Mercredi 18 mai 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi

M. François Patriat, président. - Merci aux sénateurs présents aujourd'hui, après la journée dense que nous avons passée hier à Orléans où nous avons rencontré autorités préfectorales de région et département, maires, représentants de chambres consulaires et syndicats patronaux.

Monsieur Charpy, nous attendions avec impatience votre audition pour en savoir davantage sur la manière dont la RGPP affecte Pôle emploi et son activité. D'autant plus que le ministre du budget a déclaré, il y a une quinzaine de jours, que la règle du « un sur deux » s'appliquera demain aux grands opérateurs publics que sont Météo France, le CNRS et Pôle emploi. Pouvez-vous dresser un bilan de la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Christian Charpy. - Merci de cette invitation.

Commençons par rappeler que la création de Pôle emploi à partir de la fusion des Assedic et de l'ANPE est intervenue avant le lancement de la RGPP, une politique avec laquelle elle partage l'objectif de modernisation du service public. Après deux ans et demi d'existence, le temps est venu d'un bilan. Je me suis livré à cet exercice devant le Conseil économique, social et environnemental il y a deux mois et j'ai également été auditionné par la mission d'information de votre Haute assemblée.

Pôle emploi fonctionne, bien que la fusion n'ait pas été chose facile. De fait, il a fallu absorber le choc du rapprochement de deux établissements aux statuts, missions, comptabilité et personnels différents alors qu'explosait le chômage durant l'été 2008. Pour m'en tenir à quelques chiffres, le choc de la crise a signifié 100 000 chômeurs supplémentaires durant notre premier mois d'existence et, depuis août 2008 jusqu'à aujourd'hui, plus de 800 000 demandeurs d'emplois à inscrire, indemniser et accompagner.

Cette réorganisation poursuivait deux objectifs. Premièrement, simplifier l'accès au service public de l'emploi. Dès la première année, nous avons fusionné les plates-formes téléphoniques avec un numéro de téléphone unique : le 3949. Plus de 80% des appels sont décrochés dans la minute suivante sur 500 000 appels par jour, dont deux tiers sont traités par service vocal interactif et un tiers par nos 2 000 conseillers présents dans les plates-formes téléphoniques régionales. Depuis le 2 janvier 2009, il existe un site unique -pole-emploi.fr-pour tous les services, de l'inscription jusqu'au placement. Quelque 27 millions de visiteurs s'y rendent par mois, surtout pour les questions de retour à l'emploi. Désormais, les 950 agences de Pôle emploi offrent tous les services, contre 650 antennes des Assedic consacrées uniquement à l'indemnisation et 900 sites de l'ANPE pour le seul placement. Dans les deux cas, les usagers y ont donc gagné en proximité. Leur mise en place en 2009 a nécessité relogements, déménagements et restructurations. L'affaire a été complexe avec un système de front office et de back office, mais le tout était transparent pour les demandeurs d'emploi : le guichet était désormais unique. Fort d'un programme de restructuration immobilière, nous reverrons dans les quatre à cinq années à venir l'intégralité de nos installations. Entre 90 et 95% des dossiers d'indemnisation sont traités au moins dans les quinze jours, le délai moyen de traitement étant d'un jour à un jour et demi par dossier. L'essentiel est qu'il n'y ait pas eu de retard. Bref, nous avons rempli l'objectif de simplification avec succès, bien que des progrès restent à faire.

Deuxième objectif de la fusion : renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Malgré l'augmentation des effectifs de 5 000 personnes, les moyens n'étaient pas à la hauteur pour suivre 35 à 45% de personnes supplémentaires. D'où la concentration des efforts sur certaines phases de l'accompagnement et certains publics. Nous avons mis l'accent sur l'inscription et les entretiens à partir du quatrième mois jusqu'au retour à l'emploi. Toutefois, la charge de travail demeure lourde : il était prévu un conseiller pour 60 personnes dans la convention tripartite, la moyenne est d'un conseiller pour 100 personnes, ce qui est loin de refléter la situation de certains agents... En revanche, est réservé un conseiller pour 60 demandeurs d'emploi dès lors qu'il s'agit de personnes qui ont signé un contrat de transition professionnelle ou une convention de reclassement personnalisé -soit, environ 120 à 130 000 personnes en 2010- dans le cadre d'un licenciement économique ou les publics loin de l'emploi. Reste que, d'après l'enquête de l'Inspection générale des finances remise au ministre il y a deux ou trois mois, notre niveau d'accompagnement -le nombre de participants au service public de l'emploi rapporté au nombre de demandeurs d'emploi - est nettement inférieur à celui des Allemands et moins bon que celui des Britanniques.

M. François Patriat, président. - Pouvez-vous préciser ?

M. Christian Charpy. - A considérer les quatre missions du service public de l'emploi, la France est plus productive en matière d'inscription et d'indemnisation, consacre davantage d'agents au service aux entreprises -10% du temps des agents en France contre 4% en Allemagne et au Royaume-Uni, un fait peu connu !- ; en revanche, Pôle emploi est deux à trois fois moins doté que ces deux voisins européens en matière d'accompagnement. Question de choix ! L'accompagnement sera un sujet important de la nouvelle convention tripartite à signer avant la fin de l'année.

En 2010, Pôle emploi a connu d'importantes transformations. Je pense au transfert aux Urssaf du recouvrement des assurances chômage, sauf celles des intermittents du spectacle et des expatriés, ce qui a entraîné le reclassement de 1 300 personnes -je crois- dans de bonnes conditions. En avril 2010, conformément aux préconisations du sénateur Carle dans son rapport, nous avons également récupéré l'intégralité des fonctions et des 900 personnels de l'association pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA) -psychologues du travail et techniciens d'orientation.

J'en viens au budget de Pôle emploi. Par la convention tripartite, l'État s'est engagé à verser une dotation annuelle de 1,36 milliard ; l'Unedic, quant à elle, a été contraint de verser au moins 10% du produit de ses contributions d'assurance chômage. La première année, nous avons ainsi fonctionné dans de bonnes conditions budgétaires, malgré un déficit comptable dû essentiellement à la reprise d'engagements sociaux de l'Unedic. En revanche, 2011 sera encore plus tendu que 2010. De fait, les contributions de l'État pour frais de gestion, notamment 90 millions pour le versement de l'allocation de solidarité spécifique, ont disparu ; en outre, la reprise des personnels de l'AFPA ne s'est pas accompagnée d'une dotation complémentaire, bien que cette fusion représente une économie de 70 millions pour l'État en année pleine. Des efforts de synergie et de modernisation sont donc nécessaires sur les achats, l'immobilier et les frais de fonctionnement. Nous y travaillons d'autant que les frais de gestion augmentent à mesure que s'alourdit la charge de travail. Plus de demandeurs d'emplois signifie des coûts d'affranchissement plus importants ; davantage d'employés imposent des achats de matériels informatiques et des espaces de bureau pour les accueillir...

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Les demandeurs d'emploi et les entreprises trouvent-ils leur compte dans la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quels indicateurs utilisez-vous pour mesurer leur satisfaction ?

Ensuite, les effectifs. Aujourd'hui, la moyenne est plutôt d'un conseiller pour 100 personnes que le chiffre prévu d'un conseiller pour 60 personnes. Comment interprétez-vous les récentes déclarations du ministre Baroin sur l'application de la règle du « un sur deux » à Pôle emploi ?

Quid des maisons de l'emploi ? L'État s'est engagé pour au moins trois ans à les financer, mais demande aux collectivités territoriales de mettre la main à la poche. Nous sommes inquiets pour l'avenir. A terme, cela ne se traduira-t-il par un transfert de charge vers les collectivités, en particulier les EPCI ?

Enfin, quel avenir pour les missions locales ? D'aucuns affirment qu'elles ont moins de raison d'être. Est-il trop tard pour envisager leur fusion avec Pôle emploi ? Quelles seraient les conséquences pour les collectivités territoriales qui les financent largement ?

M. Christian Charpy. - Pour mesurer la satisfaction des usagers, nous lançons chaque année une vague de questionnaires et avons entrepris une grande consultation sur internet à l'automne dernier. Les résultats de ces enquêtes sont cohérents, quoique celle menée sur internet me semble plus instructive car les usagers répondent à froid, et non sitôt après la rencontre avec le conseiller. Cette enquête, dont les résultats sont moins favorables, a porté sur 500 000 demandeurs d'emploi, qui avaient accepté de nous communiquer leur adresse de messagerie électronique. Son but était de mesurer la satisfaction globale vis-à-vis de Pôle emploi, puis envers les services que nous proposons, le sentiment ou non d'une amélioration pour les personnes inscrites avant la fusion et, enfin, l'identification des freins à l'emploi. Environ 65% des personnes interrogées ont une opinion positive de Pôle emploi, ce qui n'est pas un mauvais score pour une maison qui a la réputation de ne pas répondre à la demande. Quelque 80% se déclarent satisfaites de l'indemnisation, 55% du placement. Cela paraît logique quand le public sondé n'a pas retrouvé d'emploi. En outre, la satisfaction croît avec la durée d'usage de nos services entre le troisième mois et le douzième mois avant de diminuer, sans doute en raison de la lassitude Les ateliers autour de l'écriture du CV et les bilans de compétentes sont jugés utiles. En revanche, le taux de satisfaction des entreprises est de 66%, ce qui me semble faible par rapport au chiffre attendu de 80 à 90%. Pôle emploi n'est peut-être pas assez proactif lorsque surviennent des difficultés de recrutement. Cela constitue, pour nous, une alerte sérieuse. Globalement, le service public de l'emploi a mauvaise presse dans tous les pays : en Allemagne, le taux de satisfaction est compris entre 23 et 25%. La France se classe au deuxième rang.

J'en viens aux effectifs. Nous avons recruté 1 840 personnes durant l'été 2009 et 1000 personnes fin 2009. L'heure est aujourd'hui aux réductions de postes : l'État demande la suppression de 1 800 emplois, dont 1 500 CDD et 300 CDI. Un message difficile à faire passer... Nous nous sommes engagés à tenir cet objectif fin 2011. Cela a-t-il un rapport avec la RGPP ? Non, car je suis le seul fonctionnaire de cette maison dont 80% des personnels sont des agents de droit privé. En outre, Pôle emploi n'est pas, au sens juridique, un opérateur public puisque l'État le finance seulement un tiers de son budget, l'essentiel des ressources provenant des partenaires sociaux. Cette réduction des effectifs de 1 800 personnes correspond aux personnes autrefois chargées du recouvrement des assurances chômage, compétence transférée aux Urssaf. Comme vous, j'ai pris note des déclarations de M. Baroin. Nos personnels ne sont ni fonctionnaires ni agents publics, du moins pour la plupart d'entre eux. Néanmoins, en tant qu'opérateur public, nous devons contribuer à la réduction des effectifs. Avec une population jeune du fait de nombreux recrutements, le nombre de départs à la retraite est évalué à un chiffre compris entre 600 et 800 par an.

Quid des engagements financiers de l'État envers les maisons de l'emploi ? Je ne saurais répondre à cette question. En revanche, je puis vous dire que leur cahier des charges met aujourd'hui l'accent moins sur l'accompagnement que les diagnostics territoriaux et l'animation et que leurs crédits ont diminué entre 2010 et 2011. Pôle emploi contribue aux maisons de l'emploi, dont il est membre de droit, par la mise à disposition de services ou notre installation dans leurs locaux. En revanche, nous ne leur apportons pas de financement direct. Une telle solution me semble difficilement imaginable.

L'avenir des missions locales ? Elles accompagnent les jeunes pour monter un projet de vie, résoudre les problèmes de santé, de logement ou encore d'insertion sociale, qui ne relèvent pas de la compétence de Pôle emploi. La logique est à la complémentarité, non à l'absorption. Il y a un an et demi, nous avons signé un accord-cadre définissant les conditions dans lesquelles nous leur adressons des jeunes demandeurs d'emploi, environ 200 000 par an, contre versement d'une contribution financière.

Mme Catherine Deroche. - Les mesures de simplification administrative demandées aux entreprises impactent-elles Pôle emploi ? Si oui, dans quels domaines ? Comment avez-vous procédé à l'harmonisation entre les personnels issus de l'ANPE et ceux des Assedic ? Dans la fonction publique, les gains de productivité obtenus grâce à la RGPP ont profité aux agents. En pratique, comment s'est traduite la mise en place d'un interlocuteur unique pour les demandeurs d'emploi ? Enfin, quels sont leviers pour adapter les effectifs aux évolutions de la conjoncture économique et aux disparités régionales ?

M. Christian Charpy. - Nous avons fortement contribué aux mesures de simplification administrative par l'unification du recouvrement des contributions obligatoires au sein des Urssaf. Ensuite, nous expérimentons la dématérialisation de l'attestation employeur, exigée en cas d'inscription, dans une région, avant de l'étendre à tout le territoire. Cela simplifiera la vie des entreprises, comme la nôtre. Concernant les déclarations de cotisations sociales, nous participons également au groupement d'intérêt public « Modernisation des déclarations sociales » (GIP-MDS). De son temps, l'Unedic avait mis en place un programme « déclaration nominative des assurés », abandonné du fait de la fusion. Pour le reste, nous ne sommes pas impactés directement.

Une question délicate que l'harmonisation des statuts avec 30 000 salariés de droit public et 15 000 salariés de droit privé régis par une convention collective. La loi prévoyait une convention collective de droit privé, qui s'appliquerait à tous les anciens agents de droit privé, et une possibilité d'option pour les agents de droit public. Deux éléments ont compliqué les négociations. D'après la loi, les partenaires sociaux avaient la charge de fixer la date-limite pour la signature de la convention -la règle classique impose un délai de 15 mois, ce qui constitue une forte incitation. Autant demander aux syndicats de signer leur arrêt de mort ! Nous avons finalement retenu 18 mois de négociations. Autre annonce publique, l'harmonisation devait conduire à prendre le meilleur des deux statuts. Soit, mais globalement ou section par section ? La différence de rémunération était de 25%. La convention collective, signée fin novembre 2009, a entériné l'harmonisation vers le haut des salaires, ce qui a incité les agents de l'ANPE à opter pour le nouveau statut. Pour ce faire, ils avaient deux ans. Fin 2010, ils étaient 57% à avoir utilisé leur droit d'option ; aujourd'hui, nous en sommes environ à 64%. Au total, 80% des personnels de Pôle emploi sont aujourd'hui de droit privé. Enfin, nous avons tenu un dialogue social intense sur le temps de travail, la mutuelle, la prévoyance ou encore les accords seniors.

Lors de la fusion, je croyais peu à un interlocuteur unique, car l'indemnisation et le placement sont deux métiers différents. A l'automne 2009, nous y avons renoncé car cette solution présentait davantage de problèmes qu'elle n'en résolvait. Il existe aujourd'hui un système à trois étages : le socle commun de compétences sur l'indemnisation et le placement, l'expertise professionnelle concernant l'intermédiation -la relation entre entreprise et demandeur d'emploi- ou la gestion des droits ; et, enfin, pour les agents qui le souhaitent, l'acquisition de compétences dans les deux métiers. Pôle emploi a besoin de 25 à 30% de ces agents doubles pour ajuster les effectifs et garantir la pérennité du service de l'emploi, notamment dans les zones rurales. Ce système semble satisfaire les personnels. Enfin, durant la première partie de la fusion, nous avions gardé deux entretiens : d'une part, l'inscription administrative et l'indemnisation ; d'autre part, le diagnostic professionnel. Depuis le début de l'année, 150 sites sur 950 pratiquent l'entretien d'inscription et de diagnostic unique. L'expérimentation sera généralisée à la fin de l'année.

Enfin, l'adaptation des effectifs à la conjoncture économique et locale est la question la plus complexe. Au plan national, tout dépend de l'État et du conseil d'administration, ma marge de manoeuvre est donc nulle, si ce n'est que je peux recruter des CDD en cas de signature d'un contrat de transition professionnelle. Pour réajuster les effectifs selon les régions, nous mesurons la charge annuelle de travail. L'option du licenciement étant exclue et les déménagements toujours difficiles, le lissage des effectifs s'opère sur deux ou trois ans. C'est un véritable casse-tête pour les directeurs régionaux.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Quel rôle a joué Pôle emploi dans l'accompagnement et la reconversion des territoires frappés par la réforme des cartes hospitalière, judiciaire et militaire ?

M. Christian Charpy. - En ce domaine, Pôle emploi n'a pas eu d'actions ciblées. Pour autant, ses directeurs régionaux participent aux groupes de travail formés par la préfecture.

A propos de carte, il existe également un schéma des implantations pour l'emploi. Lors de la création de Pôle emploi, nous avions confié à Bernadette Malgorn, alors secrétaire générale du ministère de l'intérieur et membre du conseil d'administration, un rapport à ce sujet avec deux objectifs : plus de 80% des demandeurs d'emploi à moins de 30 mn d'une agence et aucune suppression dans les zones urbaines sensibles. Nous avons présenté le schéma des implantations pour l'emploi au conseil d'administration en septembre 2010. Avec celui-ci, 95 à 97% des demandeurs d'emploi sont à moins de 30 km d'une agence si bien que le nombre d'agences a plutôt crû : création d'agences dans les territoires vierges -Doubs ou à Concarneau en Bretagne ou encore à Dole-, suppression d'agences dans les agglomérations. Pour exemple, Nantes compte dix ou onze agences quand six ou sept suffisent.

M. Didier Guillaume. - Je crains un transfert des maisons de l'emploi vers les collectivités territoriales. A mon sens, cela placerait les élus en difficulté : ils ne sont pas compétents en ce domaine.

Je salue la qualité de vos directeurs régionaux et de vos personnels. Cependant, je m'interroge sur les effectifs : on nous alerte souvent sur l'insuffisance des moyens de Pôle emploi face à l'accroissement du stock de chômeurs en raison de la crise. Mon département de la Drôme compte aujourd'hui 32 000 chômeurs et 13 000 allocataires du RSA. La cohésion sociale passe par l'accès au service public de l'emploi.

Enfin, de nombreux chefs d'entreprise se plaignent : « On veut recruter, mais Pôle emploi n'est pas en mesure de nous fournir des collaborateurs. »...

M. François Patriat, président. - D'où le système boostemploi...

M. Didier Guillaume. - Certes, mais il relève des collectivités ! Quelles expérimentations mettre en place pour une meilleure adéquation entre la liste des demandeurs d'emploi et les besoins des entreprises ?

M. Christian Charpy. - Les maisons de l'emploi ont été créées par la loi de cohésion sociale de 2005 - Pôle Emploi n'existait pas. Il s'agissait dans l'esprit du ministre d'impliquer les collectivités territoriales dans la politique de l'emploi et d'engager une synergie entre l'ANPE et les Assedic, sans aller jusqu'à une fusion alors jugée trop coûteuse. Fallait-il maintenir ce dispositif ? Les parlementaires ont pris cette décision.

Si les administrations sociales participent au diagnostic territorial, le développement économique et la formation sont de la compétence des intercommunalités et des régions. Bien des collectivités territoriales ont des services emploi.

La fusion, avec son lot de déménagements, de nouveaux systèmes informatiques et de stress, a impacté les conditions de travail. Beaucoup de choses ont déjà été rectifiées, mais la situation reste complexe, et le métier difficile. L'écart est cependant assez fort entre le ressenti des agents et l'expression des organisations syndicales. J'entends dire que les plateformes téléphoniques sont des usines anonymes, avez-vous perçu cela lors de votre visite en Ile-de-France ? Les conditions de travail sont meilleures dans les nouvelles agences. J'espère que l'éclaircie sur le front de l'emploi se confirmera.

Reste qu'il faudra réaliser des choix de priorité. Si l'on s'occupe d'abord de ceux qui sont le plus près de l'emploi, on pourra ensuite s'occuper mieux des autres. D'autres considèreront que les premiers ont moins besoin de nous, qu'il faut tout de suite se concentrer sur ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, et qui demandent plus d'accompagnement. Faut-il mieux segmenter les demandeurs d'emploi ? Le conseil d'administration n'est pas unanime.

Nous interrogeons les entreprises sur leurs projets de recrutement et sur leur sentiment de la difficulté à les réaliser. Certes, 40% anticipent des difficultés, mais la plupart des recrutements sont le fait de PME qui n'ont pas de service du personnel. En outre, le taux d'emplois vacants en France, entre 0,3 et 0,4%, se compare avantageusement au 1,7% de l'Union européenne et aux 2,2% constatés en Grande Bretagne.

Vous évoquez le débat sur les métiers en tension. Il n'y pas de cuisiniers au chômage, ni de maçons. Il faut donc inciter des demandeurs d'emploi à se reconvertir. Or notre système invite, il ne contraint pas. Il convient de revaloriser l'image de ces professions, comme l'a fait le bâtiment, de les faire redécouvrir. Les entreprises doivent aussi accepter de recruter d'autres personnes. Quand le président de Synhorcat dit que nous ne trouvons pas de candidats qualifiés, c'est qu'il n'y en a pas. Il n'y a pas d'autre solution que d'en former et de recruter en alternance. Nous avons aussi une méthode de recrutement par simulation : on l'a fait à Béziers pour les gens qui font décoller les avions sur les bâtiments de la marine nationale.

M. Raymond Couderc. - Ça continue...

M. François Patriat, président. - C'est aux professionnels qu'il appartient de rendre les métiers plus attractifs, et d'abord par de meilleures rémunérations - la TVA... Je pense à la métallurgie, à Metal' Valley qui offre 250 emplois commençant à 1 500 euros et offrant des plans de carrière à 30 ans et plus : nous sommes forcés de mettre en place des formations ! Quel écart entre la vision d'un directeur général, au niveau national, et celle que j'ai sur le terrain ! Les agents me disent qu'ils n'y arrivent plus, que ce n'est plus possible ; sans notre aide, assurent les directeurs régionaux, il n'est pas possible d'organiser la semaine pour l'emploi. Oui la conjoncture est difficile, mais je ne retrouve pas votre description sur le terrain. Où sont les 70% de satisfaits quand lundi, à l'anniversaire des missions locales, on découvre qu'elles regorgent de travail parce que Pôle Emploi n'a pas les moyens de ses missions ?

M. Christian Charpy. - Avec 800 000 chômeurs de plus à suivre qu'en 2008 et seulement 5% d'effectifs en plus, il y a forcément plus de dossiers par personne.

M. François Patriat, président. - Est-ce le moment, malgré l'embellie ? La Bourgogne a perdu 23 000 emplois en 2 ans, dont 10 000 emplois industriels.

M. Alain Houpert. - A cause des 35 heures !

M. François Patriat, président. - Il y a 50 agents de plus pour 23 000 chômeurs.

M. Christian Charpy. - Les effectifs sont fixés en loi de finances. La transformation du recouvrement a permis de remettre 1 000 personnes sur le terrain.

Comment attirer les jeunes sur les métiers en tension ? Peugeot a recruté 2 000 jeunes en contrat de professionnalisation, 30 à 40% ont arrêté au bout d'un mois. Nous avons la responsabilité de les accompagner, de les motiver, et nous devons continuer à travailler.

Il est logique que les directeurs régionaux se rapprochent des régions pour les formations. C'est le cas en Bourgogne comme en Rhône-Alpes car, quand nous formons 120 000 à 130 000 demandeurs d'emploi, les régions en forment deux à trois fois plus. Une coordination est utile comme elle l'était avec les départements sur le RMI - les quelque 60 avec lesquels nous avions contracté finançaient 600 emplois pour s'occuper de l'insertion ; une cinquantaine d'entre eux continuent de le faire, mais le nombre d'agents ayant diminué d'un tiers, je suis contraint à un service de base. Dans une entreprise de service comme la nôtre, remettre dans le réseau 7 à 8% des fonctions support n'est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire.

M. François Patriat, président. - L'Etat a décidé de supprimer l'allocation pour les chômeurs en fin de formation, ce qui représente 8 millions pour la région.

M. Christian Charpy. - Nous avons, le 1er janvier, remis une rémunération de fin de formation, rétroactive à compter du premier janvier. C'est un peu moins généreux, mais il y a quelque chose pour eux comme pour les chômeurs non indemnisés.

M. Alain Houpert. - Au risque d'être iconoclaste, je constate que la fusion n'a pas été efficace. A Dijon, les employés me disent qu'ils passent leur temps à maquiller les chiffres, à trafiquer les dates. C'est fortement décevant.

M. Christian Charpy. - Nos contrôles internes permettent de vérifier que les statistiques ne résultent pas de telles situations. Nous essayons de les réduire, avec succès d'ailleurs.

Pôle Emploi collecte 3,3 millions d'offres d'emploi pour assurer le recrutement de 3 millions de personnes par an. Nous assurons entre 16 et 18% du marché de l'embauche et 38% pour les offres supérieures à un mois. Les entreprises d'intérim représentent 50 000 embauches en CDD ou en intérim. Nous restons le principal intermédiaire de l'emploi.

M. Alain Houpert. - Les candidatures spontanées sont plus efficaces.

M. Christian Charpy. - Avec 3 millions d'offres pour 3 millions de demandeurs, nous ne pouvons proposer plusieurs emplois à chacun. Nous assurons la transparence du marché de l'emploi ; nous accompagnons les demandeurs dans leur recherche (les Allemands et les Britanniques ont deux fois moins d'offres) ; enfin, nous améliorons leur employabilité.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie de vous être prêté à nos nombreuses questions.

Audition de Mmes Emmanuelle Wargon, secrétaire générale des ministères chargés des Affaires sociales, et Annie Podeur, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins

M. François Patriat, président. - Comment avez-vous vécu la RGPP, ses objectifs ont-ils été atteints et les économies réalisées ? Bref, l'efficacité est-elle au rendez-vous ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire générale des ministères chargés des Affaires sociales. - Les agences régionales de santé sont des pilotes régionaux de la politique de santé en matière de soins et de prévention. L'objectif est d'améliorer l'accès aux soins, la fluidité et l'efficacité des parcours et cela dans le respect de l'Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie (Ondam).

Le premier des outils est la régulation des crédits que les ARS distribuent en partenariat. C'et aussi le projet régional de santé et le schéma régional d'organisation des soins (SROS). Nous agissons par l'organisation territoriale, les autorisations d'activité et la répartition des enveloppes. L'objectif est d'assurer un bon maillage du territoire. Pour ce faire, le projet régional de santé est territorialisé ; une conférence par territoire définit les besoins. L'adéquation de l'offre peut mener à une restructuration des hôpitaux. Autant d'éléments très concrets pour un directeur d'Agence régionale de santé (ARS).

Mme Annie Podeur, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. - Les fermetures des centres hospitaliers sont exceptionnelles. Il peut arriver qu'une clinique privée ferme ; il s'agit dans les autres cas de reconversion et de recomposition. Il n'y a plus, depuis 2003, de carte sanitaire ni de carte hospitalière. A une organisation vue de Paris, l'on a substitué une organisation régionalisée. En revanche, lorsque l'on prépare un texte, l'on établit des études d'impact, ce qui est de bonne gestion.

L'ordonnance de 2003 a des précédents puisque dans les années 1980, l'on avait essayé de combiner une carte sanitaire et des schémas d'organisation sanitaire. La Cour des comptes a critiqué une dualité d'instruments, aussi a-t-on gardé le seul schéma régional. Les SROS répondent à quatre priorités : mieux évaluer les besoins de santé ; prendre en compte la dimension territoriale à travers des territoires de santé moins nombreux ; associer les professionnels, les élus et les usagers ; animer les territoires grâce à la conférence de territoire et à la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA).

Oui, il y a des restructurations, des recompositions et oui, la reconversion d'un établissement fait l'objet d'une concertation sous l'égide de l'ARS. Tout retrait ou non-renouvellement d'autorisation donne lieu à consultation de la commission spéciale de la CRSA où siègent quatre élus (un conseiller régional, un président de conseil général, un représentant d'intercommunalité, et le représentant d'une commune). Au-delà, il est impensable qu'un directeur général d'ARS s'exonère d'une concertation préalable avec l'élu concerné.

L'on peut constater qu'un besoin a diminué. Un exemple défraie la chronique : la chirurgie cardiaque régresse au profit de la cardiologie interventionnelle ; il faut alors pour celle-ci un plateau qui répondre de manière fiable au besoin sur le territoire. Il peut également arriver que les conditions techniques de fonctionnement ne soient pas remplies. L'on examine l'activité de soins, les moyens mis en oeuvre et la capacité à poursuivre cette activité. La démographie médicale permet-elle de maintenir une équipe capable d'assurer la continuité des soins et la permanence de l'activité ? Il ne suffit pas d'organiser un défilé d'intérimaires. Le dialogue doit alors se nouer avec l'établissement, avec les élus. La faible attractivité de certains établissements montre parfois que les usagers ont déjà fait leur choix, le taux de fuite pouvant atteindre jusqu'à 90%.

Le volontariat est plus positif. Des regroupements permettent une répartition d'activités et la construction de filières plus complètes et pérennes. En ce cas, la fermeture envisagée d'un service de chirurgie ou de maternité, peut être compensée par l'ouverture d'une unité de périnatalité, de soins de suite ou médicaux, afin d'apporter en toute sécurité une réponse plus satisfaisante. Cela se gère au long cours, sur une ou deux années et les élus y sont associés.

M. Didier Guillaume. - Jamais !

Mme Annie Podeur. - De 1996 à 2008, les ARH ont conduit 600 opérations ; il y en a encore eu 60 en 2009 et 2010. Je précise que 314 ont concerné la chirurgie et 212 l'obstétrique. Il s'agit essentiellement de services qui ont choisi de s'associer de se regrouper. La cancérologie est un merveilleux exemple parce les usagers ont apporté leur appui, on a eu le souci d'accompagner.

M. François Patriat, président. - Sortons de l'ambiguïté : êtes-vous concernées par la RGPP ? D'autre part, nous avons rencontré hier un préfet mécontent de l'indépendance de l'ARS.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Le directeur de l'ARS, quoique convié, n'est d'ailleurs pas venu... Plus sérieusement, le préfet doutait de la capacité de l'ARS à faire face à une crise sanitaire d'urgence.

Quelles relations entretenez-vous avec les autres services déconcentrés de l'Etat ? Quel est le rôle territorial des ARS, sur lequel Claude Evin s'interrogeait, et le partage des compétences entre l'ARS et les autres services de l'Etat est-il clair ?

Des maisons de santé fleurissent ici ou là. Quand leur ouverture est conditionnée à un concours des collectivités territoriales, n'y a-t-il pas transfert de charges sur ces dernières, amenées à intervenir dans le financement de la politique de santé ?

Enfin, serez-vous concernées demain par la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux ?

Mme Emmanuelle Wargon. - La RGPP s'applique aux ARS, pas aux établissements. Les agences emploient 7 500 fonctionnaires et 1 500 agents de l'assurance maladie sous convention collective de celle-ci. Nous avons supprimé 144 emplois en 2011, dont 119 côté Etat.

Mme Annie Podeur. - La fonction publique hospitalière échappe à la règle du non-renouvellement d'un départ sur deux, qui pourrait porter atteinte à la qualité des soins. Il incombe aux établissements autonomes de définir les moyens à allouer aux activités qui leur sont confiées, en assurant la qualité de soins avec efficience. Des consignes sont données pour qu'ils équilibrent leur budget  (c'est l'objet de l'état des prévisions des recettes et des dépenses) ; un regard vigilant est porté sur le procès de soins, l'organisation est améliorée, les recrutements nécessaires opérés. A cet égard, Hospi-diag est un comparateur qui permet de rapporter la productivité d'un établissement au PMSI (nous l'étendons actuellement à la psychiatrie). Les taux d'encadrement connaissent des écarts énormes. L'on constate des améliorations constantes sur le fonctionnement.

Mme Emmanuelle Wargon. - L'ARS est un service régional dont le préfet préside le conseil de surveillance. Sa situation n'est pas différente de celle du rectorat ou de la direction des finances publiques. Les relations sont globalement bonnes avec les préfets de région - sur 26 couples, 24 ou 25 sont tout à fait harmonieux. Les choses sont plus délicates au niveau départemental en raison de la réforme des services déconcentrés. Les ARS regroupent quant à elles une dizaine de structures plus les DDASS, que pilotaient déjà les ARH. Le choix a été laissé à chaque ARS de trouver son organisation. Dans les régions qui ne comptent que deux départements, comme le Nord-Pas-de-Calais, le siège est très présent, ne laissant à la délégation territoriale que des compétences réduites ; elles jouissent ailleurs de plus d'autonomie, quitte à s'appuyer sur le siège. Quand le lien vertical est très fort, il y a une hiérarchie entre le siège et le délégué territorial. Une clarification doit tendre vers l'uniformité, mais cela se traduira par un renforcement de la transversalité là où elle n'est pas assez affirmée. La construction est récente et, déjà, le contrat d'objectifs et de moyens prévoit que d'ici la fin de l'année tout poste fera l'objet d'une fiche.

Les ARS travaillent avec les directions départementales de la cohésion sociale. Nous avons commencé à coordonner notre action avec les directions régionales de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale. Nous en sommes à la quatrième circulaire, la dernière portant sur la MDPH (maison départementale du handicap). Les ARS participent aux CAR (comités de l'administration régionale).

La gestion de crise ? Des protocoles ont été signés avec les préfets de région. Nous avons déjà connu plusieurs crises et, après une période blanche en début de période, les remontées ne justifient aucune inquiétude, même s'il faut rester humble. En région Paca comme en Languedoc-Roussillon, le préfet et le directeur de l'ARS ont travaillé en bonne intelligence.

M. Didier Guillaume. - Plusieurs commissions portent le même nom de sorte que mes collègues, conseillers généraux ou présidents de conseil général, ont besoin d'être éclairés, sans quoi, ils ne mettront plus les pieds dans ces aréopages.

Je me demande si la sécurité des soins ne passe pas après les considérations budgétaires. Bien sûr, il pourrait y avoir plus de patients dans tel ou tel hôpital local, mais faut-il pour autant considérer qu'il ne peut y avoir d'hôpital qu'à Paris, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lyon et Montpellier ? Dans ma région, des hôpitaux attendent des crédits pour leur rénovation : pour l'instant, ils n'ont que ceux des collectivités... Pendant ce temps, des maternités ferment en raison des normes - mais qui donc les établit ?

Le directeur de l'ARS juge que la maternité de Die n'est pas rentable. La mobilisation l'a sauvée. Il ne faut pas, sur de tels sujets, raisonner en distance, mais en temps de parcours, parce que l'on n'a pas le temps d'aller à Valence lorsque les choses ne se passent pas bien. Quand je vois qu'on manque de généralistes, je m'interroge sur le risque de certains changements. Je plaide pour qu'on ne compte pas en kilomètres, mais en minutes.

M. François Patriat, président. - Dans l'Yonne, 45% du territoire n'a pas d'accès direct aux soins le week-end.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Vous ne m'avez pas répondu sur les maisons médicales.

M. Alain Houpert. - J'ai plus de relations avec l'ARS en tant que médecin qu'en tant que sénateur. Les ARS semblent hors sol. Il serait bon que leur directeur rencontre les parlementaires : nous ne mordons pas ! Nous avons tous une même mission : faire que ça marche. Il m'a fallu un mois pour obtenir un rendez-vous avec le précédent directeur général de l'ARS de Bourgogne. À se couper ainsi du terrain, on perd en réactivité !

M. François Patriat, président. - Pour ma part, je n'ai nullement à me plaindre du directeur général de l'ARS, qui est toujours venu me voir, sur tous les dossiers.

M. Gérard Miquel. - Dans le Lot, nos avons mis rapidement en place les maisons du handicap, dès lors que la compétence était transférée au département. Mais les moyens n'ont pas suivi. Les personnels des Ddass se sont vu proposer le choix entre un maintien dans les services de l'État ou un transfert au conseil général ; beaucoup ont opté pour l'État, obligeant le département à recruter du personnel. Or la compensation de cette charge par l'État n'a été que très partielle. C'est anormal.

Mon département attirant beaucoup de retraités, nous avons créé nombre d'établissements pour personnes âgées dépendantes, presque tous publics. Alors qu'un accord avait été signé entre le préfet et président du conseil général autorisant un tel établissement et que nous en étions à l'ordre de service aux entreprises, l'ARS a annoncé qu'elle ne suivrait pas, faute de moyens. Il faut passer par le filtre de l'appel à projet régional, dites-vous, mais les élus ne comprennent pas que la signature de l'État ne soit pas honorée ! Le préfet et moi-même sommes très mécontents.

Mme Emmanuelle Wargon - Le nombre d'instances de concertation incluant les élus est en effet élevé. Nous incitons les directeurs généraux d'ARS à développer des relations bilatérales. Il serait bon qu'ils nouent des relations avec les élus nationaux. Certains le font spontanément, d'autres ont pris plus de temps pour installer les relations institutionnelles.

Le dossier des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) est compliqué. L'État récupère en surnombre des agents qui se sont vu offrir un droit de retour, et doit rembourser aux collectivités la masse salariale engagée pour recruter. En attendant la proposition de loi Blanc, nous avons trouvé des crédits en gestion 2011, centralisés sur le programme 157, à hauteur de 5,7 millions d'euros, pour rembourser autant que possible cette dette. L'État est aujourd'hui dans une situation paradoxale, d'autant que le retour de ces agents en surnombre, pour certains sans mission, peut bloquer sa capacité de recrutement.

S'agissant de l'EHPAD de M. Miquel, nous essayons d'honorer la parole de l'État. Les ARS doivent mettre en place des appels à projet, mais rien ne les empêche de traiter en priorité les dossiers déjà engagés ! L'Ondam médico-social ayant été dépassé l'an dernier, la campagne budgétaire médico-sociale est soumise cette année à une forte contrainte budgétaire, et il est difficile de financer de nouveaux projets. Nous avons plutôt essayé d'honorer les conventions de médicalisation déjà signées dans les EHPAD. Je regarderai le dossier.

M. Gérard Miquel - J'ai écrit au ministère sur le sujet.

Mme Annie Podeur - Vous avez le sentiment que le maillage territorial se détend...

M. François Patriat, président. - C'est un sentiment d'abandon !

Mme Annie Podeur - Il faut mettre les choses en perspective. L'organisation sanitaire française est la plus hospitalo-centrée, nous sommes le pays avec le plus d'hôpitaux par rapport à la population.

M. Didier Guillaume - Nous ne voulons pas que cela change !

Mme Annie Podeur - La réponse réside dans notre capacité à structurer une réponse au besoin de soins dans le champ ambulatoire, et d'éviter une dégradation de l'état de santé telle qu'il faille un plateau technique. La filière de soins doit proposer une réponse allant du généraliste de proximité au plateau technique à vocation interrégionale.

Si nous fermons de petits plateaux, comme à Die, ce n'est pas pour faire des économies mais parce qu'il est très difficile d'y attirer des médecins. Qu'ils soient libéraux ou salariés, ceux-ci souhaitent travailler en équipe. La complexité des savoirs, la nécessité d'une approche pluridisciplinaire encouragent le développement d'autres modes de prise en charge. La France est en retard en matière de télémédecine, réponse qui offre, en proximité immédiate, l'intermédiation du médecin généraliste ou de l'hôpital de proximité. Nous avons tous les outils pour assurer la continuité des soins.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sont un exemple de collaboration réussie avec les préfets. Une circulaire de 2010 prévoit un plan d'implantation de 250 MSP en milieu rural sur trois ans, et une commission de sélection régionale coprésidée par le directeur général de l'ARS et le préfet. La condition est que le projet de MSP repose bien sur un projet médical, autour du regroupement de professionnels de santé, avec un souci de pérennité et d'attractivité.

Vous parlez de transfert de charges vers les collectivités territoriales ? L'assurance maladie, via le fonds d'aide à la qualité des soins de ville, apporte 50 000 euros pour amorcer des MSP en zone rurale, le double en zone urbaine sensible. Le fonctionnement est intégralement financé par l'assurance maladie, qui expérimente de nouveaux modes de rémunération. Les crédits à la main des préfets - DGE et FNADT - sont un levier pour obtenir des fonds européens. L'État ne tend nullement la sébile aux collectivités, qui ne sont en rien obligées de contribuer. Les crédits qu'elles apportent viennent en sus.

Le bilan est encourageant, avec 205 projets en milieu rural et 43 en zone urbaine. Les choses sont plus difficiles en zone urbaine sensible. La loi HPST prévoit que lorsque l'initiative libérale fait défaut, un établissement de santé peut apporter une réponse de proximité, via un centre de santé qu'il gère, mais c'est bien la réponse libérale que le Président de la République et le gouvernement nous demande d'encourager.

Ces maisons départementales sont un exemple de collaboration réussie entre les préfets et les directeurs généraux d'ARS.

M. François Patriat, président. - Merci. La Bourgogne a créé quatorze maisons de santé, financées par la région, le département et la communauté de communes, mais nullement par l'État. La région n'a pas la compétence santé ! Il est anormal à mes yeux que les départements construisent des gendarmeries, mais il est logique qu'ils contribuent aux maisons médicales.

Mme Annie Podeur. - Les modalités de financement feront l'objet d'une évaluation. Je peux pour ma part vous citer 150 maisons de santé qui n'ont pas demandé un sou à une collectivité locale !

Sur les contrats d'engagement de service public, les bourses accordées aux étudiants en médecine, l'État prend le relais des collectivités territoriales, et ce sur dix ans.

Mme Emmanuelle Wargon - Le partenariat en Bourgogne est exemplaire ; il faut dire que votre vice-présidente est très engagée, et que vous n'oubliez pas les transports, essentiels pour l'accès aux soins en milieu rural.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je pourrais citer bien des exemples en Bretagne où la commune a été maître d'ouvrage d'une maison médicale, et où l'amortissement n'est pas couvert... Les médecins, dont la rémunération n'a déjà rien de libéral, demandent en outre qu'on leur fasse des conditions matérielles incitatives !

M. Didier Guillaume - Derrière les fermetures, il y a une conception de l'aménagement du territoire. Une maternité qui ferme, c'est des gens en moins sur le territoire, des élèves en moins dans les écoles ! La présence publique entraîne un cercle vertueux, notamment dans les territoires ruraux. L'organisation des soins doit être différenciée selon les territoires !

Mme Annie Podeur. - L'aménagement du territoire n'est pas étranger à nos préoccupations. Permettez-moi de vous faire une réponse alternative. Vaut-il mieux, pour la vie de la commune, avoir une succession de médecins qui viennent assurer des vacations dans un hôpital, ou une maison de santé qui fonctionne, qui fait venir de jeunes médecins et de jeunes infirmières qui s'installent sur le territoire ? En termes de dynamisme, mieux vaut une réponse ambulatoire plutôt que de tout miser sur des plateaux techniques hospitaliers, qui ne seront jamais pointus.

Les hôpitaux locaux sont des espaces de vitalité, des interfaces entre ville et hôpital, sanitaire et médico-social. Ils rendent de grands services, notamment pour le maintien des personnes âgées. On ne peut pas dire qu'en engageant une reconversion vers les soins de suite, on en fait des mouroirs !

Audition de M. Yves Sarrand, directeur général des services de Savoie

M. Yves Sarrand, directeur général des services de Savoie, membre de l'Association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints des régions et départements chargés des affaires sociales. - Vous m'interrogez sur la RGPP vue depuis les services d'un conseil général. Depuis trois décennies, le centre de gravité du service public à l'usager s'est déplacé de l'État vers les services du département. Nous sommes donc à la fois observateur et acteur.

Tout d'abord, la refonte de l'organisation était devenue urgente. L'État était resté immobile depuis les lois Defferre ; les directions départementales de l'équipement, de l'agriculture, des affaires sanitaires et sociales étaient devenues des entités croupion, vidées d'une partie de leurs compétences et de leurs moyens. La simplification de l'organisation de l'État était donc attendue : on tire enfin les conséquences des transferts de compétences, on met fin à la multiplicité des interlocuteurs. La méthode a été brutale, mais y en avait-il une autre ? Les tentatives larvées de rapprocher DDE et DDA dans les années 90 ont échoué. La création des directions interministérielles, la simplification du système d'acteurs locaux est une avancée - à condition que les moyens suivent.

M. François Patriat, président. - Vous approuvez donc le principe d'une réforme de l'État, et, tout en reconnaissant que la concertation a fait défaut, et estimez qu'il n'y avait pas d'autre méthode possible. Les relations des services départementaux avec l'État sont-elles devenues plus lisibles ?

M. Yves Sarrand. - La simplification des interlocuteurs est une avancée. Certes, l'État est passé en force, en profitant notamment de la faiblesse des syndicats après l'acte II.

Sur la régionalisation, le constat est plus mitigé. On impose un modèle unique, alors qu'il y a une grande hétérogénéité entre régions. Le dogme veut que le niveau régional soit le plus pertinent.

M. Didier Guillaume - C'est faux !

M. Yves Sarrand. - Le regroupement des moyens de l'État au niveau d'une région aussi grande que Rhône-Alpes laisse perplexe. Les DREAL, par exemple, sont de superbes outils, mais bien loin du terrain. Sachant qu'il leur faut 3 heures 30 pour rejoindre Val d'Isère, comment des fonctionnaires basés à Lyon peuvent-ils apporter une réponse pertinente sur des sujets tels que la protection des espaces sensibles ? L'État prend des positions parfois théoriques, car ses agents sont éloignés du terrain.

Autre exemple, le médico-social reste une compétence partagée entre l'État et le département. Avec l'ARS, le centre de gravité de cette politique se déplace vers la région, d'où un éloignement de l'usager dans des domaines où la proximité est cruciale.

L'organisation territoriale retenue par l'ARS de Rhône-Alpes, qui repose sur la sectorisation hospitalière, est source d'incompréhension entre les départements et un service régional éloigné du terrain. Les délégations territoriales de l'ARS, bâties sur les restes des DDASS, ont peu de marges de manoeuvre. Quant au préfet, il fait ce qu'il peut pour assurer un minimum de cohérence...

Troisième point, les moyens. Sans doute fallait-il soumettre les services de l'État à une cure d'amaigrissement, mais sans aller jusqu'à l'anorexie ! Le peu de gras qu'avaient conservé les services de l'État a vite fondu avec la règle du non-remplacement d'un départ sur deux. L'État conserve des compétences importantes ; encore faut-il qu'il ait les moyens, en termes d'expertise, de les exercer. L'évolution actuelle est inquiétante.

On assiste à un transfert de charges rampant dans le domaine des compétences partagées. Depuis les lois Defferre, la délivrance des permis de construire est de la compétence des maires, mais les services de l'État continuaient à faire l'instruction pour le compte des communes. Or, devant la fonte des moyens de l'État, les directions des territoires et les préfets incitent les collectivités à assumer elles-mêmes cette instruction.

M. François Patriat, président. - Quand un maire rural le lui a reproché lors de notre déplacement en région, le préfet s'est mis en colère !

M. Yves Sarrand. - Il est dans son rôle ! Le préfet instruit, mais avec les moyens à sa disposition, dans les délais qui sont les siens. Si cela ne convient pas, à la commune ou à l'intercommunalité de se charger de l'instruction. Celles-ci se retournent donc vers le département, or l'instruction des permis de construire n'est aucunement une compétence du conseil général.

Dans le domaine social, le service à l'usager relève du conseil général, mais l'État a conservé un domaine de compétence important, notamment via les caisses d'allocations familiales et la Mutualité sociale agricole, qui ont leurs propres travailleurs sociaux. RGPP oblige, ces services disparaissent, faute de moyens : les bénéficiaires se tournent donc vers les travailleurs sociaux du département, qui se voit obliger de créer des postes pour compenser le retrait de l'État.

Autre exemple, l'État a conservé la protection judiciaire de la jeunesse, qui est un partenaire important des conseils généraux. Or la PJJ n'a plus les moyens de financer l'assistance éducative en milieu ouvert. Impossible de laisser ces jeunes en déshérence : le département n'a donc d'autre choix que de prendre la relève.

En Savoie, la fermeture du tribunal d'instance à Saint-Jean-de-Maurienne signifie la fin de la présence judiciaire dans la vallée de la Maurienne. L'État propose de créer une maison de la justice et du droit, en partenariat avec les collectivités. Le maire de Saint-Jean met un local à disposition, la Justice assure la formation - et la création d'un poste de permanent incombe au département. Conclusion, la collectivité locale « irresponsable » crée un emploi public de plus, quand l'État « vertueux » réduit ses effectifs !

En conclusion, si la simplification de l'organisation de l'État est très pertinente, la régionalisation des compétences inquiète, notamment dans les grandes régions comme Rhône-Alpes. Enfin, les directions interministérielles n'ont de sens que si on leur donne les moyens nécessaires pour fonctionner.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Vous confirmez ce que nous entendons depuis plusieurs mois : c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle !

La réorganisation de l'État autour de la région semble être perçue différemment par le préfet selon que son département est chef lieu de région ou non. En cas de problème, vous adressez-vous au préfet de département ou au préfet de région ?

Faute de moyens, l'État n'assume plus un certain nombre de missions d'ingénierie publique. Est-ce le principe même de ce désengagement qui vous paraît gênant, ou le fait que le département, l'EPCI ou la commune soient obligés de se substituer à l'État sans que leur soient transférés les moyens correspondants ?

Il ne me paraît pas aberrant que l'instruction des permis de construire relève du maire, d'autant que l'État effectue le contrôle de légalité. À l'époque où j'étais directeur de l'action sociale du département de Paris, une même famille avait au moins quatre travailleurs sociaux référents ; il me semblait plus pertinent d'avoir un chef de file. Ceci étant, si la caisse d'allocations familiales (CAF), l'Éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) se désengagent, si le secteur associatif n'est plus financé, on va se tourner vers le département, qui n'en peut mais ! Le désengagement de l'État pose-t-il un problème sur le plan des moyens ou des principes ?

M. Yves Sarrand. - Dans un département comme la Savoie, éloigné de la préfecture de région, notre interlocuteur naturel est le préfet de département, avec lequel les relations sont excellentes. Nous sommes loin d'avoir pris l'habitude de nous tourner vers le préfet de région. Les préfets de département et les sous-préfets s'attachent à réduire les incohérences entre région et départements.

Je connais l'ingénierie publique pour avoir été directeur départemental de l'équipement. S'agissant de l'instruction des permis de construire, le transfert de la compétence n'a pas été accompagné d'un transfert de moyens, car il était entendu que les services de l'État restaient à la disposition des communes. Ce transfert de charges qui ne dit pas son nom pose donc un problème de principe.

M. François Patriat, président. - D'autant qu'il n'y aura pas de loi pour prévoir des ressources supplémentaires !

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Voyez-vous une opposition déontologique à ce que le titulaire du droit du sol soit celui qui instruit ?

M. Yves Sarrand. -Certainement pas, mais la compétence n'a jamais été totalement aux mains des maires, qui n'hésitaient d'ailleurs pas à s'abriter derrière les décisions de la DDE.

Le problème est celui du transfert de ressources. La refonte de la carte de l'intercommunalité doit faire émerger des structures intercommunales, qui seront l'échelon pertinent pour mutualiser l'instruction. Reste le problème du financement des postes à créer.

L'ingénierie publique de l'État est un autre sujet : il s'agissait là d'un service que l'État facturait aux communes. La disparition de cette exception française me parait aller dans le sens de l'histoire, d'autant qu'elle n'était pas sans effets pervers, les fonctionnaires de l'État étant à la fois juge et partie. La difficulté vient de la rapidité de la réforme : les maires de petites communes se retrouvent brutalement orphelins, mais les choses devraient rentrer progressivement dans l'ordre.