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Mercredi 14 décembre 2011

- Présidence de MM. Simon Sutour et Daniel Raoul, présidents -

Institutions européennes

Audition de M. Jean Leonetti,
ministre chargé des affaires européennes

Les commissions de l'économie et des affaires européennes procèdent à l'audition conjointe de M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen du 9 décembre 2011.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Cette audition prend un caractère inhabituel, car le résultat du dernier Conseil européen est bien difficile à interpréter, en particulier pour ce qui concerne la zone euro. Il ne s'agit pas seulement ici de confronter nos positions, mais aussi d'obtenir des éclaircissements. Un accord à vingt-six serait intervenu pour une surveillance budgétaire renforcée, mais qui engage les institutions des Vingt-sept : comment résoudre cette quadrature ? En matière de surveillance budgétaire, on a le sentiment que les mesures s'additionnent à rythme accéléré. Après le « six pack » d'octobre, puis la proposition de la Commission de novembre, voici aujourd'hui, le traité à vingt-six. Si, comme on l'entend souvent répéter, les marchés financiers ont besoin de messages clairs, je ne suis pas sûr que cet empilement soit de nature à les apaiser.

L'assainissement de nos finances publiques demandera du temps. On comprend que dans l'intervalle, nous ayons besoin d'un « pare-feu » pour faire face aux difficultés de certains États membres. Mais pourquoi le Conseil a-t-il finalement décidé que le Fonds européen de stabilité financière, le FESF et le mécanisme européen de stabilité, le MES, qui devaient se succéder, coexisteront ? A quoi s'ajoute encore l'intervention du FMI via des prêts européens. Comment ces mécanismes s'ajusteront-ils ensemble ? Et pourquoi exclure désormais la participation du secteur privé qui avait été retenue pour le sauvetage de la Grèce ?

Autant de points sur lesquels nous avons grand besoin de vos lumières.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. - Lors de notre précédente rencontre, je vous avais interrogé sur les politiques énergétique et industrielle européennes. J'ai bien conscience que le problème financier occupe aujourd'hui tout l'espace, mais n'oublions pas que l'esprit européen est né avec la CECA, la communauté européenne du charbon et de l'acier. Que n'a-t-on poursuivi dans cette voie ! Nous aurions gagné plus de coordination. Aujourd'hui, on attend toujours la convergence des politiques énergétiques - y compris allemande... - alors que l'échec de Durban nous conduit tout droit vers un Copenhague bis. Une simple coordination européenne serait déjà un progrès. Or, nous n'avons guère avancé, sur cette question aussi importante pour la survie de la planète que celle de l'alimentaire.

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. - J'ai plaisir à vous retrouver pour débattre avec vous de ce nouvel accord, d'abord négocié à dix-sept, puis à « dix-sept plus » et finalement conclu à « vingt-sept moins un », ce qui témoigne déjà du succès de l'initiative franco-allemande. Cela nous amène à réfléchir à de nouvelles étapes.

« L'Europe se fera dans la crise et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », disait déjà Jean Monnet. En ce sens, 2011 aura été une année féconde pour le projet européen. Les mesures déjà prises avaient leurs forces et leurs faiblesses. Le sommet du 9 décembre a introduit la voie nouvelle du traité. Pourquoi ? S'il devait n'être qu'une seule raison, c'est que le MES, qui se substituera à terme au FESF, qui n'a ni les mêmes compétences ni la même pérennité, demande une modification des traités.

Une polémique - qui n'est pas le fait de la Haute Assemblée - a été soulevée sur le rôle du couple franco-allemand, affublé du sobriquet de « Merkozy ». Mais si vingt-six États ont adopté la proposition de la lettre franco-allemande, c'est bien qu'elle allait dans le sens de l'intérêt général ! Le couple franco-allemand a toujours joué un rôle moteur, et beaucoup y adhèrent.

L'attitude de la Grande-Bretagne a suscité une autre polémique, provoquant jubilation chez les uns, consternation chez les autres. Mais c'est sa décision ! Elle a l'avantage d'entraîner une clarification. Car il y a deux visions de l'Europe. D'un côté, celle d'une Europe peu intégrée, relayée par M. Cameron, qui déclarait récemment dans le Times qu'il voulait « moins d'Europe », pas plus qu'il ne veut de taxe sur les transactions financières, dont l'idée a fait son chemin, ni de régulation qui s'appliquerait à la City ; de l'autre, la vision que défend, avec bien d'autres, la France, qui tend vers une Europe plus intégrée. C'est cette dernière qui a prévalu et c'est tant mieux. Cela ne signifie pas que la Grande-Bretagne quitte l'Union. Nous n'y avons, au reste, nul intérêt : elle est un partenaire majeur dans bien des domaines, parmi lesquels la défense.

L'accord du 9 décembre fixe quatre lignes de force. Une gouvernance économique renforcée, tout d'abord. Certains regrettent que l'intergouvernemental, renforcé par la fréquence des réunions, ait pris le pas sur la Commission européenne. J'objecte que cela répond à une logique de l'urgence, mais aussi à une exigence démocratique. Qu'un président élu au suffrage universel s'engage au nom de la France a plus de poids qu'une simple décision de la Commission européenne. Il faut, face à cette crise, de la réactivité, du sang-froid face aux attaques spéculatives - sans perdre de vue le sillon à creuser.

Deuxième ligne de force : aller vers plus de convergence. A mon homologue irlandaise, je disais hier que l'initiative franco-allemande n'altère en rien la souveraineté des États. La convergence est acceptation d'une règle commune, pas une perte de liberté ni de souveraineté. Le pacte pour l'euro plus signifie une gouvernance économique, des rencontres plus fréquentes et une convergence économique et financière, en particulier entre la France et l'Allemagne.

La question de la discipline, troisième axe de l'accord, fait débat. Pourquoi, arguent certains, une règle d'or européenne alors que certains pays en sont déjà dotés et qu'existe le « six pack » ? Mais la règle de discipline budgétaire qu'introduira le traité obligera tous les pays à une transposition nationale. Etant bien entendu que la Cour de justice de l'Union européenne n'aura faculté de s'exprimer que sur ce point, et ne pourra en aucun cas entreprendre de vérifier les budgets nationaux. Les dispositifs antérieurs, sous quelque forme qu'ils aient été adoptés, ont tous été violés. Le traité assure l'inviolabilité. Les règles de discipline seront soumises à sanctions, dont l'automaticité sera cependant atténuée par la majorité qualifiée inversée. Qu'il soit bien clair, enfin, que la règle porte sur les déficits structurels et eux seuls. On n'ira pas sanctionner la Finlande pour le déficit conjoncturel qui pourrait survenir si se détérioraient un jour ses relations avec la Russie en matière d'énergie.

Outre que le mécanisme européen de stabilité sera effectif dès juillet 2012, au lieu de 2013, son fonctionnement est assoupli : il portera plus vite ses fruits. Le FMI se verra attribuer 200 milliards supplémentaires pour faire face à la crise : il s'agit, en passant par lui, d'éviter des procédures plus complexes...

Pourquoi le FESF perdure-t-il ? Parce que cet organisme, hors traité, et qui fonctionne selon un système de garanties, a des engagements. Le MES, qui devra être prévu dans le traité, ne fonctionnera pas par garanties, mais sera doté de 80 milliards et pourra lever des fonds supplémentaires, au bénéfice d'un mécanisme de solidarité, dont la BCE sera, non pas le pivot comme je l'ai entendu dire, mais l'agent d'intervention.

La solidarité, enfin, ligne de force. La France et l'Allemagne ont exprimé des points de vue différents sur le rôle de la BCE. Reste que la BCE, aux termes du Traité, est indépendante : il n'est pas plus légitime de la rappeler à l'orthodoxie que de l'inviter à élargir son rôle. Tenons-nous en aux traités. Ce que l'on constate, c'est que la BCE agit, en coordination avec les banques mondiales, en baissant son taux directeur, en achetant sur le marché secondaire, directement ou indirectement, de la dette souveraine des États en difficulté.

Avec 500 milliards auxquels s'ajoutent les 200 milliards du FMI et l'effet de levier du MES, associés à une stabilité budgétaire contrôlée par les juridictions nationales, nous avons là un mécanisme sûr ; et les difficultés iront décroissant en raison de la nouvelle discipline budgétaire.

Le Conseil a abordé la question de l'approfondissement du marché unique, élément majeur de la croissance ; l'emploi est également inscrit dans l'agenda, avec priorité aux mesures ciblées, vers les jeunes et les plus fragiles, notamment. Tout cela en faveur d'une politique industrielle et commerciale ambitieuse.

L'échec de Durban aura du moins eu une vertu, celle de montrer que les pays européens sont responsables de 11 à 12 % seulement des émissions de gaz à effet de serre ; et si l'on y ajoute ceux qui sont prêts à les rejoindre dans leur volonté de contrôle des émissions, on ne dépasse pas les 16 %. Autrement dit, si l'on n'accroche pas les grands pays émergents, dont la Chine ainsi que les États-Unis, on ne contrôlera pas grand-chose. Mais Durban nous évite de tomber, avec la fin de Kyoto, dans un vide juridique. Nous entrons, à compter du 1er janvier 2013, dans une période intermédiaire : le processus est lancé pour rechercher un accord juridique plus contraignant à l'horizon 2015.

Un mot sur l'élargissement, enfin. Si le calendrier pour la Serbie et le Monténégro a été légèrement décalé, la France a maintenu sa position constante : les Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l'Union.

L'accord du 9 décembre est un bon accord. Lui opposer qu'un traité à vingt-six ne saurait engager les institutions des Vingt-sept ne tient pas. Il existe des précédents. Et dans la stricte orthodoxie de Lisbonne, les États qui le souhaitent ont le droit d'aller plus loin, dans le respect du traité fondamental à Vingt-sept. C'est ce que l'on fait, ici, pour la discipline budgétaire et les mécanismes de solidarité.

M. Simon Sutour, président. - En marge du Conseil a été signé le traité d'adhésion de la Croatie. Cela vaut de le signaler. Je rappelle que notre assemblée avait voté à l'unanimité une proposition de résolution en faveur de cette adhésion. Il serait souhaitable que le gouvernement dépose sans délai, dès après le référendum croate, un projet de loi de ratification : vous savez combien notre calendrier est cette année serré.

M. Yannick Vaugrenard. - Le sommet de Durban aura été doublement négatif : il a échoué, et le prochain sommet se tiendra au Qatar...

La question se pose de la perte de notre triple A. Comment envisagez-vous les lendemains ?

De sommet en sommet, on s'emploie à apaiser les inquiétudes des marchés, sans apporter de réponses de fond. Il faudra bien à un moment poser les valises, et réactiver cette Europe que vous évoquiez, celle qui se construit dans les crises. Vous citiez Jean Monnet, je citerai Edgar Morin : « à force d'oublier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ». Or l'essentiel est bien dans la question des peuples. Que fait-on pour ceux qui souffrent de la crise ? Les dirigeants ne s'adressent qu'aux marchés, mais pas aux États, ni aux Européens. On a oublié l'Europe des peuples et des citoyens. A l'oublier toujours, on court le risque d'une crise majeure de la démocratie européenne, qui sera plus difficile à résoudre que la crise financière...

Nous avons l'impérieuse nécessité de soutenir la croissance européenne. Car comment rembourser sans croissance une dette qui ne cesse, pour certains, et peut-être bientôt pour tous, de s'enfler de l'augmentation des taux exigés du marché ? Le prochain sommet abordera-t-il enfin cette question, qui est celle de la solidarité entre les États et, au sein des États, entre les peuples ?

M. Jean Bizet. - Il est vrai que l'attitude de la Grande Bretagne qui, depuis toujours, joue de l'ambiguïté et de l'incohérence, clarifie les choses. Y aura-t-il, cependant, des conséquences sur les négociations du cadre budgétaire 2014-2020 et sur la PAC ?

Pour la BCE, il faut à mon sens envisager dorénavant son architecture et son fonctionnement au travers du traité de Lisbonne plutôt que de Maastricht. C'est une institution qui doit faire preuve d'une « coopération loyale » avec les autres institutions. Oui, la BCE achète de la dette souveraine, M. Christian Noyer l'a reconnu, mais n'est-il pas temps de dire clairement ce qu'elle est ? Elle est indépendante, ce qui ne lui interdit rien, comme vous l'avez rappelé, et elle doit coopérer avec les autres institutions, en tout cas ne pas entrer en contradiction avec elles. Voilà qui n'est pas si différent, ainsi exprimé, du rôle que jouent en pratique la Fed ou la Banque d'Angleterre : j'observe que les États-Unis, malgré leur dette considérable, ne sont pas attaqués, comme l'Union européenne, par les marchés. Ne serait-il pas bon de communiquer sur l'action de la BCE pour calmer les marchés ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Un rapport de notre commission de l'économie témoigne des inquiétudes que suscite le « paquet Almunia », relatif aux services d'intérêt économique général (SIEG), qui étend les pouvoirs de la Commission européenne sur les États membres. Une directive-cadre serait préférable. Quelle est la position du gouvernement ?

Quels effets auront sur les collectivités territoriales les discussions européennes sur la mise en oeuvre de Bâle III ? Je pense, en particulier, à la question des prêts de long terme...

Vous n'avez rien dit du Parlement européen. Le traité de Lisbonne autorise les coopérations renforcées, sous réserve qu'elles restent adossées aux structures communautaires. On ne saurait contourner le Parlement européen par un traité intergouvernemental. Comment sera-t-il consulté ? Quelles sont, pour la France, les intentions du Gouvernement sur la consultation du Parlement, ou du peuple ?

La relance de la croissance ? Mais rien, dans cet accord, ne la favorise, c'est même l'inverse. Le Gouvernement entend-il peser sur l'Allemagne, pour que cet axe soit mis au coeur de la volonté politique européenne ? Se pose alors la question de la taxe sur les mouvements de capitaux, celle, aussi, des politiques industrielles, moins consensuelle. Or, la seule chose sur laquelle vous semblez compter pour relancer la croissance, c'est le marché unique. Et cela ne date pas d'hier, mais de 1992, avec l'Acte unique, depuis quoi les pays de l'Union connaissent les taux de progression du PIB les plus bas de leur histoire.

L'évolution du statut et de l'action de la BCE ? On n'évitera pas, vu l'endettement, que la BCE rachète la dette et la monétarise. On n'a pas vu d'autre solution dans l'Histoire, sauf la guerre... L'indépendance ? Le chancelier Kohl, au temps de la réunification, n'a-t-il pas imposé à la Bundesbank fort réticente, la parité de l'ostmark et du mark? N'est-ce pas là un argument que l'Allemagne peut entendre ?... Et puis, la France souffre d'une dissymétrie dans le rapport de force. En Allemagne, quand le gouvernement est embarrassé par les exigences de ses partenaires, il se réfère à l'arrêt de la Cour de Karlsruhe qui lui interdit de s'engager sans l'accord du Bundestag. Ce n'est pas le cas en France. Il ne serait pas mal avisé de demander à l'Allemagne de supprimer cette disposition de sa loi fondamentale, ou d'en intégrer une semblable dans notre Constitution.

M. Ronan Dantec. - A Durban, l'Europe a tout de même repris le leadership qu'elle avait perdu à Copenhague. Elle a su, en dépit de sa fragilité actuelle, faire éclater le « G77 » qui menait la danse. L'heure n'est pas à se demander si le verre est à moitié vide ou à moitié plein, mais à trouver le moyen de mettre en marche au plus vite un accord contraignant. La France s'engagera-t-elle, avec la présidence danoise, dans une dynamique européenne post Durban ? Car le scénario business as usual nous amène à une situation où la tonne de CO2 ne vaut plus rien. Il faut en relever le prix. Si les Canadiens se sont retirés du marché carbone, nous avons réussi à le sauver au moins pour l'Europe : la France viendra-t-elle en soutien des positions danoises, pour relever les objectifs de l'Union européenne ? Ne doit-on pas à nouveau alimenter le fonds vert par le marché des droits à polluer ? La taxe sur les transactions financières est plus que jamais d'actualité. Ne serait-ce pas aussi une recette qui pourrait alimenter la dynamique climat ? Ce serait l'occasion pour la France de racheter ses ambiguïtés du passé, quand certains plaidaient pour un taux de 30 au lieu de 20...

M. Alain Richard. - J'aimerais vous entendre éclairer, monsieur le ministre, la cinquième disposition de l'accord du 9 décembre, sur l'application des règles relatives aux déficits excessifs. Vous avez parlé d'un traité « intergouvernemental ». De quoi s'agit-il, en droit ? Où voyez-vous que le traité de l'Union européenne prévoie une telle chose ? Il précise bien quelles décisions sont du domaine du Conseil, comment peut être modifié le traité, mais il ne dit rien de cette nouvelle catégorie de traité... De même notre droit interne ne connaît que des traités, donnant lieu à ratification, et des accords administratifs.

Se pose, du même coup, la question de la sanction. Quelle base légale pour l'imposer aux États en défaut ? Cela n'est donc pas possible sans modification du « vrai » traité. Nous sommes là dans un entre-deux dont je vois mal qu'il devienne aisément effectif.

Un mot sur le point 6 de cet accord, enfin, qui évoque un « accueil favorable » à la coordination des politiques fiscales. Le Gouvernement entend-il poursuivre jusqu'à conclusion d'un engagement collectif d'une partie des États de l'Union, par exemple dans une coopération renforcée, pour une coordination effective des politiques fiscales ? Ce qui suppose la mise au point de normes conjointes sur l'assiette des impôts et un accord sur des fourchettes de taux, sinon, que signifierait le terme de coordination des politiques fiscales ?

M. Jean Leonetti, ministre. - Je vous remercie de la pertinence de vos questions. La phrase d'Edgar Morin que vous avez citée, monsieur Vaugrenard, figure en bonne place au mur de mon bureau : je ne saurais l'oublier, pas plus que l'essentiel ne doit faire oublier l'urgence.

Notre triple A peut perdurer. Au reste, la menace qui pèse sur la France s'est élargie à l'ensemble de la zone euro. Ce n'est pas une consolation, mais une injonction à travailler ensemble. Personne ne peut s'en sortir seul. Je n'ai de cesse de contester l'objectivité et la transparence des agences de notation, mais ce sera du moins leur seul mérite que d'avoir mis cette évidence en lumière. Si, maintenant, son triple A est entamé, la France n'en fera pas un deuil prolongé, d'autant que l'altération serait globale et que des mécanismes de discipline et de solidarité propres à soutenir la croissance, l'emploi et la compétitivité ont été trouvés.

L'Europe des peuples, dites-vous ? Mais quand la maison brûle, il faut commencer par actionner la pompe à incendie, avant de songer à réaménager l'intérieur. Oui, l'Europe se construit dans les crises, et celles-ci lui donnent la force de projeter une nouvelle Union européenne dans un nouveau monde. Est-il normal que le budget européen soit fait d'une contribution des États qui en attendent, de ce fait, un retour ? Pour une Europe plus vigoureuse et plus démocratique, il faut des ressources propres à son budget, taxe sur les transactions financières ou taxe carbone. Il est frustrant pour les parlements nationaux d'être condamnés à voter un prélèvement sans en connaître l'affectation, et pour le Parlement européen de discuter du contenu du budget européen, mais non des recettes.

La question des ressources propres pose, indirectement, celle de la réciprocité. L'Europe s'impose des normes sociales et environnementales : elle est en droit d'exiger que les produits qui passent ses frontières y répondent. Comment sont-ils fabriqués, par des êtres de quel âge, quelle est leur toxicité, leur durabilité ? Voilà une frontière qui n'est pas un mur pour se protéger, mais un appel à la concurrence loyale, et un message de réciprocité : nous croyons à la valeur des normes que nous nous imposons à nous-mêmes.

Oui, la croissance est l'objectif premier. Mais les États n'ont plus comme en 2008 les moyens d'une politique de relance. Alors qu'ils doivent s'imposer la discipline, c'est au budget européen de prendre le relais, pour libérer l'innovation, pousser le brevet européen, qui doit donner à l'Europe les moyens de la compétitivité. Une politique industrielle forte doit être développée, autour de l'énergie verte, du numérique, pour offrir à l'Europe en ces domaines une place de leader dans la compétition mondiale. Les projets comme ITER, voté par le Parlement européen à une large majorité, GEMS - qui inclut Galileo - doivent être accélérés, via une réorientation du budget européen, au service d'une seule obsession : la croissance européenne, qui doit venir à l'appui des politiques budgétaires nationales, pour faire de notre continent une zone de développement équilibré et d'innovation.

Le retrait de la Grande-Bretagne, monsieur Bizet, aura-t-il des effets sur la PAC, dont on sait que les Britanniques ne sont pas les plus ardents défenseurs ? Non, car les Perspectives financières 2014-2020 demeurent, qui intègrent une stabilisation de la PAC.

La BCE n'est pas comparable à la Fed, même s'il est vrai que le traité de l'Union européenne prévoit sa « coopération loyale ». Je ne suis pas sûr que déclarer ce qu'elle est en pratique, dans une logique nominaliste, changerait la donne. Reste que l'on n'a pas trouvé la BCE en défaut. Si elle devenait prêteur de dernier recours, je ne suis pas sûr que cela calmerait les marchés : les disparités économiques ont plus de poids que l'action de la BCE. L'accord du 9 décembre, cependant, délivre un message positif.

J'ai dit à M. Almunia, madame Lienemann, nos inquiétudes au sujet des services économiques d'intérêt général et la question a été évoquée au Conseil Compétitivité, sur demande de la France et de cinq autres États membres. Notre objectif est, sans entraver la compétitivité en Europe, de ne pas entamer le service public à la française. Le critère des 10 000 habitants doit être supprimé. J'ai demandé pourquoi le montant de 30 millions d'euros passait brusquement à 15, sans argument. J'ai relayé les inquiétudes de l'AMF. Le commissaire m'a répondu qu'il essaierait de répondre, notamment sur les effets de seuil. Oui, l'interprétation de la subsidiarité est abusive et le flou demeure sur la question de l'« efficience » des services publics. M. Juppé a adressé une note pour appuyer, à haut niveau, les demandes de la France. Hélas, il s'agit d'une décision de la Commission seule... Comme quoi l'intergouvernemental n'a pas que du mauvais : il s'appuie sur une légitimité populaire, et la recherche du consensus prévaut...

Bâle III ne doit pas altérer les liquidités des collectivités territoriales, qui ont du mal à s'alimenter. C'est pourquoi le ratio ne sera pas contraignant dans un premier temps. Nous travaillons à d'autres assouplissements. Et je rappelle que le Gouvernement a débloqué une enveloppe de 5 milliards pour les besoins immédiats des collectivités.

Si je n'ai pas évoqué le Parlement européen, c'est que je rendais compte d'un sommet, qui n'est pas dans le domaine parlementaire. Cependant, pour moi, il faut réfléchir au rôle, non seulement du Parlement européen, mais des parlements nationaux, qui doivent être mieux associés.

M. Simon Sutour, président. - J'ai interrogé le président du Sénat, qui m'a indiqué qu'il saisirait en ce sens le Premier ministre : on ne peut avancer sur la question de la zone euro sans associer les parlements nationaux.

M. Jean Leonetti, ministre. - Les parlements nationaux sont étroitement associés aux traités, puisqu'ils les votent.

M. Simon Sutour, président. - Au-delà des traités, il existe de nombreuses décisions auxquelles les parlements doivent être mieux associés.

M. Jean Leonetti, ministre. - Monsieur Dantec, dès que le nouveau gouvernement a été constitué au Danemark, je me suis rendu sur place pour savoir quelles seraient les orientations de la prochaine présidence de l'Union. Outre la préparation des Perspectives 2014-2020, il y a la protection de l'environnement et la France soutiendra le Danemark dans cette entreprise. Montrons que l'Union européenne est à la pointe du développement durable. A terme, des mesures contraignantes à nos frontières seraient bienvenues pour persuader les États tiers de la nécessité d'un développement économique harmonieux. La taxe sur les transactions financières a déjà été affectée à la mise en oeuvre des directives climat, au développement, au fonctionnement de l'Union européenne et à plusieurs autres objets. Le président de la République l'a dit, cette taxe est une obligation politique, morale et économique. Mais n'entrons pas dans ce travers bien français : nous ne pourrons la consacrer... à tout !

M. Alain Richard a soulevé les problèmes les plus complexes : la règle sur les déficits excessifs est devenue obligatoire ; mais souplesse nouvelle, la sanction est prononcée à la majorité qualifiée renversée. Quelle forme prendra-t-elle, retour financier, suspension des financements, et quelles modalités, procédure directe ou alerte préalable ? Nos services y travaillent.

M. Alain Richard. - Mais où est l'obligation ? Cet accord n'est pas un traité !

M. Jean Leonetti, ministre. - Ce sera un traité, notamment pour cette raison. Il peut être signé à moins de vingt-sept États, dés lors qu'il n'altère pas les compétences exercées à vingt-sept qui figurent dans le traité de Lisbonne.

M. Simon Sutour. - C'est une information importante.

M. Jean Leonetti, ministre. - C'est plutôt une interprétation.

M. Alain Richard. - C'est la seule bonne réponse si l'on veut que la mesure s'applique.

M. Jean Leonetti, ministre. - C'est l'éventualité la plus probable parce que la plus sûre juridiquement.

M. Alain Richard. - Et pour cause, puisqu'aucune autre ne pourrait fonctionner.

M. Jean Leonetti, ministre. - Le système Schengen, avant d'être communautarisé, était un traité international.

M. Alain Richard. - Pourquoi n'avoir pas choisi la coopération renforcée ?

M. Jean Leonetti, ministre. - La coopération renforcée a l'avantage d'exister et de ne pas exiger de traité. Mais elle n'a pas la même force contraignante qu'un traité. Et puis le MES, de toute façon, nous impose un traité... Restera un problème : comment fonctionner à vingt-quatre ou vingt-six dans le cadre d'institutions à vingt-sept ? Les juristes y réfléchissent.

M. Alain Richard. - Cela fait un moment déjà...

M. Jean Leonetti, ministre. - Toutes les politiques fiscales doivent-elles être impérativement coordonnées ? Je ne le crois pas, mais l'harmonisation de l'assiette et de la fourchette des taux est souhaitable. Concernant l'impôt sur les sociétés, la France et l'Allemagne travaillent sur ces deux aspects.

M. Richard Yung. - Les Anglais rejettent les mesures préparées par le commissaire européen Michel Barnier, qui portaient sur les fonds propres, la transparence, la supervision ou les ventes à découvert. Quelle efficacité auront ces nouvelles règles si Londres ne les applique pas ?

La confédération européenne des syndicats, qui réunit toutes les grandes centrales, a protesté cette semaine contre des politiques élaborées sans les salariés - mais qui ne peuvent réussir sans eux. On parle beaucoup aux agences de notation, bien peu aux syndicats. Quand cela changera-t-il ?

Le nouvel accord ne me paraît pas être un véritable traité, mais un traité sui generis, qui utiliserait les institutions de l'Union européenne en contournant l'opposition de la Grande-Bretagne : sur Schengen, notre partenaire avait observé une neutralité bienveillante, mais ici ce n'est pas le cas ! Les juristes du Conseil européen, de la Commission européenne s'arrachent les cheveux et en perdent leur latin. D'autant que la ratification n'est pas assurée partout.

Enfin, pourquoi passer par les « gnomes de Washington », le FMI au lieu d'utiliser les 200 milliards d'euros dans le cadre du FESF ou du MES ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Quels obstacles techniques, juridiques et politiques s'opposent à l'élaboration d'une règle d'or à l'échelle européenne ?

Les États membres sont très endettés, l'Union européenne ne l'est pas du tout. C'est donc à ce niveau qu'une relance est possible. Pourquoi ne pas remonter les dépenses correspondantes à l'échelon européen, afin de restaurer la croissance et donner à chaque État une marge pour réduire son endettement ?

Un budget européen alimenté par 1 % du RNB de chaque État membre, ce n'est plus crédible. Il faut le porter au-dessus de 1 % et accroître la part des ressources propres, aujourd'hui bien insuffisantes - 14 % du total - pour que l'on puisse parler d'intégration européenne.

Deux conceptions de l'Europe opposent le Royaume-Uni et les autres Etats membres, mais parmi ces derniers, il y a les tenants d'une construction intergouvernementale et ceux qui estiment que le mode fédéral apportera plus de sécurité et une construction plus solide. L'accord qui vient d'être signé doit encore recueillir la ratification de 40 assemblées parlementaires : l'accord du 21 juillet 2011, quand il a achevé ce parcours, était déjà obsolète, il a été remplacé par l'accord du 26 octobre... A plus long terme, nous devrons bien faire ce saut fédéral que certains condamnent trop définitivement.

M. Yann Gaillard. - Je me rendrai sans doute en Serbie et au Monténégro avec la commission des affaires européennes. Que pouvons-nous leur dire : le gouvernement français voit-il avec bienveillance ou méfiance les possibles élargissements ? Question sentimentale, mais qui me tient à coeur.

M. Jean Leonetti, ministre. - Je me suis rendu en Serbie. La France appuie cette candidature. En face de l'ambassade de France à Belgrade, dans un jardin public, un monument commémoratif de la guerre de 1914-1918 porte cette inscription, en serbe et en français : « souviens-toi de l'amitié de la France et aime la France comme elle t'a aimé ». L'attache entre nos peuples, vous avez raison de le souligner, est sentimentale. Aidons ce pays francophile ! Et stabilisons la situation dans les Balkans occidentaux, apportons-leur la paix. Car il ne faut pas oublier le conflit qui persiste au Nord-Kosovo. Et si le gouvernement serbe actuel est pro-européen, l'opposition est nationaliste. Des signaux positifs nous ont été adressés : coopération totale avec le tribunal pénal international, levée des barricades au Nord-Kosovo, reprise du dialogue avec Pristina... Le Conseil européen a reporté de trois mois son avis sur la candidature serbe, après les incidents aux frontières entre les Serbes et les troupes allemandes et autrichiennes de la KFOR. Mais la France continue de soutenir la candidature et d'accompagner les efforts de dialogue avec le Kosovo. C'est justice pour ce grand pays, qui abrite un grand peuple. La guerre n'est plus possible dans les Balkans, parce qu'ils sont dans l'Europe, voilà ce que nous leur disons en acceptant leurs candidatures.

La Croatie entre dans l'Union européenne après un long parcours - sept ans pour obtenir la candidature, sept autres pour l'adhésion. Les Balkans occidentaux dans leur ensemble ont vocation à entrer dans l'Union européenne, à la différence des pays du Partenariat oriental. S'agissant du Monténégro, je dirai que des lois importantes ont été votées, mais qu'il reste à faire respecter l'Etat de droit et à lutter contre la corruption. Le pays a déjà le statut de candidat, mais les négociations d'adhésion ont été reportées.

Vukovar, à la limite entre la Croatie et la Serbie, fut pilonné par les forces serbes, qui vidèrent l'hôpital, massacrèrent tous les hommes, les malades, les femmes enceintes, pour accomplir l'épuration ethnique. Le pays a subi vingt ans de répressions inimaginables. Aujourd'hui, nous devons aider les ennemis d'hier à fraterniser à nouveau : tâche d'autant plus lourde que les voisins qui s'entretuaient avaient cohabité paisiblement durant des années. A présent, nous leur apportons des perspectives européennes stables, des perspectives de paix. Et un message : plus de guerre possible avec l'entrée dans l'Europe.

Quand franchit-on, monsieur Bernard-Reymond, le pas fédéral, quand est-on encore sous un autre régime ? En adoptant la gouvernance économique proposée par la France, les États membres ont-ils perdu leur souveraineté ? Ils ont mis en commun solidarité et discipline, souveraineté également, mais c'est une façon de renforcer la liberté et de se rendre plus forts pour affronter la crise.

Si l'Union européenne n'est pas endettée, c'est qu'elle n'a pas le droit de l'être, n'y voyons ni vertu ni victoire. En revanche, si les ressources propres s'accroissaient, les budgets nationaux seraient moins sollicités.

Londres, monsieur Yung, demandait une dérogation aux nouvelles règles. Il était bien sûr inacceptable de réguler partout sauf à la City. Le retrait anglais ne nous empêchera pas de mettre en place la taxe sur les transactions financières. Les propositions Barnier sur le marché intérieur, la régulation financière et les agences de notation, pour être adoptées, doivent recueillir une majorité qualifiée ; les Britanniques ne disposent donc pas d'un droit de veto.

Des difficultés de ratification du futur traité, certainement ! A la fin, nous ne serons peut-être plus vingt-six. Ce ne sera pas un drame. Mieux vaudrait certes que les dix-sept de la zone euro ratifient : je crois que ce sera le cas.

Ce ne sont pas les États membres directement, mais les banques centrales nationales, qui alimenteront le FMI. Le mécanisme n'a rien à voir avec le MES ni le FESF.

Dans les Perspectives financières 2014-2020 ne figureraient pas les grands projets européens GMES et ITER, fleurons les plus brillants de la compétitivité européenne. Ils seraient placés en dehors. La France n'est pas d'accord. La sincérité du budget européen en serait affectée.

On a peu souligné, dans les divers commentaires de l'accord intervenu, la suppression du « private sector involvement » ou PSI qui avait été utilisé pour la Grèce. Les fonds privés avaient alors été requis en raison de l'urgence et de la catastrophe. Or la restructuration de la dette grecque, tout en diminuant la dette des banques, a altéré la confiance des marchés financiers à l'égard de ce type de procédures. Nous n'aurions pu y recourir à nouveau...

Voilà les réflexions et réponses que je voulais vous faire.

M. Simon Sutour, président. - Nous vous remercions pour les nombreuses précisions que vous nous avez apportées.

Jeudi 15 décembre 2011

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Questions diverses

M. Simon Sutour, président. - Je vous rappelle que, lors de notre dernière réunion, nous avions examiné le projet d'accord relatif aux données des passagers aériens (dits accords PNR) avec les États-Unis en en regrettant unanimement les insuffisances. Cette position nous a conduits à adopter une proposition de résolution sur le contenu de l'accord qui a été transmise à la commission des lois.

Parallèlement, j'ai été saisi d'une demande en urgence portant sur la signature de ce texte lors de la prochaine réunion du Conseil et j'ai, par cohérence avec le résultat de nos travaux, été amené à opposer un refus. Il ne s'agit pas d'une mauvaise manière faite au Gouvernement dans un esprit partisan, mon prédécesseur Hubert Haenel ayant adopté la même attitude, sur le même sujet, alors que la majorité du Sénat et la majorité gouvernementale étaient identiques.

Je précise que les demandes en urgence sont courantes et portent la plupart du temps sur des textes mineurs, ce qui m'a, jusqu'à présent, toujours conduit à donner mon accord, bien que je n'apprécie pas particulièrement cette procédure par laquelle il me revient de me prononcer au nom de la commission. Mais, en l'occurrence, mon refus découle non seulement des réserves exprimées unanimement par la commission mais aussi de l'importance du texte en cause.

La conséquence en est que, pour le Gouvernement français, ce texte continue de faire l'objet d'une réserve d'examen parlementaire. Lors de la réunion du Conseil, le ministre doit en faire état et demander le report du vote, mais sans l'assurance de l'obtenir de la part de ses homologues. En l'occurrence, il est même probable qu'il n'obtienne pas ce report.

En revanche, nous aurons pu, dès cette première étape, exprimer clairement nos réserves quant à la signature de cet accord. Cela constitue un message à l'intention du Parlement européen qui examinera à son tour l'accord PNR début 2012.

Par ailleurs, nous avons été saisis des projets de textes E 6917 et E 6918, enregistrés à la Présidence du Sénat le 9 décembre 2011 et devant être discutés par le Conseil le 19 décembre prochain, sur lesquels le Gouvernement nous demande de nous prononcer en urgence.

Ces projets visent à exonérer de droits de douanes des produits de base pour lesquels il n'existe pas de production au sein de l'Union européenne ou pour lesquels la production communautaire est insuffisante afin de favoriser l'industrie européenne de transformation. Les montants en jeu sont importants puisque ces mesures permettent aux entreprises concernées d'économiser chaque année près de 2 milliards d'euros de droits.

Il est prévu que les suspensions de droits et les contingents autonomes envisagés par ces textes entrent en vigueur au 1er janvier de chaque année pour permettre, à compter de cette date, aux opérateurs de dédouaner leurs marchandises en exemption de droits de douane ; faute de quoi ils devront les acquitter et déposer ensuite des dossiers de remboursement. C'est pourquoi il est souhaitable que la décision soit prise avant la fin de l'année.

Ces textes qui reviennent chaque année faisant traditionnellement l'objet d'un consensus, je vous propose de lever dès aujourd'hui la réserve du Sénat sur les textes E 6917 et E 6918.

M. André Gattolin. - Ceci vient-il diminuer les ressources propres du budget européen ?

M. Simon Sutour, président. - Oui, tout à fait.

M. André Gattolin. - C'est dommage.

M. Alain Richard. - Les droits de douanes ne constituent de toute façon pas une ressource d'avenir.

M. Jean Bizet. - Et cela représente une part de plus en plus faible du budget.

La commission a décidé de lever les réserves sur ces deux textes.

Justice et affaires intérieures

Accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (texte E 6330)
Proposition de résolution européenne de M. Jean-René Lecerf

M. Jean-René Lecerf. - La proposition de directive (texte E 6330), qui tend à harmoniser les règles applicables au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après une arrestation, pourrait avoir des effets importants sur notre droit interne, tel qu'il résulte notamment de la loi du 14 avril 2011 par laquelle nous avons, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, récemment modifié notre procédure de garde à vue. Or, en l'état, la proposition de la Commission européenne pourrait nous conduire à réviser ces dispositions législatives.

Cette proposition de directive participe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union. Ce principe suppose une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs et en particulier leur procédure pénale.

C'est à cette fin que, suite au Livre vert publié en février 2003, la Commission européenne avait présenté en 2004 une proposition de décision-cadre visant à définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales.

Outre le droit de bénéficier gratuitement des services d'interprétation et de traduction, ce texte prévoyait le droit à l'assistance d'un avocat, celui d'être informé de ses droits, le droit à une attention particulière pour les personnes mises en cause vulnérables ainsi que celui de communiquer avec les autorités consulaires et avec sa famille.

Mais les négociations sur ce texte ayant échoué, la Commission européenne a retenu une approche plus graduelle formalisée dans une « feuille de route » adoptée par le Conseil en novembre 2009 et annexée au programme de Stockholm approuvé par le Conseil européen en décembre 2010.

Il convient en outre de préciser que cette politique d'ensemble s'inscrit désormais dans le cadre du traité de Lisbonne aux termes duquel l'Union européenne peut établir des règles minimales en matière de procédure pénale, par voie de directives selon la procédure législative ordinaire, dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle.

La première application de la feuille de route a été l'adoption de la directive du 20 octobre 2010 sur le droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, suivie d'une proposition de directive relative au droit à être informé sur ses droits et sur les charges retenues, ainsi que le droit d'avoir accès au dossier de l'affaire, toujours en cours de négociation mais semblant faire consensus.

Quant au droit d'accès à un avocat et à celui de communiquer après une arrestation, ils constituent les troisième et quatrième mesures prévues dans le programme de 2009. La Commission européenne se fonde sur les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et sur la Charte des droits fondamentaux, et invoque en outre plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, dont il convient néanmoins de rappeler qu'ils répondent à des cas d'espèce et dont il n'est pas toujours possible d'en déduire l'existence de principes généraux.

Quelles sont les principales dispositions de la proposition de directive ?

La première concerne le principe du droit d'accès à un avocat applicable dès le moment où la directive trouverait elle-même à s'appliquer, c'est-à-dire lorsqu'une personne est informée qu'elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction pénale ou qu'elle est poursuivie à ce titre et jusqu'au terme de la procédure.

La personne soupçonnée ou poursuivie devrait alors avoir, dès que possible, accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant l'exercice des droits de la défense. Cet accès devrait être garanti au plus tard au moment de la privation de liberté et dans les meilleurs délais, au regard des circonstances de chaque affaire, et qu'elle soit privée de liberté ou non, la personne concernée devrait pouvoir bénéficier d'un avocat dès son audition.

L'avocat devrait aussi être autorisé à s'entretenir avec le suspect ou la personne poursuivie pendant un temps suffisant et à intervalle raisonnable pour pouvoir exercer effectivement les droits de la défense et pouvoir assister à tout interrogatoire ou audition. Sauf lorsque le risque d'un retard compromettrait la disponibilité d'éléments de preuves, il devrait pouvoir assister à toute mesure d'enquête ou de collecte de preuves pour laquelle la législation nationale exige ou autorise la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie, et pourrait accéder aux lieux de détention pour y vérifier les conditions de détention.

Indépendamment du droit à un avocat, la proposition reconnaît aux personnes privées de liberté dans le cadre des procédures pénales le droit de communiquer, dès que possible après l'arrestation, avec au moins une personne qu'elles désignent, afin de l'informer de la mise en détention. Les représentants légaux d'enfants privés de liberté devraient aussi être avertis le plus tôt possible de la mise en détention et des raisons qui la motivent, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur des enfants concernés. Lorsqu'il n'est pas possible de communiquer avec la personne désignée par le détenu ni de l'informer, en dépit de toutes les tentatives effectuées à cet effet, la personne détenue devrait être informée du fait que le tiers n'a pu être prévenu.

Quant aux détenus étrangers, ils devraient pouvoir obtenir que les autorités consulaires soient informées de leur mise en détention. Enfin, dans le but de garantir les droits de la défense, toutes les communications entre une personne soupçonnée ou poursuivie et son avocat devraient être totalement confidentielles.

Je précise qu'à l'ensemble de ces principes, le texte ne prévoit que des dérogations très limitées, les États membres ne pouvant déroger, dans des circonstances exceptionnelles, qu'au seul droit d'accès à un avocat, pour autant que la dérogation soit nécessaire et sous réserve de garanties de procédure. Ces dérogations devraient être justifiées par des motifs impérieux tenant à la nécessité urgente d'écarter un danger qui menace la vie ou l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

J'ajoute enfin que le texte prend en compte le mandat d'arrêt européen, puisqu'il étend le droit de bénéficier des services d'un conseil aux personnes arrêtées aux fins de l'exécution d'un tel mandat d'arrêt, dans l'État membre d'exécution. La personne visée par cette procédure pourrait également avoir accès à un avocat dans l'État membre d'émission, afin d'assister l'avocat désigné dans l'État membre d'exécution.

S'agissant de l'appréciation qu'il nous revient de porter sur cette proposition, je pense tout d'abord que nous pourrions approuver la démarche de renforcement des garanties procédurales qui figure expressément dans le programme pluriannuel dit de Stockholm, adopté en 2010. La méthode graduelle retenue par le Conseil en 2009 me paraît très pragmatique car elle permet de mieux identifier les questions et de trouver des points d'équilibre pour chaque aspect de la procédure pénale.

Il me semble aussi que cette démarche doit, selon les termes mêmes du traité, se limiter à l'établissement de règles minimales. Une directive ne peut donc prétendre tout régler et elle doit au contraire laisser une marge d'appréciation aux États membres de façon à ce que puissent être prises en compte les spécificités de chaque système juridique. Or, de ce point de vue, le texte qui nous est soumis me paraît s'inscrire davantage dans la logique d'un système accusatoire que dans celle du système inquisitoire qui est le nôtre.

De plus, j'estime qu'il serait nécessaire de lier le développement du droit d'accès à un avocat à une harmonisation de l'aide juridictionnelle, pour écarter le risque d'une justice inégale selon les moyens de l'intéressé. Forts de ce constat avec mon collègue Jean-Pierre Michel dans un rapport d'information publié récemment, nous avons fait valoir que les progrès du droit à l'assistance d'un avocat justifiait un effort de la collectivité, autrement dit une revalorisation de l'aide juridictionnelle, argument que je suis tenté de reprendre en faisant observer que le Conseil avait expressément lié ce droit d'accès à un avocat à une harmonisation des règles relatives à l'aide juridictionnelle.

Or, force est de constater que la Commission européenne n'a pas respecté la feuille de route sur ce point, puisqu'elle renvoie cette question de l'aide juridictionnelle aux États membres, entre lesquels il existe pourtant de très grandes disparités. Puisque la Commission a ainsi souhaité promouvoir des droits sans se préoccuper des conditions nécessaires pour qu'ils soient effectifs, il nous revient de rappeler qu'il est essentiel d'établir très vite des règles harmonisées pour l'aide juridictionnelle.

Il nous revient aussi de veiller à assurer la conciliation entre le respect des droits de la défense et la recherche des auteurs d'infractions, cette question étant sans doute la plus délicate du sujet qui nous préoccupe. Je précise sur ce point que le conseil des barreaux européens estime que la présence de l'avocat assurerait l'impartialité des procédures et la recevabilité des preuves rassemblées en sa présence et devrait être de mise chaque fois que la question est suffisamment grave pour justifier une privation de liberté ; le conseil national des barreaux français, que j'ai reçu, fait valoir, pour sa part, que le renforcement du rôle et de la présence de l'avocat dans la phase d'enquête de la procédure pénale est une garantie essentielle de l'État de droit, du procès équitable et du respect effectif des droits de la défense.

A l'inverse, dans une note conjointe du 22 septembre 2011, la Belgique, la France, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont exprimé de fortes réserves sur la proposition de la Commission européenne, proposition qui poserait, selon ces pays, des difficultés substantielles dans la mise en oeuvre des enquêtes et des procédures pénales par les États membres, position identique à celle défendue par le Garde des Sceaux le 8 juin dernier devant la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.

Avec Jean-Pierre Michel, nous avons à ce propos souligné que le droit à l'assistance d'un avocat soulevait le risque d'une judiciarisation de la garde à vue susceptible d'entraîner une confusion certaine entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête ; la récente décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011, rendue en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, est venue d'ailleurs opportunément rappeler que le renforcement des droits de la défense n'avait pas pour effet d'imposer une juridictionnalisation de la garde à vue. Elle rappelle que la garde à vue demeure une mesure de police judiciaire qui n'a pas pour objet de permettre un débat contradictoire sur la légalité ou le bien-fondé des éléments de preuve, un tel débat ayant sa place devant la juridiction d'instruction ou de jugement.

Le commentaire de la décision relève que l'évolution possible du droit de l'Union, qui serait induite par la proposition de directive, ne trouve pas de fondement dans la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, sa décision du 30 juillet 2010 ayant imposé l'assistance d'un avocat à raison de la privation de liberté. Il n'en va donc pas de même si la personne consent à être entendue librement, ce point n'ayant d'ailleurs pas été tranché par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

J'ajoute que si le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions issues de la loi du 14 avril 2011 conformes à la Constitution, il a néanmoins formulé une réserve d'interprétation - qui me paraît importante - en imposant deux garanties minimales pour l'audition d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, à savoir, d'une part, que la personne, avant de pouvoir être interrogée, doit être informée de la nature et de la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise ou tenté de commettre et, d'autre part, qu'elle doit être informée de son droit de mettre fin à l'entretien en quittant les locaux de police ou de gendarmerie.

Ces garanties étant posées pour l'audition libre, c'est bien, à mon avis, l'existence d'une contrainte telle que la privation de liberté qui devrait être le critère du droit d'accès à un avocat, et non la notion de suspect retenue par la proposition européenne. Précisons qu'en pratique, d'après le ministère de la justice, les avocats seraient effectivement présents dans 20 % des procédures, essentiellement dans les 30 minutes d'entretien que le code de procédure pénale prévoit dans le cadre de la garde à vue, cette moyenne s'accompagnant de fortes disparités géographiques.

Je considère aussi que le droit communautaire devrait se concentrer sur des règles minimales permettant d'assurer un exercice effectif des droits de la défense, qui constitue une exigence essentielle et que, conformément à ce que prévoit le traité, la directive devrait se borner à fixer des règles minimales en autorisant les États membres à préciser le contenu de ce droit, en adéquation avec leurs traditions et systèmes juridiques.

Est-il, en effet, indispensable que l'avocat soit présent lors de toute mesure d'enquête, ou de collecte de preuves qui exige la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie, notamment la prise d'empreintes digitales ou un prélèvement ADN ?

Faut-il confier à l'avocat le contrôle des lieux de détention, mission qui relève dans notre pays de la responsabilité des autorités publiques ? Je considère que non.

En revanche, il est important que l'avocat puisse bénéficier d'un certain nombre de droits au cours d'un interrogatoire ou d'une audition. Ces droits doivent être encadrés afin de ne pas bloquer le déroulement des enquêtes. Le texte doit fixer des règles minimales dans ce sens, tout en laissant une marge d'appréciation suffisante aux États membres.

Il me semble en outre que le cadre européen devrait prévoir des dérogations adaptées aux infractions les plus graves, ce dans le prolongement des travaux de notre rapport d'information sur l'intervention de l'avocat auprès des personnes impliquées dans des affaires liées à la grande criminalité et au terrorisme.

Nous avons préconisé que l'avocat soit choisi par la personne gardée à vue sur une liste agréée par le barreau, voire, comme en Espagne, prévoir une désignation d'office par le bâtonnier.

La Cour européenne des droits de l'homme admettant elle-même des dérogations aux droits de la défense dans des circonstances exceptionnelles et pour des motifs impérieux, et notre code de procédure pénale autorisant le report de la présence de l'avocat dans ces cas, il est donc nécessaire que la directive prévoie un régime dérogatoire assurant la couverture effective des infractions les plus graves.

Enfin, si le droit de communiquer après une arrestation constitue une garantie importante pour les personnes concernées, il me semble nécessaire de bien l'encadrer. On ne peut pas aller - comme l'envisage le texte - jusqu'à permettre de communiquer avec toute personne librement désignée par la personne privée de liberté, compte tenu des risques que cela pourrait comporter pour le déroulement de l'enquête, voire pour la sécurité des personnes. Il serait sans doute plus équilibré de prévoir - comme le fait déjà le droit français - le droit de faire prévenir un proche et son employeur ou, dans le cas des personnes de nationalité étrangère, les autorités consulaires.

En conclusion, je crois que nous devons accueillir favorablement cette nouvelle étape dans le renforcement des garanties procédurales. Cependant, comme le prévoit le traité, il faut établir des règles minimales qui tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres. Il ne faut pas non plus introduire de confusion entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête.

Nous souhaitons que les discussions sur le texte de la Commission européenne permettent d'avancer sur cette base et de trouver un équilibre allant dans ce sens.

M. Joël Guerriau. - Parallèlement à ce dispositif, le droit européen encadre-t-il aussi la communication du nom des personnes gardées à vue ou mises en examen par exemple en en protégeant la confidentialité ?

M. Jean-René Lecerf. - Non, il n'y a pas de texte sur ce point.

M. Joël Guerriau. - Il s'agit pourtant d'un élément important si l'on veut que la présomption d'innocence puisse être effective.

M. Jean-René Lecerf. - Certes, mais tout cela n'est pas simple comme l'on a pu le constater chez nous, où le passage de la notion d'inculpation à celle de mise en examen n'a pas changé grand chose.

M. Alain Richard. - Il convient de ne pas oublier qu'une garde à vue constitue une véritable course contre la montre au cours laquelle un équilibre délicat doit être maintenu entre l'objectif de recherche des infractions et la défense des droits de la personne.

De ce point de vue, les allers-retours que nous avons connus depuis deux ans entre le Parlement et le Conseil constitutionnel sont allés dans le sens de cet équilibre, y compris en ce qui concerne la possibilité d'auditions libres, que je considère comme l'expression la plus directe des droits de la personne concernée.

En revanche, j'estime que la proposition de directive perturbe l'équilibre auquel nous sommes parvenus en favorisant les outils de retardement de la procédure mis à la disposition des avocats, en prévoyant un dispositif de vérification du lieu de détention très différent de nos règles, et en requérant l'assistance de l'avocat lors de la commission de différents actes matériels liés à l'enquête.

En conséquence, je soutiens la proposition de résolution qui nous est soumise.

En termes de méthode, pourrais-je savoir comment il est possible de disposer du dernier état de la directive, ne serait-ce que pour pouvoir participer au débat en séance en pleine connaissance de cause au cas où des modifications seraient intervenues entretemps ?

M. Simon Sutour, président. - Je vous conseille de vous adresser aux fonctionnaires de l'antenne du Sénat à Bruxelles, qui est rattachée à notre commission et qui est au service de l'ensemble des instances du Sénat comme en témoigne l'organisation récente du déplacement de la commission des lois dont elle a eu la charge.

M. Richard Yung. - Je précise que cette antenne à Bruxelles constitue une ressource particulièrement précieuse pour tous les types de demande ou de recherche.

S'agissant de la proposition de directive, je m'interroge sur la possibilité de définir un système applicable aux systèmes judiciaires de tous les pays européens, qui connaissent de profondes différences, à commencer par celle existant entre notre organisation et celle du Royaume-Uni.

M. Jean-René Lecerf. - Je précise que les États ayant émis les plus vives réserves à l'encontre de la directive relèvent de systèmes très différents, puisque c'est par exemple à la fois le cas de la France et du Royaume-Uni que vous évoquiez. Mais l'objectif poursuivi par le texte n'est autre que de parvenir à ce qu'une décision de justice s'applique de la même façon, quel que soit le pays où elle a été prononcée, ce qui suppose véritablement une forme d'acceptation des systèmes en vigueur dans les autres États membres.

Toutefois, force est de constater que la proposition de la Commission est davantage inspirée du système de type accusatoire que du système inquisitoire en vigueur chez nous, et qu'il pourrait nous rendre plus difficile la recherche des infractions.

De même, le texte fait référence à la notion de suspect, dont une définition précise est donnée par le droit anglais, alors que tel n'est pas le cas en France. Ce sont des points auxquels nous devons être particulièrement attentifs.

M. André Gattolin. - S'agissant des droits des personnes étrangères, vous avez évoqué l'intervention des autorités consulaires ; or l'on sait que celle-ci peut parfois poser des difficultés

M. Jean-René Lecerf. - Sauf si les étrangers en question sont des ressortissants d'États de l'Union européenne.

M. Alain Richard. - Existe-t-il un document présentant, par exemple sous la forme d'un tableau comparatif, les quelques grands modèles judiciaires auxquels se rattachent les États européens ?

Mlle Sophie Joissains. - Il pourrait effectivement être intéressant d'en disposer.

M. Simon Sutour, président. - Ce travail a sans doute dû être réalisé par la commission des lois.

M. Jean-René Lecerf. - L'appréciation de ces différences est parfois complexe. Par exemple, si l'on ne prend que le cas de l'Allemagne, l'on s'aperçoit qu'une notion telle que l'indépendance du parquet doit s'apprécier au vu d'un examen de la situation concrète des procureurs, comme le fait par exemple qu'ils puissent être nommés à vie.

Avant que la commission ne se prononce sur la proposition de résolution, je souhaiterais préciser que le rapport de Guy Geoffroy et Marietta Karamanli déposé au nom de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, aboutit à des conclusions très proches de celles que je vous ai exposées, et qui ont présidé à la rédaction de la proposition de résolution que je vous soumets.

*

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante :

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu l'article 82 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l'arrestation (texte E 6330) ;

- affirme son attachement au renforcement des garanties dans les procédures pénales et approuve la démarche par étapes retenue dans la « feuille de route » adoptée par le Conseil le 30 novembre 2009 ;

- rappelle que, conformément à l'article 82 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'objectif doit être de renforcer les garanties procédurales par la détermination de règles minimales tenant compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres ;

- considère que le droit d'accès à un avocat est un droit essentiel dans le cadre des procédures pénales ; que, comme l'avait prévu la « feuille de route », l'harmonisation des règles qui lui sont applicables est indissociable d'une harmonisation des règles relatives à l'aide juridictionnelle afin d'assurer l'effectivité des droits ;

- souligne que ce droit d'accès à un avocat doit s'exercer dans des conditions permettant d'assurer la nécessaire conciliation entre le respect des droits de la défense et la recherche des auteurs d'infractions, tout en évitant une confusion entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête ; qu'en principe, l'exercice de ce droit devrait être lié à la privation de liberté ;

- estime que le contenu de ce droit devrait faire l'objet de règles minimales permettant d'assurer un exercice effectif des droits de la défense ; que ne paraissent pas relever de ces règles minimales le droit de l'avocat d'être présent lors de toute mesure d'enquête ou de collecte de preuves qui exige la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie ni le contrôle par l'avocat des lieux de détention ; que le texte devrait en outre mieux encadrer les droits reconnus à l'avocat au cours d'un interrogatoire ou d'une audition tout en laissant une marge d'appréciation suffisante aux États membres ;

- juge nécessaire de prévoir des dérogations strictement encadrées lorsque ces dérogations paraissent justifiées par des motifs impérieux tenant aux circonstances particulières de l'enquête, pour les catégories d'infractions les plus graves ;

- estime que le droit de communiquer avec un tiers après l'arrestation devrait être mieux précisé et concerner, comme le prévoit le droit français, le droit de faire prévenir un proche ou, dans le cas des personnes de nationalité étrangère, des autorités consulaires.

Politique de coopération

L'action européenne à Madagascar
Point d'actualité de M. Richard Yung

M. Richard Yung. - Mon souhait de vous présenter un point d'information sur l'aide de l'Union européenne à Madagascar a été motivé par la proposition de la Commission européenne, le 21 novembre dernier, de prolonger d'un an les mesures de sanction et de suspension de l'aide de l'Union à l'égard de ce pays. Cela m'avait semblé être une démarche injuste et préjudiciable au peuple malgache avant que, fort heureusement, le Conseil de l'Union ne décide finalement, le 5 décembre, de revoir sa position et de lever progressivement l'application de ces sanctions.

Rappelons qu'à la suite de divers événements survenus en janvier 2009, le Président élu, Marc Ravalomanana, a remis le pouvoir aux militaires qui l'ont immédiatement remis à son adversaire politique, Andry Rajoelina, devenu de ce fait Président de la Haute Autorité de Transition. En mars 2009, un processus de discussion sous l'égide de la Communauté de développement des États d'Afrique australe (SADC), autorité de coopération économique regroupant les pays de la région dont l'Afrique du Sud et le Mozambique, a été mis en place ; son responsable, l'ancien Président mozambicain Joaquim Alberto Chissano, a été chargé de définir une « feuille de route » prévoyant un calendrier de mesures destinées à restaurer l'État de droit, en particulier la tenue d'élections présidentielle et législatives. Ce processus long et complexe dura près de deux ans, en raison notamment de la condition posée par la SADC, sans doute à juste titre, d'associer à ces discussions les quatre anciens présidents, dont MM. Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana. Le point positif qu'il faut souligner aujourd'hui, c'est, en septembre 2011, l'acceptation de la feuille de route par toutes les parties, à l'exception faite de Didier Ratsiraka. Cette feuille de route, validée et mise en oeuvre par la SADC, a conduit à la nomination, le 28 octobre dernier, d'un premier ministre de transition, Jean-Omer Beriziky, représentant de l'opposition proche de la mouvance de l'ancien Président déchu Marc Ravalomanana. Fin novembre, un gouvernement de transition composé à la proportionnelle a été nommé, suivi immédiatement après par la désignation des membres du Parlement de transition en tenant compte de la grande diversité religieuse et régionale du pays. Depuis lors, l'ancien Président Didier Ratsiraka, réfugié en France depuis dix ans, est rentré à Madagascar, tout comme le fils de l'ancien Président Marc Ravalomanana, la question se posant toujours de savoir si ce dernier peut retourner dans son pays. Des menaces de condamnations judicaires pèsent en effet sur lui du fait de la sanglante répression d'émeutes par la garde présidentielle. Ceci donne lieu à un débat compliqué même si l'hypothèse d'une amnistie a aussi pu être évoquée.

Il reste une institution importante à mettre en place : la Commission électorale nationale chargée d'organiser les élections législatives et présidentielle. Par la voix de M. Rajoelina, la Haute Autorité de Transition a annoncé que des élections législatives auraient lieu en avril ou en mai 2012, après la saison des pluies, et que l'élection présidentielle se tiendrait un mois et demi après.

Ces mesures ont amené l'Union et le Conseil européen à modifier leur position. Mme Ashton a indiqué que l'Union allait lever progressivement ses sanctions et reprendrait le versement de ses aides, notamment celle du Fonds européen de développement (FED) qui avait été supprimée. La France approuve en tous points cette évolution. Reste maintenant à faire bouger l'Union africaine, notamment le Comité spécial qui est chargé de suivre Madagascar. Une première réunion a eu lieu la semaine dernière qui a été marquée par de fortes hésitations. Nous espérons que, dans les prochaines semaines, le Comité spécial de l'Union africaine se réunira une nouvelle fois pour réintégrer Madagascar en son sein.

Je me réjouis que l'Union européenne ait bougé car la situation sociale et économique à Madagascar est désastreuse. Il faut dire qu'il n'y a plus d'État. On en revient toujours au même débat sur l'efficacité des sanctions : atteignent-elles vraiment ceux qu'elles visent et permettent-elles de faire évoluer les positions des uns et des autres ?