Mercredi 18 janvier 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président, et de M. Philippe Marini, président de la commission des finances -

Economie, finances et fiscalité - Quelle régulation financière pour restaurer l'utilité sociale des marchés ? - Table ronde

La commission procède, conjointement avec la commission des finances, à l'audition de M. Steven Maijoor, président de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's France, et M. Michel Aglietta, professeur à l'université Paris X - Nanterre, membre du Conseil d'analyse économique.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - La commission des affaires européennes et la commission des finances ont souhaité organiser conjointement une table ronde pour accompagner notre réflexion sur les enjeux de la régulation des marchés financiers.

Nos deux commissions vont être prochainement amenées à examiner des textes qui constituent véritablement l'ossature des marchés européens : la révision de la directive sur le marché des instruments financiers et le règlement sur les produits dérivés.

Nous nous posons la question de l'utilité sociale des marchés. Soyons pragmatiques, il ne s'agit pas de diaboliser les marchés. Ne l'oublions pas, ils ont accompagné une période de croissance. Mais durant cette période, nous avons vu triompher ce que je qualifierais de « fondamentalisme » de marché. Nous subissons et risquons de subir encore les conséquences d'une croyance absolue en l'autorégulation et l'efficience naturelle des marchés.

Nous avons laissé les marchés se développer de façon autonome au point de diverger dangereusement de la réalité économique. La taille du marché des dérivés - 600 000 milliards de dollars - tout comme certaines pratiques du trading haute fréquence défient l'entendement.

Finalement, nous avons vécu une crise de confiance qui n'a pas eu beaucoup d'équivalent dans l'histoire de notre pays depuis la faillite du système de Law en 1720, qui avait causé des émeutes à Paris. Nous avons pris conscience, et l'ensemble de l'opinion publique aussi, du risque systémique que représentent les marchés financiers. Les mécanismes et les pratiques qui ont causé la crise financière sont toujours à l'oeuvre. Trois ans après la crise des subprimes, nous nous devons de repenser la régulation. Une régulation financière, certes technique, mais surtout conforme à l'intérêt des citoyens. Une régulation financière qui donne concrètement les moyens et pouvoirs aux autorités de supervision. C'est l'occasion de faire des marchés financiers non pas une fin en soi mais un outil au service de l'économie. C'est une responsabilité politique dans laquelle nous devons nous engager fermement.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Dans la période inédite que nous traversons, nous avons besoin de réfléchir, d'échanger et d'agir. La régulation financière est un vaste ensemble de mesures auxquelles le Parlement est associé de longue date, mais plus encore ces trois dernières années. Depuis le G20 de Pittsburg, nous savons qu'il y a beaucoup à faire et qu'il faut une volonté implacable pour que l'économie de marché devienne véritablement efficiente et que les marchés financiers jouent tout leur rôle d'ajustement. La tâche n'a pas été négligée par la Commission européenne, M. Barnier a proposé un programme de travail exhaustif et ambitieux : régulation des fonds alternatifs, encadrement des fonds propres bancaires, révision de la directive « marchés d'instruments financiers » (MIF), refonte des OPCVM, législation relative aux chambres de compensation et aux produits dérivés négociés de gré à gré, ou encore règlement sur les agences de notation. Je m'arrête là mais cette liste est évidemment très incomplète.

Nos commissions souhaitent être associées aux réflexions menées. Il s'agit de textes denses et techniques, qui incitent à recourir à l'expertise extérieure, mais nous ne sommes pas à l'aise dans la comitologie bruxelloise. Nous préférons vous écouter ! M. Steven Maijoor nous dira comment l'autorité européenne des marchés se met en place, M. Jean-Pierre Jouyet nous parlera de l'autorité française, Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France - redoutable tâche, mais je prends l'engagement que notre interlocutrice sortira sans encombre ni dommages de cette salle, à l'issue de la table ronde -, le professeur Michel Aglietta, l'une de nos grandes références, professeur à l'université Paris X - Nanterre et membre du Conseil d'analyse économique et, enfin, en tant que représentant de la direction générale du Trésor, M. Hervé de Villeroché.

M. Steven Maijoor, président de l'Autorité européenne des marchés financiers. - La supervision européenne est confiée à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Je remercie la France d'avoir soutenu dans la durée la création de cette nouvelle autorité. Notre objectif est de garantir une surveillance unique et cohérente dans toute l'Europe. C'est l'une des principales conclusions tirées de la crise. La concurrence entre réglementations nationales nuit à la gestion d'ensemble du secteur financier européen.

Nous travaillons aussi sur la protection des investisseurs de détail, qui ont souvent acheté des produits ou services dont ils ignoraient en fait le contenu.

La stabilité des marchés est également une préoccupation majeure pour l'AEMF. Nous travaillons sur les questions de la transparence mais aussi des risques qui peuvent se développer sur les marchés financiers. Pendant la crise, nous avons veillé à ce que les autorités nationales collaborent, comme, par exemple, sur les contrats d'échange sur défaut - les CDS - ou sur les produits dérivés. Nous nous efforçons aussi de renforcer la surveillance des agences de notation.

Je vais m'efforcer de vous donner quelques exemples de nos travaux. Au mois de décembre 2011, nous avons publié des recommandations sur le trading à haute fréquence qui doivent maintenant être mises en oeuvre dans tous les pays de l'Union européenne. Comme je vous le disais, la supervision des agences de notation relève, depuis l'automne dernier, de l'AEMF. Nous avons d'ores et déjà terminé une série d'inspections que nous poursuivons dans les différentes agences.

S'agissant des investisseurs, nous avons émis des avis sur l'évaluation des dettes souveraines, de même que sur les nouvelles normes comptables. Nous avons également formulé des avis très précis sur la transparence, la surveillance des fonds propres bancaires et des fonds alternatifs. Très bientôt, nous nous pencherons sur la recommandation n° 4, qui concerne les OPCVM.

La création des trois autorités de surveillance européennes (ASE) était très importante pour assurer une meilleure coordination au niveau européen. Nous avons de nouveaux outils et une nouvelle organisation. Nous espérons désormais pouvoir créer ce corpus de règles uniques pour toute l'Union européenne. Ainsi, le vote à la majorité rend la décision plus facile.

L'AEMF reçoit régulièrement de nouvelles missions, telles que le contrôle des agences de notation, des systèmes d'audit, mais pas de nouveaux crédits. Si notre budget n'est pas revu lors de chaque extension de compétences, la qualité du travail finira par en souffrir. A mon sens, un financement en augmentation et assuré exclusivement par les crédits de l'Union européenne est indispensable ; aujourd'hui les autorités nationales sont mises à contribution également. Songez que nous sommes passés en douze mois de 40 à 70 salariés.

Il est impératif d'éviter une concurrence au niveau des règlements au sein de l'Union européenne, mais la coopération entre les régions du monde est tout aussi nécessaire. Nous en avons les moyens et c'est indispensable afin que les différentes régions ne se fassent pas concurrence avec certains systèmes de réglementation qui seraient plus favorables que d'autres. Dans les directives et règlements européens, veillons à appliquer aux pays tiers le même niveau d'exigence qu'au sein de l'Europe, par exemple en ce qui concerne les agences de notation. De même sur les produits dérivés de gré à gré, dont le marché est véritablement international, nous devons travailler avec les pays asiatiques, avec la Suisse, les Etats-Unis et nous efforcer de parler tous le même langage. A mon sens, les autorités des pays tiers sont prêtes à travailler avec nous, cependant, je n'ignore pas combien il est difficile d'établir au plan international une concurrence juste et équitable.

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). - La révision de la directive MIF partait de bonnes intentions : protéger les investisseurs, réguler les transactions de gré à gré, promouvoir la transparence, limiter le trading haute fréquence, créer un système d'équivalence et de reconnaissance mutuelle des prestataires de services d'investissement et des plateformes de négociation avec les pays tiers, et, enfin, classer les OPCVM selon leur degré de complexité. La première version de la directive créait des systèmes multilatéraux de négociation (SMN), afin d'attirer vers ces plateformes de négociation les transactions de gré à gré qui n'étaient pas régulées. Mais ce fut un échec total, car au lieu de tirer celles-ci vers le haut, ce sont les transactions des marchés organisés qui ont été aspirées vers le bas.

La Commission européenne propose de créer des organized trading facilities (OTF) afin d'augmenter la transparence du marché en organisant plus clairement le système des ordres d'achat ou de vente des transactions effectuées de gré à gré. Mais quel est l'apport réel de ces OTF ? Avec ce système intermédiaire, on peut espérer rapatrier les négociations de gré à gré vers ces plateformes. On peut tout aussi bien craindre que celles aujourd'hui effectuées sur des SMN organisés se transfèrent vers des plateformes intermédiaires moins régulées. C'est notre appréhension majeure s'agissant des marchés « actions ».

Vous l'aurez compris, cette proposition nous pose problème. Le régulateur français entend promouvoir des plateformes plus transparentes en adoptant une hiérarchie claire sur ce critère et privilégier les marchés organisés. Ce qui serait paradoxal mais qui pourrait tout à fait advenir serait de parvenir à une plus grande transparence dans l'échange des produits dérivés, mais moins sur les titres classiques, telles que les actions et les obligations. C'est tout de même problématique !

Les dérogations au principe de transparence prévues dans le projet actuel, notamment lors du passage des ordres, doivent être limitées. Il convient aussi de consolider les informations après négociation sur les achats et les ventes, afin que les autorités nationales disposent de données fiables et consolidées. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

L'objectif de la régulation, c'est bien l'efficacité des marchés et leur intégrité. Le marché est un lieu de rencontre entre acheteurs et vendeurs de titres sur le fondement de leur analyse de la valeur des titres, or le trading haute fréquence a remis en cause ce postulat. Nous souhaitons que l'AEMF fixe des règles précises, par exemple sur les tarifs pratiqués pour les ordres annulés.

L'intégrité, disais-je : le projet de directive « Abus de marché » et la directive MIF nous en donnent les moyens. Les plateformes cependant n'ont pas encore l'obligation de nous soumettre les carnets d'ordres, or cela seul garantirait une véritable surveillance de l'intégrité des marchés. Le règlement EMIR sur les infrastructures de marchés européennes vise à apporter de la transparence sur les marchés de produits dérivés, y compris de matières premières ; il rend l'enregistrement et la compensation obligatoires sur les marchés de dérivés, ce qui impose de renforcer les chambres de compensation. L'Europe a pris du retard par rapport aux Etats-Unis. Il est grand temps de le combler si nous ne voulons pas devenir dépendants des systèmes de compensation et d'enregistrement américains. Nous insistons auprès de la Commission européenne sur la réciprocité.

La compensation sur les produits dérivés est la condition de la stabilité financière ! Les chambres de compensation, en cas de défaut d'une partie, jouent le rôle de pare-feu. Lors de la faillite de Lehman Brothers ou plus récemment celle de MF Global, on a vu qu'il était possible de couper rapidement la branche morte. Nous insistons sur la nécessité de disposer de chambres de compensation situées dans la zone euro, pour les contrats libellés dans cette monnaie. Nos souhaitons que l'AEMF dispose d'un pouvoir fort sur ces institutions. Du reste, l'AMF a anticipé la mise en oeuvre de la directive et exige que la majeure partie des transactions sur les dérivés, y compris celles conclues sur le marché ou de gré à gré, lui soient déclarées. C'est un message fort.

M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie, direction générale du Trésor. - Je partage largement les constats formulés par M. Jouyet.

La régulation comporte quatre enjeux principaux. Quelle est la bonne régulation face à la fragmentation des marchés ? Comment prendre en compte les pratiques liées au système de cotation, comme le trading algorithmique ? Comment prendre en compte la finance de l'ombre ou shadow banking ? Comment réguler les marchés dérivés ?

Les marchés financiers, lorsqu'ils assurent correctement le financement à long terme des entreprises sont un atout de compétitivité ; ils deviennent un handicap s'ils fonctionnent mal. Ils évoluent très vite. C'est pourquoi, la régulation doit être efficace au niveau international et européen, avant de l'être au plan national. L'un entraîne l'autre.

La directive MIF est entrée en vigueur en novembre 2007 et les marchés réglementés se sont trouvés mis en concurrence par les SMN. Il en est résulté une moindre transparence pré-négociation et un développement des opérations de gré à gré, hors marché. Le prix des transactions a certes baissé, l'accès aux valeurs étrangères s'est élargi, mais la concurrence ne saurait s'exercer au détriment de l'efficacité ni de la régulation. Or, la fragmentation a augmenté, l'efficacité dans la formation des prix a diminué et l'opacité a favorisé les intermédiaires plutôt que les utilisateurs finaux. La révision de la directive doit donc être l'occasion d'améliorer la transparence pré-négociation. En particulier, veillons à limiter les dérogations - pour des blocs de titres très importants, elles peuvent être de mise, mais gardons-nous de multiplier les exceptions ! Je crains, si celles-ci sont laissées à l'appréciation de chaque Etat membre, qu'il en résulte une concurrence féroce pour attirer la liquidité. A notre sens, il pourrait relever de l'AEMF d'accorder ou non les dérogations.

La Commission européenne propose de créer une nouvelle catégorie de modalités pour les opérations de marché : les OTF. Si la conséquence est de remonter vers les plateformes de négociation plus transparentes des transactions auparavant conclues hors marché, ce sera très bien ; si les transactions des marchés réglementés descendent sur ces plateformes, ce sera un échec.

Quant au trading haute fréquence, il est mondialement développé et la régulation doit donc être mondiale, européenne, avant d'être française. La liquidité est très mobile. Comprenons bien son utilité sociale, qui n'est pas évidente au premier abord. Sur des marchés fragmentés, le trading algorithmique sert à équilibrer le prix entre plateformes. L'activité d'arbitrage a toujours existé, c'est son développement massif qui pose problème. Nous avons beaucoup insisté, lors du G 20, pour qu'une réflexion soit engagée au plan international. La liquidité peut se retirer très vite, comme l'a montré le « flash crash » de mai 2010 aux Etats-Unis. Le trading haute fréquence pose également des questions sur l'intégrité lors de la formation des prix. Lorsqu'un intervenant envoie des milliers d'ordres avant de les annuler quelques millisecondes plus tard, quel est l'objectif qu'il poursuit réellement ? Il peut s'agir d'une volonté d'influer les prix, ce qui serait constitutif d'un abus de marché. La révision de la directive « Abus de marché » sera l'occasion d'encadrer ces pratiques.

La facilité serait d'interdire purement et simplement le trading haute fréquence. Mais il assure au jour le jour un volume conséquent de transactions. Mieux vaut retenir une approche régulatrice au plan européen, afin que la liquidité n'émigre pas ailleurs. Le lieu de concentration de la liquidité emporte un enjeu majeur sur le régulateur responsable. Je rappelle que l'AMF est compétente parce que la liquidité, à titre principal, se situe sur la plateforme que nous autorisons. Le jour où la liquidité se déplace, l'AMF perd sa capacité d'intervention.

Le shadow banking se développe à mesure que les exigences de solvabilité, de ratios de fonds propres et de liquidité qui s'imposent aux banques augmentent. La régulation du seul secteur bancaire est une incitation aux arbitrages en faveur d'institutions moins régulées.

Le risque est mondial et non franco-français. Il convient de travailler à l'échelon international sur la titrisation, les fonds monétaires, les activités de prêt-emprunt de titres, les hedge funds pour leurs activités proches du crédit. Le Conseil de stabilité financière a été mandaté par le G 20 pour faire des propositions dans ce domaine et j'espère que nous progresserons sur l'ensemble de ces sujets dans le courant de l'année 2012. Nous souhaitons également que la Commission européenne puisse y travailler.

Dès la faillite de Lehman Brothers, on a compris la nécessité d'une meilleure régulation des marchés dérivés et le règlement EMIR est un enjeu essentiel de la sécurité du système. C'est par la compensation des dérivés, en effet, que l'on peut arrêter les accidents. Lors de la récente faillite du courtier MF Global, le risque a été absorbé sans contagion. Il faut à présent aller plus loin dans le champ et dans la définition des produits soumis à compensation : ils doivent être standardisés, donc faciles à compenser. Il faut aussi que les chambres soient solides, qu'elles ne pratiquent pas d'autres activités et qu'elles aient accès à la monnaie centrale.

La France est partisane d'une régulation équilibrée entre activités bancaires et activités de marché. La crise est arrivée dans une large mesure par les banques et il est désormais indispensable de renforcer la réglementation bancaire, mais en tenant compte des effets sur le financement de l'économie. Mais nous n'oublions pas la régulation des marchés. Il faut réguler les activités et non pas seulement les entités porteuses de risques.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - En quoi les agences de notation sont-elles concernées par ce qui a été dit ici ? Notent-elles les « dark pools » ?

Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's France. - Notre rôle est d'analyser le risque de crédit. Nous ne sommes pas régulateurs mais acteurs, plus précisément observateurs, des marchés financiers. Pour nous, la régulation doit être cohérente au niveau international et coordonnée mondialement ; car les marchés sont interconnectés en même temps que fragmentés.

Pour continuer à disposer de financements à long terme, discipline, transparence et responsabilité sont indispensables. Quel rôle revient aux agences de notation ? Nous ne sommes pas des acteurs « actifs » des marchés, mais nous évaluons la qualité du crédit. Nous ne notons pas les produits dérivés ni les dark pools mais des entités juridiques, les chambres de compensation par exemple, et nous apprécions l'évolution de l'environnement réglementaire. La réforme en cours au niveau mondial, depuis le G 20 de septembre 2009, améliore la transparence et la stabilité du système financier. Aux Etats-Unis comme en Europe, on cherche à attirer les transactions de gré à gré vers les plateformes de négociation : l'approche sur ce point est similaire. Les Américains ont déjà mis en place un certain nombre d'éléments, les Européens suivent ce mouvement. Les agences de notation sont dans leur rôle quand elles signalent des écueils. Aujourd'hui, 90 % des dérivés s'échangent de gré à gré - 600 000 milliards d'euros de notionnel ! Le transfert vers les plateformes et les chambres de compensation d'un tel volume ne se fera pas sans difficultés opérationnelles. Il nous faudra apprécier la capacité de chaque chambre à gérer des montants aussi considérables. Les faillites de Lehman Brothers et de MF Global ont été aisément absorbées, y compris grâce aux fonds de garantie. Mais les fonds propres des chambres de compensation devront augmenter avec la croissance de l'activité. En outre, toutes les chambres de compensation ne seront pas capables de compenser tous les produits. Enfin, on demande aux banques de mobiliser du collatéral - 2 000 milliards de dollars selon le FMI - dans les chambres de compensation, mais cela a un impact sur leurs ratios de fonds propres que Bâle III tend à augmenter. Il y a là une contradiction entre les deux réglementations. De même, l'interopérabilité entre chambres de compensation est louable, mais j'y vois un risque de contagion. À mon sens, ces initiatives vont dans la bonne direction en accroissant la transparence sur les marchés. Les acteurs concernés sont habituellement notés A ou AA, mais il importe de ne pas sous-estimer les enjeux.

J'en viens au projet du commissaire Barnier sur les agences de notation, un texte qui me tient à coeur. Il importe d'améliorer la qualité des notations, donc l'efficience des marchés. Je partage la volonté de renforcer la concurrence dans ce domaine et de réduire la dépendance envers les agences de notation. A ce propos, M. Jouyet a évoqué la « désintoxication aux agences de notation ». Cependant, certaines dispositions vont à l'encontre de cet objectif. Ainsi, la rotation obligatoire des agences qui s'imposerait aux émetteurs porterait atteinte à la continuité dans la notation, ce qui pèserait sur la perception des émetteurs européens par les investisseurs internationaux. De plus, certaines dispositions gêneraient l'entrée de nouveaux acteurs sur ce marché. Je pense notamment aux règles relatives à la responsabilité. Le texte proposé par la Commission européenne risque de réduire le nombre d'intervenants sur le marché, d'accroître la dépendance des investisseurs envers les agences de notation et d'induire une grande frilosité face au risque.

M. Michel Aglietta, professeur à l'université Paris X - Nanterre, membre du Conseil d'analyse économique. - Étant le seul académique du panel, je m'efforcerai de placer mon intervention sous le signe de l'expérience de la crise que nous venons de vivre, celle-ci remettant en cause le paradigme fondamental de la finance, à savoir l'efficience du marché et la capacité de la finance à s'ajuster elle-même. Un tel changement de paradigme impose de trouver une nouvelle cohérence.

Ainsi, deux objectifs de la finance n'ont pas été atteints durant la période de libération financière exacerbée : tout d'abord, la stabilité globale du système financier n'a pas été assurée, alors qu'elle est un bien public en raison du risque systémique associé à la finance et qu'elle n'est pas capable d'éliminer par elle-même ; ensuite, nul ne peut aujourd'hui financer la croissance de long terme. Cette situation appelle une réforme de grande envergure.

La politique macro-prudentielle, récemment mise en place, incorpore la Banque centrale et l'ensemble des régulateurs dans un Conseil européen du risque systémique. Comment cette instance pourra-t-elle détecter les germes de risque systémique suffisamment tôt ? La maîtrise du risque systémique est cruciale, mais le contexte européen est compliqué : tout le monde ignore où se trouve le pouvoir.

La deuxième question concerne la place des agences de notation dans un contexte marqué par l'imbrication inextricable du risque de crédit et du risque de liquidité.

Les agences de notation savent évaluer scientifiquement le risque de crédit associé à une entreprise, car elles sont à même d'apprécier la capacité intrinsèque d'une entreprise à maîtriser son bilan à travers le cycle. Ainsi, une simple récession ne saurait justifier de dégrader une entreprise.

Or le risque de crédit et le risque de liquidité ne peuvent être séparés dans le cadre de la dette souveraine. Aujourd'hui, les marchés révèlent surtout leur inquiétude sur la capacité de la zone euro à se gérer et à gérer la crise qu'elle traverse, ce qui n'a rien à voir avec la soutenabilité à long terme des dettes publiques. En se fondant sur les CDS (credit default swap ; en français : dérivé sur défaut de crédit), on pourrait en déduire que la probabilité d'une banqueroute italienne serait de 30 %. Cela n'a aucun sens ! Qu'est-ce qui justifierait au cours des six derniers mois une telle dégradation dans l'appréciation de la capacité italienne à gérer sa dette publique par rapport aux trente dernières années ?

La corrélation entre les notes données par les agences et les cours des CDS montre que les investisseurs sont sous influence. La responsabilité en incombe aux Etats et aux régulateurs, qui ont mis les agences de notation au coeur des contrats d'assurance, privant ainsi les investisseurs de leur libre arbitre. La seule solution consiste à banaliser les agences, pour en faire des acteurs parmi d'autres formulant une opinion. C'est aux régulateurs d'extraire toute référence à la notation dans les règlements pour que les agences redeviennent de simples acteurs privés.

J'en viens à l'innovation financière, qui pose un problème de sécurité analogue à celui observé en matière sanitaire. L'innovation financière n'est pas soumise à des tests de dangerosité, alors que si l'on avait testé les CDO (collateralized debt obligation, en français : obligation adossée à des actifs) sur les subprimes, on aurait vu qu'ils explosaient en cas de crise immobilière. Pourquoi toute innovation financière est-elle présupposée avoir une utilité sociale ? Par nature, une innovation est soumise à l'incertitude poppérienne : pour la lever, il faut faire des tests.

Le troisième élément concerne les normes comptables, un sujet crucial qui nous ramène au marché efficient. Que le prix spot corresponde à la juste valeur devrait être considéré comme une plaisanterie. Or c'est ce qu'affirment les prescriptions comptables, conduisant à incorporer toutes les fluctuations du marché dans les comptes d'exploitation. Cela incite les acteurs à ne détenir que des actifs sûrs, compromettant le financement à long terme.

Nous devons maintenant sortir du « too big to fail », ou plutôt du « too systemic to fail ». L'idée serait d'exiger des testaments ou « living wills ». Mais, songez à Lehman Brothers, qui disposait d'environ 3 000 véhicules hors bilan. Dès lors que l'on ignore l'ensemble des transactions sur l'ensemble des marchés, on ne peut décomposer une entité que l'on veut mettre en faillite.

Le capitalisme ne peut correctement fonctionner lorsqu'un secteur s'affranchissant de la contrainte de la faillite se sent immunisé au point d'influencer de façon rédhibitoire la régulation elle-même. En outre, cette situation est incompatible avec la démocratie !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Le professeur Aglietta invite la puissance publique à reprendre la main. Tel est précisément l'objet de cette table ronde, organisée dans la continuité des travaux conduits au sein de la commission des finances.

Je reconnais une vertu à la crise financière : la culture financière a fait un bond en avant dans notre pays, qui s'en serait bien passé...

Nous avons besoin d'un regard plus que critique sur la directive MIF I, qui a organisé l'ouverture des bourses à la concurrence pour améliorer la liquidité et réduit les coûts de transactions pour les investisseurs. Après quelques années, le bilan apparaît très mitigé et il faut s'interroger sur l'échec conceptuel de la directive.

La directive MIF II va peut-être s'attaquer à ses défauts les plus criants, mais nous ne sommes pas prêts d'avoir en Europe une régulation digne de ce nom. Le régulateur européen, l'AEMF, aura-t-il les moyens de sa mission ? Je ne doute pas qu'il en ait la volonté. Au sujet du trading à haute fréquence, le Sénat avait introduit une taxe spécifique dans la dernière loi de finances, pour mettre le sujet sur la table, car cette pratique spéculative a deux défauts : son automaticité et la prise de risques à très court terme. Je crains que l'on ne débouche, comme d'habitude, sur un dispositif a minima. Or, pour diminuer le risque systémique, il faut imposer des contraintes fortes, puis interdire en cas d'échec. S'interdire par avance d'interdire n'est pas une bonne méthode !

Le recours aux chambres de compensation pose problème, bien que la transparence soit une bonne chose, car ces chambres pourraient concentrer le risque systémique. Elles doivent donc être adossées à la Banque centrale.

Monsieur Jouyet, vous avez anticipé, sans doute en accord avec le Trésor, l'entrée en vigueur de la déclaration des transactions sur produits dérivés effectuées de gré à gré, donc hors marché. Pourquoi avoir introduit une exception en faveur des produits dérivés portant sur les matières premières et sur les changes ?

L'émotion soulevée par les agences de notation est quelque peu retombée, mais le problème réel tourne toujours autour de la concurrence. Sous prétexte qu'il serait ardu de la promouvoir, rien ne bouge !

Madame Sirou, vous avez mentionné la rotation. Son principe me semble bon, mais vous estimez que la responsabilité des agences commettant des erreurs ne devrait être mise en oeuvre qu'après avoir établi la relation de cause à effet entre l'erreur et la notation. Comment prouver ce lien ? Comment aussi se désintoxiquer des agences ? Par quoi pouvons-nous les remplacer ? Reprendre la valeur de marché serait un remède pire que le mal !

Enfin, pourquoi votre agence a-t-elle opéré une stratification de ses notes entre les différents pays au sein de la zone euro ? L'Allemagne va pâtir des difficultés de cette zone, elle affronte des difficultés très lourdes, avec une dette publique élevée et pourtant elle a conservé son AAA.

La taxe sur les transactions financières, également adoptée par le Sénat lors de la dernière loi de finances, est souvent conçue par certains comme un outil de rendement. Nous souhaitons lui assigner une fonction dissuasive. Sous quelles conditions peut-elle devenir un outil de régulation du marché ?

M. Richard Yung. - A quoi servent les marchés financiers ? En France, ils n'ont qu'un rôle limité dans le financement des entreprises.

Que représentent 600 000 milliards de dollars ? Ce montant équivaut à 10 ou 12 fois le PIB mondial ! La sphère financière ne peut être 10 fois plus importante que l'économie réelle. Je comprends qu'un produit dérivé permette à un chef d'entreprise de se prémunir contre l'évolution des cours de matières premières acquises ou contre les variations d'une devise, mais cela ne représente qu'une toute petite partie des marchés dont nous parlons. Il faudra revenir plus nettement à l'économie réelle. Aujourd'hui, les PME ne peuvent accéder à ces marchés, très sélectifs à l'entrée.

J'ai compris les réserves inspirées à M. Jouyet par le projet de directive MIF II, mais n'y a-t-il pas là un progrès ? Que suggérez-vous notamment sur la proposition d'OTF (organised trade facilities, en français : systèmes organisés de négociation) ?

Un point majeur concerne la transparence des quantités et des prix, totalement impossible avec le trading à haute fréquence. Comment l'AEMF envisage-t-elle les échanges d'informations au niveau européen ?

Mettre en place une chambre de compensation par grand produit comporte un très fort risque systémique. Les régulateurs nationaux et européens ont-ils les moyens de les surveiller ? Qui va payer en cas de défaut ? Je ne suis pas certain que les Allemands soient disposés à adosser ces chambres de compensation à la Banque centrale européenne : ils diront que cette mission ne fait pas partie de ses mandats.

Renforcer les régulateurs est un sujet central. Je pense aux moyens dont dispose la SEC américaine. En outre, les administrateurs de l'AEMF sont les régulateurs nationaux et, par conséquent, peut-être pas ses meilleurs alliés.

M. Edmond Hervé. - Je partage l'opinion du professeur Aglietta sur la nécessité de banaliser les agences : elles ont été intronisées par les autorités politiques, ce n'est pas une raison pour leur accorder plus d'importance qu'elles n'en ont. Pour partie, nos autorités nationales ont abdiqué.

L'idée d'emprunts régionaux remonte aux années 60 et 70 du siècle dernier. Supposons que les conseils régionaux lancent ensemble un grand emprunt. Quelle serait la réaction de MM. Jouyet et de Villeroché ? Monsieur Maijoor, quelles sont vos relations avec Eurostat ?

Appréciant beaucoup la réunion d'aujourd'hui, je souhaite qu'une autre soit consacrée au fonctionnement objectif des marchés.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le 15 février, nous nous pencherons sur le financement de l'économie.

M. Alain Richard. - Supposons un instant que les marchés de produits dérivés soient fermés sur toutes les places de l'Europe continentale. Quelle en serait l'incidence sur le potentiel de croissance à moyen terme du continent ? Peut-on comparer l'effet stimulateur de ces marchés avec leur toxicité ?

M. François Marc. - Je me félicite que cette réunion ait été organisée. Merci aux intervenants, qui ont posé autant de questions nouvelles qu'ils ont apporté de réponses aux interrogations préexistantes.

La directive MIF II me semble apporter quelques réponses, tout en restant insuffisante.

M. Jean-Pierre Jouyet a déclaré que 70 % des transactions financières échappaient aux instances de régulation. C'est dire combien la sphère financière se trouve dans un no man's land hors de contrôle.

Mon interrogation centrale porte sur les comportements. M. Aglietta nous a parlé d'innovation financière. Par ailleurs, les contraintes de Bâle III incitent à contourner la réglementation. La question fondamentale est donc la suivante : comment réguler l'innovation financière et les comportements des institutions financières, dont la tendance naturelle est de se soustraire aux contraintes ? Avons-nous des pistes de travail pour corriger les choses à la source ? À défaut, l'innovation financière crée un risque accru et nouveau, dans une course sans fin.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'ai beaucoup apprécié l'intervention de M. Aglietta. J'ai également écouté Mme Sirou rappeler que la mission des agences de notation était d'analyser le risque de crédit. Il me semble pourtant qu'elles s'efforcent d'aller au-delà, en formulant une opinion sur les évolutions institutionnelles, alors que la formation de leurs agents ne me paraît pas les préparer à ce travail. Formuler des jugements en ce domaine me semble donc dangereux. Notre responsabilité de parlementaires commande d'intervenir face à une situation grave.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je souhaite quelques éclaircissements sur l'avancement de ces questions aux Etats-Unis, sur l'état d'esprit des Américains et leurs relations avec l'Europe.

M. Éric Bocquet. - Je me félicite de cette table ronde, organisée après celle consacrée à Dexia et à la Banque postale. Il faut persister. La session annoncée sur le financement de l'économie est une bonne nouvelle.

La dérégulation est à l'oeuvre depuis trois décennies : les traités européens ont imposé la libre circulation des capitaux, l'indépendance de la BCE, la concurrence libre et non faussée. Autant de principes que certains ont dénoncés il y a quelque temps, mais qui sont la réalité actuelle.

Parmi les agents intervenant sur les marchés dérivés, il me semble que 2 % à 3 % ont quelques liens avec l'économie réelle ; le reste n'est qu'une bulle.

On a parlé de shadow banking. BNP Paribas dispose de 189 entités dans les paradis fiscaux : c'est dire l'ampleur du problème !

Comment expliquer que les trois grandes agences aient des avis différents sur notre pays ? Comment les calculs effectués à partir des mêmes chiffres peuvent-ils conduire à des conclusions différentes ?

Enfin, j'ai lu dans la presse que M. Draghi avait appelé lundi à « apprendre à se passer des agences de notation ». Qu'en pensez-vous ?

M. Jean Germain. - Ce que nous faisons évoque le passage de la messe en latin à la messe en français : nous comprenons mieux ce qui se passe. Cependant, on modifie le capitalisme sans le supprimer.

Les Etats-Unis se sont désindustrialisés, car l'exigence excessive de rentabilité a chassé les industries autres que de haute technologie. Ce modèle trouve ses limites.

Le premier défi européen concerne le financement de nos investissements, y compris dans l'innovation et la haute technologie. Cela suppose un coût raisonnable de l'argent. Rappelez-vous la faillite de Lehmann Brothers et de l'assureur américain AIG, qui a englouti 180 milliards de dollars. S'ajoutent des inquiétudes liées aux produits dérivés. Aux Etats-Unis, il n'y a qu'une seule chambre de compensation, refinancée par la FED. Il est très français de décider qu'il n'y a ni Etats-Unis, ni Chine, mais la vérité est que ces pays existent. Notre schéma, fondé sur plusieurs chambres de compensation, est-il à la hauteur des enjeux ? Peut-on discuter utilement avec des Européens faisant partie d'autres espaces monétaires ?

Mme Carol Sirou. - Lorsqu'elles examinent une dette souveraine, les agences de notation prennent notamment en compte le risque politique.

Quel que soit le secteur, nous nous fondons sur le passé pour formuler une opinion sur l'avenir. Dans ce cadre, nous prenons en compte les chiffres et formulons une opinion sur la stratégie. S'agissant d'un Etat, nous prenons en compte le cadre institutionnel et la trajectoire financière adoptée par le pays : nous ne nous fondons pas exclusivement sur les chiffres, nous mettons l'accent sur la compétitivité économique, puisqu'il s'agit de nous prononcer sur le remboursement de dettes dans 20 ou 50 ans. Sinon, notre métier consisterait à faire du « scoring ».

Ce qui a changé, c'est l'attention particulière accordée à la dette souveraine : nous notons 127 Etats et attribuons quelque 1 200 000 notes. Nous notons la plupart des pays depuis 40 ans : ni l'exercice, ni les méthodologies ne sont nouveaux. Nous nous interrogeons sur la trajectoire à moyen terme des Etats les plus endettés. Ce n'est pas seulement une question de ratios.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Pourquoi ne notez-vous pas les banques centrales ?

Mme Carol Sirou. - Parce qu'elles n'empruntent pas.

Sans noter la Banque centrale européenne en tant que telle, nous portons une appréciation sur la zone euro, qui est notée AAA. Au sein de cette zone, nous avons toujours différencié les risques. La mise sous surveillance de la zone euro décidée le 5 décembre exprime une préoccupation particulière sur sa capacité à sortir de la crise qu'elle traverse depuis 18 mois. L'acuité de celle-ci réduit la confiance dans son aptitude à trouver une solution à moyen terme. On peut s'interroger sur le rôle de la Banque centrale européenne dans cette équation.

Madame Des Esgaulx, dire que les analystes des agences sont moins bien formés que les habituels analystes du crédit est de bon ton, mais ceux travaillant dans le groupe Standard & Poor's sont formés dans les meilleures écoles françaises et européennes. Nos collaborateurs examinant la dette souveraine ont souvent fait leurs classes au FMI ou à la Commission européenne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'ai contesté la capacité à formuler des opinions politiques, sans rien dire quant à l'analyse comptable.

Mme Carol Sirou. - Une des propositions faites serait de faire noter les Etats non par les agences, mais par le FMI.

Mme Marie-France Beaufils. - Le FMI n'est pas préférable !

Mme Carol Sirou. - Il ne me semble pas surprenant que les agences formulent des opinions différentes. Face à la concentration oligopolistique de ce secteur, il est légitime de vouloir augmenter la concurrence, dont le premier effet serait d'aboutir à des appréciations divergentes. Plus il y aura de concurrence au plan mondial - comme le souhaitent l'Europe, les Etats-Unis et l'Asie - plus les agences de notation proposeront des notations différentes, ce qui est souhaitable pour que chacun forge son opinion.

Pour diminuer la dépendance envers les agences, sortez de votre réglementation toute référence à la notation ! J'ai vu hier une brève sur un fonds de pension allemand, qui ne sait plus comment placer son argent, puisque ses statuts lui interdisent d'investir dans des papiers qui ne seraient pas notés AAA par les trois agences. Les professionnels doivent lire l'opinion des agences, mais celles-ci ne prétendent pas à un rôle déterminant. Les CDS et les mesures de marché sont trop volatils.

Enfin, le régime de responsabilité en vigueur dans notre pays donne des garanties aux utilisateurs de notes, alors que le projet de M. Barnier encourage les contentieux au lieu d'obliger les investisseurs à se faire leur propre opinion.

M. Steven Maijoor. - Pour commencer, examinons les conditions permettant l'émergence d'un marché efficient. Tout comme l'éducation ou le secteur médical, l'activité des marchés financiers exige plus de régulation, en raison des risques induits pour la société et les individus. Les marchés financiers doivent et méritent d'être mieux surveillés.

Faut-il accepter les produits innovants, sans le moindre dépistage ? La directive MIF I repose sur les prestataires de services. Je suis d'accord pour que l'AEMF ou les autorités nationales puissent suivre les produits innovants et les interdire. Cette idée est de plus en plus acceptée par les régulateurs nationaux. Passer de la transparence à l'interdiction de certains services est logique. La directive MIF II nous en donnera les moyens. Agir ainsi serait conforme aux intérêts de l'industrie financière, dont l'image est gravement ternie par certains produits.

J'en viens au trading. Après les progrès substantiels apportés par la directive MIF I, nous aurons plus de transparence avec MIF II. C'est indispensable d'avoir plus de lumière ! Les exemptions sont trop nombreuses. Si les fonds de pension veulent vendre des instruments, il faudra réduire l'opacité.

À propos des agences de notation, nous vivons des étapes majeures dans l'évolution du droit, mais il faudra encore du temps pour évoluer. L'effet des règlements européens ne s'est pas encore fait sentir. Il faut du temps pour changer en profondeur la manière d'opérer de tout un secteur d'activité.

Qu'on les apprécie ou non, les agences de notation font partie des marchés financiers. Il n'y a pas de solution à court terme. Leur existence est inévitable, mais il faut réduire notre dépendance. En outre, les agences doivent être responsables du service qu'elles rendent. J'ajoute que les propriétaires des grandes agences peuvent détenir certains produits ou instruments notés par leurs employés, il y a là un conflit d'intérêts que nous devrons également éclaircir très rapidement.

S'agissant d'EMIR, le problème qui a été soulevé est de savoir jusqu'à quel point nous pouvons concentrer les risques vers les chambres de compensation. Il est faux de penser que la diversification crée moins de risques. Par exemple, les produits subprimes n'ont pas apporté les fruits attendus en la matière. Les chambres de compensation concentrent peut-être les risques, mais elles diminuent celui inhérent aux transactions, puisqu'un tiers les contrôle.

Nous avons de grandes attentes envers les systèmes de contrôle. L'AEMF doit élaborer des normes. Je suis ambitieux pour elle, mais l'AEMF ne peut tout faire en Europe ! Le modèle du futur repose sur l'exercice quotidien de la régulation par des autorités nationales, l'AEMF pouvant saisir les gouvernements. Il importe que le travail quotidien sur le terrain soit solide et conforme aux décisions de l'AEMF.

Jusqu'à quel point l'AEMF est-elle en contact avec la SEC américaine ? Nous sommes en contact avec la SEC et d'autres organismes semblables. Par exemple, nous négocions sur les agences de notation afin de déboucher sur un travail en commun. De même, dans le domaine des infrastructures des marchés financiers, le travail est extrêmement vaste. Il serait optimiste de dire que nous sommes partout au même niveau, mais les progrès sont indéniables, tant aux Etats-Unis qu'en Europe.

Je partage les commentaires du président sur l'importance de la réciprocité dans le système. Nous préférons l'interdépendance au fait d'agir chacun séparément.

Comment réglementer les comportements ? C'est le rôle essentiel de l'AEMF et des autorités nationales. Nous pouvons agir face à certains abus et modifier les règlements.

M. Hervé de Villeroché. - Je n'ai pas parlé des agences de notation. Différant peu du régime applicable en France, le régime de responsabilité proposé par la Commission européenne me convient. La responsabilité civile fait partie d'un régime normal lorsque l'on conduit une activité professionnelle. Bien des progrès ont été accomplis dans la régulation des conflits d'intérêt et de l'indépendance des agences. En revanche, la concurrence ne progresse pas et ce ne sont pas les exigences croissantes imposées aux agences qui vont atténuer la situation d'oligopole et favoriser l'arrivée de nouveaux entrants. Nous n'avons pas renoncé mais nous n'avons pas encore trouvé la formule !

Depuis longtemps nous appelons à une désintoxication par rapport aux notations : une appréciation plus fine des risques par des modèles internes serait préférable. Le recours aux agences est une solution de facilité. Les régulateurs nationaux avaient d'ailleurs tendance à s'appuyer sur les notations externes, donc à entretenir une dépendance à l'égard des agences. La Commission européenne s'est engagée à éradiquer ces références dans la réglementation. Pendant longtemps, les banques centrales se sont également appuyées sur les notations alors qu'elles ont les moyens d'apprécier le risque par elles-mêmes. Aujourd'hui la Banque centrale européenne n'a plus de système qui repose uniquement ou automatiquement sur les notations.

Les dérivés les plus utilisés sont les produits de change et de taux, les actions arrivant en troisième position. L'utilité d'une couverture contre un risque de taux ou de change se conçoit aisément. Il est trop simple de penser que ces activités sont inutiles. Tout ce qui permet de standardiser et de compenser ces dérivés va dans le bon sens.

Le défaut d'une chambre de compensation pourrait-il être absorbé par la banque centrale concernée ? On n'attend pas qu'elle recapitalise une chambre de compensation, ce n'est pas son rôle. Dans un bon système de régulation, ce sont les membres qui sont responsables d'un éventuel défaut. Ils doivent mettre en place un système de coussin de sécurité, certains sont logés dans le capital, d'autres sont appelables à tout moment en cas de risque. Sans doute peut-on relever le niveau des coussins de sécurité, mais une partie du risque sera inévitablement répercutée sur les membres. La chambre de compensation cependant, en cas de défaut d'une des parties, commence par saisir le collatéral déposé par l'intervenant défaillant et le vend pour éponger la perte : l'accès à la liquidité de la banque centrale lui évite de brader les actifs dans un contexte de marchés perturbés.

Les emprunts régionaux et les financements des collectivités territoriales sont un peu loin de notre sujet du jour, mais nous suivons bien sûr attentivement ces questions. Les grandes collectivités ont recours tant au marché qu'au crédit pour se financer, c'est une bonne chose. Des emprunts communs à deux régions ne poseraient pas de difficulté s'ils sont simplement des opérations conjointes ; il en va autrement si les collectivités s'engagent solidairement...

Le professeur Aglietta a parlé fort justement de l'innovation financière, laquelle doit faire l'objet d'une régulation coordonnée et d'une coopération internationale. Un dispositif appliqué unilatéralement chassera ailleurs l'innovation, qui se déplace vers l'environnement le moins contraignant. Une régulation efficace exige une vision générale et cohérente entre pays.

Le secteur financier en France ne saurait être décrit comme inefficace : le crédit bancaire dans notre pays progresse plus rapidement que dans le reste de la zone euro, à raison de 5,8 % en croissance annuelle au mois de novembre 2011. Pour les crédits court terme aux entreprises, les taux moyens sont de 2,8 % tandis qu'ils s'élèvent à 4,01 % pour les crédits de moyen et long terme. Ce sont de bonnes conditions de financement de l'économie, en comparaison des autres pays. On l'oublie parfois.

M. Jean-Pierre Jouyet. - Les agences ne doivent pas avoir de responsabilité systémique. Les régulateurs, les banquiers centraux et la Commission européenne doivent réduire le nombre de cas dans lesquels il est obligatoire de se référer aux agences de notation. Mais il est moins simple de se passer d'elles qu'on ne veut bien le dire. Une dépendance a été créée par plus d'une décennie d'habitudes qu'il faut à présent corriger. On retrouve le même phénomène dans la gouvernance des entreprises avec l'appel aux cabinets d'audit : on se décharge de ses responsabilités !

Les chambres de compensation constituent une mutualisation moins risquée. L'adossement des chambres de compensation à la monnaie banque centrale est nécessaire, pour éviter le risque systémique. C'est pourquoi il est très important que la zone euro dispose d'une chambre de compensation. Il faut une démarche volontaire mais je partage l'avis de votre rapporteure générale, on n'élimine jamais complètement le risque. Les membres des chambres de compensation doivent donc également assumer une responsabilité.

Le retard pris par rapport aux Etats-Unis et l'attentisme européen ne sont plus acceptables : nous avons besoin de chambres solides, adossées à la banque centrale.

J'en viens aux dérivés : nous avons exempté les matières premières car nous avons considéré que les principaux risques d'abus de marché se produisaient principalement sur les dérivés actions et les dérivés de crédit. Par ailleurs, nous n'avons pas le personnel suffisant pour surveiller les transactions sur les matières premières ou les opérations de change - ces dernières étant du reste assimilées aux matières premières et non à des instruments financiers.

Les propositions de la Commission européenne sur les OTF marquent un progrès mais ce que nous souhaitons, c'est qu'il n'y ait pas de marché organisé au rabais. Nous voulons les mêmes garanties que celles existantes sur les plateformes existantes.

S'agissant des emprunts régionaux, notre seule responsabilité concerne l'information des souscripteurs par les emprunteurs : nous sommes très vigilants sur ce point.

Je veux dire à M. Richard que les dérivés sont bien sûr utiles. C'est l'explosion du volume de transactions, comparé à celui observé sur le support physique, qui pose problème. Il y a lieu de reformater, de revenir à l'utilité économique d'origine, en distinguant l'effet stimulateur et l'effet toxique.

Une autre précision, pour M. Marc : 50 % des transactions échappent à la régulation. Il y a d'un côté un risque de sur-régulation, de l'autre un risque de développement du shadow banking. Il est contradictoire de demander aux banques d'apporter d'énormes montants de collatéral aux chambres de compensation, puis d'exiger d'elles des fonds propres plus importants. On prend alors le risque d'inciter les établissements à céder certaines activités à des entités moins régulées... J'observe également que la Banque centrale européenne mène de nombreuses opérations auprès des banques en ce qui concerne la liquidité. Autrement dit, les contraintes que l'on impose d'un coté aux banques, obligent, de l'autre, à des interventions massives de la part de la banque centrale.

M. Michel Aglietta. - La question de la croissance est énigmatique. Les travaux économétriques menés sur un large panel de pays montrent que l'ouverture financière - l'importance des flux sortants et entrants - n'a pas d'effet sur la croissance potentielle. La croissance récente a été soutenue, au tournant des années 2000, par un endettement rapide des ménages, qui a poussé à la hausse la consommation. Ce fut le cas aux Etats-Unis ou en Espagne. Mais l'instabilité conduit à une croissance toujours plus faible, décennie après décennie.

On a évoqué ici une régulation des comportements, qui interviendrait en amont au lieu de bloquer les prix ou les volumes. Le principe de l'innovation financière, c'est la dissociation des risques - comme la division du travail, dans un autre domaine - et l'élaboration de véhicules appropriés pour transférer ces risques ailleurs. Les options, les swaps, qui portaient sur le risque de volatilité des marchés, étaient un progrès. Mais la création des dérivés de crédit a augmenté le degré d'incertitude. Elle a entraîné différents comportements pervers. D'abord, l'arbitrage régulatoire, c'est-à-dire la transformation de crédits pour échapper aux exigences de Bâle en matière de fonds propres. Il y a là une désutilité sociale : une masse de crédits immobiliers est assise sur des arbitrages régulatoires. Voilà pourquoi il faut une régulation la plus homogène possible. Ensuite, les opérateurs ont pensé que les risques, bien divisés, bien disséminés, diminuaient globalement. Mais ils sont revenus de plein fouet sur les banques.

En réalité, il y a eu une sous-évaluation du risque. Les crédits initiaux étaient revendus immédiatement à des banques d'affaires qui les titrisaient, parfois en chaîne. Asset backed securities, titres dérivés de crédit, puis dérivés au carré, ont produit une masse considérable à partir du crédit initial. Outre la sous-évaluation du risque au départ, le levier de l'endettement a été utilisé à l'excès par les institutions financières, et toute volonté de le réduire se heurtait à un lobby puissant. Les hedge funds ont joué en cette matière un grand rôle, utilisant à fond les effets de leviers, comme le fonds LTCM en 1998, provoquant des faillites, dans les banques commerciales et dans les shadow banks aussi.

Il faut donc réduire l'ampleur des leviers, par exemple en exigeant de la banque qui titrise qu'elle conserve une part importante de ces produits dans son bilan. De cette manière, on réduit le potentiel d'expansion du crédit.

M. Richard Yung. - Je remercie tous les intervenants, qui nous ont apporté des éclaircissements utiles sur des sujets complexes.

Jeudi 19 janvier 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Nomination d'un rapporteur

M. Simon Sutour, président. - J'ai le souci de renforcer notre coopération avec les autres commissions ; nous y parvenons petit à petit.

La commission des affaires culturelles vient de créer un groupe de travail sur l'influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales. En accord avec Mme Blandin, présidente de cette commission, je vous propose de désigner Mme Catherine Morin-Desailly, qui est membre des deux commissions, et qui suit les questions culturelles au sein de notre commission.

Il en est ainsi décidé.

Politique de coopération - Point d'actualité sur l'Union pour la Méditerranée - Communication de M. Simon Sutour

M. Simon Sutour, président. - A propos du printemps arabe, on est tenté une fois de plus de dire que si les peuples font l'histoire, ils ne savent pas laquelle, pas plus que nous d'ailleurs.

Certains parlent déjà d'échec de la politique méditerranéenne de l'Union européenne, mais c'est aller trop vite et trop loin.

Certes la période troublée que connaît la rive sud de la Méditerranée n'aide en rien l'Europe à trouver ses marques ni à agir dans la durée, les récentes élections en Tunisie, en Égypte et même au Maroc, faisant craindre à certains que le « printemps arabe » n'aboutisse à un « hiver islamiste ».

Pourtant, les espoirs qu'ont fait naître les révolutions arabes ont stimulé les Occidentaux, et il ne se passe pas un jour sans que l'Union européenne n'évoque un renforcement de la coopération avec la rive sud. Certains de nos amis méditerranéens - les Marocains en particulier - ne se privent certes plus d'exprimer leurs doutes sur l'efficacité de l'Union pour la Méditerranée et leur préférence pour le dialogue en Méditerranée occidentale dans le cadre dit 5+5, enceinte de dialogue politique informel créée en 1990, consistant en réunions régulières des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur de l'Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Mauritanie, de la Tunisie, de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de Malte et du Portugal. Mais rappelons que les crédits alimentant la coopération avec cette partie du monde provenant du budget européen, leur distribution doit se faire selon des critères établis par l'Union européenne, la mise en oeuvre des projets s'effectuant en principe dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UpM), dont l'Assemblée parlementaire associe l'ensemble des pays de l'UE et des pays riverains du nord et du sud, à la différence de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) où seuls les pays riverains sont représentés.

Tel est du moins le schéma idéal vers lequel il s'agit de tendre, mais qui exige que la transition démocratique soit achevée ou du moins que la situation politique soit stabilisée. Je rappelle, à titre d'exemple, que la Syrie vient de se retirer de l'Union pour la Méditerranée tandis que la Libye y entrait, que certains pays arabes continuent à refuser toute rencontre avec le ministre israélien des affaires étrangères, que la Tunisie envisage de voter une loi lui interdisant d'appartenir à tout organisme international où siègerait aussi Israël, et enfin que le secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée, le deuxième en dix-huit mois, vient de quitter son poste pour rejoindre le nouveau gouvernement marocain alors qu'il avait été nommé il y a seulement six mois, la désignation de son successeur s'annonçant difficile du fait du manque de candidats.

Avant d'évoquer les difficultés politiques résultant de la situation actuelle de la rive sud de la Méditerranée, permettez-moi de rappeler les objectifs actuels et concrets du programme de l'Union pour la Méditerranée.

Son secrétariat général, installé à Barcelone, compte désormais plus de 40 personnes travaillant sur les six secteurs prioritaires identifiés par la déclaration dite de Paris, son budget pour 2012 s'élevant à 6,2 millions d'euros.

S'agissant de la coprésidence de l'organisation, l'Égypte qui l'assurait pour la rive sud a annoncé qu'elle souhaitait passer le relais dans les meilleurs délais ; pour la rive nord, la réflexion se poursuit sur la possibilité de transférer définitivement la coprésidence actuellement confiée à la France, à la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Ashton ès qualités.

Par ailleurs, à l'exception des ministres des affaires étrangères, les membres des gouvernements des pays membres continuent de se rencontrer, les chefs d'État et de gouvernement n'ayant en revanche pas été en mesure de se réunir depuis longtemps, le sommet prévu en 2010 ayant constamment été reporté.

Enfin, les commissions permanentes de l'UpM siègent régulièrement et l'assemblée plénière prévue en mars prochain à Rabat est maintenue, même si la date ne pourra être confirmée qu'en février du fait des élections marocaines.

Quant aux projets de l'UpM, ils sont maintenus et actualisés, les instruments de la politique européenne de voisinage, à titre bilatéral, et de l'Union pour la Méditerranée, à titre multilatéral, devant, conformément aux déclarations des derniers Conseils européens, accompagner la transition et les réformes en cours dans la région.

L'Union pour la Méditerranée doit ainsi mener des projets mobilisateurs en matière économique en faveur de l'évolution de la société - avec des projets portant sur l'enseignement supérieur et sur la promotion du rôle des femmes -, et en matière d'environnement et de mobilité. A moyen terme, il se pourrait d'ailleurs qu'au moins les trois quarts des fonds de l'instrument européen de voisinage et de partenariat soient consacrés aux projets de l'UpM.

En outre, l'Union européenne insiste sur l'importance de la société civile, la Commission ayant d'une part mis en réserve une dotation budgétaire de 2 millions d'euros pour le financement d'actions destinées au renforcement des capacités des acteurs non étatiques et à la promotion des réformes ainsi qu'à l'accroissement de la responsabilité publique, et le commissaire européen à l'élargissement et à la politique de voisinage ayant d'autre part présenté un programme triennal visant à mobiliser et à revitaliser les sociétés civiles ainsi qu'à améliorer leur capacité de participer à la transition démocratique.

On ne saurait donc accuser l'Europe de se désintéresser de cette région du monde, mais ces projets ne peuvent être menés à bien que si les conditions de leur exécution sont réunies.

Or, non seulement la transition démocratique semble loin d'être achevée, mais en outre, dans les pays où des élections libres ont été organisées, les forces neuves issues de la révolution n'ont pas trouvé leur expression dans les urnes, et les partis islamistes sont arrivés en tête et ont obtenu une majorité relative de sièges. Plus généralement, l'action de l'Union pour la Méditerranée est gênée par l'actuelle instabilité des pays du sud.

En effet, si le premier obstacle à l'action de l'UpM demeure le conflit israélo-palestinien, l'organisation ne peut pas intervenir ni fonctionner normalement dès lors que ses principaux membres connaissent des difficultés intérieures et que certains d'entre eux expriment leur doute sur son bien fondé. Je prendrai simplement l'exemple de la dernière réunion de l'UpM, tenue à Vienne, à laquelle j'ai participé, où le représentant égyptien était absent.

Bien que les autorités marocaines s'en défendent, leur scepticisme à l'égard de l'Union pour la Méditerranée ne fait guère de doute, et le fait que le secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée ait accepté le poste de ministre délégué aux affaires étrangères n'a pas surpris.

Quant à la Turquie, portée par des résultats économiques très brillants et une stabilité politique et sociale enviable, elle renforce son statut de puissance régionale, son Premier ministre ayant ainsi réalisé une tournée triomphale dans les capitales arabes où les islamistes modérés se réclament de lui et érigent son pays en modèle. Outre le désir d'apparaître comme un guide plus convaincant que l'Occident pour les pays libérés de la dictature, la Turquie a toujours imaginé, en le regrettant, que son adhésion à l'UpM pourrait faire figure d'alternative à son adhésion à l'Union européenne, et elle fait à l'Europe le procès de vouloir utiliser cette institution pour limiter les migrations.

A ces scepticismes marocain et turc, s'ajoute l'inquiétude de l'Union européenne à l'égard de la Syrie, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et, à un moindre degré, du Maroc.

En Syrie, la révolte contre le régime de Bachar el-Assad se poursuivant malgré la répression meurtrière, l'Union européenne a pris des sanctions et en représailles, le pays s'est retiré de l'UpM. Le spectre d'une guerre civile est aujourd'hui dans tous les esprits, ainsi que les effets qu'elle pourrait avoir sur le Liban, entraînant l'éclatement des deux pays, qui sont de véritables mosaïques confessionnelles, en plusieurs entités religieuses.

En Algérie, le gouvernement fait face à des mouvements de révolte sporadique qu'il semble maîtriser en distribuant l'argent de la rente pétrolière, mais le déséquilibre demeure entre l'oligarchie et l'immense majorité de la population, qui vit dans des conditions difficiles malgré la richesse du pays. Est toutefois plutôt favorable au gouvernement algérien le fait que les islamistes du FIS sont associés à la terreur qui a ensanglanté le pays pendant plusieurs années. Les Algériens préfèrent donc supporter le pouvoir en place plutôt que de connaître à nouveau la guerre civile.

La Tunisie, quant à elle, vient de franchir la première étape de sa transition démocratique par l'élection libre d'une assemblée constituante. Ce scrutin a été remporté par le parti Ennahda, prenant modèle sur le parti AKP turc, qui dirige le gouvernement en coalition avec les sociaux-démocrates et la gauche républicaine.

Bien que n'ayant pas participé - du moins à ses débuts - à la révolution du jasmin, ce parti en est considéré comme le grand bénéficiaire car il apparaît aux yeux des électeurs comme l'adversaire martyr de l'ancienne dictature.

Son succès relatif aux élections continue à susciter la défiance des classes les plus évoluées de la société tunisienne.

En Égypte, le processus électoral achevé le 11 janvier dernier a donné la victoire aux frères musulmans du Parti de la Liberté et de la Justice comparables à Ennahda ou à l'AKP, qui sont en train de former une coalition gouvernementale avec les salafistes, partisans d'un Islam radical. Leur programme est au demeurant flou, leur campagne ayant été basée sur le slogan « l'Islam est la solution ». Interrogée sur l'application de la Charia, la coalition a répondu qu'elle n'était pas encore à l'ordre du jour et il semblerait que la coalition islamiste maintienne son engagement de respecter le traité de paix conclu avec Israël en 1979. Quoi qu'il en soit, la réalité du pouvoir semble encore largement entre les mains de l'armée égyptienne, l'élection présidentielle étant prévue en 2012.

En Libye, depuis la chute du colonel Kadhafi, le Conseil de Transition tente de gouverner le pays et de désarmer les milices. Mais il semble qu'il n'y ait plus d'armée nationale digne de ce nom, et que d'importantes quantités d'armes circulent librement dans le pays, ce qui rend la situation inquiétante et propice au terrorisme.

Au Maroc enfin, les élections qui ont suivi la réforme constitutionnelle lancée par le roi ont porté au pouvoir les islamistes modérés du Parti de la Justice et du Développement alliés à l'Istiqlal, l'ancien parti indépendantiste. Une forme de cohabitation s'est installée entre le roi, qui conserve des pouvoirs importants et le Premier ministre, M. Benkirane, qui n'entend pas se laisser voler sa victoire, certes encore toute relative puisqu'il n'a obtenu que 107 sièges sur 395.

Il est donc naturel que, dans ces conditions, l'action de l'Union pour la Méditerranée reste bridée et que l'Union européenne, tout en saluant le courage de la jeunesse et des classes moyennes qui se sont révoltées et en appelant de ses voeux une démocratisation de la région, s'interroge sur l'avenir dans des domaines aussi essentiels que la stabilité politique et celle des frontières, l'accès aux matières premières, l'endiguement de l'intégrisme religieux, le contrôle des flux migratoires et la garantie des accords militaires et des traités avec Israël.

L'incertitude sur des sujets aussi importants se traduit pour l'Union européenne par un manque de visibilité qui gêne le renforcement de sa politique méditerranéenne, alors que la situation actuelle devrait au contraire l'y encourager.

Telle est la façon, certes pas très optimiste, dont je perçois la situation actuelle de l'UpM. En effet, bien que l'on puisse se réjouir de certaines évolutions, n'oublions pas que l'enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

M. André Gattolin. - Je souhaiterais revenir sur un certain nombre de problèmes terminologiques, à commencer par l'expression même de « printemps arabe » qui préjuge d'une suite qui ne pourrait être qu'un été démocratique, alors que l'évolution actuelle conduit à plus de prudence. J'ai des réserves sur l'expression d'« hiver islamique » que vous avez employée : les évènements que nous avons connus s'apparenteraient alors davantage à un automne qu'à un printemps. Je crois que nous ne devons pas employer des expressions qui suggèreraient des évolutions inéluctables, dans un sens ou un autre, alors que le processus en cours est ouvert.

De même, il me semble plus juste de préférer l'adjectif d'islamique à celui d'« islamiste », l'imposition de la Charia n'étant pas encore envisagée. Là encore, n'anticipons pas trop.

J'ajoute enfin que l'expression « Révolution de jasmin » est refusée par les Tunisiens de toutes opinions, cette fleur étant d'abord associée aux touristes étrangers.

Après avoir trop facilement cédé aux facilités du vocabulaire journalistique, nous devons être plus prudents et laisser sa chance au débat démocratique dans ces pays.

M. Richard Yung. - Je partage la vision assez pessimiste de la présentation qui nous a été faite dans la mesure où sous l'effet d'une accumulation de problèmes, cette pauvre organisation qu'est l'UpM, qui reposait pourtant sur une idée intéressante, n'est jamais parvenue à trouver sa place. Aux difficultés politiques dues à son parrainage par les présidents Ben Ali et Moubarak, se sont ajoutés des problèmes de fonctionnement. Après qu'un premier secrétaire général s'est révélé inadapté au poste, le second n'est resté que quelques mois. La capacité financière est inexistante, le budget de 6 millions d'euros étant essentiellement consacré aux dépenses de personnel. Au final, l'UpM est une sorte d'agence de financement à la recherche de fonds essentiellement communautaires pour réaliser ses projets. Certes, l'organisation affirme que sa spécificité est d'accueillir à la fois des représentants d'Israël, de la Palestine et des pays arabes, mais ce n'est tout de même pas grand-chose de concret.

Pour l'avenir, il me semble que l'UpM aurait vocation à être absorbée par l'Union européenne dont elle deviendrait le bras séculier dans la région.

M. Simon Sutour, président. - L'un des apports de cette institution est tout de même qu'elle constitue un lieu d'échanges et de confrontations entre les représentants des différents pays de la région, notamment entre les pays européens non riverains de la Méditerranée et les pays du sud. C'est un aspect important mais bien entendu insuffisant, alors que la conduite des projets de l'organisation laisse ouvertes un grand nombre de questions quant à ce que l'Europe veut faire dans cette région et sur la forme que pourrait prendre son action. Quant aux difficultés institutionnelles que rencontrent plusieurs pays membres, elles ne font que compliquer la mise en oeuvre de ces projets.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le récent rapport de la situation en Egypte qui a été fait par notre ambassadeur, M. Jean-Félix Paganon, dans le cadre du groupe interparlementaire d'amitié, insistait sur l'extrême pauvreté qui, à la différence de la situation en Tunisie ou au Maroc, affecte les deux tiers du pays, alors même que ses perspectives économiques s'assombrissent. Tout ceci fait craindre une islamisation du pays par le haut, l'inscription de la Charia dans la nouvelle constitution paraissant probable. Ce contexte est évidemment loin d'être favorable à l'UpM, institution de surcroît associée au souvenir du président Moubarak.

Mme Bernadette Bourzai. - Je me demande ce que l'UpM a apporté par rapport au processus de Barcelone dont nous avions déjà eu l'occasion d'apprécier les limites.

M. Simon Sutour, président. - Elle a apporté une institutionnalisation de la démarche.

Mme Bernadette Bourzai. - Pour le reste, je partage l'inquiétude relative à la situation économique et sociale extrêmement grave de ces pays. J'ai souvenir d'une réunion tenue il y a bien longtemps au Parlement européen, où il avait été fait état de la nécessité de développer massivement l'agriculture des pays méditerranéens pour faire face à leur croissance démographique ; je crains que les choses ne se soient pas améliorées et que la situation actuelle ne les rende encore plus difficiles.

M. Alain Richard. - En politique, on finit toujours par payer son ardoise. Or l'UpM est entachée du pêché originel d'avoir été une manoeuvre diplomatique française destinée à compenser le refus de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Tout ceci a abouti à la construction d'un schéma institutionnel extrêmement compliqué à laquelle beaucoup d'énergie et quelques crédits ont été consacrés, sans capacité opérationnelle et ne reposant que sur un désir d'appartenance extrêmement limité des membres. On y a de surcroît ajouté une belle erreur diplomatique en proposant initialement, sous l'influence d'un conseiller particulièrement éclairé, de baptiser cette institution du nom d'Union méditerranéenne, laissant entendre que cette appartenance était concurrente avec l'appartenance à l'Union européenne.

C'est dans ce cadre que la mise en mouvement politique des pays du sud n'a pu qu'accentuer la paralysie de l'UpM, la question désormais étant de savoir si l'on s'acharne sur ce projet ou si l'on transforme cette organisation en un programme de l'Union européenne en direction de la région. Celui-ci ne comporterait, compte tenu du poids politique de l'Europe et des difficultés de la région, qu'un nombre minimum d'objectifs politiques, assortis bien entendu, d'une contrepartie financière. Je pense qu'une telle option serait dans l'intérêt des diplomaties française et européenne.

M. Richard Yung. - Je sais qu'il existe par exemple un projet de transformation de l'UpM en une banque d'investissement régionale sur le modèle de la banque africaine de développement, tout en maintenant cette spécificité d'associer Israéliens et Palestiniens.

M. Alain Richard. - Ce pourrait être une sortie élégante.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Cela donnera du travail aux agences de notation !

M. Alain Richard. - Mais pour être noté il faut avoir signé un contrat avec les agences !

M. Simon Sutour, président. - Voici une excellente transition avec le point suivant de notre ordre du jour relatif à la régulation financière.

Economie, finances et fiscalité - Régulation des marchés financiers (textes E 6748 et E 6759) - Proposition de résolution européenne de M. Richard Yung

M. Simon Sutour, président. - En introduction de ce point sur la régulation financière, je souhaiterais rappeler que nous avons participé hier à une table ronde qui, outre le fait de nous donner l'occasion de nous associer pour la première fois avec la commission des finances, nous a valu d'entendre des choses très intéressantes, dont notamment les propos de la représentante de l'agence de notation Standard & Poor's.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les crises récentes ont révélé la faiblesse de la réglementation et de la régulation des marchés financiers. Certes, les différentes réunions du G20 qui se sont succédées après la crise de 2008 ont conduit à adopter certaines mesures, mais finalement, pensant que nous étions sortis de la crise, nous sommes progressivement devenus moins actifs sur ces sujets.

C'est dans ce contexte qu'un poids gigantesque a été pris par les marchés des produits dérivés, produits financiers basés sur un produit réel dit sous-jacent qui peut être par exemple une action, le cours d'une matière première ou encore un indice des prix. Ces produits qui présentent l'avantage de nécessiter des mises de fonds beaucoup moins importantes que l'achat du produit sous-jacent ont été conçus pour que les différents acteurs économiques puissent transférer le risque et se prémunir ainsi contre l'évolution défavorable du cours d'un actif. Or c'est à partir d'eux que se sont développées des bulles spéculatives qui atteignent aujourd'hui un montant total évalué à 600 000 milliards de dollars, soit douze fois le PIB mondial. Ces montants invraisemblables s'expliquent par le fait qu'il s'agit de contrats basés sur des contrats, eux mêmes basés sur des contrats, une telle construction constituant bien entendu un facteur de risque considérable.

Face à cette situation, l'Union européenne a pris de nombreuses initiatives en matière de régulation des marchés, la proposition de résolution que je vous présente portant sur deux d'entre elles : le règlement dit EMIR visant à réguler le marché des produits dérivés négociés de gré à gré, et la révision de la directive relative aux marchés d'instruments financiers dite « MIF II ».

La réglementation en vigueur, dite « MIF I », qui régit aujourd'hui les produits des sociétés d'investissement et les bourses traditionnelles, a favorisé la libéralisation des marchés européens. Elle a ainsi conduit à une modification importante de l'organisation des marchés financiers. Ils sont en constante évolution, comme l'a montré l'échec de la fusion de la bourse de New York (NYSE) avec la bourse de Francfort après l'avis négatif de la Commission européenne.

La directive MIF I a supprimé la règle de concentration des ordres d'achat et de vente sur les marchés aux termes de laquelle la confrontation entre l'offre et la demande doit être réalisée en un lieu unique. Le monopole des bourses traditionnelles a ainsi disparu au bénéfice de multiples plateformes d'échange sur lesquelles il est devenu possible de vendre et d'acheter des actions. Ces plateformes doivent offrir la transparence des prix et des quantités échangées, mais il existe de nombreuses plateformes, disons dissidentes, qui sont beaucoup plus opaques.

Le projet de directive que nous examinons reconnait quant à lui deux catégories de marchés qui sont, d'une part, les marchés réglementés, dont les bourses traditionnelles, dans lesquels la confrontation de l'offre et de la demande est soumise à une exigence de transparence, et d'autre part, les systèmes multilatéraux de négociation (SMN), plateformes spécialisées dans la négociation de certains titres, comme le cours d'une matière première par exemple, également soumises à certaines obligations de transparence. L'ensemble de ces marchés offrent donc des garanties d'accès non discriminatoires et des règles de libre concurrence.

J'ajoute que la directive MIF 1 avait aussi créé un statut hors marché organisé pour les intermédiaires financiers, dénommés « internalisateurs systématiques » destiné à des sociétés d'investissement exécutant les ordres de leurs clients tout en étant eux-mêmes partie prenante à ce marché.

Or, force est de constater que, malgré ces exigences de transparence, le fonctionnement de ces marchés ne s'est pas révélé efficace : le bilan de cette première directive apparait donc décevant.

En effet, les obligations de transparence pré- et post-négociation appliquées aux marchés réglementés et aux systèmes multilatéraux de négociation ne concernaient pas les bénéficiaires des nombreuses dérogations que la directive laissait subsister. Ceci a conduit à un transfert d'une large partie des activités financières des marchés transparents vers des systèmes plus opaques, non réglementés tels que les « dark pools », c'est-à-dire des systèmes de négociation qui garantissent l'anonymat aux clients. Ils sont aujourd'hui en plein développement et on les justifie au motif, extrêmement curieux me semble-t-il, que cet anonymat contribuerait à ne pas troubler les marchés. Des « crossing networks », ou réseaux croisés, se sont développés, qui réalisent le même type d'opérations sans publication ni transparence. Parallèlement, la passation automatique des ordres de bourse s'est diffusée ainsi que le trading  à haute fréquence qui repose sur des modèles informatisés programmant des opérations à un rythme de l'ordre de la nanoseconde, ce qui aboutit à conférer le contrôle des marchés aux concepteurs de ces systèmes, écartant ainsi l'immense majorité des clients de la compréhension de leur fonctionnement réel.

Précisons enfin, qu'aujourd'hui, les produits dérivés sont, pour plus de 80 % d'entre eux, échangés « Over the counter » (OTC), c'est-à-dire sous forme de négociations de gré à gré en dehors des marchés réglementés ou des plateformes contrôlées.

Aussi est-il indispensable de faire évoluer la régulation des marchés en complétant la législation, ce qui est l'objet de la révision de la directive. Il s'agit notamment d'assurer un fonctionnement efficient des marchés, de renforcer la protection des investisseurs, de réduire les risques, ou encore d'étendre le champ de la régulation au-delà des seules actions. Or, sur ce dernier point, je relève qu'un communiqué de presse de M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers (AMF), publié hier préconise que toutes les transactions sur les produits dérivés basés sur des actions - mais seulement les dérivés d'actions et non des autres sous-jacents - transitent désormais par des plateformes organisées. La révision de la directive doit également permettre d'éviter les risques systémiques, par un contrôle accru sur ces produits dérivés devenus de véritables bombes pour nos économies.

Le texte propose également une redéfinition des frontières entre le marché de gré à gré et le marché organisé afin de couvrir un plus grand nombre de transactions. Autrement dit, il s'agit d'essayer de ramener, au sein des marchés régulés, une partie des opérations qui échappent à tout contrôle, en créant une nouvelle catégorie de système de marché : les OTF ou « organised trading facilities ».

La proposition comporte l'obligation de négocier sur des marchés organisés soumis à des obligations de transparence les produits dérivés désignés par l'autorité européenne des marchés financiers (AEMF), chargée de coordonner les opérations et les pratiques de chaque superviseur national.

Deuxième ambition du texte : une obligation accrue de transparence, étendue aux produits dérivés. Les exemptions seront soumises à l'accord préalable de l'AEMF. Les trous ouverts dans la législation seront-ils assez importants pour que continuent à se développer des marchés non transparents ? Le texte préconise le regroupement en un seul lieu de l'ensemble des données de marché, afin de donner aux investisseurs et aux superviseurs une vue d'ensemble, c'est ce que l'on appelle consolidated tape. Les Américains le font. Ils ont monté un système coopératif entre participants à cet effet et disposent d'un organisme pour gérer cela. Il est souhaitable que l'Europe s'y mette.

Troisième ambition : un contrôle renforcé des nouvelles pratiques de marché. La proposition prévoit une obligation d'informer les régulateurs nationaux. Sera-ce un voeu pieux ? Les équipes qui font les programmes sont extrêmement pointues ; nombre de ces spécialistes viennent de l'école polytechnique... Aujourd'hui, les ingénieurs ne construisent plus de ponts, mais conçoivent des programmes informatiques.

Le texte confère aux autorités de surveillance nationales le pouvoir d'interdire certains produits, services et pratiques : espérons, là aussi, que ce sera autre chose qu'un voeu pieux !

Le problème des chambres de compensation a été évoqué plusieurs fois hier. C'est à travers elles que seront donc compensées les transactions sur produits dérivés. La chambre de compensation à l'ancienne, c'est cette pile de chèques que l'on regroupe, en fin de journée, selon les banques qui les ont émis, afin de consolider, pour chaque banque, un solde des transactions. L'idée est de faire de même avec les produits dérivés. Les chambres de compensation assurent le risque de contrepartie, puisqu'il faut, en fin de journée, dénouer les positions, pour ne pas  rester avec un déséquilibre. Une partie des risques est donc transférée aux chambres de compensation. Il est imaginable qu'un jour, l'une d'elles se trouve dans une situation difficile, voire de défaut, si l'un des grands acteurs se déclare lui-même en défaut. La banque ne serait pas alors la seule à sauter, la chambre de compensation sauterait aussi. Il faudrait alors que les membres des chambres de compensation prennent leurs responsabilités mais qu'un adossement de ces chambres de compensation à la BCE permette d'assurer la liquidité. C'est le cas aux Etats-Unis où elles sont adossées à la FED. J'ai demandé si cela faisait partie des missions de la BCE, puisque j'ai cru comprendre que la définition de celles-ci pouvait poser problème...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Vous avez posé la question à Angela Merkel ?

M. Richard Yung , rapporteur. - Elle n'était pas à la table ronde, contrairement à M. Jouyet, qui a déclaré que cela était nécessaire. Nous devons donc être vigilants sur le mécanisme de surveillance et de gouvernance des chambres de compensation, mais en elles-mêmes elles marquent un progrès.

L'obligation de transparence est renforcée par celle de déclarer davantage d'informations.

Globalement, le texte de la commission s'efforce de tenir compte des enseignements de l'expérience, de ce qui n'a pas marché, pour instaurer plus de transparence et de liquidité et réduire le nombre d'exceptions.

Il est crucial de faciliter l'accès des PME à des marchés extrêmement sélectifs, dominés par les grandes institutions financières et les grandes entreprises. La PME de Bergerac de moins de 200 salariés ne se sent pas concernée !

L'encadrement accru est un point clé. Les autorités de surveillance doivent avoir les moyens de mener à bien leur action. M. Maijoor, le président de l'Autorité européenne des marchés financiers, m'a dit hier qu'il ne disposait que de 40 personnes, là où la SEC américaine en a 4 000. C'est une idée que nous reprenons dans notre proposition de résolution.

M. Jean Bizet. - Je salue votre travail sur ce dossier complexe. Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition de résolution. Le point n°16, sur l'accès des PME aux marchés financiers, mériterait à lui seul un rapport. Les règles de Bâle 3 ont pour conséquence, et j'ai interpellé les ministres à ce sujet, de rendre l'accès des PME aux crédits bancaires plus difficile.

Il y a des distorsions de concurrence importantes à cet égard entre les Etats-Unis et l'Europe. C'est une question de culture : les entreprises américaines vont d'emblée vers les marchés pour se financer, en France on va voir son banquier. Il y a là toute une culture à changer ; il y aurait sans doute des propositions à faire en ce sens. Sans doute cela n'appelle pas de modification de la résolution, mais c'est une question à creuser, au moment où de plus en plus de chefs d'entreprises se plaignent, dans nos départements, de banquiers qui eux-mêmes se retranchent derrière les obligations plus fortes auxquelles ils sont soumis.

M. François Marc. - Merci pour votre exposé sur ce sujet d'actualité, qui a fait l'objet de débats depuis plusieurs années. Il est vrai que nous constatons l'ingéniosité croissante à l'oeuvre dans le domaine financier en général et dans celui des transactions financières en particulier. Il est inquiétant que les meilleurs ingénieurs de nos écoles se voient proposer des contrats de travail rémunérés le double s'ils vont dans certains établissements financiers, plutôt que dans des entreprises à vocation industrielle ou de travaux publics, alors que d'autres secteurs, comme celui des télécommunications, majeur pour l'innovation, ont du mal à recruter.

Néanmoins, ces produits ont une vertu : ils apportent de la fluidité aux marchés. Les transactions financières ne doivent donc pas susciter que des critiques et Dieu sait si l'on a bien besoin de liquidités aujourd'hui ! Le problème tient à ce qu'ils s'intègrent dans une logique spéculative. Il faut trouver des parades. J'ai participé à l'examen de la transposition en droit français de la directive européenne sur les marchés et les instruments financiers avant la crise financière. A l'époque, les contraintes nous paraissaient maigres. Nous voyons bien leurs faiblesses aujourd'hui. « MIF II » apporte-t-elle des solutions satisfaisantes ? Il ne semble pas. « MIF I » c'était en 2007, aujourd'hui, il faut mettre plus de barrières. Par sa nature même, l'industrie financière cherche, par la spéculation, à vivre dans une certaine obscurité, en se fondant sur la rétention d'informations. Le principe même de la spéculation financière est d'éviter que l'information soit captée progressivement par d'autres. Ce n'est pas la loi qui pourra seule modifier ces comportements. « MIF II » ne va pas assez loin. Jean-Pierre Jouyet nourrit les mêmes inquiétudes : il se posait hier beaucoup de questions. Je souhaiterais une résolution plus musclée, afin que la France ait une ambition plus forte que ce qui nous est proposé aujourd'hui.

Certes, la proposition de résolution, en son point n°9, « souligne l'importance de la qualité de l'information et de la transparence des marchés », mais il y a des barrières à mettre en place, de façon plus exigeante. Je retire de nos échanges avec M. Jouyet le sentiment qu'il faut monter en puissance.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Il serait également intéressant de solliciter Michel Barnier...

M. Simon Sutour , président. - Nous sommes en attente d'une date...

M. Alain Richard. - Cette proposition de résolution est très bonne, tout en étant pleine de litotes, ce qui est logique. Une résolution de la commission des affaires européennes n'a pas vocation à lancer des imprécations ou à montrer tous les vices intrinsèques de ce système économiquement prédateur. Nous sommes dans une évolution économique internationale, qui concerne essentiellement les pays développés, de façon disproportionnée, porteuse de déséquilibres considérables, puisque ce développement des échanges financiers instantanés n'atteint pas au même degré les grands pays émergents. Cela est souvent expliqué, non sans condescendance, par un moindre progrès des techniques financières. Il me semble qu'une prise de conscience est en cours. Le document qui nous est soumis montre que nous sommes en train de faire de petits progrès, à partir d'une prise de conscience partagée entre Européens, ce qui n'est pas facile, des dangers que fait peser sur notre équilibre économique et social le développement de ces systèmes d'échanges instantanés. La proposition marque un pas par rapport aux préconisations d'autoréglementation des lobbys. La proximité du précipice de 2008, plus encore aux Etats-Unis, permet de leur répondre qu'on a vu ce que cela donne, mais nous en sommes encore à la préhistoire de la régulation interétatique.

Je suggère de dire que ce dont nous parlons ne peut qu'être une étape. Il faudra forcément y revenir, en fonction des capacités à limiter un développement que je qualifierais de cancéreux, toxique, d'un système insuffisamment régulé.

Je ne vois pas d'obstacle à la mention de l'accès des PME aux marchés. Mais nos amis allemands, que nous considérons comme un modèle en matière de contribution des PME à la croissance, s'en passent très bien. Est-ce le moment d'expliquer aux PME qu'elles doivent fréquenter des marchés dont la régulation suscite bien des interrogations ?

M. Yann Gaillard. - C'est inquiétant !

M. Alain Richard. - Pour moi, c'est la forêt de Bondy ! N'incitons pas des gens à s'y promener sans un minimum de précautions préalables. Je propose de rédiger ainsi ce point : « Estime indispensable et urgent de développer activement les modalités d'accès des PME européennes à des marchés adaptés à leur situation ».

M. Pierre Bernard-Reymond. - Ne devons-nous pas aussi faire prendre conscience aux PME qu'elles doivent s'organiser et réfléchir à des actions communes ? Nous ne pouvons pas imaginer que le nouveau système les accueille en tant que PME individuelles. Le monde des PME doit réfléchir à son organisation, afin d'obtenir un minimum de puissance et de compréhension de ce système des marchés financiers.

Ce sont des questions très difficiles et techniques. J'avoue avoir du mal à juger le point où nous en sommes par rapport à un système satisfaisant, comme j'ai du mal à évaluer la capacité des acteurs de ces marchés à imaginer les contrepoids aux réglementations que nous espérons mettre en place. Il faudrait donc voir, du point de vue de ceux qui sont au coeur de l'élaboration de ces règles, quelle partie du parcours nous avons accompli, par rapport à un objectif idéal. Où en sommes-nous, par rapport à 2007, et sur le chemin de ce que vraisemblablement nous ne pourrons atteindre avant deux ou trois ans ?

M. Jean Bizet. - Les PME allemandes sont beaucoup plus grandes que les françaises ; elles s'appuient sur un capital familial, qui est le fruit de toute une histoire...

M. Alain Richard. - Leur financement est largement bancaire.

M. Jean Bizet. - Quel est l'avenir des banques allemandes aujourd'hui ? En réalité, vos remarques, celles de Pierre Bernard-Reymond et les miennes sont complémentaires. Nous avons intérêt à creuser ce problème. J'ai été interpellé par les PME dans mon département, qui craignent que l'accès au crédit bancaire soit beaucoup moins aisé demain qu'hier. Il faut anticiper. Notre commission, avec la commission des finances et celle des affaires économiques, peut examiner ce problème, au moment où la réindustrialisation du pays et la convergence franco-allemande s'imposent.

M. Simon Sutour , président. - Nous avons prochainement une table ronde sur le sujet des banques avec la commission des finances.

M. Alain Richard. - Il conviendrait d'attirer l'attention des intervenants sur cette dimension.

M. Simon Sutour. - Son programme est en cours d'élaboration.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Quel en est le thème ?

M. Richard Yung , rapporteur. - Les nouvelles règles prudentielles de « CRD IV », les leviers de liquidité, les ratios...

La directive évoque les PME, mais sans être très concrète. La réalité est que les PME n'accèdent pas ou peu à ce type de produits. Sauf exception, un directeur régional de banque n'aura pas les compétences en la matière, que seules dominent de petites équipes parisiennes. Il est vrai que la référence que nous faisons dans la proposition de résolution est un peu formelle. Vous nous dites que ce n'est pas assez, mais c'est tout le problème de ce texte : soit nous le critiquons radicalement, mais ce n'est plus notre culture depuis longtemps, soit nous le prenons tel qu'il est, en reconnaissant qu'il marque un progrès, certes pas très satisfaisant, mais dont nous espérons qu'il introduise un peu plus de transparence et de régulation. Il est vrai que M. Jouyet n'était pas très enthousiaste. Lorsque je l'ai interrogé sur ce qu'il proposait, il a concédé que la proposition allait tout de même dans la bonne direction. Tous ces textes sont soumis au lobbying des institutions financières, très organisées et puissantes, qui ont réussi à bloquer l'essentiel de la proposition de réglementation faite par le président Obama il y a déjà un an. Soyons résolus mais modestes !

M. Yann Gaillard. - Vous avez fait un travail remarquable, mais je suggère de mentionner au point 16 le renforcement des moyens de protection des PME. Nous pourrions demander à l'autorité des marchés financiers de créer un service d'accueil et de conseil aux PME et aux collectivités locales.

M. Alain Richard. - Lauréat du « prix de la carpette anglaise » décerné par un jury de râleurs, parce que j'avais signé un document préconisant que les membres du Corps européen (« Eurocorps ») puissent communiquer entre eux en anglais, je suggère de remplacer, au point n°11 de la proposition de résolution, les mots « consolidated tape » par « registre électronique exhaustif ».

Au point n°14, il conviendrait, pour sécuriser financièrement les chambres de compensation, d'obliger les participants à y mettre du collatéral...

M. Richard Yung , rapporteur. - C'est ce que nous faisons au point n°15.

M. Alain Richard. - En effet ! Le point n°16, après réflexion, pourrait être rédigé ainsi : «  Estime indispensable et urgent de développer activement les modalités d'accès des PME européennes aux marchés financiers adaptés à leur situation ».

M. Simon Sutour, président. - Je crois que nous pouvons intégrer dans la proposition de résolution les différentes préoccupations qui se sont exprimées.

M. Richard Yung , rapporteur. - Ce n'est qu'un texte d'étape, nous pourrons le revoir dans quelques mois.

M. Simon Sutour, président. - Sous ces réserves, je vous propose d'adopter la proposition de résolution.

*

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (E 5645) ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers, abrogeant la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil (E 6759) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant le règlement sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (E 6748) ;

Partage les objectifs retenus en terme d'efficience et d'intégrité des marchés financiers mais souhaite que leur apport au financement de l'économie soit accru ;

Souligne les avancées significatives en terme de régulation des marchés financiers que constituent les propositions E 5645, E 6759, E 6748 tout en considérant qu'elles ne peuvent constituer qu'une étape ;

Rappelle, à cet égard, la nécessité d'une harmonisation internationale des régulations et d'une coopération entre autorités de surveillance ;

Souligne l'importance essentielle de la qualité de l'information et de la transparence des marchés ;

Considère, en conséquence, que les dérogations à la transparence pré et post négociation doivent être limitées ;

Soutient la solution d'un registre électronique exhaustif (consolidated tape) confié à un opérateur unique à même d'assurer la consolidation indispensable de l'information pré et post négociation ;

Estime que le succès des systèmes organisés de négociation (Organised Trade Facilities - OTF) proposés par le projet de révision de la directive concernant les marchés d'instruments financiers dépendra en partie de la qualité de l'administration de ces marchés et des garanties apportées dans les échanges ;

Souligne le caractère systémique des chambres centrales de compensation (CCP) ;

Estime, en conséquence, qu'une attention particulière doit être portée à la gouvernance, aux conditions d'accès pour les utilisateurs, à la supervision et à l'accès à la liquidité des chambres de compensation ;

Rappelle que les membres des chambres de compensation doivent prendre leurs responsabilités en cas de défaut, l'adossement à la BCE traitant le risque de liquidité ;

Estime indispensable et urgent de développer activement les modalités d'accès, dans des conditions sécurisées, des PME européennes à des marchés financiers adaptés à leur situation ;

Considère nécessaire de renforcer l'encadrement des pratiques mettant en péril l'intégrité des marchés financiers et notamment les transactions sur base d'algorithmes (trading algorithmique) ;

Souhaite, en conséquence, que soient développés la limitation de la décimalisation, l'imposition d'une latence minimale dans la transmission des ordres, l'application de taxations et de tarifs spécifiques à ces transactions ;

Souligne le rôle central et unique de l'Autorité européenne des marchés financiers dans l'efficacité de la régulation européenne des marchés ;

Considère, en conséquence, que davantage de pouvoir d'intervention et de sanction, en coordination avec les régulateurs nationaux, ainsi que des moyens adéquats doivent lui être alloués.