Mercredi 12 janvier 2011

- Présidence de M. Bernard Cazeau, vice-président -

Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

M. Bernard Cazeau, président. - Notre mission commune d'information a le plaisir d'accueillir Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. A l'heure où le Gouvernement ouvre une réflexion sur la prise en charge de la dépendance, elle a souhaité, avant de clore ses travaux, actualiser le rapport qu'elle a publié en juillet 2008, et dans lequel elle formulait de nombreuses propositions. Pour ce faire, votre audition, Madame, était essentielle.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Permettez-moi une réflexion liminaire. Ce matin, la salle de la commission des affaires sociales était pleine pour l'audition de M. Romero sur la fin de vie, sujet auquel nous avons consacré deux heures ! Je déplore que l'audition de Mme la ministre sur la prise en charge de la dépendance ne suscite pas le même enthousiasme...

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Rappelons que cette mission réunit les commissions des affaires sociales et des finances.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Raison de plus !

M. Guy Fischer. - La prise en charge de la dépendance est le dossier de l'année. Mme Hermange a raison !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Avec l'arrivée de nos collègues membres de la commission des finances, deux tiers des membres de la mission sont maintenant présents.

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

M. Philippe Marini, président. - Je vous prie, Mme la Ministre, d'excuser le retard des membres de la commission des finances, retenus par une réunion.

Notre rapport d'étape de juillet 2008, M. Cazeau l'a rappelé, fourmillait d'idées et de propositions. Certaines d'entre elles restent d'actualité, d'autres le sont un peu moins car ce dossier depuis a avancé.

Notre mission s'est inscrite dans la logique d'un cinquième risque, et non d'une cinquième branche. Elle a considéré le thème de la dépendance central pour la soutenabilité des finances départementales. De fait, la part relevant des départements dans le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) s'est très sensiblement alourdie, ce qui représente un souci majeur pour les sénateurs. Nous devons articuler la question de la dépendance avec une analyse des finances locales. Quelle péréquation après la réforme de la taxe professionnelle ? De même, impossible d'aborder la question des finances départementales sans y voir clair sur l'Apa, son mode de financement et la charge qui en résulte pour les départements. Enfin, pour diversifier les modes de financement de la dépendance, deux démarches sont possibles : les sénateurs défendent le principe d'une assurance optionnelle accompagnée d'incitations, les députés celui d'une assurance obligatoire. Autre sujet de débat : extrêmement sensibles à la solidarité intergénérationnelle, nous avions imaginé en 2008 un mécanisme de gage sur le patrimoine. Cette formule est plus nuancée que l'ancien système du recours sur succession : la personne en perte d'autonomie aura le choix lorsqu'elle sollicitera l'allocation et le dispositif sera assorti d'une franchise et d'un plafond. Notre proposition a fait réagir, quoique moins vigoureusement que nous aurions pu l'imaginer. Cette piste, parmi d'autres, devra être explorée.

Heureux de vous entendre, Mme la Ministre, je laisserai au rapporteur le soin de vous soumettre à la question avant de laisser aux membres de la mission la possibilité d'exprimer leur légitime curiosité...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. - En ce début d'année, je vous adresse mes voeux les plus chaleureux. Que cette année soit l'occasion d'un dialogue fructueux entre nous !

Le Sénat a depuis longtemps pris la mesure de l'enjeu que représente la perte d'autonomie des personnes âgées. En témoigne la création de votre mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque -chaque mot de cet intitulé compte. Je salue la pertinence et la profondeur de vos travaux.

La dépendance, j'en ai moi aussi pleinement conscience, est un défi : un défi humain, un défi de société, un défi financier aussi, car elle est, par nature, un appel à l'autre auquel nous devons apporter une réponse aussi bien individuelle que collective. De fait, l'une ne nous épargne pas l'autre ! L'allongement de l'espérance de vie, dont nous devons nous réjouir, s'accompagne du spectre de l'accroissement du nombre des personnes âgées dépendantes et des maladies associées au grand âge. Dans son rapport d'étape, M. Vasselle rappelait d'ailleurs que, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, les plus de soixante-quinze ans doubleront quasiment d'ici 2050 pour représenter 15,6 % de la population française, contre 8 % aujourd'hui. Nous avons donc, a affirmé le Président de la République, un devoir d'anticipation. Pour autant, la dépendance est aussi un défi pour aujourd'hui. Chacun sait les bouleversements affectifs et les difficultés matérielles et pratiques qu'entraîne la dépendance. Les problèmes sont également financiers. Le reste à charge peut être important pour les familles quand le tarif moyen en établissement est de 1 800 euros par mois contre une pension de retraite mensuelle de 1 400 euros par mois et de 800 euros pour les femmes, qui sont les trois quarts des résidents. Les difficultés sont, enfin, psychologiques : il faut, en quelque sorte, devenir le parent de ses parents. Plus que le reste à charge, ce sujet est d'ailleurs la première préoccupation des Français lorsqu'on les interroge sur la dépendance.

Autre question bien connue, les charges financières de plus en plus lourdes qu'assument les départements, et les inégalités entre ces derniers au détriment des zones rurales. La Creuse, exemple le plus frappant, cumule le taux le plus élevé de personnes âgées de plus de 75 ans - 15 %, contre 9 % en moyenne - et le plus faible taux de personnes payant l'impôt sur le revenu - 43 %, contre 53 % en moyenne -, sans parler du facteur géographique. Dans les régions où l'habitat est disséminé, il est plus difficile de bâtir un système de prise en charge.

Face à ces difficultés, quelle place pour les personnes âgées dans notre société ? Quelle offre de soins et de structures bâtir ? Doit-on privilégier la solidarité ou la prévoyance ? En un mot, quel modèle de société promouvoir ? Autant de questions qui appellent une solution globale. Pour y parvenir, le Président de la République m'a chargée de lancer un grand débat national. Mais, dans cette réflexion, nous ne partons pas de rien. Tout d'abord, notre pays ne consacre pas moins de 22 milliards d'euros à la dépendance des personnes âgées, dont 17 milliards par l'Etat et l'assurance maladie ; l'Apa bénéficie à 1,2 million de personnes sans parler de la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ensuite, nous pouvons nous appuyer sur les rapports. Le vôtre formule des propositions étayées, astucieuses et innovantes, parmi lesquelles le relèvement ciblé des plafonds d'aide pour les personnes isolées et les patients atteints de maladies neurodégénératives, ou encore l'établissement d'une échelle dégressive de versement de l'Apa en établissement. Le débat national nous dira si elles seront retenues. En tout cas, elles rejoignent les priorités du Gouvernement, entre autres, l'attachement au libre choix et à la réduction des restes à charge.

Depuis, et en partie grâce à votre rapport, nous avons connu des évolutions importantes : la convergence tarifaire pour une dépense plus efficiente dans les Ehpad ; la reconversion de lits de court séjour en lits d'Ehpad ; et, avec la loi HPST, la création des agences régionales de santé (les ARS), dont les directeurs généraux assument désormais la responsabilité de la planification en matière sociale et médico-sociale, et l'institution d'un mécanisme de fongibilité asymétrique. Malgré la crise, les moyens consacrés au secteur médico-social n'ont cessé de croître : 6,3 %, dont 8,3 % pour l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) personnes âgées en 2009 ; 5,8 %, dont 10,9 % pour l'Ondam personnes âgées en 2010 ; et 3,8 %, dont 4,4 % pour l'Ondam personnes âgées en 2011. En loi de finances rectificative, nous avons créé un fonds d'urgence de 150 millions d'euros pour aider les départements en difficulté en attendant la réforme. Depuis 2006, 1,4 milliard d'euros ont été alloués aux établissements médico-sociaux dans le cadre du plan d'aide à l'investissement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dont 480 millions en 2009 et 2010. Ces moyens ont permis de contenir les restes à charge des personnes hébergées. L'effort sera poursuivi l'an prochain avec 9 millions d'euros, conformément à l'amendement de Mme Desmarescaux en loi de financement.

Cet effort nous autorise à aborder sereinement le débat. Comment celui-ci se déroulera-t-il ? J'ai déjà installé quatre groupes de travail thématiques, qui associeront élus nationaux et locaux, partenaires sociaux, associations, professionnels, médecins ou usagers. J'ai demandé au Président Larcher que soient désignés deux sénateurs par groupe politique, soit huit au total. Huit députés participeront également à ces groupes. Le premier, « Société et vieillissement », présidé par Annick Morel, devra apprécier l'état de l'opinion sur la dépendance et le regard porté sur le vieillissement. Le deuxième, « Enjeux démographiques et financiers », sous l'égide de Jean-Michel Charpin, évaluera la réalité et l'ampleur du phénomène de la dépendance et en estimera le coût macro-économique. Le but est, en effet, de bâtir un modèle pour les trente années à venir, même si des solutions d'urgence s'imposent. Le troisième groupe, « Accueil et accompagnement des personnes âgées », sous la coordination d'Evelyne Ratte, devra repenser la cohérence et l'accessibilité de l'offre de services, en établissements et à domicile, en fonction de l'évolution des besoins des personnes dépendantes. Enfin, le dernier groupe, présidé par Bertrand Fragonard, intitulé « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées », consacrera ses travaux à la gouvernance ; question qui, je le regrette, a le plus agité les esprits. Il établira un état des lieux de la prise en charge de la dépendance avant de proposer des évolutions possibles de la répartition de la charge financière. Je compte sur le Sénat pour être force de proposition. Cette réforme ne se fera pas sans vous.

Parallèlement, préfets de région et directeurs généraux des ARS organiseront des débats à la suite desquels se tiendront quatre colloques régionaux ou interrégionaux thématiques, précédés de la mise en place de groupes de parole de citoyens sur le modèle que nous avions adopté pour la bioéthique. Attachée à la concertation, je tiens à élargir la discussion au plus grand nombre. Un site Internet dédié au débat national, en cours de création, recueillera les contributions citoyennes. Enfin, signe de la mobilisation du Gouvernement et de toutes les administrations, un comité interministériel sur la dépendance des personnes âgées, placé sous l'autorité du Premier ministre, a été créé par décret le 30 décembre dernier.

A l'orée de ce débat, il me sera difficile de dire quelle sera la piste retenue demain.

M. Guy Fischer. - Quelle déception !

M. Philippe Marini, président. - On ne peut pas préjuger du débat !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Ma démarche, monsieur Fischer, est peut-être plus citoyenne que la vôtre... En revanche, quelques principes me semblent incontournables : libre choix entre maintien à domicile et prise en charge par des structures adaptées, qualité des prises en charge - ce qui suppose une évaluation - et responsabilité afin de ne pas reporter le financement de la dépendance sur les générations futures. L'élaboration de la réforme ne saurait se réduire aux aspects financiers : nous aurons à définir les contours de notre société, à bâtir un modèle qui s'adaptera aux changements de modes et de techniques de prise en charge, ainsi qu'à l'évolution des courbes démographiques. A cet égard, le groupe de travail sur la démographie ne devra pas se contenter de prolonger les courbes actuelles. Enfin, ce débat national sera l'occasion de revisiter nos politiques publiques en matière de logement, de ville, de santé, de travail et de culture car celles-ci participent de l'effort de la collectivité en faveur du financement de la dépendance, dont j'ai souligné l'importance.

La convergence des politiques envers les personnes âgées et les personnes handicapées, inscrite dans la loi, reste notre objectif. Toutefois, la priorité est de traiter la perte d'autonomie des personnes âgées. Dans un contexte budgétaire tendu, c'est la garantie que cette réforme ne se traduira pas par un recul des droits pour les personnes handicapées, une convergence vers le bas. Néanmoins, les personnes handicapées doivent participent activement à la préparation de cette réforme, parce que nombre de questions sont communes, parmi lesquelles la place et le rôle des aidants, et que ces personnes sont, elles aussi, confrontées au vieillissement et à la perte d'autonomie liée à l'âge.

Pour couvrir les besoins supplémentaires liés à la dépendance, rappelons qu'une multiplicité de propositions ont vu le jour. Certains préconisent une augmentation des prélèvements sociaux, notamment de la CSG des retraités ; d'autres défendent un recours sur succession, soit par un gage individuel, soit via une hausse de la fiscalité sur la transmission du patrimoine. D'autres encore voudraient développer la prévoyance individuelle.

Pour terminer, quelques mots de la gouvernance. Je m'étonne de voir plusieurs responsables politiques regarder dans le rétroviseur : la gestion de ce risque nouveau appelle nécessairement des solutions innovantes. Quand le Gouvernement privilégie la déconcentration avec les ARS, et alors que certains parlent même d'objectif régional des dépenses d'assurance maladie, je doute que la solution passe par la construction de nouvelles cathédrales centralisées. Il faudra trouver le chemin d'équilibre entre un système centralisé mais équitable, et un système déconcentré, et donc garantissant une gestion de proximité, mais potentiellement porteur d'inégalités. Les départements ne sont pas les seules collectivités concernées par la dépendance : les communes, avec les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale, assurent de nombreux services aux personnes, tel le portage des repas ; les régions, avec la formation professionnelle, jouent également un rôle important. Je relève, à ce sujet, que trois gérontopôles ont vu le jour dans des régions dirigées par des présidents socialistes, dont un dans les Pays-de-Loire, signe d'une distorsion entre les déclarations des élus nationaux et les actions des élus locaux. J'ignore si le parti socialiste est catastrophiste mais, en tout cas, certains de ses responsables régionaux, au plus près des réalités, avancent.

Voilà ce que je vous propose de faire tous ensemble. Cette réforme de la dépendance met en exergue les valeurs intemporelles que sont la solidarité et la cohésion sociale, périmètre de mon ministère et du secrétariat d'Etat de Mme Montchamp. Nous pouvons être fiers, chacun dans nos fonctions, de contribuer à leur pérennité et à leur grandeur !

Après cette introduction, je me livre volontiers aux questions du rapporteur.

M. Philippe Marini, président. - Ce semestre sera consacré à deux débats : celui sur la dépendance et celui sur la fiscalité du patrimoine. Peut-être y a-t-il quelque lien entre les deux ?

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Après avoir remercié Mme la ministre de venir devant notre mission, nous allons l'interroger au moyen d'un questionnaire dont elle connaît la teneur. Au stade de la concertation, elle ne pourra naturellement pas nous donner des réponses précises. Réjouissons-nous-en : c'est le signe qu'il ne s'agit pas d'une concertation de façade, laquelle n'est pas dans l'habitude de ce Gouvernement...

Si la concertation doit être la plus large possible, mieux vaut d'emblée lever une éventuelle ambiguïté. En lançant ce chantier, le Président de la République avait annoncé la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale avant de parler d'un cinquième risque. Ce débat est-il tranché ? Faut-il concentrer la réflexion sur un cinquième risque ?

Cela dit, j'en viens à ma première série de questions. Dans un contexte budgétaire tendu, la marge de manoeuvre est étroite. Cependant, des pistes existent pour compléter le financement de l'Apa : la création d'une deuxième journée de solidarité, l'élargissement de l'assiette de la CSA (contribution solidarité autonomie), l'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs ou la mise en oeuvre d'une assurance obligatoire souhaitée par les députés. Toutes ces pistes seront-elles examinées ou le Gouvernement en écarte-t-il certaines dès à présent ? Notre mission propose un mécanisme de prise de gage sur le patrimoine à partir d'un seuil de 150 000 ou 200 000 euros tandis que la mission de l'Assemblée nationale, conduite par Valérie Rosso-Debord, reparle du recours sur succession, option que nous avions complètement écartée, et suggère un seuil de 100 000 euros. Que pense le Gouvernement de ces propositions ? En outre, n'y a-t-il pas lieu de replacer cette question dans le cadre de la réforme de la fiscalité, notamment celle du patrimoine ?

Les partisans d'une suppression du groupe iso-ressources 4 (Gir), soit le niveau 4 de la perte d'autonomie, sont-ils animés par un objectif comptable ou un objectif social et sanitaire ? Cette mesure ne risque-t-elle pas d'entraîner un basculement rapide vers le niveau supérieur de dépendance, le Gir 3 ? Quelle est la position du Gouvernement sur le développement d'un étage assurantiel ? Quels sont les avantages et les inconvénients de l'assurance obligatoire ? Adosser l'assurance dépendance aux complémentaires santé vous semble-t-il intéressant ? Enfin, comment rééquilibrer le financement de l'Apa entre départements et Etat ? La règle des 50/50 n'a jamais été respectée. Le Gouvernement envisage-t-il une redéfinition des critères de péréquation entre les départements ?

M. Philippe Marini, président. - M. Vasselle a évoqué les grands sujets structurants de ce débat. Quelles sont les pistes à écarter du débat ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Aucune piste n'est exclue, y compris la création d'une cinquième branche. Nous ne voulons pas préempter le débat, raison pour laquelle le Président de la République a utilisé alternativement les termes de cinquième risque et de cinquième branche. Cette dernière nécessite toutefois une loi organique, dont l'adoption, compte tenu du calendrier parlementaire, semble difficile avant l'élection présidentielle. En outre, une telle branche supposerait une démarche résolument innovante : à rebours de la gestion centralisée des branches de la sécurité sociales, issues du pacte de 1945, il faudrait imaginer une gestion de proximité pour la dépendance en introduisant les partenaires locaux systématiquement écartés jusqu'alors de la gestion de la protection sociale. Personne ne me contredira sur ce point au Sénat. La réflexion sur le financement et la gouvernance doivent donc aller de pair.

Le raisonnement vaut pour la couverture de la dépendance : toutes les pistes seront examinées. A titre personnel, j'ai des réserves à l'égard du recours sur succession : il serait injuste de l'appliquer aux personnes mourant de la maladie d'Alzheimer, et non à celles qui décèdent à l'hôpital d'un cancer. Ce serait faire deux poids deux mesures. La piste d'un relèvement de la fiscalité sur le patrimoine n'est toutefois pas exclue. Il n'est pas anormal qu'une personne âgée disposant d'un patrimoine élevé sans avoir des revenus importants participe au financement de sa dépendance.

La suppression du Gir 4 m'inspire les plus extrêmes réserves. Une grande réforme sociale doit viser au moins la consolidation du socle des droits existants, et non le recul de ces droits. De surcroît, la mesure risque d'être contre-productive : la prise en charge du Gir 4 repose sur une démarche de prévention, un problème fondamental.

Quant à l'étage de financement assurantiel, il existe déjà. La France, rappelez-vous dans votre rapport, est le deuxième pays, après les Etats-Unis, en termes de contrats sur la dépendance. Mais seulement 15 000 donnent pour l'instant lieu à des versements de prestations. Nos compatriotes consacrent déjà 500 millions euros à l'assurance privée. Cette solution n'est donc pas à écarter d'autant qu'elle existe déjà dans tous les secteurs de la protection sociale. Au reste, les assureurs travaillent déjà à l'adossement de contrats dépendance aux mutuelles santé. Gardons à l'esprit les conséquences qu'un tel dispositif emporte : les souscripteurs ne constitueraient pas de droits propres au-delà de l'année. Si le recours à des contrats d'assurance devait être encouragé, mieux vaudrait s'en tenir à une définition des caractéristiques fondamentales de la garantie, notamment la définition de la dépendance et la portabilité des droits, sans figer l'ensemble des termes du contrat.

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Quid de la répartition du financement de l'Apa à 50 % entre départements et Etat ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Je vais vous répondre. Tout d'abord, le chiffre de 50 % n'a pas de base législative...

M. Bernard Cazeau. - C'était une promesse !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Monsieur Cazeau, c'est vous qui auriez dû la tenir ! Pour remédier à ce problème, il faut améliorer les règles de péréquation pour diriger en priorité la contribution de l'Etat sur les départements les plus défavorisés. Transférer les dépenses des départements vers l'Etat serait une solution satisfaisante pour les départements mais ne peut être l'unique réponse apportée à nos concitoyens qui assument in fine, avec les entreprises, la charge financière des dispositifs sociaux. Si l'amélioration de la péréquation ne porte pas ses fruits, on pourra envisager une augmentation de la part de l'Etat. En tout état de cause, les départements, ordonnateurs de la dépense publique, doivent participer aussi au financement de l'Apa. Je refuse une logique dans laquelle les départements organiseraient le versement de l'Apa et présenteraient la facture à l'Etat. Pour conclure, rappelons que le chiffre de 50 %, que l'assemblée des départements de France avance, ne ressort d'aucune disposition législative.

M. Philippe Marini, président. - Espérons que nous nous rapprocherons de cet objectif avec une péréquation satisfaisante dans un monde meilleur !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Pour l'heure, il est de 29 %, contre 40 % au début.

M. Bernard Cazeau. - Madame la ministre, je m'en tiendrai aux questions auxquelles vous êtes en mesure de me répondre, dans l'attente de ce grand débat démocratique vous annoncez. Le calendrier de la réforme semble assez flou : des conclusions seraient remises au Président de la République au cours de l'été ; le président du groupe UMP souhaite une réforme en 2011 tandis que vous évoquez des mesures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Estimez-vous qu'une réforme d'une telle ampleur, qui nécessite une concertation si approfondie, peut être adoptée avant l'élection présidentielle ou faut-il, comme disait un célèbre personnage, laisser du temps au temps ?

M. Guy Fischer. - Le problème de calendrier est réel : le Gouvernement pourrait se contenter de quelques mesures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour reporter la réforme à 2013. Les nombreux débats engagés servent à différer le problème fondamental : le problème du financement. Le versement des trois allocations sociales pose en effet de grandes difficultés aux départements alors que les Français sont durement frappés par la crise. La situation des finances locales va exiger, entend-on, un effort particulier des Français. Alors que l'argent se fait rare, la perspective d'une profonde réforme disparaît. Qu'en est-il d'une prestation unique pour la dépendance et le handicap ? Vous venez de dire « non » quand le monde du handicap réclame la création d'un risque universel. Le débat sur une cinquième branche ou un cinquième risque n'est pas tranché. En attendant, le reste à charge pèse sur le budget des familles. Enfin, il y a le danger de la privatisation, disons-le mot. M. Marini sait que la dépendance est un secteur de grande profitabilité pour les investisseurs tels que le groupe Korian.

M. Philippe Marini, président. - Certes ! Nous avons même fait une étude de marché dans notre rapport de 2008 !

M. Guy Fischer. - Pour avoir participé à la gestion d'une grande agglomération, je sais toute la difficulté à construire des établissements pour personnes âgées financièrement accessibles.

Madame la ministre, je suis tenté de dire que, sous prétexte de concertation, vous êtes venue les mains vides. Nous restons sur notre faim.

M. Philippe Marini, président. - M. Fischer est très expérimenté, mais il connaît les termes du débat : le sujet est celui des personnes âgées. La commission, du moins sa majorité, a tranché lorsqu'elle a adopté le rapport.

M. Guy Fischer. - Madame la ministre, à pas de loup, vous avancez dans la direction du développement du secteur assurantiel. Nous craignons pour l'égal accès de tous à la prise en charge de la dépendance. Il faut aller jusqu'au bout du débat !

M. Paul Blanc. - Madame la ministre, vos propos sur la convergence entre handicap et dépendance m'ont quelque peu inquiété. Celle-ci est inscrite dans la loi de 2005. Déjà, les méthodes d'évaluation sont identiques et, lors de la présentation de ma proposition de loi, il m'avait été indiqué que le financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) pourrait être revu dans le cadre de la réforme de la dépendance. Je ne voudrais pas que cette piste de financement soit systématiquement écartée. La loi est très claire : le handicap relève de la solidarité nationale. Cela dit, nous ne pourrons pas faire l'économie, selon moi, d'un financement de la dépendance par d'autres voies.

Ensuite, vous avez évoqué la possibilité d'introduire des différences selon les territoires. Concernant le traitement, cela est tout à fait juste : la gestion de la dépendance peut relever du département ou des centres communaux d'action sociale. En revanche, cela l'est moins pour le financement...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Je ne l'ai pas dit !

M. Paul Blanc. - Le rôle de l'Etat est de veiller à l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire français. Certains départements accueillent beaucoup de personnes âgées, mais très peu d'entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Le cas est rare !

M. Paul Blanc. - Certains départements dépensent peu pour les personnes âgées et reçoivent beaucoup des entreprises.

M. Alain Milon. - Madame la ministre, à vous entendre, vous n'êtes pas venue les mains vides : la réflexion est aboutie. Toutefois, j'aurais aimé en savoir plus sur la prévention. La dépendance peut être limitée, dans la mesure où elle est provoquée par des maladies cardio-vasculaires, des maladies rhumatismales, des maladies de dégénérescence cellulaire cérébrale, qui peuvent être prévenues. Elle n'est pas une fatalité : la moitié des hommes de quatre-vingt-dix ans meurent non dépendants et la proportion est plus élevée pour les femmes. Il faut un plan de prévention contre les maladies qui la favorisent.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - A propos du calendrier, le débat et les préconisations qui en sortiront influenceront la nature du véhicule législatif ou des véhicules législatifs qui seront empruntés. Ce débat commencera avec les quatre groupes de travail. Associations, partis politiques et think tanks se l'approprient. Nous bâtirons le site internet pour étudier toutes ces contributions. Les débats citoyens régionaux - mieux vaudrait parler de débats interdépartementaux pour reprendre la terminologie des Priac (programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie) - étaient difficiles à organiser sans avoir le « kit » pour les exploiter. Ils commenceront début avril après les élections cantonales. Cette date est parfaite : c'est celle de la création des ARS... Le débat se terminera fin juin-début juillet de manière à alimenter la réflexion du Gouvernement au moment où il prépare le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le Président de la République a pris un engagement très ferme : certaines mesures sur la dépendance seront adoptées dès les lois financières pour 2012. Cela dit, seul le débat permettra de trancher : si la création d'une cinquième branche se révèle nécessaire, il faudra une loi organique ; pour englober toutes les politiques liées à la dépendance - la culture, la ville -, peut-être faudra-t-il une grande loi-cadre. Dans ce dernier cas, il est certain que la dépendance sera un élément structurant de la campagne présidentielle de 2012.

Monsieur Blanc, nous n'abandonnons pas le principe de la convergence entre le handicap et la dépendance. Pour autant, la prise en charge des personnes handicapées dépendantes relève d'un cheminement et de concepts différents de ceux qui concernent la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Les structures et associations de personnes handicapées que je reçois ne souhaitent pas, me disent-elles, cette confusion. Monsieur Fischer, vous avez-vous-même évoqué la rareté de l'argent public...

M. Guy Fischer. - C'est un constat !

M. Philippe Marini, président. - C'est votre chemin de Damas !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - La convergence ne doit pas être réalisée au détriment des personnes handicapées.

Vous avez parlé de privatisation, avec prudence. Parlez-vous de privatisation du financement ou de l'offre de service ? Celle de l'offre de service ne me semble pas illégitime : aujourd'hui, un quart des Ehpad sont des établissements privés à but lucratif. Ces établissements, plus récents, ont un coût d'amortissement plus élevé que les anciens, plus vétustes. Néanmoins, le privé n'est pas synonyme de prix exorbitants. Les établissements chers répondent aussi à une demande.

La convergence tarifaire est un objectif qui doit être poursuivi. C'est un outil d'allocation équitable des ressources, qui n'est pas utilisé de manière mécanique et s'accompagne d'un processus de médicalisation des établissements au bénéfice des usagers. Les moyens dédiés aux établissements pour personnes âgées dépendantes sont passés de 3 à 8 milliards entre 2002 et 2010 et nous sommes engagés dans une politique de réduction des écarts entre établissements. Sur les 2 754 Ehpad publics, 350 sont en convergence. Les Ehpad peuvent conventionner avec les ARS pour éviter des restitutions de crédits ou des licenciements. Un groupe de travail sera constitué sur l'outil Pathos. La convergence tarifaire n'a pas pesé sur le taux d'encadrement, au contraire : l'objectif de passer d'un ratio de 0,57 pour un résident à 0,65 est en cours de réalisation.

Monsieur Milon, j'ai voulu inscrire la prévention au coeur de la loi HPST. L'un des deux comités de coordination qui siègent au sein des ARS y est dédié ; le principe de fongibilité asymétrique permet de transférer des crédits du curatif vers le préventif, mais interdit l'inverse ; enfin, le plan de lutte contre les accidents vasculaires cérébraux comme le plan Alzheimer comportent d'importantes mesures en la matière. La prévention est bien au coeur de notre démarche sur la dépendance.

M. Philippe Marini, président. - Notre mission se réunira une dernière fois, sans doute le mercredi 26 janvier, pour adopter un rapport complémentaire, qui pourrait être conçu comme un guide pour le débat. Nous pourrions notamment comparer nos approches avec celles de nos collègues députés. Un débat en séance publique se tiendra le 15 février.

M. Yves Daudigny. - Mme la ministre a évoqué la piste d'une cinquième branche, mais avec des « innovations ». Pour moi, sécurité sociale signifie gestion centralisée paritaire et financement par cotisations salariales et patronales ; avec une gestion décentralisée et un financement faisant appel aux assurances privées, est-ce encore une branche de la sécurité sociale ?

M. Philippe Marini. - La question de M. Daudigny souligne bien l'habileté de la ministre...

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Dès 2005, la Cour des comptes a dénoncé le manque de coordination des intervenants, l'importance du reste à charge, le manque de transparence des tarifs, l'hétérogénéité de la qualité des établissements, les fortes disparités dans l'attribution de l'Apa. Les lois de financement de la sécurité sociale ont apporté des réponses mais les remarques de la Cour restent d'actualité. Les contestez-vous ? Quelles pistes de réforme envisagez-vous pour y répondre ?

En 2008, notre mission s'était interrogée sur certaines mesures annoncées dans le cadre du plan Solidarité grand âge, compte tenu du contexte budgétaire, notamment le maintien d'un équivalent temps plein pour chaque résident en Ehpad et le rythme de médicalisation des établissements. Le périmètre de ce plan sera-t-il redéfini ?

Un rapport des inspections des finances, des affaires sociales et de l'administration devrait être prochainement publié sur le financement et la tarification des soins à domicile. Quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement dans ce domaine ?

Les représentants des services de soins à domicile redoutent les effets pervers de la suppression, par la loi de finances, de l'exonération de charges « services à la personne », qui alourdirait, selon eux, le coût de la prise en charge des salariés à domicile et remettrait en cause la qualité des structures par une diminution de la formation et du recrutement. Que répondez-vous à ces critiques ?

Enfin, qu'en est-il de l'articulation des aides au logement avec l'Apa ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - M. Daudigny a bien indiqué les termes du débat. Je vous invite à l'innovation sociale ! La question de la dépendance est nouvelle ; on ne peut y répondre avec les solutions de 1945. Sans s'écarter des grands principes de solidarité et de fraternité, nous devons proposer de nouveaux outils. Pourquoi ne pas imaginer une cinquième branche qui ferait intervenir de nouveaux acteurs dans sa gouvernance ? Ne nous enfermons pas dans les schémas du passé. Il n'est pas impossible de concilier proximité et équité !

Monsieur Vasselle, je n'ai pas l'impertinence de contester les conclusions de la Cour des comptes ! Compte tenu de l'heure, me permettez-vous de répondre par écrit à vos dernières questions ?

M. Guy Fischer. - Il faudra adresser les réponses à tout le monde !

M. Philippe Marini, président. - Madame la ministre, nous viendrons en délégation au ministère vous remettre le fruit de nos réflexions.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Je suis tout à fait d'accord pour que votre rapport serve de guide méthodologique pour la suite du débat, et je vous en remercie.

M. Philippe Marini, président. - J'espère qu'il sera utile. Merci madame la Ministre.