Mercredi 2 mars 2011

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Bioéthique - Audition de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'agence de la biomédecine

Mme Muguette Dini, présidente. - Je remercie Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l'agence de la biomédecine, de revenir devant notre commission après nos échanges de l'an dernier dans le cadre de nos travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique.

M. Alain Milon, rapporteur. - Madame, avant d'en venir à des questions plus précises, pourriez-vous nous présenter brièvement l'agence de la biomédecine et son articulation avec l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'agence de la biomédecine. - L'agence de la biomédecine est un établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle de la direction générale de la santé - elle n'est donc pas une autorité administrative indépendante. Lors des débats sur la loi de bioéthique en 2004, on avait hésité entre la création d'une nouvelle agence ou la fusion avec une instance pré-existante. La seconde option a été finalement retenue : l'agence a repris les missions de l'établissement français des greffes. Ce dernier avait succédé en 1994, dans un contexte de scandales sanitaires, à l'importante association France Transplant du professeur Jean Dausset.

La transplantation a une histoire ancienne dans notre pays, fruit de l'adhésion des Français à l'hôpital. Cette histoire est marquée par des prouesses médicales qui ont parfois tenu du miracle - les premières greffes du rein dans les années cinquante, puis la première transplantation cardiaque réalisée par le professeur Cabrol en mai 1968 avant les greffes de foie dans les années soixante-dix. Ce sont d'abord les professionnels qui ont cherché à mettre en relation donneurs et receveurs. Après la loi Lafay de 1949 qui visait à faciliter les dons de cornée pour réparer les blessures des soldats, la loi du sénateur Caillavet de 1976 a posé la règle du consentement présumé au don d'organe. Ce modèle français du don après la mort constitue le prolongement posthume de la valeur de solidarité inscrite dans notre devise républicaine. En 2004, l'idée était d'asseoir sur ce socle de valeurs les nouvelles missions de l'agence en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaines, moins éloignées qu'il n'y paraît du prélèvement et de la greffe.

Elle est l'une des plus petites agences françaises, avec 260 personnes dont seulement sept emplois hors plafond, sur financements propres ou européens. Si le personnel est, pour l'essentiel, concentré au siège, qui se trouve à la Plaine Saint-Denis où l'Etat a rassemblé plusieurs agences sanitaires, quatre-vingts personnes sont réparties sur le territoire national afin d'intervenir dans la régulation du prélèvement d'organes et l'appui à la greffe auprès des équipes hospitalières. Enfin, si nos effectifs sont constitués pour une large part de personnels médicaux, nous comptons également une équipe de biostatisticiens, d'épidémiologistes, d'assistants de recherche clinique et de techniciens de recherche clinique qui aident l'agence à accomplir sa mission d'évaluation. Notre budget représente 70 millions, dont 45 millions de subventions - un tiers provenant de l'Etat, deux tiers de l'assurance maladie - et 25 millions d'autofinancement pour le registre « France greffe de moelle ». Celui-ci a rejoint l'agence en 2006 ; il met en relation les donneurs et receveurs des cellules souches hématopoïétiques, qu'elles proviennent du sang placentaire ou de la moelle osseuse.

L'agence a pour mission d'accompagner, d'encadrer, d'évaluer et de promouvoir les activités de prélèvement et de greffe d'organes, de tissus et de cellules, ainsi que les activités de procréation, d'embryologie et de génétique humaines.

Accompagner, cela signifie tenir la liste d'attente des greffes. De fait, l'inscription au registre est obligatoire pour le prélèvement et la transplantation, la mise en relation étant assurée par un système informatisé - la logique est la même pour le registre « France greffe de moelle ». Nous apportons également une aide aux professionnels, notamment lorsqu'ils rencontrent des difficultés financières ou de tarification avec la tarification à l'activité (T2A). L'agence réunit d'ailleurs régulièrement des groupes de travail rassemblant plus de mille experts pour améliorer les pratiques.

Une deuxième mission est d'encadrer, via l'élaboration avec les professionnels, les instances de l'agence puis les tutelles, de recommandations et de règles de bonnes pratiques - seules les secondes, qui font l'objet d'un arrêté du ministre, sont contraignantes - en collaboration avec l'Afssaps pour les tissus et cellules et, également, avec la Haute Autorité de santé, la HAS. Encadrer, c'est participer aux décisions d'autorisations sanitaires délivrées par les agences régionales de santé (ARS). De fait, nous sommes consultés sur les autorisations des équipes de greffe, de PMA - procréation médicale assistée - et des centres DPI - diagnostic préimplantatoire. Depuis 2004, ce système d'autorisations à titre collectif est complété par des agréments individuels pour les praticiens dans les domaines de la PMA et du DPI que nous avons la charge de délivrer - la procédure administrative semble donc un peu lourde.

Autre mission : évaluer les activités dont nous avons la charge. Chacune des équipes est tenue de nous transmettre ses résultats que notre département statistique, composé de vingt-cinq personnes, analyse au regard d'une moyenne attendue calculée selon les contraintes propres à l'équipe. Si elle n'est pas atteinte, nous contactons l'équipe afin de chercher à comprendre pourquoi et y remédier. Si les difficultés persistent, nous nous rapprochons des autorités sanitaires pour envisager d'éventuelles mesures coercitives, voire un retrait de l'autorisation.

Enfin, nous devons aussi promouvoir le don d'organes, de tissus et de cellules, ainsi que le don de gamètes. Nous consacrons 7 millions par an à la promotion. Lors de la campagne de juin dernier, le slogan était « Pour sauver des vies, il faut l'avoir dit ». Cette année, nous mettrons l'accent sur le don de moelle osseuse pour inciter à l'inscription sur le registre. Nous avons également beaucoup investi dans internet via la création de sites pédagogiques et promotionnels.

M. Alain Milon, rapporteur. - Comment sont tenus les fichiers des greffes ? Quelles améliorations apporter ? Est-il envisageable d'aller vers des fichiers européens, voire mondiaux ? Ensuite, quel est l'intérêt quantitatif des dons croisés ? Le principe de l'anonymat du don doit-il toujours primer sur l'accès aux origines ? Enfin, n'y a-t-il pas d'autres moyens plus simples, telle l'inscription sur la carte Vitale, pour connaître les volontés des personnes sur le don ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - L'inscription sur la liste nationale d'attente des greffes relève d'une décision strictement médicale dans laquelle n'intervient pas l'agence de la biomédecine. Les fiches des receveurs, qui comprennent entre sept cents et mille indications biologiques, sont centralisées sur la base Cristal. Les fiches des donneurs, qu'il s'agisse de donneurs vivants ou post mortem, comportent, elles, sept cents indications biologiques. La base Cristal croise ensuite les fiches des donneurs et des receveurs. Au terme d'un grand débat sur l'attribution des organes en 1995, ont été retenus pour critères le degré d'urgence, la difficulté d'accès à la greffe en raison, notamment, de l'appartenance à un groupe sanguin extrêmement rare, tel le groupe B, et, enfin, les enfants - à morphologie égale, un enfant sera toujours prioritaire. Quant au registre « France greffe de moelle » pour les cellules, il recense tous les receveurs et, surtout, les donneurs et les greffons de sang placentaire.

Les listes sont-elles interconnectées ? Il existe des systèmes européens, mais ceux-ci sont limités aux greffes d'organes pour lesquelles on ne trouve pas forcément de receveur. C'est le cas de la greffe cardiaque pédiatrique - la cage thoracique d'un enfant est réduite. Si un coeur est disponible en France à la suite d'un accident, qui est toujours un drame, nous nous connectons avec la Suisse pour chercher un receveur. Le délai maximal entre le moment où l'artère est coupée, puis branchée étant de quatre heures, c'est une contrainte dont nous devons tenir compte. Il existe également un système frontalier avec la Suisse pour les greffes de foie et un autre entre le Sud de la France et l'Espagne. La directive sur les dons d'organes, adoptée en juin dernier, encourage ce type de dispositifs. L'attribution des organes répond à un impératif d'équité - donner à ceux qui en ont le plus besoin - mais également d'efficacité - il ne faut pas perdre un organe, un bien rare et précieux. Eurotransplant, qui associe les pays rhénans - Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Allemagne - jusqu'à l'Autriche, la Croatie et la Slovénie, enregistre un taux d'allocation européenne, c'est-à-dire hors du pays du donneur, de 20 %.

Concernant les dons croisés, nous avons fait des simulations à partir du nombre de donneurs familiaux qui se présentent spontanément mais ne sont pas compatibles. Entre cinquante et cent donneurs sont écartés chaque année, que nous pourrions récupérer.

L'anonymat est un principe fondateur, sauf pour les donneurs vivants apparentés. Cela dit, il a toujours été atténué par l'établissement français des greffes puis par l'agence : si tel est le souhait des familles, les équipes hospitalières de prélèvement peuvent transmettre des informations sur les personnes greffées et leur situation. Cela aide certaines personnes à surmonter le deuil, après un drame aussi difficile que la perte d'un enfant. A l'inverse, d'autres familles ne le souhaitent pas et il faut être très attentif à leur position. Pour les dons de cellules et de moelle osseuse où l'interconnexion est mondiale, la pratique est la même : on connaît l'origine du don, parfois le sexe du donneur. Un de mes amis sait ainsi que sa fille a été soignée grâce à un donneur canadien. De nombreux pays n'appliquent pas la règle de l'anonymat ou la lèvent ensuite partiellement. On y assiste parfois à des scènes télévisées de rencontres entre la famille du petit donneur et les enfants sauvés grâce au don des organes. Ces scènes choquent les Français ; elles leur paraissent insupportables, les tests que nous avons effectués le montrent.

Mme Sylvie Desmarescaux. - L'anonymat étant levé dans certains pays, un receveur de pays tiers, sachant que le don provient de France, ne va-t-il pas chercher à connaître l'identité du donneur ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - C'est une difficulté : lorsque certains receveurs allemands ou américains insistent pour savoir, nous leur répondons que la loi française l'interdit. Chacun doit respecter les lois de l'autre. Les civilisations, les cultures sont différentes, c'est là l'une des difficultés de la bioéthique. Quant aux Cecos - les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme -, le professeur Georges David, qui les a créés, n'avait pas pensé à la question de l'accès aux origines : pour lui, ces centres permettaient seulement à un couple d'en aider un autre. Puis la pratique s'est alignée sur celles des dons d'organes et de cellules sans que l'on introduise cette espèce d'humanité qui prévaut pour l'information sur la provenance des greffons. En fait, la situation varie selon les équipes : certaines sont très strictes, d'autres plus ouvertes.

M. Guy Fischer. - En matière de don, où se situe la France au sein de l'Union européenne ? Ensuite, pour lancer le débat, que pensez-vous du projet de loi de bioéthique tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale ? Pensez-vous qu'il faille en rester au statu quo ou aller plus loin dans les domaines de la recherche sur l'embryon, la levée partielle de l'anonymat du don qui a été finalement refusée à l'Assemblée nationale, l'élargissement de l'accès à la PMA et l'épineuse question de la gestation pour autrui ?

Mme Isabelle Debré. - Comment évoluent les dons ? Quels sont les freins au don ? Il semblerait qu'il existe des obstacles religieux pour les yeux... Quels sont les organes dont on a le plus besoin aujourd'hui ? Enfin, n'existe-t-il pas un moyen simple de faire savoir la volonté de la personne de donner ses organes ? Je pense à cette affaire très médiatisée à Lyon : le père d'un jeune homme majeur décédé dans le métro a décidé de donner les organes de son fils sans consulter la mère alors que le jeune homme n'avait pas laissé de consigne écrite. Pourquoi ne pas préférer une inscription sur la carte Vitale, la carte de groupe sanguin ou même encore le port d'une médaille ou d'une marque sur le corps ?

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pour une même pathologie, quels sont les délais d'attente pour une greffe de moelle osseuse par rapport à une greffe de sang de cordon ? Quand la France atteindra-t-elle un banking de 50 000 cellules souches de sang placentaire ?

Concernant le don, quelles sont les modalités d'appariement des couples reproducteurs et receveurs dans le cadre d'une IAD - insémination artificielle avec don de sperme ? Quels critères utilisent les Cecos et avec quels résultats ? Tout cela paraît bien occulte...

Mme Sylvie Desmarescaux. - Vendredi dernier, j'ai participé à une manifestation en faveur du don d'organes dans mon département durant laquelle ont été remises des cartes de donneurs après que des papiers ont été signés. Une intention de don d'organes signalée oralement suffit-elle ou faut-il une trace écrite ? La situation est floue pour les Français, moi comprise...

M. Jean-Louis Lorrain. - Depuis peu, je représente le Sénat à l'agence de la biomédecine. Que pensez-vous du projet de loi relatif à la bioéthique qui arrive en discussion au Sénat ? Certains craignent que l'agence, en raison de son importance grandissante, ne confisque le débat sur les questions bioéthiques. Est-ce votre avis ? Comment percevez-vous votre indépendance ?

Mme Raymonde Le Texier. - Quels sont les critères qui président à l'attribution des agréments individuels et des autorisations sanitaires pour les équipes ? La fiche du donneur d'organe comprend sept cents indications biologiques ; les délais étant très courts entre le prélèvement et la transplantation, comment respectez-vous cette obligation ? Enfin, quelle réflexion mène l'agence sur l'anonymat et l'accès aux origines dans les domaines du don de gamètes et sur la gestation pour autrui ?

M. Ronan Kerdraon. - Merci de cette présentation utile à un béotien comme moi. Pouvez-vous nous en dire plus sur les dons croisés, notamment concernant les greffes de rein ?

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Une question supplémentaire : comment améliorer l'accueil des familles des victimes pour faciliter le don cadavérique abordé à l'article 5 ? Tous les établissements pratiquent-ils le prélèvement d'organes sur donneurs décédés ?

M. Jacky Le Menn. - Le don d'organe est un acte gratuit. Comment l'agence s'assure-t-elle que les organes provenant de pays tiers ne sont pas issus du trafic ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Abominable technocrate, je n'ai pas à me prononcer sur les choix du législateur ! On a reproché à l'agence d'être un « biopouvoir ». Le pouvoir technocratique n'est effectivement pas un pouvoir démocratique. Je suis conseiller d'Etat, non médecin. En revanche, je sais, par ma culture juridique, que le rôle d'une agence placée sous la tutelle d'un ministère est de mettre en oeuvre vos décisions, si nous le pouvons - mieux vaut rester dans l'ordre du possible... Depuis 2004, l'agence réunit un conseil d'orientation, instance de réflexion et d'éthique. Il est constitué d'experts scientifiques et médicaux, de représentants d'associations, de personnalités qualifiées et de membres des corps constitués, dont les parlementaires. Les députés ont prévu de porter le nombre de sénateurs et de députés de deux à six.

Monsieur Fischer, sans être la meilleure, la France est en bon rang en ce qui concerne le don d'organes. Elle est devancée par l'Espagne et le Portugal qui enregistrent trente donneurs pour un million d'habitants, contre vingt-quatre environ en France. Grâce au plan ambitieux intitulé « les Quinze-Vingts » - consistant à passer de quinze à vingt donneurs par million d'habitants - suivi du plan Greffe qui a obligé tous les établissements de santé, jusqu'aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à participer à l'effort de dons d'organes et de cornées, notre pays a atteint de bons résultats. Le désengagement des établissements de santé, depuis trois ou quatre ans, posant difficulté, la ministre de la santé nous a demandé de réfléchir au lancement d'un nouveau plan ; nous lui remettrons les éléments fin mars. L'Allemagne et la Grande-Bretagne ont un système qui rend obligatoires l'inscription sur un registre et la détention d'une carte de donneur pour permettre les prélèvements d'organes ; or, ils ont des résultats moins satisfaisants que les nôtres : entre treize et quinze donneurs pour un million d'habitants. L'organisation, mondiale de la santé (OMS) recommande d'ailleurs l'adoption du système français. Il est, de loin, le plus simple : tout Français est présumé donneur après sa mort. Mais tout est fonction des cultures...

En revanche, on peut, en France, s'opposer au prélèvement : le refus du don d'organes ou du don de certains organes, de même que le refus de l'autopsie médicale, est un acte positif consigné dans un registre qui comporte plus de 70 000 noms, ce qui semble peu. Peut-être cela s'explique-t-il par une superstition bien française qui consiste à croire qu'envisager sa mort, c'est la précipiter. Ce registre est systématiquement consulté avant tout prélèvement. Peu de personnes y ont accès, dont je ne fais pas partie ; il est confidentiel. Les coordinations hospitalières, lorsqu'elles sont bien formées, demandent aux proches si la personne a manifesté de son vivant une opposition au don d'organes. Dans la pratique, les équipes sont confrontées au fait que, dans nos civilisations, le corps du défunt appartient à la famille qui le met en terre. Jamais une équipe n'ira contre la volonté des familles, y compris dans les pays où existe un registre des donneurs. Il n'est pas concevable de rendre les proches fous de douleur pour prélever deux reins, il y va de l'humanité. Nous devons porter ce système français que l'OMS recommande. Nos campagnes d'information sont mémorisées à plus de 95 %, ainsi que le montrent les tests qui les suivent. Dans le cas du jeune Lyonnais dont parlait Mme Debré, le père a dit avoir accepté de donner les organes de son fils parce que ce dernier s'était exprimé en ce sens de son vivant. Juridiquement, il s'agissait de s'assurer que son fils ne s'était pas opposé au don.

Mme Isabelle Debré. - Tout Français est donc présumé donneur, sauf opposition expresse. Or, ce n'est pas ainsi que les Français comprennent le message que véhiculent vos campagnes. Ils ont l'impression qu'il faut consentement pour qu'il y ait don.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Avec la campagne de l'an dernier « Pour ou contre, dites le à vos proches. », nous avons voulu passer un cran supérieur, dire qu'il est bien de donner.

Mme Isabelle Debré. - Soit, mais il faudrait plutôt expliquer que le don est automatique, sauf opposition manifeste !

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Ce serait un peu rude...

La France connaît une pénurie d'organes sauf pour les cornées : 13 000 à 14 000 personnes sont en attente, 4 500 personnes ont été greffées l'an dernier.

Concernant la greffe de moelle osseuse, pourriez-vous préciser, madame Hermange, votre question ?

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Nous savons que la compatibilité du typage HLA - human leucocyte antigen - est plus facile avec une greffe issue de sang placentaire qu'avec une greffe de moelle osseuse. Pour une même pathologie, quels sont les délais d'attente pour une greffe de sang placentaire et une greffe de moelle osseuse ? L'agence a-t-elle établi cette comparaison ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - La notion de délais d'attente ne me semble pas appropriée. Lorsque l'onco-hématologue a épuisé les solutions chimiques, il envisage la greffe et cherche d'abord dans les fichiers un donneur dit « sur pied », c'est-à-dire un donneur vivant, sauf cas particuliers. Or, en France, nous sommes très exigeants sur le matching ; nous exigeons une compatibilité 10/10 pour les caractéristiques de l'immunité. Le clinicien va tenter de trouver un donneur identique sur les quatorze millions de donneurs inscrits dans les fichiers mondiaux.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Je connais un receveur qui attend depuis dix-huit mois !

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Non, on n'attend pas autant s'il y a urgence. En l'espèce, le praticien estimait sans doute que la greffe pouvait attendre, dans le cas d'une bêta-thalassémie ou d'une drépanocytose ; mais parfois il suffit de deux mois pour être greffé. La France est le premier pays d'Europe en nombre de greffes de sang placentaire : la disponibilité du greffon est plus immédiate, on n'a pas à convoquer un donneur et l'on gagne environ un mois. Mais les résultats sont moins bons - c'est inévitable puisque ce type de greffe se pratique par défaut. La quantité cellulaire est moins importante. Un prélèvement sur un jeune de vingt ans fournit plus de cellules qu'un cordon ; et si l'on prend deux cordons, ils ne seront pas identiquement matchés, il faudra gérer trois identités biologiques. C'est une difficulté de la greffe de sang de cordon.

Je ne sais quand le seuil de 50 000 unités consignées sera atteint, mais nous en sommes à 12 000 et nous atteindrons en 2013 un niveau de 25 000 ou 30 000, comme prévu dans le plan cancer qui a mobilisé 34 millions d'euros.

Les agréments individuels ou d'équipes sont délivrés selon des critères objectifs - diplômes, titres, expérience - définis par décret. La génétique étant une science récente, on s'adresse aussi aux services dans lesquels l'intéressé à travaillé pour s'assurer qu'il a pratiqué telle médecine, par exemple, en cytologie génétique à Necker...

Nous ne parlons pas de « couples reproducteurs » mais d'appariement donneur-receveur. Les Cecos sont une association, fondée en 1974. A l'époque, l'Académie des sciences morales et politiques y était défavorable et ils se sont créés hors des hôpitaux, où ils ont été intégrés dans les années quatre-vingt-dix. Ils respectent une charte et des règles que je vous communiquerai. Ils s'efforcent de trouver le donneur le plus proche, dans sa morphologie, du père. En Grande-Bretagne, on a vu des situations catastrophiques faute de rigueur et de sécurité des procédures : un couple noir avec un bébé blanc, par exemple, rencontre bien des difficultés car la société réagit de façon violente.

Depuis la loi de 2004, l'agence de la biomédecine doit inclure dans son rapport annuel un point sur le trafic d'organes. Le Conseil de l'Europe le demande aussi à ses membres. Car le trafic est à nos portes, en Europe. Notre pays n'a pas de problème car nos compatriotes ont confiance dans leur système de santé et ils savent qu'acheter un organe à l'étranger est un mauvais calcul. Songez que 20 % des enfants bulgares ayant recouru à une greffe au Pakistan se sont retrouvés porteurs du Sida.

Nous conduisons des enquêtes - anonymes jusqu'à présent mais l'Assemblée nationale a introduit des modifications - dans les centres de dialyse et les centres de greffe. Il apparaît que tout au plus une trentaine de personnes ont rencontré des problèmes ; ce sont généralement des primo-immigrants, repartis dans leur pays d'origine, Chine, Egypte, où la famille les convainc de se faire greffer sur place sans devoir attendre... Ainsi une patiente chinoise ayant préféré recevoir chez elle une greffe de rein a-t-elle développé un cancer de la vessie six mois après, lié au greffon. Chez nous, un dépistage des cancers est bien sûr effectué au moment du prélèvement. Les Français aisés mais aussi les plus modestes et les étrangers qui vivent en France depuis suffisamment longtemps, tous savent qu'ils n'ont aucun intérêt à se rendre à l'étranger.

La loi est stricte. Si des assouplissements sont apportés en matière de don du vivant, il faudra les entourer de mesures robustes - car sous couvert de don par un proche, on peut se livrer à un trafic : rien de plus facile que de faire incruster de fausses photos dans Copains d'avant... Je reçois un courrier volumineux d'étrangers prêts à offrir un rein en France...

Mme Raymonde Le Texier. - Puisqu'à présent tout le monde est donneur sauf ceux qui ont exprimé leur refus, vous devriez disposer d'un plus grand nombre d'organes. Je ne comprends pas la faiblesse du ratio que vous avez indiqué.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Le prélèvement de cornée, qui peut se pratiquer à la morgue jusqu'à trois jours après le décès, est une exception. En général, les autres organes subissent lors du décès des dommages irréversibles et ne peuvent donc être greffés. Il y a donc des contraintes très particulières pour qu'on puisse envisager le prélèvement d'organes. En fait, le prélèvement après la mort a progressivement été réservé aux décès occasionnés par la destruction du cerveau constatée à l'hôpital, lorsque la personne est en service de réanimation, car alors, des outils irriguent le corps en permanence. On compte environ quatre mille à cinq mille morts encéphaliques dans des hôpitaux dotés de réanimations performantes ou de Samu susceptible d'emmener en urgence le donneur dans un service compétent. On procède finalement à environ mille cinq cents prélèvements, ce qui est un pourcentage finalement assez élevé, les autres étant écartés en raison d'une opposition de l'intéressé ou de son entourage.

On peut encore améliorer la situation et nous voulons prélever plus dans les hôpitaux, donc mieux recenser, en déployant des logiciels et en formant partout au prélèvement. Nous ne sommes plus au temps des pionniers où les équipes spécialisées se jetaient dans un avion à trois heures du matin pour aller chercher un organe à l'autre bout de la France. Aujourd'hui, il faut que les chirurgiens soient plus nombreux formés au prélèvement. S'il est mal fait, l'organe ne pourra être utilisé.

Statistiquement, les décès par arrêt cardiaque sont beaucoup plus nombreux que ceux qui surviennent en service de réanimation. On commence à pratiquer le prélèvement sur les personnes mortes ailleurs qu'à l'hôpital, mais lorsque le coeur s'arrête de battre, il faut agir vite pour que les organes ne soient pas endommagés. Dans certains pays, on pratique le prélèvement après arrêt des soins sur un patient. On commence à l'envisager en France : mais attention à ne pas laisser penser que l'on cesse de soigner un peu plus tôt, pour prélever un peu plus vite !

M. Alain Milon, rapporteur. - Nous auditionnerons un étudiant qui a consacré une thèse à ce sujet.

Mme Isabelle Debré. - Pour la cornée, la famille doit-elle être informée ou doit-elle donner une autorisation ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - La famille est bien sûr informée, comme pour les autres organes. On se souvient de la terrible affaire d'Amiens, où les parents d'un jeune décédé sur le périphérique avaient accepté le prélèvement d'organes : on avait également prélevé ses cornées, mais sans leur en parler. Ils l'ont découvert après coup et ont eu le sentiment que l'on avait volé les yeux de leur fils, qu'on l'avait mutilé sans rien leur dire. Ils ne s'en sont jamais remis.

M. Jacky Le Menn. - L'information est effectivement obligatoire.

Bioéthique - Audition de Mme Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'Université Paris ouest Nanterre La Défense

M. Alain Milon, rapporteur. - Madame Hennette-Vauchez, nous vous avons adressé une liste de quatre thèmes sur lesquels nous serions heureux de vous entendre : la logique juridique du système d'interdiction de la recherche sur les embryons, avec dérogations qui deviendraient pérennes ; la question de l'anonymat du don d'organes et de gamètes ; la notion de dignité de la personne humaine, qui est en droit difficile à concilier avec celle d'autonomie de la volonté ; enfin, l'intérêt de l'enfant.

Mme Sophie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'université Paris Ouest Nanterre-La Défense. - Je travaille sur ces notions depuis le vote des lois de bioéthique de juillet 1994. Le législateur avait alors fait oeuvre novatrice, instaurant quelque chose à la place de rien. La bioéthique à la française prenait naissance, fondée en particulier sur l'anonymat et la gratuité du don, sur la non-patrimonialité des conventions prenant le corps humain pour objet.

Quinze ans plus tard, alors que la deuxième grande révision de la législation est en cours, je ne suis pas certaine que cette méthode fondée sur l'affirmation de grands principes demeure opératoire. On pourrait choisir de réfléchir de façon empirique. Par exemple, le principe de la dignité de la personne humaine a enflammé les débats, le législateur de 1994 l'a inscrit dans le code civil, le Conseil constitutionnel lui a donné rang de principe de valeur constitutionnelle. Mais on réfléchit depuis vingt ans sur le refus des soins en fin de vie ou la délimitation des contours de la procréation médicalement assistée, sans progresser, c'est-à-dire en s'enlisant.

Le principe de dignité est ambigu. Le rapport du comité animé par Simone Veil, chargé d'étudier une éventuelle révision du Préambule de 1946, le rapport du Conseil d'Etat sur les moyens juridiques d'interdire le port du voile intégral ont souligné l'ambivalence du principe de dignité, qui peut se comprendre dans deux acceptions contradictoires. L'individu peut l'opposer aux tiers et à la société pour obtenir un droit ; mais la société et les tiers peuvent imposer une certaine lecture de la dignité, qui limite alors la liberté individuelle. Le comité Veil avait estimé urgent de ne pas constitutionnaliser le principe et de n'envisager que la notion d'égale dignité. J'en suis moi aussi convaincue. Mieux vaut partir du problème à résoudre plutôt que des grands principes.

Le projet de loi maintient l'interdiction de la recherche sur l'embryon, avec dérogations pérennes. Mais pourquoi appliquer un principe d'interdiction quand on vise à autoriser cette recherche, en raison des promesses thérapeutiques qu'elle recèle et de la nécessité pour la France d'être dans la course internationale ? Le Conseil d'Etat estime que l'interdiction avec dérogations et l'autorisation sous conditions reviennent au même. A un élément important près : la visibilité internationale du dispositif. La recherche sur les cellules souches mobilise dans le monde des sommes énormes, un nombre considérable de chercheurs, et la médecine régénérative suscite une très forte attente dans des sociétés vieillissantes. L'interdiction avec dérogations pérennes manque son but : les chercheurs se déplacent, ils s'installent dans l'environnement le plus favorable, y compris juridiquement, à leur activité. Or notre droit n'offre pas suffisamment de sécurité ni de visibilité. Le rapport Leonetti reconnaît que ce système est mal compris à l'étranger.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale n'a pas voulu qu'un aspect mercantile et vulgaire pèse sur les décisions du législateur, celui-ci doit être guidé par les grands principes. Je crois préférable de partir du problème tel qu'il se pose. La recherche ne saurait être autorisée parce qu'elle rapportera à terme de l'argent. Mais ne tombons pas, à l'inverse, dans l'hypocrisie ou la naïveté. Il n'y a pas à se réjouir qu'aucune grande entreprise privée ne se soit portée candidate auprès de l'agence de la biomédecine. Demain, ces technologies viendront de l'extérieur, elles feront l'objet de brevets, elles auront un coût.

Faut-il absolument préserver les grands principes et une bioéthique à la française ? Mais quels grands principes ? La question du statut de l'embryon revient toujours, immuable. Or le droit protège des valeurs : on peut donc être respectueux de l'embryon lorsqu'existe un projet parental et en accepter la destruction en l'absence de tel projet.

Sur la procédure d'information génétique à caractère familial, j'attire votre attention sur les incertitudes qui demeurent sur les responsabilités individuelles en cas de découverte d'une information importante pour la parentèle. Et je m'étonne de la facilité déconcertante avec laquelle l'Assemblée nationale a traité à nouveau cette question en première lecture. Le code de la santé publique prévoit qu'en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave, le médecin informe son patient des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille. Il comporte aussi une procédure d'information de la famille par le truchement de l'agence de la biomédecine. Mais ce silence ne saurait fonder une action en responsabilité.

Le décret d'application sur la procédure d'information à caractère familial n'ayant pas vu le jour, le Parlement se saisit à nouveau de cette question. Le point de départ des travaux de l'Assemblée nationale est l'existence d'un principe de responsabilité civile. Mais le droit issu de la loi de 2004 n'est pourtant pas si clair et les commentateurs ont à l'époque été nombreux à souligner les incertitudes qui demeurent dans le code de la santé publique. La responsabilité civile, en effet, suppose l'existence d'un préjudice, d'une faute et d'un rapport de causalité entre les deux. Le préjudice, ici, est la perte de chance d'être soigné d'une affection génétique. Mais la perte de chance n'est pas une notion juridique très stable... Et le traitement, la prévention ou la survenance d'une affection sont soumis à de nombreux facteurs multiplicateurs. La faute existe-t-elle ? Cela se discute. Le droit à l'intimité pourrait faire obstacle à cette qualification. Et la causalité est difficile à établir. Un juge pourrait trouver bien hasardeux de conclure à la responsabilité du patient qui n'a pas transmis l'information.

Le législateur souhaite-t-il vraiment consacrer un principe général de responsabilité civile d'un individu à l'égard de toute sa parentèle, ou plus exactement des membres de sa famille potentiellement concernés et dont il possède les coordonnées ? En outre, la non-divulgation de l'information médicale n'engagera pas la responsabilité de l'individu en cas d'affection grave mais non susceptible d'actions de prévention ; elle l'engagera pour des affections minimes susceptibles de prévention ! J'y insiste : quelle place veut-on donner à la génétique dans les relations familiales ? Cela mérite un vaste débat.

La question de l'anonymat du don d'organes ou de gamètes a été éclairée par l'évolution des droits de l'enfant. Les choses sont plus simples pour le don d'organes que pour le don de gamètes. Le don entre vifs, par nature, n'est pas anonyme ; cela ne pose aucun problème. Par principe, l'anonymat du don est préférable pour couper court aux enjeux de contre-don, de dette, mais on admet parfaitement une dérogation au principe s'il s'agit de sauver une vie.

Il est possible de transposer cette approche aux gamètes. Les trentenaires conçus par insémination artificielle avec donneur devraient, en application du code de la santé publique, avoir accès aux données non identifiantes ; or, ce n'est pas le cas. Le législateur pourrait s'intéresser à ces dysfonctionnements et mieux encadrer la pratique de la PMA - par exemple, quelle garantie a-t-on de la limitation à dix procréations par don, puisque les Cecos n'ont pas de banque commune ? Leurs fichiers de données ne semblent pas non plus respecter la législation et les règles de la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Quant à l'accès aux données identifiantes, le projet de loi initial n'autorise que très partiellement la levée du secret ; il s'agit seulement de permettre à l'enfant d'accéder à son identité. On ne va pas vers une possible sélection des donneurs en France, où il n'y a pas de sélection du donneur selon des critères raciaux, sociaux. On ne s'oriente pas non plus vers l'établissement de la filiation. L'évolution par rapport au compromis de 1994 ne pose pas de difficultés, car les raisons de 1994 ne sont plus aussi valables. Le rapport Leonetti rappelle qu'il s'agissait alors de légitimer une pratique mal considérée. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La convention de New-York de 1990 sur les droits de l'enfant et les échos de celle-ci dans divers textes européens tendent à donner une place nouvelle à l'intérêt supérieur de l'enfant. Ceci a bouleversé notre approche traditionnelle de la filiation. On a vu les atermoiements juridiques suscités par la gestation pour autrui à l'étranger et les conséquences à en tirer sur l'état-civil : notre conception traditionnelle et cette nouvelle approche des droits de l'enfant entraient en conflit.

Les dispositions du projet de loi initial sur la levée de l'anonymat, dissociée de l'établissement d'une filiation, me semblaient mériter discussion.

M. Alain Milon, rapporteur. - Je suis sur beaucoup de points en phase avec votre approche et je connais bien vos travaux. Je n'ai donc guère de questions à vous poser. En vous conviant devant la commission, je voulais surtout que mes collègues puissent vous interroger. Personnellement, je sais ce que je crois, mais le rapporteur suivra bien sûr la position majoritaire de la commission.

Mme Catherine Deroche. - Un statut de l'embryon différent selon l'existence ou non d'un projet parental, cela ne revient-il pas à prôner un statut juridique d'usage ?

J'ai tenu des réunions avec les élus de mon département sur ces questions. Les mêmes questions reviennent : quelles sont les conséquences juridiques pour la filiation, pour les successions ?

M. Guy Fischer. - Je remercie le rapporteur de vous avoir conviée ici. Votre intervention décoiffe ! Vous êtes très éloignée des positions de l'Assemblée nationale. Et vous nous poussez à réfléchir en profondeur. Nous devons analyser précisément le texte de l'Assemblée nationale. L'avancée est-elle réelle s'agissant de la recherche sur l'embryon ? On sent les pesanteurs ! Le texte s'en tient presque au statu quo. L'anonymat du don est un point essentiel, il faut avoir cela à l'esprit. L'élargissement de la procréation médicalement assistée mérite d'être envisagé et vous avez bien exposé le problème. Enfin je déplore que la gestation pour autrui ne fasse l'objet d'aucune disposition. Nous serons très attentifs sur ces quatre points aux propositions du rapporteur. Comme sur l'euthanasie, tous les groupes politiques sont partagés : chacun se prononcera selon sa culture, sa vision, ses origines, sur les propositions qui nous sont faites.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Sur quels travaux scientifiques concrets vous appuyez-vous pour parler de promesses thérapeutiques pour l'homme dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?

C'est dans le cas des inséminations avec donneur, IAD, que se pose le problème de l'anonymat. Pensez-vous que les Cecos, lorsqu'ils apparient les couples donneurs et receveurs, appliquent le principe de dignité ? Celui-ci n'est plus, selon vous, opératoire. A-t-il encore son fondement dans la loi de bioéthique aujourd'hui ?

M. Jacky Le Menn. - En quoi le système d'interdiction-dérogations se traduit-il par un manque de sécurité juridique ?

M. André Lardeux. - Quelle analyse faites-vous des articles concernant la possibilité d'un transfert d'embryon post mortem ? Est-il juridiquement possible que l'embryon soit tantôt sujet, tantôt objet ?

Mme Sophie Hennette-Vauchez. - La discussion sur le statut de l'embryon est née dans les années quatre-vingt et s'est prolongée durant la décennie suivante. L'embryon est-il une chose ou une personne ? La question est ainsi posée parce que le code civil ne connaît que ces deux catégories. Or, prendre le problème sous cette forme conduit dans des impasses. Aucune de ces deux thèses n'a réussi à convaincre ni à entrer en correspondance avec le droit positif. Il faut envisager par conséquent un statut non immuable, variable selon l'existence ou non de liens juridiques avec une personne juridique. Le projet parental, notion consacrée par le législateur, peut servir de fondement. Le statut de l'embryon est ainsi évolutif.

M. André Lardeux. - Ceux qui abandonnent leur projet parental abandonnent donc, juridiquement, l'embryon ?

Mme Sophie Hennette-Vauchez. - De fait !

M. Alain Milon, rapporteur. - Précisons que les études et les recherches ne portent pas sur l'embryon mais sur les cellules souches embryonnaires.

M. Jean-Louis Lorrain. - Mais elles peuvent conduire à créer des embryons !

M. Alain Milon, rapporteur. - Ce qui me choque dans le texte est le critère posé de finalité thérapeutique : n'y a-t-il pas là en filigrane une obligation de résultat ? N'écarte-t-on pas la recherche fondamentale ?

Mme Sophie Hennette-Vauchez. - Pour ce qui concerne la procréation avec donneur, rien ne s'oppose, juridiquement, à ce que l'on autorise la levée de l'anonymat tout en maintenant l'interdiction d'établissement d'une filiation.

Sur les recherches, le terme de « promesses thérapeutiques » n'est peut-être pas parfait mais la communauté scientifique s'accorde sur l'intérêt de poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires. La dignité est le fondement de la loi de 1994, mais que recouvre ce principe ? Pour ma part, je l'ignore ! Pour certains de nos concitoyens, la recherche embryonnaire viole le principe de dignité, d'autres font une lecture inverse. Je ne sais pas, comme juriste, s'il est possible de faire le départ entre ces deux approches mais le principe de dignité ne me paraît pas opératoire sur ces sujets. Le législateur a manqué son objectif, ai-je dit : en effet, le fait de poser une interdiction et dans le même mouvement, de prévoir des dérogations, visait bien à autoriser la recherche. Or ce système juridique peu sûr et incompréhensible pour les étrangers encourage-t-il vraiment la recherche ?

Les universitaires sont unanimes à s'étonner que la question du transfert d'embryon post mortem revienne avec une telle récurrence dans le débat public car il concerne très peu de cas. Je m'étonne qu'il prenne autant de place dans le projet de loi, tandis que la levée de l'anonymat n'y figure pas. La question est au moins aussi importante !

Mme Isabelle Debré. - Lorsque l'on procède à une recherche ADN et que le père est ainsi identifié, l'enfant peut prétendre faire établir la filiation. Comment traiter différemment les enfants issus d'un don de gamètes ?

Mme Sophie Hennette-Vauchez. - La chose est simple dans le code civil. La procréation médicalement assistée fait l'objet de dispositions particulières, visant un équilibre et protégeant donc le donneur. Du reste, la revendication des trentenaires ne porte pas sur la filiation : ils veulent seulement connaître leurs origines.

M. Alain Milon, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner votre avis sur le consentement et sur la mise en place des personnes de confiance ?

Mme Stéphanie Hennette-Vauchez. - En droit civil, le consentement est incontestablement reconnu comme une nécessité avant toute investigation thérapeutique. Mais nous avons parfois du mal à accepter le corollaire du consentement, à savoir le droit du patient à refuser les soins. Je vous renvoie aux grandes affaires de refus de transfusion sanguine par les témoins de Jéhovah. Les juges français ont eu une appréciation très particulière de la loi.... Le consentement a également des répercussions sur la question de la fin de vie.

J'en viens à la personne de confiance. Ce dispositif s'est arrêté au milieu du gué. On a fait comme s'il y avait un transfert décisionnel en matière médicale mais la personne de confiance n'est que consultée ; elle n'a aucun pouvoir décisionnaire. La loi de 2005 a consacré l'arrêt des soins thérapeutiques, mais le législateur a prévu que seul le collège médical pouvait en décider. Toutes les conséquences juridiques n'ont pas été tirées.

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous remercie pour le grand intérêt de votre intervention qui nous proposait une vision originale de certaines des questions que soulève ce projet de loi.

Bioéthique - Audition de M. Axel Kahn, directeur de recherches à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l'Université Paris Descartes

Mme Muguette Dini, présidente. - Dans le cadre de nos auditions sur le projet de loi relatif à la bioéthique, nous avons le plaisir de recevoir Axel Kahn, directeur de recherches à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l'université Paris Descartes.

M. Alain Milon, rapporteur. - Je souhaite soumettre à votre analyse toute une série de questions. Est-il conforme à l'éthique que la dignité de la personne pose des limites à l'autonomie de la volonté et que l'on puisse donc interdire à quelqu'un de mener une action qu'elle a librement décidé et dont elle assume les conséquences ?

Pouvons-nous nous passer des recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Est-ce possible à court ou à moyen terme, est-ce souhaitable ?

Comment garantir la liberté de consentement aux dons pour les donneurs vivants ?

L'anonymat du don doit-il être systématiquement préservé ?

Quel encadrement vous paraît-il nécessaire pour les tests génétiques ?

M. Axel Kahn. - La première question est d'un extrême intérêt mais aussi d'une extraordinaire difficulté tant d'un point de vue juridique que philosophique. Le terme de dignité doit être défini car on utilise ce mot sans s'interroger sur sa signification, son histoire, ses sens multiples.

Avec Mme Veil, j'ai fait partie d'un comité chargé de proposer au Président de la République une révision du préambule de la Constitution française et nous avons proposé d'écrire : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit ».

Plusieurs sens s'attachent à la notion de dignité.

La dignité, c'est un honneur que l'on acquiert et que l'on peut perdre, lorsqu'on est, par exemple, élevé à la dignité de chevalier de la légion d'honneur.

Pour les stoïciens, être digne, c'est rester impassible dans l'adversité et dans la douleur. On dit d'ailleurs : « Il est resté digne jusqu'à la fin ». C'est bien dans ce sens que le comprend l'association pour le droit à mourir dans la dignité.

La dignité, au sens religieux, c'est celle qui est conférée à la créature privilégiée, créée à l'image de Dieu. Comment serait-il possible que cette créature ne fut pas digne puisqu'elle a hérité d'une étincelle de la divinité ?

Kant a également défini la dignité : l'humanité doit être considérée dans notre personne, comme dans la personne de tout autre, comme une fin et jamais comme un moyen. Il y a des valeurs qui se prêtent à des opérations comptables, et qui ont donc un prix, et il y a une valeur qui n'a pas de prix et que l'on appelle la dignité.

Une des caractéristiques très importante de trois de ces définitions de la dignité est qu'elle est en partie extérieure à la personne. Des autorités extérieures sont opposables à la volonté de la personne. L'Eglise considère ainsi que cette dignité de la créature à l'image de Dieu implique qu'elle ne se comporte pas de façon indigne de cette magnificence dont elle a hérité par la création. Kant estime quant à lui que la dignité de la personne limite considérablement l'usage que toute personne peut faire de son corps. Evidemment, la dignité honorifique implique des droits, mais aussi des devoirs auxquels il convient de se conformer.

Une cinquième définition de la dignité est celle à laquelle on fait appel en droit : il s'agit d'une valeur intrinsèque à la personne, qui ne s'oppose pas à sa liberté. En d'autres termes, aucune définition de la dignité ne peut être opposable à l'expression de la liberté de la personne. Il est donc impossible de discriminer quiconque au nom de la dignité : il ne peut y avoir des êtres d'un rang supérieur à d'autres.

Seule cette dernière notion me semble importante pour le sujet qui nous occupe : toute l'histoire est pleine de décisions judiciaires très problématiques de ce point de vue. La plus célèbre est celle concernant le lancer de nain, qui a été interdit en raison de son atteinte à la dignité. Il s'agit là d'une définition de la dignité qui est extérieure à la personne de cet entrepreneur qui voulait gagner sa vie en servant de projectile. A moins que l'on considère, ce qui n'était pas le cas, que ce nain n'était pas libre de pouvoir refuser : on aurait pu lier à l'état de contrainte économique l'interdiction de cette activité. Il en va de même pour la prostitution.

Juridiquement, la notion de dignité est difficile à définir.

En revanche, la réponse à la question du rapporteur est aisée : dans ma définition de la dignité, je ne peux discriminer quiconque vis-à-vis de l'emploi, de l'assurance ou du droit de vivre en arguant que sa dignité serait insuffisante. Il revient à la personne elle-même de fixer les limites de sa propre dignité. On ne peut donc imposer à une personne des devoirs auxquels elle serait assujettie du fait d'une dignité à laquelle elle devrait déférer. Aucune notion de dignité ne doit ainsi être opposable à l'expression de la volonté d'une personne.

Peut-on se passer de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ? Ces cellules sont prélevées sur un embryon humain de six à sept jours. Il y a dans l'embryon une cavité et, faisant protubérance dans cette cavité, il y a un amas de cellules que l'on prélève et qui peuvent être mises en culture. Ces cellules ne sont pas un embryon, dont la définition est la suivante : état du développement qui, dans des conditions favorables et par lui-même, peut se transformer en un être complet. Or, des cellules souches embryonnaires placées dans l'utérus d'une femme donneraient une tumeur et non pas un bébé. Cependant, ces cellules sont bien évidemment dérivées d'un embryon qui a été détruit.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - La précision est d'importance !

M. Axel Kahn. - Au-delà des cellules souches embryonnaires, il faut également parler de la recherche sur l'embryon : cette recherche est indispensable si l'on travaille sur le premier stade du développement embryonnaire humain. Pour travailler sur l'adolescence, il faut des adolescents, même chose pour l'âge mûr ou pour la vieillesse. Si l'on veut travailler sur les déterminants du développement embryonnaire et sur les maladies associées, il faut bien évidemment étudier l'embryon.

Souvent, quand on parle de recherche embryonnaire, on a en tête la mise en oeuvre d'une médecine régénératrice, c'est-à-dire la culture de cellules miracles qui permettraient de soigner de nombreuses maladies. Aujourd'hui, il y a des méthodes plus prometteuses que l'étude des cellules souches embryonnaires pour obtenir des cellules régénératrices, notamment les cellules souches induites dont la découverte par un chercheur japonais en 2006 est extrêmement intéressante et a bouleversé la discipline. C'est pourquoi les parlementaires n'auront plus à se pencher sur le clonage thérapeutique, totalement passé de mode dès lors qu'il existe des méthodes beaucoup plus efficaces pour parvenir au même résultat.

Cela étant dit, les cellules souches induites ne permettent pas de travailler sur les premiers stades du développement embryonnaire. Pour lutter contre la stérilité et essayer de comprendre les anomalies du développement, faut-il poursuivre ces recherches ? Il n'y a guère d'autres possibilités. D'ailleurs, depuis longtemps ma conviction est faite : je ne trouve pas qu'il soit possible, même pour des croyants fervents qui considèrent que l'embryon est doté d'une âme dès la fécondation, de s'opposer à la recherche sur l'embryon. La recherche médicale doit s'opérer à tous les âges de la vie humaine et si l'on considère que le premier âge de la vie humaine est l'âge embryonnaire, il serait singulier d'écarter de toute recherche ce stade de développement. Certes, quand on fait une recherche sur un patient, on ne le détruit pas alors que tel est le cas pour la recherche sur l'embryon. Mais il faut rappeler que, naturellement, seul un embryon sur trois fécondés devient un bébé. Je me suis exprimé sur ces questions devant la commission pontificale de bioéthique et devant l'assemblée épiscopale de France : personne ne m'a démontré en quoi ce serait moins reconnaître la singularité de l'embryon humain que de le détruire sans autre forme de procès ou de le laisser dans l'azote liquide, ce qui aboutit au même résultat, plutôt que d'autoriser cette recherche dans des conditions très contrôlées et après que les géniteurs et l'agence de la biomédecine ont donné leur accord. D'ailleurs, chacun sait où nous en sommes actuellement : en 2002, il avait été proposé que la recherche sur l'embryon soit extrêmement contrôlée mais quand Jean-François Mattei est arrivé aux affaires, après le changement de majorité, il s'est trouvé confronté au dilemme suivant : chercheur biologiste de très grand talent, il connaissait l'importance de la recherche sur l'embryon mais catholique très engagé, il était également choqué par la recherche sur l'embryon. Il a donc proposé d'interdire la recherche sur l'embryon... tout en l'autorisant pendant cinq ans. Pour l'instant, le texte propose d'en rester là, ce qui est d'une logique assez singulière. Il serait plus raisonnable d'appréhender le problème dans toutes ses dimensions. Cela vous permettrait de discuter de la valeur et de la singularité de l'embryon, que je ne conteste nullement par ailleurs.

La troisième question portait sur la liberté du consentement pour les donneurs vivants. Nous sommes ici au coeur d'une interrogation de bioéthique. La bioéthique, c'est l'interrogation sur l'action correcte associée à l'obligation de spécifier les valeurs qui la fondent. Savoir si l'on peut ou non tuer son prochain n'est pas une question bioéthique. En revanche, la question de savoir dans quelle condition un donneur vivant peut consentir à ce qu'on lui prélève un organe ou un bout d'organe pour en soigner un autre est un vrai dilemme : d'un côté, les vies que l'on va sauver grâce à ce don et la beauté du don sont des engagements qui nous vont droit au coeur ; d'un autre côté, quelle est la situation d'un donneur vivant dont le génotypage a montré qu'il était le seul donneur de la famille compatible avec un enfant menacé de mort ? Si jamais il refuse de donner son organe, il sera responsable de la mort de cet enfant et le poids du regard des autres peut être écrasant. Peut-on dans ce cas parler d'un consentement libre et éclairé ? Certaines données épidémiologiques montrent que cette question est légitime : il y a une dizaine d'années, les dons de rein d'une femme à son mari étaient deux fois plus importants que les dons inverses, ce qui est d'autant plus curieux que la glomérulonéphrite est beaucoup plus fréquente chez les femmes que chez les hommes ! Nous sommes donc au milieu du gué et il faut trouver une règle pour ne pas dissuader la spontanéité du don tout en ne forçant pas les gens à le faire.

J'en viens à l'anonymat du don de gamètes. Pour faire un embryon, il faut des ovules et des spermatozoïdes. Lorsque les hommes sont stériles, une des solutions est d'utiliser le sperme d'un donneur. Même chose d'ailleurs pour les ovules dont les dons vont sans doute croître à l'avenir. Il y a trente ans, la question ne se posait pas car les Cecos maintenaient l'anonymat et il était presque entendu que les parents ne diraient jamais à l'enfant les conditions de sa naissance. La filiation humaine est double : le sang et le coeur, alors que la filiation animale ne se fait que par le sang. Notre entendement nous permet de léguer des valeurs et de l'amour à un enfant même si l'on n'en est pas le géniteur. Les exemples dans l'histoire sont multiples où cette filiation par l'esprit et par le coeur pallie l'absence de filiation par le sang. Cependant, la société a évolué et il est incontestable que nous assistons dans le monde entier à une marée montante d'un retour aux origines biologiques. Face à cette situation, un généticien comme moi ne peut s'empêcher de sourire : il sait bien que les hommes et les femmes s'attirent et qu'il arrive à des hommes et à des femmes de céder à des avances : avant que le contrôle des naissances n'ait fait des progrès, 10 % des hommes n'étaient pas les pères biologiques de leurs enfants. La notion de vérité des origines nous était totalement étrangère.

Mais un code du droit des enfants a été voté par l'ONU et il indique que tout enfant a droit à la vérité sur ses origines. Les psychiatres et les psychanalystes recommandent aux parents qui recourent à des donneurs de dire aux enfants les conditions dans lesquelles ils ont été conçus. Un enfant qui sait qu'il a été conçu dans ces conditions peut vouloir chercher des informations sur son géniteur : il existe environ cent cinquante cas de ce genre en France. C'est dans ce contexte là que Roselyne Bachelot-Narquin avait proposé qu'on se rapproche de la solution préconisée par Ségolène Royal en 2002 sur une éventuelle levée de l'anonymat des femmes qui accouchent sous X, celles-ci pouvant désormais fournir des informations non identifiantes les concernant et même accepter de rencontrer leurs enfants s'ils en font la demande. Lorsque j'ai parlé de cela devant les députés, j'ai bien vu qu'ils n'étaient pas convaincus par cet intégrisme de la vérité sur les origines et qu'ils n'étaient pas enthousiasmés par la proposition de la ministre de la santé. Quand Xavier Bertrand est arrivé, il a rétabli l'anonymat. L'hypertrophie de l'importance de la vérité des origines ne va pas dans le sens de l'intérêt général. Ce qu'il y a de plus humain dans la filiation, ce n'est pas ce qui passe par le sang.

Vous m'avez enfin interrogé sur l'encadrement des tests génétiques : ce serait extraordinairement difficile à réaliser. Nous sommes incapables de limiter l'accès à l'information. Nous sommes déjà démarchés pour réaliser des tests génétiques et, dans trois ou quatre ans, on nous proposera sans doute de télécharger sur notre portable notre code génétique. Parler d'une limitation de l'accès aux tests génétiques n'a pas beaucoup de sens.

Socrate nous dit « Connais-toi toi-même ». Ce serait une interprétation réductrice de croire que l'on ne peut se connaître soi-même qu'avec son code génétique sur son portable. Plutôt que de limiter l'accès au test, il faut mettre en place un système public de référence d'information sur la signification des données génétiques, car nos concitoyens vont être inondés de propositions. Il faut donc leur permettre de faire valoir leur autonomie. Des experts autonomes et indépendants devront pouvoir dire ce qui est intéressant et ce qui ne l'est pas. Certes, il ne faut pas revenir sur l'interdiction de l'utilisation des tests génétiques pour calculer les polices d'assurance. Mais pour ce qui est de limiter l'accès aux tests génétiques, c'est hors de votre capacité.

M. Jean-Louis Lorrain. - Ne serions-nous pas en train de tuer la bioéthique ? On nous demande de légiférer pour répondre à des citoyens, mais aussi à des chercheurs et à des agences. Nos débats mènent à des compromis : sont-ils compatibles avec l'éthique ? Certains sujets sont traités en fonction des inclinaisons des ministres, du dogme du moment. Dans le fond, la bioéthique est devenue utilitariste : ne faudrait-il pas en revenir à des concepts de bioéthique médicale dont l'essentiel est de se préoccuper du soin ? N'y a-t-il pas une dilution du concept de bioéthique ?

Nous estimons que fixer un terme à la loi l'affaiblit : ne pensez-vous pas que nous avons besoin d'une veille permanente sur des sujets précis ? Je pense en particulier à la question de l'homme surajouté ou à celle de l'utérus artificiel.

Mme Catherine Procaccia. - En vous écoutant, M. Khan, on a l'impression que les choses sont simples et claires. Pourtant, de nombreuses questions se posent et je me demande si elles ne découlent pas du fait que, désormais, avoir un enfant est un droit, et même une obligation de service public. Cette évolution a de lourdes conséquences sur le projet de loi que nous examinons.

Vous avez évoqué le cas de cent cinquante trentenaires qui veulent connaître leur origine ; tout à l'heure, nous avons parlé des transferts post mortem et de la gestation pour autrui pour lesquels le nombre de demandes est plus faible encore, sans doute. Croyez-vous que l'effectif de personnes concernées soit un élément à prendre en compte lorsque nous légiférerons ?

Mme Marie-Thérèse Hermange. - En ce qui concerne l'insémination avec donneur, on parle beaucoup de l'anonymat, mais il faut également évoquer la question de la sélection pratiquée par les Cecos pour apparier les couples demandeurs avec les donneurs. Cette pratique correspond-elle à votre définition de la dignité ?

Il y a vingt-cinq ans, on congelait les ovocytes selon une méthode lente. Celle-ci a-t-elle entraîné des anomalies génétiques ?

Peut-on légiférer en 2011 comme en 2004 sans prendre en compte les travaux de Yamanaka de 2006 sur les cellules souches pluripotentes induites (iPS) ? Le père du clonage a d'ailleurs abandonné ses propres travaux pour rejoindre l'équipe de ce chercheur.

A-t-on épuisé tous les travaux en matière d'embryologie animale ? Travailler sur l'embryon humain plutôt que sur l'embryon animal ne serait-il pas devenu plus facile pour les chercheurs ?

M. Louis Pinton. - Pour ce qui est de la filiation, vous avez distingué les animaux des hommes. Vétérinaire, j'ai connu des cas curieux : un chiot a été adopté par une chienne qui a même eu une montée de lait à son contact et s'est comportée comme sa mère biologique ; ou bien encore alors que les chèvres sont en chaleur en septembre et saillies par le bouc, il arrivait dans certains troupeaux que rien ne se passe. Dans ce cas-là, nous demandions au fermier de nous indiquer une vieille chèvre dont il comptait se débarrasser. Nous lui faisions une injection d'oestrogènes à forte dose qui déclenchait des chaleurs. Aussitôt, les autres chèvres entraient à leur tour en chaleur et la question était réglée. Le monde animal n'est donc pas toujours si éloigné.

M. Bernard Cazeau. - Quelle est votre position sur les mères porteuses ?

M. Guy Fischer. - Comme vous l'avez dit, la recherche sur l'embryon est interdite, mais elle continue à être autorisée : ne serait-il pas temps de mettre fin à cette hypocrisie qui pénalise nos équipes de recherche ?

Mme Isabelle Debré. - Une remarque sur la limitation des tests génétiques : actuellement, et même si ce n'est pas autorisé en France, on peut, par simple courrier, envoyer en Belgique une mèche de cheveux du père présumé et de l'enfant pour régler un éventuel problème de filiation. N'aurait-on pas intérêt à trouver des positions communes en Europe plutôt qu'à tenter de légiférer dans notre coin ?

M. André Lardeux. - Certains pays ont levé l'anonymat sur les donneurs de gamètes : quelles en ont été les conséquences ? Par ailleurs, dispose-t-on d'un bilan exact des recherches pratiquées sur les embryons ?

M. Axel Kahn. - Je vais commencer par répondre sur l'embryon : aujourd'hui, les iPS sont beaucoup plus crédibles que le clonage thérapeutique. C'est pourquoi Wilson a abandonné ses recherches. Cela faisait d'ailleurs dix ans que je disais que le clonage thérapeutique était une mystification. La suite des événements m'a donné raison. Mais les iPS ne permettent pas de mener des recherches sur le développement embryonnaire. En outre, on ne peut pas se passer de recherche sur l'embryon, même si celles pratiquées sur les animaux sont utiles. La recherche médicale passe obligatoirement par la recherche sur l'homme.

La loi actuelle ne doit pas être maintenue en l'état parce que la situation est absurde. Il serait vraiment préférable d'indiquer que la recherche sur l'embryon ne peut se faire que dans des conditions particulières, extrêmement encadrées, compte tenu de la singularité et de la valeur que l'on accorde à l'embryon. Il n'est vraiment pas possible d'institutionnaliser un moratoire sur une interdiction : c'est un problème de cohérence. J'ai discuté de cette question avec des orthodoxes et c'est d'autant plus intéressant qu'ils considèrent que l'animation de l'embryon est immédiate. Ils sont dépositaires d'une tradition de certains pères de l'Eglise du deuxième siècle de notre ère et qui considéraient que l'animation était contemporaine de l'orgasme masculin. L'un d'eux estimait même que ce que ressent l'homme à ce moment-là manifestait l'insufflation de l'âme dans l'embryon, ce à quoi Saint Augustin répondait qu'il y avait tellement d'orgasmes non suivis d'embryon qu'il s'étonnait qu'il y ait autant d'âmes qui se promènent dans la nature. Le débat est donc extrêmement ancien. Il m'importe que toute position éthique puisse être fondée sur des valeurs explicites et partagées. Toutes les recherches sur la personne sont encadrées et celles sur l'embryon doivent l'être d'autant plus.

Monsieur Pinton m'a parlé de l'adoption animale : je suis un homme de cheval et j'ai les mêmes expériences que lui. Quand un poulain perd sa mère, on le frotte avec l'urine d'une autre jument ayant pouliné pour le faire adopter. Mais tous ces cas relèvent en réalité d'une erreur de la mère, qui croit avoir affaire à son rejeton biologique, et non d'une adoption par le coeur.

J'en viens au transfert post mortem : faut-il légiférer alors que le nombre de cas est restreint ? L'urgence d'une législation est liée au nombre de cas concernés. Il n'empêche que si l'on veut que la loi de bioéthique soit une loi-cadre, à savoir qu'elle pose des valeurs partagées par l'immense majorité de nos concitoyens, il est important de se référer aux principes. A vous entendre, il y aurait autant de raison à dénoncer une loi le permettant qu'une loi l'interdisant. Il n'empêche que la loi l'interdisant est moralement problématique. Prenons un exemple concret : un couple souhaite un enfant et a recours à une assistance médicale à la procréation. Malheureusement, le conjoint décède. Certes, il faut empêcher que la femme se précipite pour demander un transfert d'embryon, car il y a un temps de sidération affective qui ne permet pas de prendre une telle décision de façon réfléchie. Mais après une période de deuil d'une ou deux années, si cette femme persiste dans sa demande, la situation mérite qu'on y réfléchisse. Certes, l'embryon n'est pas un bien qu'elle a hérité de son mari. Il n'empêche que c'est elle qui a le plus de droits sur cet embryon qui ne lui appartient pas : il procède d'une partie d'elle-même et elle l'a voulu avec cet homme là. Comment justifier que l'Etat s'arroge un droit supplémentaire sur le devenir de cet embryon ? Je ne vois aucun argument d'ordre moral qui puisse justifier cette nationalisation.

J'en arrive à la déperdition de la légitimité des lois de bioéthique : j'ai été un peu déçu par les débats à l'Assemblée nationale. Pour moi, la loi idéale ne devrait pas être révisée tous les cinq ans. Soit on considère qu'elle doit tout prévoir, et elle sera toujours en retard d'une guerre ou d'un métro, soit les bases de la pensée morale doivent être révisées à l'aune des progrès scientifiques, mais j'estime que la morale n'est pas soluble dans la science. Les parlementaires doivent donc indiquer dans la loi quelles sont les valeurs qui sont essentielles, qui pourraient être menacées par l'évolution des techniques et qu'il s'agit de protéger. Cette loi-cadre devrait permettre de finaliser les valeurs essentielles fondant l'humanité de l'homme. Bien évidemment, il faut donner des exemples. Il importe en outre de mettre en place un dispositif de suivi complet et précis de la loi de telle sorte qu'en tant que de besoin on puisse légiférer : si un point mérite qu'on y revienne, pourquoi attendre cinq ans ? Une loi-cadre et un système de veille sont donc nécessaires. La règle, ce n'est pas de faire une loi à chaque fait divers. Jusqu'à ces dernières années, les lois fixaient les cadres généraux et les tribunaux essayaient d'appliquer l'esprit des lois à la particularité des situations. C'est ce qu'on appelait l'enrichissement jurisprudentiel. En termes de bioéthique, c'est ce qu'il faut faire : les diverses instances devront interpréter l'esprit de la loi afin de déterminer ce qu'il convient de faire ou pas.

Vous m'avez interrogé sur les mères porteuses : tout d'abord, il faut parler vrai et différencier deux niveaux : le projet d'avoir un bébé par un couple hétérosexuel ou homosexuel ne peut faire l'objet d'une approbation morale. Ceci étant, si la légitimité du couple à vouloir un enfant n'appelle de la société aucun commentaire, elle n'impose pas pour autant à la société de l'exaucer. Si les parlementaires veulent autoriser que l'amie d'un couple homosexuel ou qu'une femme, par pure générosité, qui souhaite porter un enfant pour une autre mère puisse le faire, je n'en serais pas choqué. En revanche, ce n'est pas ce qui se passe dans 98 % des cas : en Floride, en Californie, en Inde, en Ukraine, les mères porteuses, qui sont presque toujours dans le besoin, signent un contrat : il y a donc une pression de la nécessité. Dans ce contrat, ces femmes s'engagent à ne pas interrompre la grossesse, à subir un diagnostic prénatal, à avorter en cas de problème, à accepter que l'on pratique une césarienne en cas de besoin et à abandonner l'enfant à sa naissance. Elles s'engagent donc à n'être que des utérus vivants mais artificiels pendant neuf mois. Sommes-nous prêts à accepter une telle loi ? Le principe de considération de la personne est-il compatible avec une telle activité ? La loi française dit que la mère d'un enfant est la personne qui en accouche : il ne faut rien changer dans ce domaine. Que l'on tente de faciliter les conditions dans lesquelles une mère puisse abandonner son enfant de telle sorte que ce dernier puisse rapidement être adopté, pourquoi pas ? Mais il faut bien se garder d'infliger aux enfants la double peine : des couples fortunés peuvent dépenser 50 000 dollars pour avoir une mère porteuse à l'étranger. Il faut trouver une solution pour que le désir que l'on a de ne pas légaliser cette pratique ne nuise pas à l'enfant : il n'a pas à être l'otage de nos discussions ni de nos incertitudes. Pour autant, il ne faut pas ouvrir la porte à une pratique que l'on récuse. Pourquoi ne pas pénaliser cette pratique, même réalisée à l'étranger, comme cela se fait pour la pédophilie ?

J'en viens au Cecos : dans le temps, les parents ne disaient pas à leur enfant quelle était son origine. Il fallait donc que les Cecos comparent l'apparence du donneur à celle de la famille ; il ne s'agissait nullement de sélection mais de crédibilité de l'enfant. Les parents doivent avoir la liberté de dire ou de ne pas dire.

La congélation lente d'ovocytes fonctionnait, mais assez mal. La fécondabilité de ces ovocytes était amoindrie et les nouvelles méthodes de vitrification donnent de meilleurs résultats, mais il ne s'agit que d'une amélioration technique qui ne soulève aucune question éthique.

Concernant l'anonymat, dans les pays où il a été levé comme en Suède, on constate une légère diminution du nombre des donneurs mais, surtout la réintroduction du secret dans les familles pour éviter tout risque d'interférence avec le géniteur. Autrement dit, la levée de l'anonymat a eu l'effet inverse à celui escompté : elle pousse les parents à ne rien dire aux enfants des conditions dans lesquelles ils ont été conçus.

J'en viens aux progrès de la thérapeutique pour l'embryon. Pour moi, la question est plutôt celle du progrès dans la compréhension de l'embryologie. Des travaux ont été effectués sur le développement embryonnaire des souris ; mais les différences sont considérables entre les espèces. En partant de ce qui est connu chez l'animal, des processus à l'origine des infécondités ou des malformations ont été repérés. La recherche sur l'embryon, si elle n'est pas considérable, a donc pu être menée dans les conditions actuelles.

Il est impossible de limiter l'accès aux tests génétiques. Je suis très opposé aux tests de filiation et ce, depuis 1989, date à laquelle j'ai été associé, en tant que commissaire du gouvernement, à la préparation de la loi de 1992. J'ai directement participé à l'écriture de l'article imposant la saisine judiciaire pour les tests de filiation. L'objectif était que la profondeur du lien social, qui unit le père à l'enfant, ne soit pas sujette aux conséquences d'une querelle entre l'homme et la femme, qui conduirait à l'homme à saisir un cheveu de l'enfant pour pratiquer un test de filiation. Cet article a été voté dans la nuit par les quelques députés présents ; depuis, il n'a pas été modifié. Dans la pratique, on fait aujourd'hui comme s'il n'existait pas. Pour autant, la loi a pour fonction de poser des limites ; elle a une fonction pédagogique ; elle doit dire les valeurs qui sont importantes pour notre société. Avec cet article, il s'agissait de dire que la filiation ne peut en aucun cas être réduite à sa dimension biologique. D'où mon opposition totale à l'amendement de M. Mariani sur les tests ADN.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Merci de confirmer, au nom du principe de crédibilité, la mise en place d'une forme de sélection et de discrimination raciale dans les Cecos, qui n'existe pas pour l'adoption.

Je vous rejoins sur le post mortem : il n'y a pas de raison de nationaliser l'embryon. En revanche, la conservation de l'embryon dans un cadre institutionnel français aboutit, de fait, à une nationalisation ! A moins que le post mortem ne permette aux femmes, via la vitrification ovocytaire, de reculer l'âge d'avoir un enfant jusqu'à cinquante ans pour se consacrer entièrement à leur carrière professionnelle durant les vingt-cinq ou trente années précédentes. Veillons à ce que l'acceptation du post mortem ne nous conduise pas à accepter de telles pratiques.

M. Axel Kahn. - Je ne peux pas être d'accord avec vous sur la « nationalisation ». Quand on hospitalise un malade, la puissance publique règle l'accueil, les droits et les devoirs, elle encadre les soins, pour autant, elle ne nationalise pas !

Les Cecos s'efforcent de respecter la volonté des parents. Cette situation est d'ailleurs relativement similaire à celle de l'adoption : les parents peuvent décider de la couleur de peau de leur enfant.

La congélation de l'embryon et la vitrification sont des techniques tout à fait différentes. Et je suis prêt à dénoncer avec vous cette société absurde où le paradigme de la modernité serait de travailler d'arrache-pied pour gagner beaucoup d'argent tant qu'on est jeune et de congeler son embryon pour avoir un enfant à la ménopause !

Agenda social 2011 - Rencontre et échange avec les présidents et secrétaires généraux des organisations professionnelles

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission, ouverte à tous les sénateurs, reçoit les présidents et secrétaires généraux des organisations professionnelles pour un échange sur l'agenda social 2011 : MM. François Chérèque, secrétaire général de la confédération française démocratique du travail (CFDT), Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jacques Voisin, président de la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Bernard Van Craeynest, président de la confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Laurence Parisot, président du mouvement des entreprises de France (Medef), MM. Jean-François Roubaud, président de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et Jean Lardin, président de l'union professionnelle artisanale (UPA).

Mme Muguette Dini, présidente. - Cette réunion de la commission des affaires sociales est une expérience inédite : c'est la première fois que nous entendons les partenaires sociaux sur l'agenda social, qui constitue, depuis 2008, la feuille de route de la négociation annuelle retenue par les organisations professionnelles. Je remercie le président Larcher d'avoir pris l'initiative de ce moment d'échange et d'expression de la démocratie sociale.

M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Je suis heureux de participer à cette audition. Nous allons entendre sept des huit présidents ou secrétaires généraux des organisations professionnelles. Pour la première fois, vous venez présenter devant le Sénat votre agenda social pour 2011, ainsi que votre cycle pluriannuel de délibérations et de négociations. Cet agenda est riche : il comporte les négociations incontournables, assurance chômage et retraites complémentaires, mais aussi, à votre initiative, d'autres thèmes comme l'emploi des jeunes. Nous souhaitons vous entendre sur vos priorités dans les négociations, ainsi que sur votre conception du dialogue social et de son évolution, pour une meilleure articulation entre démocratie politique et démocratie sociale.

La loi du 31 janvier 2007, qui avait le mérite de la brièveté, a constitué une première étape dans la rénovation du processus de préparation des réformes dans le domaine du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Elle a fixé le cadre méthodologique de la concertation préalable entre le Gouvernement et les partenaires sociaux et introduit la notion d'agenda social, que vous avez interprétée de manière extensive le 10 janvier dernier.

La seconde étape a été d'élargir cette procédure aux propositions de loi à caractère social. Le bureau du Sénat a adopté un protocole le 16 décembre 2009, l'Assemblée nationale a suivi. Par deux fois, nous vous avons renvoyé des propositions de loi.

Troisième étape, notre rencontre d'aujourd'hui est un exercice de pédagogie réciproque : il s'agit, dans le respect de l'indépendance du pouvoir législatif, de permettre aux parlementaires de mieux prendre en compte les exigences liées aux négociations collectives, et stimuler l'initiative parlementaire. Certains parlementaires estiment peut-être que la négociation collective prend beaucoup de temps devant l'urgence des réformes ; a contrario, les partenaires sociaux peuvent ne pas comprendre les amendements parlementaires à un texte transposant un accord. Il ne doit pas y avoir de mur de verre entre nous : nous partageons la même préoccupation, celle de l'avenir de notre pays. C'est un rendez-vous fort, fondé sur l'échange.

Pour la première fois, vous utilisez la méthode « réversible » ouverte par la loi de 2007 : les sujets inscrits à l'agenda social peuvent l'être à votre initiative comme à celle du Gouvernement. Dans une société qui redoute l'avenir, qui se replie sur elle-même, où pointe la tentation du populisme, nos relations sont essentielles.

M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. - C'est avec plaisir que nous venons parler de l'agenda social devant les parlementaires, preuve que nous tentons de travailler ensemble. Trop souvent, les relations entre Parlement et partenaires sociaux donnent lieu à des combats de légitimité. La loi de janvier 2007 - dite loi Larcher - a été la première à organiser les espaces de responsabilité des uns et des autres. Jusqu'à présent, elle a été plutôt bien utilisée, malgré quelques accrocs lors de la reprise d'accords. Peu après son élection, le Président de la République avait réuni les partenaires sociaux et lancé un agenda social, dont plusieurs éléments, comme la modernisation du marché du travail ou la formation professionnelle, ont été traduits dans la loi.

C'est aujourd'hui la première fois que nous prenons nous-mêmes en main le dialogue social. Premier volet de l'agenda social : les thèmes imposés par la loi, assurance chômage et retraites complémentaires. Deuxième volet, un thème que nous avons choisi : l'emploi des jeunes. Il s'agit de trouver des mesures concrètes, avec des objectifs chiffrés, en matière de formation, d'apprentissage, de stages, de logement, etc. Je regrette que le Président de la République ait annoncé hier des mesures en matière d'apprentissage : cette transgression, si j'ose dire, risque d'être un frein à la négociation.

Les sujets choisis conjointement - les institutions représentatives du personnel et le partage de la valeur ajoutée - figuraient dans le précédent agenda social. S'y ajoute l'évolution du paritarisme. Sujets plus prospectifs, l'évolution du bilan d'étape professionnelle et l'accompagnement des cadres au chômage pourront déboucher sur une négociation une fois les choses mises à plat.

Deux pistes de réflexion pour l'avenir : le lien entre initiative parlementaire et agenda social, sachant que le délai qui nous est accordé pour répondre aux demandes d'avis sur les propositions de loi est bien court, et l'amélioration de la concertation entre nous, sans empiéter sur la responsabilité du législateur ou sur l'espace réservé des partenaires sociaux.

M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. - Je me félicite de cet échange démocratique entre les partenaires sociaux et les élus. Le débat sur le lien entre démocratie sociale et démocratie politique est ancien. Aux termes de l'article 1er de la Constitution, la France est une république sociale. Celle-ci repose sur trois piliers : des services publics à la hauteur des besoins ; la solidarité, qui suppose de préserver nos régimes de protection sociale collective ; une couverture conventionnelle ou statutaire des salariés exceptionnelle, qui place la France au premier rang en la matière. La couverture des salariés des hôtels, cafés et restaurants, par exemple, secteur qui compte surtout des très petites entreprises, ne peut passer que par un accord de branche.

En France, ce sont souvent les crises qui font évoluer. La loi de 2007 a fait suite à la crise du contrat première embauche (CPE). Largement débattue avec les partenaires sociaux, elle a fait consensus et marqué un progrès important. Les politiques, parlementaires ou pouvoirs publics, font primer l'intérêt général ; les organisations syndicales défendent des intérêts particuliers. Il n'y a pas pour autant un mur entre nous, pas plus qu'entre la loi et le contrat. Cela suppose de respecter la liberté de négociation, de déterminer ce qui relève ou non de la négociation collective. Tout ce qui est dans et autour du contrat de travail est de notre responsabilité. Sur ce terrain, nous pouvons solliciter le législateur - sans pour autant nous substituer à vous - mais le tempo du dialogue social n'est pas celui du politique, rythmé par l'élection présidentielle. Nous pouvons, nous, avoir besoin de plus de temps !

L'épisode des retraites a montré la nécessité de clarifier les rôles, même s'il y aura toujours des zones d'ombre et des passerelles. Nous avons soutenu l'agenda social, défini ce qui relève de notre responsabilité, annoncé nos chantiers, fixé un calendrier. En ce qui concerne l'emploi des jeunes, nous voulons du concret sur la formation, la mobilité, le logement, les stages, etc. Pourquoi pas une prime pour les jeunes qui trouvent un emploi loin de leur domicile ?

Sur l'apprentissage, nous demandons à être consultés, mais le sujet est de la responsabilité des pouvoirs publics. Il faut respecter nos champs de responsabilité respectifs. Notre pays a besoin de démocratie politique et de démocratie sociale. La loi de 2007, excellente par ailleurs, ne doit pas conduire à nous imposer un rythme qui n'est pas le nôtre sur des dossiers qui sont de notre responsabilité. Il ne faudrait pas que trop de libéralisme économique conduise à trop d'autoritarisme social !

M. Alain Gournac. - Le message est clair !

M. Jacques Voisin, président de la CFTC. - Merci au président Larcher de cette initiative. Le dialogue social est essentiel : pour nous, la construction sociale se fonde sur la négociation collective.

Comment clarifier les rôles ? Quand nous disons « complémentarité », nous pensons « subsidiarité ». La loi de 2007, la consultation des partenaires sociaux sur les propositions de loi à caractère social ne règlent pas tout. La question des retraites reste posée. Idem pour l'emploi des jeunes. Comment articuler nos compétences pour avancer ensemble ? La loi de 2007, par ailleurs satisfaisante, ne répond pas à cette question de la responsabilité partagée.

Autre préoccupation : comment améliorer l'organisation de notre dialogue social ? Quelles méthodes et quels moyens ? Rien n'est formalisé, sinon un rendez-vous hebdomadaire. Si les négociations de branche et d'entreprise sont encadrées et structurées par le code du travail, il reste à préciser le rôle de l'interprofessionnel.

L'agenda social organise un cycle de discussions sur la qualité de la vie au travail, qui abordera notamment la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ou l'organisation du travail. Nous avons besoin de temps pour préparer cette négociation.

Nous nous voyons tous les deux ans pour le renouvellement de la convention d'assurance chômage mais, à s'y prendre trop tard, nous n'avons pas le temps d'étudier des questions aussi importantes que la portabilité des droits, le niveau des cotisations ou l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Il nous faut oser aborder certains sujets sensibles, que nous avons tendance à laisser au législateur, comme le financement de la protection sociale, la pénibilité, la modernisation du dialogue social, la négociation d'entreprise, le partage de la richesse, etc. Pour nous en emparer réellement, il nous faudrait un lieu neutre, où prendre le temps de débattre : un conseil du dialogue social sur le modèle de ce qui existe dans d'autres pays.

M. Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC. - Je me réjouis de cette rencontre, alors que les partenaires sociaux viennent de prendre l'initiative, inspirée par la loi de 2007, d'établir un agenda social pluriannuel. Le menu des négociations est copieux ; j'espère que nous en sortirons rassasiés, sans indigestion...

Comme dans le patinage artistique, il y a les figures libres et les figures imposées - l'essentiel est de ne pas chuter ! Il y aura des résultats en matière d'assurance chômage et de retraites complémentaires ; à chacun d'en apprécier la qualité.

Nous sommes dans une période transitoire, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. La rapidité de l'évolution du monde tranche avec la lenteur de l'adaptation de notre vie économique et sociale. Beaucoup restent au bord de la route. Nous n'arrivons pas à retrouver notre place dans le concert international et dans la compétition économique mondiale.

Cet agenda social a été établi au lendemain de l'échec des retraites. Les retraites complémentaires sont clairement du domaine des partenaires sociaux. La réforme est loin de répondre à nombre d'interrogations. Chacun sait que nous n'avons fait que différer les solutions de fond ; il faudra y revenir bien avant 2018.

Notre histoire sociale est celle d'une relation tripartite, où deux partenaires ont toujours su s'entendre sur le dos du troisième et attendu des pouvoirs publics qu'ils maintiennent l'ordre public social. Or, depuis la loi de mai 2004, la protection en la matière s'est étiolée, compte tenu de l'existence de déserts syndicaux. Je salue la qualité du rapport de votre délégation à la prospective sur le pacte social en entreprise. Si l'on peut se contenter d'un pacte oral dans les petites entreprises, les plus grandes ont besoin d'intermédiation. Encore faut-il trouver des acteurs du dialogue social, susciter des vocations... La loi du 20 août 2008 est emblématique de l'incompréhension entre partenaires sociaux et politiques. Son titre II, qui porte sur la durée du travail, pollue la relation de confiance nécessaire pour bâtir l'édifice social.

Pourquoi ne pas mettre en place une sorte de commission mixte paritaire, regroupant députés, sénateurs et représentants des partenaires sociaux, afin d'échanger et mieux nous comprendre ? Sans remettre en cause le droit d'amendement des parlementaires, il peut être utile d'expliciter la rédaction de tel ou tel article... Idem pour les formulations auxquelles nous aboutissons, parfois rédigées de manière fort alambiquée car il ne fallait fâcher personne !

A l'instar des Pays-Bas ou du Danemark, nous voulons sortir de ce tripartisme. Nos discussions sont dictées soit par l'Elysée, qui nous invite, avec force médiatisation, pour évoquer les grands sujets sociaux, soit par le Medef, qui nous reçoit à son siège, nous fournit l'hospitalité mais commande du coup le rythme de la négociation ! C'est pourquoi nous demandons la création d'une maison du dialogue social indépendante, où nous réunir en tant que de besoin.

Mme Laurence Parisot, présidente du Medef. - Merci de votre invitation, qui m'a d'emblée enthousiasmée. Nous trouvons tous la loi de 2007 formidable : c'est une étape historique dans l'évolution des relations sociales dans notre pays. Il reste évidemment des marges de progression, des interrogations mais, un peu plus qu'avant, l'espace propre aux partenaires sociaux est délimité, les responsabilités spécifiques définies. Nous savons désormais utiliser pleinement ce mécanisme.

Soit l'on dit que tel ou tel sujet relève exclusivement du contrat, non de la loi. A nous alors de trouver la bonne entente pour fixer la norme. Soit on juge que seule la loi peut établir la norme. Se pose alors la question de la transposition de l'accord conclu par les partenaires sociaux. Jusqu'à quel point le Parlement peut-il le transformer ? C'est un vrai sujet, difficile à trancher. Démocratiquement, on ne peut imposer au législateur de transposer tel quel un accord : le dernier mot revient à la représentation nationale. Doit-elle pour autant arrêter les moindres détails ?

Aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail. Est-ce à dire qu'il y a des sujets que le législateur ne devrait même pas regarder ? C'est une question difficile, qui n'est ni de gauche ni de droite, mais relève plutôt du débat sur la démocratie participative : il s'agit de donner un rôle plus important aux partenaires sociaux. Les protocoles adoptés au Sénat et à l'Assemblée nationale étendant le principe de la loi de 2007 aux propositions de loi sont très utiles, mais nous n'avons que quinze jours de délai pour répondre aux sollicitations : c'est très court.

On connaît l'antienne des politiques : le dialogue social ne marcherait pas, il faut le réveiller, le relancer, le renouveler... Mais nous négocions sans cesse ! Voyez le nombre d'accords d'entreprise ou de branche : la France est au premier rang en termes de couverture de branche ! Le dialogue social aboutit-il toujours à la construction sociale ? Les organisations syndicales sont parfois impatientes mais le dialogue social marche mieux que ce que l'on dit - n'en déplaise aux politiques, qui le dénigrent volontiers pour mieux justifier leur propre rôle ! Nous aussi, nous en jouons : après le conflit sur les retraites, le patronat a eu beau jeu d'inviter les syndicats à discuter avec lui plutôt qu'avec le Gouvernement ! Nous, nous ne sommes pas dupes, mais on dupe l'opinion publique.

M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME. - Merci d'avoir organisé cette rencontre. Pour nous, le paritarisme est un pilier fondamental de l'équilibre social de notre pays. Il y a gestion paritaire dès lors que nous fixons les paramètres : cotisations prélevées, prestations de services, structures de gestion... C'est le cas en matière de formation professionnelle, de retraites complémentaires, d'assurance chômage.

La politique conventionnelle a fait la preuve de son efficacité. L'agenda social du 10 janvier illustre la capacité des partenaires à s'emparer de nombreux thèmes. Pour autant, toutes les questions ne peuvent être traitées ou trouver des solutions dans ce seul cadre. Sur certains sujets, il n'y a pas de consensus entre nos organisations : à la loi de trancher, qu'elle fixe directement les règles ou qu'elle reprenne des dispositifs élaborés par les partenaires sociaux.

L'autonomie des partenaires sociaux est une valeur fondamentale. S'il est légitime que l'Etat nous signifie ses attentes, il ne lui revient pas de nous fixer un calendrier trop rapide. Nous avons dû boucler la réforme de la formation professionnelle à la hâte - mais ensuite attendu dix mois que le législateur achève ses discussions !

L'assurance chômage et les retraites complémentaires sont les piliers du dialogue social paritaire. La troisième priorité est l'emploi des jeunes. J'ai pour ma part salué les mesures annoncées hier par le Président de la République, car il faut aller vite. L'alternance est la meilleure voie de l'insertion dans l'entreprise, et 77 % des contrats de professionnalisation sont signés dans des entreprises de moins de vingt salariés.

Il faut être attentif à la modernisation du paritarisme, y compris concernant son financement. Le dialogue social paritaire fonctionne : nous faisons au moins aussi bien que l'Allemagne ! Sur la forme comme sur le fond, nous pouvons nous décerner un satisfecit, même s'il y a toujours des marges d'amélioration. Faut-il une maison du dialogue social ou une permutation circulaire des lieux de rencontre ? Nous n'avons guère d'argent à y consacrer... L'important, c'est qu'on ne nous donne pas le dossier deux minutes avant le début de la négociation !

M. Jean Lardin, président de l'UPA. - Cette rencontre était attendue. Il est important d'échanger sur la manière d'améliorer l'articulation entre démocratie sociale et démocratie politique. Longtemps, les partenaires sociaux ont regretté de n'être pas suffisamment associés à l'élaboration des règles du droit du travail. La loi de 2007, que nous devons à M. Larcher, a marqué une avancée majeure ; son extension aux propositions de loi est positive.

Il n'est pas question pour nous d'empiéter sur le rôle du législateur, mais il est indispensable que les sujets qui concernent les employeurs et les salariés soient traités en priorité par leurs représentants, qui sont les plus à même de traiter les problèmes. Dialoguer, c'est apprendre à se connaître ; c'est aussi créer les conditions du vivre ensemble.

L'UPA s'attache à organiser un dialogue social adapté aux plus petites entreprises. L'agenda social résulte d'un travail collectif, malgré des approches nuancées des diverses organisations sur certains sujets : nous savons travailler ensemble.

Outre les figures imposées, assurance chômage et retraites complémentaires, nous avons choisi de travailler sur l'emploi des jeunes car la jeunesse, c'est l'avenir de la France. Nous avons de l'expérience en la matière : les entreprises de l'artisanat et du commerce de proximité forment plus de 60 % des apprentis. Je sais le Sénat sensible à ce sujet. L'UPA s'emploie à trouver des pistes pour redonner confiance aux jeunes.

La négociation sur la modernisation du paritarisme peut sembler technique, mais elle doit renforcer la visibilité de la gestion paritaire et du rôle des partenaires sociaux. Nous avons des outils, à nous de les faire vivre. Le dialogue social doit être conforté ; il doit concerner tous les salariés, être adapté aux entreprises de toute taille.

Il faut construire ensemble une relation de confiance réciproque entre le Parlement, le Gouvernement et les partenaires sociaux. Plus les règles seront définies par la négociation, plus elles seront solides et stables. Il faut un bon équilibre entre accord, règlement et loi.

Mme Muguette Dini, présidente. - Merci pour toutes ces suggestions. Il était particulièrement intéressant de vous entendre vous exprimer tous ensemble.

Je crains que nous ne puissions pas répondre aux questions que vous nous avez posées et vous n'aurez certainement pas non plus le temps de répondre à toutes celles de nos collègues sénateurs qui sont nombreux à avoir demandé la parole.

Mme Catherine Procaccia. - J'ai été rapporteur au Sénat de la loi de 2007 : à l'époque, j'avais posé deux questions au ministre du travail dont l'une était relative aux directives européennes : comment les insérer dans le dialogue social ? Avez-vous rencontré des problèmes depuis lors avec des directives ? L'autre question concernait l'initiative parlementaire : au cours des différents textes, je n'ai jamais eu l'impression que les partenaires sociaux voulaient remettre en cause notre droit d'initiative parlementaire. Certes, vous souhaiteriez parfois que l'on transpose certains accords sans en modifier une virgule, mais aucun d'entre vous ne nous a dit qu'il n'était pas question que nous y touchions.

Lorsqu'une proposition de loi est déposée, elle est rarement examinée en séance publique dans les quinze jours : il faut plutôt six mois, voire plus, avant qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour. Vous avez donc le temps de l'examiner. Je m'interroge beaucoup plus sur les amendements car là, le temps politique et le temps du dialogue social ne sont pas les mêmes. Un certain nombre d'amendements qui portaient sur des sujets relevant du champ de la négociation collective nous ont franchement surpris. A la commission des affaires sociales, nous réagissons, mais ce n'est pas le cas des autres commissions. Sans doute y a-t-il un manque de suivi de votre part : nous devrions y réfléchir ensemble.

M. Jean-Pierre Raffarin. - Merci pour cette initiative, monsieur le Président du Sénat. Commission du dialogue social, maison du dialogue social, mais quid du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ?

Un agenda social permet de donner de la visibilité à la société, de préparer les dossiers et d'articuler les différents projets. Ne faudrait-il pas, en début de législature, prévoir une conférence entre le Parlement et les partenaires sociaux pour fixer les priorités ? Le temps de l'action est en effet ponctué par la vie démocratique.

Mme Annie David. - Je m'interroge sur les thèmes qui figurent dans l'agenda social. Certes, certains sont obligatoires, comme l'assurance chômage. Cette année, vous vous préoccupez de l'emploi des jeunes, et vous nous demandez de respecter vos choix et de ne pas interférer dans les négociations que vous menez au sein de cet agenda. Mais des thèmes importants n'y figurent pas, comme le mal-être au travail : une mission sénatoriale s'est penchée sur cette question et son rapport a été voté à l'unanimité de ses membres, même si, ensuite, il a été mis sous la table. Sur la pénibilité, rien non plus dans l'agenda. Certes, vous ne contestez pas l'initiative parlementaire mais comment faire pour que vos choix de discussion correspondent aux thématiques qui nous semblent importantes ?

Vous disiez qu'il y a beaucoup de négociations et d'accords signé dans notre pays. Pourtant, les résultats restent en deçà des attentes. Voyez ce qui se passe avec les négociations annuelles obligatoires : à qualification égale, l'écart des salaires entre les femmes et les hommes est de 25 %. Même remarque sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec) : la formation des seniors laisse encore à désirer.

Enfin, l'emploi des seniors fait partie de la Gpec et de l'agenda social : il faudrait que les entreprises gardent les salariés jusqu'à l'âge de la retraite. Cela éviterait les difficultés actuelles.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - En janvier 2011, le nombre de demandeurs d'emplois toutes catégories confondues s'élevait à 4 644 700 personnes. Dans le même temps, le nombre de chômeurs de longue durée continuait de s'accroître : plus de 19 % en un an. Le nombre de chômeurs de très longue durée, c'est-à-dire plus de deux ans, a continué, lui aussi, d'augmenter. Pourquoi ces problèmes ne sont-ils pas inscrits à l'agenda social alors qu'ils sont les plus générateurs d'exclusion ?

Depuis 2008, il y a eu 478 667 ruptures conventionnelles. Ne s'agit-il pas d'un habillage du licenciement pour motifs personnels, plutôt qu'un choix délibéré des parties ?

L'allocation équivalent retraite (AER) était financée par l'Etat au titre de la solidarité, mais celui-ci se désengage et renvoie aux partenaires sociaux la charge de subvenir aux besoins des personnes de plus de cinquante ans.

L'allocation pour les demandeurs d'emplois en formation va être payée par Pôle Emploi.

Les récentes déclarations du Président de la République risquent de parasiter l'agenda social. Il a insisté sur l'apprentissage et il a promis la création de dix centres de formation d'apprentis (CFA) supplémentaires, mais les régions vont-elles devoir les financer ?

Le 1er mars, le Premier ministre a proposé aux organisations patronales un deal : la pérennisation, dite « barémisation », des allégements de cotisations patronales contre l'engagement par les entreprises de prendre des jeunes en alternance. Que peut-on attendre de cette mesure ?

Que pensent les syndicats de l'apprentissage dans la fonction publique ?

M. Christian Poncelet. - L'agenda social est une excellente idée mais on peut avoir une imagination sociale très forte et ne pas en avoir les moyens financiers. Notre pays a 1 600 milliards de dette : ne pourrait-on prévoir un agenda économique et financier qui permettrait de déterminer les moyens dont nous disposons pour soutenir la concrétisation de cet agenda social ?

M. Joël Bourdin. - Je suis tellement content de voir les partenaires sociaux presque tous ensemble que j'ai envie de poser une question politiquement non correcte : avec Patricia Schillinger, nous avons rendu un rapport sur le pacte social dans l'entreprise et nous avons été étonnés de voir que la plupart des syndicats ne souhaitaient pas que les salariés participent à la gouvernance des entreprises. Nous restons donc dans un modèle traditionnel de lutte des classes et je voudrais comprendre ces réticences. Pourquoi n'y aurait-il pas dans les conseils d'administration de certaines entreprises ou dans les conseils de surveillance des représentants de salariés avec voix délibérative ? Il est anormal que des fonds de pension étrangers siègent dans les conseils d'administration et privilégient le court terme alors que les personnels n'y sont pas représentés. Sans aller jusqu'aux modèles suédois, allemand ou danois, pourquoi pas un peu de codétermination dans l'entreprise ?

Mme Christiane Demontès. - Evaluez-vous les accords que vous signez ? Si oui, comment ?

M. Chérèque a évoqué la question de l'emploi des jeunes : le Président de la République a récemment fait une déclaration sur l'apprentissage, ce qui ne règle en rien l'emploi des jeunes qui est une question bien plus large. Certes, la formation professionnelle ne dépend pas seulement du dialogue social, mais vous avez votre mot à dire : comment parler de l'augmentation du nombre d'apprentis dans les grandes entreprises alors que des sections dans les lycées professionnels ferment ?

Lorsque nous avons examiné le projet de loi sur les retraites, il a beaucoup été question de l'emploi des seniors. Le recul de l'âge légal de la retraite devait leur permettre de travailler plus longtemps, nous a-t-on dit. Pouvez-vous demander aux grandes entreprises, madame Parisot, qu'elles cessent de licencier leurs salariés de plus de cinquante ans ?

Quel lien faites-vous entre la rupture conventionnelle et le retrait du marché du travail des seniors ?

M. Ronan Kerdraon. - Le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de plus de 13 % l'an passé et un tiers des chômeurs indemnisés se trouvent en situation de pauvreté, voire de grande pauvreté.

L'AER, créée en décembre 2001, a été supprimée puis rétablie en mai 2010 et non prorogée au-delà du 31 décembre 2010. Hier, lors de la séance des questions orales, M. Bourquin a interrogé le Gouvernement en la matière et Mme Berra lui a répondu ceci : « Les bénéficiaires actuels continuent de percevoir l'AER. C'est seulement au 1er janvier 2011 qu'il n'y a plus d'entrants. Les partenaires sociaux ont engagé une renégociation de l'assurance chômage. La situation de ces personnes doit être abordée dans ce cadre. Pérenniser l'AER reviendrait à perpétuer la notion même de préretraite. Il faut réduire les effets pervers de la cessation anticipée d'activité ». Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'ai noté avec satisfaction qu'il y avait un large consensus à cette tribune sur le fonctionnement du dialogue social, contrairement aux idées reçues dans le milieu politique, avez-vous dit, même si je n'ai pas vraiment l'impression que telle était notre perception des choses. Mme Parisot a dit que le dialogue n'aboutissait pas toujours à la construction sociale. Or, c'est bien cela qui nous intéresse. M. Voisin a ajouté que certains sujets sont laissés de côté. Ne serait-il pas légitime que les parlementaires se saisissent des questions relatives à la pénibilité, au financement de la protection sociale, au fonctionnement de Pôle Emploi ? Nous devrions dialoguer tous ensemble sur ces thèmes, comme l'ont d'ailleurs fait nos collègues avec le rapport d'information sur le pacte social.

Je reviens sur la maison du dialogue social : le Conseil économique, social et environnemental (CESE) serait le lieu tout trouvé pour instaurer ce dialogue. Nous pourrions d'ailleurs y participer pour faire valoir nos points de vue.

M. Guy Fischer. - Comment interpréter l'explosion des ruptures conventionnelles ? Ne s'agit-il pas de licenciements déguisés ou d'un nouveau moyen pour se séparer des seniors ?

Elu d'un quartier populaire de l'agglomération lyonnaise, je suis très sensibilisé à la question de la formation professionnelle des jeunes, notamment des jeunes Français d'origine maghrébine, car ils rencontrent de grandes difficultés pour accéder à l'emploi.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Une suggestion qui ne demande pas de réponse immédiate : depuis très longtemps, le problème de la frontière entre contrat et loi empoisonne nos relations. Personne n'a trouvé de solution. Mme Parisot a parlé de l'article 34 de la Constitution : il faut savoir que les parlementaires le respectent assez peu. La distinction entre législatif et réglementaire est souvent perdue de vue et nous allons très loin dans les détails.

Sur une loi sociale, vous pourriez nous dire quels sont, à vos yeux, les principes généraux qui sont du domaine législatif et quelles sont les mesures d'application qui n'ont pas à figurer dans le texte. Si nous pouvions nous livrer à un tel exercice, nous améliorerions sans doute nos relations réciproques et nous éviterions d'encombrer le code du travail de toute une série de dispositifs contractuels.

Mme Muguette Dini, présidente. - L'objet de notre réunion était la présentation de l'agenda social. Je vous propose de répondre brièvement, et par priorité, sur le sujet d'aujourd'hui.

M. François Chérèque (CFDT). - S'il suffisait d'une maison du dialogue social pour améliorer le dialogue social, elle serait déjà construite. En revanche, il serait très intéressant de prévoir une conférence sociale en début de quinquennat. Nous avons essayé de le faire une fois et nous avons négocié pendant deux ans. Un tel dialogue me semble fondamental : il en va de l'organisation de la démocratie dans notre pays.

Pour qu'un accord d'entreprise soit valable, il doit être signé par des syndicats qui représentent au minimum 30 % des salariés et il peut être contesté par des syndicats qui représentent au moins 50 % des salariés. A partir du moment où un accord n'est pas contesté, il a une validité démocratique. Globalement, toutes les organisations syndicales signent 70 % des accords d'entreprise.

Il ne peut y avoir qu'explosion du nombre des ruptures conventionnelles puisqu'elles n'existaient pas auparavant. Si nos quatre organisations syndicales ont signé cet accord, c'est pour éviter les ruptures de contrats de travail qui, auparavant, étaient faites n'importe comment dans les entreprises. Nous avons mis en place un système clair, déclaratif et qui est contrôlé par l'inspection du travail. Qu'il y ait des abus, en particulier pour les seniors, c'est probable, mais il faut évaluer la loi et les accords.

Je suis bien évidemment favorable à l'apprentissage dans la fonction publique, dans toutes les fonctions publiques, y compris dans les collectivités locales. Les responsables politiques doivent arrêter de donner des leçons sur l'apprentissage dans le privé alors que la fonction publique en est encore au Moyen-Age dans ce domaine. Je regrette que ce sujet ne soit pas abordé dans la négociation actuelle.

La CFDT souhaite changer le mode d'organisation des consultations du personnel. Pour l'instant, nous nous bornons à des négociations sur les conséquences des décisions prises par les dirigeants d'entreprise. Il faut organiser le dialogue en amont pour anticiper sur ces décisions.

L'Etat doit financer l'AER : reculer l'âge de la retraite et dire aux partenaires sociaux qu'ils doivent financer l'AER, ce n'est pas acceptable. En revanche, nous sommes prêts à cofinancer les formations longue durée pour les chômeurs.

M. Jean-François Roubaud (CGPME). - Il serait très intéressant que notre agenda social se déroule en même temps que les agendas des parlementaires.

L'emploi des seniors figure bien dans l'agenda social du deuxième semestre : nous allons voir si la situation s'est améliorée.

Faut-il que la maison du dialogue social soit située dans un immeuble ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Dans l'Hôtel de la Marine !

M. Jean-François Roubaud (CGPME). - Le CESE a une autre mission que la nôtre : chacun doit pouvoir dialoguer de son côté.

M. Jean-Claude Mailly (FO). - La pratique fait que l'on ne définira jamais très précisément ce qui ressortit à la responsabilité du Parlement et ce qui relève de celle des partenaires sociaux. Je ne souhaite pas qu'il soit impossible de toucher à un accord : politiquement, cela s'appelle le corporatisme. Vous avez la responsabilité finale des lois que vous votez. En revanche, si un accord a été signé par quasiment toutes les organisations patronales et syndicales, à vous de mesurer s'il a plus de poids qu'un accord signé par un ou deux syndicats. Mais votre responsabilité doit rester pleine et entière, sinon nous ne sommes plus dans un régime démocratique et républicain. Cela ne veut pas dire que lorsqu'on a signé un accord, nous ne souhaitions pas que vous le respectiez, mais c'est vous qui avez le dernier mot.

Nous savons tous que de plus en plus de directives conduisent à l'adoption de lois, voire d'accords. L'accord sur le stress au travail que l'on a négocié en France est issu d'un accord européen signé par le patronat européen et par la confédération européenne des syndicats. La vie contractuelle au niveau européen est encore plus compliquée que ce qu'elle est au niveau national.

Mais a-t-on eu un jour un véritable débat dans notre pays sur la nature des transferts de pouvoirs que l'on acceptait au niveau européen ? Le peuple français attend beaucoup de ses politiques, quels qu'ils soient. Mais ces derniers sont-ils encore en situation de décider ou sont-ce les marchés ou d'autres instances qui le font à leur place ?

Je ne vois pas vraiment l'intérêt d'une maison du dialogue social. Le CESE ne peut en tenir lieu : cette assemblée consultative a d'autres fonctions. Je regrette que nous n'ayons plus dans notre pays de lieu transversal de débat et de démocratie à froid, ce qu'était en son temps le commissariat général du plan où l'on pouvait discuter de tout. Aujourd'hui, nous avons des instances spécialisées mais plus de lieu transversal. Je le regrette.

Nous ne sommes pas responsables de la loi sur les retraites : que ceux qui l'ont votée assument leurs choix et que l'Etat finance l'AER.

Nous avons déjà cofinancé la formation des chômeurs en fin de droit avec les fonds paritaires et nous sommes prêts à recommencer.

J'en viens à la rupture conventionnelle : auparavant, on appelait cela les « chèques-valise » : vous vous mettiez d'accord avec l'employeur qui vous licenciait. La négociation sur cette question avec le patronat n'a pas été chose aisée : aujourd'hui, la comparaison avec la situation antérieure est très difficile, d'une part parce qu'il n'y a aucun point de repère et d'autre part parce que la crise est passée par là. Comment faire des comparaisons ? Bien sûr, une part des ruptures conventionnelles est due à la crise, mais cela ne me choque pas que 20 % des ruptures conventionnelles concernent les seniors : l'Etat n'a qu'à remettre en place des préretraites.

Des salariés dans les conseils d'administration ? Ce n'est pas la tasse de thé de FO. On a souvent plus d'informations dans les comités d'entreprise que dans les conseils d'administration. Ou alors, transformons toutes les entreprises en sociétés coopératives !

Mme Laurence Parisot (Medef). - Quelques mots sur l'articulation du dialogue social avec la démocratie politique. La rencontre d'aujourd'hui montre que nous avons plein de choses à nous dire : il faudrait sans doute que des réunions de ce type se tiennent plus régulièrement.

Manque-t-il un lieu pour le dialogue social ? Je ne le crois pas. Au cours des multiples réunions que nous avons, je n'ai jamais eu le sentiment que l'un des partenaires ait manqué de liberté, d'indépendance, de capacité de négociation. Je ne suis pas sûre qu'un lieu spécifique changerait quoi que ce soit.

Ensuite, il y a beaucoup de lieux de rencontre : nous passons notre temps à courir d'une commission à une autre, d'un centre d'analyse à un autre...

Il ne faut pas non plus se montrer nostalgique : les débats se déroulent aujourd'hui sur BFM, sur LCI, sur les forums ou sur nos sites internet.

Plusieurs d'entre vous ont laissé entendre que tel ou tel thème ne figurait pas sur l'agenda : c'est faux ! Nous les abordons tous. Les enjeux de mal-être au travail sont sur l'agenda. Je ne connais pas un thème que nous ayons refusé. Il y a certes des thèmes sur lesquels des discussions ont lieu mais qui n'aboutissent pas à un accord. C'est le cas de la pénibilité. Notre désaccord ne porte pas sur la pénibilité, dont nous ne nions pas la réalité, mais sur le financement.

Comme l'a dit le président Poncelet, le social ne se conçoit pas sans l'économie, mais nous en parlons aussi. Nous allons d'ailleurs prochainement parler de la compétitivité et des enjeux du financement de la protection sociale. Nous ne sommes pas sûrs de trouver une solution miracle qui conviendrait à tous, mais nous allons discuter, avancer et nous mettre d'accord sur des diagnostics. Ces dernières années, nous avons eu beaucoup de délibérations, notamment en matière économique.

On m'a interpellé sur la proposition de M. Fillon : la « barémisation » des allègements de charges n'est pas un deal avec le patronat. Je ne puis vous répondre sur ce que nous allons proposer au Premier ministre car le sujet est très complexe, mais aussi très structurant : en fonction des orientations prises, le mode de financement de la sécurité sociale et les principes même de son financement pourraient profondément évoluer. Vous serez nécessairement saisis de ce débat.

J'en viens à la rupture conventionnelle : il est quand même paradoxal que vous critiquiez autant un des accords les plus novateurs qui ait été signé ces dernières années !

M. Alain Gournac. - Tous ne critiquent pas !

Mme Muguette Dini, présidente. - Seulement certains !

Mme Laurence Parisot (Medef). - Côté patronal, nous sommes partis d'un point A et côté syndical, d'un point B. Ensemble nous sommes parvenus à un point C : il s'agit d'une véritable création ! Bien sûr, il faut faire des évaluations : les abus devront être corrigés mais avec ce dispositif, nous avons pour la première fois dans notre pays introduit de la flexisécurité, ce qui est remarquable.

M. Jacques Voisin (CFTC). - La maison du dialogue social nous tient à coeur. Dans les années 2000, quand nous avions évoqué la refondation sociale, le lieu choisi avait été le Conseil économique et social afin que ce sujet sensible soit débattu sur un terrain neutre.

Lorsque M. Raffarin parle du CESE, nous applaudissons car nous disposerions de sa logistique. Nous avons besoin de créer ce lieu du dialogue social car il y a des sujets sur lesquels nous n'avons pas le temps de parler. Nous pourrions ainsi évaluer les chiffres des ruptures conventionnelles et débattre à froid de sujets importants, comme la pénibilité, la modernisation des conditions de travail, le financement de la protection sociale. Il faudra bien qu'un jour les partenaires sociaux se penchent sur cette question essentielle.

Sur l'assurance chômage, nous avons voulu aborder la portabilité et le niveau des cotisations en fonction des contrats. On nous a répondu qu'on n'avait pas le temps d'en débattre.

M. Jean Lardin (UPA). - M. Poncelet a parlé économie : durant ces huit dernières années, l'artisanat a créé 100 000 entreprises et 600 000 emplois.

Des sections d'apprentissage en lycées professionnels ferment ? Ce sont celles qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises. Dans tous les conseils régionaux, les entreprises demandent des ouvertures de section : l'adéquation entre l'offre et la demande doit s'améliorer.

S'il faut un lieu de dialogue, pourquoi pas le CESE, mais à une condition : qu'on ne lui fasse pas jouer de rôle qui ne soit pas le sien.

M. Alain Gournac. - Dans les locaux !

M. Jean Lardin (UPA). - Tout à fait.

Le Gouvernement a saisi le Conseil économique et social sur l'harmonisation des Smic : ce sont les partenaires sociaux de la section du travail qui ont trouvé la solution. De même, le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo a été préparé durant l'été 2004 au sein du Conseil économique et social par les partenaires sociaux.

Sur la pénibilité, l'UPA a la même approche que celle indiquée par Mme Parisot : les discussions ont achoppé sur le financement.

M. Bernard Van Craeynest (CFE-CGC). - Pour le dialogue social, le Palais d'Iéna me semble tout à fait approprié, mais ne confondons pas la très belle institution qu'est le CESE, et qui a toute sa raison d'être, avec le dialogue social que nous appelons de nos voeux.

Ne stigmatisons pas la rupture conventionnelle mais ce véhicule est en train d'être utilisé pour contourner la suppression de toutes les formules de cessation anticipée d'activité qui existaient depuis trente ans, ce qui n'est pas neutre, y compris pour le financement de la protection sociale et de l'assurance chômage.

Il y aurait beaucoup à dire sur les directives européennes : je pense en particulier à celle sur les services d'intérêt économique généraux et à celle sur le temps de travail. Nous avons besoin d'une approche de l'Europe un peu plus constructive et objective, y compris de la part des politiques. Nous avons collectivement tendance à dire que c'est à cause de l'Europe si tout va mal.

Il y a des thèmes qui ne figurent pas explicitement dans l'agenda mais que nous abordons : quand nous parlons d'emploi, nous visons bien sûr les jeunes et les seniors. Nous sommes particulièrement actifs sur les problèmes de santé au travail et le rapport de la mission sénatoriale est tout à fait remarquable. Nous en avons d'ailleurs parlé fin novembre avec le patronat. En revanche, Mme Parisot nous a fait remarquer que le Medef pouvait difficilement aborder officiellement la question de l'organisation du travail qui est du ressort du chef d'entreprise. En revanche, parlons de la qualité de vie au travail : il en va d'ailleurs de notre intérêt collectif à tous ! Une meilleure qualité de vie permettrait en effet de réduire le nombre d'arrêts maladie et donc d'alléger les dépenses de santé.

Mme Muguette Dini, présidente. - Merci pour vos contributions et tout ce que vous nous avez apporté : comme Mme Parisot l'a suggéré, il faudra nous rencontrer plus souvent.