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Mercredi 8 février 2012

- Présidence de M. Simon Sutour -

Audition de M. Jean-Claude Mignon, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

M. Simon Sutour, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Jean-Claude Mignon, qui vient d'être élu pour deux ans président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Cette élection pourrait être l'occasion, espérons-le, de mieux faire prendre en compte par le Parlement français les travaux de l'Assemblée du Conseil de l'Europe. Il serait notamment utile que nous puissions tirer profit de l'expertise du Conseil de l'Europe lorsque nous nous interrogeons sur l'évolution de certains pays européens, je pense par exemple à la Hongrie ou encore à l'Ukraine.

Votre élection pourrait également, nous sommes nombreux à le souhaiter, être l'occasion de progresser vers une meilleure liaison entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, en parvenant à plus de cohérence et de complémentarité, alors qu'on a parfois le sentiment d'une concurrence. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai invité nos collègues membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à participer à cette réunion.

Monsieur le Président, je vous donne la parole.

M. Jean-Claude Mignon, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. - Je tenais au préalable à saluer la présence de mes collègues de la délégation française. Vous avez rappelé à l'instant mon élection récente à la tête de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Celle-ci est le fruit d'un véritable travail d'équipe mené par l'ensemble de la délégation depuis environ cinq ans. La France a su se faire entendre dans l'hémicycle et au sein des commissions qui composent l'Assemblée, au point d'y apparaître comme le premier de ce qu'on peut appeler les « grands pays membres » du Conseil de l'Europe.

Je me réjouis de cette invitation à venir m'exprimer devant vous, car cela me paraît s'inscrire dans la logique de ce que j'ai toujours défendu, à savoir la nécessité de liens plus étroits entre l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et les parlements nationaux. Des réunions comme celles d'aujourd'hui n'ont rien d'exceptionnel chez nos voisins européens.

Nous sommes, en effet, mandatés par nos assemblées respectives pour siéger à Strasbourg. Il est logique que nous en rendions compte à nos mandants et que nous sollicitions leur appui pour faire avancer les projets et idées défendus par cette Assemblée paneuropéenne regroupant 47 parlements nationaux.

Un exemple bien connu de l'intérêt de cette coopération est l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Certains parlements nationaux jouent déjà un rôle important dans ce domaine, ne serait-ce au minimum qu'en exigeant de leurs gouvernements un rapport annuel sur ce sujet et en lui demandant de justifier de la bonne application des décisions de la Cour. J'ai ainsi relevé des pratiques très positives aux Pays-Bas, en Finlande, en Italie, en Allemagne ou en Suède. Pourquoi ne pas faire de même en France ? Je vous rappelle d'ailleurs que la Cour était présidée jusqu'en octobre dernier par le Français Jean-Paul Costa.

L'intérêt pour ce que fait le Conseil de l'Europe me semble d'autant plus nécessaire et légitime que ses travaux ne sont pas des affaires étrangères aux 800 millions d'Européens. Que l'on en juge par quelques exemples :

- La Direction européenne de la qualité du médicament, dite aussi Pharmacopée. Qui connaît le rôle qu'elle joue dans le contrôle du contenu des médicaments, y compris en Asie où l'on produit l'essentiel de ceux mis sur le marché ?

- Le Comité de prévention de la torture (CPT) dont le rôle dans l'amélioration des conditions de détention dans les lieux de privation de liberté est incontestable. Nous nous en sommes inspirés pour créer en France le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Et le référentiel en ce domaine, les règles pénitentiaires européennes, est l'oeuvre du Conseil de l'Europe ;

- Le Groupe Pompidou. Parmi les nombreux problèmes de société auxquels nous devons faire face, le trafic de drogue n'est-il pas l'un des plus graves ? A l'évidence, il ne peut être résolu au niveau national. Ce groupe est d'ailleurs présidé par un Français, Etienne Appaire, que j'inviterai prochainement à intervenir devant la Commission permanente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Je ne vais pas multiplier à l'infini les exemples mais ils sont nombreux. On est tout de même loin de l'agence de voyages à laquelle François Mitterrand assimilait le Conseil de l'Europe.

J'ajoute qu'au-delà de cet aspect normatif, les prises de position de l'APCE, sous forme de résolutions ou de recommandations, ne sont pas dépourvues de portée. L'APCE a joué ainsi un rôle décisif dans l'abolition de la peine de mort. Nous ne devons pas sous-estimer l'impact qu'a cette Assemblée dans la construction d'une doctrine internationale sur des sujets de société. J'en veux pour preuve les débats acharnés qui ont animé notre Assemblée sur des sujets de société comme l'objection de conscience des personnels médicaux ou la burqua.

Je me réjouis donc de la réussite d'une organisation qui réunit dans cette action la Russie et la Turquie, preuve s'il en est de la pertinence du champ géographique de notre organisation. S'y ajoute une fructueuse coopération avec des pays arabes voisins de notre continent.

Certes, nous devons aussi être plus visibles. Pour cela, je m'efforcerai de redonner toute leur pertinence politique à nos débats, en réduisant le nombre de thèmes et en les insérant au mieux dans l'actualité. Efforçons-nous de réagir en temps réel sur les événements qui secouent le monde, si possible en faisant en sorte que l'organisation parle d'une seule voix, avec par exemple des prises de positions communes du Secrétaire général, du Président du Comité des Ministres et du Président de l'Assemblée.

Prenons l'exemple du monde arabe. L'APCE a pleinement qualité pour s'exprimer sur ce sujet. Israël est observateur et nous avons récemment accordé le statut de partenaire pour la démocratie au Conseil national palestinien. Et les deux se parlent à Strasbourg ! L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a d'ailleurs été la première institution internationale à admettre en son sein le Conseil national palestinien en 2011, avant l'UNESCO. Nous avons également accordé ce statut au Parlement marocain.

Au-delà, je voudrais que nous n'ayons aucun tabou, que nous n'hésitions pas à nous attaquer à des sujets brûlants. Ma première priorité sera les conflits gelés, dont Chypre. Je tiens à me rendre sur cette île avant que ne s'ouvre la présidence chypriote de l'Union européenne. Je souhaite aussi me pencher sur la question de la Transnistrie, la Moldavie devrait d'ailleurs être le lieu de mon premier déplacement en tant que président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il est également indispensable de vérifier la conformité des engagements pris par les Russes à l'égard de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe en ce qui concerne l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie.

Il nous faudra aussi nous pencher sur le cas d'un certain nombre d'États européens, membres ou non de l'Union européenne, dont on peut parfois douter qu'ils respectent pleinement les valeurs démocratiques qui sont les nôtres. J'ai suivi au nom de la commission de monitoring de l'APCE l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine, dont la Constitution s'avère aujourd'hui être un obstacle de taille à son développement. Il conviendra également de se pencher sur le cas de la Macédoine et tenter de trouver une solution à la querelle entretenue avec la Grèce sur son nom.  

J'ai donc l'intention de me rendre en Ukraine si le Gouvernement de ce pays me garantit que je pourrai rendre visite à Mme Tymoschenko, dont le sort nous préoccupe tous. Sans préjuger des charges retenues contre elle, ses conditions de détention semblent inacceptables au regard des valeurs du Conseil de l'Europe. Je souhaite être accompagné sur place du nouveau commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muiúnieks, qui a été élu en janvier par l'APCE.

Autre priorité de ma présidence, l'amélioration des relations avec l'Union européenne. Je crois profondément que nos deux organisations sont complémentaires et non concurrentes. Une passerelle nous sépare du Parlement européen et pourtant, notre voisin nous ignore. Il ne faut plus, comme l'avait écrit un jour Jean-Claude Juncker, que l'Union européenne traite le Conseil de l'Europe comme une ONG. Je vais donc, dès ce mois, entreprendre des démarches en ce sens auprès des principaux dirigeants du Parlement européen. M. Juncker sera, par ailleurs, invité à s'exprimer devant notre Assemblée.

Ensemble, nos deux organisations peuvent faire progresser cette idée merveilleuse qu'est l'Europe. Je regrette, à ce titre, que le Conseil de l'Europe n'ait pas été consulté au moment de l'élargissement de l'Union européenne, pour faire notamment un point concernant le respect de l'ensemble des critères relevant de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme. Les excès que nous constatons ici et là, je pense à la Hongrie que vous avez évoquée dans votre intervention Monsieur le Président, auraient pu être de la sorte évités.

Pour autant, agissons rationnellement et évitons à tout prix, en ces temps de crise, les doubles emplois et les redondances. Pourquoi refaire au niveau de l'Union européenne, à grands frais, ce que le Conseil de l'Europe fait déjà fort bien ? L'Union européenne a tout d'abord créé une Agence des droits fondamentaux à Vienne, puis une autre agence à Vilnius, et maintenant l'on veut créer un Fonds européen pour la démocratie à Varsovie. Ce Fonds duplique ni plus ni moins le Conseil de l'Europe. La proposition de résolution que j'ai déposée à l'Assemblée a pour objet de prendre une position de principe sur ce sujet et envoyer un double message. A nos gouvernements, quels qu'ils soient et quel que soit le pays, ne pratiquez pas de doubles standards. Austérité budgétaire à Strasbourg pour le Conseil de l'Europe et laxisme à Bruxelles ! Et pensez à consulter le Parlement sur ces questions, en particulier lorsqu'il s'est déjà exprimé sur le sujet. Je pense en particulier, dans le cas de la France, aux travaux du Sénateur Badré sur les agences de l'Union européenne. Mais des collègues de divers États membres m'ont fait part de points de vue similaires. Rappelons tout de même que le budget annuel de l'Agence européenne des droits fondamentaux est supérieur à celui de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 20 millions d'euros contre 15.

En conclusion, je voudrais à nouveau vous exprimer toute ma satisfaction d'être présent aujourd'hui au Sénat et mon souhait que cette rencontre soit le début d'une fructueuse collaboration.

Mon souhait le plus cher en ce domaine serait que les commissions des affaires européennes des deux assemblées ne soient pas seulement celles des questions liées à l'Union européenne, dont je ne conteste pas l'importance fondamentale, mais aussi celles du Conseil de l'Europe. Et l'audition d'aujourd'hui constitue un premier pas très positif dans cette voie. Il existe d'ailleurs des questions qui relèvent des deux organisations, ainsi l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'Homme, la protection des données personnelles ou la politique du médicament. Nous pourrons à ce titre vous envoyer avant chaque partie de session l'ordre du jour de celle-ci afin que votre commission, si elle le souhaite, adopte une position sur tel ou tel sujet.

Je vous remercie de votre attention et serais heureux de répondre à vos questions et observations.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette intervention. Je suis bien évidemment ouvert à l'amélioration de la coordination entre nos travaux et ceux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. L'échange d'informations est toujours utile. Je vous rappelle néanmoins que notre rôle est encadré par les articles 88-4 et 88-6 de la Constitution, qui doivent constituer l'essentiel de notre activité.

Je voudrais revenir sur la situation de deux pays que vous avez mentionnés dans votre exposé.

Je suis comme vous préoccupé par l'avenir de l'Ukraine, étant moi-même chargé au sein de cette commission du suivi des négociations entre Kiev et l'Union européenne.

Concernant Chypre, la situation est inadmissible. La Turquie n'est toujours pas disposée à reconnaître l'existence de la République de Chypre, alors même qu'elle est candidate à l'adhésion à l'Union européenne. Rappelons tout de même que 40 000 soldats turcs occupent un tiers du territoire d'un État membre de l'Union européenne.

Mme Colette Mélot. - Je tenais à saluer en premier lieu l'importance du travail effectué par le Conseil de l'Europe, et notamment celui de son Assemblée, expression de l'ensemble des parlements nationaux de ses États membres.

Parmi tous les États membres du Conseil de l'Europe, mon attention est plus particulièrement attirée par les Balkans. Certains pays ont d'ores et déjà adhéré à l'Union européenne - la Slovénie et la Croatie - et d'autres devraient les suivre dans un proche avenir, je pense notamment à l'Ancienne République yougoslave de Macédoine et au Monténégro, qui ont déjà obtenu le statut de candidat, ainsi qu'à la Serbie en passe de l'obtenir. Cela ne saurait occulter les difficultés rencontrées par des États plus petits, encore marqués par de douloureux conflits ethniques qu'il s'agisse du Kosovo et des problèmes touchant notamment la minorité serbe ou encore de l'ARYM qui doit mieux intégrer sa communauté albanaise.

M. Jean-Pierre Michel. - Je voulais m'attarder un instant sur la Cour européenne des droits de l'Homme qui connaît, à l'heure actuelle, de graves difficultés. L'augmentation constante du nombre d'affaires a conduit à un réel engorgement, affectant directement son fonctionnement et nuisant à son efficacité. Certains États ont tiré parti de cette situation pour remettre en cause la Convention européenne des droits de l'Homme.

Au cours de la dernière partie de session de l'APCE le mois dernier, le Premier ministre britannique, dont le pays assume, à l'heure actuelle, la présidence tournante du Conseil de l'Europe, a présenté devant l'hémicycle ses projets de réforme pour la Cour. Il souhaite ainsi qu'elle se concentre uniquement sur les pires dossiers de violation des droits de l'Homme et que la subsidiarité joue à plein pour le reste des affaires. De telles réserves britanniques sur la Cour s'expliquent par la tradition politique du pays. Je constate que cette remise en cause latente rejoint les préoccupations d'autres démocraties balbutiantes.

La représentation permanente française auprès du Conseil de l'Europe, en particulier son Ambassadeur, M. Laurent Dominati, est attentive à l'évolution de ce projet de réforme. Il m'a d'ailleurs reçu pour en discuter longuement avec lui. Il n'existe pas, pour autant, de la part du Gouvernement, de réelle contre-proposition. Il me semblerait utile qu'au sein du Sénat, les commissions des affaires européennes et des lois se saisissent de ce dossier.

Mme Catherine Tasca. - Je remercie le président Mignon pour la présentation de son programme et tiens également à saluer son engagement en faveur de cette institution, pour ne pas dire son enthousiasme.

Le Conseil de l'Europe dispose d'une réelle valeur ajoutée par rapport à l'Union européenne et cela sur de nombreux plans : l'antériorité, la nature des problèmes qu'il traite ou son champ géographique élargi. Il est indispensable à ce titre d'éviter de créer des doublons au sein de l'Union européenne. D'une part, cela constituerait un gâchis de moyens financiers. D'autre part, la multiplication des institutions européennes tend à troubler la lisibilité de la construction européenne aux yeux de nos concitoyens. Cette tendance à la superposition ou à la concurrence constitue un vrai sujet de préoccupation tant elle peut remettre en cause à terme la consolidation de l'idée européenne au sein des opinions publiques.

Mme Bernadette Bourzai. - Je tenais également à féliciter le président pour son enthousiasme et sa proximité à l'égard des parlementaires à Strasbourg. J'ai rejoint la délégation auprès de l'APCE en janvier et ai pu mesurer l'importance du travail effectué au sein de cette organisation. Ancienne parlementaire européenne, je disposais de vrais points de comparaison. L'APCE traite de nombreux sujets et accueille des personnalités de haut vol.

Ses préoccupations ne sont pas si éloignées des nôtres. Lorsque nous abordons au sein de cette commission la question du partenariat oriental, il serait ainsi judicieux que nous nous référions un peu plus à ses travaux sur les pays concernés. De même, lorsque nous étudierons en séance la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau sur les violences faites aux femmes. Là encore, le Conseil de l'Europe dispose d'une vraie expertise en la matière et est à l'origine d'une convention, la Convention d'Istanbul, adoptée en mai dernier et aujourd'hui en cours de ratification.

Nous devons donc amorcer une vraie réflexion sur les synergies à opérer entre nos institutions afin de mieux répondre aux grandes questions entourant les valeurs fondamentales.

Mme Maryvonne Blondin. - J'ai pour ma part été élue au sein de cette délégation il y a trois ans. Cette assemblée se saisit de nombreux problèmes et les traite à fond. Je tente, autant que faire se peut, de relayer le plus souvent possible ses travaux au sein du Sénat, dans les commissions comme en séance publique. Pas plus tard qu'hier, en réunion de la commission de la culture, j'ai rappelé l'apport du Conseil de l'Europe au sujet de l'accessibilité de la culture alors que nous étudions le volet afférent au sein du paquet Almunia. Nous devons développer cette transversalité.

M. Jean-Claude Mignon, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. - Comme l'a souligné Mme Mélot, la question des Balkans doit faire figure de priorité. Nous sommes peut-être allés trop vite sur ce dossier dans les années quatre-vingt-dix. Il nous appartient désormais de mieux gérer cette situation, en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo. Dans le même ordre d'idée, nous devons accompagner les efforts du groupe de Minsk qui tente de trouver une solution concernant le conflit du Haut-Karabagh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le canal que nous utilisons, celui de la diplomatie parlementaire, me parait être complémentaire des actions gouvernementales. Nous apportons notre sensibilité sur ces dossiers. Il est regrettable que nous ne soyons pas davantage pris au sérieux.

Concernant la Cour européenne des droits de l'Homme, je rejoins les préoccupations de Jean-Claude Michel. Nous devons être vigilants sur le projet britannique. Je rappelle, à toutes fins utiles, que les citoyens des pays qui saisissent le plus la Cour sont la Russie, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie et l'Italie.

L'enthousiasme dont a parlé Catherine Tasca est sans doute le fruit de mon engagement auprès de Catherine Lalumière, qui était Secrétaire générale de cette organisation lorsque je suis entré à l'APCE en 1993.

Vous avez raison, nous ne pouvons accepter l'idée d'une concurrence entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. C'est en ce sens qu'il est important que nous dénoncions le projet de Fonds européen pour la démocratie, qui intervient après la création de cette Agence européenne des droits fondamentaux.

Avec Bernadette Bourzai et Maryvonne Blondin, je le répète, nous formons, au-delà de nos différences politiques, une véritable équipe de France, qui s'attache également à défendre Strasbourg, capitale européenne. Mon premier geste de président a d'ailleurs été de venir déposer une gerbe auprès du monument aux morts de la ville, pour rappeler le rôle de cette ville dans l'Histoire. Il nous faut également avancer en ce qui concerne l'amélioration de la desserte de la ville.

M. Roland Ries. - En tant que maire de Strasbourg, je me félicite de ce partenariat avec le Conseil de l'Europe en général et l'Assemblée parlementaire en particulier. Nous avons signé un certain nombre de conventions avec cette organisation en vue de développer des partenariats profitables à la fois aux membres du Conseil de l'Europe et aux Strasbourgeois.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie Monsieur le Président. Je tiens à souligner que l'esprit d'équipe que vous avez mis en avant au sein de la délégation française à l'APCE est également présent au sein de notre commission, souvent encline à dépasser les clivages politiques nationaux.

Economie, finances et fiscalité - Transports - Energie - Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (« Connecting Europe ») (textes E 6760, E 6740, E 6750, E 6751 et E 6788) - Proposition de résolution européenne de Mme Bernadette Bourzai et M. Roland Ries

M. Simon Sutour. - Nous passons maintenant au second point de notre ordre du jour, le mécanisme pour l'interconnexion en Europe, pour lequel Bernadette Bourzai et Roland Ries ont été désignés comme rapporteurs. L'affaire est importante, puisqu'il s'agit d'une des grandes priorités de l'action européenne dans les prochaines années.

Je donne la parole à Bernadette Bourzai, honneur aux dames.

Mme Bernadette Bourzai. - Monsieur le président, mes chers collègues, mon collègue Roland Ries et moi-même avons été désignés co-rapporteurs sur l'ensemble des textes relatifs au Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE). Notre travail est bien sûr un travail commun, mais dans un souci de partage des rôles, je présenterai l'essentiel de nos conclusions aujourd'hui. Roland Ries assumera cette charge à son tour devant la commission de l'économie si, comme nous l'espérons, notre proposition de résolution est adoptée par vous.

Je commencerai par une présentation générale du dispositif.

Le 29 juin 2011, la Commission européenne a présenté ses propositions pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020. A côté de la politique de cohésion classique (336 milliards d'euros prévus sur la période), la Commission européenne propose la création d'un « mécanisme pour l'interconnexion en Europe » (MIE).

Derrière cette appellation un peu technocratique, il s'agit en réalité de la création d'un Fonds Infrastructure. Ce fonds serait doté de 50 milliards d'euros en euros constants -56,7 milliards en euros courants- destinés au financement d'infrastructures ayant un intérêt transeuropéen marqué dans trois domaines : le transport, l'énergie et les télécommunications. L'objectif est d'achever des liaisons manquantes et de résorber les goulets d'étranglement, afin d'unifier ces trois réseaux européens.

Toutefois, le mécanisme pour l'interconnexion ne se réduit pas, loin de là, à un simple fonds de financement.

En effet, après l'annonce politique du 29 juin 2011, la Commission européenne a présenté le 19 octobre 2011 le détail de sa proposition. Elle a ainsi adopté simultanément cinq textes étroitement liés qui forment ensemble le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe.

Ce paquet législatif se compose :

- de la proposition de règlement établissant le MIE proprement dit (COM (2011) 665 final) ;

- de trois propositions de règlement fixant respectivement les orientations pour les réseaux transeuropéens en matière de transport (RTE-T), d'énergie (RTE-E) et de télécommunications. Ces documents définissent les infrastructures européennes prioritaires dans ces trois secteurs (COM (2011) 650 final, COM (2011) 658 final et COM (2011) 657 final) ;

- d'une proposition de règlement créant une phase-pilote sur 2012-2013 au cours de laquelle les fameux « project bonds » seraient testés pour financer des infrastructures transeuropéennes.

Ce MIE est novateur à plusieurs titres et, il faut le souligner, le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, en a fait une priorité politique. C'est en effet le dispositif le plus innovant du cadre financier pluriannuel 2014-2020.

Quelles sont ces innovations ?

Tout d'abord, l'effort financier est considérable. Sur la période 2007-2013, à titre de comparaison, les crédits communautaires directement fléchés vers des projets équivalents tournent autour de 8 milliards d'euros courants. Le rapport est de un à sept (un peu moins en réalité si l'on prend en compte les crédits des fonds structurels et de cohésion qui ont pu bénéficier aussi à ces projets). Et surtout, seul le secteur des transports en a bénéficié. Les 8 milliards ont été gérés par l'agence exécutive RTE-T.

Ensuite, l'approche de la Commission européenne est très différente.

Jusqu'à présent, les crédits de la politique de cohésion sont pour l'essentiel laissés à la disposition des régions ou des Etats qui restent libres de financer telle ou telle action dans le respect de certains critères prédéfinis. Par ailleurs, s'agissant des 8 milliards d'euros que je viens d'évoquer sur la période 2007-2013, ils ont été alloués à quelques dizaines de projets transfrontaliers, en particulier une quarantaine de projets prioritaires déclarés d'intérêt européen dans le domaine des transports.

La Commission européenne propose d'abandonner cette approche encore très décentralisée, dispersée et sans plan d'ensemble, au profit d'une approche stratégique, intégrée et partiellement centralisée. Je force le trait, mais à dessein.

En effet, la démarche de la Commission est double. Elle trace une sorte de schéma européen des réseaux de transport, d'énergie et de télécommunications. Il ne s'agit pas simplement d'interconnecter des sous-systèmes nationaux, mais de bâtir des réseaux européens auxquels viennent se connecter des sous-systèmes régionaux plus ou moins denses. Dans son esprit, la partie européenne des réseaux doit faire l'objet d'un traitement particulier au niveau de l'Union et ne pas être abandonnée à la seule bonne volonté des Etats membres. D'où une approche plus directive, à la fois dans son aspect financier et dans son aspect gouvernance.

Enfin, les « project bonds » sont l'autre grande nouveauté du MIE sur laquelle la Commission a communiqué. Ils ne doivent pas être confondus avec les « eurobonds » qui consistent en une mutualisation de la dette souveraine des Etats.

Les « project bonds » sont d'une autre nature. C'est un instrument financier ayant pour objectif de rendre plus attrayants des emprunts obligataires privés pour le financement de projets. Cela fonctionne de la manière suivante : un opérateur de projet fait appel au marché de capitaux pour financer son projet en émettant des obligations.

Pour rendre cette émission obligataire plus attrayante aux yeux des investisseurs institutionnels, la dette de l'opérateur est alors décomposée en une tranche prioritaire ou senior - c'est-à-dire dont le remboursement est prioritaire - et une tranche subordonnée ou dite « mezzanine ». C'est cette tranche subordonnée qui fait l'objet d'une garantie sur fonds publics. De cette manière, la tranche senior bénéficie d'un profil de risque plus favorable noté AA- au lieu de BBB par les agences de notation. Cette meilleure notation est censée attirer certains investisseurs comme les compagnies d'assurance ou des fonds de pension à la recherche d'investissements à long terme peu risqués.

L'idée défendue par la Commission européenne est que dans la période actuelle, les banques sont très frileuses et qu'il faut donc diversifier les sources de financement pour ce type de projets structurants en allant directement sur le marché. Cela s'est fait dans le passé et certains pays comme le Canada y recourent couramment. Autre avantage : l'effet de levier. Avec des montants relativement faibles par rapport aux subventions classiques, on débloque des investissements privés massifs. C'est en quelque sorte le petit coup de pouce qui fait la différence sur des projets viables commercialement, mais présentant des incertitudes, surtout dans les premières années d'exploitation.

Voilà pour la présentation générale du MIE.

Quelques mots à présent sur chacun des volets du MIE. Nous les présenterons dans l'ordre suivant : les transports, l'énergie et les télécommunications.

Je passe la parole à Roland Ries pour le volet « Transport ».

M. Roland Ries. - Le volet « Transport » est le volet le plus important en termes d'enveloppe financière. C'est aussi le volet le plus structuré et détaillé.

Sur les 56,7 milliards d'euros courants du MIE, 35,9 milliards seraient consacrés aux transports. Sur ces 35,9 milliards, 11,3 milliards proviendraient en réalité du Fonds de cohésion. La Commission européenne souhaite en effet flécher ces crédits de cohésion sur les projets qui lui semblent avoir la plus-value européenne la plus forte. Certains abus ont montré les faiblesses du système actuel ainsi que la sous-consommation des crédits, en particulier dans le domaine ferroviaire. Afin de ne pas susciter l'ire des nouveaux Etats membres, il est toutefois prévu que ces 11,3 milliards d'euros seraient exclusivement investis dans ces Etats. Il s'agit en quelque sorte d'une reprise en main directe par la Commission d'une partie des fonds de cohésion. Pour l'instant, les nouveaux Etats membres ne semblent pas encore totalement convaincus du bien fondé de cette démarche...

S'agissant des orientations en matière de transport, la Commission européenne distingue deux concepts : le réseau global et le réseau central. Le réseau global se compose approximativement des principaux axes des réseaux nationaux. Les propositions de la Commission fixent des normes de qualité élevées à atteindre pour 2050. Le réseau central est celui qui nous intéresse plus spécialement aujourd'hui. Ce réseau central est en effet l'armature principale d'un réseau transeuropéen. Ce réseau, qui doit être achevé en 2030, se composerait de dix corridors. Pardon pour ce jargon, mais c'est ainsi que les choses sont présentées.

Pour faire simple, ces dix corridors seraient les principaux axes de transport traversant l'Union. Quelques exemples : le corridor Baltique-Adriatique, le Gênes-Rotterdam ou le Strasbourg-Danube. Un corridor doit englober au moins trois modes de transport et traverser au moins trois Etats membres. Ces différents réseaux devront bien sûr être interopérables. La notion de corridor est une avancée, car elle ne s'attache pas seulement à des projets ponctuels à la frontière. Elle replace une infrastructure de transport dans un continuum. La valeur-ajoutée d'un tronçon de grande vitesse est en effet d'autant plus forte que l'ensemble d'un parcours se réalise lui aussi à grande vitesse.

Les projets d'intérêt commun, c'est-à-dire ceux qui seront éligibles à un financement par le MIE, sont énumérés précisément par la Commission européenne. Ils doivent contribuer à l'achèvement de ces corridors. Seront financés prioritairement les projets les plus matures, ce qui devrait favoriser indirectement des projets sur notre territoire. Les projets ferroviaires sont en haut de la liste, ainsi que les projets de plateformes intermodales.

S'agissant de la gouvernance de ce réseau central, je ne m'étendrai pas. Notre commission a déjà abordé ce point lors de l'examen de l'avis motivé de non-conformité au principe de subsidiarité. La commission de l'économie l'a adopté sans modification.

Mme Bernadette Bourzai. - Rapidement, les deux autres volets « Energie » et « Télécommunications » recevraient chacun 10,5 milliards d'euros courants.

Le volet « Energie » est lui aussi bien structuré, comme le volet « Transport », même si la définition des projets d'intérêt commun est moins précise. La Commission européenne souhaite en particulier développer les interconnexions électriques et gazières. Elle identifie huit corridors prioritaires (à ne pas confondre avec les corridors de réseau central en matière de transport). Parmi ces corridors, il faut citer le réseau énergétique des mers septentrionales qui serait le réseau reliant les champs d'éoliennes « offshore » en mer du Nord, dans la Manche et en mer Baltique. On peut aussi citer l'interconnexion électrique de l'Espagne au reste de l'Europe pour acheminer l'électricité issue des éoliennes et du solaire. Le MIE financerait aussi des actions horizontales comme les réseaux intelligents (« smart grids ») ou des réseaux de transport du dioxyde de carbone en vue de son captage et stockage.

Les objectifs sont d'améliorer la sécurité d'approvisionnement, accompagner le développement des énergies renouvelables et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

A l'inverse du volet « Transport », les projets d'intérêt commun ne sont pas prédéfinis, mais le seront dans un second temps après discussion et accord des Etats membres dans le cadre des priorités que je viens d'évoquer.

Côté gouvernance, la Commission européenne demande aux Etats membres de se mettre en ordre de marche pour que les projets d'intérêt commun bénéficient d'un traitement prioritaire et rationalisé. Dès lors qu'un projet serait déclaré d'intérêt commun, la phase de concertation et d'autorisation devrait impérativement tenir en trois ans. Les Etats membres s'engagent aussi à toiletter toutes leurs procédures d'autorisation et de débat public afin qu'elles soient les plus efficaces possibles. Une autorité nationale unique devra notamment être désignée pour instruire ces projets.

Allant plus loin encore, la Commission européenne se réserverait la possibilité en cas de retard persistant de relancer d'elle-même un appel à propositions.

En revanche, s'agissant du volet « Télécommunications », le texte de la Commission européenne est beaucoup moins précis. Il n'en ressort pas la même impression de vision stratégique. La priorité est donnée au développement du haut et très haut débit dans les zones rurales ou peu densément peuplées. Quelques grands projets sont évoqués comme le projet « Europeana » ou le développement de services administratifs en ligne interopérables. On pense notamment aux marchés publics.

Cette imprécision et le caractère diffus des projets finançables ont pour effet que la gouvernance de ce volet est très légère. La Commission européenne ne prescrit pas aux Etats membres d'adopter des procédures plus efficaces et planifiées.

Quelle appréciation peut-on porter sur cet ensemble de textes très denses ?

Tout d'abord, la démarche de la Commission européenne nous semble positive. Une nouvelle étape est nécessaire. Il ne suffit plus de rafistoler et de relier des réseaux nationaux, mais d'avoir une vision d'ensemble des réseaux au sein de l'Union. Pour atteindre cet objectif, les règles habituelles de la politique de cohésion ne sont pas adaptées. Une approche plus centralisée doit être soutenue pour concentrer les moyens sur les réseaux de dimension européenne. L'Union peut apporter une plus-value et est pleinement légitime pour renforcer ses actions sur ces infrastructures très spécifiques.

De la même manière, les priorités que la Commission européenne dessine sont globalement pertinentes. Les personnes que nous avons auditionnées n'ont pas critiqué les choix opérés, sauf sur des points de détail. L'interopérabilité, les corridors, la priorité au ferroviaire ou l'accompagnement du développement des énergies renouvelables vont dans la bonne direction et placent l'action de l'Union au bon niveau. On regrettera seulement l'imprécision des projets en matière de télécommunications qui ne permet pas de juger réellement de leur dimension transeuropéenne.

S'agissant de l'enveloppe financière globale (56 milliards en euros courants), les choses sont moins simples. Pour tout dire, beaucoup d'Etats membres, et notamment le gouvernement français, jugent ce montant démesuré par rapport aux crédits actuels et aux besoins de financement. La France estime que dans le domaine de l'énergie et des télécommunications, le marché peut financer la quasi-intégralité des investissements. Derrière le marché, il y a les opérateurs et au bout de la chaîne le consommateur final. Pour prendre l'exemple de l'électricité, c'est en augmentant le tarif que les investissements seraient financés.

Ce débat budgétaire doit évidemment être replacé dans le contexte des négociations sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. La France, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, a déjà signifié son opposition aux propositions de la Commission européenne jugées non raisonnables. Le MIE risque donc d'être une des principales victimes de cette grande négociation.

Sans nous prononcer précisément sur le juste montant du MIE, je crois qu'il faut soutenir la démarche de la Commission, tout en appelant en effet à ne pas financer sur fonds publics des projets viables commercialement. Cela va de soi. Ces investissements dans les réseaux transeuropéens sont l'exemple type de dépenses d'avenir qui ne peuvent être évaluées sous le seul angle du taux de retour pour chaque Etat membre. Ce sont des équipements pour les prochaines décennies. Et au moment où l'on cherche des relais de croissance, il ne faut pas sacrifier ces investissements pérennes. Bien au contraire.

Sur le sujet de la gouvernance de ces projets, nous appelons en revanche à plus de prudence. Il ne s'agit pas de prôner le statu quo et l'immobilisme. Mais seulement de protéger la Commission européenne contre elle-même et de sa tentation de s'immiscer dans la mise en oeuvre de projets. Le remède pourrait être pire que le mal. Nous constatons tous sur le terrain qu'il est de plus en plus difficile de faire accepter par les populations riveraines des infrastructures lourdes. Il n'est pas certain que l'Union soit la mieux placée pour imposer des solutions. En revanche, elle peut avoir un rôle de médiateur et d'aiguillon. Elle peut aussi débloquer un dossier en finançant les surcoûts liés aux mesures de compensation (par exemple l'enfouissement d'un ouvrage), si l'intérêt européen commande absolument la réalisation d'un ouvrage. Le levier financier est souvent le plus efficace.

Concernant les « project bonds », c'est un outil supplémentaire qui peut s'avérer intéressant. Mais il nous a semblé en rencontrant la Banque européenne d'investissement que tout restait à démontrer. Même si le risque financier est bien contrôlé, il est encore difficile de savoir quel type de projets pourrait être financé par ce biais. La phase-pilote prévue pour 2012-2013 sera à surveiller de près. Les « project bonds » ne seront pas la solution miracle aux difficultés de financement de l'Union, mais seulement un instrument de plus. La Commission européenne précise d'ailleurs que les subventions demeureront le principal mode de financement, à côté d'instruments financiers déjà expérimentés comme les garanties sur prêt.

Pour toutes ces raisons, nous avons souhaité vous soumettre une proposition de résolution. Son texte vous a été transmis il y a deux jours.

M. André Gattolin. - En matière de télécommunications, les montants sont plus faibles car la Commission européenne compte beaucoup sur les entreprises du secteur. Mais c'est un sujet important pour nos territoires comme le montre l'examen en ce moment de la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire. Les investissements restent compliqués car les marchés sont très différents d'un pays à l'autre. Et même au niveau national, les opérateurs n'optent pas pour les mêmes solutions techniques.

S'agissant de la proposition de résolution, je l'approuve pour l'essentiel, mais il faut faire attention à ne pas agiter trop facilement l'argument de la subsidiarité. Lorsque des projets n'avancent pas par la faute des Etats, l'intervention de la Commission européenne n'est pas illégitime. L'alinéa 16 de la proposition de résolution me pose notamment une difficulté. Pourquoi un projet d'intérêt européen doit-il être subordonné à une procédure nationale de reconnaissance d'utilité publique ? Il faudrait faciliter les choses.

M. Simon Sutour. - Quand nous faisons valoir la subsidiarité, nous sommes dans notre rôle. Il ne s'agit pas d'empêcher l'Europe d'agir, mais sur des sujets sensibles comme ceux que nous abordons, il est important d'avoir des contrepoids. Tout ne doit pas se décider au même endroit.

M. Roland Ries. - Il n'existe pas de déclaration d'utilité publique européenne. On peut le regretter, mais c'est ainsi. Les déclarations d'utilité publique restent du niveau national. On a un corridor, mais des déclarations obéissant à des procédures nationales différentes. De même, les coordinateurs ne doivent pas se mettre en position de bouc émissaire facile.

M. André Gattolin. - Je comprends mieux la résolution, mais je considère que l'absence de déclaration d'utilité publique européenne est un manque.

M. Roland Ries. - Je suis d'accord avec vous, mais nous n'en sommes pas encore à ce stade de la construction européenne !

Mme Bernadette Bourzai. - J'attire l'attention sur le fait que la commission de l'économie est parfois plus vigilante encore que notre commission pour faire respecter le principe de subsidiarité. Elle a ainsi modifié ce matin notre proposition de résolution relative aux accords bilatéraux dans le domaine de l'énergie. Elle s'oppose à la faculté donnée à la Commission européenne de se saisir de tels accords avant leur signature aux fins d'examiner leur conformité au droit de l'Union.

M. Simon Sutour. - Les commissions compétentes au fond ont certes tout à fait le droit de modifier nos propositions de résolution. J'espère que nos rapporteurs ne se démotiveront pas pour autant !

M. Jean-François Humbert. - Le groupe UMP n'émet pas d'objection à cette proposition de résolution.

*

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution portant avis motivé dans le texte suivant :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (E 6760),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) (E 6740),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (RTE-E) et abrogeant la décision n° 1364/2006/CE (E 6751),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des orientations pour les réseaux transeuropéens de télécommunications et abrogeant la décision n° 1336/97/CE (E 6750),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision n° 1639/2006/CE établissant un programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité (2007-2013) et le règlement n° 680/2007/CE déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens de transport et d'énergie (E 6788),

Sur l'ensemble du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe :

- soutient globalement ces propositions qui combinent pour la première fois une vision stratégique et intégrée des réseaux transeuropéens et un outil de financement dédié à ces infrastructures ;

- se félicite que la politique européenne en matière de transport, d'énergie et de télécommunications prenne ainsi une dimension nouvelle qui ne se réduise pas à une politique d'ouverture à la concurrence ;

- estime que les retards constatés au cours de la période 2007-2013 dans la mise en oeuvre de ces projets d'intérêt européen justifient un pilotage centralisé et ciblé des crédits européens par la Commission européenne et l'adoption de procédures plus efficaces ;

- considère qu'une augmentation très sensible des fonds réservés aux réseaux transeuropéens est justifiée par l'importance stratégique de ces équipements, leur valeur-ajoutée pour la construction de l'espace européen et la nécessité de trouver des relais de croissance ;

- observe néanmoins qu'une bonne gestion commande de ne pas créer d'effet d'aubaine en apportant des crédits publics à des projets susceptibles d'être financés par les seuls investisseurs privés ou par les autorités nationales et locales ;

- met en garde également contre le risque d'ajouter aux échelons décisionnaires et administratifs nationaux et locaux un ou des échelons européens ;

- juge en particulier qu'une implication trop directe de la Commission européenne ou d'une agence exécutive dans la mise en oeuvre des projets serait contre-productive, en particulier lorsque les retards sont d'abord la conséquence d'une opposition des populations riveraines ;

- rappelle que le fait qu'un projet soit d'intérêt européen ne peut suffire à préjuger de la déclaration d'utilité publique au niveau national et que l'acceptabilité d'un projet par le public est souvent le principal obstacle à sa réalisation ;

- souligne à cet égard que les crédits européens devraient permettre de financer plus particulièrement les mesures de compensation, afin de réduire les nuisances de ces projets pour les populations riveraines ;

- souhaite que soit clairement établie la valeur-ajoutée d'un instrument de garantie des emprunts obligataires pour le financement de projets d'infrastructures (« project bonds ») par rapport à l'éventail actuel de modes de financement ;

- demande pour cela que la phase-pilote prévue en 2012-2013 ne soit pas une phase d'évaluation factice et que la décision de recourir aux « project bonds » sur la période 2014-2020 s'appuie réellement sur les résultats de cette évaluation ;

Sur le volet « transport » :

- demande que le coordonnateur de chaque corridor du réseau central soit désigné en concertation et avec l'accord des Etats membres ;

- estime aussi que le coordonnateur ne sera efficace que s'il demeure avant tout un médiateur et un facilitateur ;

Sur le volet « énergie » :

- considère que l'interconnexion des réseaux de transport de l'électricité est nécessaire, en particulier pour accompagner le développement des énergies renouvelables, mais rappelle que cette interconnexion ne doit pas dispenser chaque Etat membre d'être en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme ;

- s'interroge sur la nécessité d'imposer aux Etats membres la mise en place de procédures nationales d'autorisation rationalisées spécifiques aux projets d'intérêt européen, y compris lorsque ces projets ne reçoivent pas de financements européens, ainsi que sur la faculté pour la Commission européenne de lancer elle-même un appel à propositions en cas de retards considérables et non justifiés d'un projet ;

- estime qu'une autre approche, aussi efficace pour astreindre les Etats membres à l'efficacité sans s'immiscer dans leurs procédures nationales, consisterait à subordonner tout ou partie des financements au respect d'un calendrier précis d'autorisation et de mise en oeuvre ;

Sur le volet « numérique » :

- estime que le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe doit financer d'abord des projets à dimension transeuropéenne, sans s'interdire de compléter le financement des réseaux haut et très haut débit dans les zones peu densément peuplées relevant de la politique de cohésion ;

- demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

Questions diverses

M. Simon Sutour, président. - Au titre des questions diverses, je voudrais aborder un dernier point.

La Commission européenne vient de présenter un texte concernant la protection des données personnelles qui présente des aspects positifs, mais aussi des aspects très préoccupants sur lesquels la CNIL a attiré notre attention.

J'ai évoqué le sujet avec le président de la commission des lois, et nous avons été d'accord pour juger que son importance méritait l'adoption d'une résolution en séance publique.

Mais cela nous conduit à un calendrier très serré, puisque la seule date possible pour cet examen en séance publique serait le 6 mars à 16 h 30.

Dans cette optique, la commission des lois m'a proposé d'être rapporteur devant elle, mais je veillerai à associer également notre commission sur ce sujet important. Cela permettra de conduire rapidement l'examen de ce texte qui pose un problème de principe. Nous reviendrons donc sur ce sujet dans les semaines qui viennent.