage de l'information

La résolution du Sénat demande que des garanties soient apportées sur la conservation des données, que l'accès aux données soit réservé à des services dûment habilités et pour cette seule finalité et que la communication des données fournies à des tiers soit prohibée.

La nouvelle version du projet d'accord précise que le programme américain de lutte contre le financement du terrorisme n'inclut pas et n'inclura pas « l'exploration de données ni aucun autre type de profilage algorithmique ou informatisé, ou de filtrage. » (article 5 § 2). Il envisage une conservation des données dans un environnement sécurisé et séparée de toutes les autres données. L'accès sera limité aux analystes enquêtant sur le terrorisme et aux personnes chargées du soutien technique, de la gestion et de la surveillance du programme de surveillance du financement du terrorisme. Mais l'information ainsi obtenue pourra être partagée avec des autorités chargées de la lutte contre le terrorisme dans les États tiers (article 5 § 2, h)).

Outre une question de principe, cette transmission pose tout le problème des garanties pour la protection des données.

Cependant, la négociation a permis d'apporter de nouvelles précisions. Les données SWIFT en tant que telles ne pourront être transmises. Seuls les « indices d'activité terroriste » obtenus par l'intermédiaire du programme américain de surveillance du financement du terrorisme pourront être communiqués. C'est un acquis de la négociation qui doit être souligné.

En outre, à la demande de la France, une déclaration du Conseil qui sera annexée à l'accord précise que celui-ci « est sans préjudice d'aucune des dispositions de l'accord à long terme, en particulier en ce qui concerne (...) la transmission de données aux États tiers. »

En vue de l'accord à long terme, il est en effet indispensable que cette question soit réexaminée.

4. Le délai de conservation des données

Dans sa résolution, le Sénat demande que le délai de conservation soit proportionné aux finalités de l'accord et que celui-ci détermine un délai raisonnable.

La nouvelle version du projet d'accord maintient une durée de conservation de cinq ans prévue dans le projet initial (article 5 § 2, k) et l)). Pour le PNR européen, le Sénat avait proposé une durée de 3 ans, qui pourrait être complétée par un nouveau délai de 3 ans pour les données ayant montré un intérêt particulier.

Dans la perspective d'un accord à long terme, cette question méritera un examen plus approfondi pour vérifier l'adéquation du délai de cinq ans avec la finalité poursuivie.

5. Le droit des personnes concernées

La résolution du Sénat demande que des garanties soient établies sur les droits des personnes concernées en particulier pour leur permettre d'exercer un recours administratif ou juridictionnel effectif tant dans un État membre qu'aux États-Unis.

La nouvelle version affirme bien ce droit. Mais ce droit sera exercé « en application de la législation des États-Unis » (article 11 § 3). Cette législation n'empêche pas des ressortissants européens d'exercer un recours administratif. Mais la législation américaine, qui ne sera pas affectée par l'accord, réserve le droit au recours judiciaire aux citoyens et résidents permanents des États-Unis. Le considérant n° 10 indique que les parties sont conscientes « qu'un droit de recours administratif ou juridictionnel approprié est prévu par la législation des États-Unis. »

Cependant, la déclaration du Conseil annexée à l'accord précise que celui-ci « est sans préjudice d'aucune des dispositions de l'accord à long terme, en particulier en ce qui concerne les questions de recours. »

On ne peut admettre que perdure une situation dans laquelle les citoyens européens ne disposent pas de toutes les voies de recours judiciaire ouvertes aux citoyens et résidents permanents des États-Unis.

6. Le rôle des autorités de contrôle de la protection des données dans la supervision et l'évaluation de l'accord 

La proposition de résolution insiste sur le rôle des autorités de contrôle de la protection des données pour superviser et évaluer la mise en oeuvre de l'accord. Elle demande notamment que le groupe des « CNIL européennes » que préside Alex Türk soit étroitement associé à ces procédures.

La nouvelle version du projet d'accord prévoit que, pour le réexamen de l'accord, qui se fera dans un délai de six mois, la délégation de l'Union européenne comprendra deux représentants des autorités de contrôle dont l'un au moins sera issu d'un État membre où le fournisseur désigné est établi (la Belgique). En revanche, elle ne fait pas référence au groupe des « CNIL européennes » (article 10 § 2). Mais la négociation a permis de faire préciser que le programme de surveillance du financement du terrorisme pourra faire l'objet d'un contrôle à tout moment à la demande de l'Union européenne. Les deux « CNIL européennes » participeront à ce contrôle. Je crois que c'est là encore un acquis de la négociation qui répond à notre souhait d'une procédure de supervision de l'accord pendant toute sa période d'application.

7. L'accès des Parlements nationaux aux évaluations

La résolution du Sénat demande que les parlements nationaux aient accès aux résultats de la supervision et à l'évaluation qui sera faite de l'accord. Aucune précision n'est apportée dans la nouvelle version du projet d'accord sur la publicité de l'évaluation. Nous devrons rester vigilants pour que ne se répète pas le secret qui a entouré le rapport de M. Bruguière.

8. La reconduction de l'accord

Dans sa résolution, le Sénat souligne que l'accord devra expressément mentionner qu'il s'appliquera à titre provisoire en vertu d'une clause de caducité ne pouvant excéder douze mois et que, dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui sera notifiée aux autorités américaines, un nouvel accord devra être négocié et conclu sur les nouvelles bases juridiques prévues par le traité.

La nouvelle version précise effectivement que l'accord expirera et cessera de produire ses effets au plus tard le 31 janvier 2011 et que, dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c'est-à-dire le 1er décembre, les parties s'efforceront de conclure un accord à long terme (article 15 § 3 et 4). C'est une précision essentielle.

*

Pour conclure, je crois que nous devons réaffirmer les enjeux qui s'attachent à la transmission de ces données financières. Il y a un enjeu d'efficacité de la lutte contre le terrorisme que nous partageons. Sur ce point, nous ne pouvons que prendre acte de l'argument selon lequel il est essentiel qu'il n'y ait pas de rupture dans l'utilisation des données SWIFT.

Il y a aussi un enjeu majeur de protection des droits fondamentaux, en particulier des données personnelles. Au regard de ce dernier enjeu, il aurait été préférable d'anticiper davantage la perspective de la mise en place de la nouvelle architecture SWIFT pour engager des négociations beaucoup plus approfondies.

Je constate néanmoins que la négociation a permis d'obtenir certaines avancées. Nous pouvons nous féliciter que la France ait joué un rôle très actif pour faire évoluer le texte de l'accord dans un sens plus conforme aux exigences en matière de protection des données. Je crois pouvoir dire que notre résolution a eu à cet égard un impact positif.

Mais, en l'état, le texte laisse encore subsister des lacunes importantes, notamment sur le droit de recours. C'est pourquoi il est essentiel que l'accord revête un simple caractère provisoire et qu'une nouvelle négociation s'ouvre au plus vite en vue d'un accord à long terme. Dans ce cadre, les questions encore en suspens devront recevoir des réponses adéquates. Nous devrons bien sûr être très vigilants sur le déroulement des négociations.

Ce n'est que sous ces réserves que nous pouvons prendre acte du dernier état de la négociation sur ce projet d'accord transitoire.

M. Richard Yung. - Je souhaite que nos préoccupations soient prises en compte d'ici la réunion du Conseil.

Il me paraît très important que cet accord soit limité dans le temps. Cependant, il ne faut pas exclure que les États-Unis marquent leur désaccord sur certains sujets dans le cadre de la nouvelle négociation. Que se passera-t-il si celle-ci n'aboutit pas à la conclusion d'un accord à long terme d'ici un an ?

M. Hubert Haenel. - Dans ce cas, l'accord transitoire deviendra caduc. Avec le traité de Lisbonne, la procédure de codécision s'appliquera et le Parlement européen pourra faire valoir ses arguments sur l'accord à long terme. En outre, avec ce traité, les parlements nationaux disposent de nouveaux droits. Ils pourront exercer un droit de suite. Nos observations seront transmises au Gouvernement.

M. Bernard Frimat. - La proposition de résolution a été soutenue à l'unanimité par la commission des lois. Je crains néanmoins que, si un accord à long terme ne pouvait être conclu, ces échanges de données financières se poursuivent sans cadre juridique défini.

L'Assemblée nationale s'est-elle prononcée sur cette question ?

D'autres parlements nationaux ont-ils pris une position sur le projet d'accord ?

M. Hubert Haenel. - Je me félicite que la commission des lois se soit saisie très rapidement de notre proposition de résolution et que nos deux commissions aient adopté une position convergente. En outre, au cours de la réunion de la commission des lois, notre collègue Alex Türk qui préside le groupe des « CNIL européennes » a souligné que la rédaction de la résolution offrait toute satisfaction par sa fermeté. Il a souhaité que les autres parlements nationaux émettent des avis semblables. Il a signalé que le groupe des « CNIL européennes » allait adresser la résolution du Sénat aux autres parlements nationaux.

À défaut d'accord à long terme, il n'y aurait plus de base juridique puisque l'accord transitoire cesserait de s'appliquer. Dès lors, si des velléités d'appliquer malgré tout cet accord se manifestaient, des recours juridictionnels seraient envisageables pour contester la transmission de ces données financières sans base juridique.

À l'Assemblée nationale, il n'y a pas eu de résolution, mais de simples conclusions adoptées par la commission des affaires européennes.

Des réserves sur le projet d'accord ont été exprimées dans d'autres États membres, en particulier en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.

Je crois qu'il sera utile de faire un point sur les négociations qui vont s'engager en vue d'un accord à long terme. Nous pourrons, à cette occasion, auditionner à nouveau notre collègue Alex Türk.

Institutions européennes

Arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe
sur le traité de Lisbonne
Rapport d'information de M. Hubert Haenel

M. Hubert Haenel. - Pourquoi ce rapport ?

La Cour constitutionnelle allemande (Cour de Karlsruhe) a rendu, le 30 juin dernier, son arrêt sur le traité de Lisbonne.

1. Cet arrêt est important pour plusieurs raisons.

? Tout d'abord, la Cour de Karlsruhe a un grand rôle dans la vie juridique de l'Allemagne où elle est un peu l'équivalent de ce qu'est la Cour suprême aux États-Unis.

Elle a tout d'abord un rôle d'arbitre du fonctionnement des pouvoirs publics, et notamment du fonctionnement du fédéralisme. Ensuite, elle assure un contrôle de constitutionnalité des lois et règlements. Il est à noter que ce contrôle s'exerce uniquement a posteriori. Enfin, elle peut également être saisie d'un jugement, si le requérant estime qu'un de ses droits fondamentaux a été lésé et si toutes les voies de recours ont été épuisées.

La Cour de Karlsruhe dispose ainsi de tous les instruments pour assurer un contrôle de constitutionnalité, tant à l'égard des autorités politiques et administratives que des autorités judiciaires, qui toutes sont liées par ses décisions.

? En second lieu, cet arrêt est important parce que la Cour s'est livrée à un travail très méthodique pour clarifier la nature de l'Union et la signification des principes démocratiques dans le cadre de la construction européenne.

? Enfin, en troisième lieu, l'arrêt est important parce qu'il s'agit de l'Allemagne, pays le plus important de l'Union et qui a souvent été « en flèche » dans la construction européenne.

En même temps, il s'agit d'un arrêt controversé. Certains ont dit qu'il traduisait une volonté de freiner, voire de stopper, la construction européenne, ou encore qu'il traduisait un désengagement de l'Allemagne à l'égard de l'Europe.

Il fallait essayer d'y voir plus clair, et c'est l'objet de ce rapport, qui a été préparé par un déplacement à Karlsruhe où Denis Badré et Pierre Fauchon m'ont accompagné.

2. Quels sont les griefs dont la Cour a été saisie ?

La Cour constitutionnelle a statué à partir des griefs dont elle était saisie. En l'occurrence, ces griefs portaient principalement sur l'atteinte au principe de démocratie.

Les requérants faisaient valoir que le droit de vote au Bundestag se trouvait vidé de sa substance par le développement des compétences de l'Union et l'imprécision de leur définition ; à la limite, la République fédérale d'Allemagne perdait son « caractère étatique ».

Parallèlement, la légitimation démocratique de l'Union restait insuffisante : le Parlement européen n'était pas élu dans des conditions d'égalité démocratique, et le Conseil n'était pas un organe représentatif ; le fonctionnement des institutions européennes ne permettait pas l'alternance des majorités et ne respectait pas la séparation des pouvoirs.

Certains requérants faisaient valoir que, en imposant à l'Union une « économie de marché ouverte », le traité de Lisbonne non seulement portait atteinte au principe de démocratie, mais mettait en cause celui de l'État social.

Par ailleurs, un des requérants soulignait que le traité de Lisbonne remettait en cause le principe de « l'armée du Parlement » selon lequel le Bundestag avait une compétence exclusive pour l'engagement des forces armées allemandes.

Enfin, certains requérants demandaient également l'annulation de la « législation d'accompagnement » relative à la mise en oeuvre du traité de Lisbonne en considérant qu'elle portait atteinte au principe de démocratie.

? La Cour a jugé recevables les griefs qui faisaient ressortir un lien direct entre le traité de Lisbonne et une atteinte à un principe fondamental.

Elle a ainsi jugé recevables, à l'encontre du traité de Lisbonne, les griefs de violation du principe de démocratie, de perte de « caractère étatique » de la République fédérale d'Allemagne, de violation du principe de l'État social. Elle a également jugé recevable le grief de violation des compétences de décision du Bundestag en matière d'engagement des forces armées.

Enfin, à l'encontre de la législation d'accompagnement, elle a jugé recevable le grief de violation du principe de démocratie.

3. Le raisonnement de la Cour

Quelle a été la conclusion de la Cour ? Tout d'abord, elle a rejeté les griefs concernant le traité de Lisbonne. Cela devrait d'ailleurs inciter à la modération ceux qui estiment que cet arrêt est « anti-européen ».

Ensuite, la Cour a censuré la loi d'accompagnement, dans la mesure où cette loi n'assurait pas un contrôle suffisant du Bundestag et du Bundesrat. C'est pourquoi il a fallu, avant que l'Allemagne ne ratifie le traité de Lisbonne, adopter une nouvelle loi d'accompagnement. Dès que cette loi a été adoptée, le 22 septembre dernier, l'Allemagne a déposé un instrument de ratification.

Alors, quel a été le raisonnement de la Cour ?

Dans son arrêt, la Cour souligne que le principe de démocratie, appliqué à un État, impose de respecter certaines conditions que l'Union ne remplit pas : les élections européennes ne s'effectuent pas selon le principe « un homme, une voix », il n'y a pas d'interaction entre une opinion publique et des gouvernants, il n'existe pas d'alternance des majorités ; les conditions ne sont pas réunies pour que le résultat des élections apparaisse comme la sanction ou la confirmation d'une équipe, et l'expression d'une volonté politique majoritaire.

Cette situation serait inacceptable si le traité de Lisbonne avait pour objet de faire de l'Union européenne un État. Mais ce n'est pas le cas : avec le traité de Lisbonne, l'Union reste un « regroupement d'États » et les exigences démocratiques ne peuvent être les mêmes pour un État et pour un regroupement d'États : par exemple, pour ce dernier, il est acceptable que les élections ne respectent pas le principe « un homme, une voix ».

De ce fait, la construction européenne telle qu'elle est organisée par ce traité n'enfreint pas le principe de démocratie : pour un regroupement d'États doté d'une compétence d'attribution, « la légitimation fournie par les parlements et gouvernements nationaux, complétée et étayée par le Parlement européen directement élu, est en principe suffisante ».

Rien n'interdit d'envisager de transformer un jour l'Union en État fédéral : mais à ce moment là - et à ce moment là seulement - l'Union devra respecter intégralement les standards démocratiques exigés aujourd'hui des États ; en outre, cette décision devra relever du peuple lui-même, qui seul peut décider de se fondre dans un nouveau sujet politique : il faudra un référendum.

Aussi longtemps que cette voie de l'État fédéral ne sera pas empruntée par la construction européenne, il faudra veiller à ce que l'Union remplisse effectivement les conditions de la légitimité démocratique telles qu'elles s'appliquent à un regroupement d'États.

Quelles sont les conditions ?

Tout d'abord, la vie démocratique dans les États membres doit garder un contenu suffisant. Il faut garder assez de compétences à l'échelon national pour qu'il y ait une démocratie vivante.

Ensuite, l'Union doit rester dans le cadre des compétences qui lui ont été dévolues par les États membres, elle ne doit pas pouvoir élargir elle-même ses compétences. Les compétences européennes peuvent évoluer, naturellement, mais pas de manière « rampante » : il faut chaque fois une approbation parlementaire explicite.

Enfin, l'identité constitutionnelle des États membres doit être préservée. L'« identité constitutionnelle », ce sont les principes fondamentaux et les droits fondamentaux constitutionnellement reconnus. En Allemagne, ils sont intangibles, c'est-à-dire que même une révision constitutionnelle ne peut y porter atteinte.

Au vu de ces conditions, la Cour de Karlsruhe a jugé acceptable le traité de Lisbonne : l'Union conserve une compétence d'attribution, la vie démocratique nationale conserve un contenu suffisant et l'identité constitutionnelle allemande peut être préservée. Sur ce point, la Cour de Karlsruhe précise qu'elle contrôle le respect de l'identité constitutionnelle allemande dans un « rapport de coopération » avec la Cour de justice de Luxembourg. La Cour de Luxembourg est là pour assurer le respect des traités, et les traités garantissent le respect des droits fondamentaux et plus généralement de l'identité constitutionnelle des États membres. Donc, normalement, il ne doit pas y avoir de problème. Mais si, d'aventure, il y en avait un, la Cour de Karlsruhe se réserve la possibilité d'intervenir en dernier recours.

En revanche, la Cour a censuré la loi d'accompagnement, en considérant qu'elle ne donnait pas assez de droits au Bundestag et au Bundesrat. Son raisonnement est le suivant : comme ce sont les parlements nationaux qui, en approuvant les traités, donnent à l'Union sa légitimité de base, il est nécessaire qu'ils contrôlent également les évolutions de ces traités. Il faut donc une approbation parlementaire pour tout ce qui constitue une évolution des traités.

Donc, chaque fois que l'on fera usage des souplesses introduites par le traité de Lisbonne, il faudra que le Parlement allemand se prononce explicitement : ce sera notamment le cas pour l'utilisation des « clauses passerelles » ou de la « clause de flexibilité des compétences ». Comme la loi d'accompagnement ne prévoyait pas cette règle, elle a été censurée.

4. Quelques enseignements

Alors, quelle est la conclusion de tout cela ? Il faut souligner que la Cour de Karlsruhe n'est pas un organe politique : c'est une juridiction constitutionnelle chargée de faire respecter la Loi fondamentale allemande. C'est ce qu'elle a fait avec cet arrêt.

C'est pourquoi, à mon avis, le véritable intérêt de l'arrêt « Lisbonne », c'est de clarifier les conditions d'une construction européenne démocratique. Et il faut souligner que l'arrêt n'exclut aucune hypothèse sur l'avenir de l'Union, dès lors que le principe de démocratie est respecté. Tout est possible, à condition de le faire démocratiquement, et de tenir compte du stade où l'on se trouve dans la construction européenne.

Donc, me semble-t-il, cet arrêt est avant tout une très utile leçon de démocratie. Alors, pourquoi a-t-il suscité tant de critiques ?

Je crois qu'on a projeté sur cet arrêt des inquiétudes qui ont une autre origine. C'est vrai que, depuis la chute du mur, les données de la politique européenne de l'Allemagne ont changé. L'Allemagne a retrouvé son unité et sa pleine souveraineté. Elle n'a plus un besoin aussi vital de la construction européenne et du couple franco-allemand. Elle est désormais au centre de l'Europe, elle ne regarde plus seulement vers l'Ouest, mais aussi vers l'Est, ce qui est parfaitement normal.

Alors, notamment en France, certains ont la nostalgie de la situation d'avant-1989, où c'était davantage notre pays qui était au centre de la construction européenne et où l'Allemagne divisée avait davantage besoin de ses partenaires. Mais comme il est difficile de prétendre que la guerre froide, c'était la belle époque, on dit que l'Allemagne devient moins européenne.

Non, l'Allemagne n'est pas moins européenne, mais son engagement européen s'exprime dans un nouveau contexte, celui de l'Europe élargie de l' « après-guerre froide ».

Et l'arrêt de la Cour de Karlsruhe, qui est un arrêt de principe sur des questions fondamentales, ne doit pas être lu comme l'expression d'une nouvelle orientation de la politique européenne de l'Allemagne.

Il est vrai qu'après cet arrêt, le Gouvernement allemand devra davantage tenir compte de son Parlement pour définir sa politique européenne, mais est-ce à nous de nous en plaindre ? Je crois au contraire que nous pourrions trouver dans cet arrêt une source d'inspiration utile.

*

À l'issue d'un échange de vues, la commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 119 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html