Mardi 12 octobre 2010

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME)

La commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

M. Jean Arthuis, président. - Je salue tous les présents à cette audition de suivi de l'enquête sur l'ADEME diligentée par la Cour des comptes, à la demande de Fabienne Keller, rapporteur spéciale des crédits de la mission « écologie, développement et aménagement durables ». Je rappelle que cette enquête entre dans le cadre de l'application de l'article 58, deuxième alinéa, de la LOLF.

L'examen des dernières lois de finances a mis en évidence la montée en puissance de l'ADEME, devenue opérateur principal du Grenelle de l'environnement, qui, à ce titre bénéficie d'importantes ressources fiscales, dont il nous est apparu utile de contrôler le bon usage. L'enquête de la Cour des comptes, qui s'est également attachée à analyser la gestion des comptes confiés à l'Agence au titre des investissements d'avenir, dans le cadre du grand emprunt, a révélé l'existence d'un dispositif critiquable, qui concerne d'ailleurs de nombreux opérateurs, au-delà de l'ADEME.

Je salue nos collègues de la commission de l'économie qui ont répondu à notre invitation et rappelle que cette audition est ouverte à la presse.

Eu égard au nombre des intervenants, je demande à chacun, afin de préserver la possibilité d'un dialogue, d'être aussi concis que possible. Je rappelle à nos commissaires, qui pourront ensuite poser librement leurs questions, que nous aurons au terme de ce débat à prendre position sur la publication de l'enquête de la Cour au sein de notre rapport d'information.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial des crédits de la mission « écologie, développement et aménagement durables ». - Cette demande d'enquête adressée à la Cour des comptes s'inscrit dans la continuité des travaux engagés depuis plusieurs années par notre commission sur l'ADEME, dont Philippe Adnot, dans son rapport de 2001, avait relevé certains dysfonctionnements en matière de gestion interne, avant que la Cour des comptes, dans son rapport de 2006, ne mette elle-même en relief l'insuffisance des procédures de contrôle interne et un éparpillement des services préjudiciable au bon fonctionnement de l'Agence. Il nous est apparu d'autant plus important d'assurer un suivi de ces contrôles que, depuis lors, les responsabilités de l'ADEME se sont trouvées considérablement étendues par le Grenelle de l'environnement et le grand emprunt national. Comme opérateur du Grenelle, en particulier sur les questions du traitement des déchets et des économies d'énergie, l'ADEME bénéficie aujourd'hui de ressources fiscales considérables. C'est ainsi qu'elle se voit affecter, dans le projet de loi de finances pour 2011, 441 millions d'euros provenant de la taxe générale sur les activités polluantes. Si ce n'est pas la première fois que notre commission est amenée à pointer ce mode de débudgétisation de ressources destinées à mettre en oeuvre des politiques publiques, celle dont bénéficie l'ADEME, dès lors que la transformation des missions qui sont confiées à cette dernière doit l'engager dans une dynamique d'évolution profonde, appelle de notre part un processus de contrôle engagé dans la même dynamique. N'oublions pas que la débudgétisation fait échapper les ressources concernées, significatives, tant à l'autorisation parlementaire qu'à la mesure de la performance.

Les travaux de la Cour des comptes visaient à évaluer la gouvernance et la gestion courante de l'ADEME, afin de vérifier que ses objectifs sont bien assortis d'indicateurs de performance, mais également à analyser sa politique d'intervention, notamment en matière de traitement des déchets et d'économies d'énergie, dans ses relations avec les collectivités locales. Enfin, l'enquête avait pour objet de déterminer si les ressources mises à disposition de l'Agence depuis 2009 ont été correctement utilisées, eu égard à la capacité de l'opérateur de s'acquitter rapidement et efficacement de ses nouvelles missions, en détaillant notamment l'emploi des fonds affectés à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

Je remercie les magistrats de la Cour qui se sont rendus à trois reprises en province - même si je n'ai pas eu l'occasion de les accueillir à Strasbourg - pour leur implication dans ce dossier, et je salue les représentants du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, ainsi que du ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, avec lesquels nous avons l'ambition de construire de nouveaux modes de contrôle des missions ambitieuses confiées à l'Agence.

M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes. - Je remercie Mme Keller et puis l'assurer que si nos rapporteurs ne se sont pas rendus à Strasbourg, cela tient au seul fait que nous entendions éviter toute mésinterprétation qu'aurait pu susciter le fait que l'un d'eux, M. Ortiz, était président de la chambre régionale des comptes d'Alsace il y a encore quelques mois.

L'ADEME ayant le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, elle est considérée, pour nous, comme une entreprise publique, avec cette conséquence que le contrôle donne lieu à deux documents distincts au contenu cependant très proche. D'une part, une communication au titre de l'article 58, alinéa 2, de la LOLF. D'autre part, un rapport particulier sur la gestion et les comptes de l'organisme.

Le contrôle de l'ADEME a conduit la Cour à porter une appréciation générale plutôt positive quant à l'usage qui est fait de ses ressources, ceci sans préjudice des observations qu'elle a à faire sur certains points.

Je m'attacherai d'abord à la place de l'Agence par rapport aux services de l'Etat.

Les missions de l'ADEME sont fixées par la loi et codifiées dans le code de l'environnement. Elles sont particulièrement larges, au point que se pose d'emblée la question de leur articulation avec les services de l'Etat et d'autres opérateurs de l'Etat.

S'agissant de l'Etat, la question du positionnement de l'Agence porte d'une part sur l'administration centrale, d'autre part sur l'articulation des directions régionales de l'Agence avec les nouvelles directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), même si le préfet est depuis 2009 chargé d'assurer cette coordination.

S'agissant des autres opérateurs de l'Etat tels que l'Agence nationale de la recherche, la réponse a pu sembler résider dans une spécialisation de l'ADEME, ou plus exactement dans une expertise plus marquée dans certains domaines - les déchets, en particulier - que dans d'autres. L'Agence revendique toutefois d'exercer pleinement l'ensemble des missions qui lui sont dévolues et d'être ainsi l'interlocuteur naturel et le partenaire de référence du grand public, des entreprises, des collectivités territoriales et de l'Etat sur les politiques environnementales, ce qui fait beaucoup.

L'ADEME s'est organisée autour de quatre métiers : connaître, convaincre et mobiliser, conseiller, aider à réaliser. Un contrat d'objectifs conclu avec l'Etat en 2009 précise les modalités de son action.

J'évoquerai maintenant les finances de l'Agence.

Le mode de financement de l'ADEME a souvent varié, combinant de manière fluctuante dotations budgétaires de l'Etat et taxes affectées : jusqu'en 1998, les deux sources ont coexisté ; de 1999 à 2005, le financement a été assuré par le seul budget de l'Etat ; en 2006, une part du produit de deux taxes, dont la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel, a été affectée à l'Agence pour environ 190 millions d'euros ; en 2007, l'apport des recettes fiscales a été accru ; en 2008, nouveau changement dans l'alimentation par des recettes fiscales ; en 2009, on enregistre un nouvel appoint de taxes affectées qui doit se poursuivre entre 2011 et 2013, avec 441 millions d'euros en 2011 et 485 millions d'euros en 2012 et 2013 provenant de la TGAP, selon le projet de loi de finances pour 2011.

A ces ressources budgétaires et fiscales s'ajoutent des recettes affectées par des organismes publics comme l'Agence nationale de la recherche, le fonds démonstrateur de recherche ou le FEDER.

Ce mode de financement faisant à certaines époques une place importante aux ressources affectées explique que, dans ses premières années d'existence, l'ADEME avait accumulé des excédents de crédits. En 1998, le passage à un financement sur dotations budgétaires de l'Etat a été l'occasion de résorber ces excédents, mais le coup de frein a été trop brutal et l'Agence s'est trouvée à court de crédits de paiement. La crise financière de l'ADEME ne s'est terminée qu'en 2007 et cet épisode n'est pas encore oublié.

Le Grenelle de l'environnement a augmenté très sensiblement les moyens de l'Agence en prévoyant un programme d'intervention de 1,7 milliard d'euros en autorisations de paiement et 862 millions d'euros en crédits de paiement pour la période 2009-2011. Des discussions se sont poursuivies pour rendre cette prévision cohérente avec le budget triennal de l'Etat pour 2011-2013 et faire en sorte qu'il en aille de même du contrat d'objectifs.

Qu'en est-il de la gestion de l'Agence ?

L'ADEME compte environ 1 000 agents, plus exactement 1 032 au 31 décembre 2009. L'augmentation est de 12 % par rapport au 31 décembre 2007. Une réelle tension existe sur ses effectifs et le recours à la sous-traitance et à l'intérim, quoique limité, s'accroît. L'Agence n'est pas soumise à la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, règle que l'Etat a étendue à la plupart de ses opérateurs.

L'ADEME est dotée, d'une manière assez artificielle compte tenu de son mode de financement, du statut d'EPIC. On doit regretter qu'elle ne dispose pas d'instrument de gestion des ressources humaines permettant d'intéresser ses agents, individuellement ou collectivement, à l'atteinte des objectifs. D'une façon plus générale, l'ADEME n'a guère utilisé la souplesse de gestion que son statut lui donne et est gérée comme si elle était soumise aux contraintes du statut de la fonction publique.

S'agissant de la gestion immobilière, l'ADEME a su regrouper ses implantations à Angers sur un seul site. Il est toutefois regrettable que les sites dits centraux de l'Agence soient dispersés entre Angers, Paris et Valbonne. Cette situation est l'héritage des trois établissements publics auxquels l'ADEME a succédé en 1993 : l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (ANRED), l'Agence pour la qualité de l'air et l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME). La dispersion des sites centraux est source de lourdeurs même si la téléconférence est largement utilisée entre les services de l'Agence.

Une remarque encore : une petite moitié (46 % exactement) des effectifs de l'Agence est implantée en province. Malgré la très grande étendue de ses compétences, qui impose la spécialisation de ses agents, elle a jusqu'à présent fait le choix de maintenir des implantations dans toutes les régions. Les directions régionales, dès lors, sont parfois composées d'équipes de très petite dimension.

Les indicateurs de performance appellent enfin quelques remarques quant à leur pertinence pour l'information du Parlement.

Quelles sont les modes d'intervention de l'ADEME ?

L'ADEME contribue à l'orientation et à l'animation de la recherche, mais n'en fait pas en propre. Elle s'insère dans un environnement institutionnel en forte évolution. La gouvernance de la recherche pourrait être revue, à l'occasion de l'installation du nouveau conseil scientifique. Cela contribuerait à s'assurer que le positionnement de l'Agence dans les domaines et les champs de la recherche qu'elle couvre est correctement articulé avec celui des autres financeurs.

S'agissant de l'aide à la réalisation, l'ADEME, outre quelques grands équipements (unités d'incinération d'ordures ménagères, réseaux de chaleur, etc.), finance en région une multitude de petits projets sur un grand nombre de thématiques. Confrontée à la nécessité d'optimiser ses ressources tout en poursuivant des objectifs ambitieux, l'Agence ne pourra pas durablement financer de petits projets qualifiés d'exemplaires si elle ne s'assure pas de leur impact local et de leur exemplarité à plus grande échelle. Il conviendrait de remettre de l'ordre dans la terminologie, de clarifier les concepts et d'améliorer l'exploitation de ce qui est financé par l'Agence à partir d'une typologie plus claire, en explicitant les suites possibles et en structurant les enseignements à tirer.

Un premier bilan de l'utilisation des fonds Grenelle fait apparaître que l'ADEME a su s'adapter, dans des délais rapides, à une montée en puissance des politiques publiques dont elle est le principal opérateur. Toutefois, en faisant de l'Agence l'opérateur de la transition environnementale, l'Etat lui assigne une mission extrêmement ambitieuse : être le vecteur du changement d'un modèle de société. Pour y faire face avec des ressources limitées, même si elles ont fortement crû, l'Agence doit reconsidérer ses modes d'intervention. L'exercice de hiérarchisation et de sélection rigoureuse auquel le Grenelle invite l'établissement et ses directions régionales reste en partie à faire.

La communication « convaincre et mobiliser » occupe une place importante dans les dépenses de l'ADEME qui, il faut le rappeler, n'ambitionne rien moins que de changer le mode de vie des Français, leur façon de consommer, de se déplacer ou de se loger. En 2010, les dépenses de communication comportent 72,7 millions d'euros d'interventions et 19,5 millions d'euros de fonctionnement. L'effectif dédié à cette fonction est de 205 équivalents temps plein (ETP).

La fonction de conseil pèse autant dans les effectifs de l'ADEME que la communication, soit 209 ETP. Le conseil peut être donné directement au décideur (ordonnateur local) ou indirectement par des relais, notamment les professionnels tels que les installateurs de chauffage. On sait combien les performances énergétiques ou environnementales d'installations conformes aux techniques les plus récentes varient selon qu'elles sont correctement montées ou non.

L'impression qui se dégage du contrôle de la Cour quant à cette fonction de conseil si importante pour l'efficacité et le renom de l'Agence figure page 43 du rapport : hétérogénéité selon les régions, peu de pilotage, sentiment que l'ADEME se greffe sur des initiatives locales sans définition de priorités par le siège, chaque région mettant sous le vocable « réseaux » des groupes qui peuvent être très différents. Pour démultiplier son action, l'Agence gagnerait à être, non pas plus présente dans les réseaux, mais mieux présente : laisser vivre ceux qui se développent sans elle, activer ceux qui ont des difficultés si leur plus-value le justifie.

Enfin, j'insisterai sur la gestion des investissements d'avenir.

Le Grand emprunt concerne l'ADEME à hauteur de 2,85 milliards d'euros pour la gestion de quatre actions. L'Agence est ainsi l'un des principaux opérateurs pour les « investissements d'avenir ».

L'Etat lui verse à ce titre des fonds que l'ADEME lui restitue afin de financer une série d'opérations qui sont comptabilisées dans des comptes de tiers.

Le mode opératoire ainsi mis en place est tout à fait dérogatoire, qu'il s'agisse de la décision d'investissement, des règles budgétaires applicables ou de la comptabilisation des mouvements de fonds. Ce cadre, qui déroge aux règles applicables à l'Etat aussi bien qu'à l'ADEME en tant qu'établissement public placé sous sa tutelle, a un fondement législatif. Les instructions comptables ad hoc sont en préparation par la DGFIP en liaison avec la Cour des comptes.

Sur le plan budgétaire, l'intégralité des crédits ouverts au titre de l'emprunt national sera versée au cours de l'année 2010 à l'ADEME et aux organismes gestionnaires. Les nouveaux programmes (au sens de la LOLF) disparaîtront en 2011.

Les crédits sont ouverts en AP = CP et seront budgétairement consommés en un seul exercice, alors même que leur consommation réelle s'étalera dans le temps. La règle de l'annualité budgétaire est ainsi mise entre parenthèses.

Les crédits versés à l'ADEME ne relèveront pas réellement de la responsabilité de l'ordonnateur de l'Agence, non plus que des décisions de son conseil d'administration. Un large pouvoir de décision, ou au moins de proposition, est reconnu au commissaire général à l'investissement.

Le mode de décision est aussi dérogatoire que le mode de budgétisation, et la responsabilité dans le choix des investissements d'avenir n'apparaît pas aisément.

Enfin, les opérations seront enregistrées en comptes de tiers et ne ressortiront donc pas des comptes de résultat de l'ADEME dans les années à venir.

Le cadre décisionnel, budgétaire et comptable des investissements d'avenir financés par le Grand emprunt a été conçu comme un dispositif dérogatoire. Encore faut-il que les responsabilités soient claires et la transparence assurée.

M. Jean Arthuis, président. - Je retiens de votre intervention que vous portez une appréciation globalement positive sur l'organisation de la gestion de l'ADEME, tout en notant qu'il semble quelquefois difficile de tracer la frontière entre ce qui relève de l'administration centrale et ce qui est imputable à l'Agence. Faut-il l'interpréter, monsieur le directeur général délégué, comme une « cannibalisation » de l'administration centrale par l'ADEME ? Qu'en est-il de la discipline forte aujourd'hui affichée au regard de l'exception sur les effectifs consentie à l'Agence ? Quels scénarios sont envisagés pour mettre fin à l'incongruité des trois sites centraux ? Sur les modes d'intervention et le subventionnement, peut-être pourrez-vous nous préciser quelles sont les règles suivies ? Pour les investissements d'avenir, dont l'État reste responsable en dernier ressort, nous avons besoin de visualiser ce qui va se passer. Si je comprends bien, l'État met à disposition de l'ADEME des fonds qui lui sont immédiatement restitués, les projets étant validés par le commissaire général qui vous demandera d'engager les appels à projet pour leur répartition. Quels seront les modes opératoires ? Comment traiterez-vous, au plan comptable et au plan budgétaire, ces opérations ?

M. Xavier Lefort, directeur général délégué de l'ADEME. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser mon président, contraint aujourd'hui par un déplacement à l'étranger.

Sachant que l'ADEME partage les grandes lignes du rapport de la Cour des comptes, et a fait réponse à ses observations dans le cadre de la procédure contradictoire, je m'attacherai à apporter des réponses précises à vos remarques.

L'Agence, qui s'est vu récemment confier un rôle majeur dans la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, avait, en matière de pilotage et de gestion, consciencieusement tenu compte des recommandations formulées par la Cour des comptes, qui relève aujourd'hui les progrès accomplis en ces domaines, lors de son précédent contrôle en 2006. Elle en fera de même à la suite de celui-ci.

Ce nouveau rapport de la Cour s'inscrit dans un contexte particulier de la vie de l'Agence, qui entraîne de profondes modifications de son environnement et de son cadre d'action. Elle doit répondre à une mobilisation de plus en plus active des protagonistes sur les thématiques qui relèvent de sa compétence : de plus en plus de demandes, qui gagnent en pertinence en même temps qu'en exigence, de la part de partenaires publics et privés de plus en plus impliqués et de plus en plus compétents. Le Grenelle, auquel nous avons participé au travers de vingt-cinq comités opérationnels, dont nous étions, pour cinq d'entre eux, chefs de projet, n'a fait qu'accroître la tendance. Parallèlement, notre action s'inscrit dans un paysage institutionnel profondément modifié, pour ce qui est de nos relations avec l'État, par la création d'un grand ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, mais aussi pour ce qui est de nos relations avec les collectivités locales, à travers la modification du décret statutaire de mai 2009, tandis que nous nous ouvrons à une dimension internationale avec l'élargissement de notre action à la lutte contre le changement climatique.

L'année 2010 a été pour nous marquée par la décision du Gouvernement de nous confier quatre programmes - énergies décarbonées, véhicule du futur, déchets, économie numérique. Notre priorité, depuis début 2009, a été de nous attacher à prévoir les évolutions nécessaires pour nous adapter à ces missions nouvelles. La Cour des comptes a suivi le déroulement de ce chantier, qui a engagé la réécriture du nouveau contrat d'objectifs pour la période 2009-2012 et l'élaboration d'une convention entre l'ADEME et le ministère de l'Ecologie visant à préciser les modalités de collaboration entre l'agence et sa tutelle. Notre autre chantier a été celui de la réorganisation, engagé à l'automne 2009, et qui a pris effet depuis le 1er janvier 2010. Nous avons ainsi été conduits à remettre à plat nos processus de gestion interne, à clarifier nos orientations, à mieux identifier nos priorités.

La Cour des comptes a été appelée à s'interroger sur l'adaptation de l'Agence à ses nouvelles missions et sur sa capacité à mettre en oeuvre les moyens qui lui sont confiés. Elle a ainsi souligné le caractère polymorphe des missions confiées à l'Agence, d'où des interrogations sur le risque d'interférences avec les autres sphères de l'État. Des exemples étrangers s'offrent cependant à nous, parmi lesquels celui des Pays-Bas, où les modes d'organisation sont comparables. La spécificité de l'Agence, qui couvre l'ensemble des sujets relatifs à l'environnement, sauf ceux qui touchent à l'eau et à la biodiversité, exige un traitement intégré. Notre taille modeste et notre organisation nous permettent d'avoir une vision d'ensemble sur des sujets interdépendants. L'expansion de l'Agence repose sur la variété de ses activités, qui vont de l'élaboration prospective jusqu'à la mise en oeuvre concrète sur le terrain, en passant par l'activité d'appui à la recherche et d'observation.

L'Agence a fait la preuve de sa capacité à concevoir, tester et expérimenter des outils techniques. Elle est, par exemple, à l'origine du bilan carbone, du plan de déplacement des entreprises, des certificats d'économie d'énergie.

Les missions de l'ADEME, opérateur en charge d'une politique publique envisagée dans sa globalité, sont certes multiples. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit en concurrence ni avec l'administration centrale, dans sa fonction de pilotage, ni avec les services déconcentrés, chargés de déployer les politiques publiques, de veiller à leur application et au respect des modalités de leur mise en oeuvre.

M. Jean Arthuis, président. - L'administration centrale aurait ainsi une tâche de régulation et de réglementation, tandis que les administrations déconcentrées seraient chargées, en somme, de la « police » ?

M. Xavier Lefort. - L'administration centrale assure le pilotage stratégique et édicte les dispositions réglementaires. C'est tout autre chose que le métier de l'Agence, chargée d'une fonction d'expertise, d'animation de la recherche, d'élaboration d'outils d'incitation. Si j'en crois nos relations avec l'administration centrale, je n'ai pas le sentiment que nous lui « marchions sur les pieds ». Il nous arrive en revanche d'intervenir en conseil de notre tutelle. Quant à la coordination avec les directions régionales, elle est assurée par des comités de pilotage, pour définir nos priorités, fixer nos missions et le cadre de notre action.

M. Jean Arthuis, président. - Il serait intéressant d'avoir le sentiment de M. Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, sur les relations de son administration centrale avec l'Agence.

M. Jean-François Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. - Pour recourir à une image simple, l'administration centrale représente la tête, les services déconcentrés les bras, tandis que l'ADEME est un outil. Entre les uns et les autres, la coordination requiert concertation, pour laquelle il importe de trouver les modalités adéquates. L'administration centrale n'est pas seulement chargée de veiller à la cohérence des politiques publiques en matière environnementale, elle remplit aussi bien d'autres fonctions, comme celles de régulation ou de contrôle par exemple.

M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie.

M. Xavier Lefort. - La question est celle de l'articulation entre le pilotage de l'Agence et son organisation, restructurée depuis début 2010 et resserrée autour de quatre directions exécutives, pour la mettre mieux en phase avec nos nouvelles priorités, auxquelles nous avons voulu ajouter des instances de synthèse sur certaines thématiques, d'où la création, par exemple, d'un service climat ou d'un service agriculture. Pour nous aider à renforcer notre expertise sur des problématiques comme la consommation durable, l'accompagnement des acteurs locaux et les politiques territoriales, nous pouvons compter sur trois directions interrégionales auxquelles est associé un service destiné à assurer le lien entre le pôle territoires et les services centraux. Pour le volet investissements d'avenir, nous avons restructuré notre direction de la recherche pour consolider son rôle de précurseur.

M. Jean Arthuis, président. - Pourquoi maintenir vos services centraux sur trois sites et une équipe dans chaque région ?

M. Xavier Lefort. - L'agence est l'héritière des trois sites des agences qui l'ont précédé : Paris, Angers et Valbonne-Sophia-Antipolis. La décision a été prise de délocaliser à Angers non pas tous les services parisiens, mais une grande partie d'entre eux. Le programme a été respecté et, aujourd'hui, Angers compte 350 agents - contre 90 initialement - et les deux autres sites chacun une centaine. Il y a là une complexité de fonctionnement que nous essayons de surmonter mais cela s'apprend ! Il n'existe pas d'expertise répartie entre plusieurs sites, les surcoûts sont maîtrisés et nous recourons beaucoup à la visioconférence. Le Gouvernement ne demande pas le regroupement sur un site unique. Fermer Sophia-Antipolis ne serait pas sans conséquences : ce site rassemble les compétences énergétiques - énergies renouvelables, transport, bâtiment - et nous perdrions une expertise précieuse.

Une direction par région, c'est ce que prescrivait le décret statutaire. Leur taille est variable, mais l'ADEME requiert une dimension minimale. Les petites directions, comme celle de l'outre-mer ou du Limousin, comprennent donc au minimum dix à douze personnes, afin que l'essentiel des compétences soit représenté.

M. Jean Arthuis, président. - Pouvez-vous nous parler de la gestion des investissements d'avenir ?

M. Xavier Lefort. - Nous avons quatre programmes, pour un peu moins de 3 milliards d'euros. Notre travail sur les investissements d'avenir consiste d'abord à établir des feuilles de route stratégiques, puis de lancer des appels à manifestation d'intérêt - trois seront lancés avant la fin de l'année, sur le bâtiment, le solaire photovoltaïque et le solaire thermodynamique. La loi de finances rectificative pour 2010 a suscité des questions, que nous avons soumises à notre tutelle. Quelle doit être la traduction budgétaire des investissements d'avenir ? La traduction comptable ? Quelle est la responsabilité de l'Agence dans la mise en oeuvre des programmes ?

En effet, le président de l'ADEME est l'ordonnateur des dépenses, ce qui le place dans une position ambiguë, puisqu'en cela il n'intervient ni comme ordonnateur secondaire de l'Etat, ni comme ordonnateur principal de l'agence, dans la mesure où le conseil d'administration ne délibère pas sur ces investissements. La direction générale des finances publiques nous a adressé hier des réponses techniques concernant les schémas d'écritures comptables. Il fallait être rapidement en ordre de marche en modifiant l'outil informatique, car deux des quatre conventions ont été signées et les fonds d'ores et déjà versés pour celles relatives aux énergies carbonées et à l'économie circulaire.

M. Jean Arthuis, président. - Vous avez reçu 2,85 milliards d'euros ?

M. Xavier Lefort. - Non, nous avons reçu 1,6 milliard, soit 1,325 milliard pour la convention sur l'énergie et 250 millions pour les déchets ; mais il reste le milliard au titre des véhicules et les 250 millions destinés à l'économie numérique.

M. Jean Arthuis, président. - J'avais compris que les 2,85 milliards étaient mis à disposition de l'ADEME dès l'origine des projets pour raison budgétaire.

M. Xavier Lefort. - Deux conventions seulement ont été signées. Les sommes correspondant aux deux autres n'ont donc pas été versées. Dans la comptabilité de l'ADEME, les fonds apparaissent dans des comptes de trésorerie et des comptes de tiers.

M. Jean Arthuis, président. - Mais les 2,85 milliards seront mis à disposition de l'ADEME avant fin décembre, puis l'Agence les restituera à l'Etat ?

M. Laurent Machureau, sous-directeur de la 4ème sous-direction du budget. - Les fonds sont déposés auprès du comptable du Trésor. Tant que les comptes ne sont pas utilisés par l'opérateur, le solde de trésorerie de l'Etat n'est pas affecté.

M. Jean Arthuis, président. - Qu'en est-il de la dépense totale ?

M. Laurent Machureau. - Dans le budget de l'Etat, 35 milliards de dépenses seront bien inscrits mais l'argent n'aura pas été dépensé puisque les programmes ne sont pas engagés.

M. Jean Arthuis, président. - Le versement est inscrit cette année et lorsque les dépenses seront effectives, elles n'apparaîtront pas en comptabilité « maastrichtienne ».

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Mais un jaune sera maintenu pendant dix ans.

M. Laurent Machureau. - Une annexe sera effectivement produite jusqu'à 2020, pour l'information des parlementaires.

M. Jean Arthuis, président. - Il existe aussi une commission de surveillance au sein de laquelle siège Mme Keller.

M. Xavier Lefort. - Dans la comptabilité de l'établissement, selon le schéma que nous avons proposé à notre conseil d'administration en juin dernier, l'ensemble des opérations est retracé dans les comptes de l'agence. Il y a aussi une balance, un compte financier séparé. De plus, nous présentons une programmation budgétaire des investissements d'avenir au conseil d'administration. Celui-ci approuve le compte financier, même si la grande masse des dépenses correspondante n'est pas autorisée par lui. C'est la loi de finances rectificative pour 2010 qui a imposé d'individualiser les comptes des opérations menées pour des tiers.

Mme Michèle Rousseau, directrice, adjointe à la Commissaire générale au développement durable (CGDD) - Le Commissariat général s'efforce d'optimiser la coordination entre les actions et les intervenants. Il coordonne ainsi tout ce qui relève de l'observation et de la statistique, domaine par domaine, afin de répondre aux demandes d'organisations européennes ou internationales. Par exemple, sur les déchets, l'ADEME fournit des données concernant les déchets ménagers, la direction générale de la prévention des risques transmet des chiffres touchant les déchets industriels dangereux, tandis que notre source pour les déchets du commerce est l'Insee. De même, nous étudions la capacité physique de production d'énergies renouvelables, quand l'ADEME se penche sur la rentabilité de ces filières. Troisième exemple, le Grenelle II a instauré l'affichage environnemental : nous constituons le cahier des charges de l'expérimentation inscrite dans la loi, tandis que l'ADEME élabore la base de données qui sera mise à disposition du public.

M. Jean Arthuis, président. - Quels sont les moyens du CGDD ?

Mme Michèle Rousseau. - Un peu moins de 500 personnes.

M. David Litvan, chef du service comptable de l'Etat. - Je vais évoquer les conclusions de l'audit mené conjointement par la direction générale des finances publiques et le contrôle général économique et financier. A cet égard, je salue dès à présent le dynamisme de l'ADEME, qui s'est montrée soucieuse d'opérer les clarifications comptables souhaitables.

L'ADEME a un total de bilan de plus de 700 millions d'euros et une valorisation dans les comptes de l'Etat de 177 millions d'euros, correspondant aux capitaux propres, soit un niveau, élevé, à hauteur de 25 %. Parallèlement, la situation de la trésorerie est confortable. L'Agence comprend des équipes de contrôle comptable en interne et, comme 34 autres établissements, elle applique depuis 2007 un protocole financier et comptable qui vise deux objectifs : l'amélioration de la qualité comptable en maîtrisant les risques, et la modernisation du processus de gestion. Le protocole comporte 21 actions dont 14 concernent la qualité comptable et 7 la modernisation. A ce jour 13 actions ont été totalement accomplies et, fin 2011, toutes seront réalisées. La démarche a porté ses fruits et les conclusions de l'audit de la mission nationale sont globalement positives, même si des améliorations possibles ont été identifiées, ce qui nous a amenés à proposer à l'ADEME un nouveau protocole de modernisation comptable et financière. Nous lui avons aussi suggéré d'envisager la perspective d'une certification de ses comptes, eu égard aux enjeux comptables croissants que représente cet organisme. Bien sûr, le calendrier et les modalités d'une telle démarche devraient être précisés, si le conseil d'administration de l'Agence souhaite s'engager dans cette voie.

M. Jean Arthuis, président. - Les comptes ne sont pas certifiés ?

M. Xavier Lefort. - Ils sont soumis au juge des comptes, donc la certification par un commissaire aux comptes n'est pas utile : ce serait doublonner. Nous nous sommes mis en état de certifier les comptes dans le cadre du précédent protocole de modernisation comptable. Toutefois, nous ne sommes jamais allés formellement jusqu'à une certification par un commissaire aux comptes.

M. Jean Arthuis, président. - La Cour certifie les comptes de l'Etat et les comptes de l'Etat consolident les comptes de l'ADEME. Donc, si les comptes de l'ADEME ne sont pas certifiés, cela peut susciter une importante réserve de la Cour des comptes.

M. David Litvan. - Celle-ci existe d'ores et déjà, puisque c'est la troisième réserve de l'acte de certification des comptes de l'Etat par la Cour, qui en compte neuf. Elle porte sur la qualité des comptes des opérateurs. Une démarche de certification est souhaitable lorsque les sommes en jeu sont importantes. De ce point de vue, la direction générale des finances publiques accompagne le renforcement de la qualité comptable des opérateurs, en incitant ceux qui le souhaitent à s'engager dans cette démarche de certification.

S'agissant des investissements d'avenir, les schémas comptables proposés par la DGFIP sont la traduction du dispositif mis en oeuvre par la loi de finances rectificative pour 2010, ainsi que des dispositions contenues dans les conventions signées et publiées en août 2010. En termes de méthode, ces schémas comptables ont été présentés aux différents acteurs et ont fait l'objet d'une concertation. Des échanges ont eu lieu avec la Cour des comptes sur les schémas présentés et ses observations ont été prises en considération, notamment au regard de la traduction de ces investissements dans les comptes de l'Etat. Nous attendons désormais son retour pour stabiliser définitivement les schémas comptables. Sur le plan des principes, ce qui ressort de notre analyse de la loi de finances rectificative pour 2010 et des conventions est que le contrôle des opérations reste celui de l'Etat et que l'opérateur agit comme un intermédiaire. Par exemple, en ce qui concerne les subventions versées, les opérations sont comptabilisées en compte de tiers et de trésorerie, comme cela est prévu, avec un placement auprès de la trésorerie de l'Etat.

Quel que soit le schéma comptable qui sera finalement retenu, sur la base de ces propositions, la Cour des comptes pose la question du suivi et de la transparence sur ces montants. A cet égard, il me semble important d'insister sur la comptabilité générale de ces opérations. Il est important de considérer ces opérations comme un tout, à la fois pour les comptes de l'Etat et pour ceux des opérateurs. Ainsi, nous devrions mettre en place un suivi spécifique de reconstitution des dettes et créances réciproques entre l'Etat et ses opérateurs, ce qui permettrait un suivi, dans la comptabilité générale de l'Etat, des engagements pris vis-à-vis des bénéficiaires finaux. Cela conduirait par exemple à comptabiliser des provisions dans les comptes de l'Etat pour les montants engagés et non versés aux bénéficiaires finaux. Enfin, en termes de transparence, il me semble important que l'annexe des comptes 2010 de l'Etat comporte une explicitation des montants et des mécanismes de ce dispositif. De même, si le conseil d'administration de l'ADEME en était d'accord, une information particulière en annexe des comptes de l'ADEME pourrait garantir la transparence sur les états financiers.

M. Jean Arthuis, président. - Le décalage entre le budget et la comptabilité de l'Etat est un sujet délicat...

M. Yannick Girault, chef de la mission nationale d'audit au sein de la direction générale des finances publiques. - Je voudrais remettre en perspective l'audit de l'ADEME effectué par la direction générale des finances publiques. Nous avons une responsabilité particulière en matière de bonnes pratiques, au sein des établissements publics nationaux et de tous les opérateurs. Nos audits visent les services ordonnateurs et les services comptables. Nous avons conduit 34 audits du même type - qui sont un regard croisé sur l'ordonnateur et le comptable.

M. Daniel Dubois. - La Cour des comptes recommande d'éviter de financer de multiples petits intervenants. Qu'en pense l'ADEME ? Par ailleurs, l'Agence avait calculé le coût de la collecte des ordures ménagères, mais les collectivités locales aussi. Or, ces dernières sont parvenues à un autre chiffre, avec une différence de 600 millions d'euros. Comment expliquer cet écart ?

M. Denis Badré. - Quel est le positionnement scientifique de l'ADEME ? Quelle est sa plus-value en tant que commanditaire de recherches, par rapport aux autres organismes tels que l'Agence nationale de la Recherche (ANR) ou OSEO ?

M. Michel Teston. - Je veux évoquer les points noirs du bruit sur le territoire : l'ADEME, dans le Grenelle de l'environnement, a été chargée d'un plan de résorption de la pollution sonore autour des infrastructures routières et ferroviaires. Dans la convention passée avec Réseau ferré de France (RFF), l'ADEME prend en charge 100 % des travaux d'isolation des façades de bâtiments édifiés avant 1978. En revanche 25 % des travaux pour l'isolation des voies restent à la charge des collectivités. Pourquoi cette différence de traitement ?

M. Pierre Jarlier. - Les délégations régionales de l'ADEME ont une importance capitale. Elles déclinent sur le terrain les exigences du Grenelle et interviennent auprès des collectivités locales. Quelles sont les évolutions observées ou souhaitables, pour répondre aux grands enjeux du Grenelle ?

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Je voudrais m'arrêter sur la gouvernance. L'ADEME gère l'écologie de demain, l'administration gère celle d'aujourd'hui. Les responsabilités sont partagées. Sur l'énergie, sur les déchets, quelle forme prend le pilotage public ? Les départements interviennent, ainsi que les communautés de communes, les syndicats intercommunaux de traitement des ordures ménagères, les acteurs privés, les associations. Comment dans l'avenir mieux structurer la gouvernance ?

M. Jean Arthuis, président. - Administration centrale, CGDD, ADEME : qui pilote ?

M. Jean-François Monteils. - Ce fut l'une des raisons de la création du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer (MEEDDM). Le but de ces politiques publiques est ambitieux et complexe : il s'agit, comme l'a dit M. Descheemaeker, de transformer les modes de vie. De nombreux acteurs doivent agir, qui disposent de leviers différents, mais une bonne coordination est indispensable ! Désormais, un grand ministère, celui de l'écologie, traite de toutes ces problématiques au sein de deux grandes directions générales et de deux structures transversales, le Commissariat général et le Secrétariat général du MEEDDM. Au-delà de la tutelle, le pilotage se déploie également en région. La création des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) répondait aussi à la volonté de rassembler sous l'autorité du préfet l'ensemble de ces missions. Le Préfet est le délégué régional de l'ADEME.

M. Jean Arthuis, président. - Le préfet a autorité sur la représentation des agences, sur les services et sur la DREAL. Mais les fonds viennent de l'ADEME, pas de l'Etat.

M. Jean-François Monteils. - Certes, mais il faut assurer la cohérence financière, s'agissant de financements contractualisés. Les flux financiers ne proviennent pas de l'Etat, mais il convient d'éviter les contradictions et d'assurer les complémentarités !

M. Jean Arthuis, président. - Comment appréhender, statistiquement parlant, les investissements et les moyens mobilisés par les autres opérateurs publics ?

M. Jean-François Monteils. - Les commissions régionales s'efforcent de comptabiliser tous les flux quelle qu'en soit l'origine. Cela n'est pas toujours facile car les financements ne sont pas toujours contractualisés, mais c'est bien une mission régionale.

M. Xavier Lefort. - La réforme statutaire de 2009 est bien vécue. Des lieux de synthèse se sont constitués sous l'autorité du préfet de région. La commission régionale des aides (CRA) est un lieu de coordination important qui permet d'avoir une vue d'ensemble des dispositifs. En outre, le comité régional d'orientation rassemble des acteurs qui siègent aussi dans d'autres instances. Il est actif dans 22 régions sur 26, il associe des représentants des collectivités locales et il est un lieu de large débat. Enfin, les préfets sont secondés par les directeurs régionaux de l'ADEME.

M. Jean Arthuis, président. - Les préfets semblent tout de même quelque peu nerveux lorsque l'on évoque les prescriptions - tout un catalogue, à la limite du raisonnable ! - du Grenelle de l'environnement.

M. Xavier Lefort. - Les directions régionales jouent un vrai rôle d'appui et de conseil. Le directeur général de chaque agence régionale voit son préfet au moins une fois par mois.

Mme Michèle Rousseau. - Le Grenelle de l'environnement a prévu une gouvernance à cinq : Etat, collectivités, entreprises, syndicats de salariés, associations de protection de l'environnement. Il faut préparer les évolutions, et la gouvernance collective est au coeur du Grenelle. Jean-Louis Borloo a demandé aux préfets de mettre en place des comités de suivi du Grenelle de l'environnement.

M. Jean-François Monteils. - La gouvernance à cinq est aussi le moyen d'associer toutes les parties prenantes à l'élaboration des politiques, de réunir les financeurs afin de mettre en oeuvre des financements cohérents. Les divers comités se réunissent le même jour, rassemblant souvent les mêmes participants et l'information circule. Cependant, il n'est pas anormal que certains flux échappent à cette « comitologie ».

M. Xavier Lefort. - Nous finançons une multitude de petits projets. La Cour des comptes a souligné le risque qui pouvait en découler. L'ADEME doit donc être suffisamment proactive pour que ce risque soit limité. En 2008, le montant moyen d'un contrat passé par l'Agence a atteint 68 kilo-euros, contre 27 auparavant. C'est bien la preuve qu'il n'y a pas eu de dispersion après le Grenelle. L'ADEME fonctionne de plus en plus dans une optique de sélectivité et d'appel à projets. Je pense à la valorisation des friches urbaines dans le cadre du plan de relance ou aux contrats d'objectifs territoriaux. La Cour appelle l'agence à ne pas se disperser, à capitaliser les aides. L'une des missions principales de l'agence est de rassembler des expériences, de monter des opérations exemplaires et de diffuser les bonnes pratiques à partir de ces exemples, non d'aider tout le monde ! Autrement dit, mettre à disposition des outils qui serviront à tous, non de distribuer les financements tous azimuts.

Le paysage de la recherche est très complexe, mais l'ADEME a su trouver une place spécifique. L'Agence n'est ni OSEO, ni l'Agence nationale de la recherche. Elle possède une expertise technique forte en interne. L'ANR obéit à une logique académique d'excellence scientifique, l'ADEME à une logique industrielle de court terme : elle vise à faire émerger des solutions techniques optimales à quatre ou cinq ans.

Mme Michèle Rousseau. - L'ANR se situe en amont. Ensuite, il y a l'ADEME, qui finance des démonstrateurs de recherche. Enfin, en aval, OSEO finance des projets innovants.

M. Jean Arthuis, président. - Êtes-vous parfois associés à des missions internationales ? Que pouvez-vous nous dire de la charte signée avec la Russie, qui vise à promouvoir les industriels français ?

M. Xavier Lefort. - Les acteurs ne se sont pas encore positionnés. L'ADEME joue un rôle d'accompagnement des entreprises françaises à l'étranger. Il existe une direction de l'action internationale qui comprend une vingtaine d'agents. La première difficulté est de sérier les interventions. Celles-ci ont lieu principalement dans le Maghreb et en Chine. Nous avons également été sollicités par le Chili et la Russie. Pour la Russie, l'ADEME recommande une structure pérenne destinée à soutenir les entreprises françaises, mais les arbitrages ne sont pas rendus.

Les « fonds bruit » du Grenelle sont consacrés à trois actions : le traitement acoustique des façades contre le bruit sur les axes routiers nationaux ; l'isolation du réseau routier des collectivités, mais il y a quelque difficulté à faire émerger des projets ; enfin, la construction de murs antibruit le long des voies ferrées et l'isolation phonique et thermique de façades - une convention a été signée avec RFF l'an dernier. La participation de 25 % à la charge des collectivités n'a pas suscité de problèmes dans les projets menés dans la vallée du Rhône, à Bordeaux, ou dans le Pas-de-Calais.

Les délégations régionales assurent l'indispensable proximité avec les acteurs locaux. Elles ont été mises au défi de réussir, d'une part, le déploiement des objectifs du Grenelle. Cela leur demande beaucoup de travail. Mais elles exercent aussi, d'autre part, un métier d'expert au service des collectivités et des établissements publics. A cet égard, le métier de directeur régional, depuis la mise en oeuvre du fonds du Grenelle de l'environnement, a beaucoup évolué. Les délégations régionales ont bénéficié d'un renfort de personnel des services déconcentré mis à disposition par l'Etat. La difficulté est de rester en veille, de dispenser un conseil efficace, de ne pas se noyer dans les tâches administratives trop lourdes et de mener un suivi attentif des projets. Mais les choses fonctionnent bien dans les équipes, car c'est en administrant un projet que l'on consolide son expertise, pour préparer le Grenelle d'après-demain. Les deux métiers se nourrissent l'un l'autre.

M. Jean Arthuis, président. - L'Agence est bien tenue, nous voilà rassurés.

Je demande à nos collègues de la commission s'ils sont d'accord pour publier cette importante enquête et le débat.

La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

Mercredi 13 octobre 2010

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur le Centre français pour l'accueil et les échanges internationaux (EGIDE)

La commission procède tout d'abord à l'audition pour suite à donner à l'enquête demandée à la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le Centre français pour l'accueil et les échanges internationaux (EGIDE).

M. Jean Arthuis, président. - Nous allons procéder à une nouvelle audition de suivi d'une enquête réalisée par la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF. Cette enquête porte sur l'association EGIDE, Centre français pour l'accueil et les échanges internationaux, opérateur du ministère des affaires étrangères et européennes pour la gestion des bourses et missions d'experts à l'étranger et des invitations de personnalités étrangères en France. Cette audition est ouverte aux membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires culturelles, ainsi qu'à la presse.

Nous devons l'enquête de la Cour des comptes à l'initiative conjointe de notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », et de notre ancien collègue Michel Charasse, alors rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », dont Yvon Collin a depuis repris les fonctions. La demande avait été adressée à la Cour des comptes dans la perspective de la réforme du dispositif de gestion des bourses, missions et invitations, prévue par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat. Elle visait à évaluer la transparence du fonctionnement de l'association EGIDE et l'efficacité de sa gestion.

Je demande à chaque intervenant, pour préserver la possibilité du dialogue, de limiter son intervention liminaire à ses considérations principales. Chaque sénateur qui le souhaite pourra ensuite poser ses questions. Je rappelle que nous aurons, à l'issue du débat, à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour au sein d'un rapport d'information.

M. Alain Pichon, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - La Cour a procédé à un contrôle d'EGIDE conformément à la demande adressée par la commission des finances du Sénat. Je dois dire que nos rapporteurs ont reçu, tant des responsables d'EGIDE que des administrations concernées par l'enquête, un excellent accueil, qui nous a permis d'accomplir ce travail dans d'excellentes conditions.

EGIDE, qui fut, historiquement, opérateur du ministère de la coopération, peut être considérée soit comme une association, parfois mal aimée et en proie à des difficultés financières au point que l'on a pu s'interroger sur sa survie, soit comme un vecteur essentiel de la politique de mobilité internationale de la France, dont elle a assuré, avec un certain succès, une partie de la logistique.

La loi du 27 juillet 2010 a prévu la création de l'établissement public industriel et commercial (EPIC) « CampusFrance », au sein duquel EGIDE a vocation à s'intégrer, avec l'ambition d'en faire un instrument efficace, qui faisait un peu défaut jusque là et dont le besoin se faisait sentir, de l'influence et de l'attractivité de la France à l'étranger.

Ajourd'hui, EGIDE dispose d'une expertise reconnue dans la logistique des politiques de mobilité internationale ; son efficacité nous a été confirmée tant par le ministère des affaires étrangères et européennes que par les postes diplomatiques et consulaires que nous avons consultés. La réputation d'EGIDE, parfois mise en cause dans le passé, est donc désormais bien assise, héritage qu'il convient de veiller à conserver dans la perspective de la réforme.

Divers facteurs ont contribué à mettre l'association en danger, conduisant à poser la question de l'équilibre financier du nouvel établissement CampusFrance. C'est pourquoi il faudra veiller, dès le départ, à l'équilibre de la situation financière de ce dernier.

La Cour avait signalé dès 2004 les difficultés financières que rencontrait EGIDE, et qui ont épousé la même inflexion dans les années qui ont suivi, puisque le compte d'exploitation de l'association affichait, en 2009, un solde négatif de 4 millions d'euros, sur un chiffre d'affaire de 16 millions. Parmi les causes, multiples, de la dégradation, la réduction rapide et sensible du volume des crédits gérés par l'association pour le compte du ministère des affaires étrangères et européennes moins 25 % en cinq ans a joué un rôle déterminant. Les postes diplomatiques pouvant faire jouer la fongibilité sur leurs crédits délégués, ceux qui étaient dédiés aux bourses et à l'accueil de personnalités ont été dérivés, pour 15 %, sur d'autres priorités. Compte également le fait que le ministère ne rémunère pas les prestations d'EGIDE de façon équilibrée, ce qui implique un coût pour l'association, puisque le poids des charges et la qualité des prestations ne sont pas financés à leur juste hauteur.

L'environnement administratif, également, a joué un rôle plutôt défavorable, eu égard à l'incertitude qu'il a suscité. La tutelle, qui n'a pas su dégager de stratégie pluriannuelle, a rarement été digne de ce qu'elle attendait d'EGIDE.

Je rappelle que l'association est devenue l'un des opérateurs du ministère des affaires étrangères lors de l'absorption par celui-ci du ministère de la coopération, en 1998, sans qu'un opérateur principal soit alors choisi, le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) se trouvant cependant privilégié au regard d'EGIDE, jugée affectée du « péché originel » d'être une émanation de l'ancien ministère de la coopération... Sans compter que le CNOUS bénéficie également de subventions du ministère chargé de l'enseignement supérieur. L'intervention concomitante des deux opérateurs, intervenant sur les mêmes zones géographique, a provoqué l'incompréhension des publics visés, nos partenaires étrangers comprenant mal la coexistence des deux entités.

L'activité liée aux bourses est déficitaire pour les deux opérateurs. Cependant, l'avantage, pour les gouvernements étrangers, que présente l'hébergement à prix subventionnés dans les résidences universitaires tend à fausser la concurrence au détriment d'EGIDE.

L'association, malgré de réels efforts de redressement, a ainsi vécu, en même temps que son personnel, une situation de relative précarité. La réforme votée par le Parlement en juillet dernier, qui, suivant notamment les préconisations formulées par la Cour des comptes lors de son précédent contrôle, crée l'EPIC CampusFrance en y intégrant l'activité internationale du CNOUS et celle d'EGIDE, est ainsi bienvenue. On peut attendre de cette réforme une meilleure définition et une harmonisation des types de prestations, mieux ciblées sur leurs publics, une amélioration de l'accueil des boursiers et personnalités étrangères, un meilleur niveau de rémunération des prestations, d'où une amélioration de la transparence.

Mais il faut aller plus loin. Le nouvel établissement doit mettre un terme à des doublons onéreux, rationaliser le maillage territorial, optimiser la gestion des ressources humaines en préservant les compétences, les savoir-faire et le réseau d'EGIDE, actif immatériel qui vaut d'être sauvegardé.

Le pilotage de la réforme mérite d'être renforcé, à deux mois et demi de l'entrée en vigueur prévue pour celle-ci, le 1er janvier 2011. Au moment où la Cour des comptes rendait son rapport, la question du siège du nouvel EPIC n'avait pas reçu de réponse claire, l'impact des synergies devait encore être évalué et les contrats de performance, destinés à définir les orientations, la stratégie de l'Etat, les objectifs fixés aux opérateurs et les modalités d'intégration des trois entités restaient à arrêter.

Ce nouveau CampusFrance doit participer à la promotion de notre enseignement supérieur à l'étranger, alors que la mobilité internationale se développe dans un contexte très concurrentiel. Il importe donc que la naissance de l'établissement s'accompagne de solides garanties. Sa création témoigne d'une politique ambitieuse d'accueil et de projection de nos enseignants et de nos experts ; elle requiert un opérateur robuste, au fonctionnement lisible et dont la pérennité budgétaire, financière et humaine soit garantie sans solution de continuité. C'est à ces conditions qu'une telle politique nous permettra de combler un retard préjudiciable aux intérêts internationaux de la France, pour peu que l'on s'en réfère aux progrès accomplis par nos partenaires européens, qui sont aussi nos concurrents dans ce domaine.

M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie de cet éclairage sur une institution qui joue un rôle important et qui a traversé des moments difficiles du fait d'une tutelle hésitante, pour ne pas dire évanescente, tandis que l'avènement de l'EPIC CampusFrance apparaît comme le bon moyen de consacrer son action.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat ». - Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de son enquête, qui fournit des éléments très utiles non seulement pour juger le passé mais surtout pour préparer l'avenir. Le rapport de cette enquête souligne la faiblesse du contrôle effectué par le ministère des affaires étrangères et européennes sur l'association EGIDE, qui s'en est remis, pour l'essentiel, à la seule vigilance de ses postes diplomatiques et consulaires. Il relève l'absence d'indicateurs de performance et demande la mise en place d'une comptabilité analytique, pour éviter toute défaillance du pilotage d'EGIDE dans le futur EPIC. Comment le ministre entend-il répondre à ces nécessités ?

Le président Pichon a souligné combien est proche l'échéance prévue par la loi. Le nouveau CampusFrance sera-t-il en état de marche au 1er janvier ? Ses statuts sont-ils prêts ? Où se situera son siège ? Au-delà, dans quel délai le contrat de performance sera-t-il élaboré ?

Plus largement, quels moyens sont-ils déployés en faveur de la politique française de mobilité internationale des personnes, dont on sait l'importance eu égard à nos ambitions, alors que l'évolution des crédits porte à s'interroger sur la façon dont nous pourrons soutenir la comparaison avec l'effort des autres pays européens, qui sont nos partenaires mais aussi, ainsi que l'a relevé la Cour des comptes, nos concurrents ?

M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la mission « Aide au développement ». - Je remercie à mon tour la Cour des comptes pour son enquête, qui vient utilement alimenter notre réflexion. Son rapport n'aborde guère la question de la pertinence du modèle économique retenu pour fixer les relations financières entre le ministère des affaires étrangères et européennes et ses opérateurs, soit une tarification à la prestation. Est-ce là l'organisation la plus efficace ? Garantit-elle toute la transparence ? Permet-elle d'optimiser les coûts ? Le rapport suggère que tel n'est sans doute pas le cas pour l'activité « événementielle » de l'association, mais qu'en est-il pour celles qui constituent son coeur de métier, soit la gestion des bourses, missions et invitations ? Est-il prévu de reconduire ce système de rémunération pour le nouvel opérateur et, dans l'affirmative, quelles sont les perspectives de relèvement du barème, dont le rapport de la Cour des comptes établit la légitimité ?

Par ailleurs, la direction d'EGIDE peut-elle dissiper les doutes quant à la crédibilité de la stratégie élaborée dans le but d'assurer le relèvement financier de l'opérateur sur la période 2010-2012 ? Peut-on être assurés qu'elle sera en mesure de mettre en oeuvre la maîtrise des ressources humaines annoncée ? Comprenez notre relative inquiétude : le futur EPIC va hériter d'un important passif, et les mêmes causes produisant les mêmes effets...

M. Jean Nemo, président d'EGIDE. - EGIDE a près de cinquante ans et sa situation financière a toujours été relativement équilibrée jusque vers le milieu de la décennie 2000, sans jamais recevoir de subvention, ce qui peut laisser penser que son modèle économique, fondé sur la rémunération de prestations de service, est relativement viable. Les coûts de gestion représentent aujourd'hui de 8 % à 9 % du chiffre d'affaire, soit un niveau plus que convenable, que connaissent peu de sociétés de prestation de service.

EGIDE perçoit des avances de ses commanditaires, qui, gérées « en bon père de famille », produisent des intérêts qui, mettant en léger excédent le compte d'exploitation des produits financiers, assurent l'équilibre général.

Alors qu'EGIDE a, en dix ans, absorbé deux autres associations, elle compte aujourd'hui moins de 200 salariés, contre 300 lorsque j'en ai pris, il y a dix ans, la présidence, soit une réduction d'un tiers des effectifs sur la période, à même service rendu. Même s'il est vrai que la comptabilité analytique n'est pas assez développée, je ne connais pas beaucoup d'entreprises ni d'opérateurs de l'Etat qui aient conduit un tel effort de rationalisation dans un délai si court, avec un chiffre d'affaire en croissance de 50 %. La Cour des comptes relève, dans son rapport, l'effort de réorganisation conduit pour répondre à un souci de rationalisation.

EGIDE est l'un des rares opérateurs du ministère des affaires étrangères et européennes qui dispose d'un important patrimoine immobilier. Elle est propriétaire de son siège et de plusieurs résidences étudiantes. Ses réserves sont largement suffisantes pour couvrir quelques années de déficit. Un plan de redressement vigoureux a été mis engagé en 2009, suivi à la virgule près : nous redressons la barre.

Les causes de la situation difficile que connaît EGIDE depuis 2005 sont multiples. L'une de ses activités consistait, en vertu de libéralités, à gérer les bourses et invitations de grandes entreprises, pour le compte de ces dernières. La redéfinition de ces libéralités a conduit à la disparition sans compensation de cette activité très rémunératrice, qui permettait de compenser l'insuffisance de la rémunération de ses prestations par le ministère des affaires étrangères et européennes. Quant à ses activités traditionnelles, elles ont connu un fléchissement, notamment pour ce qui concerne la gestion des bourses. J'ai demandé à plusieurs reprises au ministère de pouvoir disposer d'une visibilité sur plusieurs années, afin de dresser un vrai schéma stratégique, sans avoir encore obtenu de réponse claire. Les efforts de diversification, enfin, demandés tant par notre ministère de tutelle que par l'autorité chargée du contrôle budgétaire, requièrent une prospection des marchés, qui est en cours, si bien qu'il n'est pas encore possible de fournir des prévisions chiffrées.

Vous avez évoqué les avantages attachés à la création d'un EPIC plus intégré. J'ai demandé à plusieurs reprises depuis dix ans, en vain, une mutualisation des moyens logistiques des opérateurs du ministère fournissant les mêmes prestations de service qu'EGIDE, afin de réaliser des économies d'échelle. J'ai demandé, dans le passé, qu'EduFrance, devenue CampusFrance, soit hébergé au siège d'EGIDE, suffisamment spacieux, afin de permettre une mise en commun des services support.

M. Jean Arthuis, président. - Qu'est-ce qui a empêché d'aboutir ?

M. Jean Nemo. - Je ne puis le dire puisqu'il n'a pas été donné suite à ma demande.

M. Jean Arthuis, président. - Nous sommes là pour vous aider à résoudre vos difficultés...

M. Jean Nemo. - Il semble qu'elles aient tenu à une question de personnalité, à la tête d'un opérateur qui craignait d'être confondu avec les autres. J'ai été accusé de vouloir absorber les autres ! S'imaginait-on que le vieux serviteur de l'Etat que je suis allait commencer sur le tard une carrière de proconsul ? Notre tutelle n'a, hélas, jamais arbitré.

M. Jean Arthuis, président. - Voilà ce que le président Pichon appelle une tutelle évanescente...

M. Jean Nemo. - Nous pourrions loger le nouvel EPIC sans problème. Nous avons engagé des frais préliminaires pour étude. On nous a demandé, une année durant, de réfléchir à une grande maison des opérateurs dont EGIDE serait le financeur, grâce à ses réserves, alors même que notre siège, dont la fermeture est à l'ordre du jour, permettrait d'abriter l'établissement.

Il a été dit qu'EGIDE est la descendante d'une association créée dans l'urgence, au cours des années 1960, par le ministère de la coopération, pour faire face à l'afflux de stagiaires africains, nombreux eu égard au retard qui avait été pris. Le ministère des affaires étrangères, jusqu'aux années 1990, avait pour sa part choisi le CNOUS comme opérateur. À partir de 1985-1986, on a opéré un partage réglementaire, l'un ou l'autre opérateur étant choisi pour gestionnaire selon les catégories de boursiers. Au moment de la fusion des deux ministères, entre 1997 et 1998, on n'a pas tranché entre les deux opérateurs. Depuis, les critères de répartition, qui avaient un sens au milieu des années 1980, sont devenus incompréhensibles pour les postes, avec ce résultat que depuis la fusion, nous avons eu la surprise de les voir se tourner vers l'un ou l'autre opérateur, sans mise en compétition d'aucune sorte mais seulement en vertu de leur culture d'origine.

Au total, j'ai le sentiment qu'EGIDE a rigoureusement resserré ses coûts : le chiffre que j'ai tout à l'heure cité, moins de 10 % de frais de gestion, est éloquent. Hors toute polémique, je ne suis pas sûr que le CNOUS dispose des mêmes éléments d'appréciation de ses coûts réels... Sans compter que la gestion des boursiers est plus onéreuse pour EGIDE, qui sert davantage de prestations que celles assurées par le CNOUS.

M. Jean Arthuis, président. - Est-ce à dire que votre mode d'appréciation des coûts n'est pas le même que celui du CNOUS ?

M. Jean Nemo. - Je constate seulement que nous assurons une gestion qui ne dépasse pas 9 % du chiffre d'affaires. Ce n'est pas courant. Au moment de l'intégration dans le futur EPIC, toutes les questions ne seront pas réglées.

M. Jean Arthuis, président. - Elles devraient pourtant l'être au 1er janvier prochain...

M. Jean Nemo. - Si elles doivent l'être, il serait urgent que nous soyons avertis des dispositions pratiques. À défaut, une période transitoire ne serait pas malvenue...

M. Jean Arthuis, président. - Est-ce là un effet de l'inertie du système ?

M. Jean Nemo. - C'est à la tutelle de répondre.

M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères et européennes. - Je remercie la commission des finances de nous donner l'occasion de cet échange sur un opérateur essentiel pour assurer l'attractivité de la France dans le monde et, partant, son influence, dont on sait que c'est ainsi qu'elle se construira dans les trente prochaines années.

La direction générale dont j'ai la responsabilité est une nouveauté. Elle est issue de la réorganisation du ministère, en 2009, qui visait à se doter d'une direction à même d'assurer le lien entre les projets globaux, figurant en tête de l'agenda international, le développement et la politique d'influence.

Il s'agissait aussi, pour mettre en pratique les décisions prises dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), d'assurer l'établissement et la tutelle des opérateurs, chargés de mettre en oeuvre les stratégies définies par la direction. Nous avons relevé, avec Mme Duchesne, directrice en charge des questions de mobilité, qui m'accompagne, des problèmes de fonctionnement susceptibles de mettre en cause la viabilité économique d'EGIDE. Nous avons beaucoup dialogué avec le président Nemo et son directeur général, Dominique Hénault, ici présent, dont je salue les compétences et l'engagement. Nous avons constaté que si des améliorations avaient été opérées, divers problèmes demeuraient liés au fait que le « fonds de commerce » traditionnel de l'association s'était, au cours des dernières années, réduit dans de larges proportions, sans que vienne le compenser ni une diversification des activités certes engagée, encouragée, mais dont les effets ne se faisaient pas assez rapidement sentir, ni, malgré les efforts, une réduction des coûts de fonctionnement, notamment en personnel. Tout cela dans un contexte rendu plus difficile par la coexistence de deux opérateurs entre lesquels la concurrence n'était pas également assurée, tandis que s'ouvrait, avec la perspective de la fusion, une phase de transition suscitant des incertitudes...

Nous avons réagi, avec le plan de redressement engagé fin 2009, complété par un nouveau plan qui devrait être prochainement adopté par le conseil d'administration, pour assurer la poursuite de la diversification et améliorer la productivité, y compris par la voie des horaires. Nous avons également prévu d'augmenter les tarifs de gestion, pour porter le pourcentage des frais de 9 % à 11 % à l'horizon 2012. Nous avons également entamé une politique de simplification des bourses, pour réduire les coûts de fonctionnement, prévu des cessions d'immeubles, une rationalisation du réseau régional et un effort de réduction du personnel. Nous poursuivons donc de concert cet effort de réaction.

Ce n'est pas de gaîté de coeur que le ministère, qui participe à l'effort de réduction des dépenses de l'Etat, a vu diminuer les crédits consacrés aux bourses. Nous avons toujours été attentifs à sanctuariser les bourses, ainsi que nous l'avons fait en 2010. Mais, comme l'a relevé le président Pichon, nous avons été confrontés à un impondérable : dans un contexte budgétaire contraint, un certain nombre de postes, en charge de la gestion des crédits hors bourses d'excellence, ont préféré, dans le cadre d'enveloppes fongibles, conserver d'autres activités, si bien que le principe de sanctuarisation s'en est trouvé écorné.

M. Nemo souhaitait plus de visibilité : nous la lui apportons. Dans le projet triannuel présenté au Parlement, nous proposons la sanctuarisation des bourses.

M. Jean Arthuis, président. - Cette mesure s'inscrit-elle dans le projet de loi de programmation des finances publiques ?

M. Christian Masset. - Oui, tout à fait. Pour nous assurer qu'il n'y aura pas ponction, nous donnons instruction aux postes de respecter strictement le principe, sous peine d'une sanction qui prendra la forme d'une réduction à due concurrence de l'enveloppe de programmation suivante.

L'établissement du nouvel opérateur CampusFrance apportera un progrès certain. Elle met fin à cinq années d'incertitudes, qui ont affecté les esprits. La loi du 27 juillet 2010 réunit enfin les deux intervenants en matière de gestion des bourses. La double tutelle du ministère des affaires étrangères et européennes et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est une bonne chose : elle nous aidera à oeuvrer ensemble pour promouvoir notre politique de mobilité.

Nous avons identifié un préfigurateur, M. Pierre Buhler, ambassadeur, qui a été pressenti pour diriger le nouvel opérateur. Il recevra dans les jours qui viennent une lettre de ses deux ministères de tutelle qui doit lui donner tous les éléments, au 1er décembre, pour l'établissement de l'opérateur. Parallèlement, nous avons lancé, avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, un audit indépendant sur la viabilité économique de l'opérateur et sur la question de la comptabilité analytique. Nous avons commencé à travailler sur le contrat d'objectifs et de performance sur trois ans dont tout opérateur de l'Etat doit être doté. Un calendrier est établi, des réunions régulières ont lieu entre les directeurs de cabinet, un comité de pilotage est en place.

Pour ce qui est des locaux, nous souhaitons regrouper les opérateurs rue de la Grange-aux-Belles, dans l'immeuble d'EGIDE, lieu d'accueil de caractère, où nous nous emploierons à maintenir la proximité entre la tutelle et l'opérateur.

Enfin, les inspections des deux ministères de tutelle produiront le rapport prévu par la loi sur l'intégration du CNOUS au sein de CampusFrance.

Nous sommes bien sûr très réactifs face à la mobilité croissante des étudiants dans le monde. Trois millions d'étudiants vivent hors de leur pays ; ce nombre devrait doubler en quinze ans. La France est à la troisième place mondiale pour l'accueil d'étudiants étrangers : notre pays en accueille 270 000, tandis que 100 000 de nos jeunes compatriotes étudient à l'étranger. Nous menons des opérations importantes, par exemple avec les établissements franco-chinois ou encore le projet de « Sorbonne Abu Dhabi ».

Au total, nos activités pour le rayonnement de la France vont bien au-delà des 80 millions d'euros que nous consacrons aux bourses pour les étudiants étrangers.

M. Adrien Gouteyron. - Quel est le calendrier du regroupement des activités ?

M. Christian Masset. - Le projet de décret est à Matignon, il sera transmis au Conseil d'Etat dans les meilleurs délais. Nous disposerons, au 1er décembre, du rapport des inspections, qui examinera l'ensemble de l'opération, y compris les conditions du transfert de personnel. L'audit sera, lui, disponible en février, préalablement à la conclusion du contrat d'objectifs et de performance que nous comptons signer au premier semestre.

Nous anticipons l'arrivée du CNOUS international dans l'organisation même du service et par des efforts d'assainissement, en particulier avec la disparition des antennes régionales. L'important, c'est de connaître l'opérateur et le périmètre. Nos activités traditionnelles sont sauvegardées, il n'y a plus d'incertitude, chacun peut agir dans la transparence et nous avons encore une marge de progrès avec la diversification et le ciblage des étudiants non boursiers.

M. Jean Arthuis, président. - Qu'en pense-t-on du côté du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

M. François Decoster, conseiller au cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Le calendrier prévu par la loi de juillet denier est respecté, M. Pierre Buhler recevra dans les tout prochains jours sa lettre de mission, qui fixera un délai impératif de résultat pour le 1er décembre. Le décret sera lui aussi examiné instamment, et transmis au Conseil d'Etat dans les meilleurs délais.

L'accueil d'un nombre toujours plus important d'étudiants étrangers nous invite à adapter nos structures. Le réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) assume ce rôle d'accueil depuis des décennies : 27 % des logements étudiants gérés par les oeuvres universitaires et scolaires accueillent des étudiants étrangers, soit 36 000 logements.

M. Jean Arthuis, président. - Dans quelles conditions financières ?

M. François Bonaccorsi, directeur du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS). - Dans les mêmes conditions financières que celles dont bénéficient les étudiants français. L'égalité de traitement, qui vaut pour les frais d'inscription, s'applique aussi au logement étudiant.

M. François Decoster. - Le projet de loi relative à l'immigration, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, prévoit d'élargir la cotutelle de CampusFrance au ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. La double tutelle est cohérente avec les missions confiées à CampusFrance, renforcer l'attractivité de la France et accueillir des étudiants étrangers qui viennent se former avec des étudiants français ; en revanche, la triple tutelle risque d'alourdir la gestion, sans qu'on en voit la raison d'être. Nous espérons que le Sénat, lors de son examen du projet de loi, maintiendra la double tutelle.

M. Jean Arthuis, président. - Ce débat mérite effectivement toute notre attention.

M. Christian Masset. - L'efficacité commande de ne pas éparpiller la tutelle. CampusFrance n'ayant aucune compétence en matière de visa, la cotutelle du ministère chargé de l'immigration n'a pas de raison d'être. Elle rendrait la tutelle plus lourde.

M. Adrien Gouteyron. - Le chiffre de 36 000 logements résulte-t-il d'une décision, ou bien de la demande ?

M. François Bonaccorsi. - Je voudrais corriger des inexactitudes que nous entendons depuis que le CNOUS est sur la sellette.

Le « CNOUS international », d'abord, cela n'existe pas. Le CNOUS dispose d'un service d'accueil des étudiants étrangers et c'est avec les 28 CROUS que nous travaillons en réseau, avec les universités, pour accueillir les étudiants étrangers et les aider dans leurs démarches. Si nous parvenons à loger 36 000 étudiants étrangers, c'est grâce à une politique active, sachant que nous logeons moins de 10 % des étudiants français et que le problème du logement étudiant est important.

J'ai été nommé le 22 septembre et je découvre le dossier. Le rapport de la Cour des comptes laisse penser que notre réseau serait peu réactif : c'est tout à fait inexact. Le CNOUS est même très réactif, fort de son expérience depuis 1958. J'en ai eu l'exemple très récemment, lorsque, en application d'un accord entre le ministère des affaires étrangères et européennes et la Française du Bâtiment, nous avons logé de toute urgence des étudiants sénégalais.

Nous contestons certaines des affirmations du rapport de la Cour des comptes ; mon prédécesseur en a fait état par écrit. On nous reproche de « démarcher » des gouvernements étrangers pour accueillir des étudiants étrangers, alors que c'est l'inverse qui est vrai, et que le ministère des affaires étrangères et européennes nous donne instruction d'honorer les demandes exprimées par les gouvernements ; c'est même eux qui choisissent l'opérateur. Le rapport de la Cour des Comptes nous reproche d'être ce que nous sommes : un opérateur qui met à disposition des logements, notamment à des étudiants étrangers et qui, pour entretenir ces logements, salarie du personnel.

J'apprends ici que l'activité internationale du CNOUS serait intégrée dans le nouvel EPIC : est-ce un projet, ou bien la décision a-t-elle déjà été prise ? Si c'est le cas, il faut nous le dire au plus vite, car les salariés aussi bien que les étudiants s'inquiètent : la fusion aura une incidence sur leur vie quotidienne ! La loi est la loi, nous ferons ce qui doit être fait mais nous devons le savoir très vite.

Pour nous, c'est le rapport conjoint des deux inspections qui doit définir les modalités du transfert des activités internationales du CNOUS, mais rien n'est dit des agents, qui ne savent pas où ils seront en septembre de l'année prochaine.

M. Jean Arthuis, président. - Peut-être les représentants de la tutelle peuvent-ils tirer au clair cette ambiguïté ?

M. François Decoster. - La loi est très claire : nous allons procéder à l'intégration des activités internationales du CNOUS dans CampusFrance, la mission des inspections du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère des affaires étrangères et européennes va en préciser les modalités.

M. Jean Arthuis, président. - À quelle échéance ?

M. François Decoster. - La lettre de mission est prête, elle sera envoyée très prochainement.

M. Christian Masset. - Les deux inspecteurs généraux ont déjà été choisis.

M. Jean Arthuis, président. - Monsieur le directeur du CNOUS, quelles sont vos propositions ou vos suggestions pour cette intégration ?

M. François Bonaccorsi. - Je veux d'abord souligner l'importance du travail en réseau capitalisé au fil des années par les oeuvres universitaires et scolaires : les universités attendent beaucoup de nous, pour accueillir les étudiants étrangers qui sont de plus en plus nombreux à s'y inscrire et qui contribuent à leur rayonnement international. Pour l'avenir, plusieurs hypothèses sont à examiner : celle d'un transfert de toutes les activités du CNOUS avec le personnel, mais toutes les activités ne concernent pas l'accueil des étudiants étrangers ; celle du transfert des activités sans le personnel ; enfin, celle où le CNOUS serait la tête de réseau et aurait un rôle de prestataire auprès du nouvel EPIC. Il faut choisir au plus vite, pour en informer les agents, qui sont directement concernés.

M. Jean Arthuis, président. - Merci à chacun d'entre vous d'avoir bien voulu informer la commission sur ce beau projet du pilotage de l'accueil des étudiants étrangers en France.

Le rapport de la Cour des comptes ne mentionne pas le patrimoine immobilier d'EGIDE, que représente-t-il ?

M. Didier Selles, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Le patrimoine comprend l'immeuble du siège et un certain nombre de résidences, apportées lors de la fusion avec l'association des foyers internationaux. Les immeubles ont été comptabilisés à leur valeur historique amortie. Nous n'avons pas repris dans le rapport tous les éléments du bilan.

M. Jean Arthuis, président. - Ce bilan est-il certifié ?

M. Didier Selles. - Oui, par un commissaire aux comptes.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ». - L'organisation de la tutelle est très importante, on l'a vu pour la nomination du directeur de CampusFrance, retardée faute d'accord entre les deux ministères de tutelle. L'actuel groupement d'intérêts publics CampusFrance est cependant parvenu, avec très peu de personnel, à rassembler toutes les universités françaises, à l'exception des trois universités de Strasbourg, pour assurer la promotion de l'enseignement supérieur à l'étranger. C'est fort de cette expérience que l'association ne veut pas fusionner avec EGIDE sans garantie.

Les difficultés financières d'EGIDE tiennent aux choix budgétaires de la nation : les crédits de l'action culturelle extérieure ont baissé de 30 % entre 2002 et 2009, le nombre d'étudiants étrangers accueillis en France a diminué dans les mêmes proportions, passant de 22 500 à 15 600, et le nombre de stagiaires a chuté beaucoup plus, de 12 000 à 4 700. On se félicite de « sanctuariser » un nombre d'étudiants étrangers accueillis, mais il faut savoir qu'il est d'un tiers inférieur à celui qu'on enregistrait il y a dix ans ; c'est autant de moins pour l'activité des organismes qui les accueillent. Quant aux postes diplomatiques, leurs charges incompressibles sont telles qu'ils doivent rogner sur les bourses, comme sur tout : ils vont délivrer principalement des bourses de prestations sociales, qui gonflent les listes sans coûter grand-chose.

M. Jean Arthuis, président. - La direction générale de la mondialisation devra veiller à ce qu'un semblable contournement de la règle ne se produise pas.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Le ministère des affaires étrangères et européennes n'est pas responsable du recul constant des moyens que l'Etat met à sa disposition pour l'action extérieure. Nous remontons le courant, mais c'est après les coups portés par la RGPP !

Le ministère chargé de l'immigration serait associé à la tutelle : pourquoi ? La tutelle est déjà difficile à deux, elle ne peut que s'alourdir à trois, et pour des raisons tout à fait injustifiées ici.

Un nouvel EPIC verra le jour, sa comptabilité sera-t-elle publique ou privée ? Si c'est une comptabilité publique, pourquoi ne pas créer plutôt un établissement public administratif ?

M. Jean Arthuis, président. - La comptabilité doit donner une image fidèle du patrimoine et des opérations d'un organisme. L'important n'est pas que la comptabilité soit privée ou publique. Les comptes doivent être sincères, qu'ils soient publics ou privés.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - A quel niveau de dépenses le contrôleur financier de chaque ministère aura-t-il son mot à dire ?

M. Jean Arthuis, président. - La réforme de l'Etat modifie sans doute les conditions d'exercice de la fonction de contrôleur de l'Etat, qu'il faudra redéfinir. On demande que les comptes soient clairs et sincères, on les vérifie, mais on n'est pas là pour les contrôler au jour le jour, dépense par dépense : mieux vaut faire confiance aux gestionnaires, cela les responsabilise.

M. Alain Pichon. - La question de la tutelle est complexe. Je fais confiance à la cotutelle, mais faire entrer un troisième partenaire me paraît hasardeux. On l'a vu avec l'Agence française du développement, qui devait composer avec une quadruple tutelle. Je crois d'ailleurs que la cotutelle exige une cellule de coordination, plus efficace que la désignation d'un chef de file.

M. Jean Arthuis, président. - S'il y a tant de ministères, on finira par s'adresser au Premier ministre !

M. François Decoster. - L'idée du Premier ministre était celle d'une cotutelle assurée par le ministère des affaires étrangères européenne et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche. D'autres ministères peuvent être associés au conseil d'administration de l'EPIC, mais sans disposer pour autant d'une tutelle. Il faut être efficace.

M. Christian Masset. - L'organisation de la cotutelle à deux est déjà avancée, nous envisageons un secrétariat commun.

M. Denis Badré. - Je vois dans le rapport de la Cour des comptes que l'Union européenne figure au tableau financier, mais pour un très faible montant. Quelle est la coopération d'EGIDE avec l'Union européenne ?

Par ailleurs, je crois que le ministère chargé de l'immigration ne serait pas du tout à sa place dans la tutelle du nouvel EPIC ; ce serait même une « hérésie » de mêler immigration et accueil des étudiants étrangers.

M. Dominique Hénault, directeur général d'EGIDE. - La ligne budgétaire que vous mentionnez concerne des opérations de jumelage qui ont cessé, et EGIDE ne participe pas, actuellement, à d'autres programmes de l'Union européenne.

M. Jean Arthuis, président. - Nous arrivons au terme de cette audition, je remercie chacun d'y avoir participé, tout particulièrement le Président Pichon, qui s'apprête à prendre sa retraite. Monsieur le président de la quatrième chambre, je vous exprime toute notre gratitude : nous avons toujours apprécié vos rapports structurés et clairs, qui allaient à l'essentiel. Grâce à vous, nos missions de contrôle de l'action gouvernementale et d'évaluation des politiques publiques ont pris tout leur sens.

M. Adrien Gouteyron. - Je me félicite que cette audition ait eu lieu, parce qu'elle a amélioré notre information, mais aussi, semble-t-il, celle des services de l'Etat !

M. Jean Arthuis, président. - La feuille de route est plus claire et nous espérons que le nouvel outil améliorera la situation. Nos rapporteurs spéciaux vont continuer à suivre ce dossier.

Je dois demander à la commission si elle autorise la publication du rapport d'enquête de la Cour des comptes.

M. Edmond Hervé. - Pourra-t-on y joindre les remarques écrites du directeur du CNOUS ?

M. Alain Pichon. - La procédure habituelle consiste à communiquer le pré-rapport aux administrations et à tenir compte de leurs remarques pour la rédaction du rapport définitif. La réponse du CNOUS s'appliquait donc au pré-rapport et non au rapport définitif, qui tient compte de cette réponse. On pourrait envisager, comme pour le rapport public annuel, que la Cour des comptes adresse aux administrations concernées le rapport définitif et que leurs observations sur ce document lui soient annexées. C'est une suggestion dont je ferai part au Premier Président de la Cour.

M. Edmond Hervé. - Je trouve singulier que l'Etat insiste sur la coordination, qui est une nécessité, alors que l'on constate que des administrations comme celles que nous venons d'entendre font une application aussi divergente des principes que nous adoptons. Ces différences sont coûteuses, nous devons nous en préoccuper. Ensuite, lorsque nous constatons que le ministère chargé de l'immigration cherche à s'immiscer dans la politique d'accueil des étudiants étrangers, je crois que notre débat ne doit pas être seulement institutionnel, mais d'ordre philosophique.

À l'issue de ce débat, la commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

Convention fiscale - Examen définitif du rapport

La commission adopte le rapport présenté par M. Adrien Gouteyron, rapporteur, le 6 octobre.

Elle adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d'Antigua et Barbuda relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale.

Contrôle budgétaire de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les préfectures - Communication

La commission entend ensuite une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les préfectures.

M. Jean Arthuis, président. - Nous allons entendre Mme Michèle André, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat », sur l'application de la RGPP dans les préfectures.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - La RGPP s'applique à toutes les missions budgétaires depuis la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques, en particulier à la mission dont je rapporte les crédits.

Dans les préfectures, la RGPP vise trois dimensions stratégiques de l'activité de ces services déconcentrés de l'Etat : la délivrance des titres d'identité, le contrôle de légalité et la gestion des fonctions support.

Par définition, cette politique touche l'ensemble des agents des préfectures, mais elle concerne plus spécifiquement environ 18 000 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT). Dans ces métiers, elle prévoit la suppression de 2 107 ETPT entre 2009 et 2011, c'est-à-dire 11,7 % des effectifs directement concernés par les « mandats RGPP ».

Des économies budgétaires sont recherchées parallèlement à cet objectif de réduction des emplois. La suppression des 2 107 emplois représente une économie de 104 millions d'euros en dépenses de personnel et 18 millions d'économies de fonctionnement sont attendus sur trois ans. Aucun gain n'est cependant espéré dans le domaine de l'investissement. Au total, la RGPP permettrait ainsi une économie de 122 millions sur trois ans.

Son rythme de mise en oeuvre prévoit un étalement des suppressions d'ETPT sur la période 2009-2011, avec toutefois une accélération du processus entre la première étape (en 2009) et les deux étapes suivantes (en 2010 et 2011). Selon les informations communiquées par le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, 740 ETPT ont effectivement été supprimés en 2009. L'effort doit se poursuivre en 2010 et en 2011. Au total, les fonctions support devraient perdre 1 011 ETPT, l'activité de délivrance de titres 626 ETPT et le contrôle de légalité 470 ETPT.

Comment ce schéma d'ensemble s'applique-t-il concrètement dans les préfectures ? Et quel est l'impact de cette réforme pour les usagers et les personnels ?

Les résultats à ce jour sont décevants, et même préoccupants.

Si le passage au passeport biométrique a été réussi au 28 juin 2009, conformément aux engagements européens de la France, l'usager a dû attendre plus longtemps pour la délivrance de son passeport. Du fait de la saisonnalité de cette activité, l'été 2009 a représenté une période particulièrement critique avec des délais supérieurs à un mois dans certains départements. Les problèmes informatiques liés au nouveau système de délivrance des passeports biométriques ont ainsi fortement pesé sur les demandeurs souhaitant voyager à l'étranger.

Les espoirs de gains de productivité attendus de ce nouveau système de délivrance ont été déçus. Le récent rapport, présenté par la Cour des comptes à votre commission, sur le prix du passeport biométrique met en évidence un accroissement des charges de personnel portant sur chaque dossier de passeport.

Le nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) rencontre également des problèmes. Fondé sur un partenariat avec les professionnels de l'automobile, il vise à simplifier les démarches administratives de l'usager lors de la délivrance des cartes grises. Cependant, les propriétaires de véhicule sont très loin de passer toujours par un professionnel de l'automobile pour l'immatriculation : c'est le cas pour 90 % des véhicules neufs, mais seulement 20 % des véhicules d'occasion. Le réflexe d'un particulier achetant un véhicule d'occasion à un autre particulier demeurera encore longtemps de se tourner vers la préfecture. Le passage au SIV a fortement augmenté le délai de traitement des demandes, principalement du fait de difficultés informatiques : on serait passé de 25-30 minutes, à 40 minutes par dossier. Enfin, un coût supplémentaire de transaction est apparu, car la plupart des professionnels font payer leurs prestations d'immatriculation. On peut donc s'interroger sur cette logique consistant à faire financer, par l'usager et au profit d'acteurs privés, d'incertains gains de productivité dans la sphère publique. Devant la préfecture des Alpes-Maritimes, il m'a même été donné d'observer un professionnel qui « rabattait » des usagers découragés par les temps d'attente au guichet et qui leur proposait ses services, plus rapides mais payants !

En matière de contrôle de légalité, la nouvelle stratégie s'appuie sur une concentration des moyens en préfecture. Le sous-préfet conserve un rôle de conseil auprès des élus locaux, mais la RGPP lui fait perdre des cadres A et son activité de conseil va pâtir du fait que l'expertise sera désormais concentrée à l'échelon de la préfecture.

La RGPP s'accompagne d'un recentrage du contrôle sur les actes les plus sensibles et à fort enjeu, tels que l'urbanisme, l'environnement, la commande publique ou les actes budgétaires. Ce recentrage pose la question du « rétrécissement » du périmètre du contrôle de légalité. La diminution du champ prioritaire de ce contrôle ne doit pas se traduire par de l'insécurité juridique, elle-même à l'origine d'un coût social élevé. Juste après la tempête Xynthia, nous avons constaté une certaine fébrilité dans les services, pour s'assurer que les permis de construire délivrés étaient conformes à la loi...

L'impact de la RGPP sur les fonctions support paraît relativement modeste à ce jour. Les préfectures se sont engagées sur la voie de la mutualisation, mais dans un nombre de secteurs relativement restreint. Plus du tiers porte sur les standards téléphoniques, 31,6 % concernent la gestion des ressources humaines, et 10,5 % touchent la fonction achat. La distance rend plus difficile la mise en commun des moyens et il faut articuler les mutualisations régionales entre les préfectures avec des mutualisations interministérielles. Enfin, l'inquiétude des préfectures des départements face à l'affirmation grandissante du rôle pivot des préfectures de région n'est pas sans conséquence sur le nombre limité de mutualisation, que ce frein soit explicité ou pas.

Un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration met en lumière les gains très limités de ces mutualisations. Il chiffre notamment à 65 ETPT les économies en emplois réalisées, soit une moyenne de 2,03 ETPT par mutualisation. Ces faibles gains ne permettront pas de couvrir les suppressions d'emplois prévues, pas plus que l'externalisation de certaines tâches n'y remédiera de manière satisfaisante. Ainsi, par exemple, l'externalisation de l'entretien des bâtiments préfectoraux se traduit bien souvent par une perte de qualité dans le service rendu, à un coût qui par ailleurs ne diminue pas.

A ces difficultés de mise en oeuvre des principaux axes de la RGPP dans les préfectures s'ajoute un environnement informatique défaillant. Le progiciel de gestion intégré CHORUS connaît ainsi une mise en route très difficile, qui pénalise les préfectures dans leur recherche d'efficacité et de gain de productivité. En concentrant une part importante des actes budgétaires à la préfecture de région, CHORUS contribue à déresponsabiliser les agents en préfecture, qui perdent les outils nécessaires à une bonne vision de leur gestion.

Ces difficultés peuvent créer au sein des services un climat de défiance à l'égard du changement. Elles contribuent à saper la confiance des équipes dans le processus de modernisation et à brouiller la bonne lecture de la trajectoire budgétaire des services, avec pour conséquence un management rendu moins cohérent.

Le pari de la RGPP paraît en passe d'être perdu dans les préfectures. En quoi consistait-il ? Il s'agissait de réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Ces gains de productivité « gageaient » les réductions de postes annoncées, sans dégradation des conditions de travail pour les agents, ni de la qualité du service public rendu à l'usager. A mi-chemin de la programmation triennale de la RGPP, il semble bien que l'espérance d'une amélioration de la productivité soit déçue.

Comme nombre de mes interlocuteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, me l'ont rapporté : « on est arrivé à l'os », « on fait tourner un moteur sans huile ». Les préfectures ont absorbé, avec toutefois une difficulté croissante, les suppressions drastiques d'effectifs en 2009 et en 2010. Mais l'année 2011 pourrait bien être l'année de trop : une pause paraît devoir s'imposer. Il y va de la mise en péril de la qualité du service public dans les préfectures.

M. Jean Arthuis, président. - Voilà des propos qui ont l'allure d'un signal d'alarme.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Absolument !

M. Jean Arthuis, président. - Peut-être le débat budgétaire sera-t-il l'occasion de demander au ministre si les préfectures sont appelées à disparaître pour devenir des sous-préfectures régionales...

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Il faudra surtout interroger le ministre du budget. J'ai visité un certain nombre de préfectures en région et en département. La quasi-totalité des personnes rencontrées m'ont dit la difficulté de remplir un service public, déjà dégradé, avec des vacataires et un outil informatique défaillant. Pour traiter les dossiers en attente - notamment de cartes grises - certaines préfectures sont obligées de fermer leurs guichets la moitié de la journée, ou de rattraper le retard le samedi, ou bien encore de multiplier les séances de « calinothérapie » pour leur personnel. CHORUS est encore un problème. Les agents sont dévoués, ils ont un grand sens du service public mais ils s'interrogent. Une préfecture a même mis en place une cellule « Souffrance au travail ».

M. Jean Arthuis, président. - Je suis parfois exaspéré par certaines formules syndicales qui frisent la bêtise.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Cette initiative n'émane pas de syndicalistes mais d'un Secrétaire général de préfecture...

M. François Marc. - L'outil informatique est défaillant. D'accord, mais a-t-on fait tous les efforts nécessaires pour former correctement le personnel ?

Le ministre de la fonction publique lui-même a appelé l'attention sur le retard de la France en matière de télétravail. Les préfectures ne devraient-elles pas le développer, dans la mesure où c'est un outil bien perçu, mobilisateur et qui concourt au bien-être au travail ?

M. Denis Badré. - J'avais retiré de ma visite à la préfecture du Pas-de-Calais une impression plutôt optimiste. Cela tient-il à un volontarisme particulier du préfet de ce département ? Madame André, avez-vous pu y aller et y avez-vous constaté une évolution ? Autrement dit, faut-il désespérer ?

Mme Nicole Bricq. - Michèle André a constaté le résultat de la confrontation des préfectures avec deux procédures administratives verticales - dont le Parlement est exclu -, à savoir la RGPP et la réorganisation de l'administration territoriale...

M. François Fortassin. - Ce rapport est alarmant mais comment s'en étonner ? On est passé d'une culture du service public -qui comportait quelques travers mais où dominait l'humanisme - à une culture de la performance appliquée par des gens désabusés. Les préfets passent leur temps à prendre les pouvoirs de leurs subalternes tandis qu'ils sont eux-mêmes complètement coiffés par le préfet de région, si bien qu'ils ne songent plus qu'à ne pas exercer cette fonction plus longtemps. Dès lors, qu'on ne s'étonne pas des résultats de la RGPP.

M. Jean Arthuis, président. - La vraie question, c'est notre vision des sous-préfectures. On n'y a pas répondu. Doit-on les maintenir ? Les sous-préfets viennent maintenant travailler tous les jours à la préfecture. Et quel sera demain le rôle des préfectures par rapport aux préfectures de région ? Beaucoup de services extérieurs de l'Etat sont désormais constitués au niveau régional.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Le préfet du Pas-de-Calais est comme tous les autres, qui font le maximum. De même, j'ai trouvé chez tous les secrétaires généraux la volonté d'organiser leurs services de guichet - dont ils disent qu'ils ne veulent plus - et d'employer au mieux leur personnel en leur donnant les formations adéquates. Pour les cartes grises ou le contrôle de légalité, il n'y a pas de problème de formation. Le problème réside plutôt dans un matériel qui n'est pas facile à manipuler, un outil informatique défaillant et rebelle qui efface tout dès la première erreur, qui bogue sans arrêt, qui oblige à saisir des séries de 13 à 14 chiffres sans séparation : j'ai vu une personne travailler avec une loupe sur son écran d'ordinateur ! La situation s'est améliorée depuis, mais cela avait contribué à allonger les files d'attente. Si bien qu'on a vu arriver les réseaux de garagistes proposant de payer - jusqu'à 150 euros - pour aller plus vite. Il faut être attentif à ne pas laisser passer la délivrance des titres de circulation dans des circuits incontrôlables.

Le personnel des préfectures est donc motivé et il a apprécié que le Parlement s'occupe de son sort. Il est vrai que ce ministère est difficile à gérer, car il comprend « l'alouette de l'administration préfectorale et le cheval du sécuritaire ». Les préfets, eux, ont fait le maximum pour leur personnel de guichet - fonctionnaires de catégorie C - et ils ont fait appel à des vacataires pour absorber le trop plein de demandes.

La question du télétravail n'a jamais été évoquée dans aucune de mes visites.

Oui, monsieur Fortassin, on veut maintenant de la performance. Mais les agents sont performants et j'ai vu des syndicats motivés, même lorsqu'ils voient fondre les effectifs. Lorsque cinquante personnes attendent devant un guichet, la pression est forte sur le personnel.

M. Jean Arthuis, président. - Les préfets disposent-ils d'un indicateur qui mesure le délai entre une demande et sa satisfaction ?

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Ils ont ces mesures mais, lorsque les guichets sont saturés, le travail « d'arrière-guichet » ne se fait plus.

La réorganisation administrative se fait par regroupement dans deux ou trois nouvelles directions selon les départements : celle de la population, celle des territoires et celle de la cohésion sociale. Certaines deviennent très importantes. On constate une grande inquiétude chez les agents de la direction de la cohésion sociale, qui regroupe le logement social, l'ex-direction départementale de l'action sociale et de la solidarité (DDASS) mais sans les médecins, la jeunesse et les sports ainsi que les droits des femmes. Il y a eu des mouvements immobiliers, mais on a du mal à rassembler les gros services.

Certaines sous-préfectures donnent encore l'illusion d'opérer un contrôle, mais leurs dossiers sont transférés au niveau préfectoral. J'ai constaté le pouvoir que sont en train de prendre les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR). C'est là qu'on va absorber les salariés performants. Par ailleurs, on trouve dans les directions des « technocrates » qui oublient l'existence des élus.

Sans vouloir noircir le tableau, je me vois donc obligée de dire au ministre qu'une pause s'impose avant de passer à la troisième tranche de suppressions de postes sur ces missions là.

M. Jean Arthuis, président. - Certes, mais nous devons aussi respecter l'impératif de réduction de la dépense publique et de retour à l'équilibre des comptes publics.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - La RGPP ne doit pas contribuer à la dégénérescence du service public.

M. Jean Arthuis, président. - Peut-être pourrait-on revoir le titre de votre rapport ?

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Ma proposition était : « La RGPP dans les préfectures ou la mise en péril de la qualité du service public ».

M. Jean Arthuis, président. - Il ne faudrait pas que cela donne argument à ceux qui ne veulent rien changer. Dans certains départements, cela marche bien. Par ailleurs, je n'ai pas l'impression que l'administration centrale se dégarnisse beaucoup. Il faudrait un meilleur équilibre entre son sort et celui du terrain, où les services sont « arrivés à l'os ».

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - J'évoque précisément cette question dans mon rapport.

A l'issue de ce débat, la commission des finances donne acte à Mme Michèle André, rapporteure spéciale, de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

- Présidence commune de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et de Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales -

Contrôle budgétaire sur l'évaluation des coûts de l'allocation aux adultes handicapés - Communication

Enfin, la commission entend, conjointement avec la commission des affaires sociales, une communication de MM. Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux, et Paul Blanc, rapporteur pour avis, sur l'évaluation des coûts de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

M. Auguste Cazalet, rapporteur spécial. - L'allocation aux adultes handicapés ou « AAH », financée par le programme « Handicap et dépendance » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », représentera en 2011 une dépense annuelle de près de 7 milliards d'euros, soit plus de la moitié des crédits de la mission.

L'AAH est accordée aux personnes handicapées remplissant des conditions d'âge, de nationalité, de résidence, d'incapacité et de ressources. Il existe deux régimes d'AAH. Le premier est régi par l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale : à ce titre, sont éligibles de droit à la prestation les personnes dont le taux d'incapacité est supérieur à 80 % ; le second est régi par l'article L. 821-2 du même code : à ce titre, sont éligibles les personnes dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 79 % et qui connaissent une « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi ».

Dans les deux cas, l'allocation est versée de façon subsidiaire par rapport aux prestations vieillesse ou invalidité et peut se cumuler avec des revenus d'activité dans la limite d'un plafond annuel d'environ 8 000 euros pour une personne seule. Elle est également différentielle, c'est-à-dire qu'elle compense la différence entre les éventuelles ressources de la personne et le montant maximal de l'AAH. Pour cette raison, on parle de « montant moyen versé » puisque tous les bénéficiaires ne perçoivent pas la même somme. Enfin, l'allocation est « familialisée », l'ensemble des revenus du foyer étant pris en compte pour son calcul. Par exemple, une personne handicapée dont le conjoint gagne plus de 17 000 euros par an ne sera pas éligible à la prestation.

Ce contrôle budgétaire est d'abord né de la volonté de comprendre les déterminants de la dépense au titre de l'AAH. En effet, chaque année, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances initiale, les commissions des finances et des affaires sociales expriment un certain scepticisme à l'égard de la prévision de dépense inscrite dans le budget. De manière systématique, ces crédits apparaissaient sous-évalués au regard des besoins réels. Et, à chaque fois, les lois de règlement successives sont venues confirmer l'analyse.

Dès lors, la première question est la suivante : est-il possible d'appréhender et d'évaluer a priori la dépense d'AAH de manière satisfaisante ? Ou bien les critères d'attribution de cette prestation sont-ils à ce point complexes qu'il n'est pas concevable d'établir une prévision budgétaire fiable ?

Au-delà de cette problématique purement budgétaire, il convient de s'intéresser à la réforme de l'AAH annoncée par le Président de la République en juin 2008. Celle-ci a été construite autour de deux principes. Premièrement, il s'agit d'améliorer les conditions de vie et le niveau de ressources des personnes handicapées : le montant de l'AAH fait ainsi l'objet d'une revalorisation de 25 % sur la durée du quinquennat. Deuxièmement, la réforme cherche à renforcer l'insertion professionnelle des personnes handicapées, selon la formule « faire de l'AAH un tremplin vers l'emploi », ce qui constitue un objectif ambitieux. La seconde question porte donc sur sa mise en oeuvre : pourra-t-elle atteindre les objectifs qu'elle s'est fixé ? Si oui, dans quelles conditions ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'AAH constitue une dépense très dynamique, dont la croissance est soutenue. Elle est passée de 4,4 milliards d'euros en 2002 à près de 6,6 milliards cette année et elle pourrait dépasser 7 milliards l'année prochaine. Le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter, passant de près de 690 000 en 1998 à environ 885 000 en 2010 et, probablement, plus de 900 000 en 2011. La même tendance s'observe pour le montant moyen versé. D'un peu plus de 490 euros en 2002, il devrait atteindre 625 euros en 2010, en raison, pour partie, de la revalorisation de l'AAH de 25 % d'ici à 2012.

L'évolution de cette dépense n'est pas toujours correctement traduite dans les prévisions budgétaires initiales et, depuis 2006, l'écart croît de façon exponentielle entre la prévision et l'exécution : de 42 millions d'euros en 2006, il devrait atteindre plus de 400 millions en 2010. Il semblerait néanmoins que la prévision inscrite dans le projet de loi de finances pour 2011 soit un peu plus sincère. Peut-être allons-nous abandonner cette « politique de l'autruche » qui consiste à occulter le dynamisme de la prestation, et donc à sous-budgétiser l'AAH.

Car, au-delà même du principe de sincérité budgétaire, sans lequel l'autorisation parlementaire n'a pas de sens, la sous-évaluation de l'AAH a directement pesé sur les comptes de la sécurité sociale. L'AAH est en effet servie par les caisses d'allocations familiales (CAF). Les crédits votés en loi de finances leur sont donc transférés. S'ils sont insuffisants - et c'est le cas chaque année - la sécurité sociale devient créancière de l'État. Pendant plusieurs années, celui-ci a laissé perdurer cette situation. En 2007, un versement exceptionnel d'environ 100 millions d'euros a apuré les dettes contractées au titre de l'AAH. Depuis, les lois de finances rectificatives de fin d'année ont toujours permis de régulariser la situation de l'État.

Il n'en demeure pas moins que, en cours d'année, la sécurité sociale supporte malgré tout la charge de trésorerie liée à cette sous-budgétisation. Le découvert de trésorerie de l'ensemble des régimes de sécurité sociale devrait dépasser, en 2010, 50 milliards d'euros. Il est donc très regrettable que l'État l'alimente, même de manière infime, alors qu'une programmation prudente de la dépense d'AAH permettrait de l'éviter.

Les déterminants de la dépense d'AAH sont nombreux et guère faciles à appréhender ou, plus exactement, il apparaît délicat de les pondérer les uns par rapport aux autres. Je vais en premier lieu distinguer les effets conjoncturels des effets structurels.

Deux effets conjoncturels se conjuguent et peuvent expliquer une partie de la forte progression récente de la dépense : il s'agit, d'une part, de la revalorisation de l'AAH, d'autre part, de la crise économique. La revalorisation emporte d'abord, très logiquement, un effet-prix puisqu'elle conduit mécaniquement à verser un montant moyen plus élevé aux bénéficiaires. C'est d'ailleurs sa finalité. Mais, de manière plus subtile, elle emporte également un effet-volume. En effet, l'AAH est attribuée à la condition que les ressources de la personne handicapée ne dépassent pas un certain plafond. Celui-ci est calculé en fonction du montant maximal de l'AAH - qui fait l'objet d'une revalorisation. En conséquence, la progression du montant d'AAH, et donc du plafond, est beaucoup plus rapide que celle des salaires. Il en résulte qu'un certain nombre de personnes handicapées, qui n'étaient pas éligibles à la prestation car leurs ressources étaient supérieures au plafond, peuvent désormais entrer dans le dispositif. Avec la crise, cet effet-volume est bien évidemment renforcé puisque, en moyenne, les ressources des ménages diminuent.

Voilà pour les effets conjoncturels. Seule la démographie constitue un effet réellement structurant dans l'évolution de l'AAH. En effet, la probabilité de percevoir l'AAH augmente jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, puis se stabilise. Concrètement, cela signifie que la part des « accidentés de la vie » est plus importante que celle des « handicapés de naissance » au sein des allocataires. Or il se trouve que la génération des quarante-six - cinquante-neuf ans est également la plus nombreuse dans l'ensemble de la population française. Ainsi, la concordance de la dynamique démographique propre à l'AAH et de celle de la population française conduit logiquement à augmenter le nombre de bénéficiaires. A l'inverse, au cours des prochaines années, l'arrivée à l'âge de la retraite des bénéficiaires de l'AAH devrait diminuer leur nombre.

Est-il possible de prévoir de manière plus fiable et plus juste la dépense de cette prestation sociale ? En première analyse, il semblerait que non. La conjonction des effets structurels ou conjoncturels, qui peuvent jouer autant à la hausse qu'à la baisse, devrait imposer la plus grande prudence dans l'élaboration des prévisions. Pourtant, il apparaît nettement que la tendance générale de progression de la dépense d'AAH est parfaitement linéaire. L'exercice 2008, première année de revalorisation de l'AAH, marque une inflexion mais la même linéarité semble devoir être observée.

Vos rapporteurs souhaitent, par conséquent, que le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances corresponde, au minimum, à la tendance moyenne de progression de la dépense observée au cours des cinq dernières années. Sur cette base, la dotation de l'AAH, pour 2011, serait sous-budgétisée d'au moins 100 millions d'euros.

De même, nous proposons que le calcul a priori de la dépense d'AAH ne prenne pas en compte les mesures d'économies escomptées qui, lors des années précédentes, ne se sont pas réalisées. De surcroît, la méthode retenue pour les calculer n'apparaît pas assez fiable. Il serait donc plus juste de ne les constater qu'a posteriori...

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Engagée par le Président de la République, en juin 2008, lors de la conférence nationale du handicap, cette réforme opère un renversement de la logique qui a prévalu jusqu'alors, qui consistait à mesurer le taux d'incapacité permanente des personnes handicapées plutôt que d'identifier leurs facultés à exercer une activité professionnelle. Cette nouvelle approche souhaite favoriser l'emploi des personnes handicapées qui sont en mesure de travailler et garantir un niveau de revenu digne à celles qui sont durablement éloignées de l'emploi. Plusieurs mesures devaient y contribuer :  la revalorisation de l'AAH de 25 % d'ici à 2012 ; l'évaluation systématique des capacités professionnelles de la personne handicapée à l'occasion d'une première demande d'AAH ou d'un renouvellement et l'obligation pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) d'assortir toute reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) d'une décision d'orientation professionnelle ; la suppression de la condition d'inactivité préalable d'un an pour l'attribution de l'AAH aux personnes ayant un taux d'invalidité compris entre 50 % et 80 %, ce qui permet aux bénéficiaires potentiels de percevoir l'AAH dès leur premier jour d'inactivité et les incite à accepter des missions temporaires de courte durée, ce dont on ne peut que se féliciter ;  la suppression de la limite d'âge de trente ans opposable aux travailleurs handicapés  pour accéder aux contrats d'apprentissage ; enfin, la révision trimestrielle du montant de l'allocation et la mise en place d'un taux de cumul plus avantageux des revenus d'activité avec l'AAH.

Si nous nous réjouissons que les engagements en faveur de la revalorisation de l'AAH aient finalement pu être tenus malgré un contexte budgétaire très contraint, nous devons déplorer en revanche que les mesures susceptibles de favoriser l'insertion professionnelle des bénéficiaires de l'AAH n'aient toujours pas été mises en oeuvre, faute des dispositions réglementaires et des financements nécessaires. Ainsi, dans l'attente de ce décret, l'application des nouvelles modalités de cumul des revenus d'activité avec l'AAH et la mise en place de la déclaration trimestrielle de ressources pour les quelque 80 000 allocataires travaillant dans le milieu ordinaire a été repoussée au 1er janvier 2011.

Nous vous proposerons de renoncer, dans l'immédiat, à mettre en oeuvre cette seconde mesure, très contraignante pour les personnes handicapées et qui suscite une forte réticence des associations. De plus, sa faible portée - elle ne concerne pour l'instant qu'à peine 10 % des allocataires - et les coûts de gestion qui en résultent minorent les économies que l'on pouvait en attendre.

Par ailleurs, les MDPH et le service public de l'emploi ne disposent pas des moyens nécessaires pour s'acquitter des nouvelles missions qui leur ont été confiées, c'est-à-dire l'évaluation des capacités et des compétences professionnelles des nouveaux demandeurs de l'AAH et leur accompagnement vers l'emploi. D'abord, il n'existe aucun outil opérationnel d'évaluation : les experts chargés de construire une grille d'appréciation objective de l'employabilité ont conclu à l'impossibilité d'élaborer un guide barème semblable à celui qui existe pour déterminer le taux d'incapacité. Ensuite, les moyens humains ont été diversement estimés : les personnels nécessaires aux MDPH pour l'évaluation des capacités professionnelles des demandeurs et leur orientation s'élèveraient à 30 équivalents temps plein (ETP), en conservant la méthode actuelle et en ciblant les mesures sur les seuls primo-demandeurs, mais à 429 ETP, en faisant le choix d'entretiens individuels approfondis pour tous les demandeurs. Pour 2011, le Gouvernement a pris le parti de réserver le bénéfice de l'accompagnement vers l'emploi aux primo-demandeurs, tout en prévoyant d'expérimenter de nouvelles modalités d'évaluation et d'orientation dans une quinzaine de départements. Dans le contexte budgétaire actuel, le choix d'une mise en oeuvre progressive de la réforme nous paraît sage. Mais il nous semblerait plus judicieux de la financer en puisant dans les réserves de trésorerie des deux fonds collecteurs que sont l'Agefiph et le Fonds d'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (le FIPHFP), plutôt que de solliciter les moyens déjà insuffisants des MDPH.

Il convient également de créer les conditions d'un meilleur accueil des personnes handicapées sur le marché du travail, en mobilisant de façon plus incitative les entreprises de moins de vingt salariés non assujetties à l'obligation d'emploi et en développant la mise en place de partenariats d'insertion et de formation entre les grands groupes, l'Agefiph et les organismes de placement spécialisés.

En même temps, il est indispensable d'expliciter les notions d' « employabilité faible » ou de « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi ». Ce critère, qui figure à l'article  L. 821-2 du code de la sécurité sociale et qui conditionne l'attribution de l'AAH aux demandeurs dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 79 %, aurait dû faire l'objet d'un décret précisant son contenu et ses modalités d'application. Or il n'est toujours pas paru. Cette carence explique en grande partie les divergences de pratiques observées d'un département à l'autre et conduit à des disparités importantes dans les taux d'attribution des demandes.

Afin de garantir une meilleure équité de traitement des demandes d'AAH, vos rapporteurs recommandent de renforcer les mesures d'harmonisation, d'évaluation et de contrôle des procédures mises en oeuvre par les MDPH. Cela suppose, d'une part, d'intensifier les actions de formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l'autonomie ; d'autre part, de renforcer le contrôle de l'État dans la prise de décision en autorisant ses représentants à la CDAPH à demander le réexamen d'un dossier qu'ils considéreraient comme problématique.

A terme, si nous voulons tirer toutes les conséquences de la réforme voulue par le Président de la République, nous n'échapperons pas à une remise à plat de l'actuel régime juridique de l'AAH, qui se caractérise par trop d'incohérences et d'ambiguïtés. Nous pourrions alors abandonner la distinction entre les deux régimes d'AAH fondée sur le seul taux d'incapacité en privilégiant une différenciation des publics selon leur capacité ou non à exercer une activité professionnelle.

Dans ce schéma, l'éligibilité à l'AAH serait conditionnée à un taux d'incapacité supérieur à 50 % et à la nécessité de justifier d'une faible employabilité. Ainsi, ceux qui seraient en mesure de travailler bénéficieraient d'un accompagnement adapté vers l'emploi, tandis que ceux dont la capacité de travail serait jugée trop faible percevraient un complément d'AAH afin de leur assurer une vie digne. Nous devons garder cet objectif à l'esprit même si nous savons que, faute de disposer de travaux préparatoires suffisants, il n'est pas réalisable à court terme.

La réforme de l'AAH n'est donc pas achevée, loin s'en faut. Il convient dès à présent de préparer la prochaine étape, en veillant à ce que les nouvelles règles conditionnant l'attribution de cette prestation gagnent en cohérence et en clarté et ne se traduisent pas par une augmentation non maîtrisée de la dépense et des disparités territoriales grandissantes. Cela suppose que l'État reprenne toute sa place dans l'élaboration des procédures d'évaluation des demandes et qu'il se donne les moyens d'en assurer le contrôle permanent ainsi qu'une évaluation régulière.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je retiens de vos communications qu'il faudrait, dans le prochain projet de budget, augmenter d'au moins 100 millions d'euros la dépense de l'AAH.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Il faut tenir un langage de vérité et ne pas sous-estimer le coût de cette allocation et, à l'inverse, ne pas surestimer le coût du RSA activité.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Les louables intentions du législateur ont souvent du mal à se concrétiser au profit de ceux qu'elles visaient. La carte des taux d'attribution de l'allocation que vous nous avez distribuée est saisissante. Pourquoi un tel écart entre les départements ? Il y en a certains où l'on est particulièrement handicapé...

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Dans les départements qui abritent beaucoup d'établissements spécialisés - la Lozère, par exemple - il y a davantage d'allocataires que dans les autres.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - La Lozère a également davantage de DGF par habitant...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Si le taux de demandes varie d'un département à l'autre, il faut aussi compter avec des différences dans les pratiques et les critères d'attribution.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il y a peut-être certaines MDPH qui ne fonctionnent pas...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Le taux d'acceptation des demandes varie, selon les départements, de 50 % à 80 %.

M. Jean-Louis Lorrain. - Beaucoup de MDPH ont du mal à recruter des médecins. De plus, elles connaissent des tensions internes du fait de l'actuelle réorganisation et tout cela freine le règlement des dossiers. La solution n'est donc pas, d'emblée, de renforcer le contrôle de l'État.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Mais celui qui paye, ce n'est pas le département ! Il s'agit d'une allocation nationale ; il faut donc une harmonisation.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - On peut cumuler l'AAH avec un salaire dans la limite de 8 000 euros annuels. Pourquoi favoriser ce cumul ? Certes, celui qui travaille a des frais mais un handicapé mental a lui aussi des besoins à satisfaire.

En ce qui concerne la sous-estimation des inscriptions budgétaires, nous constatons le même problème pour la dotation de l'aide médicale de l'Etat - l'AME. Peut-on contraindre le Gouvernement à réévaluer le budget prévu pour l'AAH ou l'AME ou bien le rapporteur général de la commission des finances pourra-t-il déposer un amendement de réévaluation sans qu'on lui oppose l'article 40 ?

Puisque l'augmentation du nombre des allocataires s'explique par l'augmentation du nombre des « accidentés de la vie », il serait bon d'évaluer le coût d'une politique de prévention des accidents.

Lorsque les allocataires de quarante-cinq à cinquante-neuf ans atteignent l'âge de la retraite, ils basculent dans le minimum vieillesse. Il faut en anticiper les conséquences pour le fonds de solidarité vieillesse.

Vous parlez de mesures d'économies. Desquelles s'agit-il ?

Il serait bon d'interpeller le Gouvernement sur sa récurrente carence règlementaire : les ministères traînent trop souvent les pieds pour sortir les décrets d'application.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Le département des Pyrénées-Atlantiques abritait beaucoup d'établissements de cure, devenus établissements médico-sociaux, ce qui explique le nombre importants d'allocataires. Et la création en 2006 des MDPH, structures spécialisées bien identifiées tant par les médecins que par les handicapés, a créé un appel d'air, multipliant le nombre de demandes. Ces MDPH présentent l'intérêt de pouvoir faire une évaluation, ce qui est indispensable, même si cela a un coût.

Monsieur Vasselle, je vous signale qu'un handicapé mental peut travailler à temps partiel. Pour un handicapé, le travail, outre le salaire, apporte le sentiment d'être opérationnel.

M. Yves Daudigny. - Le taux d'AAH dans l'Aisne apparaît très élevé, mais la carte que vous nous avez distribuée manque d'une légende explicite.

M. Marc Laménie. - Il est vrai qu'une légende nous éclairerait ; nous travaillons beaucoup sur la cartographie...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Les entreprises qui n'emploient pas le pourcentage légal de personnes handicapées doivent s'acquitter d'une pénalité...

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Les collectivités locales aussi.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il se trouve que l'on a vu arriver devant les commissions de l'autonomie des flux considérables, qui laissent à penser que les entreprises y poussent certains de leurs salariés, pour échapper à la sanction...

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Le phénomène est beaucoup moins important que ce que l'on peut croire, tant dans les entreprises que dans la fonction publique. A l'inverse, beaucoup de travailleurs handicapés ne souhaitent pas de reconnaissance de cette qualité, notamment pour ne pas être pénalisés auprès des banques lors d'une demande de crédit.

Pour ce qui concerne les collectivités, il faut leur reconnaître qu'elles ont coutume d'employer des personnes qui auraient pu bénéficier de la reconnaissance, de ceux que, dans un village, on appelle le « simple d'esprit », par souci d'intégration. Il n'est pas anormal qu'elles aient aujourd'hui le souci de le faire reconnaître.

Ceux qui peuvent travailler, monsieur Vasselle, conquièrent un statut social en même temps qu'ils bénéficient d'un complément de revenu et cela est inestimable. Ceux qui ne sont pas en mesure de travailler peuvent, quant à eux, percevoir une allocation complémentaire de 180 euros.

En ce qui concerne l'inscription budgétaire des crédits, je rappelle qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2010, nos deux commissions avaient adopté des amendements visant à faire basculer des crédits du RSA vers le handicap. Or, nous avons eu la surprise de voir les sénateurs présents en séance suivre comme un seul homme l'avis défavorable du Gouvernement... Cela m'a mis dans une sainte colère, au point que je me suis juré que cette année, si nous sommes suivis en commission, nous serions suivis en séance !

S'agissant de l'employabilité des accidentés de la vie, le rapport préconise une prise en charge et la mise en oeuvre d'une action d'insertion dès lors qu'il s'agit d'éviter des troubles postérieurs.

L'impact sur le fonds de solidarité vieillesse ? Avec le vote du texte en cours d'examen sur l'équilibre de notre système de retraites, il restera marginal.

A la lumière des faits, monsieur Lorrain, je me réjouis que l'on ait maintenu, pour les MDPH, le statut de groupement d'intérêt public (GIP), qui préserve la présence de l'État, chargé d'assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Il est normal, par ailleurs, que les payeurs aient leur mot à dire.

Lors de l'examen de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), nous avions présenté un amendement visant à inclure dans l'intitulé le médico-social, et j'avais demandé que les ARS participent aux commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Peut-être accusons-nous à tort les entreprises ? A-t-on une idée de l'évolution, sur les trois dernières années, des recettes de l'Agefiph ?

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Elles ont augmenté, mais cela tient aussi à l'aggravation des pénalités, qui sont passées, pour une entreprise n'employant aucun salarié handicapé, de 400  à 1 500 fois le Smic. La loi de 2007 avait donné trois ans pour se mettre en règle : aujourd'hui, les pénalités tombent. C'est pourquoi les entreprises ont pris la question à bras le corps. Je dois me rendre la semaine prochaine à Lyon à l'invitation des chambres de commerce pour plancher sur cette problématique.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Tout cela est en effet très délicat.

Le droit d'amendement au projet de loi de finances, monsieur Vasselle, n'est pas une prérogative de la commission des finances. Tout sénateur peut amender des crédits à condition de gager l'amendement sur d'autres crédits pris à l'intérieur de la même mission. S'il apparaît, par exemple, que sur la ligne consacrée au RSA, les crédits sont plus importants que de besoin, chacun aura loisir de présenter un amendement pour sortir une somme de cette ligne en faveur de l'AAH.

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. - Sur tous les amendements présentés l'an passé, la commission des affaires sociales et la commission des finances étaient en parfait accord.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Le Sénat n'est jamais plus fort que lorsque ses commissions sont en accord...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Le même raisonnement vaut pour l'AME mais qui est inscrite sur la mission « Santé ».

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il n'est, en revanche, pas possible de prévoir le transfert de crédits d'une mission à l'autre.

A l'issue de ce débat, la commission des finances et la commission des affaires sociales donnent acte à MM. Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux, et Paul Blanc, rapporteur pour avis, de leur communication et en autorisent la publication sous la forme d'un rapport d'information.