Mercredi 16 décembre 2009

- Présidence de M. Gérard Cornu, vice-président -

Mission en Russie - Examen du rapport d'information

La commission a tout d'abord entendu M. Gérard César, vice-président, présenter le rapport d'information consécutif à la mission effectuée en Russie du 30 août au 4 septembre 2009.

M. Gérard César a rappelé qu'il avait eu l'honneur de conduire la délégation de sept sénateurs envoyée par la commission de l'économie en mission en Russie, du 31 août au 4 septembre 2009, pour y étudier surtout les questions énergétiques. Cette délégation se composait, outre lui-même, de M. Gérard Cornu, Mme Elisabeth Lamure, MM. Gérard Le Cam, Jean-Claude Merceron, Georges Patient, et Paul Raoult. Le programme de la mission, préparé par les services économiques de l'ambassade de France, a conduit la délégation à Moscou et à Mourmansk, ville qui se situe au nord du cercle polaire, sur les rives de l'océan Arctique. Celle-ci a rencontré des personnalités russes du monde de l'administration et de l'entreprise, ainsi que les élus locaux de Mourmansk, et a également eu des contacts avec des représentants des entreprises françaises présentes en Russie, notamment dans le secteur de l'énergie, mais aussi dans d'autres secteurs comme l'automobile ou l'agroalimentaire.

Le rapport de mission comporte deux parties, la première exposant comment l'énergie se trouve au coeur de la puissance économique russe, et la seconde évoquant les opportunités de coopération et d'investissement qui existent pour la France dans le domaine énergétique, en mettant plus particulièrement l'accent sur la région de Mourmansk.

Abordant la première partie, M. Gérard César a indiqué que l'énergie apporte une contribution essentielle à l'économie de la Russie, et qu'elle constitue son principal pilier. En effet, ce pays dispose de ressources énergétiques colossales avec les deuxièmes plus importantes réserves de charbon de la planète, derrière les Etats-Unis d'Amérique, mais devant la Chine. Il est le premier producteur de gaz au monde, et le deuxième de pétrole, derrière l'Arabie saoudite. Sa production nationale d'uranium ne couvre que 20 % de ses besoins, mais les 80 % restants sont couverts par le stock de réserve, qui permettra au pays d'être auto-suffisant jusqu'en 2015.

Le secteur économique de l'énergie présente en Russie une dimension politique marquée. Après la vague de privatisations qui a suivi la fin de la période soviétique, les autorités russes, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Vladimir Poutine, ont repris en main le secteur. La renationalisation du groupe pétrolier Loukol est emblématique de cette évolution et la volonté ainsi exprimée du Kremlin de contrôler les ressources énergétiques du pays, notamment en hydrocarbures, bien compréhensible. En effet, en plus de son intérêt stratégique, la production d'énergie apporte une contribution majeure aux finances publiques, puisque les seuls hydrocarbures fournissent 50 % des recettes du budget fédéral.

L'énergie est aussi un secteur exportateur, la Russie étant le premier exportateur mondial de gaz et le deuxième de pétrole. L'énergie occupe ainsi une part prépondérante dans la balance commerciale de la Russie, qui échange ses hydrocarbures contre des biens d'équipement et de consommation. Les recettes d'exportation ainsi dégagées lui ont permis d'accumuler des réserves de change qui, après avoir atteint un maximum de 580 milliards de dollars, ont sensiblement fléchi à la suite de la crise financière, pour s'abaisser à 380 milliards au début de 2009. Elles sont depuis en voie de reconstitution, et atteignent 440 milliards de dollars à la fin de cette année.

Dans ce panorama général, M. Gérard César a voulu mettre l'accent sur le rôle stratégique de Gazprom, dont la délégation a rencontré à Moscou le directeur-adjoint des relations économiques extérieures, M. Sergueï Balashov. Avant de devenir le président de la Fédération de Russie, M. Dmitri Medvedev avait été président du conseil d'administration de Gazprom, et l'actuel président du directoire de Gazprom, M. Alexei Miller, a été un proche collaborateur de Vladimir Poutine à la mairie de Saint-Pétersbourg, tout comme M. Dimitri Medvedev, d'ailleurs.

Gazprom, qui est la première entreprise russe et la troisième entreprise mondiale par sa capitalisation, est majoritairement contrôlée par l'État. Elle constitue un vecteur d'influence de la Russie à l'étranger, que ce soit par ses ventes - elle fournit 20 % du gaz consommé par l'Union européenne -ou par ses approvisionnements- en sécurisant à long terme ses ressources en provenance d'Asie centrale et du Caucase. Enfin, jusqu'à l'éclatement de la crise, Gazprom s'était engagée dans une politique ambitieuse de prises de participations dans des actifs à l'étranger, aussi bien dans le développement de gisements que dans l'aval du traitement et du stockage du gaz ou dans son transport. Gazprom souhaiterait également devenir distributeur dans plusieurs pays européens. Ainsi, elle livre déjà 1 % du marché français du gaz, essentiellement des clients industriels, et souhaite conquérir aussi le marché des consommateurs domestiques. Bien qu'elle ait subi de plein fouet l'impact de la crise, à cause du repli des volumes consommés et des cours du gaz qui en est résulté, Gazprom ne perd pas de vue ses objectifs stratégiques de long terme, auxquels elle peut encore consacrer des moyens financiers importants.

Toutefois, M. Gérard César a considéré que, au-delà de cette apparence de puissance économique, la Russie doit faire face à trois défis dans le domaine énergétique.

Premièrement, ce pays présente tous les points faibles d'une économie de rente. A ce titre, il est exposé aux dangers de la « maladie hollandaise ». Cette expression désigne, en théorie économique, ce qui est arrivé aux Pays-Bas à la suite de la découverte d'importants gisements de gaz en mer du Nord dans les années 1970. La « manne énergétique » qui s'est alors déversée sur la Hollande, outre un impact inflationniste, a eu des effets d'éviction sur le reste de l'économie du pays. En effet, l'appréciation du taux de change résultant des exportations de gaz a été dommageable à tous les secteurs exposés à la concurrence internationale. L'économie néerlandaise s'est alors polarisée sur son secteur énergétique et sur les secteurs abrités de la concurrence étrangère, tels que l'administration, la construction ou les services de proximité, tandis que son industrie manufacturière périclitait.

La Russie, qui fait figure « d'émirat gazier » présente de nombreux symptômes de cette « maladie hollandaise ». L'industrie russe est, pour l'essentiel, non compétitive sur les marchés internationaux et, au total, la croissance économique de long terme du pays risque de s'en trouver réduite. La vulnérabilité de l'économie russe, qui avait connu une phase d'expansion continue entre 1998 et 2008, à un rythme annuel de 7 %, a été révélée par la crise financière et économique, qui s'est traduite par un sévère fléchissement des cours des hydrocarbures, par l'effondrement de la bourse de Moscou, qui a plongé de 70 %, et par l'érosion rapide des réserves de change du pays.

Un autre point faible de cette économie fondée sur la rente énergétique réside dans le transit des hydrocarbures, qui peut être considéré comme un véritable « talon d'Achille » de la Russie. A cet égard, les crises de 2006 et 2009 avec l'Ukraine, par laquelle transite 70 % du gaz exporté par la Russie, ont sonné comme des coups de semonce. Le projet de gazoduc Nabucco, soutenu par certains pays européens qui veulent s'assurer un accès direct au gaz d'Asie centrale et de la mer Caspienne en transitant par la Turquie, peut aussi être considéré comme une menace par la Russie.

En réaction, les autorités russes ont mis en avant les projets de gazoducs Nord Stream, qui desservirait l'Allemagne en transitant par la Baltique, et South Stream, qui desservirait l'Europe centrale et l'Italie en transitant par la mer Noire. Dans les deux cas, il s'agit pour la Russie de contourner des pays considérés comme peu sûrs pour son transit de gaz, comme l'Ukraine ou la Pologne.

M. Gérard César a indiqué que le deuxième défi à relever est celui de la diversification du bouquet énergétique de la Russie. Actuellement, celui-ci est constitué à près de 55 % par le gaz, à 20 % par le pétrole et à 16 % par le charbon. Cette prédominance des énergies fossiles n'est pas soutenable dans le long terme. C'est pourquoi, sous l'impulsion directe de M. Vladimir Poutine, la Russie a décidé de relancer sa filière nucléaire. La part de l'électricité d'origine nucléaire devrait passer de 16 %, actuellement, à 30 % à l'horizon 2030. En conséquence, la Russie a engagé la construction de 26 nouveaux réacteurs à eau pressurisée de troisième génération, et a relancé son programme de centrales à neutrons rapides. A l'exportation, la Russie bénéficie d'une technologie robuste à des prix compétitifs, et vise clairement la première place mondiale. Elle a ainsi percé en Inde, en Chine, en Afrique du Sud, en Turquie, en Mongolie, au Kazhakstan, et dans d'autres pays encore. Parallèlement, elle cherche à s'assurer la maîtrise des technologies nucléaires du futur, notamment dans le retraitement et le recyclage des combustibles usés.

Un autre moyen efficace pour la Russie de diversifier son bouquet énergétique, qui n'a pourtant été évoqué par aucun des interlocuteurs de la délégation sénatoriale, serait de développer les énergies renouvelables. La Russie soviétique a joué un rôle pionnier dans ce domaine : dans les années 1930, la plus grande ferme éolienne du monde de l'époque a été installée en Crimée, et dans les années 1950, les premiers Spoutniks envoyés dans l'espace fonctionnaient grâce à des cellules photovoltaïques. Mais cette avance technologique ne s'est jamais concrétisée industriellement car, à partir des années 1950 et 1960, la planification a donné la priorité au nucléaire et à l'exploitation d'énergies fossiles surabondantes.

La Russie dispose pourtant d'un potentiel considérable encore fort peu exploité dans les énergies renouvelables. Ainsi, elle n'utilise que 20 % de son immense potentiel hydroélectrique, là où le Canada exploite 65 % du sien et la France 95 %. La biomasse, qui constitue traditionnellement le mode de chauffage des isbas, n'est pas mise en oeuvre avec les technologies modernes aux rendements les plus performants, tandis que la forêt, qui couvre 50 % du territoire de la Russie, demeure encore largement inexploitée. Enfin, le solaire et l'éolien présentent également des potentiels considérables, qui pourraient être économiquement rentables pour alimenter en énergie les zones d'habitation isolées et les régions de la Fédération les plus orientales, qui ne sont pas connectées au réseau centralisé d'électricité.

Enfin, M. Gérard César a évoqué le troisième défi à relever pour la Russie, qui est celui de l'amélioration de son efficacité énergétique. L'économie de la Russie consomme trois à cinq fois plus d'énergie par unité de PNB produite que celles des pays d'Europe occidentale. Les réseaux de chauffage urbain, dont la Russie concentre à elle seule la moitié du parc mondial, sont particulièrement peu efficaces, dépourvus de régulateurs de température et de compteurs d'énergie, et subissant des pertes massives de chaleur. Les processus industriels sont aussi d'un très mauvais rendement énergétique. Prenant l'exemple du gaz associé aux forages pétroliers, il a indiqué que la Russie brûle à la torche directement dans l'atmosphère chaque année l'équivalent de la consommation annuelle de gaz de la France.

Les autorités russes ont désormais pris conscience qu'il faut impérativement que l'économie gagne en efficacité énergétique, si le pays veut continuer à dégager des surplus d'énergie pour l'exportation. C'est aussi devenu un enjeu dans la perspective du Sommet de Copenhague, dans le cadre duquel la Russie s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 10 à 15 % à l'horizon 2020 et a accepté le principe de mise en oeuvre des mécanismes de mise en oeuvre conjointe (MOC). La France a aujourd'hui l'opportunité de devenir un partenaire privilégié dans la valorisation du potentiel carbone de la Russie. Ainsi, lors du séminaire gouvernemental de Sotchi le 20 septembre 2008, un accord bilatéral franco-russe a été signé pour encourager les projets MOC. Il se concrétise, pour la première fois, à travers l'accord conclu par BNP-Paribas avec la société pétrolière russe TNK-BP, afin de réduire la production de gaz associée à la production de pétrole en Sibérie.

Ensuite, M. Gérard César a abordé la seconde partie de son rapport, relative aux opportunités de coopération et d'investissement pour la France en Russie.

D'une manière générale, il a estimé que la présence française en Russie s'est affirmée au cours des années récentes, certes à partir d'un niveau modeste par rapport à d'autres pays européens comme l'Allemagne, l'Italie ou les Pays Bas. Les exportations françaises en Russie ont progressé de manière continue de 1998 à 2008, pour atteindre un montant de 7 milliards d'euros cette dernière année. La balance commerciale reste néanmoins déséquilibrée en faveur de la Russie, en raison de la facture énergétique, les hydrocarbures représentant 92 % des 13,7 milliards d'euros d'exportations russes vers la France.

La crise a eu un impact négatif en 2009, mais les exportations françaises ont relativement moins reculé que celles d'autres pays, ce qui a permis à notre pays de passer du 8ème au 6ème rang des fournisseurs de la Russie, devant les Etats-Unis d'Amérique. Et l'on peut attendre un effet accélérateur de « l'année croisée » 2010, durant laquelle la France sera à l'honneur en Russie et la Russie en France. Le dixième séminaire gouvernemental franco-russe qui vient de se tenir à Paris, le 10 décembre 2009, a déjà produit ses fruits, puisqu'un nombre considérables d'accords commerciaux ont été signés en marge des accords politiques conclus à cette occasion.

En ce qui concerne les investissements directs, la progression a également été remarquable jusqu'en 2008, année où ils ont atteint un montant de 3,2 milliards d'euros, notamment dans la banque, l'assurance, l'automobile, l'agroalimentaire et la grande distribution. Toutefois, c'est dans le secteur énergétique qu'existent les plus importantes marges de progression pour les investissements français en Russie.

M. Gérard César a ensuite évoqué la stratégie des entreprises françaises en Russie. Dans le secteur des hydrocarbures, il faut signaler la présence de Total, qui est le premier acheteur de pétrole brut russe et poursuit une stratégie de montée en puissance dans l'amont, celle de GDF-Suez, qui entretient des liens particuliers avec Gazprom en tant que client historique, et celle d'EDF, qui négocie auprès de Gazprom une participation dans le projet de gazoduc South Stream. Dans le secteur de l'électricité, EDF privilégie une stratégie de prise de participation minoritaire mais visible au capital d'Inter RAO, entreprise détenant le monopole russe d'importation et d'exportation de l'électricité, et GDF souhaite investir dans la production électrique. Enfin, Alstom a réussi à vendre des turbines en Russie, mais doit encore développer une production et des partenariats locaux pour réussir à percer sur un marché en expansion. La coopération en matière d'efficacité énergétique est un domaine d'avenir pour la présence française, et a une dimension institutionnelle, avec la signature d'un accord entre le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer (MEEDDEM) et le ministère russe de l'énergie, et la mise en place d'un comité conjoint animé par l'ADEME et Inter RAO. Elle a également une dimension industrielle, avec l'implication de Dalkia, d'EDF et de GDF-Suez pour la rénovation des réseaux de chaleur dans les régions de la Fédération de Russie.

Enfin, M. Gérard César a souhaité donner un coup de projecteur sur Mourmansk et sa région, qui sont encore méconnues en France, mais sont appelées à prendre de plus en plus d'importance pour la Russie.

Il a estimé que les enjeux du grand Nord Russe sont doubles. D'une part, les régions arctiques russes font figure « d'Eldorado gazier ». Actuellement, l'essentiel de la production de gaz russe est concentré dans l'extrême nord de la Sibérie occidentale. Mais l'avenir est surtout dans les gisements de gaz géants découverts dans l'océan Arctique, notamment en mer de Barents. Au total, les ressources en gaz recensées dans cette mer dépassent les 10 000 milliards de mètres cubes. D'autre part, le réchauffement climatique se traduit par un regain d'intérêt pour la route maritime du Nord, cette voie stratégique qui relie Mourmansk à Vladivostok. Elle est d'un intérêt vital pour la desserte de toutes les régions septentrionales de Sibérie, où se concentrent l'essentiel des hydrocarbures, mais aussi des ressources minières considérables. Maintenant qu'elle se trouve libre de glaces plus souvent et plus longtemps chaque année, en raison du réchauffement climatique, cette voie présente également un intérêt pour les armateurs internationaux, puisqu'elle permet de réduire considérablement les distances maritimes entre l'Europe occidentale et le Japon ou l'Amérique. Les temps de navigation pourraient ainsi être réduits de 22 jours à 15 jours entre Rotterdam et Yokohama, en passant par l'océan Arctique plutôt que par le canal de Suez.

M. Gérard César a exposé que, dans ce contexte du Grand Nord russe, vient s'inscrire le projet Shtokman, auquel participe le groupe Total, et qui constitue une véritable chance pour Mourmansk. Shtokman est le nom du plus grand champ gazier offshore du monde, d'une capacité estimée à 3 800 milliards de mètres cubes, découvert en mer de Barents, au nord-est de Mourmansk, à 600 kilomètres des côtes. Pour l'exploitation de ce champ gazier, un montage industriel tripartite a été créé, associant Gazprom à 51 %, Total à 25 % et le norvégien StatoilHydro à 24 %. Le montant de l'investissement nécessaire est à la mesure du projet, puisqu'il pourrait atteindre jusqu'à 30 milliards de dollars.

Le projet Shtokman, qui n'en est encore qu'au stade des études techniques de faisabilité, doit relever de multiples défis technologiques. En effet, l'exploitation d'un champ gazier en plein océan arctique se heurte à des conditions climatiques extrêmes : froids polaires, présence de la banquise la plus grande partie de l'année et d'icebergs toute l'année, tempêtes déchaînant des vents surpuissants et des vagues dont les creux peuvent atteindre 27 mètres. Néanmoins, des solutions techniques originales ont été trouvées pour répondre à ces contraintes. En pratique, ce n'est pas une plateforme offshore fixe qui sera construite, mais un navire mobile relié aux forages sous-marins par un lien détachable à tout moment. En effet, en cas de dérive signalée d'un iceberg en direction du navire, celui-ci pourra larguer ses amarres en urgence pour sortir de sa trajectoire. Cette tête d'exploitation sera reliée à la terre par un double gazoduc sous-marin de 600 kilomètres de long, qui alimentera le gazoduc Nord Stream à travers la presqu'île de Kola vers la Baltique, ainsi qu'une usine de liquéfaction basée à Teriberka dans les environs de Mourmansk, qui devrait être la plus grande du monde.

La décision finale d'investissement devrait être prise au mois de mars 2010, mais le directeur général de Total, M. Christophe de Margerie, a déjà fait savoir publiquement que, au cours actuel du gaz, le projet n'était pas rentable. La question est donc de savoir quelles prévisions il est raisonnable de faire pour l'évolution des cours du gaz dans les deux décennies à venir.

En conclusion, M. Gérard César a donné un aperçu des perspectives de développement de Mourmansk et de sa région. Débouché occidental de la route maritime du Nord, Mourmansk est le seul port libre de glaces toute l'année qui donne à la Russie un accès direct à la haute mer, sans passer par les détroits de la Baltique ou de la Mer Noire. C'est pour cette raison que Mourmansk fut le théâtre d'une terrible bataille entre l'Allemagne et la Russie au cours de la seconde guerre mondiale, car, par ce port, transitait le ravitaillement en armes et en denrées alimentaires fourni par les Alliés.

La région de Mourmansk, avec une population de 840 000 habitants, représente la plus forte concentration humaine de la planète existant au nord du cercle polaire. Son économie est centrée sur l'exploitation et le transit des ressources naturelles, qu'il s'agisse d'hydrocarbures, de minerais ou encore de ressources halieutiques, puisque Mourmansk est le premier port de pêche russe. Après une transition difficile à la fin de l'époque soviétique, Mourmansk et sa région envisagent une reconversion vers l'énergie et les transports. Les entretiens de la délégation sénatoriale avec le maire de Mourmansk, M. Serguei Soubbotine, et avec le gouverneur de la région, M. Dmitry Dmitrienko, ont permis de mieux connaître leurs besoins et leurs projets d'investissement : ouvrages d'art, modernisation du port, développement des capacités hôtelières, construction de centrales électrique, développement de la grande distribution.

M. Gérard César a affirmé que, dans ce contexte porteur, le projet Shtokman se présente comme un atout important pour les entreprises françaises, dont la présence à Mourmansk est pour l'instant discrète. Si Total confirme son engagement, nombre de sous-traitants et d'entreprises françaises dont les offres seront complémentaires pourraient réussir à s'implanter dans la région, à condition, bien sûr, d'être compétitives et de remporter les appels d'offres qui seront lancés. Enfin, Mourmansk pourrait également offrir des opportunités de coopération décentralisée franco-russe, et il y a manifestement des synergies entre la région de Mourmansk et une région maritime française comme la Bretagne, et plus particulièrement avec la ville de Brest.

En conclusion, le rapporteur a proposé d'intituler ainsi le rapport qui sera déposé au nom de la commission : « La Russie : puissance ou interdépendance énergétique ? ». Cette double thématique, formulée sous forme d'interrogation, résume bien la nature ambivalente de la « manne énergétique » dont bénéficie l'économie de la Russie. Pour ce pays, c'est à la fois une grande force, tant à l'intérieur de ses frontières qu'à l'exportation, et une dangereuse incitation à relâcher l'effort de compétitivité de son appareil industriel. La réussite économique de la Russie dépendra sans doute de sa capacité à triompher de cette tentation de facilité.

M. Gérard Cornu a estimé que ce rapport complet situe bien les enjeux de la mission à laquelle il a participé. Il a souligné l'ampleur du projet Shtokman, pour lequel Gazprom, en dépit de sa stature de géant du gaz, a besoin de la technologie de Total et de StatoilHydro. Si ce projet se concrétise, d'immenses perspectives s'ouvrent pour les entreprises françaises, qu'il s'agisse de sous-traitants de Total ou d'entreprises dont l'offre commerciale sera complémentaire pour le développement de la région de Mourmansk, dont les besoins sont énormes. Total compte aussi sur les parlementaires français pour inciter les entreprises françaises à venir prospecter et conquérir ce marché porteur, afin de ne pas se retrouver isolé dans un tête-à-tête avec ses partenaires russes et norvégiens.

M. Paul Raoult, en tant que membre de la délégation qui s'est rendue en Russie, a voulu insister sur plusieurs aspects qu'il a jugés importants :

- le très fort patriotisme économique des Russes, qui veulent bien s'associer à des entreprises étrangères à condition de demeurer aux commandes. Ainsi, bien que Gazprom se soit associée à Total et à StatoilHydro, elle considère Shtokman comme son projet, dont elle a la responsabilité exclusive ;

- l'insécurité juridique, législative et réglementaire, qui fait que les entreprises françaises peuvent légitimement hésiter à investir en Russie. Une illustration de ce fait est la partie de bras-de-fer qui s'est jouée entre Renault et le gouvernement russe à propos de sa participation dans le constructeur automobile Avtovaz. C'est l'une des raisons pour lesquelles la compagnie Total hésite à confirmer son engagement dans Shtokman, et ne le fera que si elle reçoit toutes les garanties ;

- les entreprises françaises se montrent incapables de s'engager unies dans la négociation avec les Russes. Les entreprises énergétiques EDF, GDF-Suez, Areva, Total, Dalkia abordent le marché russe dans le désordre, et les Russes peuvent aisément jouer les uns contre les autres ;

- le risque lié à l'exploitation d'un champ gazier offshore dans un océan Arctique infesté d'icebergs est considérable. C'est un pari technologique et environnemental majeur, qui suppose que les cours du gaz remontent considérablement pour couvrir un investissement de l'ordre de 25 à 30 milliards de dollars ;

- les constructeurs automobiles français engagés sur le marché russe qui s'est complètement retourné avec la crise, perdent énormément d'argent. Alors que les autorités russes, dans une démarche protectionniste, ont relevé les droits de douanes sur les modèles importés et exigent que 30 % des pièces des véhicules soient produites en Russie, les distributeurs français ont accumulé des stocks d'invendus supérieurs à un an ;

- à l'inverse, la percée de Danone est remarquable en Russie, où se situe la plus grande usine du groupe, qui produit plus de 14 gammes de produits, avec 500 salariés, un directeur polonais, un directeur des ressources humaines russe et un directeur de production français. La difficulté pour cette usine de référence a été de trouver du lait de qualité, et d'assurer le transport et la distribution des produits, qu'elle a fini par assurer elle-même avec sa propre flotte de véhicules ;

- si la Russie bénéficie d'une rente énergétique comme les pays du Moyen-Orient, elle s'en différencie en réinvestissant davantage les recettes d'exportation en résultant dans son économie.

Mme Élisabeth Lamure a estimé le rapport fidèle aux analyses de la délégation sénatoriale, dont elle était membre. Elle a considéré que l'énergie est un gage d'indépendance pour la Russie, qui doit néanmoins diversifier ses ressources énergétiques. Elle a relevé le fait que, actuellement, près de 40 millions d'hectares de terres agricoles ne sont plus cultivés en Russie. Elle a regretté l'absence des PME françaises sur le marché russe, et a espéré que le dispositif législatif qui vient d'être mis en place pour aider celles-ci à exporter jouera de manière efficace dès la sortie de la crise économique actuelle.

M. Jean-Claude Merceron, en tant que membre de la délégation sénatoriale, a évoqué les points suivants :

- la démographie de la Russie est très déprimée, et l'espérance de vie est réduite à 61 ans ;

- les bâtiments lui ont paru en très mauvais état à Mourmansk, et nécessiter un travail de réhabilitation considérable. Les réseaux de chaleur sont très développés dans les villes russes, mais pâtissent de gaspillages d'énergie faramineux ;

- l'amélioration de l'efficacité énergétique est une urgence pour la Russie, et un texte de loi en cours d'examen par la Douma lors de la visite de la délégation prévoit un taux d'économie d'énergie de 48 % à moyenne échéance ;

- la région de Mourmansk est à la veille d'une révolution industrielle, avec l'afflux du gaz de Shtokman et le développement des transports. La présence de parlementaires français à Mourmansk est souhaitée par l'ambassade de France à Moscou, et il est important d'entretenir des liens réguliers avec cette partie de la Fédération de Russie.

Mme Bernadette Bourzai a remercié la commission de l'économie de l'avoir associée à ses travaux, en sa qualité d'auteur, au nom de la commission des affaires européennes, d'un rapport d'information sur la politique énergétique européenne. Elle a souligné que cette politique est encore en construction, mais est vitale pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe. Elle a rappelé que la Russie, qui est un grand pays développé considéré pendant longtemps comme la deuxième puissance mondiale, se trouve maintenant intégrée dans le groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), vit essentiellement du commerce de ses matières premières, et présente de forts comportements protectionnistes. La Russie n'en demeure pas moins une grande puissance, avec laquelle il faut travailler de manière constructive.

M. Gérard César a indiqué que le directeur général de Total, M. Christophe de Margerie, lors de son audition le matin même par le groupe d'études de l'énergie du Sénat, a rejoint les propos de M. Paul Raoult relatifs à la concurrence entre grandes entreprises énergétiques françaises en Russie et aux risques environnementaux liés au projet Shtokman. Evoquant la démographie russe, il a souligné que la population diminue de 700 000 personnes environ chaque année, en raison d'une mortalité élevée et d'une natalité particulièrement faible.

M. Paul Raoult a rappelé que l'université de Mourmansk comporte un département linguistique de français, et voudrait se jumeler avec une université française.

M. Gérard César a salué le dynamisme de l'ambassadeur de
France à Moscou, M. Jean de Gliniasty, et de ses collaborateurs, qui ont su créer des liens avec les forces économiques russes et françaises présentes en Russie.

La commission a alors décidé, à l'unanimité, d'autoriser la publication du rapport d'information établi à la suite de la mission en Russie.

Groupe de travail sur l'application de la loi de modernisation de l'économie - Examen du rapport

Puis, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Elisabeth Lamure sur l'application de la loi de modernisation de l'économie (LME).

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a rappelé que le bureau de la commission de l'économie avait décidé le 23 septembre 2009 la constitution d'un groupe de suivi de l'application de la LME, en vue de l'organisation d'un débat en séance plénière demandé par le groupe socialiste sur ce sujet. Après avoir souligné que la LME était un texte volumineux, elle a indiqué que le groupe de travail composé, outre elle-même, de MM. Claude Biwer, Gérard Cornu, François Fortassin, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Raoul et Bruno Retailleau, avait concentré son attention sur quatre thèmes relevant du champ de compétence de la commission de l'économie : la réduction des délais de paiement, la réforme des relations commerciales, le régime de l'auto-entrepreneur et l'urbanisme commercial.

Soulignant que le groupe de travail avait procédé à une vingtaine d'auditions, elle a relevé que cet exercice de contrôle était un peu précoce, certaines données ne devant être disponibles qu'au cours du premier semestre 2010. Cependant, elle a estimé que le bilan de l'application de la LME apparaissait contrasté.

S'agissant des délais de paiement, Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a souligné que le bilan de la LME, qui plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires, à compter de la date d'émission de la facture, le délai de paiement convenu entre les parties, était très positif. Les premières études montrent une réduction effective des délais de paiement ; l'étude menée par la Fédération des industries mécaniques (FIM) évoquant une réduction de 17 jours des délais clients. Trente-neuf accords dérogatoires, portant sur environ 20 % de l'économie, ont été signés : ils assurent une transition en douceur pour certains secteurs comme le bâtiment et les travaux publics (BTP). Une difficulté spécifique se pose cependant dans le secteur du livre qui justifierait une dérogation permanente : une proposition de loi en ce sens a été adoptée par l'Assemblée nationale et sera soumise très prochainement au Sénat.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a estimé qu'il fallait aujourd'hui assurer l'application effective de la loi et clarifier l'interprétation de quelques-uns de ses aspects. Certaines pratiques doivent ainsi être surveillées et l'application de la loi à l'international clarifiée. Elle a souligné le rôle essentiel joué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) en la matière.

S'agissant de la réforme des relations commerciales, elle a considéré que le bilan devait être beaucoup plus nuancé. Si les marges arrière ont été effectivement fortement réduites, passant de 32 % des prix à 11 % entre 2008 et 2009, l'impact de la LME sur les prix reste difficile à apprécier. La loi a contribué cependant à la baisse des prix de grande consommation qui a atteint 0,65 % au premier semestre 2009.

Au-delà, Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a estimé que la LME n'avait pas permis une réelle amélioration des relations commerciales : les relations entre fournisseurs et distributeurs restent fortement déséquilibrées ; fournisseurs et distributeurs divergent quant à l'interprétation de la loi ; de nombreux abus ont été constatés. Une difficulté porte par ailleurs sur la date butoir du 1er mars pour la conclusion de la convention unique.

Face à cette situation, les contrôles et une interprétation unique de la loi doivent assurer le respect de la LME et un rééquilibrage des relations commerciales. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs pris leurs responsabilités : la DGCCRF a mené de nombreux contrôles en 2009. Sur quatre cents conventions uniques contrôlées, la quasi-totalité comprenait au moins une disposition significativement déséquilibrée. Neuf enseignes de la grande distribution ont ainsi été assignées devant les tribunaux de commerce. La CEPC joue elle aussi un rôle essentiel d'exégète de la loi et d'observateur des relations commerciales.

S'agissant de l'auto-entrepreneur, Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a fait quatre constats.

- Le régime micro-social et fiscal est bien entré en vigueur comme prévu au 1er janvier 2009, avant de s'étendre progressivement à une gamme de plus en plus large de publics et ce grâce à l'adoption rapide des textes d'application et à la forte mobilisation des institutions concernées, qu'il s'agisse de l'ACOSS, du RSI, de la CIPAV ou de l'Agence pour la création d'entreprise.

- Le nouveau régime a exercé un effet stimulant pour la création d'entreprise : 263 000 auto-entreprises ont en effet été créées du 1er janvier au 31 octobre 2009, ce qui s'est traduit par une hausse des créations d'entreprises de 68 % par rapport à la même période de 2008. Ces chiffres doivent cependant être tempérés car une large majorité d'auto-entreprises n'ont toujours pas déclaré de chiffre d'affaires au troisième trimestre. De plus, pour des raisons techniques liées au circuit de recueil des statistiques, il y a peut-être une surestimation des chiffres de créations d'entreprises. Enfin, les auto-entreprises se substituent en partie aux entreprises individuelles classiques dont le nombre de créations a fortement baissé depuis le début de l'année (- 37 %).

- Le succès de l'auto-entreprise s'appuie sur une vraie demande sociale. Les auto-entrepreneurs plébiscitent le fait que l'auto-entreprise permet de compléter les revenus des ménages grâce au cumul entre emploi salarié ou retraite et activité indépendante. L'auto-entreprise permet également de tester sans risque un projet. Enfin, au-delà de son caractère utile, rassurant et simple, l'auto-entreprise est perçue comme le symbole et le moyen de l'accès de tous au droit d'entreprendre et d'une certaine autonomie individuelle dans la vie professionnelle.

- Le dernier constat est que l'auto-entreprise suscite encore un certain nombre de questions, sinon d'inquiétudes. La première concerne l'opposition des organisations représentant les entreprises de l'artisanat, sur le thème de la concurrence déloyale. La deuxième porte sur les phénomènes de concurrence entre salariat et sous-traitance auto-entrepreneuriale. L'intensité de cette concurrence dépendra de la manière dont les entreprises intègrent le régime de l'auto-entreprise dans leurs outils de gestion de la ressource en travail. Pour l'instant, c'est la complémentarité entre salariat et auto-entreprise qui domine, plutôt que la substituabilité. Mais c'est une question qu'il faut suivre de près.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a alors formulé trois recommandations :

- le Gouvernement doit établir très vite un rapport économique et social sur les auto-entrepreneurs afin que l'on sache vraiment qui ils sont, ce qu'ils font, quels sont l'emploi et la valeur ajoutée réellement créés par eux, quel est leur impact sur le monde de l'artisanat, sur les comptes sociaux et sur les pratiques de gestion de la main-d'oeuvre des entreprises ;

- il faut renforcer l'information sur le caractère illégal et les risques des pratiques consistant à requalifier de façon abusive une relation salariale sous la forme d'une relation commerciale de sous-traitance ;

- il faut développer un accompagnement et une formation des auto-entrepreneurs, notamment par l'inscription gratuite, pour une durée limitée, auprès des chambres consulaires ; ou bien par la mise en place d'une formation professionnalisante pour aider les auto-entreprises les plus dynamiques à passer à un statut plus propice au développement économique.

Sur la question de l'urbanisme commercial, Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a dressé trois constats.

- Les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) sont un outil dont la mission n'est pas claire. Leur composition et leurs règles de décision sont critiquées, notamment parce que leur procédure de décision prend également en compte la voix des personnalités qualifiées nommées et celles des élus locaux. Par ailleurs, elles ne peuvent s'appuyer sur des critères ou des normes partagés pour définir les exigences minimales à respecter en matière de développement durable et d'aménagement du territoire. Troisièmement, la notion de seuil de saisine perdure, alors qu'elle n'est peut-être pas l'outil adéquat pour appréhender l'impact du commerce sur les territoires. Enfin, les équipements commerciaux effectivement construits ne sont pas tenus d'être conformes aux projets qui ont été préalablement présentés et validés par les CDAC.

- On déplore l'absence d'outil statistique pour évaluer l'impact de la libéralisation des implantations commerciales, ce qui donne lieu à des rumeurs sur la multiplication des installations d'équipements qu'il est impossible de vérifier. De même, l'impact sur la concurrence et sur les prix reste indéterminé. Il faut garder à l'esprit cependant que la réforme de l'urbanisme commercial est structurelle et que son évaluation doit se faire sur le moyen terme.

- L'intégration de l'urbanisme commercial à l'urbanisme reste inachevée. La réforme contenue dans la LME était conçue comme transitoire, un texte plus complet devant lui succéder rapidement. Or, le régime institué par la LME perdure et s'accompagne d'une grande incertitude concernant le contenu et la portée juridique du document d'aménagement commercial d'un SCOT. Le projet de loi Grenelle II comporte une avancée importante dans ce domaine mais ne peut remplacer une réforme d'ensemble cohérente.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a conclu son propos par deux recommandations :

- mettre en place dans les plus brefs délais un outil d'observation des équipements commerciaux permettant d'établir un bilan objectif de la LME ;

- élaborer rapidement un texte sur l'urbanisme commercial, qui ne soit pas un texte sur le commerce, mais bien un texte d'urbanisme ; si l'urbanisme commercial a jusqu'à présent été d'abord une affaire de commerce, il devra à l'avenir être avant tout une affaire d'urbanisme.

Après avoir salué la qualité du rapport, M. Gérard Cornu, président, a souligné le succès du régime de l'auto-entrepreneur, le bilan très positif de la LME en matière de délais de paiement et la nécessité d'un nouveau texte en matière d'urbanisme commercial. Il a estimé que le rapport intervenait un peu tôt pour faire le bilan de la réforme des relations commerciales : si le déséquilibre des fournisseurs face aux distributeurs persiste, les dispositions de la LME ont constitué une évolution positive, dont l'impact pourra être mesuré à moyen terme.

Après avoir salué l'équilibre du rapport, M. Martial Bourquin a fait part de plusieurs observations :

- il a salué le bilan de la LME en matière de délais de paiement ;

- s'agissant des relations commerciales, il a estimé que la libéralisation de la négociation n'avait pas abouti à une amélioration du pouvoir d'achat. Il s'est interrogé sur la fiabilité des données indiquant une réduction des marges arrière. Il a fait part de sa crainte que la réforme ne nuise aux producteurs et aux petits commerçants ;

- s'agissant de l'urbanisme commercial, il a estimé que la situation actuelle était anarchique et que les règles en la matière devaient être revues en profondeur. Confirmant que les CDAC ne fonctionnaient pas correctement, il a regretté que l'urbanisme commercial ne soit plus maîtrisé en dessous de 1 000 m2. Après avoir souligné les risques de la situation actuelle, il a appelé de ses voeux une politique contraignante à l'égard des grands groupes ;

- s'agissant de l'auto-entrepreneur, il a mis en doute le chiffre de 263 000 créations d'entreprises, s'inquiétant par ailleurs de l'augmentation des dépôts de bilan et rappelant les craintes exprimées par les chambres de métiers.

Saluant le réalisme et l'objectivité du travail du rapporteur, Mme Odette Herviaux a relevé le nombre d'accords dérogatoires en matière de délais de paiement. Elle a estimé que la réforme des relations commerciales avait mis en difficulté les producteurs agricoles et les industries agro-alimentaires, leurs relations avec la grande distribution, dont ils sont très dépendants, s'étant envenimées.

Reprenant à son compte les propos de Mme Odette Herviaux, M. Gérard Bailly a mis en avant les difficultés du secteur agricole. Il a estimé que le rapport de l'Autorité de la concurrence sur la situation de la filière laitière, indiquant que les marges de la distribution n'avaient pas augmenté, ne l'avait pas convaincu. Soulignant l'aspect central de la question des marges, il s'est montré sceptique quant à l'impact des contrôles effectués par les services de la concurrence.

Après avoir salué les travaux du rapporteur, Mme Bariza Khiari a indiqué partager ses recommandations qui correspondent aux auditions du groupe de travail. Elle a rappelé qu'il s'agissait d'un exercice nouveau et intéressant, le rapport devant alimenter un débat en séance plénière. Elle a formulé plusieurs observations complémentaires :

- les outils de mesure de l'impact de la réforme de l'urbanisme commercial font aujourd'hui défaut ;

- s'agissant du régime de l'auto-entrepreneur, les travaux du groupe de travail ont été utiles. Celui-ci a en effet alerté le Gouvernement de certaines difficultés, ce dernier procédant aux ajustements nécessaires dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale ;

- en matière de délais de paiement, un bilan plus précis pourrait être fait dans les prochains mois, notamment sur la base des rapports des commissaires aux comptes.

Elle a indiqué que le groupe socialiste s'abstiendrait sur le vote du rapport, afin de souligner l'absence de résultats de la LME en matière de pouvoir d'achat, sans que ce vote ne porte sur la qualité des travaux du rapporteur.

M. Yannick Botrel a souligné les stratégies d'évitement mises en place par les distributeurs. Il a confirmé que les relations étaient très déséquilibrées entre les fournisseurs et la grande distribution. Il a estimé qu'il convenait de faire porter désormais la réflexion sur les corrections qui pourraient être apportées à la loi afin de résoudre cette situation.

M. Marc Daunis a fait part d'un jugement mitigé sur le régime de l'auto-entrepreneur : tout en soulignant les perversités de ce dispositif, il a mis en avant l'intérêt de celui-ci pour le milieu rural. En matière d'urbanisme commercial, il a estimé nécessaire de donner, des moyens supplémentaires aux élus locaux afin qu'ils puissent assumer totalement leurs politiques.

M. Claude Biwer a formulé quatre observations :

- il a souligné que l'auto-entreprise avait été conçue comme un outil de lutte contre le travail clandestin et que le dispositif avait plutôt bien fonctionné ;

- il a insisté sur l'enjeu de la formation des auto-entrepreneurs ;

- la LME est une bonne loi parce qu'elle offre un cadre général pertinent pour le développement de l'économie nationale mais dans le détail certaines de ses dispositions sont perfectibles, notamment s'agissant des relations commerciales ;

- les propositions de loi sont un bon outil pour parfaire un tel texte et il a regretté que celles-ci soient trop rarement examinées.

M. Yves Chastan a fait trois remarques :

- il a indiqué avoir été saisi des problèmes que soulève parfois le régime de l'auto-entreprise, qu'il s'agisse de l'impact sur le secteur artisanal, de la concurrence vis-à-vis du statut salarial ou des besoins de formation spécifiques des auto-entrepreneurs ;

- il a confirmé la nécessité d'améliorer la cohérence entre les PLU et les SCOT en matière de régulation des implantations commerciales et de préciser les pouvoirs des élus dans ce domaine ;

- il a demandé des éclaircissements sur les modalités de mise en oeuvre de la taxe sur les enseignes publicitaires créée par la LME.

M. Gérard César, rapporteur du projet de loi de modernisation de l'agriculture, a indiqué qu'il existait des correspondances entre celui-ci et la LME et que l'examen de ce projet de loi serait l'occasion de réfléchir sur les moyens d'améliorer les dispositions relatives aux relations commerciales et à la formation des marges dans la filière agricole.

En réponse aux observations et questions de ses collègues, Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- le contexte économique de l'adoption de la LME était très différent de celui de sa mise en oeuvre, ce qui rend difficile son évaluation et peut expliquer les raisons pour lesquelles la loi n'a pas toujours eu l'effet souhaité ;

- les données chiffrées relatives à la réduction des marges arrière proviennent du Gouvernement, via la DGCCRF, et de la Fédération des industries mécaniques ;

- les problèmes liés aux négociations commerciales ont eu tendance à se déplacer de l'arrière vers l'avant depuis l'entrée en vigueur de la LME ;

- l'impact de la LME sur les prix est difficile à dissocier des effets de la crise économique ;

- les maires de villes de moins de 20 000 habitants peuvent saisir la CDAC pour des projets d'équipement commercial compris entre les seuils de 300 et 1 000 m2 ;

- le bilan économique de l'auto-entreprise apparaît globalement positif puisque 47 000 auto-entreprises ont déjà déclaré un chiffre d'affaires dont le montant cumulé approche 400 millions d'euros ;

- le principal questionnement, s'agissant des auto-entreprises, concerne la forte proportion d'auto-entreprises dormantes ;

- les accords dérogatoires sont nombreux mais concernent seulement 20 % de l'activité économique nationale ;

- l'amélioration des relations commerciales suppose maintenant un travail de contrôle et de répression des abus ;

- la brigade LME a été très présente sur le terrain et a fait un excellent travail, ce qui a permis de mettre en évidence certaines dérives ;

- la réforme de l'auto-entreprise en milieu rural où la problématique de la pluri-activité est très présente apparaît très positive ;

- la nécessité de donner des outils aux élus locaux en matière de régulation des implantations commerciales s'impose ;

- s'agissant de l'auto-entreprise, doivent être distinguées la sous-traitance auto-entrepreneuriale légale et celle qui n'est pas compatible avec les dispositions du droit du travail ;

- l'élaboration d'un texte sur l'urbanisme commercial a été perturbée par la mort de Jean-Paul Charié, député, qui conduisait un groupe de travail sur cette question ;

- la LMA sera l'occasion d'approfondir la question des relations commerciales dans le domaine agricole.

La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a ensuite adopté le rapport de Mme Élisabeth Lamure, le groupe socialiste s'abstenant.

Entreprise publique La Poste et activités postales - Désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission a ensuite désigné les candidats appelés à faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

Ont été désignés comme membres titulaires : MM. Jean-Paul Emorine, Pierre Hérisson, Rémy Pointereau, Claude Biwer, Michel Teston, Martial Bourquin, Jean-Claude Danglot.

Ont été désignés comme membres suppléants : MM. Charles Revet, Gérard Cornu, Jackie Pierre, Bruno Retailleau, Jean-Jacques Mirassou, Roland Courteau, François Fortassin.

Détecteurs de fumée - Désignation de candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

La commission a enfin désigné les candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.

Ont été désignés comme membres titulaires : MM. Jean-Paul Emorine, Gérard Cornu, Bruno Sido, Daniel Dubois, Roger Madec, Daniel Raoul, Jean-Claude Danglot.

Ont été désignés comme membres suppléants : MM. Charles Revet, Dominique Braye, Pierre Hérisson, Jackie Pierre, Thierry Repentin, Yannick Botrel, Jean-Pierre Chevènement.