Mardi 8 mars 2011

- Présidence de M. Jacques Blanc, vice-président -

Audition de M. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement

M. Jacques Blanc, vice-président - Votre nomination en conseil des ministres en qualité de directeur général de l'Agence française de développement (AFD) en juillet dernier est intervenue dans un contexte de mutation profonde de son environnement et de ses activités.

Le volume d'interventions de l'Agence a été multiplié par cinq depuis dix ans, et son champ d'intervention géographique étendu à plusieurs reprises, vers l'ensemble de l'Afrique d'abord, puis en direction des pays émergents prioritaires. Son champ sectoriel s'est aussi considérablement accru avec le transfert, en 2004, des actions de coopération dans l'ensemble des secteurs relevant des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), notamment la santé, l'éducation de base et le secteur productif. Ses activités de financement du secteur privé ont connu un développement accéléré, tandis que sa production intellectuelle s'est significativement renforcée. Par bien des aspects, l'AFD se compare désormais, au plan international, aux principales agences bilatérales et aux banques multilatérales de développement.

Votre agence est aujourd'hui l'opérateur pivot de la coopération française. Elle a un rôle stratégique qui s'affirme de plus en plus, comme en témoignent l'inscription au sein de l'agenda du G20 et du G8 des questions relatives à l'aide au développement, l'importance prise par les questions du développement du Sahel ou des pays du Maghreb ou celles relatives à la lutte contre le réchauffement climatique. L'évolution de l'actualité contribue sans nul doute à accroître les attentes des pouvoirs publics à l'égard de l'AFD.

En septembre dernier, le Premier ministre vous a défini ses priorités à travers une lettre de mission. Vos tutelles ont ensuite, en liaison avec vos services et en concertation avec le Parlement, défini une stratégie de coopération de développement. Aujourd'hui, vous venez de négocier avec l'Etat votre contrat d'objectifs et de moyens.

Pouvez-vous nous décrire l'économie globale de ce contrat ? Nous expliquer la valeur ajoutée de ce document par rapport au document-cadre ? Nous décrire les objectifs qui vous sont fixés, les moyens qui vous sont attribués, les économies de fonctionnement qui vous sont imposées et le programme d'activité qui en découle ?

Je rappelle aux membres de la commission que nous aurons, en application de l'article 1 de la loi sur l'action extérieure de l'Etat, à nous prononcer sur ce contrat sur le rapport de nos collègues Cambon et Vantomme. Ce contrat va nous être communiqué très prochainement par le secrétariat général du gouvernement. Il était prévu que nous l'ayons dès aujourd'hui pour cette audition. Cela n'a pas été possible. Mais nous comptons sur vous Monsieur le directeur général pour nous en communiquer l'essentiel.

Pouvez-vous également nous indiquer comment et quand, à l'issue de l'avis du Parlement, sera adopté ce contrat et par quel organisme, le conseil d'administration ou le conseil d'orientation stratégique ? Cela sera l'occasion de nous éclairer sur la gouvernance de l'AFD. C'est également pour moi l'occasion de réitérer le souhait du Président qu'un de nos rapporteurs de la commission puisse siéger au conseil d'administration de votre Agence comme l'impose la loi sur l'action extérieure que nous avons adoptée en juillet dernier.

M. Dov Zerah. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de présenter à la représentation nationale le contrat d'objectifs et de moyens de l'agence française de développement. Je ne sais pas encore exactement quand et selon quelle modalité le COM sera adopté. Les sénateurs sont les bienvenus au Conseil d'administration de l'AFD et cela avant même que le statut de l'Agence ne soit modifié en application de la loi sur l'action extérieure de l'Etat.

Depuis 2005, l'AFD a en effet connu une profonde évolution, voire une véritable révolution. Grâce à une extension de son champ d'intervention géographique et à une diversification sectorielle, l'AFD a multiplié par quatre ou cinq ses engagements et atteint aujourd'hui une taille comparable à son homologue allemand ou à des banques régionales de développement telles que la Banque africaine de développement ou la Banque asiatique de développement. Cette croissance a été rendue possible par un accroissement de 35 % des effectifs depuis 2005.

Par rapport à la croissance rapide de ces dernières années, une phase de consolidation est nécessaire. Cette volonté de consolidation qui est la mienne s'est d'ores et déjà traduite par de nombreuses initiatives dont la constitution d'une direction exécutive des risques, qui s'imposait compte tenu de la croissance des engagements de l'agence.

Le contrat d'objectifs et de moyens en cours de négociation, qui s'inspire du document-cadre adopté par le Gouvernement en liaison avec le Parlement, traduit également cette volonté de consolidation. Il comporte une clarification de la stratégie de l'agence en matière de concentration géographique et sectorielle.

En matière de concentration géographique, nous avons proposé à nos tutelles de consacrer 80 % des subventions-projets aux quatorze pays prioritaires de la coopération française, hors pays en crise ou en sortie de crise. On s'aperçoit en effet que, lorsque l'on concentre 60 % de l'effort budgétaire de l'Etat, subventions et prêts compris, à l'Afrique subsaharienne, la majorité de ces engagements ne vont pas aux pays francophones de cette zone dont la capacité d'emprunt est limitée. C'est pourquoi il nous faut concentrer davantage nos interventions sous forme de dons aux quatorze pays prioritaires et en particulier à ceux de la zone sahélienne. Notre proposition n'a été retenue qu'en partie car les tutelles ont souhaité garder des marges de manoeuvre.

En matière de concentration sectorielle, le projet de contrat d'objectifs comporte des cibles sur deux secteurs : l'éducation et la santé. Pourquoi ces secteurs ? Parce qu'ils ne peuvent être financés que difficilement par des prêts ou par des instruments de marché. C'est pourquoi, il est prévu que l'AFD consacre au moins 40 % des subventions-projets affectés au secteur de l'éducation en Afrique subsaharienne et 48 millions d'euros de subventions par année dans les pays prioritaires pour la santé et notamment la santé maternelle et infantile. Il nous faudra également conserver des moyens pour intervenir dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et du développement urbain.

Lors de la négociation du contrat d'objectifs, il y a eu un débat fourni sur le modèle économique de l'agence et la réduction des frais de fonctionnement. Une de nos tutelles a souhaité nous assimiler à un opérateur de l'Etat au sens de la LOLF, à l'instar des établissements publics administratifs ou des administrations centrales, et nous imposer une réduction de nos coûts de fonctionnement comparable à celle imposée à ces opérateurs. Or j'insiste sur le fait que nous ne sommes pas un opérateur de l'Etat au sens de la LOLF car nous ne bénéficions d'aucune subvention de fonctionnement. Non seulement la majorité de nos ressources ne provient pas de l'Etat, mais nous versons à l'Etat actionnaire un dividende conséquent qui s'est élevé en 2009 à 220 millions d'euros. L'AFD a versé, depuis 2005, 1,1 milliard d'euros de dividendes à l'Etat. Dans ces conditions, il faut bien comprendre que brider le développement de l'AFD par des contraintes conduira à réduire, à terme, le dividende dont pourrait bénéficier l'Etat. J'ai constaté lors de ces négociations une véritable dérive consistant à vouloir imposer à l'agence des contraintes en valeur absolue en matière d'effectifs et de frais généraux qui correspondent à un « micro-management ». Cette dérive n'est pas compatible avec l'autonomie de gestion dont nous devons pouvoir jouir pour mener une stratégie pertinente. Je ne suis pas opposé à mener une politique de réduction de nos coûts de fonctionnement. J'ai même proposé de réduire le taux de croissance de ces frais de 12 % par an ces dernières années à 2 % en 2011. Je suis favorable à ce que, comme pour les autres établissements bancaires, soient imposés par l'Etat actionnaire des ratios qui prennent en compte l'évolution de l'activité de l'agence tels que frais généraux sur encours ou d'autres ratios de ce type. Cela ne me paraît en revanche pas pertinent de fixer un plafond d'emplois à l'unité près ou un montant de frais généraux hors dépenses du personnel.

S'agissant du dividende, le fait que l'Etat prélève 100 % du résultat net de l'agence ne me paraît pas une attitude vertueuse. Ce n'est pas un mécanisme incitatif puisque, dans ces conditions, l'agence n'a aucun intérêt à dégager des résultats. L'agence est confrontée aujourd'hui à un problème de fonds propres puisqu'elle atteint dans un certain nombre de pays un plafond en regard du ratio prudentiel « grands risques ». C'est le cas au Maroc, en Tunisie. Cela sera bientôt le cas en Afrique du Sud, en Turquie et au Vietnam. Ce problème eût été moins important si nous avions pu conserver une partie de notre dividende pour accroître nos fonds propres. Nous avons proposé un ratio de 35 % de retenue par l'Etat qui correspond à l'impôt sur les sociétés auquel l'agence n'est pas soumise. Nos tutelles auraient retenu un prélèvement de 75 % sur les 75 premiers millions, de 50 % sur les sommes entre 75 et 140 millions.

M. André Vantomme. - Monsieur le directeur général, merci pour ces précisions. Avec mon collègue Cambon qui est aujourd'hui souffrant, nous avons pris un peu d'avance, pour préparer cette audition. Aussi nous nous sommes fait présenter le projet de COM par le cabinet du ministre, ce qui nous permet aujourd'hui de vous poser quelques questions sur le contenu de ce document.

Quand on regarde l'évolution des moyens en subventions attribués à l'AFD depuis dix ans et les objectifs fixés par le COM et le document-cadre : Est que vous n'avez pas le sentiment qu'on demande à l'AFD de faire toujours plus, de contribuer toujours plus à l'APD française déclarée à l'OCDE avec toujours moins de moyens publics ?

Dans le projet de COM en cours, il y a, en dehors des cibles géographiques issues du document-cadre, quelques cibles par secteur concernant l'éducation et la santé. Dans ce dernier domaine, la France contribue à hauteur de 360 millions d'euros au fonds Sida. A travers le COM, vous vous êtes engagé à hauteur de 50 millions en matière de santé maternelle et infantile, et la France s'est engagée globalement à hauteur de 150 millions dans ce domaine. On aboutit à ce que les crédits bilatéraux viennent abonder des crédits multilatéraux déjà très conséquents au niveau de l'ensemble des bailleurs de fonds. N'est-on pas en train de concentrer notre effort de façon excessive, alors même que parallèlement les sommes pour travailler dans le domaine de l'eau, de l'agriculture, du développement du secteur privé dans les pays du Sahel sont aujourd'hui dérisoires. Dans les 14 pays qui devraient être prioritaires, on est à 10 millions d'euros par pays. N'y a-t-il pas un risque de surconcentration qui de plus peut ne pas correspondre aux besoins de nos partenaires ?

Dans le projet de COM, vous vous engagez sur 10 % des subventions dans les pays en crise. En 2008 et 2009, ces pays en crise représentaient 27 % à 25 % des subventions. Est-ce à dire que vous allez réduire vos activités en Afghanistan et dans les territoires palestiniens ? La catégorie des pays en crise ne risque-t-elle pas d'inclure de nouveaux pays à l'issue des événements qui ont lieu au Maghreb ?

Il semble qu'en marge du COM, il y ait eu un accord de concessions réciproques par lequel l'AFD récupère 25 % de son dividende jusqu'à 75 millions d'euros et 50 % au-delà en contrepartie de quoi le budget vous impose des réductions de frais de fonctionnement. Ce n'est pas les 10 % d'économie demandés aux établissements publics, mais on cherche manifestement à réduire les coûts de fonctionnement de l'AFD. Le contrat fixe notamment un plafond pour les effectifs du personnel à 1.174, un plafond pour les frais généraux à 83 millions d'euros. Est-ce que vous pourrez nous dire à quoi correspondent ces derniers chiffres et si globalement l'équilibre vous paraît satisfaisant par rapport aux objectifs ?

Est-ce qu'un système réservant 1/3 du dividende à l'actionnaire, 1/3 de fonds propre et 1/3 de financement de subvention à des projets dans les zones prioritaires n'aurait pas été plus vertueux ? Est-ce qu'asseoir une partie du financement de notre aide à l'Afrique sur la marge bancaire dégagée dans des zones plus prospères ne serait pas une façon de retrouver des marges de manoeuvre en subvention et de répondre aux critiques formulées à l'encontre de votre investissement dans les pays émergents ?

Il y a dans le contrat d'objectifs et de moyens des objectifs de réduction des coûts de fonctionnement bien compréhensibles. Il y a un certain nombre d'indicateurs dont on peut toutefois se demander quels seront leurs effets à terme sur le modèle économique de l'AFD. Je pense à l'effet de levier, c'est-à-dire le montant des engagements par euro de subvention ou de bonification. Là où l'effet de levier est le plus fort, c'est de prêter sans aucune bonification au Mexique. Je pense également au ratio charges d'exploitation sur encours. Là où il est le plus faible, c'est là où l'AFD peut ouvrir une agence avec un agent et conclure dans la foulée des prêts de 300 millions d'euros comme en Colombie. Est-ce que ces ratios ne peuvent pas conduire l'AFD à s'éloigner de l'Afrique et du développement ?

On a beaucoup critiqué la faible capacité de la France à anticiper les évolutions du Maghreb. L'AFD a parmi ses missions une mission de production intellectuelle et de recherche sur les questions de développement. Pouvez-vous nous dire quels sont vos objectifs dans le domaine pour préparer les grandes échéances internationales à venir, je pense à la présidence française du G8 et du G20, à la conférence sur les PMA à Istanbul, à celle sur l'efficacité de l'aide du prochain rendez-vous de négociation internationale sur le climat ? Je pense également à des réflexions sur le développement du Maghreb et de l'Afrique.

M. Dov Zerah. - L'AFD reçoit 355 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour les bonifications des prêts concessionnels qu'elle consent et 182 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour des subventions-projets. Grâce à cet effort financier de l'Etat et à des ressources propres, l'AFD contribue à 16 % de l'aide publique au développement française déclarée à l'OCDE.

Je ne sais pas si on peut dire que les pouvoirs publics demandent toujours plus à l'AFD avec de moins en moins de moyens, mais je trouve que le plus gênant reste l'absence de règles de gestion stables qui nous permettent une programmation dans la durée.

Les chiffres que vous me citez en matière d'effectifs et de frais généraux sont des chiffres que nous avons proposés et qui constituent la contribution de l'AFD à la réduction de ses frais de fonctionnement. Nous avions également proposé une revalorisation générale annuelle des salaires du personnel de 0,5 % sur trois ans. J'ai considéré qu'il fallait valoriser le personnel qui avait contribué à générer des résultats que vous connaissez et un dividende de 220 millions d'euros au titre de 2009. Les tutelles, dans un contexte de maîtrise de l'évolution des rémunérations dans la fonction publique n'ont pas retenu cet objectif.

La concentration de l'effort en subventions-projets sur les quatorze pays prioritaires ne devrait pas dans mon esprit se faire au détriment de notre action dans les pays en crise.

Je conçois qu'on puisse estimer que la France contribue largement à l'aide au développement dans le domaine de la santé aussi bien par le biais de son aide bilatérale que par celui de son aide multilatérale.

L'AFD a effectivement de multiples facettes. Elle est principalement engagée sur deux axes, un axe vertical qui va du Maghreb à l'Afrique sub-saharienne, un axe horizontal qui couvre le monde arabo-musulman. Elle intervient par ailleurs dans le cadre de la préservation des biens publics mondiaux dans les pays émergents avec des moyens aussi peu concessionnels que possible. On ne peut pas considérer que l'AFD puisse investir dans certaines zones ce qu'elle gagne dans d'autres. Il n'y a pas de vases communicants. L'AFD ne construit pas ses taux d'intérêt et ses prêts pour gagner de l'argent mais bien pour participer au développement d'un pays.

L'évolution actuelle de la situation en Tunisie, en Egypte nous conduira inévitablement à réorienter notre aide pour accompagner la transition au Maghreb.

Nous allons poursuivre la mission de production intellectuelle de l'AFD, mais le budget consacré à cette mission devra sans doute être réduit compte tenu des économies de frais de fonctionnement demandées.

Deux arbitrages ont été effectués depuis mon arrivée en matière de coûts : poursuivre les recrutements pour limiter le recours à des intérimaires et des prestataires extérieurs, et privilégier la production financière.

M. Jean Faure. - La restructuration que vous êtes en train de mener n'a pas toujours été bien comprise. Elle se traduit, dans le sud-est asiatique, par la suppression du chef d'agence du Laos et le regroupement de l'agence du Laos avec les agences du Cambodge et de la Thaïlande, ce qui risque d'affaiblir la présence de l'agence dans cette zone où de nombreux projets ont été poursuivis avec succès ces dernières années. La réduction de la présence de l'agence au Laos risque d'accroître encore la prépondérance de la Chine, qui finance non seulement de très nombreux barrages mais également une ligne de TGV qui permettra de relier la Chine à ce pays. Nous avions établi avec votre prédécesseur des relations de confiance fondées sur des échanges fréquents qui permettaient de discuter de ce type d'évolution qui suscite de nombreuses inquiétudes parmi les parlementaires au fait de l'évolution de la situation dans cette zone. Nous avions, par ailleurs, compris que l'agence française de développement allait étendre sa capacité à gérer des microprojets. Qu'en est-il ?

M. Dov Zerah. - Cela fait quatre fois que, depuis ma nomination, je viens devant votre commission pour expliquer la stratégie poursuivie par l'agence. Je le fais bien volontiers. Je participe également à des petits-déjeuners thématiques avec des parlementaires et j'ai demandé à mes services de bien vouloir participer à la rédaction d'une lettre parlementaire sur le développement. C'est dire si je suis attentif à nouer des contacts étroits avec la représentation nationale.

La situation de l'agence au Cambodge ne changera pas. En Thaïlande, il est vrai que je m'interroge sur la nécessité de maintenir deux juristes à temps plein. Au Laos, je propose aux tutelles que le directeur d'agence soit celui de l'agence du Cambodge. De façon générale, l'ouverture et le maintien des agences de l'AFD à l'étranger ont un coût important. L'intervention dans une géographie n'impose pas la présence physique d'agents expatriés permanents. Sachez par exemple qu'une seule personne expatriée à Bagdad coûte environ 1,1 million d'euros par an. Dans le contexte de réduction des frais de fonctionnement qui nous est demandée, il faut procéder à des choix nécessairement délicats.

Nous sommes favorables au financement de microprojets, notamment la promotion de la micro-finance. Nous allons continuer à soutenir ce type de projet, notamment en Tunisie.

Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, l'AFD ne peut se positionner que sur quelques sujets sensibles et concentrer ses opérations afin de maximiser la visibilité de ses interventions.

M. Robert Hue. - Nous sommes attentifs à vos choix de gestion et nous comprenons les contraintes auxquelles vous êtes soumis. Nous sommes également sensibles au processus historique qui est en train de se dérouler au Maghreb. Vous dites vous-mêmes que l'agence ne pourra répondre à toutes les demandes formulées par la Tunisie. Quelles mesures prendrez-vous pour être en position d'intervenir dans les pays qui sont plus que jamais des priorités géopolitiques de la France ?

M. Dov Zerah. - L'AFD se doit d'être présente en Tunisie. Elle l'est depuis longtemps et elle fera tout son possible pour intensifier ses interventions. La première difficulté est de sélectionner les projets qui font l'objet d'une demande de financement de la part des nouvelles autorités tunisiennes. Lors du déplacement de Mme Kosciusko-Morizet en Tunisie, nous avons notamment vérifié qu'au fil des semaines les priorités restaient les mêmes malgré de fréquents changements de ministres. Ces demandes concernent trois secteurs prioritaires qui sont en adéquation avec la présence de l'AFD en Tunisie. Elle concerne tout d'abord l'emploi et la formation professionnelle dans laquelle l'AFD s'est impliquée depuis longtemps en lien avec les industries locales. Elle vise ensuite les infrastructures et notamment les restructurations urbaines et l'assainissement des eaux, dans le cadre d'un rééquilibrage territorial. Dans ce domaine, un nouveau sujet, la gestion des déchets solides, est apparu avec les événements récents. Le troisième secteur concerne le domaine financier avec, d'une part, le développement de la micro-finance et, d'autre part, le soutien au secteur bancaire.

Mme Catherine Tasca. - Je rejoins totalement ce qu'a dit mon collègue Jean Faure sur le Laos. Nous avons approuvé le recentrage des actions de l'AFD sur l'Afrique subsaharienne, mais il faut également prendre en considération la francophonie. De ce point de vue, le Laos constitue un des rares bastions de la francophonie en Asie. Il ne faut donc pas affaiblir notre présence dans ce pays si nous voulons garder notre influence dans la région.

M. Dov Zerah. - Vous avez raison, la francophonie fait partie des priorités de l'agence et de nos tutelles. Le choix des quatorze pays pauvres prioritaires rassemble en effet, pour l'essentiel, des pays francophones de la seule Afrique sub-saharienne. L'AFD va continuer à financer le projet de Luang Prabang. La réduction des coûts de fonctionnement nous conduit à des choix délicats. Nous allons réduire les effectifs de l'agence de Pékin de 17 personnes à 12, celle de Brasilia de 5 à 2 personnes.

Mme Catherine Tasca. - Ni Pékin ni Brasilia ne sont des priorités de la francophonie contrairement au Laos.

M. André Vantomme. - Les événements récents au Maghreb ont été accompagnés de la révélation des sommes considérables accumulées par certains dirigeants. Ces cas de prévarication et de corruption concernent des sommes considérables que l'on ne peut pas ignorer. En effet, nos concitoyens ne comprendraient pas qu'on leur demande de contribuer plus largement à l'aide au développement de ces pays sans prendre des mesures pour limiter les risques de corruption et améliorer leur gouvernance. On ne peut pas faire comme si cela n'existait pas.

M. Dov Zerah. - Il est clair que les événements récents ont conduit les organisations internationales à dresser une liste de personnes susceptibles d'avoir été impliquées dans les turpitudes des régimes précédents. En tant qu'organisme bancaire, l'AFD dispose de procédures de vérification particulièrement strictes. Les événements récents nous ont conduits à renforcer notre vigilance. Les problématiques d'éthique et de gouvernance sont essentielles et constituent une priorité de l'agence qui s'est engagée depuis longtemps auprès d'organisations comme Transparency International pour lutter contre la corruption.

M. André Vantomme. - Dans ce contexte, d'aucuns voudraient aujourd'hui revenir sur le déliement de l'aide au développement pour qu'elle puisse contribuer plus largement au commerce extérieur de la France et aux exportations des entreprises françaises.

M. Dov Zerah. - Il n'est pas question de revenir sur le déliement de l'aide. Il n'y a d'ailleurs pas de lien structurel entre le déliement et les risques de corruption. Il n'y a ni plus ni moins de garantie avec les entreprises françaises et les entreprises étrangères. En revanche, il me semble de mon devoir d'essayer, dans le cadre d'une aide déliée, de répondre aux préoccupations des entreprises françaises.

Mme Bernadette Dupont. - Pouvez-vous nous donner des éclaircissements sur les subventions et les prêts et nous expliquer par quels moyens les secteurs sociaux peuvent être financés par des prêts ?

M. Jean Faure. - Je suis bien conscient des contraintes financières qui s'imposent à vous, mais je redoute qu'en l'absence de chef d'agence au Laos l'AFD ait le même poids quand il faudra négocier avec les administrations ou intervenir auprès des ministres.

M. Dov Zerah. - Nous finançons les structures intervenant dans le domaine social avec des prêts. C'est le cas au Maroc et en Tunisie où nous prêtons à des cliniques ainsi qu'à des centres de formation professionnelle. C'est évidemment moins le cas en Afrique sub-saharienne où il nous faut intervenir par le biais de subventions.

Le réseau des agences de l'AFD doit pouvoir évoluer. Si nous voulons pouvoir accroître nos effectifs en Tunisie et en Egypte, il faut pouvoir les réduire ailleurs. Nous avons fermé nos agences au Yémen et en Angola. Nous continuerons à travailler au Yémen à partir de Djibouti, et au Laos mais nous ne pouvons pas financer la présence d'agences et de directeurs d'agence dans tous les pays où nous intervenons. Je serais heureux que la France puisse avoir la même capacité de financement que la Chine mais ce n'est pas le cas. Il nous faut donc rester le plus réactif possible pour ajuster le réseau à nos priorités.

M. Jacques Blanc, vice-président. - Je constate que le directeur général de l'AFD, loin de se plaindre, fait preuve d'une rare ténacité. Je dois retenir la volonté de l'Agence française de développement d'accroître sa présence dans les pays de la Méditerranée.

Mercredi 9 mars 2011

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Sécurité des approvisionnements stratégiques de la France - Examen du rapport d'information

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission examine le rapport de M. Jacques Blanc sur la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France.

M. Jacques Blanc, rapporteur - Je vous rappelle brièvement l'historique de ce travail : au mois de juin 2010, j'ai informé notre président, M. Josselin de Rohan, de mon souhait de mener une réflexion sur la problématique de l'eau, qui constitue une priorité pour l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, dont je suis membre.

Après un examen de cette proposition, le président de Rohan a constaté que ce sujet avait déjà été amplement traité et qu'il semblait donc préférable d'orienter ma réflexion vers le thème, plus global, des ressources stratégiques, évoqué par le Livre blanc sur la défense et la sécurité comme une source potentielle de tensions géopolitiques.

La lettre de mission que vous m'avez envoyée, Monsieur le président, le 16 juin 2010, me fixait donc cet objectif, dont j'ai pu mesurer combien il était judicieux. En effet, depuis l'automne 2010, l'actualité démontre le caractère vital, pour les économies développées, de la pérennisation de leurs approvisionnements en ressources stratégiques.

Lors de ma communication d'étape du 7 décembre 2010, j'avais présenté à la commission un tableau d'ensemble des différents éléments pouvant être considérés comme stratégiques pour notre pays. Je vous rappelle que, parmi les « ressources stratégiques » citées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité, figurent « l'eau, les matières premières stratégiques, notamment alimentaires et énergétiques » dont l'obtention est tellement vitale pour les nations qu'elle est susceptible d'engendrer des crises majeures dans le monde.

Les auditions complémentaires auxquelles j'ai procédé depuis cette communication m'ont conduit à constater que, dans un contexte général de tensions géopolitiques, accrues par la croissance actuelle des prix des matières premières agricoles, énergétiques et minières, notre pays dispose d'atouts, mais doit également surmonter des vulnérabilités.

Parmi les avantages comparatifs dont bénéficie la France figure la disponibilité, en quantité comme en qualité, des ressources en eau et des approvisionnements alimentaires nécessaires à la population. La vigilance est, certes, de mise, pour pérenniser ces atouts : les ressources en eau doivent être gérées de façon économe, et un point d'équilibre doit être trouvé, au niveau européen, entre l'ouverture de nos marchés agricoles aux productions d'autres continents, et la préservation de la qualité, tant gustative que sanitaire, de nos approvisionnements.

En revanche, notre pays est dépendant de pays étrangers non européens dans deux grands secteurs : l'énergie et les minerais.

Dans le domaine énergétique, l'embargo pratiqué par l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en 1973 a poussé les pays consommateurs à prendre un ensemble de décisions très positives pour leur autonomie d'approvisionnement. Je rappellerai, à titre d'exemple, que 70 % de l'électricité française était produite à base de fioul en 1973, proportion réduite à zéro aujourd'hui, essentiellement grâce à l'équipement de notre pays en centrales nucléaires civiles. Cet embargo a également conduit à la création de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), instance de régulation des approvisionnements pétroliers qui regroupe 28 Etats membres. La France reste, bien sûr, dépendante de l'étranger pour ses approvisionnements en pétrole et en gaz, mais des décisions, tant nationales qu'européennes, ont concouru à sécuriser et diversifier ces flux, ainsi qu'à promouvoir une utilisation plus rationnelle et économe des ressources énergétiques. Par mesure de sécurité, notre pays a constitué un stock pétrolier, à hauteur de 90 jours de consommation.

Je précise que seul le pétrole utilisé pour les transports -aérien, maritime, ferroviaire ou routier- n'a, à ce jour, pas de substitut, et constitue donc un approvisionnement vital pour notre économie. En revanche, les autres types de consommation d'énergie, comme le chauffage et l'éclairage des logements, par exemple, peuvent être satisfaits par des alternatives diverses.

De plus, notre pays a entrepris un effort très significatif pour se doter de sources d'énergies renouvelables, tant pour des raisons de respect de l'environnement que d'indépendance nationale. Le « Grenelle de l'environnement » en constitue l'exemple le plus récent.

Si, donc, l'approvisionnement de la France en énergie reste un domaine de vulnérabilité, celle-ci a été identifiée dès avant les années 1970 par les responsables publics, et divers scénarios de crise ont été établis pour en conjurer les effets. On peut donc considérer que la situation est maîtrisée dans ce domaine.

Aujourd'hui, c'est dans le domaine de notre approvisionnement en métaux qu'un effort analogue à celui qui a été effectué en matière énergétique doit impérativement être réalisé.

J'avais évoqué ce point dans ma communication du 7 décembre 2010, et un accord s'était fait, au sein de notre commission, pour que mes travaux ultérieurs portent sur ce domaine. J'ai donc axé mes auditions en ce sens, et en ai tiré les conclusions que je vais vous exposer.

Il faut savoir qu'il y a encore 30 ans, l'industrie minière française était florissante. Cette situation s'est ensuite dégradée du fait d'une évaluation trompeuse de notre destin économique, qui a conduit la France et d'autres pays européens comme l'Allemagne, à estimer que le métier minier, risqué, polluant et à faible rentabilité, ne méritait pas d'être maintenu. Cette erreur stratégique reposait sur l'idée que l'économie de services, vers laquelle s'orientaient les pays développés, n'utiliserait désormais que très peu de ces ressources de base.

Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien, et une prise de conscience se fait jour, en France, au sein de l'Union européenne et dans les grands pays développés, sur la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers, comme l'ont été, dans les années 1970, les approvisionnements énergétiques.

Cette nouvelle approche s'accompagne d'un point de vue renouvelé sur la place de l'industrie au sein de notre tissu économique. La réunion, au premier trimestre 2010, « d'Etats généraux de l'industrie », qui a fait l'objet d'une communication de M. Christian Estrosi, alors ministre de l'industrie, au conseil des ministres du 10 mars 2010, témoigne de ce changement de perspective. C'est ainsi qu'une « semaine de l'industrie » se tiendra du 4 au 10 avril prochain.

La nouvelle perception des enjeux miniers s'est concrétisée lors du conseil des ministres du 27 avril 2010, qui a confié une mission de préfiguration d'un futur comité pour les métaux stratégiques (COMES) à M. François Bersani, ingénieur général des mines.

Ce comité a été créé le 27 janvier 2011 dans le but de « renforcer la sécurité d'approvisionnement de la France ». Son président, M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, a présenté cette création en ces termes :

« L'industrie utilise un nombre croissant de métaux rares, comme le lithium, utilisé pour les batteries des téléphones portables et des véhicules électriques. Face à ce défi, les puissances industrielles, Etats-Unis et Chine en tête, ont développé une stratégie offensive. La France doit aujourd'hui se mettre à niveau ».

Le comité a pour fonction de réunir les services de l'Etat, les organismes publics contribuant à la politique d'approvisionnement en métaux stratégiques, et les représentants des industries intervenant dans leur extraction, leur transformation ou leur utilisation. Ce dialogue doit permettre d'établir un bilan des besoins de notre pays, à court et moyen termes, et de déterminer les différentes actions pouvant être menées pour les satisfaire.

A ce point de mon exposé, il me semble opportun de rappeler que, n'ayant pas une formation d'ingénieur, je me suis efforcé de m'en tenir à ma mission d'homme politique consistant à tracer les orientations générales requises par les constats qui m'ont été présentés par les divers spécialistes que j'ai consultés. Je tiens aussi à préciser quelques éléments de terminologie : les métaux peuvent être classés en deux grandes catégories :

- les métaux de base, comme le cuivre, le zinc ou l'étain ;

- et les autres métaux, certains étant dénommés « stratégiques » en France, ou « critiques » par la Commission européenne.

Le territoire français ne produit plus de ressources métalliques, hormis le nickel de Nouvelle-Calédonie, et l'or de Guyane. Les nodules polymétalliques sont sans doute présents dans la zone d'économie exclusive (ZEE) de cette île, mais ne pourront être exploités qu'au prix d'équipements spécifiques coûteux. J'y reviendrai.

Cette situation expose notre économie et nos industries de défense à une forte vulnérabilité aux aléas des marchés, tant pour les prix que pour les quantités.

S'agissant des métaux de base, la forte demande des pays émergents, conjugués à des éléments financiers mal maîtrisés ou spéculatifs, conduisent à une croissance continue de leurs coûts, alors que la crise de 2008 avait exercé un effet modérateur. Je m'en tiendrai à l'exemple du cuivre, qui a franchi le seuil des 10 000 dollars (7 315 euros) la tonne, le 4 février dernier, soit le triple de son prix au début de l'année 2009.

Nous observons les effets pervers de cette hausse dans les vols qui se multiplient sur les chantiers, et les infrastructures ferroviaires. En effet, le cuivre est un bon conducteur électrique et thermique, ce qui lui confère de multiples utilisations, seul ou en alliage.

L'essentiel de sa production, de 16 millions de tonnes en 2010, était assuré par quatre principaux pays : le Chili (34 %), le Pérou (8 %), la Chine (7 %) et les Etats-Unis (7 %).

J'en viens maintenant aux métaux rares, ou stratégiques. Une liste de ces métaux et de leurs principaux usages a été établie par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), sachant que cette liste est évolutive en fonction d'utilisations potentielles qui se révèleront avec l'avancée des technologies. A sa lecture, on constate la multiplicité de leurs usages dans les technologies de pointe, qu'il s'agisse, par exemple, des télécommunications, de l'armement, ou des énergies renouvelables. Je relève quelques exemples de leur utilisation : les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne.

Pour nous en tenir aux compétences de notre commission, je vous confirme que nos industries de défense utilisent, de façon croissante, ces métaux, ainsi que me l'ont confirmé leurs principaux responsables.

Il faut préciser que, contrairement à ce que laisse croire leur dénomination, les « terres rares » ne le sont pas. Si la Chine produit aujourd'hui près de 95 % des quantités consommées dans le monde, ceci découle du désintérêt manifesté, jusqu'à ces derniers temps, par les pays développés à l'égard des problématiques minières. C'est pourquoi ces minerais, dont l'intérêt s'est considérablement et récemment accentué du fait de leur utilisation croissante dans les technologies de pointe, sont importés de Chine, pays qui a saisi tout le prix, politique et financier, qui pouvait être tiré de ce quasi-monopole. Des gisements importants existent cependant hors de Chine, notamment aux Etats-Unis, en Inde et en Australie. Mais la transformation de ces minerais, après extraction, passe aujourd'hui par des opérations très polluantes, beaucoup plus facilement tolérées en Chine que dans les pays développés, qui ont, de ce fait, tacitement consenti à ce que ce pays concentre la quasi-totalité de la production.

L'exploitation des gisements présents hors de Chine réclamera du temps et des investissements importants. Dans cette attente, ce quasi monopole pose un réel problème de sécurité d'approvisionnement pour l'ensemble des utilisateurs.

La préservation de la compétitivité de notre industrie dans ces domaines à haute valeur ajoutée requiert donc la pérennité de leur obtention, par l'utilisation de plusieurs leviers.

Il convient, tout d'abord, de nouer des coopérations bilatérales avec les pays européens ayant une tradition minière, comme l'Allemagne, et les pays scandinaves.

Ce terme de « terre » est issu du vocabulaire français du XVIIIe siècle, qui désignait ainsi ce que nous appelons aujourd'hui les métaux ou leurs composés.

La Suède est toujours un grand producteur de fer. L'offensive alliée de mai 1940 sur le port norvégien de Narvik, par lequel transitait le fer provenant des mines suédoises de Kiruna, constitue une illustration de l'importance de ce métal. Ce pays a été un berceau de découverte des terres rares, et pourrait en redevenir productrice.

Des coopérations, fondées sur une communauté d'intérêts et de compétences dans le domaine minier, permettront d'affermir les actions à mener pour restaurer ce secteur.

Une deuxième piste prometteuse, mais dont les difficultés pratiques sont multiples, réside dans le développement de la collecte et du recyclage des nombreux équipements de notre vie courante qui contiennent, même en quantité réduite, des substances rares, comme les téléphones portables, les ordinateurs, les lampes à basse consommation, ou les pots catalytiques des véhicules, ensemble que les spécialistes regroupent sous le terme de « mines urbaines ». A l'heure actuelle, ces opérations de récupération se heurtent, souvent encore, à une faible rentabilité économique, du fait des coûts élevés de collecte et de transformation.

Il n'existe donc aujourd'hui en France, comme en Europe, qu'un petit nombre d'usines de recyclage. Une amélioration des opérations de collecte permettrait d'éviter la « fuite », de ces produits qui sont actuellement recyclés, pour l'essentiel, dans des pays émergents. Ceux-ci recourent à des procédés industriels peu performants, pouvant être optimisés grâce à des technologies plus avancées.

Pour l'avenir, il faut définir une nouvelle politique industrielle, passant par une étroite coopération entre les services de l'Etat et les industriels pour détecter, le plus en amont possible, les besoins en métaux stratégiques induits par les avancées technologiques de nos secteurs de pointe. Ceci suppose l'établissement d'un climat de confiance entre acteurs étatiques et économiques, ces derniers étant légitimement soucieux de préserver leurs « secrets » de fabrication.

Cette coopération permettrait de réduire les quantités de matières critiques utilisées, comme d'en rechercher de possibles alternatives. L'Allemagne a l'expérience de cet exercice, qu'elle a pratiqué en d'autres temps, avec la politique de « l'ersatz ».

Plus largement, il conviendrait de définir, en liaison avec les industries françaises impliquées, une conception de la chaîne des produits utilisés permettant d'évaluer, le plus tôt possible, la problématique de leurs approvisionnements.

Cette coopération pourrait également permettre la mise au point de produits « éco-conçus », c'est-à-dire minimisant le recours aux minerais critiques, et permettant leur récupération lors de la fin de vie des objets en contenant.

Un tel résultat ne pourra être obtenu qu'au prix de recherches technologiques coûteuses, et de l'adaptation de notre cadre réglementaire.

Avant de vous présenter mes principales recommandations, je ferai un bref récapitulatif des réflexions menées au sein de l'Union européenne, et des décisions qui commencent à y être prises.

C'est à l'occasion de la réunion tenue à Heiligendamm, du 6 au 8 juin 2007, en conclusion du G8 présidé par l'Allemagne, que la Chancelière Angela Merkel a évoqué la nécessité de sécuriser l'approvisionnement des pays développés en matières premières stratégiques. Le patronat allemand avait beaucoup oeuvré pour attirer l'attention de la Chancelière sur les fragilités qui se faisaient jour en ce domaine.

Ce thème a été repris lors d'un discours prononcé à Madrid, en juin 2010, par M. Antonio Tajani, vice-président de la commission européenne, et commissaire à l'industrie, qui s'inquiétait de la dépendance de l'économie européenne à « 14 matières critiques ».

Un calendrier de travail a été alors établi, qui doit aboutir, prochainement à l'adoption de premières conclusions par le Conseil.

La Commission européenne a, en effet, déjà publié, le 2 février dernier, une communication présentant « une vision stratégique intégrée tendant à surmonter les obstacles sur les marchés des matières premières ».

Parmi les objectifs, figurent :

« - l'identification des matières premières critiques ;

- l'amélioration d'un cadre réglementaire facilitant l'extraction durable des matières premières au sein de l'Union européenne ;

- la dynamisation de l'efficacité des ressources, et la promotion du recyclage ;

- et le renforcement de la promotion des efforts de recherches et d'innovations durant toute la chaîne de valeur des matières premières, de l'extraction à la substitution, en passant par le traitement, le recyclage et l'utilisation efficace des ressources. »

De leur côté, les Etats-Unis d'Amérique ont également identifié ce problème, qui a été évoqué au Congrès et dans différents cercles de réflexion. La presse française a ainsi récemment rapporté que des scientifiques américains avaient demandé d'encourager la production de terres rares, minéraux essentiels à l'industrie de la haute technologie. Ces experts américains recommandaient également à leur Gouvernement de ne pas faire de stocks de ces matériaux, car cela découragerait l'innovation.

Je précise qu'une politique de stocks, analogue à celle qui existe pour le pétrole, avait été entreprise en France à la Libération, puis reprise en 1980, avec la création de la caisse française des matières premières (CFMP). Cette caisse avait pour mission de constituer et gérer un stock de précaution de matières premières. Cette initiative s'est révélée peu pertinente sur le plan économique, et la CFMP a été dissoute en 1997.

Je conclurai ce rapide tour d'horizon par quelques recommandations principales :

- il ne faut pas considérer les grands producteurs mondiaux de matières premières comme la Chine, la Russie ou le Brésil, comme des adversaires, aussi justifiées que puissent être les critiques sur certains de leurs procédés commerciaux. Ces pays ont des éléments de vulnérabilité qui devraient les conduire à souhaiter un dialogue avec les pays consommateurs, susceptibles de leur apporter leur expertise, notamment dans le domaine minier ;

- l'UE et la France doivent ouvrir des négociations en ce sens, mais notre pays ne doit pas s'en remettre uniquement aux institutions européennes, et envisager la conclusion d'accords bilatéraux avec certains pays producteurs avec lesquels nous avons des relations spécifiques, notamment sur le continent africain ;

- un nouvel inventaire des ressources minières françaises doit être entrepris, et l'ouverture ou la réouverture de mines doivent être envisagées si cela est susceptible d'être économiquement rentable, tout en assurant le respect de la santé du public, des travailleurs, et celui de l'environnement. Cela suppose, outre l'inventaire lui-même, pour lequel notre pays dispose des compétences du BRGM, d'informer l'opinion publique des évolutions qui conduisent à la nécessité de « rapatrier » des exploitations minières dont l'éloignement dans des pays à faible coût de main d'oeuvre et à contraintes environnementales limitées a été entouré d'un large consensus. La discrétion est contre productive, comme viennent de le souligner les polémiques liées aux sondages de recherche sur d'éventuelles exploitations de gaz de schiste ;

- plus largement, il faut envisager la renaissance d'une politique industrielle d'Etat, qui permettrait de mobiliser les investissements requis pour produire un effet de levier effectif. Ces investissements, qui associeraient capitaux publics et privés, pour des raisons d'opportunité comme de coûts, permettraient, par exemple, de concevoir et de réaliser un navire adapté à la collecte des nodules polymétalliques sans doute présents au large des côtes néo-calédoniennes.

Cette nouvelle politique industrielle devrait s'accompagner d'actions, à définir, de valorisation du métier d'ingénieur, à contre courant de l'évolution observée ces deux dernières décennies.

D'ores et déjà, des industriels opérant dans le secteur des métaux envisagent d'accroître leurs investissements dans le secteur minier. C'est notamment le cas d'ArcelorMittal, qui développe une vision d'intégration en amont de ses approvisionnements en minerai de fer et en charbon pour garantir la pérennité.

Il s'agit là de perspectives dont l'ampleur pourrait paraître excéder le domaine de compétence de notre commission. J'estime néanmoins que nous sommes dans notre rôle en évoquant les « axes d'effort », pour reprendre un langage militaire, nécessaires au maintien de notre indépendance économique.

En conclusion, je vous demande donc d'approuver les termes de cette communication, et d'autoriser la publication du rapport d'information qui en développera les éléments.

M. Josselin de Rohan, président - Votre exposé démontre qu'une politique de sécurité nationale cohérente requiert une base industrielle autonome, non seulement dans le domaine énergétique, mais également dans celui des métaux rares indispensables à notre industrie de défense. Nous devons en tirer les conclusions nécessaires sur les actions à mener au sein de l'Union européenne, et par notre politique étrangère. Il faudrait ainsi envisager la conclusion de partenariat entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique d'une part, la Chine d'autre part.

M. Xavier Pintat - Il me semblerait opportun que notre commission soit mieux informée des projets d'exploitation de schiste bitumineux. Pour les Etats-Unis, comme pour le Canada, cela a entraîné un changement de stratégie, avec notamment l'abandon des projets de ports méthaniers, et je relève que d'importants stocks ont été identifiés en Estonie. Il serait donc nécessaire qu'un bilan de leurs coûts, notamment environnementaux, rapportés à leurs avantages soit réalisé de façon objective.

M. Jacques Blanc, rapporteur - Les techniques d'extraction initialement utilisées étaient très polluantes et nécessitaient de fortes consommations d'eau. Ces techniques sont en cours d'amélioration. J'ai été surpris qu'un permis de recherche ait été délivré sans information, ni des élus, ni du public, pour une zone de mon département classé dans le parc national des Cévennes. Il est indispensable que l'information soit, à l'avenir, mieux organisée, et que les éventuels permis d'extraction soient délivrés dans la transparence, et en cohérence avec les autres priorités nationales.

M. Josselin de Rohan, président - Il faut s'interroger sur le caractère indispensable ou non de ces schistes pour suppléer les énergies classiques. Cela étant, aussi importantes que soient les questions liées à l'exploitation et à l'environnement, ce qui intéresse notre commission c'est la problématique de la sécurité d'approvisionnement, en particulier pour la défense.

M. Jean-Louis Carrère - Je m'interroge sur la dénomination de « métaux rares » et souhaiterais savoir si l'uranium en fait partie.

M. Jacques Blanc, rapporteur - L'uranium n'est pas « rare » mais son approvisionnement est bien évidemment stratégique. A ma connaissance, il n'y a pas pour l'instant de problème puisque l'approvisionnement est diversifié et sécurisé. L'uranium ne figure donc pas au sein des « métaux rares » dont la définition est donnée par le BRGM.

M. Marcel-Pierre Cléach - J'ai récemment conduit, comme président du groupe d'amitié France-Canada, un déplacement en Alberta centré sur l'exploitation des schistes bitumineux. De nombreuses sociétés françaises y sont associées. Mes interlocuteurs canadiens ont reconnu que les premières années d'exploitation avaient été dévastatrices pour l'environnement et la santé des populations, mais un nouveau système de traitement, moins polluant, vient d'être mis au point. J'ai par ailleurs constaté à quel point cette source d'énergie avait dynamisé l'économie de l'Alberta.

M. Josselin de Rohan, président - Je tiens à rappeler que, dans le cas de la France, seules des autorisations de recherche ont été accordées en vue d'établir une cartographie.

M. Bernard Piras - Le simple établissement d'une carte des ressources en gaz de schistes nécessite des forages qui suscitent de fortes oppositions au sein de l'opinion publique.

M. Michel Boutant - Il semble en effet tout à fait judicieux qu'une nouvelle cartographie du sous-sol français soit réalisée. S'agissant des nodules polymétalliques que vous avez évoqués, et dont les ressources potentielles justifient notre souveraineté sur l'îlot de Clipperton, revendiqué par le Mexique, il faudrait s'assurer de l'étendue des gisements.

M. Jacques Blanc, rapporteur - Ces connaissances requièrent la réalisation d'un navire scientifique dont la mise au point sera coûteuse.

M. Josselin de Rohan, président - L'actualité récente nous montre à quel point nos approvisionnements en énergie dépendent du contexte politique mondial. Nous savons que la majorité des ressources pétrolières sont situées dans des zones instables, et l'exploitation de ces schistes confèrent une autonomie d'approvisionnement appréciable pour les Etats-Unis et le Canada. S'agissant des nodules polymétalliques, nous devons préserver nos intérêts sur les territoires qui sont susceptibles d'en recéler, comme Clipperton ou la Nouvelle-Calédonie, je me félicite de l'analyse contenue dans ce rapport. Nos approvisionnements en métaux ont évidemment une forte interaction sur nos industries de défense.

Puis la commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Réserves militaires et civiles - Examen du rapport et du texte de la commission

Lors d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission examine le rapport de M. Josselin de Rohan sur la proposition de loi n° 194 (2010-2011) présentée par M. Michel Boutant et Mme Joëlle Garriaud-Maylam tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.

M. Josselin de Rohan, président. - Je souhaite la bienvenue à notre nouveau ministre et du courage dans la tâche délicate qui est la sienne. Nous nous réjouissons qu'un sénateur se soit vu confier cet important portefeuille.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est consubstantielle au remarquable rapport d'information que nous devons à l'important travail mené, six mois durant, par Mme Garriaud-Maylam et M. Michel Boutant sur la situation de nos réserves, non seulement militaires mais aussi -et cela pour répondre au nouveau concept de continuum sécurité-défense- civiles, c'est-à-dire pénitentiaire, policière, sanitaire, mais réserve communale aussi, à l'utilité de laquelle on rend encore mal justice.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur de la mission d'information. - Je veux dire moi aussi combien nous sommes heureux d'accueillir notre nouveau ministre.

Je ne voudrais pas ici répéter ce que nous avions présenté en décembre. Je me concentrerai sur le diagnostic qui nous a conduits à faire cette proposition de loi. J'invite ceux de nos collègues qui voudraient approfondir la question à lire notre rapport. Michel Boutant, nous retracera lui l'économie générale du dispositif.

Nous sommes partis du constat que la France devait se préparer à faire face à des crises, des crises militaires, des crises sécuritaires et aussi des crises liées à des catastrophes naturelles. Il nous faut être prêts pour un nouveau septembre 2001 et pour l'Ouragan Katrina, tout en étant convaincus que le danger se présentera sous une forme que nous n'aurons sans doute pas prévue.

Dans le prolongement du Livre blanc, nous nous sommes interrogés sur la capacité des Pouvoirs publics à faire face à ces crises. Nous avons donc étudié le recours aux réserves sous cet angle-là. Nous avons regardé les réserves militaires, bien sûr, qui forment plus de 90 % des effectifs, mais aussi les réserves civiles qui se sont constituées plus récemment, réserve de la police, réserve sanitaire ou réserve communale de sécurité civile.

Nous avons constaté que ces réserves remplissent aujourd'hui deux fonctions majeures. Elles constituent, d'une part, un renfort ponctuel pour faire face à des pics d'activité dans le cadre d'activités programmées du quotidien. Les réserves servent là d'appoint, de forces intérimaires. Le cas le plus emblématique est celui de la gendarmerie, qui utilise la réserve pour faire coïncider au mieux ses effectifs avec ses engagements, notamment lors de la période estivale. Cette activité quotidienne permet d'entraîner et d'entretenir des réserves professionnelles.

Elle est essentielle à la deuxième fonction des réserves, celle qui nous intéresse, qui consiste à compléter les forces actives en cas de crise. Les crises majeures sont celles qui peuvent conduire à saturer dans la durée les capacités des forces actives, des administrations et des services de secours.

Nous l'avions dit lors de la présentation du rapport, dans les premières heures d'une crise, c'est évidemment les professionnels qui interviendront. En revanche, les réserves peuvent être très utiles, voire indispensables pour tenir dans la durée et pour permettre une rotation des effectifs. A petite échelle, c'est un système qui fonctionne déjà de façon assez remarquable dans les états-majors de zones de défense, qui fonctionne déjà avec 75 % de réservistes, comme nous l'avons constaté à Bordeaux où l'état-major a eu à gérer la crise de Xynthia.

Dans le contexte actuel de diminution des effectifs des forces d'active des armées, des services de sécurité et de secours, il est important que l'Etat puisse avoir recours à des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. En cas de crue de la Seine, où il faudrait évacuer plus de 800 000 personnes selon les scénarios en cours, en cas de vagues d'attaques terroristes où il faudrait sécuriser des milliers de sites, il est important, il est essentiel que les pouvoirs publics puissent compter sur un renfort, constitué non seulement de volontaires, mais de volontaires formés, intégrés aux forces d'active et pleinement opérationnels.

Or, lors de notre mission, nous avons cependant constaté que les réserves telles qu'elles sont organisées aujourd'hui ne permettraient pas de contribuer efficacement à la gestion de crises majeures et cela pour deux raisons principales : la disponibilité et la réactivité de ces réservistes.

Le premier constat est que la disponibilité réelle des réservistes n'est pas vérifiée.

Il y a, d'un côté, le problème de la multiplication des filières de réserves et la possibilité pour un réserviste d'appartenir à plusieurs réserves. Ce problème est réel, mais relativement marginal. Il y a, de l'autre côté, la question des réservistes qui ont comme activité à titre principal un emploi fortement sollicité en période de crise. Cela concerne toutes les personnes qui travaillent dans des services de sécurité ou de secours comme la police ou les pompiers, mais aussi les polices municipales ou les services de sécurité privés. Cela concerne également toutes les personnes qui sont intégrées dans des plans de continuité d'activité d'administrations ou d'entreprises essentielles au bon fonctionnement du pays. Je pense, par exemple, à France Telecom, à la SNCF, à EDF, bref à ce que le code de la défense appelle les opérateurs d'importance vitale. S'il est important de pouvoir disposer des réservistes en cas de crise, il faut s'assurer que ces personnes-là ne soient pas mobilisées. Il est, en effet, dans l'intérêt collectif qu'elles participent, au sein de leur entreprise ou de leur administration, à la gestion de la crise. D'ailleurs, dans la plupart des cas, elles ne viendraient pas si on leur demandait, mais encore faut-il le savoir, et savoir sur qui les réserves peuvent réellement compter.

Aujourd'hui, aucun dispositif d'identification ne permet de mesurer l'importance de ces doubles appartenances ni d'organiser des priorités.

Le deuxième constat est celui de l'absence de réactivité des réservistes en cas de crise. Actuellement, le code de la défense prévoit que le réserviste militaire sous ESR, qui accomplit une mission pendant son temps de travail, doit prévenir son employeur de son absence avec un préavis d'un mois. De plus, si les activités accomplies pendant le travail dépassent cinq jours, l'employeur a la possibilité de refuser le départ de son salarié. On comprend, dans ces conditions, que la réserve n'est pas conçue et pensée comme un outil de réponse aux situations de crise.

Un mois de préavis, cinq jours de disponibilité, ce n'est pas adapté.

Nous sommes donc partis de ce constat pour créer un mécanisme qui permet de mobiliser les réservistes plus rapidement, pour des durées plus longues sans pour autant modifier les règles de gestion quotidienne des réserves.

En effet, il nous a paru important de ne pas alourdir les contraintes qui pèsent au quotidien sur les réservistes et sur les entreprises qui les emploient car il y a là un équilibre fragile qu'il convient de préserver si on ne veut pas tarir le nombre de volontaires.

Autrement dit, on n'a pas voulu modifier les règles de gestion des réserves pour les activités programmées des réservistes, c'est-à-dire en gros les 20 jours d'entraînement par an. En revanche, on a voulu créer un instrument pour répondre à des besoins exceptionnels dans des circonstances exceptionnelles. Nous l'avons fait après avoir constaté que les régimes juridiques d'exception, comme l'état d'urgence ou la mobilisation générale, n'étaient pas adaptés. Une partie d'entre eux ne vise pas les réservistes, les autres sont des dispositifs tellement attentatoires aux libertés publiques qu'on imagine mal qu'ils soient utilisés en cas de catastrophe naturelle, de pandémie ou de crise terroriste. C'est le cas, par exemple, de la mobilisation générale dont le Livre blanc souligne que son usage est devenu improbable.

Accroître la réactivité, mieux cerner la disponibilité des réservistes, ne pas alourdir les contraintes des entreprises, voire faciliter l'emploi des réservistes au sein des entreprises par une disposition fiscale, voilà ce qu'ont été, Monsieur le président, nos motivations.

M. Michel Boutant, co-rapporteur de la mission d'information. - Monsieur le président, Monsieur le ministre, partant du constat que les dispositions actuelles du code de la défense n'étaient pas adaptées, nous avons été amenés à élaborer un régime juridique d'exception temporaire, définissant, en cas de crise majeure, des règles de mobilisation des réserves militaires et civiles contraignantes.

Comme l'a souligné ma collègue, la proposition de loi ne modifie pas l'organisation des différentes réserves au quotidien, mais définit, pour le cas de crise majeure, des règles de mobilisation des réserves contraignantes avec un préavis et une durée opposable dérogatoire du droit commun.

Le dispositif que nous proposons, dit « de réserve de sécurité nationale », est distinct des régimes juridiques d'exception, mais il s'insère dans le même chapitre du code de la défense dédié aux régimes d'application exceptionnelle. Nous contournons ainsi la question de la modernisation de ces régimes d'exception pour se concentrer sur la question des réserves.

La proposition de loi définit un régime spécifique aux cas de crise majeure, déclenché par le Premier ministre, par décret.

Ce régime d'exception temporaire ne concerne évidemment que les citoyens engagés dans les réserves militaires et civiles. Le décret définira la durée du préavis et de la mobilisation dans la limite de trente jours renouvelables. La convocation des réservistes relève de chaque ministère.

Ce texte offre aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un régime juridique qui leur permet de mobiliser, en plus des forces actives immédiatement engagées dans la gestion de la crise, des forces de réserve, dans un délai plus rapide et pour une période plus longue que celle prévue dans le cadre des activités programmées des réservistes.

Ce cadre juridique vise ainsi à fiabiliser l'engagement de réservistes dans la gestion d'une crise majeure et à permettre leur intégration dans les différentes planifications de crise. A partir du moment où on sait pouvoir compter sur les réserves, il faut, en effet, les intégrer dans les planifications de crise.

Nous estimons que le recours à cette forme de contrainte qu'est la mobilisation doit être réservé à des événements majeurs qui, par leur ampleur ou leur durée, saturent les capacités des forces d'active des armées, des forces de protection civile et de secours.

C'est pourquoi nous avons prévu que le dispositif ne peut être utilisé qu'« en cas de survenance, sur tout ou partie du territoire national, d'une crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité des services de l'État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation ».

Dans ces circonstances et seulement dans ces circonstances, le Premier ministre peut recourir au dispositif de réserve de sécurité nationale par décret. Les réservistes sont alors dans l'obligation de rejoindre leur affectation, sous peine d'amendes, lorsque l'autorité dont il relève au titre de leur engagement les convoque.

Les réservistes employés au sein d'une entreprise ou d'une administration dont le fonctionnement est jugé d'importance vitale pour le fonctionnement du pays peuvent, sous certaines conditions, déroger à cette obligation afin qu'ils contribuent, dans leur entreprise ou leur administration, à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation.

Le dispositif proposé précise que les prérogatives des ministères en matière de gestion de leurs réservistes sont strictement respectées. Les réservistes sont ainsi convoqués et employés par le ministère dont ils dépendent, en cohérence avec les besoins exprimés par l'autorité civile chargée du traitement de la crise.

Ce dispositif permet enfin de couvrir les réservistes qui voudraient s'engager pour la collectivité nationale, dans un moment où elle est durement touchée. Il leur offre la possibilité de pouvoir opposer à leur employeur un cas de force majeure et une protection juridique.

Nous avons enfin estimé que les entreprises, en tant qu'employeurs de réservistes, constituaient un élément central du dispositif.

Nous avons la conviction que la qualité et les performances de nos réserves dépendront de la qualité des relations que les différentes réserves sauront nouer avec les employeurs. Nous pensons que des actions doivent être menées pour valoriser les entreprises qui emploient des réservistes.

C'est pourquoi nous avons proposé dans un titre II : « Des entreprises employant des réservistes », l'extension aux réservistes des dispositions relatives au mécénat, afin de permettre que les entreprises, qui maintiennent les salaires des réservistes pendant leur activité au titre de la réserve, puissent déclarer ces sommes au titre du mécénat.

M. Josselin de Rohan, rapporteur de la proposition de loi. - J'ai conduit quelques auditions afin de m'assurer que le texte ne suscitait pas d'objections, pour constater, in fine, qu'il emportait au contraire une large adhésion. Je félicite, encore une fois, ses auteurs, dont le travail, considérable, honore le Parlement.

Le travail de nos collègues a fait l'objet, au cours de la mission, d'un dialogue fourni au sein d'un groupe de travail animé par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui a bien voulu assurer avec les services du Sénat une coordination interministérielle. Je ne peux que me féliciter de cette collaboration en bonne intelligence entre l'exécutif et le législatif : la méthode mérite d'être reproduite.

Il faut aujourd'hui rompre avec la vision de la réserve qui était celle du XXe siècle : les conflits ont changé de nature, et les textes sont désormais largement obsolètes. Ainsi, avec la professionnalisation des armées, le régime de la mobilisation générale, tel qu'il fut utilisé en 1914, puis en 1945, comme celui de l'état d'urgence, qui prévalut en Algérie, n'a plus lieu d'être. Avec la disparition -jusqu'à nouvel ordre- de la conscription, le vivier de recrutement que constituait la réserve est aujourd'hui caduc.

Nous avons, au surplus, besoin de réserves faites essentiellement pour être utiles à ceux qui les emploient : il faut pouvoir convoquer ceux-là seuls dont on a besoin pour assurer la continuité du service public, principe dont les deux auteurs du rapport ont montré l'importance. Il ne s'agit de rien moins que d'assurer la résilience de la nation pour garantir aux citoyens les services publics dont ils ont besoin.

Depuis l'adoption du Livre Blanc, nombre de dispositions ont été prises destinées à améliorer la gestion des crises et marquées par le souci d'assurer une action interministérielle efficace dans la logique du concept de continuum sécurité-défense. Cette proposition de loi reste dans la ligne, en intégrant l'ensemble des réserves, militaires et civiles.

Le dispositif qui nous est proposé est pragmatique. Il répond aux besoins concrets de nos armées comme de nos services de sécurité et de secours. Il est souple, puisqu'il ouvre au Premier ministre la faculté de permettre aux administrations gestionnaires de mobiliser selon leurs besoins.

On pourrait m'objecter qu'il est paradoxal d'introduire une forme de contrainte dans un régime qui relève, par essence, du volontariat. Le volontariat dans la réserve ne se situe pas seulement au moment de la souscription à un contrat, mais au niveau de chaque convocation. Le réserviste est à chaque instant en mesure d'accorder ou non son temps. La réserve est ainsi fondée sur un double volontariat par lequel le réserviste accepte, d'une part, de consacrer du temps à la réserve et, d'autre part, d'y effectuer telle ou telle mission. Dans ce contexte, la proposition de loi vient temporairement rompre cet équilibre, puisqu'elle permet, en cas de crise majeure, de contraindre le réserviste à répondre présent et à servir les autorités dont il dépend au titre de son engagement volontaire. Le réserviste reste un volontaire, car il a librement consenti son engagement dans la réserve, mais il est, en cas de circonstances exceptionnelles, requis d'accepter la mission qu'on lui confie au nom de l'intérêt supérieur du pays plongé dans une crise majeure.

Je vous proposerai, en conséquence, d'adopter en l'état les articles 1 et 2. Sur les articles 3 et 4, relatifs aux dispositions fiscales, je serai, en revanche, plus circonspect. Sur le fond, j'estime justifié de proposer une compensation aux entreprises qui acceptent de se séparer de leur salarié au moins vingt jours par an. C'est là un acte de patriotisme qui mérite reconnaissance, mais la carotte fiscale, outre qu'elle sera complexe à mettre en oeuvre, comme en témoigne le fait que des dispositifs analogues n'ont jamais bénéficié à personne, me laisse sceptique. Sachant de quoi il est question, est-ce bien au titre du mécénat qu'il convient de rétribuer ce...sacrifice ? Le choix me semble peu conforme à la situation. Les représentants du Medef, qui avaient d'abord milité en faveur de cet expédient, sont aujourd'hui dubitatifs. On peut craindre, au reste, que notre commission des finances doive y voir une nouvelle niche fiscale. Sans compter qu'à l'heure où l'on entend réserver constitutionnellement à la loi de finances toute mesure fiscale, ce doit nous être une obligation que de nous conformer à cette règle de bonne gestion, qui s'impose à l'exécutif.

Je suggère donc de supprimer ces deux articles, pour réfléchir plus avant à la portée d'un dispositif auquel il nous appartiendra de revenir en loi de finances.

Je vous propose en revanche un nouvel article pour adjoindre à la proposition de loi un toilettage du dispositif dit « du service de défense ».

Le texte de nos collègues prévoit, lorsque le dispositif de réserve de sécurité nationale est déclenché, que les réservistes sont dans l'obligation de rejoindre leur affectation. Les réservistes employés au sein d'une entreprise ou d'une administration dont le fonctionnement est jugé essentiel au bon fonctionnement du pays peuvent néanmoins, dans le texte proposé, déroger à cette obligation.

En cas de mobilisation des réservistes, ces salariés, dans le domaine des télécommunications, des transports et de l'énergie, ne doivent pas être réquisitionnés. Ils doivent contribuer, dans leur poste, à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation au sein de leur entreprise.

Or, la préoccupation de pouvoir disposer du personnel nécessaire pour assurer la continuité de l'action des services de l'Etat et des opérateurs dont les activités contribuent à la défense de la France est au coeur du dispositif dit «de service de défense ». La proposition de loi ne modifie pas ce dispositif. Pourtant, il est aujourd'hui nécessaire de le rénover.

Dès 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale soulignait que « ce système, créé à la fin des années 1950, souffre, sous sa forme actuelle, d'insuffisances importantes. Bien qu'adapté en 1999, il n'est pas mis en oeuvre. Son dispositif juridique le lie étroitement à des situations, comme la mobilisation, devenues aujourd'hui improbables ».

Le secrétaire général de la défense nationale a attiré mon attention sur la nécessité de rendre ce dispositif opérationnel.

Rénover ce dispositif présente, en effet, l'intérêt de bien coordonner les obligations qui résulteront du service de défense avec celles liées au dispositif de réserves de sécurité nationale, mais aussi de rendre opérationnel un mécanisme essentiel à la capacité des pouvoirs publics et des opérateurs d'importance vitale à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeure. Souvenons-nous des « affectés spéciaux » de 1916, ces personnels indispensables que l'on finit par renvoyer, comme de juste, aux industries de guerre auxquelles ils appartenaient ?

Je vous proposerai, pour en prendre acte, une modernisation du dispositif et un changement d'appellation, le service de défense prenant celle de « service de sécurité nationale », conformément aux recommandations du Livre Blanc.

En conclusion, je voudrais souligner plusieurs points. Le texte de la proposition de loi pose plus largement la question de la qualification du besoin des pouvoirs publics en matière de réserve, des emplois qui peuvent être confiés à des réservistes, des qualifications, compétences et des formations requises et enfin, sur ces bases, du format souhaitable de chacune des réserves. La puissance publique n'a pas besoin d'immenses bataillons, mais de gens utiles, formés, et facilement insérables dans les dispositifs existants. Nos armées ne peuvent plus compter sur la réserve de conscription : il faut adapter la réserve militaire à cette nouvelle configuration.

Ce texte doit s'accompagner d'une révision de la politique de réserve.

Or à ces questions-là, les pouvoirs publics n'ont pas encore de réponses suffisamment étayées. A commencer par les armées qui, légitimement, ont concentré l'essentiel de leur action sur la transformation en cours des forces d'active, sans totalement abandonner, qui plus est, les anciens schémas de la réserve de conscription.

Je crois que ce texte doit être accompagné d'une remise à plat de la politique des réserves qui permette de préciser les besoins, les emplois et le format des réserves dont les pouvoirs publics ont besoin, d'améliorer la gestion quotidienne des réserves, de réfléchir à une refonte du contrat d'engagement des réservistes.

On ne peut que constater le caractère ambigu du contrat passé entre le réserviste et les armées : ambiguïté quant aux obligations réciproques des deux parties, ambiguïté quant au statut de l'employeur qui, sans être partie au contrat, s'y trouve de fait engagé.

Les deux rapporteurs de notre mission ont relevé la disparité des mesures de convocation -elles sont ainsi différentes pour les réservistes de l'armée et ceux de la police. Il n'est pas rare que les employeurs ne sachent pas à quel type de réserviste ils ont affaire, ni même s'ils sont dits « disponibles ». Tout cela est source de bien des agacements, qui prédisposent les réservistes à cacher leur appartenance à la réserve, pour ne pas être pénalisés, alors qu'ils ne visent qu'à rendre service au pays. Il est pour le moins anormal qu'il faille se cacher pour servir son pays. Cette situation de clandestinité jette, par ailleurs, un doute sur l'efficacité du dispositif en cas de crise.

Vous aurez compris, Monsieur le ministre, au travers de l'ensemble de mon propos, que le chantier est loin d'être négligeable.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense. - Je vous remercie de votre aimable accueil. C'est avec plaisir que je retrouve les parlementaires au travail, engagés sur des sujets de première importance. Ce texte est intelligent, courageux ; il est aussi prudent, sachant qu'il commande d'autres phases. Nous aurons besoin, sans tarder, d'une simplification de la réserve. Il est subtil, il est intelligent, d'ouvrir leur place aux réservistes en les plaçant, même si le décret doit venir du Premier ministre, sous l'autorité des ministères concernés, pour une fonctionnalité immédiate. Il est courageux de prévoir des contraintes, sur le volontaire, sur l'entreprise, avec des contreparties protectrices.

Ce texte n'a pas l'ambition de régler d'emblée toutes les questions. C'est pourquoi je dis qu'il est prudent et intelligent : toutes les qualités d'une proposition de loi... Il s'agit bien là d'un travail d'élu comme on l'aime. Mes collaborateurs me font valoir l'existence d'un groupe de travail, d'une réflexion du SGDSN. Ils ont bien compris que la stratégie de l'échange sait engendrer un texte qui convient au gouvernement, d'autant que le rapporteur a su y apporter des remèdes qui agréent -je pense à l'assimilation au mécénat, qui mérite en effet réflexion. D'autant que le budget afférent n'est pas négligeable. En 2010, quelque 88 millions ont été affectés à la rémunération et aux charges sociales des réservistes. L'objectif étant, à l'horizon 2014, de 40 000 réservistes opérationnels sous contrat pour une moyenne de 25 jours d'activité, soit un million de jours de travail, équivalent à 4 000 ETP, quand nous en étions, en 2009, à 700 000 heures, que l'on s'essoufflait à assurer. Autant dire que cette proposition de loi vient à point nommé, qui clarifie les relations du réserviste avec son employeur.

Nous avons à régler l'ensemble des problèmes qu'a rappelés le président. Le ministère de la défense s'est déjà engagé dans une réflexion, qui sera mise à votre disposition en mai. Les inspections ad hoc ont été sollicitées pour émettre des propositions sur la doctrine d'emploi et la vision des suites opérationnelles, la gouvernance et la gestion de la réserve militaire, la réserve citoyenne, enfin. A ce texte qui constitue une étape, majeure, nous adhérons.

En matière de fiscalité, pourquoi ne pas imaginer, sur le modèle du label écologique, un label de citoyenneté ? On apprécie, en France, les échanges de distinctions. Une entreprise gratifiée d'un tel label, grâce à la signature d'une charte, pourra le faire valoir comme outil de relations publiques.

Quant à ses employés, il serait absurde, de fait, de leur demander de se mobiliser ailleurs, alors qu'ils peuvent être utiles dans le cadre des fonctions qu'ils assurent dans leur entreprise. C'est une réflexion à mener, que nous avons lancée.

La réserve opérationnelle comporte plusieurs strates. La première est celle de l'engagement volontaire. La seconde concerne les engagés dans les cinq années qui suivent le service. Le suivi n'en est pas encore parfait, et je demanderai que l'on y regarde de plus près pour compléter ce qui vous sera transmis en mai.

La France peut compter sur une inestimable réserve de bonnes volontés. Notre devoir de responsables, le vôtre comme le mien, est d'offrir à tous ceux qui le veulent toutes les opportunités de se sentir utiles. C'est aussi là un facteur de cohésion nationale, l'occasion d'offrir à ceux qui aspirent réellement à prendre une part reconnue, consacrée, à la vie de notre pays, de le faire. Sans civisme, la citoyenneté se dégrade. Le volontariat restera certes une minorité, mais d'un civisme exemplaire : un exemple à suivre.

M. Didier Boulaud. - Je m'associe aux éloges de notre rapporteur. Pour avoir siégé à l'Assemblée nationale, je puis dire que le rapport qui y fut produit, en son temps, était loin d'être aussi substantiel.

Il est beau d'avoir des projets, encore faut-il être en mesure de les financer. Notre rapporteur est revenu sur les pages 234 et 235 du rapport d'information, relatives aux aspects budgétaires : elles soulignaient que les 88,5 millions affectés en 2010 étaient très inférieurs aux objectifs fixés par la loi de programmation. Envisagez-vous, monsieur le ministre, d'y mettre un coup de pouce, pour éviter qu'achoppe la loi de programmation ? Dès lors que la réserve ne concourra plus aux seuls impératifs de défense, ne serait-il pas envisageable de négocier avec le ministère du budget, comme cela fut le cas pour les Opex, une ligne spécifique hors budget de la défense ?

M. André Vantomme. - Le travail de nos deux rapporteurs, que je salue, a suscité, dans nos départements, le plus vif intérêt. Mais les amendements de M. de Rohan annihilent l'effort en faveur des entreprises. J'ai bien entendu ses préoccupations, que l'on peut partager dans le climat actuel. Mais le fait est que les réservistes se heurtent souvent à une hostilité plus ou moins déclarée dans le monde de l'entreprise, si bien que beaucoup font le choix de dissimuler leur qualité. Si la solution proposée dans ce texte est éliminée, il faudra en trouver une autre pour offrir une compensation aux entreprises. Un label, monsieur le ministre ? Connaissant le monde de l'entreprise, je sais qu'il n'offrira qu'une satisfaction limitée...

Dans le cadre de mes responsabilités départementales, il m'est arrivé de présider une commission de notation du personnel. J'ai souvenir que l'un des plaignants reprochait que l'on ait mentionné, au chapitre de sa façon de servir, son appartenance à la réserve. Pourquoi ne pas, sur le modèle de ce qui a cours pour l'appartenance syndicale, interdire que l'appréciation portée sur l'intéressé puisse le prendre en compte ?

M. Christian Poncelet. - J'ai cru comprendre que la difficulté était pour partie financière. Pourquoi ne pas s'inspirer de l'expérience qui est la nôtre avec les pompiers volontaires. En faveur des trois mille d'entre eux qui oeuvrent dans mon département, j'ai mis en place, en liaison avec les chambres consulaires -directement impliquées puisqu'aussi bien il est ici question de sécurité publique- un service d'indemnisation, qui fonctionne fort bien. La question a fait l'objet, au demeurant, d'un débat national. Il y a là matière à réfléchir.

Mme Gisèle Gautier. - Lors de nos précédentes discussions, la question de l'identification des fonctions m'avait préoccupée : nous manquons de statistiques probantes, tant sur la réserve militaire que civile. Sauf pour la gendarmerie, on ne dispose pas du profil des réservistes. En cas de crise, lorsque l'on a besoin de toutes les bonnes volontés, c'est un problème de ne pas savoir qui fait quoi et sur qui on peut compter.

M. Gérard Longuet. - Les aspects budgétaires, Monsieur Boulaud, sont sous contrôle. Le problème est bien plutôt de trouver le moyen de passer de 32 000 à 40 000 réservistes. Il nous faudra de bons « sergents recruteurs », pour obtenir des engagements.

Les réservistes, lorsqu'ils sont en action, sont rémunérés sur la base de l'indemnité de militaire d'active, selon le grade. C'est à quoi correspondent les 88 millions. Il serait juste, en effet, que cette ligne fût abondée à l'interministériel. Les réservistes sont gérés par l'armée, mais sont parfois utilisés pour des opérations de sécurité civile.

Défendre les entreprises, Monsieur Vantomme ? Sans doute, mais il convient de distinguer deux cas de figure. Soit le réserviste donne de son temps sur sa période de vacances, ce qui ne désorganise pas le fonctionnement de l'entreprise, soit il le fait sur son temps de travail, auquel cas, s'il n'est plus rémunéré par l'entreprise, elle ne s'en trouve pas moins désorganisée, y compris si le temps est pris sur la RTT, qui n'est pas faite pour cela. Nous traiterons de ce sujet le 4 mai, lors de la journée nationale du réserviste centrée sur le monde de l'éducation et sur le monde de l'entreprise.

Doit-on prévoir un statut particulier, comparable à celui du personnel protégé ? Je ne le crois pas, car ce serait prendre le risque de desservir les réservistes en rendant les employeurs réticents.

Monsieur Poncelet, le régime des sapeurs-pompiers volontaires est une bonne référence : c'est le sens de l'indemnité des réservistes. Cependant, là où les sapeurs-pompiers s'engagent par un civisme « de proximité », les réservistes ont un rayon d'action bien plus large et ils peuvent aussi vouloir participer à de grands événements, mêmes tragiques, qui font l'actualité.

Madame Gautier, le problème du suivi professionnel des réservistes se pose effectivement, c'est l'un des items des trois études en cours. En revanche, je voudrais ramener la question des multi-réservistes à sa juste proportion, c'est-à-dire à un réserviste sur vingt : dès lors que le phénomène reste marginal, je ne suis pas choqué que des réservistes adoptent un mode de vie somme toute très modeste en cumulant plusieurs activités.

M. Michel Boutant. - Les officiers et les sous-officiers de réserve que nous avons auditionnés s'inquiètent tous d'une diminution des crédits : quelle en est l'incidence sur le nombre de journées de préparation, donc sur le niveau des réservistes ? Ensuite, je ne comprends pas bien que notre commission supprime d'elle-même le titre II : ne serait-ce pas plutôt le rôle de la commission des finances, ou du Gouvernement ? Pourquoi les précéder ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. - Vous suggérez peut-être que nous aurions pu marchander notre proposition avec le ministre ? J'en doute.

Le départ de salariés pour effectuer la réserve handicape les entreprises, c'est bien pourquoi les réservistes ne se déclarent pas à leur employeur. Si les entreprises étaient indemnisées, elles seraient peut-être moins réticentes. Vous nous dites, Monsieur le ministre, que les entreprises peuvent y gagner. Est-ce bien le cas ? Il y a bien eu une déductibilité fiscale, mais son dispositif est si complexe qu'elle est très peu utilisée. En revanche, dans la fonction publique, on cumule son traitement et la solde de réserviste. Ces différences nous mettent mal à l'aise, nous souhaitons que le régime soit amélioré et harmonisé. Le label « Partenaire de la défense » est-il incitatif ? Nous n'y croyons guère...

M. Jean-Louis Carrère. - Effectivement, n'y a-t-il pas une différence de traitement entre les réservistes, selon qu'ils viennent du privé, du public, de telle ou telle collectivité locale ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je suis, comme M. Boutant, très réservée sur la suppression du titre II avant la séance publique, car tous les responsables d'entreprise que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils étaient favorables au mécanisme que nous proposons. La culture de la défense s'affaiblit, le lien entre l'armée et la nation se distend à mesure que s'éloigne le temps où le service militaire était obligatoire : il faut encourager l'engagement dans l'armée de réserve et mieux compenser les contraintes que la réserve impose aux entreprises, en particulier aux PME. Le mécénat culturel donne lieu à un avantage fiscal, pourquoi le refuser pour la réserve ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. - M. Xavier Guilhou, président du comité de liaison du Medef et capitaine de vaisseau de réserve, m'a dit son opposition formelle à un tel dispositif, il faut en tenir compte ! Et vous savez bien qu'en séance, l'article 40 nous sera immédiatement opposé. Je préfère que M. le ministre recherche une solution appropriée et je remercie les auteurs du rapport d'y avoir contribué : cette voie est bien plus réaliste.

M. Joseph Kergueris. - Je vous rejoins entièrement. Je crois indispensable de prendre le temps nécessaire pour mesurer les besoins et rechercher les meilleures solutions. Le problème était comparable avec les sapeurs-pompiers volontaires, qui craignaient également de rompre leur anonymat. Nous avons travaillé avec les organisations patronales pour définir une démarche de contractualisation, qui a porté ses fruits.

Dans mon département, je constate que les entreprises valorisent les compétences acquises par les réservistes pendant leur service actif. On le voit dans les BTP, dans le génie civil, dans bien des métiers techniques ou encore dans le gardiennage : il y a un transfert de compétences et ce qu'on a appris à l'armée est valorisé dans le privé. On le constate dans les CV des étudiants, qui n'hésitent plus à mentionner leurs expériences dans l'humanitaire.

Enfin, le nombre de jours de réserve est somme toute bien modeste quand on le rapporte au regard du nombre total de jours travaillés : c'est à cette aune que l'on doit mesurer la contribution de tous à l'effort de défense de la nation.

M. Gérard Longuet. - Effectivement, le million de journées de réserve représente à peine quatre millièmes du nombre total de jours travaillés dans notre pays...

Je vous accorde, Madame Garriaud-Maylam, que la réserve désorganise davantage les petites entreprises que les grandes, mais c'est aussi dans les petites entreprises que le lien est le plus direct entre le dirigeant et les salariés, c'est là que le chef d'entreprise est le plus à même d'être rassuré de voir l'un de ses salariés consacrer du temps à une cause humanitaire, à un engagement pour la nation. Les DRH apprécient que les cadres aient une telle expérience et, vous l'avez dit, ces expériences figurent désormais en bonne place dans les CV des candidats à l'embauche.

Je vous concède, Monsieur Carrère, que des inégalités de traitement existent bien pour les réservistes selon qu'ils travaillent dans le privé ou le public, ou encore dans telle ou telle collectivité. Mais je range ces différences dans la diversité des conditions de travail, qu'on ne saurait effacer complètement et qui font l'objet d'arbitrages constants par les agents économiques.

Monsieur Boutant, j'entends bien que la question financière est cruciale, mais je peux vous affirmer que nous ne manquons pas de ressources pour la réserve. Je veillerai, comme vous m'y incitez, à ce que le niveau de formation, c'est-à-dire le nombre de journées de préparation, ne diminue pas et je souhaite même que, d'une moyenne actuelle de 21 jours, nous atteignions les 25 jours : il ne faudrait pas, effectivement, qu'une enveloppe budgétaire constante aille à un plus grand nombre de réservistes, qui bénéficieraient mécaniquement d'un plus petit nombre de journées de préparation.

EXAMEN DES ARTICLES

L'article 1er est adopté sans modification, de même que l'article 2.

Article 3

M. Josselin de Rohan, rapporteur. - Par l'amendement n° 2, je vous propose de supprimer cet article qui étend aux entreprises qui emploient des réservistes les dispositions fiscales relatives au mécénat culturel, et j'attends du Gouvernement qu'il nous apporte, en séance publique, des éclaircissements sur les mesures qu'il compte prendre pour aider ces entreprises.

L'amendement n° 2 est adopté, l'article 3 est supprimé.

Article 4

M. Josselin de Rohan, rapporteur. - Par l'amendement n°3 de coordination, je vous propose de supprimer l'article 4.

L'amendement n° 3 est adopté, l'article 4 est supprimé.

Article additionnel après l'article 4

M. Josselin de Rohan, rapporteur. - Par l'amendement n°1, je vous propose de rénover le « service de défense », qui devient le « service de sécurité nationale » et qui permet de maintenir en poste les employés dans des entreprises et des administrations dont le fonctionnement est jugé essentiel au bon fonctionnement du pays. Peut-être pourrions-nous recueillir le sentiment du ministre sur ce point ?

M. Gérard Longuet. - Nous sommes très favorables à cet amendement.

L'amendement n° 1 est adopté, il devient article additionnel.

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. de ROHAN, rapporteur

2

 

Adopté

Article 4

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. de ROHAN, rapporteur

3

 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 4

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. de ROHAN, rapporteur

1

 

Adopté

M. Jean-Louis Carrère. - Nous voterons ce texte, en attendant du ministre qu'il nous dise par quels financements il compte soutenir la réserve.

L'ensemble de la proposition de loi est adopté dans le texte issu des travaux de la commission.

Nomination d'un rapporteur

M. Xavier Pintat est désigné rapporteur du projet de loi n° 322 (2010-2011) autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes.