Mercredi 16 juin 2010

- Présidence de M. Jacques Blanc, vice-président, puis de M. Josselin de Rohan, président -

Orientations de la politique française de coopération et de développement - Examen du rapport d'information

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine le rapport de MM. André Vantomme et Christian Cambon sur les principales orientations du projet de document-cadre de coopération et de développement.

M. Jacques Blanc - Nous examinons ce matin le rapport de Messieurs Cambon et Vantomme sur le projet de document cadre de coopération au développement.

Je vous rappelle que ce document est un document d'orientation interne à l'exécutif, sur lequel le ministre des affaires étrangères a tenu à nous consulter. Ce document cadre est à la coopération ce que le livre blanc est à la défense : un document de référence définissant les enjeux et les objectifs de la politique d'aide au développement pour la décennie à venir. Il sera adopté dans sa version finale au courant de l'été par le comité interministériel de la coopération, le CICID, présidé par le Premier Ministre.

Pour préparer ce rapport, nous avons organisé conjointement avec la commission des finances, le 12 mai dernier, une table ronde avec 4 experts. Les intervenants étaient de très bonne qualité et les débats instructifs. Nous avons entendu le 26 mai dernier le ministre des affaires étrangères présenter ce document. Nous allons entendre aujourd'hui le fruit des réflexions de nos deux rapporteurs.

Ce rapport sera adressé au ministre des affaires étrangères afin que nos observations soient prises en compte dans la version finale du document.

Le président de notre commission a souhaité que cette séquence se termine par un débat en séance publique. Cette éventualité sera examinée à la prochaine conférence des présidents. Les sommes mobilisées et les enjeux en question justifient une plus grande implication du Parlement sur ces sujets.

Les Français ont compris que le terrorisme ou la piraterie prenaient leur source dans des États en crise et dans des zones abandonnées du développement. Ils ont pu constater que les grandes pandémies naissent dans les maillons faibles des systèmes de santé pour se propager dans nos pays. Ils sont de plus en plus sensibles au fait qu'il nous faut inventer avec les pays émergents un modèle de croissance plus économe en ressources naturelles si nous voulons préserver notre planète.

Le Parlement doit apporter sa contribution à ces débats et offrir à nos concitoyens une vision cohérente des enjeux à long terme et une évaluation sincère des actions menées par les pouvoirs publics.

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

M. Josselin de Rohan, président - Je cède la parole aux rapporteurs.

M. Christian Cambon, co-rapporteur - Je vous remercie pour cette initiative et pour l'organisation des travaux de la commission. La table ronde, l'audition du ministre conjointement avec la commission des finances, tout cela nous a permis de travailler dans les meilleures conditions.

Au préalable, nous avions procédé avec mon collègue Vantomme à de nombreuses auditions qui nous avaient permis d'approfondir le sujet.

Nous nous félicitons évidemment de la consultation du Parlement qui constitue une première dans ce domaine. Nous estimons qu'elle doit être une première étape vers l'adoption, à échéance régulière, par le Parlement, d'une loi d'orientation sur le développement, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe.

Sur le fond, le document cadre permet tout d'abord d'expliquer très concrètement ce que fait la France quand elle finance, avec d'autres, le réseau d'adduction d'eau de Bamako, quand elle intervient avec le Japon pour soutenir le programme indonésien de lutte contre la déforestation ou quand elle garantit les emprunts des banques africaines de soutien aux PME. Il s'agit surtout de définir quels sont nos objectifs, nos zones prioritaires et nos moyens d'interventions.

Très classiquement le document établit un diagnostic, définit des priorités et décrit les moyens d'y parvenir.

Le diagnostic procède à une description de l'évolution internationale qui débouche sur une vision assez novatrice de la coopération. Partant de l'idée que si le monde bouge notre coopération doit aussi bouger, le document cadre dessine un visage nouveau de la coopération. Je voudrais vous en donner quelques illustrations.

Ce document se fonde, premièrement, sur l'idée que l'aide au développement ne relève plus seulement d'une démarche caritative. Elle est aujourd'hui pensée et vécue comme un moyen de régulation de la mondialisation, comme une contribution au développement harmonieux de la planète. Les attentats de septembre 2001, la résurgence de la piraterie, le retour des pandémies, ont bien montré -comme l'a dit le président- que le sous-développement constituait un terreau favorable à des menaces qui touchent aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord.

Il marque, deuxièmement, la fin d'une politique de développement indifférenciée. L'aide au développement n'a pas le même sens, ne poursuit pas les mêmes objectifs, n'utilise pas les mêmes instruments à Nouakchott et à Nankin. A Nouakchott, on lutte contre la pauvreté et pour la croissance afin de créer les conditions pour que ce pays soit autonome. A Nankin, on essaie de persuader les Chinois qu'il y a un chemin vers une croissance plus économe en carbone et que nous sommes prêts à les aider dans l'intérêt global de la planète.

Ce document précise, troisièmement, que notre coopération doit désormais toujours se penser sous la forme de partenariats. La France n'agit, en effet, plus jamais seule. Même dans le cadre de notre aide bilatérale, la coopération consiste à initier des actions et trouver des partenaires pour financer ensemble des projets de développement. Même dans des pays comme le Mali, la France ne représente plus que 10 % de l'aide au développement. Nos actions s'effectuent donc toujours en partenariat avec d'autres bailleurs de fonds ou avec les institutions multilatérales.

Enfin, ce document souligne la nécessité d'inventer une coopération qui dépasse le socle exclusif des souverainetés nationales pour inventer les politiques globales de demain. Avec la lutte contre le changement climatique, ou les pandémies mondiales, l'aide au développement doit trouver des modes de coopération et de gouvernance qui dépassent la coopération intergouvernementale. On l'a bien vu lors de l'échec de la conférence de Copenhague : les défis du 21ème siècle exigeront des solutions collectives pour gérer l'intérêt commun de la planète, une gouvernance internationale qu'il nous reste à inventer.

Ce document nous propose de sortir d'une vision dichotomique du monde. Fin de la dichotomie Nord-Sud avec l'essor des pays émergents, fin de l'opposition entre donateurs et récipiendaires avec des partenariats multiples, fin de la dichotomie aide publique/marché avec la multiplication des instruments hybrides.

Ce diagnostic posé par le document-cadre nous paraît juste et utile. C'était également le sentiment des intervenants de la table ronde. Il introduit une vision neuve de l'aide au développement et permet de mieux comprendre une politique complexe dont on oublie, derrière des batailles de chiffres, la signification très actuelle.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Mon collègue Christian Cambon ayant parlé positivement de ce diagnostic, je vais pouvoir maintenant en souligner quelques lacunes. Cela ne m'empêche pas de m'associer pleinement à ce qu'il vient de dire. Ce diagnostic dessine un tableau, mais ne fait pas un bilan et encore moins une évaluation.

Nous ne retrouvons dans ce document aucun bilan des objectifs fixés par les derniers comités interministériels de coopération (CICID). C'est un parti pris qui nous paraît critiquable. Il serait souhaitable que la définition de cette nouvelle stratégie puisse s'appuyer sur un bilan des précédentes. C'est la raison pour laquelle nous demandons à ce que ce bilan puisse être joint au document cadre.

De même nous ne retrouvons dans ce document, ni évaluation ni doctrine d'emploi des instruments de notre coopération qui permette de savoir ce que nous pouvons attendre de chacun d'entre eux et dans quel contexte il est le mieux adapté. Cela permettrait d'éviter les utilisations à contre emploi pour des raisons d'affichage. Cela permettrait également que soient identifiés des zones et des secteurs où les dons disposent d'un avantage comparatif certain par rapport aux autres mécanismes. Dans un contexte où les crédits consacrés aux subventions risquent d'être de plus en plus contraints, il importe de se fixer une ligne de conduite et d'identifier là où c'est le plus efficace et le plus nécessaire.

Nous ne trouvons pas non plus de bilan des réformes des structures administratives de l'aide au développement opérées depuis 2004. Quel est le bilan des transferts de compétence à l'Agence française de développement (AFD) ? Quel est l'avenir des SCAC ? Quel rôle pour l'ambassadeur ? Un bilan permettrait de définir les objectifs assignés à chacune des structures et au réseau de coopération dans son ensemble. Nous avons le deuxième réseau diplomatique du monde, qu'attendons-nous de lui en matière de pilotage de l'aide au développement ? Qu'attendons-nous de nos instituts de recherche sur le développement ? Nous vous proposons de demander que ce bilan et ces objectifs soit intégrés dans le document cadre.

Enfin, le document-cadre gagnerait à s'appuyer sur une évaluation des résultats. Le ministre des affaires étrangères nous a dit que c'était difficile. C'est sans doute le cas, mais l'aide au développement ne peut pas être la seule politique publique qui ne soit pas évaluée. En outre, de nombreuses évaluations existent. La question, c'est tout autant la difficulté d'évaluer que la difficulté de prendre en compte cette évaluation dans la stratégie politique. Nous vous proposons, dans notre rapport, d'insister sur ce point.

En conclusion, sur le diagnostic, j'aurai plaisir à vous lire une citation de la leçon inaugurale du Collège de France sur l'aide au développement de l'économiste Esther Duflo : «Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l'inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées. Or force est de constater qu'aujourd'hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d'effets nuls ou moins importants que ce qu'ils escomptaient, soit que la mise en oeuvre d'évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. »

M. Christian Cambon, co-rapporteur - A partir de ce diagnostic pertinent mais incomplet, le document cadre définit les quatre objectifs majeurs de notre coopération et les quatre zones géographiques prioritaires avant d'introduire la notion de partenariats géographiques différenciés.

Les objectifs majeurs de notre coopération sont la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.

Sans surprise, ce sont des objectifs communs à la communauté internationale. La nouveauté par rapport au précédent CICID consiste à placer en tête la prévention des crises et des conflits. Nous retrouvons là la préoccupation d'insérer l'aide au développement dans les préoccupations de politique étrangère. Les crises se nourrissent en effet presque toujours d'un contexte de forte pauvreté sur des territoires où les Etats sont en difficulté. C'était vrai en Afghanistan, ce le sera peut-être demain dans le Sahel. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que l'aide au développement doit jouer un rôle de prévention. Comme en médecine, il est préférable de prévenir plutôt que de guérir, surtout s'il faut ensuite intervenir militairement.

La lutte contre la pauvreté est le deuxième objectif. Elle est au coeur de l'aide au développement et des objectifs du millénaire pour le développement, les fameux « OMD » dont l'Assemblée générale de l'ONU fera le bilan en septembre prochain.

La communauté internationale a accompli des progrès importants dans la réalisation de plusieurs OMD. Nous ignorons trop souvent les succès. Les taux de mortalité infantile ont baissé, l'espérance de vie a augmenté, la population des pays en développement ayant accès à l'eau potable a augmenté.

Je ne vous étonnerai pas en vous disant que la réalisation de ces objectifs est loin de progresser de façon uniforme selon les pays ou selon les objectifs eux-mêmes.

Je crois néanmoins que nous devons maintenir le cap. Soutenir la logique des OMD, qui est une logique de résultats, avec des objectifs très concrets comme les taux de scolarisation et les taux de vaccinations.

Il nous faut aussi maintenir notre effort en termes de moyens. Notre aide pour le développement a atteint en 2009, 0,46 % du PIB. Nous sommes parmi les premiers pays du monde, un peu en deçà de la Grande-Bretagne, qui a atteint 0,51 %. Dans le contexte actuel de déficit de finances publiques, l'objectif de 0,7 % en 2015 sera difficile à atteindre. C'est un enjeu pour l'aide au développement, c'est aussi un enjeu pour la place de la France dans le système des Nations unies que de se montrer exemplaire à une époque où la place de la France pourrait être remise en cause dans les instances internationales. Pour les pays en voie de développement et les pays émergents, ce sera un test de notre crédibilité.

Le troisième objectif est le défi de la croissance ; c'est un objectif qui est complémentaire avec celui de la lutte contre la pauvreté. On n'aidera pas seulement ces pays avec le développement des services publics de base. Il faut favoriser la croissance économique. Le décollage des pays émergents a entraîné dans leur pays un recul majeur de la pauvreté. L'objectif est d'entraîner l'Afrique dans cette voie. Le soutien de la croissance, c'est les infrastructures, mais c'est aussi l'engagement de l'AFD dans des fonds d'investissements et de soutien aux entreprises, des systèmes de garanties aux réseaux bancaires africains qui permet indirectement d'irriguer le tissu social et de générer de l'emploi.

Je vous propose de marquer notre soutien à cet objectif. C'est lui qui créera les conditions pour que ces pays deviennent autonomes.

J'observe que le soutien à la croissance va au-delà de la simple mobilisation financière et couvre les négociations commerciales et toutes les actions qui assurent la cohérence de nos politiques à l'égard des pays en développement. Il est beaucoup plus efficace et beaucoup plus conforme à la dignité des pays africains de leur permettre d'assurer leur croissance par les échanges. La France doit soutenir dans les futures négociations commerciales l'amélioration des régimes préférentiels pour les exportations des pays d'Afrique subsaharienne à bas revenus. Si nous nous félicitons que le document-cadre fasse référence à la nécessaire cohérence des politiques publiques, nous regrettons qu'il ne définisse pas des objectifs concrets en la matière.

Le quatrième objectif est la préservation des biens publics mondiaux. Il s'agit bien sûr, là, du climat ou de la biodiversité. Les enjeux climatiques sont au coeur de l'agenda international. Cela concerne les pays émergents, qui seront responsables, dans les 30 ans à venir, de 80 % de l'augmentation de la consommation d'énergie. Cela concerne également l'Afrique qui a aujourd'hui le système de production électrique le plus cher et le plus polluant au monde.

L'une des leçons de la conférence de Copenhague est que le ralliement des pays en développement à nos préoccupations passe par un engagement renouvelé de nos pays sur les questions de développement et d'environnement. Aujourd'hui les deux sont liés.

Les enjeux en termes financiers sont considérables. Pour une part, cet objectif concerne tous les projets d'aide au développement sans forcément renchérir leur coût. Pour une autre part, cet objectif conduit à intervenir dans des pays où nous n'interviendrions pas autrement, comme l'Indonésie pour lutter contre la déforestation ou sur des nouveaux projets comme les projets pilote en matière d'énergies renouvelables.

On ne peut que souscrire à cet objectif, mais aussi attirer l'attention sur le fait qu'il est de nature à capter une partie très significative des financements aujourd'hui consacrés à l'aide au développement.

Les chiffres avancés à Copenhague sont sans commune mesure avec les moyens déployés pour la lutte pour le développement. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'accord prévoit la mise en place de ressources financières additionnelles. C'est pour cela qu'il nous faut militer pour des financements innovants.

Le document-cadre propose une application différenciée de ces objectifs selon les zones concernées.

Il définit comme première priorité géographique l'Afrique subsaharienne. L'Afrique, c'est 1,8 milliard d'habitants en 2050, c'est-à-dire trois fois plus que l'Europe demain, plus que l'Inde, plus que la Chine, juste en-dessous de la Méditerranée. C'est, par ailleurs, comme l'a souligné M. Abdou Diouf lors de son audition le 2 juin dernier, 600 millions de francophones en 2050.

Le document-cadre propose de réserver l'essentiel de nos subventions et de nos prêts à l'Afrique subsaharienne. Nous vous proposons même de demander à ce que soient renforcés les critères de concentration sur l'Afrique tant il nous semble que notre aide bilatérale s'est affaiblie sur ce continent.

Par ailleurs, je regrette l'absence d'une formalisation d'une stratégie française à l'égard des outils multilatéraux intervenant en Afrique. Aujourd'hui plus 50 % de notre aide passe par ce canal. Nous vous proposons d'insister sur la nécessité de renforcer la qualité de notre partenariat avec les institutions multilatérales en Afrique afin que la programmation de ces organismes reflète bien nos priorités.

Comme l'a dit le Président de la République en clôture du XXVème Sommet Afrique-France le 1er juin «Sur l'échec de l'Afrique se construira le désastre de l'Europe et sur le succès de l'Afrique se construira la croissance, la paix et la stabilité de l'Europe

La deuxième zone prioritaire est la Méditerranée. Le document cadre propose de faire de l'aide au développement un instrument majeur pour relancer le cadre politique de l'Union pour la Méditerranée. A travers les projets de dépollution de la Méditerranée, de gestion durable de l'eau, nous pouvons créer une solidarité régionale essentielle à la stabilité de l'Europe.

La troisième zone géographique prioritaire est constituée par les pays émergents dans lesquels nous poursuivons deux objectifs : créer un partenariat avec les grands pays qui façonneront le monde de demain tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil -il y va de notre intérêt politique- et de les inciter à adopter un modèle de développement plus respectueux de l'environnement. Le document cadre propose de réserver à cette zone l'instrument du prêt complété, le cas échéant, par de l'assistance technique.

Je crois qu'il faut approuver cet objectif mais demander d'avoir une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents. Actuellement ces pays représentent environ 6 % de nos interventions. Elles sont plafonnées à 15 % des bonifications d'intérêt de l'AFD. C'est une proportion raisonnable que nous nous proposons d'inscrire dans le document-cadre. Je souhaite par ailleurs qu'on soit peut être plus sélectif dans le choix de nos pays d'intervention. On peut se demander si c'est vraiment stratégique que l'AFD intervienne en Colombie ?

La dernière zone géographique prioritaire concerne les pays en crise. Il s'agit de la région du Sahel, du Moyen-Orient, de l'Afghanistan et du Pakistan. Il faut être plus réactif tout en gardant à l'esprit des objectifs de long terme et en se coordonnant avec les autres bailleurs de fonds afin que toutes les aides ne se focalisent pas une année sur un pays. En 2007, par exemple, l'aide par habitant en Irak était de 311 dollars contre 52 par habitant pour le Soudan et 13 pour l'Éthiopie.

Sous réserve de ces observations, nous nous proposons d'approuver les objectifs généraux proposés, qui sont finalement communs à la communauté internationale.

M. André Vantomme, co-rapporteur - J'en viens aux modalités de mise en oeuvre de cette stratégie. Cela a été souligné par tous les intervenants de la table ronde, on ne peut que déplorer l'absence dans ce document de perspectives budgétaires.

Nous le constatons dans nos collectivités territoriales : les idées ne valent que par les moyens qu'on y consacre.

Dans le même temps, il faut bien concéder que les auteurs du document se sont évertués à définir les objectifs de notre coopération pour les dix ans à venir. Il fallait donc prendre du champ par rapport aux négociations budgétaires dont les résultats sont de toute façon très incertains dans le contexte actuel.

Mais le document cadre devrait au moins définir les besoins.

Je vous propose, par exemple, de demander que le bilan des efforts budgétaires nécessaires à la tenue de l'ensemble des engagements internationaux de la France en matière d'aide au développement soit joint au document cadre. Il y a les 0,7 %, mais il y a beaucoup d'autres engagements. Nous ne sommes pas avares de promesse.

Une fois ces besoins estimés, fallait-il définir des objectifs chiffrés ? Il était bien sûr difficile de préjuger des négociations budgétaires en donnant des montants en valeur absolue. On pourrait néanmoins imaginer de définir des pourcentages pour chaque priorité.

C'est en partie le cas pour les priorités géographiques puisque le document-cadre indique que la France consacrera 60 % de son effort budgétaire à l'Afrique subsaharienne.

Nous vous proposons de demander à ce que soit renforcé le ciblage sur les pays pauvres afin que soient consacrés 50 % des dons programmables de l'aide bilatérale sur 14 pays pauvres prioritaires et que soit explicitement dit que les pays émergents ne dépassent pas 15 % des bonifications de l'AFD.

Pouvait-on aller au-delà ? Il nous a semblé que l'exercice était assez délicat, qu'il était assez difficile de définir un chiffre qui puisse tenir 10 ans. Aussi, nous sommes-nous contentés, pour le reste, de définir les grandes orientations que nous souhaitons voir adopter.

La première est de demander la restauration d'une capacité d'initiative de nos instruments bilatéraux de coopération.

Lors de la table ronde, tous les intervenants ont été unanimes pour souligner que la capacité d'initiative de nos services est aujourd'hui très réduite. On a pu le constater dans les postes à l'étranger : il manque parfois quelques dizaines de milliers d'euros pour pouvoir soutenir des projets. Même notre capacité à entraîner des acteurs multilatéraux est aujourd'hui mise à mal par la réduction de nos moyens bilatéraux.

S'agissant de notre aide multilatérale, celle qui passe par la Banque mondiale, le PNUD et le Fonds européen de développement, ces institutions ont indiscutablement une vraie légitimité et une vraie compétence à intervenir dans les pays en développement. La question qui se pose est celle de la qualité de notre partenariat avec ces organisations multilatérales dont je regrette qu'elle ne fasse pas l'objet de plus grands développements dans le document-cadre.

Un des objectifs de notre coopération doit être d'obtenir dans la définition de la programmation des organismes multilatéraux un poids proportionnel à nos contributions. La France est en moyenne le 2ème contributeur aux grandes institutions multilatérales. Nous devons obtenir qu'il y ait une plus grande cohérence entre nos priorités et les programmes de ces organismes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Cela exige une vraie stratégie de la part de la France et c'est pour cela qu'il faut insister sur la notion de partenariat. C'est un objectif qu'il faut inscrire dans le document-cadre.

Nous vous proposons d'ailleurs que chaque reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d'une évaluation de ce partenariat. On ne doit pas remettre de l'argent dans un fonds sans avoir évalué la qualité de notre partenariat avec ce fonds.

Je pense en particulier au Fonds européen de développement (FED) auquel nous contribuons chaque année à hauteur de 900 millions d'euros. Les négociations sont en cours. Je regrette à cet égard que le document stratégique sur la politique européenne de développement ne fasse pas l'objet d'une consultation du Parlement. Je crois, en tous les cas, nécessaire de demander l'évaluation de notre partenariat avec le FED.

En ce qui concerne le financement de l'aide au développement au niveau international, le document-cadre préconise ce qu'il appelle une vision globale du financement. Cette vision consiste à prendre en compte l'ensemble des financements, c'est-à-dire non seulement l'aide publique au développement, mais également les investissements directs des entreprises et les flux financiers des migrants, ainsi que les recettes fiscales des pays en développement.

Autant je pense qu'il faut bien recenser les sources de financement des pays en développement, autant je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. On ne peut pas assimiler les investissements directs, et même les flux financiers des migrants, à des leviers financiers à la disposition de la politique d'aide au développement. Les investissements directs des entreprises vont, nous le savons, au sein des pays en voie de développement, dans les pays émergents. Les flux financiers des migrants sont, quant à eux, destinés à des dépenses de consommation des familles qui restent au pays. Il est vrai qu'on peut chercher à orienter ces flux vers des investissements durables, mais ce n'est pas la même chose qu'une politique d'aide au développement.

Sur l'Aide Publique au développement (APD), il faut sans doute moderniser les indicateurs et les compléter. Aujourd'hui l'APD comptabilise des actions qui ne sont pas de l'aide au développement et en oublie d'autres. Tout cela doit se discuter au sein de l'OCDE. Je vous propose donc de demander que ces problématiques soient bien distinguées.

Nous croyons enfin avec le document-cadre, que l'aide au développement doit avoir pour contrepartie un effort des pays partenaires pour mettre en place un système fiscal efficace. C'est la garantie de leur autonomie et d'un financement durable des services publics.

En ce qui concerne l'architecture internationale de l'aide au développement, nous vous proposons d'inviter le gouvernement à faire des propositions dans le sens d'une plus grande simplification et d'une plus grande cohérence. Aujourd'hui, le monde du développement ressemble, au niveau international, à un écosystème dans lequel il y a toujours plus de naissances et plus aucun mort. Il y a aujourd'hui 365 organismes habilités à recevoir des fonds d'aide au développement. C'est trop, c'est trop complexe. Il est donc souhaitable que la France, dans un document stratégique à 10 ans, exprime sa vision d'une architecture plus cohérente.

Le dernier chapitre du document-cadre est consacré à l'évaluation et à l'explication des enjeux de l'aide au développement aux citoyens et aux contribuables. Je me félicite que le document-cadre fixe pour objectif une plus grande association des ONG à la définition et au suivi de la politique de coopération.

Nous souhaitons que la promotion des actions des ONG et des collectivités territoriales soit considérée comme un objectif stratégique et que l'Etat puisse, dans le respect de leur autonomie, les aider à structurer leurs efforts dans ce domaine.

Nous regrettons, en revanche, qu'il ne soit pas fait mention du Parlement.

Au-delà même de nos missions institutionnelles qui nous conduisent naturellement à contrôler l'utilisation des deniers publics par le Gouvernement, je rappelle que l'aide publique au développement en France représente quand même quelques milliards d'euros. Nos assemblées doivent mener sur ce sujet un travail d'explication : explication des enjeux à long terme, explication des préoccupations des citoyens qui souhaitent savoir à quoi sert l'argent consacrée à notre coopération.

Pour jouer pleinement notre rôle de contrôle, je vous propose de demander que nous puissions avoir le concours des organismes chargés des évaluations de la politique d'aide au développement. Il est vain de penser qu'avec les moyens dont nous disposons, nous pouvons contrôler nos contributions au Fonds européen de développement. Ces 900 millions concourent à d'innombrables actions, projets, dans plus d'une centaine de pays. En revanche, il serait utile que nous puissions avoir un droit de tirage dans la programmation de ces organismes pour passer commande d'une évaluation à partir de laquelle nous pourrions mener un travail de réflexion.

De même, je crois utile dans nos recommandations d'évoquer l'amélioration des documents budgétaires. Comme l'ont souligné plusieurs intervenants lors de la table ronde, ces documents sont particulièrement opaques, si bien que même les spécialistes ne s'y retrouvent pas.

Je propose également que les catégories que mon collègue Cambon a évoquées, les priorités thématiques et les priorités géographiques, soient traduites en indicateurs de performances et soient intégrées dans le document de politique transversale qui est annexé au projet de loi de finances. Il faut qu'on puisse ainsi suivre ces priorités et savoir chaque année où elles en sont.

Nous vous proposons enfin, Christian Cambon l'a évoqué, que nous demandions à ce qu'une loi d'orientation sur le développement soit présentée à échéance régulière au Parlement, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe.

En conclusion, il me semble qu'il s'agit d'un document de qualité qui gagnerait à prendre en compte les observations que nous avons formulées. Nous n'avons pas à voter sur ce document qui je le rappelle est un document interne à l'Exécutif. Nous avons en revanche à émettre des recommandations. Nous vous proposons donc de rassembler les recommandations que nous avons formulées avec mon collègue Christian Cambon et de les adresser au ministre des affaires étrangères afin que le groupe de travail qui rédige ce document prenne en compte nos remarques avant que le document cadre ne soit définitivement adopté par le prochain CICID.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga - Cette consultation sur le projet de document-cadre est un exercice de réactivité intellectuelle difficile tant il y a de thèmes abordés. Je regrette grandement qu'il ne soit pas accompagné de données relatives aux perspectives budgétaires car, nous le savons tous, cette politique souffre aujourd'hui d'un manque de moyens. Vous dites espérer que le document-cadre puisse constituer une référence pour l'ensemble des administrations concourant à la politique de coopération. Je crois qu'il faut être plus ferme : aujourd'hui, des administrations comme celle de l'éducation nationale ou celle des finances refusent de se coordonner avec le ministère des affaires étrangères sur ces sujets.

Les objectifs choisis sont très généraux et on peut craindre qu'il arrive, avec ce document, ce qui est arrivé avec le Livre Blanc sur les affaires étrangères ou avec l'évolution de notre réseau diplomatique. C'est-à-dire qu'on ne choisit pas, on conserve un réseau diplomatique universel mais faute de financements on laisse des implantations sans moyens d'agir ni même d'exister. Dans ce document, on ne choisit pas non plus entre les objectifs millénaires pour le développement et les biens publics mondiaux alors que tout le monde sait que pour financer ces deux priorités en même temps, il faudra des financements nouveaux et, notamment, des financements innovants. Je trouve que dans le projet de recommandations qui nous est soumis par les rapporteurs les priorités ne sont pas assez mises en relief et les critiques pas assez appuyées.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Nous avons souligné l'absence de perspectives financières et nous demandons que cette recommandation soit prise en compte afin que le document-cadre soit accompagné d'un chiffrage des besoins, et en particulier de l'effort budgétaire nécessaire pour que la France remplisse ses engagements internationaux en matière d'aide au développement. On aurait pu aller plus loin et définir des cibles chiffrées mais c'est un exercice délicat s'agissant d'un document qui vise la décennie, en particulier dans le contexte actuel des finances publiques. Je rappelle que nous ne votons pas sur le document-cadre mais sur notre contribution à ce document. Dans cette contribution nous demanderons que les moyens nécessaires à la mise en place de cette stratégie soient précisés.

M. Christian Cambon, co-rapporteur - Nous partageons vos préoccupations. Il n'y a pas de stratégie sans un cadre budgétaire. Nous avons essayé de mettre en relief des indicateurs en pourcentage de l'effort budgétaire français afin de mieux cerner les priorités géographiques. Nous demandons par ailleurs une évaluation de l'effort budgétaire nécessaire pour remplir les très nombreuses promesses que la France a faite à l'Afrique. Je suis d'ailleurs inquiet de voir que nous ne remplirons pas de nombreux engagements. Les pays en voie de développement risque de nous le reprocher dans une période où, par ailleurs, la réforme des organisations internationales pourraient conduire à une contestation de la place de la France dans un certain nombre d'institutions. Par ailleurs, au-delà des chiffres, nous souhaitons insister sur la notion d'évaluation. C'est un élément clé si l'on veut améliorer l'efficacité de notre politique d'aide au développement.

M. Jean Faure - Je trouve que le projet de document-cadre est un document intéressant qui arrive à un moment où cette politique est décalée par rapport à l'actualité et qu'elle manque de lisibilité. Vos recommandations me paraissent tout à fait adaptées. Mais je crois qu'il faut insister sur le rôle fondamental des collectivités territoriales. Elles sont de plus en plus présentes à travers la coopération décentralisée. Je crois que l'État devrait mieux accompagner ces collectivités dans leurs choix. Leur rôle doit en tout cas être souligné dans vos recommandations et il me semble qu'il ne l'est pas assez.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Je souscris pleinement à l'idée que la coopération décentralisée joue un rôle essentiel. Nous l'avons indiqué à travers la phrase qui prévoit que la commission « souhaite que la promotion des actions des ONG et des collectivités territoriales soit considérée comme un objectif stratégique et que l'Etat puisse, dans le respect de leur autonomie, les aider à structurer leurs efforts dans ce domaine ». Nous avons mentionné le respect de l'autonomie des collectivités territoriales car il faut éviter tout risque de caporalisation de nos collectivités dans ce domaine.

M. Christian Cambon, co-rapporteur - Je souscris pleinement à ce qu'a dit mon collègue Vantomme. J'ajouterai que nos recommandations demandent également que soit établie une doctrine d'emploi des instruments de la coopération parmi lesquels figure la coopération décentralisée.

Mme Catherine Tasca - Le document-cadre est un apport important à la définition d'une stratégie cohérente de coopération. Je félicite les rapporteurs pour leurs recommandations qui illustrent un travail en profondeur. Je pense toutefois que l'absence de chiffrage doit être soulignée avec plus de fermeté et dès l'introduction du document. De plus, il faut attirer l'attention sur le fait que la notion de partenariat avec les pays sud, qui est cité à de nombreuses reprises dans le document-cadre, suppose un rapport d'égalité avec ces pays, ce qui est encore loin d'être le cas. Enfin, la francophonie doit faire partie des préoccupations du projet du document-cadre et je regrette qu'elle ne figure pas dans vos recommandations. Ces dernières évoquent par ailleurs les interventions de l'AFD et je voudrais souligner à ce propos l'inquiétude que suscite la nomination de M. Dov Zerah à la direction générale de cette institution ainsi que les premières mesures qu'il a prises consistant à se séparer de deux des principaux cadres dirigeants de cette institution.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Je partage vos préoccupations quant à l'absence de cadrage budgétaire et je vous propose que nos recommandations relatives à ce point figurent dans l'introduction du document. De même je vous propose d'introduire une phrase sur la francophonie parmi les objectifs généraux de la politique de coopération.

M. Charles Pasqua - Je veux souligner le rôle essentiel des collectivités territoriales qui portent une part essentielle de l'effort de coopération. Je crois qu'il faut éviter toute caporalisation dans ce domaine mais cela n'empêche pas les autorités nationales de définir des priorités et d'inciter les collectivités à les partager. Il faut par ailleurs souligner l'importance de notre aide bilatérale au sens de l'aide multilatérale.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Les collectivités territoriales veulent bien entendre les conseils mais leur autonomie dans ce domaine, comme dans d'autres, doit être respectée.

M. Jean Faure - Il ne faut pas se méprendre sur ce que j'ai dit. Je ne souhaite pas que les collectivités territoriales soient enrégimentées dans une politique d'aide au développement national, mais je souhaite qu'elles soient aidées et assistées dans leurs démarches afin de soutenir des projets viables dans des secteurs qui soient réellement stratégiques, cela en respectant pleinement leur autonomie.

M. André Vantomme, co-rapporteur - Généralement les collectivités sont reçues, et souvent aidées, par les ambassades sur place.

M. Christian Cambon, co-rapporteur - C'est pour cette raison que nous avons souhaité inscrire dans les conclusions de notre rapport que l'État devrait les aider, dans le respect de leur autonomie, à structurer leurs efforts dans ce domaine.

M. Bernard Piras - Vous insistez sur la notion d'évaluation sans bien préciser le rythme auquel vous souhaitez que ces évaluations soient effectuées. Or c'est là un enjeu important.

M. André Vantomme, co-rapporteur - L'essentiel de l'évaluation doit se dérouler dans le cadre de la discussion budgétaire, c'est-à-dire chaque année.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga - Je crois que nos recommandations devraient évoquer la lutte contre la prédation. Autant il est malheureusement inéluctable qu'il y ait une part de corruption, autant il n'est pas possible d'accepter un dévoiement massif de l'aide au développement comme on l'a connu par exemple au Congo.

M. André Vantomme, co-rapporteur - C'est une préoccupation que nous partageons. C'est vrai que cela existe. On peut s'interroger d'ailleurs sur le fait de savoir s'il y a suffisamment de contrôles pour s'assurer que les fonds mobilisés pour l'aide au développement soient bien utilisés à cette fin.

M. Josselin de Rohan, président - Je me félicite de la qualité de ce débat. J'ai demandé au président du Sénat de bien vouloir organiser un débat en séance publique lors de la première semaine de contrôle d'octobre. Cette demande sera également faite lors de la prochaine conférence des présidents. Je souhaite à présent que la commission se prononce sur le rapport de MM. Cambon et Vantomme en prenant en compte les suggestions qui ont été faites et qu'ils ont souhaité intégrer à leur texte.

La commission a ensuite adopté à l'unanimité le rapport de MM. Cambon et Vantomme.

Politique de sécurité et de défense commune - Audition de M. Jean-Louis Falconi, représentant de la France auprès du comité politique et de sécurité de l'Union européenne

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Jean-Louis Falconi, Représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l'Union européenne (COPS), sur la politique de sécurité et de défense commune.

M. Josselin de Rohan, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, représentant de la France au Comité politique et de sécurité (COPS) de l'Union européenne.

Je vous remercie d'avoir bien voulu évoquer devant notre commission l'actualité de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Cette PSDC traverse incontestablement aujourd'hui une période de doute, du moins pour ceux qui aspiraient à un certain niveau d'ambition en matière de capacités d'action autonome et de rapprochement des politiques de défense. La volonté politique est très inégalement partagée entre les différents Etats-membres qui consacrent en outre des moyens limités à la défense. L'impact de la crise économique et financière accentue les inquiétudes sur le devenir des capacités de défense en Europe.

Nous souhaiterions en premier lieu faire le point sur les aspects institutionnels. Le traité de Lisbonne instaure un nouveau cadre, avec l'institution du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la création du service européen pour l'action extérieure, qui doit intégrer certaines structures en charge de la politique de sécurité et de défense, l'extension des coopérations renforcées au domaine de la défense, la possibilité de coopérations structurées permanentes, la clause de solidarité et la clause d'assistance.

Quelles sont, d'ores et déjà, les incidences de ces nouvelles dispositions sur la conduite et le développement de la PSDC ? Quelles sont les perspectives ouvertes par ces nouveaux outils ?

Deuxièmement, je souhaiterais que nous évoquions les opérations, qui ont été ces dernières années la traduction la plus concrète et la plus utile de l'Europe de la défense. L'opération Atalanta de lutte contre la piraterie est un succès. L'Union européenne a également lancé une opération de formation au profit de la Somalie. Pourriez-vous dire quelques mots sur les opérations actuellement conduites par l'Union européenne et sur les perspectives d'évolution ?

Notre troisième domaine d'intérêt porte sur le développement des capacités européennes. Sous la présidence française, un certain nombre d'initiatives capacitaires ont été annoncées, notamment en matière de transport aérien ou de renseignement spatial. L'Agence européenne de défense a établi un plan de développement des capacités. Nous avons cependant le sentiment que les coopérations concrètes, qui seraient indispensables en cette période difficile budgétairement, ont peu progressé, que ce soit en termes de mutualisation des moyens ou de programmes d'équipement européens. Le rôle de l'AED paraît marginal et elle est de surcroît fragilisée par l'hostilité latente des Britanniques. Son action en matière de recherche est très limitée. On évoquait la possibilité d'ouvrir au domaine de la défense, les fonds importants que la Commission consacre à la recherche civile. Où en est-on ?

Enfin, nous pourrions également évoquer la question du suivi parlementaire de la PSDC. La disparition prochaine de l'Assemblée de l'UEO se situe dans la logique de l'évolution institutionnelle, mais il paraît indispensable que les Parlements nationaux demeurent en prise sur la conduite de la PSDC. Nous avons fait des propositions allant en ce sens, sans vouloir recréer une Assemblée interparlementaire. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur ce point.

M. Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, représentant permanent de la France au Comité politique et de sécurité de l'Union européenne - Merci Monsieur le Président. Je vais tenter d'apporter mon témoignage sur les évolutions en cours à Bruxelles à propos des différents sujets que vous avez évoqués. Je me permets de préciser que parallèlement à ma fonction auprès de l'Union européenne, je suis également le représentant de la France auprès de l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Je serai d'ailleurs le dernier titulaire du poste, puisque cette organisation disparaîtra à l'été 2011, la France ayant d'ailleurs déjà fait parvenir son instrument de dénonciation du Traité de Bruxelles.

En ce qui concerne le contexte institutionnel, il est aujourd'hui difficile de porter une appréciation définitive, dans la mesure où beaucoup de paramètres évoluent en même temps.

Le traité de Lisbonne offre des outils plus puissants pour la PSDC. Il prévoit la possibilité de coopérations structurées permanentes. Il consacre le rôle de l'Agence européenne de défense. L'existence d'un Conseil des ministres de la défense n'est pas prévue dans le traité, mais on s'achemine dans cette direction. Enfin, la nouvelle fonction de Haut représentant constitue une évolution majeure, de même que la création du Service européen pour l'action extérieure, structure sui generis qui ne relève totalement ni du Conseil, ni de la Commission, mais doit réunir des agents du Conseil et de la Commission ainsi que des diplomates des Etats membres. Ce nouveau cadre institutionnel ouvre donc des potentialités pour la PSDC.

La crise économique et financière incite à développer la mutualisation des moyens, dans une logique européenne, mais elle restreint les contributions que chaque Etat membre peut apporter à la défense européenne.

Enfin, le rôle des autres acteurs internationaux évolue. L'OSCE a vocation à devenir un espace de sécurité renforcé. L'OTAN redéfinit son concept stratégique.

Pour être franc avec vous, nous sommes donc dans une période d'incertitudes qui ne permet pas de porter de jugement certain sur le développement de la PSDC.

Alors que la situation internationale et les crises n'attendent pas, les instruments que j'ai cités ne sont pas encore en place. Nous sommes engagés avec le Parlement européen dans des négociations difficiles sur le Service européen pour l'action extérieure, dont il faut bien avoir conscience qu'il représente aussi une révolution sans équivalent pour les institutions européennes. J'ai pris connaissance de la résolution du Sénat à ce sujet et je crois que vos objectifs sont ceux que poursuit le gouvernement français. Nous sommes très vigilants sur les modalités d'intégration à ce service des structures de gestion de crises européennes, sur la place des diplomates nationaux, sur le fait que ce service ne doit pas être l'instrument de la Commission. La France a beaucoup milité pour la création d'une direction de la gestion de crise et de la planification. C'est un outil essentiel pour favoriser une vision stratégique de la gestion des crises, intégrant les dimensions civile et militaire. Mais cette direction, déterminante dans le développement de la PSDC, ne peut pas encore être concrètement mise en place, car elle est suspendue à son intégration au Service européen pour l'action extérieure.

En matière de politique étrangère et de sécurité, le Haut représentant s'est substitué à la présidence tournante. Dans notre esprit et selon le traité, le Haut représentant incarne une capacité de proposition autonome, à côté de celle des Etats membres, au service d'une Europe politique dans le domaine des affaires étrangères et de la défense, à l'image du rôle de la Commission dans les matières communautaires. Le Haut représentant n'est pas encore cette force d'initiative que nous souhaitons et la réaction européenne à la crise haïtienne en fut un exemple. La mise en place du SEAE doit le doter de la plénitude des moyens prévus par le traité de Lisbonne pour l'exercice de cette fonction d'impulsion.

Pour résumer, les potentialités offertes par le traité de Lisbonne ne sont pas encore exploitées.

Pour autant, il faut noter des évolutions positives et encourageantes.

Au cours de ces dernières semaines, Mme Catherine Ashton s'est fortement impliquée auprès des pays africains sur le dossier de la lutte contre la piraterie. Elle s'est rendue Au Kenya, en Tanzanie et aux Seychelles pour accélérer la mise en place d'un cadre judiciaire permettant le jugement de pirates.

Mme Ashton a également pleinement joué son rôle sur la crise de Gaza. Elle a présenté au conseil des ministres des affaires étrangères de lundi dernier une palette d'options incluant l'établissement d'une liste négative de biens à destination de Gaza, la réactivation de la mission de surveillance de l'Union européenne au point-frontière de Rafah (EUBAM), voire même une mission navale.

Autre point positif, la volonté politique des Etats-membres existe. De manière générale, la France est toujours active, sa volonté et son engagement dans la PSDC sont sans faille et elle est présente dans pratiquement toutes les missions. Mais on constate une volonté d'action de la part de bien d'autres Etats membres. La Belgique, la Hongrie et la Pologne, qui exerceront les prochaines présidences tournantes, on fait savoir qu'elles prendraient des initiatives pour renforcer la PSDC. Dans le cadre du triangle de Weimar, les ministres des affaires étrangères et de la défense allemands, français et polonais, réfléchissent également à des propositions. Enfin, j'ai été frappé de constater que cinq Etats, la Finlande, l'Estonie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie, ont évoqué la possibilité d'utiliser les instruments de la PSDC à propos de la crise du Kirghizistan.

La défense européenne reste également active au travers des opérations, qui en sont la manifestation la plus concrète. Nous avons actuellement 10 missions civiles et 3 missions militaires en cours.

Vous avez mentionné, Monsieur le Président, l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie. L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation internationale capable de couvrir tous les volets de cette action : le soutien politique et économique, les opérations navales, qui ont été efficaces puisqu'il n'y a pratiquement plus d'actes de piraterie menés avec succès, les suites judiciaires. Vous avez également mentionné l'opération EUTM par laquelle 130 instructeurs européens vont former 2 000 soldats somaliens en Ouganda. Cela témoigne que de nouvelles opérations européennes sont régulièrement engagées.

L'opération Atalanta est dirigée par un amiral britannique depuis le quartier général de Northwood. M. William Hague a confirmé que le Royaume-Uni continuerait à diriger cette opération ; il a donné son accord pour que cette opération militaire de la PSDC soit prolongée pour deux ans. Enfin, le commandement local en reviendra à la France à compter du mois d'août.

Il faut aussi souligner l'importance de notre mission de police au Kosovo. L'opération Eulex évolue, avec une dimension de plus en plus politique.

Enfin, j'ai déjà évoqué la possibilité de relancer l'opération EUBAM à Rafah, suspendue après la fermeture de la frontière qui avait suivi la prise du pouvoir du Hamas à Gaza.

Vous m'avez également invité, Monsieur le Président, à évoquer les capacités. Il est vrai que l'Agence européenne de défense dispose d'un budget très faible - 30 millions d'euros - dont l'augmentation est refusée par le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Nous sommes toujours dans l'incertitude sur la position que prendra le gouvernement britannique à l'égard de l'AED. On peut penser que la position de Londres sera clarifiée après l'adoption de la Strategic Defense Review qui va être menée dans les prochains mois et je suis optimiste. Mais jusqu'à présent, l'attitude du Royaume-Uni a été essentiellement inspirée par des considérations politiques et on peut regretter que les Britanniques n'aient pas plus contribué à alimenter l'Agence en projets utiles à leur défense et à celle des Européens.

L'AED se trouvera face à une autre échéance importante cet automne : l'échéance du mandat de l'actuel directeur, allemand, qui avait lui-même succédé à un Britannique.

L'AED mène des projets utiles, comme un projet franco-allemand d'hélicoptère lourd ou des recherches sur la protection NRBC. La possibilité d'utiliser le 8ème programme-cadre de recherche et développement (PCRD°) au profit de la recherche de défense est évoquée, mais il y a un certain nombre d'hypothèques à lever, notamment le cadrage financier de ce programme. L'AED travaille également conjointement avec le commandement de l'OTAN pour la transformation (ACT) dans les domaines de la lutte contre les engins explosifs improvisés et du soutien médical.

J'en viens à la question du contrôle parlementaire de la PSDC que vous avez évoquée. Comme vous, je pense qu'il faut éviter qu'un vide ne se crée. L'actuel président de l'Assemblée parlementaire de l'UEO, M. Robert Walter, a salué les propositions du Sénat. Les parlements les plus motivés pourraient prendre l'initiative en vue de mettre en place une nouvelle formule à compter de 2011. Il faudra toutefois définir la place qu'y occupera le Parlement européen. Celui-ci dispose déjà d'une structure stable, multinationale par nature, proche des centres de décision européens et assortie de moyens importants. Il estime ne pas pouvoir se satisfaire d'une représentation équivalente à celle d'un simple Etat membre dans une nouvelle structure interparlementaire. Les Parlements nationaux, qui sont compétents sur les sujets de défense, doivent donc rapidement se mobiliser pour faire des propositions sans lesquelles le Parlement européen souhaitera rapidement occuper le vide qui se créé.

M. Didier Boulaud - Vos propos n'incitent guère à l'optimisme. Alors que le Président de la République avait subordonné le retour plein et entier de la France au sein des structures de commandement de l'OTAN à des avancées substantielles de la défense européenne, on constate aujourd'hui l'absence de tout véritable progrès de la PSDC.

Après cette remarque, je souhaiterais vous poser trois questions.

Qu'en est-il de la mise en place d'un véritable Conseil des ministres de la défense européens ?

Quelles sont les perspectives concernant la création d'un quartier général européen permanent ?

Enfin, où en sommes-nous en ce qui concerne les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ? J'ai relevé les propos tenus par le Secrétaire général de l'OTAN, lors de sa rencontre le 25 mai dernier avec la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, selon lesquels l'Union européenne devrait permettre la participation de pays tiers à la PSDC, y compris la participation au processus de décision, en faisant référence à la Turquie. Je n'ai toutefois pas eu connaissance de la réponse de l'Union européenne à cette proposition.

M. Jean-Louis Falconi - Tout en voulant porter un regard objectif et lucide sur le contexte général actuel de transition qui n'est guère propice à des avancées conceptuelles immédiates sur la PSDC, je me suis néanmoins efforcé de souligner dans mon intervention les signaux positifs que constituent à mes yeux des éléments tels que le récent déplacement en Afrique de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ses propositions concernant le rôle de l'Union européenne au Proche Orient ou encore le prolongement de deux ans de l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime. Je ne voudrais donc pas vous laisser le sentiment que la PSDC n'avance pas. Surtout, je peux vous assurer que la France est toujours animée de la même ambition de progresser en matière d'Europe de la défense. Et qu'elle est appuyée par d'autres Etats membres, y compris parmi les nouveaux pays membres, qui se montrent aujourd'hui désireux d'avancer sur ces questions et de contribuer à des opérations.

J'en viens maintenant à vos trois questions.

La création d'un Conseil des ministres de la défense, qui est soutenue par la France, est en bonne voie. Il faut rappeler que, jusqu'à présent, il n'existait pas de formation du Conseil des ministres spécifiquement consacrée aux questions de défense et que les ministres de la défense des Etats membres ne pouvaient se réunir qu'en présence des ministres des affaires étrangères dans le contexte du conseil «relations extérieures». Cette solution n'est à l'évidence pas satisfaisante et ne traduit pas le degré de maturité atteint par la PSDC depuis 10 ans. Même si le traité de Lisbonne ne prévoit pas la création de ce Conseil, il a donc été proposé de créer une formation particulière du Conseil des affaires étrangères consacrée à la Défense, qui serait présidée par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au sein de laquelle siègeraient les ministres de la défense des vingt-sept Etats membres et qui traiterait des questions relevant de leurs attributions.

Deux questions ont alors été soulevées :

- Les ministres de la défense auront-ils la capacité de prendre seuls des décisions ?

- Le Conseil « Défense » pourra-t-il se réunir un autre jour que le Conseil «Affaires étrangères» ?

Pour la France, la réponse est clairement positive sur ces deux points. Compte tenu du nombre de sujets que les ministres des affaires étrangères ont déjà à traiter, les ministres de la défense doivent pouvoir se réunir séparément des ministres des Affaires étrangères et ils doivent avoir un pouvoir de décision propre sur les questions qui relèvent de leurs attributions. Je crois que la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité partage cette idée.

Il reste toutefois deux difficultés. D'une part, plusieurs Etats membres craignent un risque de divergence entre les décisions du Conseil «Affaires étrangères» et celles du Conseil «Défense».

Sur ce point, la présidence unique de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité devrait permettre d'assurer une cohérence entre les deux formations.

D'autre part, il faut tenir compte de la position particulière de certains pays au regard de la défense. Je pense notamment à l'Irlande, dont la neutralité avait été au centre de la campagne lors de la ratification du traité de Lisbonne et qui a obtenu de fortes garanties sur ce point.

Pour autant, je suis assez optimiste sur la création d'un Conseil «Défense», qui sera le signe d'une certaine maturité de la PSDC.

Concernant la mise en place d'un centre permanent de planification et de conduite des opérations, ce sujet fait toujours l'objet d'un blocage de la part du Royaume-Uni, qui ne devrait pas être levé avec le nouveau gouvernement britannique. Mme Catherine Ashton a tenu à cet égard des propos assez malheureux dans sa première intervention devant le Parlement européen, qu'elle a ensuite corrigés.

Pour autant, les choses évoluent. Ainsi, à l'occasion des «retours d'expérience» des différentes opérations menées par l'Union européenne, que la France s'efforce d'ailleurs d'encourager, de plus en plus de responsables militaires de tous Etats membres reconnaissent les avantages que représenterait un quartier général d'opérations unique à Bruxelles, qui éviterait d'avoir à recréer une structure pour chaque opération.

Par ailleurs, on constate une certaine convergence sur cette idée au sein du triangle de Weimar, entre les ministres de la défense français, allemand et polonais. La création d'un quartier général figure d'ailleurs dans l'accord de coalition du gouvernement allemand.

Enfin, en ce qui concerne les rapports entre l'OTAN et l'Union européenne, les différentes déclarations auxquelles vous avez fait allusion relèvent davantage, à mon sens, de postures politiques, afin de donner des assurances à tel ou tel, que d'une réelle démarche de propositions.

Plus fondamentalement, je crois qu'il serait illusoire d'espérer un accord cadre de principe sur les relations entre l'Union européenne et l'OTAN tant que la question chypriote n'aura pas été réglée.

On peut certes noter des progrès, comme les travaux menés conjointement par l'Agence européenne de défense et le commandement de l'OTAN sur la transformation, en matière de lutte contre les engins explosifs improvisés, notamment au regard de l'expérience en Afghanistan, ou de soutien médical. Les contacts « staff to staff » se développent, c'est-à-dire la possibilité pour les officiers ou les responsables, à l'image du Secrétaire général de l'OTAN et de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de nouer des rapports directs entre eux, sans passer par les représentants des Etats membres, afin de ne pas risquer de «politiser» ces relations. C'est une proposition de la présidence française de l'Union européenne qui est ainsi mise en oeuvre.

Toutefois, il faut bien reconnaître que sans un accord cadre, les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ne peuvent être que limitées.

Or, sur les théâtres d'opérations sur lesquels les deux organisations sont engagées, que ce soit en Afghanistan ou au Kosovo, l'absence d'accord-cadre entre les deux organisations nuit à l'efficacité de l'action de nos soldats.

M. Xavier Pintat - Je partage également l'impression de notre collègue, alors que je suis de ceux qui appellent de leurs voeux des avancées sur la défense européenne.

Je voudrais revenir sur les rapports entre l'Union européenne et l'OTAN. Pourriez-vous nous citer des exemples concrets sur les incidences négatives de l'absence de coopération formelle entre l'Union européenne et l'OTAN sur les théâtres d'opérations où sont engagées les deux organisations, notamment l'Afghanistan et le Kosovo ? Et, quelles seraient, d'après vous, les solutions envisageables pour sortir de cette situation ? On a l'impression que l'OTAN et l'Union européenne se renvoient la responsabilité de la situation.

Ma deuxième interrogation porte sur le développement des capacités. Face aux difficultés budgétaires actuelles et à la faible dotation de l'Agence européenne de défense, peut-on espérer un décloisonnement entre la recherche civile et la recherche militaire, notamment par l'utilisation de fonds européens consacrés à la recherche dans le cadre du Programme cadre sur la recherche et le développement (PCRD) pour des programmes de recherche en matière militaire ?

M. Jean-Louis Falconi. - Il existe de multiples exemples d'inconvénients résultant de l'absence d'accord entre l'Union européenne et l'OTAN.

Je mentionnerai notamment les difficultés en matière d'échange d'informations, faute d'accords de sécurité, ou encore le fait que les policiers et les gendarmes de la mission de formation de l'Union européenne de la police afghane soient parfois empêchés d'exercer leur mission car ils dépendent, pour leur protection, des moyens militaires de l'OTAN.

Heureusement, il est parfois possible de surmonter ces difficultés grâce aux relations directes entre responsables sur le terrain. Au Kosovo, le général de Kermabon, qui commande la mission Eulex, est un ancien commandant de la KFOR.

Je ne crois pas que l'amélioration des relations entre l'Union européenne et l'OTAN dépende d'une initiative de l'une ou de l'autre des deux organisations. Elle est tributaire du règlement de la question chypriote, qui relève de la République de Chypre et de la partie turque de l'île, de la Turquie et de la Grèce, voire de la communauté internationale dans son ensemble.

La situation actuelle où les deux organisations sont instrumentalisées par l'une ou l'autre des parties à ce conflit apparaît, en effet, stérile.

L'Union européenne a d'ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine. Toutefois, les initiatives prises par certaines présidences de l'Union européenne sur cette question, à l'image de la présidence finlandaise, qui avait souhaité engager la négociation d'une proposition de règlement présentée par la Commission et permettant un accès direct entre les navires et aéronefs partant de la partie Nord de l'île vers des destinations dans les Etats membres de l'Union européenne, n'ont pas été couronnées de succès.

S'agissant de l'idée d'utiliser les fonds européens consacrés à la recherche civile, gérés par la Commission européenne, pour la recherche militaire, cette hypothèse est conforme aux traités et elle a été publiquement avancée par le ministre français de la défense, M. Hervé Morin.

Cette démarche apparaît souhaitable mais elle suppose de lever deux hypothèques, l'une liée au contexte budgétaire actuel, qui fait peser une incertitude sur le montant des financements consacrés à la recherche civile au sein du budget communautaire et qui conduit la Commission à redouter un effet d'éviction de certains programmes, et, d'autre part, au fait que cela suppose l'accord des autres Etats membres, dont certains ne partagent pas les mêmes intérêts pour les programmes de recherche en matière militaire.

M. Jacques Gautier - La présidence française de l'Union européenne avait beaucoup poussé en faveur de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Or, on constate des réticences de nombreux Etats membres sur ce dossier, et notamment du Royaume-Uni. Il est évident que nous ne pourrons pas progresser à vingt-sept sur ce sujet et que nous ne pourrons le faire qu'avec les Etats membres les plus motivés. Y a-t-il des évolutions au sein de l'Union européenne sur ce point, notamment au regard des enjeux technologiques et industriels du projet de défense antimissile ?

M. Jean-Louis Falconi - Sur la base industrielle et technologique de défense européenne, je ne peux que confirmer votre constat.

En ce qui concerne la défense antimissile, cette question relève davantage de l'OTAN que de l'Union européenne. Vos connaissez la position française, attachée à ca que la mise en place éventuelle de ce système ne se fasse pas au détriment de la dissuasion, et nos interrogations concernant les aspects financiers.

M. Jacques Berthou - Quels sont les différentes positions et les lignes de clivage entre les vingt-sept Etats membres sur les questions de défense ? Existe-t-il des alliances entre les pays qui souhaitent de véritables avancées en matière de PSDC ?

M. Jean-Louis Falconi - La France est toujours animée d'une forte ambition en matière de défense européenne. Notre pays participe à toutes les opérations de l'Union européenne et joue un rôle actif en matière de propositions. Je rappelle que c'est la France qui a été à l'initiative du lancement de la première opération navale de l'Union européenne «Atalanta» de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes ou encore du récent lancement de l'opération de formation des soldats du gouvernement transitoire somalien.

J'aimerais que tous les autres Etats membres partagent le même degré d'ambition, et d'autres pays, comme l'Espagne, l'Italie, la Belgique ou la Grèce, se montrent souvent allants sur ces questions, mais il faut bien reconnaître que nous sommes parfois assez isolés.

En particulier, l'Allemagne est un allié mais reste en retrait, notamment en raison de ses obligations constitutionnelles à l'égard de son Parlement national, et il faut reconnaître que l'attitude du Royaume-Uni est, au départ, toujours assez réservée.

On peut toutefois relever l'évolution de certains pays, notamment parmi les nouveaux Etats membres, comme la Pologne, qui se montrent désireux de progresser sur les questions de défense ou la Hongrie, deux pays qui vont exercer la présidence tournante de l'UE, même si celle-ci n'a plus aujourd'hui le même sens dans le domaine de la politique étrangère de l'UE.

Ainsi, la Pologne a fourni un contingent de 500 hommes pour l'opération de l'Union européenne au Tchad, ce qui démontre que l'Afrique n'est plus seulement l'apanage des anciennes puissances coloniales.

L'attitude des pays d'Europe centrale et orientale demeure toutefois fortement marquée par un intérêt particulier pour les frontières orientales.

C'est la raison pour laquelle plusieurs de ces pays plaident pour une intervention de l'Union européenne en Moldavie concernant la question de la Transnistrie, voire plus récemment pour une implication de l'Union européenne en Asie centrale à l'occasion de la crise actuelle au Kirghizistan.

De notre point de vue, de telles initiatives ne peuvent toutefois aboutir que si elles répondent véritablement à un intérêt stratégique et politique de l'Union européenne, si elles se déploient dans le contexte d'un règlement politique international et si elle préserve l'autonomie de la chaîne de commandement européenne. Ainsi, une mission d'observation ou de surveillance de l'Union européenne en Transnistrie ne serait envisageable qu'en accompagnement d'un processus de règlement politique de ce conflit qui impliquerait tous les acteurs dont la Russie.