Mercredi 19 janvier 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Audition de M. François Drouin, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'établissement public OSEO

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède à l'audition de M. François Drouin, président du conseil d'administration de l'établissement public OSEO, dans le cadre de sa candidature au renouvellement de ses fonctions, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, et sur la situation des PME.

M. Jean Arthuis, président. - Nous allons entendre ce matin, une nouvelle fois, François Drouin, président du conseil d'administration de l'établissement public OSEO, dans le cadre de sa candidature au renouvellement de ses fonctions.

En effet, si une telle audition s'est déjà tenue, le 29 juin 2010, à l'expiration du mandat « normal » de M. Drouin, la réorganisation d'OSEO, intervenue dans le cadre de la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, nécessite une nouvelle nomination du président et donc ce nouveau passage devant les commissions des finances des deux assemblées.

Toutefois, bien que nous nous soyons déjà prêtés à cet exercice, cette séance revêt un caractère particulier. En effet, l'entrée en vigueur de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous amènera, pour la première fois, à l'issue de cette audition, à voter afin de confirmer ou d'infirmer le choix du Président de la République.

A cet égard, je vous rappelle qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ». Il nous faudra donc consolider nos votes avec ceux des membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, devant lesquels M. Drouin s'est exprimé juste avant de nous rejoindre. En outre, je vous indique que d'après l'article 3 de la loi organique précitée du 23 juillet 2010, « il ne peut y avoir de délégation lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ». En conséquence, seuls les présents voteront.

Enfin, je vous rappelle que, conformément à la loi précitée du 23 juillet 2010, la présente audition est publique et ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Dans l'immédiat, je vais inviter François Drouin à se présenter et à nous livrer la vision stratégique qu'il a pour le groupe OSEO dans l'éventualité d'un nouveau mandat. Je pense qu'il serait également utile qu'au titre de ses fonctions actuelles, il puisse nous faire le point de la situation présente des PME, en particulier en matière financière et d'accès au crédit. Chacun de vous pourra ensuite, s'il le souhaite, lui poser des questions avant que nous passions au vote.

M. François Drouin, candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de l'établissement public OSEO. - OSEO, qui se veut « l'entreprise des entrepreneurs », au service des entreprises comptant de zéro à 5 000 salariés, a connu une activité soutenue sur chacun de ses métiers au cours de l'année 2010.

S'agissant de l'activité de garantie, cette année a encore été marquée par le plan de relance, qui s'est achevé le 31 décembre dernier, même si nous avons veillé à réduire progressivement les interventions au titre de ce plan exceptionnel depuis le pic atteint en juillet 2009. L'an dernier, OSEO a ainsi permis l'octroi de plus de 6 milliards de prêts bancaires à quelque 24 000 entreprises. Parallèlement à cette activité de « pompier », nous avons également connu une année soutenue pour ce qui concerne les garanties d'investissement, qui constituent le coeur de métier de cette branche du groupe OSEO. Les prêts octroyés aux entreprises grâce à cette garantie se sont élevés à 4,28 milliards d'euros, en augmentation de 17 % par rapport à 2009. Au total, OSEO porte actuellement 11 milliards de risques sur cette activité.

S'agissant de l'activité de financement, OSEO a apporté 3,2 milliards d'euros de concours en 2010, soit 25 % de plus qu'en 2009. Le bénéfice pour les entreprises est encore supérieur car nous n'intervenons jamais seuls et nous entraînons d'autres établissements bancaires. OSEO porte actuellement 10 milliards d'euros d'encours au titre de ces prêts.

Il convient d'ajouter que, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République le 5 octobre 2009, le groupe a développé des « contrats de développement participatifs », c'est-à-dire de prêts participatifs qui, du point de vue de l'entreprise financée, correspondent à des quasi fonds propres. OSEO se trouve, en effet, placé au même rang de risque que les actionnaires sans pour autant prendre une part de capital, ce qui n'est pas notre métier et pourrait, en outre, engendrer des conflits d'intérêts. Nous avons déjà engagé, à ce jour, 80 % de l'enveloppe d'un milliard d'euros que le chef de l'Etat nous a demandé de consacrer au renforcement du haut de bilan des entreprises sur la période 2009-2011. Le quart des bénéficiaires de ces prêts sont des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

En matière d'innovation, 2010 a été une année « normale », au cours de laquelle OSEO a consacré 569 millions d'euros au soutien à quelque 2 849 entreprises, entre ses subventions et avances remboursables « classiques » et la trentaine de programmes en cours au sein du fonds « innovation-stratégie-industrie (ISI) », issu de l'ancienne Agence pour l'innovation industrielle (AII). S'y ajoutent les crédits qu'OSEO a distribués au travers du Fonds unique interministériel (FUI) d'aide aux pôles de compétitivité, dont la gestion demeure un sujet un peu difficile.

Au total, notre groupe a connu, depuis le début de la crise, une activité très soutenue avec des effectifs stables. Les collaborateurs du groupe, dont le taux de cadres est passé de 71 % à 76 % ces deux dernières années, ont su faire face à ce contexte économique exceptionnel.

Toutefois, il est important de ne pas « charger » OSEO de façon excessive et durable car nos métiers nous conduisent à prendre des risques, de nature différente selon nos activités, et à les maîtriser. Nous sommes également obligés d'agir au rythme des entreprises, c'est-à-dire vite. Je souligne, à cet égard, que l'inspection de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui est venue contrôler OSEO, n'a pas émis de réserve sur la façon dont les risques entrent dans le portefeuille du groupe et n'a pas non plus jugé nécessaire de nous faire passer de provision complémentaire. En outre, pour l'heure, les risques exceptionnels que nous avons dû prendre du fait de la crise ne se traduisent pas par une sinistralité excessivement accrue, l'augmentation des sinistres ne s'élevant « qu'à » 75 % alors même que nous avions anticipé un doublement en décembre 2008.

M. Jean Arthuis, président. - La « fusion interne » des sociétés du groupe OSEO est-elle effective ?

M. François Drouin. - Elle l'est depuis le 31 décembre 2010 d'un point de vue juridique, et depuis le 1er janvier 2010 d'un point de vue comptable. Il s'agit davantage d'un enjeu de simplification et d'optimisation que d'un enjeu stratégique. En effet, mon prédécesseur, Jean-Pierre Denis, avait réalisé, en grande partie, la fusion sur le terrain d'un point de vue opérationnel, mais les différences de statut des personnels et la nécessaire préservation des intérêts de toutes les entités créaient de nombreuses lourdeurs.

M. Philippe Marini , rapporteur général. - Lors de votre audition de juin 2010, vous aviez alerté la commission des finances sur la nécessité de recapitaliser convenablement OSEO. Nous avons d'ailleurs relayé ces inquiétudes auprès du Gouvernement, notamment lors de l'examen du projet de loi de régulation bancaire et financière. Pouvez-vous nous faire un point sur la situation ?

D'autre part, vos différents métiers vous amènent souvent à respecter des procédures bien spécifiques. Est-ce que, malgré ces contraintes, vous parvenez à avoir une vision globale de vos clients et, dans une certaine mesure, à vous comporter comme une « vraie banque » ?

En matière d'innovation, pourriez-vous nous préciser la proportion des subventions et des avances remboursables, ainsi que votre « taux de perte » sur ces dernières ?

S'agissant du FUI, êtes-vous satisfait du fonctionnement actuel de ce fonds ?

Enfin, pourriez-vous préciser davantage les risques de pertes futures que vous prévoyez du fait de la crise ? Et, tandis que s'amorce le « retour à la normale », quels enseignements tirez-vous de cette période ?

M. François Drouin. - Tout d'abord, la Commission bancaire nous a enjoints de renforcer nos fonds propres de manière à ce que ceux-ci représentent plus de 8 % des risques à la fin de 2010, conformément aux normes prudentielles en vigueur. Depuis lors, le capital d'OSEO a été augmenté, mais pas au niveau qui nous avait été annoncé. En effet, si 140 millions d'euros en provenance du « grand emprunt » ont bien été versés, le produit de la taxe sur bonus des traders des établissements bancaires ne s'est élevé qu'à 298 millions d'euros, pour une prévision initiale de 360 millions d'euros. Au total, l'augmentation de capital d'OSEO, issue de ces deux sources, n'a donc représenté que 438 millions d'euros au lieu de 500 millions d'euros. Cela suffit pour que nous respections le ratio de 8 %, mais une nouvelle augmentation de capital devra probablement être effectuée en 2012.

S'agissant des procédures, elles sont, en effet, nombreuses, chez OSEO, particulièrement pour ce qui concerne le financement de l'innovation. Nous nous attachons toutefois à développer une vision globale de nos clients et de leurs besoins, sans pour autant prétendre être une banque universelle. En effet, nous ne proposons pas l'ensemble des produits bancaires et nous sommes avant tout le « financeur du long terme ».

En matière d'innovation, notre dotation budgétaire est serrée. Nous n'avons donc qu'une faible quotité de subventions. Pour ce qui concerne les avances remboursables, le taux de perte, d'ailleurs très stable sur le long terme, est de l'ordre de 45 %.

S'agissant du FUI, OSEO n'a qu'une mission réduite, en aval d'un processus complexe. Notre rôle se limite, pour l'heure, à verser les fonds aux entreprises bénéficiaires, ce qui est sans doute réducteur. Il y a probablement moyen de progresser, d'autant que les délais de versement sont longs et peu adaptés à la réalité des entreprises.

Enfin, sur le régime de garantie spéciale durant la crise, OSEO a permis l'obtention de 6 milliards d'euros de découverts ou de prêts de trésorerie par les entreprises, son risque propre s'élevant à 3 milliards d'euros. Comme je l'ai indiqué, la sinistralité associée est moindre que prévu, de l'ordre de 75 % de majoration par rapport aux pertes habituellement subies par cette activité. Les études que nous avons faites montrent l'efficacité de ce dispositif : sur 5 000 bénéficiaires que nous avons interrogés, la moitié nous a indiqué qu'ils auraient déposé le bilan sans l'aide d'OSEO, 30 % auraient licencié davantage, environ 20 % n'y voyant finalement qu'un confort supplémentaire, dont ils auraient pu se passer.

Mme Nicole Bricq. - En premier lieu, je reconnais qu'OSEO a su se montrer présent au plus fort de la crise, à un moment où les banques traditionnelles étaient plus rétives.

Pour l'avenir, quelles sont vos prévisions en termes de sinistres pour l'année 2011 ?

Ensuite, comment qualifieriez-vous vos relations avec vos actionnaires ?

Par ailleurs, quelles sont vos relations avec les collectivités territoriales ? En particulier, comment vous situez-vous dans le cadre des plates-formes régionales ?

Enfin, en matière d'innovation, vous indiquez ne disposer que d'un « budget serré ». Dès lors, que faudrait-il faire, alors même que les banques françaises sont réticentes à s'engager sur ce créneau ?

M. François Drouin. - La sinistralité devrait être, en 2011, comparable à celle de 2010. Puis notre risque tendra à diminuer avec le temps. Sur plus longue durée, ce niveau est inférieur à notre taux de perte de 2003 et très inférieur à celui de 1993. C'est d'ailleurs ce que l'on observe aussi chez les banques, les défaillances étant surtout le fait de très petites entreprises ne disposant que d'un faible encours.

A propos de nos actionnaires, je voudrais tout d'abord souligner qu'ils sont au nombre de 500, même si deux d'entre eux, l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), sont un peu particuliers et savent se montrer exigeants. Mais je suis au service de tous. J'ai été récemment un peu déçu que la CDC ne participe pas à notre augmentation de capital. Mais nous travaillons bien ensemble sur le terrain, notamment avec le Fonds stratégique d'investissement (FSI), avec lequel nous avons signé une convention et que nous alimentons grâce à notre réseau et à nos contacts. Nous sommes ainsi à l'origine de la moitié des concours du FSI.

Pour ce qui concerne les collectivités, nous travaillons essentiellement avec les régions. Nos relations sont globalement bonnes mais nous pourrions sans doute progresser, notamment sur le thème de l'innovation, par exemple en constituant des fonds communs. Deux régions sont candidates, mais, pour avancer, il nous faut l'accord de nos tutelles étatiques. Le rôle de l'Etat au sein d'OSEO est d'ailleurs parfois un peu ambigu, la position de l'administrateur étatique ne coïncidant pas nécessairement avec celui des tutelles...

Enfin, en matière d'innovation, la réactivité est essentielle. Au vu de l'évolution des crédits, il faut que les acteurs sachent aller chercher des fonds à tous les niveaux. Je pense, en particulier, à l'échelon régional et à l'Europe.

M. Philippe Dallier. - Les chefs d'entreprises que je croise me paraissent souvent peu informés sur OSEO. Avez-vous un plan d'action en termes de communication ?

D'autre part, j'aimerais connaître votre appréciation au sujet des conflits d'intérêts. Disposez-vous d'une charte au sein de votre groupe ?

M. François Drouin. - La communication est, effectivement, un sujet important. OSEO n'a que cinq années d'existence et il nous faut augmenter sa notoriété. La crise y a contribué mais nous comptons, avant tout, sur le bouche à oreilles, les chefs d'entreprises se fiant surtout aux retours d'expériences de leurs pairs. Dès lors, il me semble que des campagnes de publicité seraient à la fois inutiles et coûteuses. Nous préférons des actions plus ciblées, comme celle qui consiste à entretenir une « communauté OSEO excellence » de 2 000 chefs d'entreprises et à organiser des événements autour d'elle.

Sur votre seconde question, nous disposons bien d'une charte de déontologie, notifiée à chaque collaborateur. Nous avons d'ailleurs un cas récent de sanction d'un collaborateur dont nous nous sommes séparés pour non-respect de ladite charte.

M. Joël Bourdin. - Quel est le taux de rémunération d'OSEO sur les prêts participatifs qu'il octroie ?

En outre, disposez-vous d'éléments particuliers susceptibles de nous éclairer sur la santé et l'efficacité de la recherche française ?

M. François Drouin. - Notre rémunération est comprise entre 4 % et 6 %, ce qui est raisonnable au vu de la nature du risque que nous prenons. Je précise que la diversification du taux s'applique aux ETI afin que nos financements ne puissent risquer une qualification d'aide d'Etat par les institutions communautaires.

Sur la recherche, nous ne disposons pas d'éléments particuliers. Davantage que la recherche elle-même, qui se porte bien, c'est sa valorisation qu'il faut encore améliorer. Il me semble qu'en favorisant un peu plus l'innovation, nous ferions progresser de manière significative l'exploitation des importants moyens que la France consent en faveur de la recherche.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Quel est la composition du conseil d'administration d'OSEO et combien de femmes comporte-t-il ?

D'autre part, avez-vous réellement la volonté de développer les relations de votre groupe avec les élus ? Mon expérience girondine ne m'a pas particulièrement fait apparaître une telle orientation...

M. François Drouin. - Sur quinze membres, le conseil d'administration d'OSEO ne compte que deux femmes. Mais nous n'avons que peu de latitude sur sa composition. Ainsi, les quatre représentants de l'Etat sont des hommes, de même que les deux représentants de la CDC. En revanche, le seul administrateur nommé par l'assemblée générale des actionnaires est une femme, de même qu'une des trois personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement.

Au niveau des territoires, je vous rappelle que nous travaillons presque exclusivement avec les régions, qui nous semblent être le bon échelon, du fait, en particulier, de leurs responsabilités en matière de développement économique.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Pourriez-vous préciser davantage le degré de recouvrement de vos actions avec celles du FSI ?

De plus, en matière d'innovation, OSEO est-il amené à coopérer avec les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) ?

M. François Drouin. - Nous sommes complémentaires avec le FSI s'agissant des prêts participatifs et, comme je l'ai indiqué, nous coopérons quand l'occasion se présente. En revanche, nos activités se recouvrent globalement assez peu car OSEO a un gros volume d'affaires avec de petits montants unitaires, c'est-à-dire l'inverse du FSI.

Nous collaborons aussi, bien sûr, avec les FCPI, ne serait-ce que parce qu'il nous revient de labelliser les entreprises éligibles au quota d'entreprises innovantes que doivent respecter ces fonds. De plus, nous jouons un rôle important en termes de garantie : OSEO garantit ainsi la moitié du capital-risque en France.

M. François Fortassin. - OSEO jouit sans doute d'une bonne notoriété... pour les initiés. Mais, au-delà, quelles sont vos relations avec les chambres de commerce et d'industrie (CCI) ?

M. François Drouin. - Les CCI sont naturellement des partenaires et je crois pouvoir dire qu'elles nous connaissent toutes. De manière générale, comme je l'ai souligné précédemment, la crise a accru notre notoriété parmi les entrepreneurs.

M. Jean Arthuis, président. - Une dernière question : pourriez-vous nous dire si l'évolution structurelle d'OSEO s'est accompagnée d'une évolution de la rémunération du président. De manière générale, comment est calculée cette rémunération, en particulier quelle est la part variable et sur quels critères est-elle, ou non, versée ?

M. François Drouin. - Le président d'OSEO reçoit une rémunération fixe de 300 000 euros, à laquelle s'ajoute une part variable pouvant représenter jusqu'à la moitié de cette part fixe. La même règle vaut d'ailleurs pour les directeurs généraux délégués du groupe. Je précise enfin que les quatre cinquièmes de la part variable dépendent du respect de critères fixés par le comité de rémunération d'OSEO, le reliquat étant versé - ou non - à la discrétion du ministre chargé de l'économie. Je ne sais pas si ces règles sont appelées à évoluer dans le cadre de la nouvelle structure.

Le public est invité à quitter la salle. Le président de la commission raccompagne M. François Drouin.

Avis sur la candidature à la présidence du conseil d'administration de l'établissement public OSEO - Résultat du scrutin

La commission procède ensuite au scrutin puis au dépouillement, simultané avec la commission des finances de l'Assemblée nationale, du vote sur la proposition de reconduction dans ses fonctions du président du conseil d'administration de l'établissement public OSEO.

Mme Nicole Bricq et M. Joël Bourdin sont désignés scrutateurs.

M. Jean Arthuis, président. - Voici les résultats du scrutin : sur la nomination de M. François Drouin, 14 votants, 13 suffrages exprimés, 13 voix pour, 1 abstention.

Crise financière en Europe, mise en oeuvre du mécanisme européen de stabilisation et livret A - Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la crise financière en Europe et la mise en oeuvre du mécanisme européen de stabilisation ainsi que sur le livret A.

M. Jean Arthuis, président. - Nous avons l'honneur d'accueillir Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est pour nous l'occasion de lui adresser nos voeux chaleureux et de souhaiter que la politique qu'elle pilote permette à l'économie française d'être robuste et à nos comptes publics de tendre vers l'équilibre.

Madame la ministre, nous souhaitons vous entendre sur l'accord européen intervenu pour venir en aide à l'Irlande. Vous aviez en effet pris l'engagement de nous rendre compte des dispositions arrêtées et des contreparties envisagées. Vous nous avez fait parvenir aujourd'hui à ce sujet une lettre qui va être distribuée aux membres de la commission.

Nous voulons aussi vous entendre sur votre projet de décret visant à centraliser les fonds des livrets A à la Caisse des dépôts et consignations.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. - A mon tour de vous souhaiter une bonne année et une bonne santé : nous en aurons besoin, ainsi que de courage et d'audace pour faire en sorte que notre économie soit compétitive et que nos entreprises créent de la valeur et de l'emploi.

J'ai toujours plaisir à venir devant votre commission. Vous m'auditionnez avant l'Assemblée nationale sur ce sujet, et quelques jours avant la première émission du Fonds européen de stabilité financière (FESF) institué en 2010. Ce fonds, largement doté, s'est vu attribuer la note « triple A » par les trois grandes agences de notation et l'une d'entre elles a également attribué ce « triple A » à l'émission en question.

Pour la suite, je suis optimiste mais, en même temps, je nous souhaite d'avoir du courage et de l'audace. Je suis optimiste parce que l'endettement intérieur total de la zone euro ne s'élève qu'à 224 % de notre PIB, contre 241 % aux États-Unis et 364 % au Japon. Il faut avoir ces chiffres en tête lorsqu'on s'afflige de l'endettement de la zone euro. Cependant, du fait des attaques de certains investisseurs, nous nous sommes engagés dans un processus de consolidation budgétaire visant à diminuer nos déficits publics et à inverser la trajectoire de notre dette.

Je suis également optimiste parce que, depuis 2007, l'aggravation de l'endettement a été moindre en zone euro qu'aux États-Unis, la dégradation n'étant que de 21 points de PIB contre 37. Pendant la même période, le déficit public ne se serait creusé que de 4,5 points de PIB en zone euro contre 7 points aux États-Unis. Et ces derniers n'ont pas encore engagé de politique de consolidation budgétaire, ce qui leur a valu d'être rappelés à l'ordre par certaines agences de notation : le fait de disposer d'une monnaie, le dollar - « notre monnaie, votre problème » - ne suffit pas à mériter le « triple A » ...

Compte tenu des épisodes grec et irlandais, et plus généralement des suspicions qui pèsent sur le groupe dit « GIPSY » (en anglais Greece, Ireland, Portugal, Spain, ItalY - Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie), les États de la zone euro se sont engagés dans une démarche de consolidation budgétaire. Nous devons en effet afficher notre détermination à défendre la stabilité de la zone euro, notre solidarité vis-à-vis de ses États les plus faibles et, donc, poursuivre dans la voie de la consolidation budgétaire, indispensable pour être crédible sur les marchés.

En 2010 nous avons mis en oeuvre certaines mesures en faveur de la Grèce, qui bénéficie donc d'une aide de la zone euro à hauteur de 80 milliards d'euros, dont 16,8 milliards en provenance de la France, couplée à une aide de 30 milliards du FMI. Ces aides sont assorties de conditionnalités, c'est-à-dire de l'engagement du gouvernement grec - vis-à-vis des partenaires de la zone euro, du FMI, de la BCE et de la Commission - d'améliorer la situation de ses finances publiques. La situation continuant à se dégrader, nous avons mis en place, les 9 et 10 mai 2010, à la demande du Conseil européen, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) - qui concerne la seule zone euro -, doté d'une capacité d'emprunt de 440 milliards d'euros sur trois ans, et auxquels on doit ajouter les 60 milliards d'euros d'un instrument communautaire, le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), ainsi qu'une participation de 50 % du FMI. La mise en oeuvre de ce dispositif a fait l'objet des lois de finances rectificatives du printemps dernier. Pour que le FESF obtienne la notation « triple A », nous avons dû accorder certaines contreparties, notamment des « coussins de garantie », qui font que sa capacité d'emprunt de 440 milliards d'euros ne correspond qu'à une capacité de prêt de l'ordre de 250 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent la part du mécanisme communautaire et celle du FMI. Ce Fonds, dans la mesure où il vient au secours d'un pays qui n'a plus accès au marché, est en lui-même une « transgression » des traités européens ; s'agit-il là de bail out ou non ? Le traité révisé prévoit bien que l'on n'ira pas au secours d'un Etat en faillite, mais le FESF se substitue de fait aux pays défaillants.

Ensuite, en novembre, est intervenu l'épisode irlandais. Ce pays a connu une crise de liquidité causée par la défaillance de trois de ses principaux établissements bancaires. L'État irlandais a volé à leur secours, les recapitalisant et les nationalisant quasiment. Son déficit public est monté à 32 % du PIB et sa dette publique est passée de 64 % à 90 % du PIB. Cela a bien entendu pesé sur les conditions de financement et de refinancement de l'Irlande.

Le 28 novembre, l'Europe et le FMI ont agréé un plan d'aide à ce pays de 85 milliards d'euros : 22,5 milliards du MESF, 17,7 milliards du FESF, 4,8 milliards de prêts bilatéraux - 3,8 milliards du Royaume Uni, 0,6 milliard de la Suède et 0,4 milliard du Danemark - 22,5 milliards du FMI et 17,5 milliards de l'État irlandais, notamment sur l'équivalent de notre Fonds de réserve des retraites.

De tels moyens nous permettraient d'intervenir si un pays du groupe « GIPSY » se trouvait en difficulté du fait de la perte de confiance des investisseurs ou d'attaques spéculatives. Et nos débats au sein du Conseil Ecofin visent à ce que la solidarité européenne soit dotée de moyens suffisants.

La Grèce et l'Irlande ont pris l'engagement d'assainir leurs politiques budgétaires et de restructurer leurs systèmes bancaires. La Grèce, qui a bénéficié d'un premier décaissement, a déjà subi deux vérifications, d'où il ressort que ses engagements sont tenus avec courage, compte tenu de ses anciennes habitudes de sous-déclaration fiscale et d'un certain laxisme.

Les travaux sont en cours au sein de la zone euro. Ce qui conduit les investisseurs à s'interroger sur la qualité d'emprunter de tel ou tel pays, ce sont les écarts de compétitivité et l'absence de gouvernance ou d'intégration économiques communes au sein d'une zone monétaire unique. Nous soumettrons donc au Conseil européen la question d'une plus grande intégration économique. Le Président de la République a toujours souhaité aller vers un gouvernement économique européen, mais nous avons du mal à convaincre les Allemands de son utilité. Malgré tout, nous progressons en ce sens. Ainsi, six textes sur la gouvernance économique sont en cours d'élaboration et seront débattus en 2011. Ils reprennent notamment les conclusions du groupe de travail d'Herman Van Rompuy, président du Conseil européen. Ces textes invitent à élargir le Pacte de stabilité et de croissance à la compétitivité et à la trajectoire de dette, ainsi qu'à davantage responsabiliser les États défaillants. Nous avons eu de longs débats, cet été, sur la nécessité du caractère automatique ou quasi-automatique des sanctions. La France plaide pour leur quasi-automaticité, où la « mise sous séquestre » des sommes n'est pas applicable de plein droit, mais est cependant effective dans des délais brefs, ce qui laisse aux États défaillants le temps de réagir. C'est à la majorité qualifiée inversée que ces sanctions s'appliqueraient. Cela signifie que la décision de sanction s'appliquerait sauf si une majorité qualifiée d'Etats membres rejetait la décision de sanction applicable de plein droit. Nous avons aussi défini une procédure de sanctions plus efficace. A cela s'ajoute la mise en place du « semestre européen », qui impose aux États membres de soumettre les grandes lignes de leur projet de budget national au Conseil européen avant de le présenter à leur Parlement. Car si nous avons la même monnaie, la cohérence de nos politiques économiques est indispensable.

Nous discutons aussi d'un mécanisme permanent de résolution de crise qui serait pérenne à partir de 2013 et remplacerait alors le FESF, dont la durée de vie a été fixée, lors des accords de mai 2010, à trois ans, selon le souhait de l'Allemagne. Il reprendrait les principes de ce Fonds : conditionnalités strictes imposées à l'Etat bénéficiaire, participation du FMI, contrôle trimestriel des engagements pris et de leurs résultats, participation du secteur privé, au cas par cas et selon les principes habituellement respectés par le FMI.

Au 1er janvier dernier est entré en vigueur un ensemble de réformes sur la supervision financière, et trois organismes de supervision européens ont été mis en place : un pour les banques, un pour les marchés et un pour les assurances. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, est en train de sélectionner les responsables de ces organismes.

En parallèle, l'accord de Bâle III - qui renforce les capitaux des banques et exige d'elles un minimum de liquidités - sera transcrit et entrera en vigueur en 2013, avec un échelonnement jusqu'en 2018. Cela suscite l'inquiétude des banques françaises car certains critères retenus par le Comité de Bâle les obligent à se recapitaliser fortement. Elles auront d'autant plus de mal à financer l'économie et les entreprises françaises.

Pour déterminer si les banques doivent se recapitaliser, des tests de résistance des appareils bancaires européens vont être pratiqués, vérifiant la solidité des bilans bancaires en cas de détérioration de la situation économique et de défaillance d'entreprises.

Nous avons engagé avec l'Allemagne un effort de convergence fiscale et, pour ce faire, notre Cour des comptes et son homologue d'outre-Rhin ont travaillé sur nos situations fiscales. Le Président de la République a souhaité que je travaille à d'autres rapprochements afin de mieux faire converger les niveaux de compétitivité dans l'eurozone, l'objectif étant que cette zone monétaire soit aussi une zone économique ne présentant pas de trop grands écarts de compétitivité. On constate en effet une nette corrélation entre le coût du travail dans les différents États et les taux d'intérêt de refinancement.

Je vous ai adressé aujourd'hui un courrier pour vous avertir que la première tranche d'émission du FESF pour l'Irlande aura lieu dans quelques jours, cette émission, comme le Fonds lui-même, bénéficiant d'un « triple A ».

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Les agences de notation n'ont accepté d'accorder le « triple A » au FESF que si les sommes prêtées sont inférieures aux sommes garanties par les États participants qui sont eux-mêmes notés « triple A ». La capacité de prêt est donc de l'ordre de 255 milliards d'euros, et non de 440 milliards. Si l'on y ajoute la contribution du FMI et du MESF on atteint environ 500 milliards d'euros, ce qui n'est pas suffisant pour faire face à l'ensemble des besoins de financement des trois Etats périphériques hors Grèce, à savoir l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, pour lesquels, selon les estimations disponibles, il faudrait de l'ordre de 600 milliards d'ici 2013. Sans parler de l'Italie.

L'Eurogroupe n'a pas décidé d'augmenter les moyens du FESF. Quelles ont été les positions de chacun au cours du débat et quelles sont les perspectives ?

Pouvez-vous nous confirmer que la garantie de l'État, dans le cadre du FESF, n'est ni solidaire, ni « fléchée », ce qui signifie que chaque Etat n'est responsable que pour le montant de la garantie qu'il a accordée ? Le Fonds est-il habilité à racheter des titres de dette publique sur le marché secondaire parallèlement à la BCE ?

Dans la lettre que vous nous adressez aujourd'hui, rien n'est dit sur le taux d'imposition des sociétés demandé à l'Irlande. Ce pays considérant comme attentatoire à sa souveraineté qu'on lui impose d'augmenter son impôt sur les sociétés, ne persiste-t-il pas ainsi dans une attitude non coopérative ? N'est-on pas fondé à considérer que cette situation fait douter de la crédibilité de la zone euro ?

En ce qui concerne la garantie accordée par la France, le Gouvernement entend-il la faire approuver par le Parlement ? Ou bien sommes-nous face à une véritable innovation, à savoir une garantie très substantielle, tant par le montant que par la méthode, accordée sans vote du Parlement ? Si vote il y avait, l'absence de stipulation sur l'imposition des sociétés empêcherait certains d'entre nous, dont moi-même, d'approuver cette garantie.

M. Jean Arthuis, président. - Nous avons déjà donné cette garantie à l'article 3 de la loi de finances rectificative du 7 juin 2010.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Oui, mais à l'époque nous ne connaissions pas la situation de l'Irlande ni les conditionnalités attachées. Cela signifierait-il que cette garantie s'appliquerait à tout État, en toutes circonstances ? Le rôle du Parlement serait alors purement formel...

Mme Christine Lagarde. - Sur le montant des crédits du FESF, vos chiffres sont exacts, on y retrouve le total des garanties accordées par les États de l'eurozone dotés du « triple A ». Pour l'Eurogroupe, il n'est pas question de laisser tomber l'Espagne. Les besoins de financement du Portugal sont estimés à 50 milliards d'euros, ceux de l'Espagne à bien davantage. Nous sommes collectivement déterminés à préserver la stabilité de la zone euro et, donc, de l'Espagne.

Pour augmenter les moyens du FESF, nous devons nous orienter vers un « paquet » global d'augmentation de ses capacités d'engagement et d'autres mesures encore. Et nous avons clos notre réunion de lundi sur la décision de soumettre au Conseil européen un paquet global.

La garantie accordée par l'État n'est ni solidaire ni fléchée. Le Fonds ne peut racheter des titres de dette publique sur le marché secondaire.

La France a demandé que le taux irlandais d'imposition des sociétés, actuellement de 12 %, soit majoré, la moyenne de la zone euro étant de 20 % à 22 %. Le FMI partageait notre avis mais certains États l'ont convaincu que l'Irlande devait conserver son taux afin de préserver son attractivité. L'imposition des sociétés ne devra être alourdie que lorsque la situation du pays commencera à se rétablir et c'est ce dont nous sommes convenus avec le gouvernement irlandais. Ce n'est pas lorsque la bête trébuche qu'il faut la charger. Mais, sur le plan de la doctrine, vous avez raison : si nous voulons constituer une zone économique, il nous faut être tous sur les mêmes grandes lignes fiscales.

Mme Nicole Bricq. - La crise irlandaise, qui est la crise de ses banques, a validé les doutes que nous avions exprimés sur la pertinence des tests de résistance pratiqués cet été. Une nouvelle batterie de tests est prévue en 2011, mais ils présenteront les mêmes défauts que ceux de juillet  et, notamment, celui de ne pas intégrer la liquidité dans les tests de résistance des banques. Et ils seront tout aussi opaques puisqu'ils ne seront pas rendus publics. Quelle est la position de la France à ce sujet ?

Au Conseil Ecofin, chacun est arrivé avec ses propres propositions et chacun est reparti avec. On constate un petit répit des marchés. Le Portugal a réussi l'émission de ses obligations, mais à un taux très élevé. La France et l'Allemagne ont une bonne signature, mais l'Allemagne demeure tout de même la référence. Il serait plus simple de définir un système comprenant une part d'automaticité : par exemple, lorsqu'il y a un trop grand différentiel avec l'Allemagne, on engage la solidarité européenne de manière automatique moyennant les contreparties.

Tant que nous n'aurons pas un système garantissant une lisibilité au marché, nous rencontrerons des problèmes. Or, nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur un tel mécanisme. Je crains que les difficultés reprennent lorsqu'il y aura de nouvelles émissions importantes, notamment en Espagne.

M. Joël Bourdin. - Merci pour vos explications, madame la ministre : je me réjouis que les pays européens se montrent solidaires. Mais a-t-on évalué les conséquences de ces consolidations budgétaires sur les économies, notamment en Grèce, en Irlande et au Portugal ? Tout cela s'apparente à une ponction de réparation. A-t-on mesuré les conséquences de ce cycle récessif dans ces pays et éventuellement chez nous ?

De plus, Bâle III va sans doute obérer les capacités des banques à financer les entreprises et les consommateurs. N'est-ce pas inquiétant ? Il faudrait examiner toutes les conséquences économiques des décisions prises, car nous sommes sur le fil du rasoir.

M. Jean-Jacques Jégou. - Merci pour vos explications très claires, madame la ministre.

Concernant Bâle III, je suis inquiet : nous faisons comme si Bâle III était terminé alors que tel n'est pas le cas. Après les normes IFRS (International Financial Reporting Standards, normes internationales d'information financière) voulues par les Anglo-Saxons et qui nous ont pénalisés, nous levons une seconde fois le drapeau blanc avec cet accord. On ne considère pas assez les conséquences de cette affaire. Faut-il que ceux qui ont péché nous fassent la leçon ? C'est quand même le monde anglo-saxon qui est à l'origine de la crise des subprimes et du désastre qui a suivi. Or, nous avons du mal à résister à l'édiction de normes qui vont obliger nos banques à lever des fonds propres considérables : il va falloir lever des dizaines, voire des centaines de milliards ! Le moment est mal choisi, alors que nous essayons de redresser notre économie. A-t-on encore une capacité de résistance à ces chiffres qui semblent totalement disproportionnés par rapport à nos moyens ?

M. Albéric de Montgolfier. - Le Parlement irlandais a-t-il été associé à la question des conditionnalités ou bien la question ne s'est-elle réglée qu'entre le gouvernement irlandais et la Commission ? Que se passerait-il si le Parlement irlandais refusait ces mesures ?

M. François Fortassin. - L'Irlande a été longtemps dans une situation très précaire et soudainement, ce pays est passé de l'âge de la pomme de terre à la réussite absolue en matière de développement des entreprises, au point qu'il était cité en exemple par tous les libéraux. Puis la crise est arrivée...

Il y a peu, on nous a dit que l'Italie était protégée : son réseau de petites banques privées serait en très bonne santé car soutenu par la mafia. Y a-t-il beaucoup de pays dans ce cas ?

Enfin, quel est le risque de voir la Chine voler au secours de tous les pays en difficulté ?

M. Éric Doligé. - Comme le rapporteur général, je voulais également vous interroger sur le rôle du Parlement irlandais.

Dans le cadre de la convergence des politiques des prélèvements obligatoires, nous allons faire des efforts pour nous rapprocher de nos voisins allemands. Mais quel en sera exactement le périmètre fiscal ? Va-t-on déborder sur le social et jusqu'où ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - J'ai été très intéressé par votre intervention.

Restent néanmoins trois inconnues. Tout d'abord, on ne parle jamais des balances commerciales. Or, la grande différence entre l'Allemagne et notre pays, qui sont tous les deux « triple A », c'est que notre déficit commercial s'aggrave alors que l'excédent commercial de notre voisin augmente : cela va finir par poser de sérieux problèmes.

Deuxième inconnue : je vois bien les rôles respectifs du FESF, du MESF et du FMI. En revanche, je vois moins bien celui de la BCE qui, au mépris de ses statuts et malgré ce qu'a dit M. Trichet depuis de nombreuses années, achète de la dette publique. L'année dernière, il y avait un merveilleux colloque à la Banque de France pour savoir s'il fallait ou non monétariser les dettes publiques. Bien évidemment, tous les hauts personnages présents ont répondu par la négative. Dans le cadre des négociations, interroge-t-on le président de la BCE sur ses orientations en matière d'achat ?

Troisième inconnue : je crains que le Portugal se drape dans sa dignité et déclare qu'il n'aura pas besoin du fonds. Mais il a tiré la semaine dernière 1,5 milliard d'euros et son besoin est évalué à 50 milliards. En cours d'année, ce pays ne viendra-t-il pas solliciter le fonds ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Quel est l'état des divergences franco-allemandes sur les sujets que vous avez évoqués ?

Nous nous inquiétons de la fiscalité irlandaise sur les entreprises, qui est trop basse, mais nous nous inquiétons aussi de la fiscalité trop haute que les Hongrois viennent d'instaurer sur les grandes entreprises internationales, même s'ils se défendent de les viser spécifiquement.

M. Yann Gaillard. - Au début de votre exposé, vous avez remarqué qu'on avait été beaucoup plus sévère pour l'Europe que pour les États-Unis ou le Japon. Est-ce un regret ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Certes, au titre de la stabilité financière de la zone euro, il fallait aider l'Irlande, mais dispose-t-on du bilan des engagements pris en 2010 ?

La présidence française du G20 ne pourrait-elle se saisir du sujet évoqué par mon collègue Gaillard ?

M. François Marc. - Les discussions européennes intègrent-elles la stratégie américaine ? Il se dit que les rumeurs qui viennent d'outre-Atlantique mettent à mal, nous le savons, l'économie de certains pays européens. Tout cela ne relève-t-il pas d'une forme d'action stratégique des États-Unis s'appuyant sur les médias et sur la sphère financière afin d'affaiblir l'Europe ?

M. Jean Arthuis, président. - Une observation sur le niveau d'endettement des différents pays : ne devrions-nous pas tenir compte de la dette extérieure, c'est-à-dire de la dette portée par des investisseurs étrangers ? En ce qui concerne le Japon, par exemple, sa dette publique est portée par les Japonais eux-mêmes, ce qui est moins grave en termes d'indépendance nationale qu'une dette intégralement portée par des investisseurs étrangers.

Sur les stress tests, tiendra-t-on compte de la nouvelle appréciation des dettes souveraines dans le jugement que l'on portera sur les différentes banques ? Les évènements récents éclairent d'un jour nouveau ces dettes souveraines et leur crédibilité.

S'agissant de l'Europe, a-t-on voulu aider l'Irlande et la Grèce, ou d'abord les banques détentrices de dettes souveraines ? N'a-t-on finalement pas autant prévenu un risque systémique bancaire que participé à un plan de redressement dans les différents Etats concernés ? L'Europe, qui consent à venir au secours des États en difficulté, a-t-elle les moyens de créer une sorte d'administration judiciaire pour enclencher le processus de redressement ? Si tel n'est pas le cas, chaque débiteur invoquera sa souveraineté pour faire ce qu'il veut, y compris en matière fiscale, et nous irons de difficultés en difficultés. En d'autres termes, la gouvernance européenne est-elle en phase avec l'acuité des problèmes actuels ?

Mme Christine Lagarde. - Merci pour toutes ces questions.

Je répondrai d'abord à Mme Bricq : sur les trois banques irlandaises, deux avaient été testées et il apparaissait que leur situation allait se dégrader très rapidement. Nous avions retenu comme principe de tester 50 % du tissu bancaire dans chacun des États, dans un souci de rapidité.

Au cours du premier semestre, nous allons d'ailleurs conduire de nouveaux tests bien meilleurs à tous les points de vue. Dans certains pays, les tests précédents n'ont pas été effectués avec suffisamment de sérieux et je pense que l'Irlande se range dans cette catégorie.

De nouveaux tests vont donc être lancés : instruits par l'expérience précédente, ils seront menés sous l'autorité de l'Autorité bancaire européenne (ABE). Chacun des gouverneurs ou des instances de supervision spécifique rendra compte à cette autorité européenne de coordination. Enfin, la BCE garantira le sérieux des analyses. Nous l'avons interrogée lundi au sein de l'Eurogroupe et encore mardi matin lors du Conseil Ecofin : elle nous a garanti disposer de mécanismes permettant de vérifier la qualité et le sérieux des tests effectués dans chacun des pays et dans chacun des établissements bancaires.

En ce qui concerne l'appréciation des dettes souveraines, nous ne retenons pas l'hypothèse d'un défaut d'un Etat. Il y aura une décote appliquée, qui ne sera sans doute pas publiée en l'état, car ce serait un mauvais signal à donner au marché.

Sur le test de la liquidité, je ne puis que répéter ce qui m'est dit, car je ne suis pas une orfèvre en la matière. La BCE et l'ABE estiment que cette notion est très difficile à appréhender. Selon que l'on se situe en T0, en T+1 ou en T+2, les résultats peuvent être très variables. C'est pour cette raison que ces deux instances et la Commission se rallient à l'idée de faire une appréciation de la liquidité, mais en la séparant des tests et de leur publication pour que ce soient les superviseurs et l'autorité européenne de supervision qui déterminent si les banques ont suffisamment de liquidités ou pas, mais sans procéder à une publication, comme cela sera le cas pour les autres tests, qui portent sur la solvabilité. Je fais confiance à ces instances et au Trésor français, qui considèrent que cette entreprise pourrait se révéler hasardeuse dans son intégrité et dangereuse dans ses résultats, d'autant plus que, parallèlement, les Américains ne se sont jamais lancés dans des tests de cette nature.

Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas une raison.

Mme Christine Lagarde. - Certes, mais ce n'est pas non plus une raison pour se mettre dans une situation de désavantage compétitif ! C'est d'autant plus vrai que nous avons dû utiliser les principes comptables américains, que Bâle II n'a pas été pleinement appliqué de l'autre côté de l'Atlantique et que les tests de résistance ont été confortables pour les établissements bancaires américains.

Votre idée du soutien systématique européen, dans l'hypothèse d'un écart de taux qui dépasserait un certain seuil, est intéressante : mais aujourd'hui, le fonds ne fonctionne que lorsque le pays ne peut plus avoir recours au marché. Reste à savoir si le fonds peut être utilisé comme ligne de précaution lorsque le marché est encore ouvert mais à des taux si exorbitants que cela devient impossible pour le pays de s'endetter dans de telles conditions.

M. Jean Arthuis, président. - C'est pourquoi il faut mettre en oeuvre une administration judicaire !

Mme Christine Lagarde. - Cela pose effectivement le problème de la gouvernance de la zone euro : il faut savoir quel est le pilote de l'avion, et de quelle administration judiciaire et de quelle capacité d'audit nous disposons lorsque l'on met en place des programmes de ce type.

M. Jean Arthuis, président. - En outre, Eurostat est complètement défaillant !

Mme Christine Lagarde. - Non, il s'agit d'un organisme technique qui agrège l'ensemble des autorités dites indépendantes. Ainsi, Eurostat est allé faire des vérifications sur place en Grèce à plusieurs reprises et a émis des réserves, mais vu la manière dont étaient collectée l'information et alimenté l'appareil statistique grec, Eurostat ne pouvait pas faire mieux !

M. Bourdin m'a interrogé sur ce qu'il a assimilé à un « effet réparations » sur les économies. Des travaux sont menés sous l'égide conjointe du FMI et de la Commission pour tester le seuil au-delà duquel il serait déraisonnable d'aller trop loin en demandant à un pays de rester dans les clous d'un déficit acceptable. Ces études ont donné lieu à des débats entre le FMI et la BCE, qui ne disposaient pas du même type d'études. Le FMI a finalement réussi à convaincre qu'il ne fallait pas demander un retour à moins de 3 points de PIB de déficits en 2014, comme le souhaitait la BCE, mais en 2015, car la soutenabilité de la dette et du programme n'étaient pas envisageables pour ce pays à l'échéance de 2014.

Je ne suis pas trop inquiète car les exigences à l'égard de la Grèce restent soutenables. De plus, la contribution grecque à l'ensemble du PIB européen ne met pas d'autres pays en réel danger.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur l'application de Bâle III, notamment sur les ponctions sur la capacité de financement des banques. Le risque est réel. Les exigences posées par Bâle III sont bonnes dans leur principe : les banques ne doivent plus prendre des risques inconsidérés avec des bases trop faibles. Ce ne sont pas les Anglo-saxons qui sont à l'origine des exigences de Bâle III : ce sont plus les superviseurs des pays associés, notamment la Suisse, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Les trois superviseurs de ces pays ont voulu placer la barre très haut et réduire les délais car leurs banques se sont trouvées très exposées. Nous, nous avons résisté et nous nous sommes parfois alliés avec les Américains, surtout pour ce qui concerne le critère de liquidité. Nous avons collectivement résisté avec les Japonais, parfois avec les Américains, occasionnellement avec les Allemands. Nous avons essayé de décaler les mesures dans le temps et de prévoir plusieurs étapes pour l'application du ratio de liquidité.

Il y a en outre tout un débat sur la définition des établissements systémiques et des établissements globalement systémiques auxquels s'appliqueront par priorité l'ensemble des critères. Nous avons cette discussion au sein du Conseil de stabilité financière, qui a pour mission de rédiger ces définitions : ne nous faisons pas d'illusions, nos banques seront concernées car elles sont importantes, consolidées et ont une stature mondiale. Il va falloir trouver la façon de soutenir la croissance de nos entreprises tout en rendant le système bancaire et financier plus sain.

Nous restons extrêmement vigilants car les accords de Bâle III vont devoir être transcrits dans la réglementation européenne. J'ai demandé à la Commission de vérifier que l'application de ces accords soit uniforme. Il ne faut pas que les États-Unis ne les appliquent que partiellement, comme lors de Bâle II. Nous devons être sur un terrain d'égalité. Lors du G20 de Séoul, le président Obama s'est par écrit engagé auprès de tous ses collègues à ce que les États-Unis appliquent les accords de Bâle III à la date requise.

Pour l'Irlande, les conditionnalités ont été transcrites dans un projet de loi qui a été soumis avec le budget au Parlement irlandais. L'État s'est donc engagé, ce qui est une bonne chose car certains gouvernements, à l'occasion d'un changement, s'exonèrent des engagements pris par leur prédécesseur. Ce fut le cas en Slovaquie.

M. Fortassin m'a interrogé sur le passage de la pomme de terre aux centres d'appels et aux usines d'assemblage. Certes, l'Irlande a connu un développement exceptionnel, mais celui-ci est malheureusement allé de pair avec une bulle immobilière qui a été catastrophique pour son secteur bancaire et financier.

A en croire le gouverneur de la banque centrale italienne et le ministre des finances, M. Tremonti, le système bancaire italien est solide. Dans ces conditions, les risques sont moins élevés dans ce pays, même si sa dette extérieure est beaucoup plus importante que celle de l'Espagne. Le tissu bancaire et économique italien est globalement plus solide, avec un modèle plus équilibré et un système bancaire mieux supervisé. Ce ministre a l'habitude de dire que les banques italiennes n'ont pas connu la crise parce qu'elles ne parlent pas anglais et qu'elles n'ont pas d'ordinateurs.

Le rôle de la Chine évolue, surtout avec le Portugal, la Grèce et l'Espagne, et les contreparties sont incertaines et mal connues. La Chine se positionne très clairement sur le marché de la dette souveraine européenne. Ce pays veut devenir un prêteur international et rivaliser avec les États-Unis. En outre, il souhaite répartir ses zones de risques pour être moins exposé au risque dollar. Enfin, la Chine veut s'implanter sur un territoire qui dispose de grandes zones portuaires et de capacités de retour sur investissement, tel que l'accès à des technologies de pointe.

Monsieur Doligé, l'Irlande a pris beaucoup d'engagements fiscaux dans le cadre des conditionnalités, notamment en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les impôts indirects. En revanche, ce pays a refusé d'augmenter son impôt sur les sociétés. Nous n'avons pas voulu faire porter les discussions sur les charges sociales, car la différence entre l'Irlande et les autres pays européens n'est pas aussi importante.

J'en viens à l'écart de la balance commerciale entre l'Allemagne et la France. J'avais lancé une controverse outre-Rhin en disant que tout le monde devait faire un effort de rapprochement, ceux des pays qui étaient en déficit devaient être les premiers à en faire mais ceux qui se trouvaient en excédent manifeste devaient aussi apporter leur pierre à l'édifice commun. La politique économique allemande actuelle, avec l'augmentation de la consommation intérieure et la hausse des salaires, va dans ce sens. Nous allons assister à un rééquilibrage du modèle de croissance de l'Allemagne, dont la consommation intérieure permettra de tirer la machine européenne.

A chaque fois que l'on négocie avec un État, à chaque fois que l'on met en place un programme de stabilisation, la BCE intervient et elle joue un rôle très important dans les débats et les alertes. Ce sera d'autant plus le cas si elle préside le Comité européen du risque systémique. Depuis maintenant cinq ou six mois, elle joue un rôle manifeste en rachetant du papier sur le marché primaire. Ce fut encore le cas la semaine dernière lorsqu'elle a racheté du papier portugais.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Va-t-elle continuer à racheter en dépit de ses statuts ?

Mme Christine Lagarde. - Cette tolérance nécessaire évoluera en fonction des efforts de chacun dans le cadre d'un paquet global. Je ne peux parler à la place de la BCE, vous le savez bien.

M. Bernard-Reymond a évoqué les divergences franco-allemandes. Nous avons beaucoup plus de convergences que de divergences aujourd'hui. Ces dernières, sur lesquelles j'espère que nous progresserons rapidement, ont trait au rôle du fonds européen de stabilité : comment doit-il s'engager, quelle est la participation du secteur privé en cas de défaillance d'un État, quelle doit-être la taille de l'instrument ? A chaque fois, la chancelière allemande doit se tourner vers chacun des membres de sa coalition pour savoir quelle est sa marge de manoeuvre. En revanche, je ne doute pas de la détermination allemande pour défendre la zone euro.

Juste avant de prendre la présidence européenne, le ministre des finances hongrois est venu me voir et un médiateur a été nommé. On nous dit que les règles fiscales de son pays ne sont pas discriminatoires à l'égard des entreprises étrangères mais, curieusement, ce sont exclusivement ces dernières qui sont touchées. J'espère que le médiateur fera des propositions avant la fin de la présidence hongroise, afin que l'on dispose d'un effet de levier. Nous serons également très attentifs sur la réforme du système de retraites hongrois, notamment son deuxième pilier.

Y a-t-il un complot américain ou de certains financiers à l'encontre de l'Europe, alors que les résultats de cette dernière sont plutôt supérieurs à ceux des États-Unis et du Japon ? Pour moi, la raison est plutôt d'ordre culturel. Les investisseurs ont beaucoup de mal à comprendre ce qui se passe chez nous. J'ai rencontré divers investisseurs à New York et à Singapour : ils sont très sceptiques sur notre mode de fonctionnement, sur la pérennité de notre gouvernance et sur la détermination franco-allemande. Notre façon de communiquer nous dessert considérablement. J'ai rencontré les deux grands fonds souverains singapouriens : ils ne nous comprennent pas et c'est pourquoi nous ne sommes pas aussi bien traités que nous devrions l'être.

Bien évidemment, le lien avec le G20 est indispensable et l'agenda du Président de la République est parfaitement cohérent avec notre souci de la stabilité.

M. Arthuis m'a demandé si nous avions aidé les pays ou les banques. Ne croyez-vous pas plutôt que risques bancaires et risques souverains sont étroitement liés ? Aucun État ne peut prendre le risque de se désintéresser de l'épargne de ses concitoyens, et c'était toute la vertu du discours de Toulon prononcé par le Président de la République qui avait annoncé, très tôt dans la crise, que le Gouvernement ne laisserait pas tomber les banques, et que l'épargne des Français ne serait jamais en péril.

M. Jean Arthuis, président. - Il faut peut être mieux contrôler les banques et éviter les concentrations excessives pour répartir les risques ; à moins qu'il ne faille les nationaliser !

Le problème des banques, c'est aussi celui de la liquidité. Et la liquidité peut provenir de l'ouverture de livrets d'épargne règlementée.

Mme Nicole Bricq. - Belle transition !

M. Jean Arthuis, président. - Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le décret que vous vous apprêtez à promulguer à propos de la centralisation du livret A ?

Mme Christine Lagarde. - Le Gouvernement soutient la construction de logements sociaux : en 2010, environ 120 000 logements ont été mis en chantier, comme en 2009. En 2008, le chiffre était un peu inférieur. Comparez ces données à la moyenne des mises en chantier des vingt années précédentes. Il ne peut venir à l'idée de personne de douter de la détermination du Gouvernement de favoriser le logement social. Les collectivités locales financent ces logements, mais l'État apporte sa pierre à l'édifice.

La loi de modernisation de l'économie (LME), qui a favorisé la banalisation du livret A en en confiant l'ouverture et la collecte au réseau bancaire, a été couronnée de succès, puisque la collecte supplémentaire a été de 25 milliards d'euros, ce qui a clairement favorisé la centralisation auprès de la Caisse des dépôts.

La LME prévoit le surfinancement du logement social, puisqu'elle instaure une centralisation d'au moins 125% - il s'agit d'un plancher - des besoins de financement du logement social et de la politique de la ville. Un droit de tirage sans plafond est donc bien prévu.

Dans le décret que j'ai mis en consultation, j'ai prévu le respect de ces 125 %, mais aussi une hypothèse de croissance de la collecte un peu optimiste. Nous faisons donc comme si la collecte augmentait chaque année de 2 % pour déterminer le taux de centralisation. Reste le débat sur les 70 % ou les 65 % ou moins. Certaines banques voudraient même abaisser ce taux alors que la Caisse des dépôts milite pour plus, arguant qu'elle a une obligation d'intérêt général, qui est le financement du logement social et de la politique de la ville. Compte tenu des chiffrages que nous avons reçus de la Caisse des dépôts, du secrétariat d'Etat au logement, de M. Repentin, ou encore de la fondation Abbé Pierre, nous irons à 70 % lorsque la Caisse des dépôts en aura vraiment besoin. Toute la question est de savoir à quel moment nous arriverons à ce pourcentage. La Caisse nous dit qu'elle a d'autres programmes à financer, notamment ceux qui concernent les universités, les transports en commun, le numérique et les hôpitaux. Certes, mais, aujourd'hui, 67 milliards sont disponibles et ils n'ont pas encore été dépensés. Par exemple, l'enveloppe des universités s'élève à 12 milliards. Or, seuls 2 milliards ont été engagés.

Comme il faut permettre à la Caisse des dépôts de financer le logement social et d'autres projets, tout en sachant que les banques vont être sous tension, soumises à Bâle III, à l'exigence de liquidité et aux stress tests, nous devons nous montrer raisonnables et monter progressivement de 65 % à 70 % en fonction des besoins de la Caisse des dépôts, avec la garantie du plancher de 125 % et la hausse notionnelle de 2 % de la collecte.

Mme Nicole Bricq. - J'ai lu les comptes-rendus des auditions qui ont été organisées à l'Assemblée nationale. La presse a présenté cette affaire comme un bras de fer entre les banques et la Caisse des dépôts. Comme il s'agit d'une épargne défiscalisée, il est normal que l'État fasse des propositions, mais vous savez aussi, madame la ministre, qu'aujourd'hui, nous sommes plutôt à 62 % ou à 63 %.

Il y a eu un boom de l'épargne défiscalisée, notamment quand les taux ont augmenté. Dans vos prévisions, j'imagine que vous intégrez le fait que la rémunération va passer à 2 % le 1er février. Le Sénat a beaucoup insisté sur le fléchage des sommes non centralisées auprès de la Caisse des dépôts par les banques qui avaient accès à ces nouvelles liquidités. La commission des finances a travaillé sur ce fléchage, et elle n'a pu dire si les banques avaient rempli leurs obligations. Elle est d'ailleurs plutôt sûre du contraire. Aujourd'hui, les banques nous disent que si nous chargeons trop la barque, elles ne financeront plus l'économie réelle. Mais nous n'avons pas la preuve qu'elles ont respecté leurs engagements, et un bilan détaillé n'a jamais été fourni au Parlement.

Quand nous avons examiné en 2009 la proposition de loi de Mme Brunel, députée, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises, nous avons auditionné le gouverneur de la Banque de France pour savoir si ces fonds non centralisés étaient utilisés pour financer les entreprises. Il nous a répondu qu'il n'était pas possible de connaître l'exacte répartition de ces fonds. Hier, vous avez été interrogée sur ce même sujet à la commission des finances de l'Assemblée nationale et vous avez répondu exactement comme M. Noyer il y a deux ans ! Nous ne savons donc toujours pas si les banques ont respecté leur engagement légal. A l'initiative de notre collègue Marini, nous avons renforcé les sanctions. A ma connaissance, seules la Poste et ING Direct ont reversé à la centralisation. Il y a donc une forte suspicion de départ.

Or, M. Pérol a dit à l'Assemblée nationale que « la partie centralisée de l'épargne des livret A ne figure pas, par définition, au bilan des banques. L'intérêt de ces dernières est donc que la partie non centralisée soit la plus importante possible ». Le livret A est-il fait pour garantir un niveau de fonds propres élevé aux banques ? Bien sûr que non ! Je considère donc cette déclaration comme une provocation, puisqu'on ne sait toujours pas si les banques financent l'économie réelle alors que la loi les y oblige, et que, parallèlement, elles affichent leur souhait d'avoir davantage de fonds propres grâce au livret A. Les propositions de la Caisse des dépôts correspondent à un taux de centralisation compatible avec les engagements qui ont été pris.

N'oublions pas que, lorsque les banques ont été en difficulté en 2008, ce sont les fonds d'épargne qui sont venus à leur aide à hauteur de 16,5 milliards. A partir de là, il faut établir un calendrier précis, sans compter que Bruxelles va regarder de très près les conditions de la concurrence. A l'époque, la Commission européenne avait validé le dispositif puisqu'il s'agissait d'une épargne défiscalisée.

M. Jean Arthuis, président. - La Caisse des dépôts n'a pas le monopole du financement du logement social. Des réseaux bancaires participent au financement des bailleurs sociaux. Votre décret en tiendra-t-il compte ? Je préside un office HLM et dans les appels à concurrence, il peut arriver que divers organismes soient compétitifs et ils financent le logement social.

Mme Christine Lagarde. - Le taux actuel de centralisation est de 65 %, si l'on inclut le livret postal. Mon décret prévoit que, si d'aventure il y avait une décollecte ou si le livret ne restait pas centralisé dans les mêmes proportions auprès de la Caisse, les banques devraient compenser à l'euro près ce qui serait retiré par La Poste. Mécaniquement, on atteindrait donc 65 %.

M. Jean Arthuis, président. - S'agit-il d'un taux global ou d'un taux banque par banque ?

Mme Christine Lagarde. - D'un taux global car le taux de centralisation de certaines banques est beaucoup plus élevé.

Mme Nicole Bricq. - Il faut également tenir compte des adjudications...

Mme Christine Lagarde. - S'agissant de la rémunération des banques, j'ai publié un décret abaissant leur taux de commission de 0,6 % à 0,5 %. Les banques ne sont pas des enfants de choeur : elles vont travailler sur des produits et des segments qui leur rapportent.

Mme Nicole Bricq. - Michel Camdessus préconisait un taux de 0,4 % ...

Mme Christine Lagarde. - Soit, mais le rapport Camdessus n'est pas forcément parole d'évangile ! Et d'autres produits sont commercialisés à des taux bien plus élevé que 0,5 % ... Si on réduit leur commission, tout en leur demandant de centraliser de façon massive, il faut prendre garde de ne pas émousser l'incitation à commercialiser des livrets A : ce ne serait pas bon pour le financement du logement social.

Madame Bricq, nous ne disposons pas d'outils efficaces pour mesurer le financement des PME par les banques. Le gouverneur de la Banque de France m'a indiqué arriver à la fin d'un programme d'investissement informatique permettant une analyse secteur par secteur, catégorie par catégorie, entreprise par entreprise, des financements réalisés par une banque. Toutefois, la situation n'est pas satisfaisante. Je proposerai donc au Président de la République et au Premier ministre des mesures d'évaluation plus fines. De fait, on ne peut pas exiger des banques de financer les PME tout en se contentant de mesurer leur participation à la seule aune de leurs déclarations. Si l'encours de crédits aux PME a progressé de 3,9 % en France, contre 2 % en moyenne dans la zone euro, nous devons impérativement tracer ces financements de manière plus fiable qu'aujourd'hui.

M. Jean Arthuis, président. - Merci à Madame la ministre de nous avoir éclairés sur les modalités de redressement des pays de la zone euro, confrontés à des difficultés que l'on veut croire momentanées, et sur les mécanismes de centralisation des livrets d'épargne réglementée, qui pèsent dans le patrimoine des Français, vers la Caisse des dépôts et consignations.