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Mercredi 21 février 2012

- Présidence commune de M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, et de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois -

Justice et affaires intérieures - Audition de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Nous vous souhaitons la bienvenue, madame la commissaire, pour cette audition organisée conjointement par la commission des lois et la commission des affaires européennes. Vous êtes chez vous au Palais du Luxembourg... compte tenu de votre nationalité, même si les commissaires européens ne défendent que l'intérêt général européen. Vous accomplissez votre troisième mandat à la Commission : votre expérience est donc grande, et nous nous en félicitons car votre portefeuille comprend le dossier sensible des droits fondamentaux des citoyens européens. Vous avez rempli pleinement votre rôle, qu'il s'agisse des Roms ou de l'évolution inquiétante en Hongrie, et je m'en félicite.

Cette audition sera toutefois principalement consacrée à la protection des données personnelles, à laquelle vous savez le Sénat très attentif. Je vous interrogerai en tant que rapporteur du projet de règlement européen à ce sujet, et M. le président de la commission des lois présidera cette réunion.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous sommes très honorés de votre présence parmi nous, madame la commissaire. Parmi les sujets dont vous êtes chargée, beaucoup nous tiennent à coeur. En ce qui concerne d'abord le projet de règlement sur la protection des données personnelles, nous craignons que les autorités nationales compétentes ne soient privées de leurs prérogatives, si l'on laisse à l'autorité du pays où telle entreprise de l'Internet a son principal établissement le soin de statuer. La France est très attachée au respect des libertés publiques et à la protection des données personnelles, et elle s'est dotée d'un instrument efficace, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Nous redoutons un dumping qui inciterait les entreprises à s'implanter là où la législation est le moins rigoureuse.

Lors du déplacement de la commission des lois à Bruxelles, où nous avons été chaleureusement accueillis par vos services, nous avons eu l'occasion d'évoquer aussi le projet de directive sur l'accès à un avocat au cours d'une procédure pénale, l'espace Schengen, l'action de groupe, les libertés démocratiques en Hongrie. Peut-être voulez-vous d'abord nous présenter l'ensemble de vos missions ?

Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. - Nous y serions encore demain, car mon champ de compétences est extrêmement vaste. L'Union européenne n'est compétente en matière judiciaire que depuis le traité de Lisbonne. Le principe de subsidiarité s'applique toujours, et les systèmes judiciaires nationaux subsistent, mais je suis chargée de bâtir des ponts entre eux pour que les citoyens européens profitent pleinement de la libre circulation.

La Commission européenne, en revanche, est pleinement compétente en ce qui concerne le défi numérique et la modernisation de la protection des données. Je m'adresse à des experts, puisque le Sénat a publié à ce sujet plusieurs rapports entre 2009 et 2011. Sur le plan des valeurs et des droits individuels, la directive de 1995 n'a rien d'obsolète, mais à l'époque l'Internet n'existait pas : il faut donc adapter notre législation. Le paquet législatif que j'ai mis sur la table le 25 janvier comporte deux aspects : le renforcement des droits des citoyens, et une plus grande sécurité juridique pour nos entreprises.

Une plus grande sécurité juridique, parce que si le marché intérieur existe en théorie, il a du mal à exister en pratique : les entreprises qui veulent profiter de l'ensemble du marché européen sont confrontées à des règles différentes d'un pays à l'autre. En matière de protection des données, il existe au moins 27 régimes juridiques différents, non coordonnés et parfois contradictoires. A cela s'ajoute l'obligation de notification dans les différents pays, paperasserie inutile. Le coût de ces formalités, estimé à 2,3 milliards d'euros par an, pourrait être utilement économisé en temps de crise. En outre, les entreprises européennes sont pénalisées par une concurrence déloyale, puisque les firmes extra-européennes opèrent souvent dans des pays où elles n'ont pas à se soucier de pareille réglementation.

J'ai donc proposé le principe suivant : un continent, une règle. Je me suis inspirée des législations nationales les plus protectrices : l'harmonisation se fera par le haut. C'est très important pour la crédibilité de l'Union européenne : une législation unique pour 27 pays, plus rigoureuse que sur aucun autre continent, s'imposera au monde comme un modèle, loin du laxisme de certains pays.

Pour que des règles de haut niveau soient appliquées, il faut quelqu'un qui veille au grain, autrement dit un modèle de gouvernance efficace. Or les autorités nationales chargées de la protection des données se sont constituées au fil des ans, en France il y a plus de trente ans, ailleurs tout récemment. Certaines sont très bien équipées, d'autres non. La plupart ne sont pas en mesure de prononcer des sanctions. En outre, elles travaillent sans guère de coordination. Or les grands dossiers outrepassent les frontières. J'ai donc défini le coeur de métier des autorités et prévu entre elles un mécanisme de coopération et d'assistance mutuelle efficace, afin d'assurer une protection crédible et homogène, et d'obliger les entreprises extra-européennes à se plier à nos règles. Entreprises et individus disposeront d'un point de contact unique là où ils sont établis : c'était une aspiration légitime, et bien loin d'affaiblir les autorités nationales, cela renforcera les capacités des plus modestes.

Les règles étant les mêmes pour tous, cela comblera les vides juridiques dont profitent certaines entreprises. Ces règles sont très protectrices : la directive de 1995 l'était déjà, et depuis lors, le traité de Lisbonne et la Charte des droits fondamentaux ont renforcé les garanties. Toute nouvelle législation doit tenir compte de cette base que l'on peut qualifier de « constitutionnelle ».

Je me suis fondée sur un principe simple : les données personnelles appartiennent à l'individu, non à une entreprise ou une administration ; elles sont sa propriété, son patrimoine. L'individu a donc le droit de confier ou non ces données à une entreprise ; s'il le fait, celle-ci doit l'informer en toute transparence de l'usage qu'elle veut en faire, et l'individu doit donner son accord. Il peut aussi retirer à l'entreprise ces données et les donner à une autre : c'est le principe de portabilité, que j'avais, dans mes précédentes fonctions, introduit à propos du numéro de téléphone.

Les entreprises devront se doter d'un système de sécurité pour protéger les données dont elles ont la garde ; si toutefois un problème survenait, elles devraient le notifier dans les vingt-quatre heures au régulateur national et aux personnes concernées. On en est bien loin : récemment, vous vous en souvenez, des gens ont appris par hasard, plusieurs semaines après les faits, qu'une entreprise avait perdu des données relatives à leurs cartes de crédit... Les pouvoirs des autorités nationales seront homogénéisés ; elles pourront notamment prononcer des sanctions lourdes. J'espère qu'elles n'auront pas à le faire, mais si les policiers ne pouvaient pas dresser de procès-verbaux, le code de la route ne serait pas pris très au sérieux...

Les autorités nationales devront aussi travailler de manière plus cohérente. Vous avez souvent appelé au renforcement de la réunion des autorités de contrôle européennes, le « G 29 ». Je propose d'instituer un comité européen de la protection des données, dont le secrétariat sera assuré par le Contrôleur européen de la protection des données, doté d'un président élu pour cinq ans, ce qui en fera une puissance capable de faire respecter le droit européen partout où il serait bafoué. Vis-à-vis de nos partenaires mondiaux, l'Europe pourra ainsi parler d'une seule voix, faute de quoi elle ne s'imposera jamais. Soit dit en passant, ce projet de directive a donné lieu au lobbying le plus intense de l'histoire de la construction européenne...

J'ai aussi voulu consolider les outils existants pour contrôler les transferts internationaux de données : contrôle de l'adéquation, binding corporate rules et clauses contractuelles types. Il sera possible de commercer avec les pays tiers, à condition que nous déclarions leurs règles satisfaisantes.

Ce projet servira de base aux discussions dans les prochains mois.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Ce texte comporte des avancées considérables, mais suscite également quelques interrogations. Tout d'abord, on peut comprendre que la Commission européenne ait fait le choix d'un règlement plutôt que d'une directive, pour que le niveau de protection soit partout le même. Mais s'agira-t-il d'un plafond ou d'un plancher ? L'harmonisation exclut-elle le maintien de dispositions nationales plus protectrices ?

Ensuite, le projet renvoie très fréquemment à des actes délégués ou d'exécution de la Commission européenne. En la matière, les principes ne devraient-ils pas être énoncés par la législation européenne, et les décisions plus techniques prises par les autorités nationales regroupées au sein du G 29 ?

Enfin, selon le principe du guichet unique, une seule autorité de contrôle sera compétente. Mais les plaignants risquent ainsi d'être renvoyés vers l'autorité d'un autre pays, même si elle assure un contrôle moins rigoureux que l'autorité nationale. L'adage veut pourtant que l'on n'administre bien que de près. En outre, on peut se demander si certaines autorités - par exemple celle de l'Irlande, où est implantée Facebook - seront en mesure de traiter les demandes très nombreuses qui leur seront faites. Ne faudrait-il pas plutôt privilégier une gestion de proximité, plus acceptable par les opinions publiques ? Pourquoi ne pas rendre compétente l'autorité du pays où réside le plaignant, comme dans le droit de la consommation ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je me permets d'insister sur ce point. Il est bon de s'aligner sur les règles nationales les plus protectrices. Mais la règle du principal établissement donnerait à certains pays, dont la réglementation est moins stricte que la nôtre, la faculté de statuer sur l'ensemble du champ. Peut-on accepter que le droit irlandais s'applique à tous les utilisateurs de Facebook ?

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - J'ajoute que si l'Irlande s'est dotée d'une commission de l'informatique et des libertés, le pays ne compte que 4,6 millions d'habitants. Cette commission aura-t-elle les moyens matériels de traiter les plaintes de 500 millions d'Européens ?

Mme Viviane Reding. - Si nous avons choisi un règlement, c'est que, pour peser face à nos partenaires - je suis en train de négocier un accord bilatéral avec les États-Unis, je n'en dis pas plus -, l'Europe doit être dotée d'une règle forte. Première économie au monde, l'Union, avec ses 500 millions de citoyens, pourra ainsi imposer sa loi aux entreprises des pays tiers.

La question des actes délégués est aussi très débattue au Parlement européen. Mais ce choix découle de celui du règlement : ce dernier est conçu pour durer plusieurs décennies, et il doit être assez neutre technologiquement pour pouvoir s'adapter aux évolutions. En cas de problème technique, la Commission pourra proposer une solution, mais la décision appartiendra au Conseil et au Parlement, selon la procédure de codécision. Ce point fera sans doute l'objet de discussions.

Si le guichet unique interdisait toute gestion de proximité, nous aurions proposé une bien mauvaise législation... Ce n'est heureusement pas le cas. Prenons l'exemple d'un étudiant autrichien ayant eu à se plaindre de l'entreprise Facebook. Conformément au droit actuel, il a dû s'adresser au régulateur irlandais : l'affaire est encore pendante... C'est David contre Goliath ! Désormais, l'étudiant pourra s'adresser au régulateur autrichien, qui négociera avec le régulateur irlandais sur la base de la même loi, selon la procédure d'assistance mutuelle prévue à l'article 55. Des garde-fous sont prévus : si l'autorité du pays où est implantée l'entreprise n'a rien fait dans un délai d'un mois, l'autorité du pays de résidence du plaignant pourra prendre des mesures directement applicables sur son territoire ; en cas d'échec de la procédure d'assistance mutuelle, la Commission européenne donnera son avis sur l'application du droit, et la Cour de justice pourra aussi se prononcer. En aucun cas les citoyens ne seront renvoyés vers une autorité étrangère qui appliquerait un droit moins rigoureux que le droit national.

M. Gaëtan Gorce. - Je salue le courage et la détermination de la Commission européenne sur ce problème ancien et délicat. Les textes proposés présentent des progrès notables, notamment sur le droit à l'oubli. Mais puisque vous avez évoqué David, vous me permettrez d'être un peu frondeur... En France, nous sommes habitués à jouir d'un haut niveau de protection des données grâce à une législation déjà ancienne et à une autorité indépendante qui s'est acquis au fil des années une solide crédibilité. Nous ne voulons pas d'un droit moins rigoureux ni de procédures plus complexes. Le critère du « principal établissement », qui déterminera l'autorité compétente, n'est pas défini de manière claire ; la notion s'entend de différentes manières d'un pays à l'autre.

Vous avez dit que les autorités nationales ne seraient pas affaiblies, mais on peut craindre le contraire. Dans l'état actuel des choses, un citoyen peut déjà s'adresser à l'autorité de son pays de résidence. Dorénavant, son dossier serait transmis à l'autorité du pays où l'entreprise a son « principal établissement ». Les compétences de l'autorité nationale seraient donc amoindries, la procédure allongée et compliquée : car en cas de désaccord entre les deux autorités nationales, il faudrait attendre la décision de la Cour de justice...

Oui à des règles plus protectrices et mieux partagées, mais nous avons de fortes réserves sur les conséquences de cette réforme pour les citoyens. La protection dont bénéficient les Français, qu'il s'agisse du droit applicable, des mécanismes de recours et des délais de réponse, ne doit pas être affaiblie.

M. François Pillet. - On ne peut que se féliciter que la Commission cherche à renforcer les droits des personnes physiques. Mais aux réserves exprimées par M. Gorce, j'ajouterai que la loi, même en Europe, est volatile. Même si ce règlement demeure, qui dit que personne ne sera en mesure de pénétrer les dossiers de données personnelles ? Voilà pourquoi j'aimerais savoir si la Commission envisage de renforcer les protections technologiques.

Mme Virginie Klès. - J'approuve le souci de simplicité, de cohérence et de sécurité juridique pour les entreprises et les particuliers. Pourtant, je m'interroge. Vous avez dit que les données étaient la propriété de l'individu, mais lequel d'entre nous a lu jusqu'au bout la licence de Google, ou l'alinéa disposant que les données seront confiées à un tiers de confiance dont on ignore la nationalité et quel usage il en fera ?

En ce qui concerne le droit à l'oubli, je regrette que l'on n'aille pas jusqu'à imposer la désindexation des données des moteurs de recherche.

A la suite de la réunion du G 29 qui a eu lieu hier, il semble que les Etats auront le droit d'adopter des normes plus contraignantes que la règle européenne pour certains traitements particuliers. Lesquels ? Comment cela s'articulera-t-il avec le droit de recours ?

Vous dites vouloir contraindre les entreprises implantées dans des pays où il existe des vides juridiques à se plier au droit européen, mais ce sera difficile, faute de moyens pour les conseiller et les contrôler.

Enfin, vous prétendez renforcer les autorités nationales, tout en limitant leur pouvoir de contrôle : elles ne pourront plus procéder à des contrôles préventifs que dans les cas où il existera un motif raisonnable de supposer l'existence d'activités contraires au règlement.

M. Jean Bizet. - Mme Klès m'a devancé. Est-ce l'intense lobbying auquel vous avez fait face qui vous a conduite à ne pas imposer la désindexation des données par les moteurs de recherche ?

Le projet de règlement ne signe-t-il pas la fin du pouvoir de contrôle préventif des autorités nationales ?

M. Yves Détraigne. - Au plan des principes, le projet de règlement va dans le bon sens, mais je m'inquiète des difficultés auxquelles seront confrontés les citoyens européens pour faire valoir leurs droits. Le droit à l'oubli est très important à l'heure des réseaux sociaux. Or, si l'on n'exige pas le déréférencement des données par les moteurs de recherche, elles réapparaîtront un jour ou l'autre. Ne faut-il pas instituer un droit au déréférencement ?

M. Jean-Paul Amoudry. - Le projet de règlement reconnaît les règles d'entreprise contraignantes pour encadrer les transferts internationaux de données, les fameuses binding corporate rules (BCR). Mais il prévoit une dérogation, grâce à laquelle il serait possible de procéder à des transferts hors de tout instrument juridique contraignant. Pour quelles raisons ? Pourquoi ne pas confier au G 29 le pouvoir de définir le référentiel des BCR ?

Les formalités auxquelles sont soumises les entreprises - déclarations, demandes d'autorisation... - seront presque supprimées. En contrepartie, ne faudrait-il pas renforcer les moyens de contrôle des régulateurs ? Certes, la désignation d'un correspondant « informatique et libertés » sera obligatoire, et des audits de sécurité sont prévus. Mais ne pourrait-on charger le G 29 de certains des actes délégués et d'exécution prévus par le règlement ?

M. Christophe-André Frassa. - La Commission a choisi de procéder par voie de règlement sur les matières couvertes par la directive de 1995, par voie de directive sur les questions de police et de justice qui relevaient naguère du « troisième pilier ». Dans ces conditions, ne peut-on craindre que les règles relatives à la police et à la justice soient moins contraignantes que les autres ? Pourquoi ne pas avoir retenu le même instrument juridique ?

Je m'inquiète aussi des conséquences politiques du critère de l'établissement principal. Au lieu de construire une Europe transparente et proche des citoyens, on rend compétentes des autorités parfois installées à des milliers de kilomètres des plaignants, et qui s'expriment dans une autre langue : cela risque de renforcer l'image technocratique de l'Union. Comment les citoyens comprendront-ils qu'une entreprise active dans leur pays soit responsable devant l'autorité d'un autre pays, situé à l'autre extrémité du continent ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - M'autorisez-vous, monsieur le président, à poser une question hors sujet et à me faire le porte-parole de Mme Sophie Joissains, rapporteur du texte sur le parquet européen ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je vous en prie.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Mme Joissains souhaite savoir ce que pense Mme Reding de la création d'un parquet européen. Quelles initiatives compte-t-elle prendre ? Faute d'unanimité au Conseil, ne faudrait-il pas s'engager sur la voie d'une coopération renforcée ? Outre la protection des intérêts financiers de l'Union, ce parquet européen ne pourrait-il être chargé des infractions transfrontalières les plus graves ?

Mme Viviane Reding. - Je commencerai par répondre à cette dernière question. Créer un parquet européen est une entreprise extrêmement délicate, qui n'aboutira pas d'un jour à l'autre. On ne saurait détruire les parquets nationaux, oeuvres de centaines d'années. Avant toute chose, je veux renforcer cet embryon de parquet européen qu'est Eurojust, qui est chargé de faire collaborer les procureurs des différents pays. Il faut en faire une machine qui fonctionne : on est encore loin du compte... L'objectif est de lutter avec plus de cohérence contre le crime international. Aujourd'hui, les poursuites s'arrêtent trop souvent aux frontières, soit parce que la définition des crimes n'est pas la même dans le pays voisin, soit parce que l'on rechigne à mener des poursuites à l'étranger. Il faut commencer par le commencement, et je dois m'en tenir aux domaines où les traités me rendent compétente : d'où le projet de directive prévoyant une définition commune du crime et des peines minimales en matière de protection des intérêts financiers de l'Union. Lentement mais sûrement, un parquet européen se constituera en cette matière.

Si cela fonctionne, on pourra alors faire le deuxième pas, et viser les infractions transfrontalières graves.

Serais-je favorable à une coopération renforcée, s'il n'y avait pas de cohérence absolue autour d'un tel projet ? Oui, d'autant que je suis à l'origine de la première coopération renforcée, en matière de divorce international.

M. Jean Bizet. - C'est exact.

Mme Viviane Reding. - Pour nous Luxembourgeois, l'Europe est une question de cohérence. J'essaye d'avoir les 27 à bord, mais plutôt qu'un texte au rabais qui rassemble tout le monde, ne vaut-il pas mieux un texte fort, qui protège l'individu ? Je ne doute pas qu'un bon texte, confirmé par la pratique, aura un effet d'entraînement et que les autres nous rejoindront. Dites à votre collègue, monsieur Bernard-Reymond, que la commissaire et son cabinet sont à sa disposition.

M. Pierre Bernard-Reymond, président. - Mme Joissains a d'ailleurs déjà rencontré vos collaborateurs.

Mme Viviane Reding. - Pourquoi une directive sur les questions de sécurité, ancien troisième pilier ? La Charte des droits fondamentaux s'applique : on ne peut avancer en matière de sécurité sans prendre en considération les droits des individus. Il est bon de le rappeler, étant donné certaines politiques françaises...

Nous ne sommes pas des fonctionnaires, mais des politiques, et devons toujours être réalistes, voir ce qui est faisable, donc applicable sur le terrain. L'ancien troisième pilier est tout sauf démocratique. L'accord passé entre les ministres de l'Intérieur n'est plus compatible avec notre droit fondamental, et devra être « lisbonnisé », si je peux utiliser ce terme, comme tous les accords passés entre quatre murs par les ministres. Plutôt que de les transformer automatiquement, je préfère les reprendre et les adapter. Ce texte, je le « lisbonnise » en le développant, d'une part pour y inclure les droits conférés par les traités et par la Charte, d'autre part pour appliquer la règle non seulement aux transfrontaliers mais aussi à l'intérieur des États. Nous allons donc déjà loin, mais il faut aussi laisser aux gouvernements une certaine latitude pour prendre en compte les spécificités qui leur sont propres.

J'en viens au règlement. Je ne discute pas seulement avec les Français, qui ont le meilleur système au monde, mais aussi avec les autres - qui ont chacun le meilleur système au monde... De tous ces meilleurs systèmes au monde, il s'agit de faire un système européen.

M. Gaëtan Gorce. - Pour cela, il faut la meilleure Commission au monde !

Mme Viviane Reding. - Vous l'avez.

J'ai décidé de retenir les éléments les plus protecteurs des meilleurs systèmes, car je veux une harmonisation vers le haut. Je suis sûre que le Parlement européen m'aidera à rester à ce niveau, sinon à le dépasser. Je solliciterai l'aide des parlements nationaux pour qu'ils freinent les gouvernements, qui voudront sûrement, eux, un texte moins fort. Avis aux amateurs... après les législatives ?

Les procédures seront-elles plus drastiques à l'avenir, ou moins ? Cela fait deux ans que je travaille à ce texte. Nous avons mené des consultations publiques, beaucoup discuté avec les parlements nationaux. Aboutir à un système commun sera une vraie avancée.

La définition de l'établissement principal figure dans le considérant 27. Si elle ne vous paraît pas assez forte, qu'on la renforce. J'accueille toutes les bonnes idées, et le Parlement européen a annoncé qu'il collaborerait avec les parlements nationaux. Je ferai d'ailleurs part aux rapporteurs de mes réunions avec les parlements nationaux, car il faut clarifier les choses et apaiser les craintes de ceux qui redoutent de voir leur système affaibli.

Pas assez de simplification, dites-vous ? D'autres trouvent qu'il y en a trop ! Les experts indépendants ont estimé que les simplifications que je mets sur la table représentent 2,3 milliards d'économies pour nos entreprises.

M. Gaëtan Gorce. - Je parlais des citoyens.

Mme Viviane Reding. - Je vous ai cité l'exemple concret de l'étudiant autrichien. Aujourd'hui, pas de sanction, pas de moyen de forcer une entreprise à agir, le marché est morcelé. Les entreprises européennes du Net et des réseaux sociaux - elles existent - peinent à survivre, m'ont-elles dit, car leurs concurrents ne sont pas soumis aux mêmes règles. Cette concurrence déloyale empêche nos entreprises européennes de croître. Le même droit doit s'appliquer à tous ceux qui s'adressent à des citoyens européens sur le marché européen ; pas question que certains continuent d'échapper aux règles.

La loi est volatile, elle peut changer, dites-vous. C'est plutôt l'interprétation de la loi qui est changeante ! J'ai été parlementaire au Luxembourg pendant dix ans, assez longtemps pour voir une loi dont j'étais rapporteur transformée par les juges et les avocats. La loi est plus difficile à changer quand elle couvre tout le territoire européen et doit être appliquée par toutes les autorités nationales, sous le contrôle l'une de l'autre. En cas de problème, la Cour de Justice européenne interprète, dans le sens du droit fondamental et des citoyens. Heureusement que nous l'avons !

Loin de limiter le contrôle exercé par les régulateurs nationaux, le règlement leur donne des dents pour mordre. Les trois niveaux de sanctions prévus vont très loin. Si le régulateur national les applique, cela va faire mal ; on lui donne un pouvoir semblable à celui qui existe en matière de concurrence. Les régulateurs pourront intervenir de leur propre chef. Nous avons éliminé certaines notifications inutiles. Les Luxembourgeois ont les deux pieds sur terre, et n'aiment guère le bavardage et la paperasserie inutile.

M. Gaëtan Gorce. - En tant que parlementaire français, je ne peux laisser suggérer que les Français n'ont d'autre souci que d'accroître la paperasserie et maintenir un système qu'ils considèreraient comme le meilleur au monde ! On peut débattre de ce sujet courtoisement, avec ironie, mais avec le respect dû à une assemblée parlementaire française.

Mme Viviane Reding. - Monsieur le président, je ne me permettrais jamais de manquer de respect aux parlementaires français.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - M. Gorce parle avec sa spontanéité habituelle. Continuons à dialoguer sereinement.

Mme Viviane Reding. - J'ai donc, disais-je, éliminé les notifications qui me paraissaient inutiles, mais renforcé les moyens des autorités. Si le Parlement européen estime qu'il faut rétablir ces notifications, soit : je suis entre les mains des décideurs, c'est-à-dire du Parlement européen et du Conseil des ministres. Je ne fais que des propositions.

J'ai également exempté les PME de beaucoup de règles administratives que je trouve inutiles, en retenant la définition habituelle des textes européens, soit une entreprise de moins de 250 collaborateurs. Aux législateurs de décider s'ils m'accompagnent dans cette voie ou non. Les jeunes inventeurs, les créateurs de start up peinent à se développer en Europe. Sans les exonérer du respect des valeurs, j'essaye de leur éviter la paperasserie.

Le G 29 est fortement renforcé ; désormais doté d'une cohérence, il pourra influencer les autres régulateurs dans un cadre commun. S'il voit un problème émerger, il pourra initier un processus de cohérence pour le clarifier et le résoudre.

Sur le droit au déréférencement, attention : la plupart des grands moteurs de recherche prétendent que le droit à l'oubli ne serait techniquement pas possible. Nos experts pensent que si. Les citoyens doivent savoir que leurs données peuvent circuler, être vendues à des tiers. Dans certains pays, les données relatives au permis de conduire seraient vendues à des sociétés commerciales ! Pour assurer la transparence, point n'est besoin de soixante pages en petits caractères, mais d'une information claire et précise. Si des adultes décident de laisser filer, soit : c'est leur responsabilité. J'ai en revanche prévu des protections accrues pour les enfants, en-deçà de treize ans. J'aimerai connaître l'avis des élus du peuple français sur ce seuil ; ceux qui sont parents auront sans doute une opinion. En 2009, tous les grands réseaux sociaux avaient signé un accord stipulant que les profils des enfants seraient automatiquement secrets. Trois semaines plus tard, Facebook faisait le contraire... Cette fois-ci, il faudra être très contraignant, et faire appliquer la loi sur tout le territoire européen. Cette réglementation vise à faire de nous un Goliath, capable d'affronter d'autres Goliath. C'est pourquoi certains ont voulu la freiner. Elle est désormais sur la table : aux élus des peuples de voir ce qu'ils veulent en faire. La Commission est là pour les accompagner. Je me réjouis de vous voir collaborer avec les rapporteurs du Parlement européen.

M. Jean Bizet. - Je n'ai pas entendu votre réponse sur les contrôles préventifs. Sur le droit à l'oubli, il faut être très coercitif : à Google, rien d'impossible !

M. Jean-Paul Amoudry. - Vous ne m'avez pas répondu sur le G 29 et les actes additifs. Je ne doute pas que la règle sera poussée à l'optimum, mais sera-t-il néanmoins possible pour un État de renforcer la protection au-delà de ce que prévoira le dispositif européen ?

Mme Viviane Reding. - Oui, les autorités peuvent intervenir de leur propre chef. J'ai éliminé la paperasserie qui me paraissait inutile. Le G 29 pourra initier un processus de cohérence pour clarifier et résoudre tout problème qui se poserait. Ses moyens d'action seront renforcés, et il sera équipé en conséquence, au lieu de devoir compter sur des éléments détachés par les autorités nationales.

Non, il n'y aura pas de niveaux de protection différents. C'est l'essence même d'un règlement : une loi identique pour tout le territoire de l'Union européenne. J'ai retenu les règles les plus protectrices des systèmes existants. Un règlement ne règle toutefois pas tous les détails, d'où la possibilité d'actes délégués, par exemple pour prendre en compte les évolutions technologiques. Nous verrons où ces actes délégués seront nécessaires pour profiter de la flexibilité, ou si le législateur préférera fixer les choses une fois pour toutes. Je suis entre les mains des parlementaires et des ministres. J'ai proposé une vision, il peut y avoir des évolutions au fil des travaux parlementaires.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je remercie Mme la commissaire pour le soin qu'elle a pris de répondre à toutes les questions.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Vous avez dit être entre nos mains, madame la commissaire. Nous avons plutôt le sentiment d'être entre les vôtres.... Nos interrogations demeurent. L'harmonisation qu'apporte le règlement est bienvenue, comme le sont de nombreux points, notamment sur le droit à l'oubli. Mais une cinquantaine d'actes délégués, c'est beaucoup, et cela prendra du temps... Espérons que le travail en commun avec le Parlement européen et les parlementaires nationaux permettra d'en réduire le nombre.

Sur le guichet unique, nos interrogations demeurent. Sans prétendre que notre système est le meilleur, il n'est pas mauvais, même s'il peut être amélioré. Nous redoutons une harmonisation vers le bas. Si l'arbre est tordu d'un côté, il faut le tordre de l'autre pour le rendre droit, dit un proverbe chinois !

L'élaboration de ce texte va prendre du temps. Nous définirons une première position le 6 mars, en séance publique. Nous souhaitons ensuite continuer à échanger avec vous pour aboutir à une bonne législation. Merci encore d'être venue à Paris.

Mercredi 22 février 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Economie, finances et fiscalité - Réunion commune avec les membres français du Parlement européen et de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Je souhaite la bienvenue à nos collègues de l'Assemblée nationale et du Parlement européen. Premier point à notre ordre du jour : la réforme de la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne. Le Parlement français examine en ce moment même les deux traités sur le mécanisme européen de stabilité (MES). Dans une semaine sera signé le nouveau traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Parallèlement, le Parlement européen se saisit du two-pack, projet de règlements qui recoupe en partie le TSCG. Le changement qu'apportent ces textes dans la gouvernance économique et budgétaire de l'Union vont-ils dans le bon sens ? Aidera-t-il à résoudre les difficultés de l'économie européenne ?

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je me réjouis que perdure cette tradition de réunions communes, initiée avec M. Bizet.

Des progrès considérables ont été réalisés ces derniers mois en matière de solidarité, avec l'adoption du traité sur le MES, plus pérenne et plus réactif, qui décidera à la majorité de 85 %, et sera mieux armé et mieux financé que le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Je me félicite également de l'adoption du deuxième plan d'aide à la Grèce.

Sur le front de la responsabilité, après l'ambitieuse réforme du pacte de stabilité et l'introduction d'une surveillance dans le six-pack, le TSCG est la clé de voute de notre engagement à rétablir les équilibres budgétaires. Sur le front des politiques économiques communes, le nouveau traité institutionnalise les sommets de la zone euro, dotée d'un président permanent, et l'engagement d'accélérer la convergence en usant des coopérations renforcées.

Le défi est de coordonner nos institutions. Nous y avons travaillé avec M. Lamassoure, et je me réjouis que nous soyons parvenus, avec la coopération du représentant permanent à Bruxelles, à ce que soit inscrit, dans l'article 13 du traité, le principe de la conférence budgétaire, rassemblant des délégations des 27 Parlements et du Parlement européen. Nous en sommes à la phase de la composition, qui pose certains problèmes, notamment pour les Allemands...

Mme Pervenche Berès, députée européenne. - Je ne partage pas l'optimisme du président Lequiller sur bien des points, et notamment sur le traité, qui ne résout pas les problèmes de la zone euro. Les représentants du Parlement européen sont beaucoup intervenus dans la négociation du traité pour que soit mentionné à l'article 13 le protocole n° 1 du traité. Je rappelle que la commission économique et monétaire a, elle aussi, organisé des réunions avec les parlements nationaux, pendant cinq ans, et organise les 27 et 28 février prochains une réunion, avec la commission du budget et la commission emploi, pour analyser le semestre européen. Des délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale seront présentes.

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je ne niais pas ce qui est déjà fait !

Mme Pervenche Berès, députée européenne. - Il s'agit de rendre à César ce qui appartient à César.

Mme Pervenche Berès, députée européenne. - Je me réjouis de tout ce qui fait progresser le volet parlementaire de la coopération économique. Attention toutefois à ne pas instituer une grande conférence qui recréerait ce qu'était le Parlement européen avant son élection au suffrage universel : une instance où des parlementaires nationaux s'occuperaient à plein temps des questions économiques avec les parlementaires européens. Il faut progresser, mais chacun dans son champ de compétences. Nous ne renforcerons pas notre légitimité en mélangeant nos compétences en matière de contrôle démocratique du pilotage, au jour le jour, des politiques économiques. Nous en reparlerons les 27 et 28 février, et à d'autres occasions.

J'en viens au rapport de Mme Elisa Ferreira sur la proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi, l'évaluation des projets de plans budgétaire et la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro. Il s'agit, avec le rapport Gauzès, de la première utilisation de l'article 136 qui permet de définir une législation spécifique aux pays membres de la zone euro. Après le six-pack, c'est un two-pack, qui convaincra sans nul doute les électeurs que nous avançons dans la bonne direction.

La proposition de la commission est connue. Chaque projet de loi budgétaire nationale serait soumis mi-octobre à la Commission, qui aurait deux semaines pour examiner le texte au regard des exigences du pacte de stabilité, et rendrait un avis public avant le 20 novembre. Cela suppose une harmonisation des calendriers budgétaires nationaux... qui n'a guère progressé. Les budgets nationaux seraient élaborés à partir de prévisions de croissance indépendantes. L'INSEE se substituera-t-elle à la direction de la prévision ? Quel sera le rôle pour Eurostat ? Il faudra en discuter. Troisième point, l'inscription dans un texte national contraignant d'une règle chiffrée concernant le solde budgétaire, le tout contrôlé par un conseil budgétaire indépendant. Enfin, ce texte prévoit une surveillance plus étroite des États membres sous le coup d'une procédure de déficit excessif - soit quatorze des dix-sept États membres aujourd'hui. En cas de risque de non-respect du délai de correction, la Commission pourrait adresser une recommandation et présenter la correction aux parlements nationaux.

Le projet de Mme Ferreira réoriente d'abord le texte pour mettre en cohérence les procédures budgétaires des différents États membres dans le cadre du semestre européen, autour de cinq points : obligation pour la Commission de présenter l'examen annuel de croissance fin novembre ; prise en compte des contributions du Parlement européen avant les conclusions du Conseil de printemps ; orientations politiques définies au Conseil de printemps concernant à la fois le programme national de réforme et le programme de stabilité et de convergence ; envoi de ces programmes par les États en avril ; validation par le Conseil d'été des recommandations par pays. Il s'agit de réintégrer dans le texte de la Commission les éléments structurants du semestre européen.

Deuxième chapitre des propositions de Mme Ferreira, une surveillance améliorée des programmes nationaux de réforme, assurant la compatibilité entre les politiques budgétaires et les procédures de prévention et de correction des déséquilibres macroéconomiques - ce qui figurait dans le six pack mais a disparu du texte de la Commission.

Troisième chapitre, une meilleure prise en compte des objectifs inclus dans la stratégie UE 2020. Les nomenclatures budgétaires nationales doivent évoluer pour rendre plus lisibles les dépenses contribuant à la mise en oeuvre de cette stratégie, notamment en matière d'investissements publics.

Dernier chapitre : la mise en place d'autorités crédibles et indépendantes, en charge du respect des règles budgétaires. Derrière, se pose la question de l'intégration de la « règle d'or », qui suscite des critiques de fond.

Avec ces deux textes, on demande au Parlement européen, marginalisé lors de l'élaboration du traité, d'entériner le résultat d'une négociation intergouvernementale. On introduit dans la législation secondaire un accord intergouvernemental, sans savoir dans quelles conditions il sera ratifié. Enfin, le renforcement de la gouvernance économique repose toujours sur la même logique : l'idée que c'est en maîtrisant la dépense publique et la dette que l'on rétablira les conditions de la croissance. Nous sommes nombreux à ne pas partager ce point de vue.

M. Jean-Paul Gauzès, député européen. - Nous examinons en effet deux projets de règlement : l'un sur les déficits excessifs et le second, dont je suis le rapporteur, sur les États en difficulté. La concertation entre les groupes vise à aboutir à des textes pragmatiques et crédibles. L'accord sur le traité intergouvernemental est venu interférer avec la proposition de la Commission. Pour les deux rapporteurs, certaines de ses dispositions pourraient figurer dans le droit européen classique. Nous allons donc réintroduire dans les projets de règlement les dispositions du traité qui peuvent y être intégrées, en reprenant exactement les termes du traité. J'exclus pour ma part d'intégrer la « règle d'or » dans le règlement, considérant le traité avant tout comme un pacte d'actionnaires.

L'Ecofin, réuni hier, a largement repris les propositions de la commission. Je suis pour ma part sur la même ligne. Je m'étonne toutefois que la proposition de laisser la Commission décider seule de mettre un État sous surveillance renforcée, sans que le Conseil ait son mot à dire, n'ait pas suscité d'opposition...

Le règlement comporte la mise en place d'une surveillance renforcée, un programme d'ajustement macroéconomique, une cohérence avec la procédure de déficit excessif, avec le semestre européen, une surveillance post-programme. J'y ajoute une procédure qui me paraît nécessaire au vu de la situation grecque. Il faut aller plus loin que la surveillance renforcée et prévoir une protection juridique de l'État en difficulté. Ma proposition se calque sur le régime des entreprises en difficulté, inspiré du fameux Chapter eleven du Bankruptcy Code américain. Elle aurait pour conséquences : la suspension des clauses de déchéance du terme dans les prêts ; le gel des clauses de credit event ; l'obligation pour les créanciers de se faire connaître, sous peine de déchéance de leurs créances ; la suspension de la notation par les agences. La difficulté est d'articuler un tel régime avec le fonctionnement démocratique du pays sous contrôle. On ne peut aller jusqu'à une mise sous tutelle. Je propose de donner force obligatoire immédiatement contraignante aux recommandations de l'assistance technique.

J'ai eu la surprise de voir les présidents des principaux groupes soutenir mon idée devant la Conférence des présidents. Il faut désormais trouver ensemble une formule démocratiquement acceptable. L'exemple grec montre qu'accorder des fonds sans plan Marshall correspondant revient à tenter de remplir le tonneau des Danaïdes... On ne peut laisser un pays sous la pression quotidienne des créanciers, des agences et de l'opinion. L'Ecofin ne s'est pas encore prononcé sur ma proposition ; j'ai bon espoir que l'on trouve une solution innovante.

M. Alain Lamassoure, député européen. - Ce qui se met en place pour contrôler la discipline budgétaire est globalement satisfaisant. À titre personnel, j'estime que les pays qui se sont vus imposer des taux d'intérêt punitifs sont guéris pour vingt ans de la tentation du surendettement !

Deux questions vont se poser : la coordination des politiques de croissance, et la solidarité au sein de l'Union européenne. Le système du semestre européen vise à coordonner les politiques économiques nationales afin de sortir de la récession par une croissance forte et durable et une compétitivité retrouvée. Tout est à inventer. Nous n'avons pas d'instrument de comptabilité nationale pour mesurer l'effet macroéconomique des politiques des finances publiques des 27 et de l'Union. Comment comparer le policy mix américain et le policy mix européen ? Quelle est la somme algébrique des effets des politiques budgétaires ? Les élèves de l'ENA que j'ai fait travailler sur le sujet ont rendu une copie bien floue... Personne ne sait si l'effet global a été plutôt expansionniste, inflationniste ou récessionniste.

J'en viens au niveau économique. Nombre de prix Nobel nous dispensent leurs conseils pour sauver l'euro, mais le Keynes du XXIème siècle, capable de dire quelle serait la bonne politique économique pour une union monétaire dans un espace mondialisé, n'existe pas. Il faut mettre en place un concert économique européen au sein duquel chaque pays aura sa partition à jouer : les politiques budgétaires ne seront pas les mêmes dans les 27 pays, mais elles seront en harmonie.

Le troisième niveau est politique. Va-t-on demander aux pays du Nord, qui ne sont pas endettés, de mener une politique de relance pour compenser les politiques restrictives des autres ? Sans consensus, ce n'est pas possible. Il faudra inventer des procédures. On voit ici l'intérêt qu'il y à faire travailler, à côté du Conseil européen, des représentants des parlements nationaux. Je veux rassurer Mme Berès : s'il faut multiplier ce type de rencontres, ce n'est pas pour créer une institution supplémentaire, mais quand les économies sont à ce point imbriquées, chaque pays doit replacer ses orientations budgétaires dans le contexte européen avant de les définir. Il est utile d'entendre les témoignages des élus des États membres, y compris des représentants de l'opposition : si, il y a deux ans, nous avions ainsi placé devant leurs responsabilités non seulement le gouvernement grec mais aussi l'opposition de l'époque, les choses se seraient sans doute passées différemment. De même, si tous les partis politiques des États membres avaient pu s'exprimer publiquement sur le nouveau traité, le texte final aurait peut-être été autre.

Les chiffres de l'aide à la Grèce sont impressionnants : on prête sans barguigner 130 milliards d'euros, à comparer au budget communautaire, qui s'élève à 140 milliards ! Le club des pingres refuse de voir le budget de l'Union augmenter d'ici 2020, mais Berlin garantit des prêts colossaux à un seul pays ! Cela devrait nous conduire à revoir le problème de la solidarité au sein de l'Union. Après la crise, nous ne pourrons plus porter le même regard sur le budget européen.

M. Pierre Bernard-Reymond. - L'insuffisance du budget européen prive l'Europe de crédibilité. Alors que la plupart des États croulent sous leurs dettes, le niveau européen, lui, n'est pas endetté. La relance ne devrait-elle pas plutôt se faire à ce niveau-là ? Compte tenu de leur dette, les États n'en sont pas capables.

Pour créer des synergies, des économies d'échelle au niveau européen, il faudrait que le budget communautaire soit porté à 2 % du RNB européen d'ici 2020, et soit constitué à 60 % de ressources propres, contre 14 % aujourd'hui. La Commission propose de lui affecter une part de TVA, ainsi qu'une taxe sur les transactions financières. D'autres possibilités existent. Il faut en finir avec la logique du « juste retour », contraire à la solidarité européenne. Il faut faire comprendre aux États que l'on ne peut exiger de l'Europe, qui n'est pas endettée, autant de sacrifices qu'à des États étranglés par leur dette !

M. Christophe Caresche, député. - Difficile de s'y retrouver dans ce chevauchement de textes et de compétences, dû peut-être à une concurrence entre les différentes institutions... Un exemple : la Commission pourra décider de mettre sous surveillance renforcée un État assisté par le MES...assistance décidée non par la Commission mais par les ministres des finances !

M. Jean-Paul Gauzès, député européen. - Ce problème n'a pas échappé à Mme Ferreira, qui recherche une solution.

M. Christophe Caresche, député. - Je m'en réjouis. Le fait d'être sorti du droit communautaire aboutit à un chevauchement juridique et à des concurrences institutionnelles problématiques. Il faut remettre de la cohérence là-dedans.

Mme Pervenche Berès, députée européenne. - Avec le two-pack, nous sommes bien loin de la codification chère aux Français ! Il y a non seulement concurrence des textes, mais aussi flottements des autorités, entre le couple franco-allemand, le président Van Rompuy, le président Barroso, les services de la Commission... En résulte une grande insécurité juridique.

L'articulation même des procédures pose problème. Ainsi, le six-pack renforçait le pacte de stabilité et prenait en compte les déséquilibres macroéconomiques, qui ont disparu du traité comme du two-pack. Deuxième exemple : la contradiction, au sein du semestre européen, entre la stratégie UE 2020 et le pacte de stabilité et de croissance, qui n'est pas résolue par l'enchevêtrement des textes. Nous devons alerter l'exécutif, par trop brouillon dans ses initiatives. Troisième exemple : la possibilité d'utiliser les fonds structurels pour sanctionner les pays qui dérapent - que M. Gauzès propose d'ailleurs de supprimer du règlement - figure également dans la discussion sur la base juridique des prochains fonds structurels, ainsi que dans le texte sur les prochaines perspectives financières !

Je suis d'accord avec M. Lamassoure sur l'instrument comptable. La Commission propose, avec le semestre européen, de se servir de l'examen annuel de croissance pour dresser un diagnostic global de l'économie. Elle est coupable, car elle met sur la table des éléments sans se donner les moyens d'aller jusqu'au bout.

Monsieur Bernard-Reymond, sur le budget communautaire, j'attends de connaître la position de la France sur les prochaines perspectives financières... Rapporteur de la commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale (CRIS), je me suis battue pour préserver une référence au rapport Werner, qui estimait qu'avec une monnaie unique, il fallait un budget communautaire de 5 % ! Il faut voir ce que signifie 2 % au regard de la stratégie budgétaire de la Commission.

M. Jean-Paul Gauzès, député européen. - L'aspect chaotique des propositions, leur absence de cohérence découlent de la volonté de s'adapter à des situations changeantes. Il est vrai que le two-pack comporte des contradictions, omet des éléments qui figuraient dans le six-pack. La gestion au jour le jour d'une crise aux développements imprévisibles rend difficile la mise en place d'une législation. Le devoir du Parlement est d'introduire de la cohérence dans ces mesures, dans une perspective de long terme. Je reste optimiste.

M. Bruno Gollnisch, député européen. - Je vais vous paraître bien négatif, mais je suis frappé par la présentation chaotique de ces mesures. Même pour un juriste médiocre comme moi, ces textes verbeux sont contraires à notre intelligence, à notre tradition juridique, confus, contradictoires. « Pourquoi tant de lois ? C'est parce qu'il n'y a point de législateur », a écrit Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France. On entasse les traités, en nous promettant monts et merveilles : l'Acte unique, Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne... Tout ceci ne sert à rien, puisqu'il faut aujourd'hui multiplier les textes pour combler des lacunes immenses. C'est donc que le système ne marche pas, et qu'il faut faire autre chose !

Prenons la gouvernance de la zone euro. Les chefs d'État et de gouvernement se réunissent deux fois par an. Très bien, pourquoi pas ? Ils peuvent inviter le président de la Banque centrale européenne, le président du Parlement européen - mais pas le président du Conseil, qui était pourtant la grande création de Lisbonne !

Ces textes sont de plus en plus contraignants, de plus en plus contraires à la souveraineté des États - non que celle-ci ne puisse être limitée, pacta sunt servanda, etc. -mais là, les États sont punis, mis à l'amende, fessés ! C'est dérisoire, et sera considéré comme profondément humiliant par les peuples. La surveillance renforcée est une mise sous tutelle. Au lieu de reconnaître que nous avons fait fausse route, nous poursuivons dans une voie erronée, de plus en plus rejetée par les peuples. Athènes est en feu ! Cela devrait nous interpeller au niveau du vécu, comme dirait mon curé ! Nous allons vers une crise majeure et un rejet de ce système par les peuples.

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je ne rentrerai pas dans ce débat. Chacun ses convictions, nous connaissons les vôtres.

Nous avons connu trois crises majeures, auxquelles nous avons répondu avec réactivité, en multipliant les réunions et les concertations. D'où une solution qui n'est pas tout à fait aboutie juridiquement.

Je reste optimiste. L'Europe a souvent avancé à la suite de crises. Lorsque nous serons sortis de la crise, nous mesurerons les progrès accomplis. Il y a un an encore, le mot de gouvernance économique était tabou au Bundestag ! Il était impensable, au CDU-CSU ou au FDP, d'aider d'autres pays. Nous avons connu des progrès extraordinaires. M. Lamassoure a souligné les trois étapes qui se mettent en place maintenant. Les responsables d'Eurostat nous ont confirmé la nécessité de l'harmonisation comptable. La coopération interparlementaire nationale et au sein du Parlement européen permettra de rapprocher les points de vue politiques. Sur le budget, je suis d'accord avec Pierre Bernard-Reymond : il devra se fonder davantage sur des fonds propres.

J'en viens au second point de l'ordre du jour.

M. Simon Sutour, président. - Il s'agit des relations entre la Chine et l'Union européenne. Nous expérimentons une formule originale : je cède la parole aux auteurs du rapport et de la proposition de résolution de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur les relations sino-européennes. J'ai beaucoup apprécié leur travail.

Mme Marie-Louise Fort, députée, co-rapporteure. - Premier aspect de cette relation bilatérale qui rapproche près de deux milliards d'êtres humains : la position de la Chine et de l'Union européenne face aux responsabilités de la gouvernance mondiale.

La Chine et l'Union européenne sont devenues des acteurs majeurs de la mondialisation, grâce à la réussite du modèle spécifique de croissance par l'exportation de l'Etat-continent le plus peuplé du monde et du modèle d'intégration d'un continent d'Etats sans précédent historique.

Le choix de la Chine de se transformer en atelier du monde pour nourrir sa croissance a été déterminant dans l'avènement du monde multipolaire. Son industrialisation massive, par l'ouverture aux entreprises multinationales des pays avancés, en a fait le centre de la transformation et de l'exportation vers ces pays. En résulte le basculement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Asie, où vit 60 % de la population du globe. Sa montée en gamme systématique est fondée sur la priorité du rattrapage technologique. Elle s'appuie sur la taille future de son marché intérieur qui lui permettra de porter toutes les innovations technologiques du XXIème siècle et de constituer des groupes mondiaux capables de peser sur la définition des normes techniques mondiales.

Ce modèle de croissance par l'exportation a fait de la Chine un géant économique. Premier manufacturier du monde, elle est devenue le premier exportateur mondial, devant l'Allemagne, en 2009, et pèse plus de 10 % des exportations mondiales en 2010, au lieu de 5 % dix ans avant.

Avec un PIB de 5 878 milliards de dollars en 2010, la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde, devant le Japon et derrière les Etats-Unis (14 527 milliards). Les Etats membres ne reprennent le premier rang qu'en regroupant leurs forces au sein de l'Union européenne (16 242 milliards).

La Chine a établi avec l'Europe et les Etats-Unis les deux principaux axes commerciaux du monde. Cette interdépendance commerciale s'est muée en interdépendance financière avec la transformation massive des excédents commerciaux de la Chine en placements massifs aux Etats-Unis et, secondairement, en Europe.

La Chine a soumis les industries des pays avancés à une rude concurrence. La hausse de 9 points (de 3 % à 12 %) des exportations chinoises dans le commerce mondial à partir de 2001 s'est traduite par des pertes de marché, de 3 points pour la zone euro, qui en aurait perdu plus sans l'augmentation des exportations de l'Allemagne vers la Chine, de 4 points pour les Etats-Unis et de 2 points pour la France, et par la désindustrialisation : les productions manufacturières ont stagné en Europe et aux Etats-Unis, alors qu'elles ont quintuplé en Chine depuis 1998.

L'appétit de son modèle de croissance en énergie et en matières premières et l'intégration productive régionale ont conduit la Chine à pratiquer une diplomatie intensive de l'énergie et des matières premières, et à mener une politique asiatique de stabilisation régionale. Toutefois, elle inquiète ses voisins à cause de ses revendications territoriales et de souveraineté maritime, soutenues par un renforcement de sa puissance navale ; les Etats-Unis ont réagi avec le lancement du projet de partenariat transpacifique.

La Chine est une puissance paradoxale : l'importance de sa population lui donne un double statut international. Elle est l'un des trois acteurs systémiques de la mondialisation, aux côtés des Etats-Unis et de l'Union européenne, et l'on attend qu'elle exerce pleinement ses responsabilités internationales dans la gouvernance mondiale. Mais elle est encore, comme nous avons pu le constater en y allant, un pays en transition qui s'implique pacifiquement, progressivement et prudemment dans l'exercice des responsabilités mondiales.

L'intérêt de l'Union européenne est que l'économie mondiale repose sur des bases saines, pour résorber les déséquilibres mondiaux, commerciaux et monétaires. Mais la sous-évaluation du yuan biaise les positions de la Chine.

Après avoir retrouvé son rang, la Chine s'efforce d'apaiser les craintes de ses partenaires, en soutenant le multilatéralisme, en renforçant l'intégration régionale et en participant à la gouvernance mondiale. Elle mène une stratégie d'indépendance vis-à-vis de l'Occident, s'efforce de développer un partenariat avec les grands pays émergents et ne veut pas se laisser entraîner au-delà de ses moyens, ni en dehors de ses priorités.

Dans la négociation sur le réchauffement climatique, la Chine évolue à son propre rythme, sans égard pour des objectifs mondiaux contraignants, en développant son effort technologique, pour figurer aux avant-postes de la révolution verte, grâce aux perspectives de voir émerger sur son marché intérieur des champions innovateurs.

La Chine a coopéré au règlement de certaines crises internationales, mais sa convergence avec la Russie l'a menée jusqu'au veto sur la Syrie.

Les déséquilibres internes provoqués par sa croissance fulgurante la conduisent à réorienter son modèle exportateur vers le développement de la consommation intérieure et du bien-être social. Le défi pour le régime est de changer de modèle économique sans changer de modèle politique, dans une société en pleine mutation.

Le douzième plan quinquennal (2011-2015) devrait constituer le point de départ de cette mutation et coïncider avec le renouvellement des organes du parti unique en octobre 2012.

Cette nouvelle stratégie suscite trois interrogations : sur la difficulté de la transition, sur l'évolution du régime politique sous la pression d'une société civile émergente comptant plus de 500 millions d'internautes, et sur la capacité d'une superpuissance autoritaire d'exercer un leadership mondial, dans un monde où les individus communiquent par-dessus les frontières et les hiérarchies.

L'Union européenne doit relever son défi intérieur et surmonter les contradictions entre Etats membres pour définir un intérêt commun et agir de concert face à ses grands partenaires. Au-delà des dispersions institutionnelles et des divergences d'intérêt entre les Etats membres, la crise de l'euro et des balances de paiement a montré que les écarts de compétitivité se sont creusés surtout dans le commerce au sein de l'Union et non avec les pays tiers.

Quatre-vingt-dix pour cent de la croissance mondiale à venir se réalisera en dehors de l'Europe. C'est pourquoi l'Union doit établir un partenariat fécond et équilibré avec la Chine.

Le 14 février dernier, le 14ème sommet Union européenne-Chine, qui a réuni les présidents Barroso et Van Rompuy et le Premier ministre Wen Jiabao, a abouti à des réalisations encourageantes, mais limitées, sur l'accord bilatéral sur les investissements, le développement urbain durable et la multiplication des échanges, à travers le dialogue entre les personnes, l'éducation et la culture.

M. Jérôme Lambert, député, co-rapporteur. - Venons-en aux relations directes entre l'Union européenne et la Chine. Le rachat de dettes souveraines de certains Etats et la participation éventuelle de la Chine aux opérations du Fonds européen de stabilité financière ont suscité des craintes pour l'indépendance de l'Europe. La Chine est amenée à le faire, parce que sa croissance est largement dépendante des exportations et que l'Europe est son premier client. Une baisse de 1 % du PIB européen se traduit par une baisse de 10 % des exportations chinoises. La Chine détient une large part de la dette des Etats-Unis, sans que la question de l'indépendance de ce pays ne soit posée !

Les investissements chinois en Europe ont été multipliés par 2,5 en 2011 par rapport à 2010, où ils étaient encore très modestes. Ils ont visé des secteurs stratégiques, comme les infrastructures portuaires en Grèce, ou des entreprises en difficulté, comme Volvo ou Rover, symboles du déclin industriel de l'Europe. Le rachat d'une société allemande d'éoliennes témoigne de la volonté de s'approprier les technologies et le savoir-faire européens.

Depuis la reconnaissance de la Chine en 1975 par l'Union européenne, leurs relations portent la marque d'une grande ambivalence. La Chine tire le parti maximum de son statut de pays en développement et a bénéficié de concessions unilatérales tarifaires, liées au système des préférences généralisées, et de la politique d'aide au développement. Pourtant, sa situation a bien évolué depuis quarante ans !

L'Union européenne a mené longtemps une politique d'engagement inconditionnel. Elle pensait qu'en lui accordant des concessions économiques, la Chine en ferait d'autres, notamment sur les droits de l'Homme, et qu'en montrant le bon exemple, en matière d'environnement, la Chine lui emboîterait le pas. L'Europe, en 2001, a soutenu l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a été le catalyseur de la croissance exportatrice chinoise. Quels progrès ont été accomplis, depuis dix ans, en matière environnementale ou de droits de l'Homme ? Pas grand-chose !

Jouant des divergences entre les Etats membres, la Chine se sent en position de force. Il n'est pas une seule négociation, dans le cadre du partenariat stratégique qui les lie depuis 2003, où les Européens ont obtenu ce qu'ils voulaient des Chinois. Les négociations sur un nouvel accord-cadre afin de remplacer l'accord de commerce et de coopération de 1985, qui est obsolète, bloquent depuis 2006 sur l'embargo sur les armes, l'octroi à la Chine du statut d'économie de marché et la réciprocité pour l'accès au marché chinois. Les Chinois demeurent imperturbables.

Nos relations sont asymétriques. L'asymétrie de résultats est illustrée par un déficit commercial structurel, très différent selon les Etats membres, l'Allemagne voyant chaque année son déficit se réduire. L'accession de la Chine au rang de première puissance exportatrice s'est faite au détriment de l'Europe qui a perdu, en dix ans, trois points de parts de marché. Cette percée chinoise résulte de la multiplication de la production manufacturière. La Chine a contribué à la désindustrialisation des pays de l'OCDE, de même que les stratégies de délocalisation des entreprises occidentales. La Chine ne s'est pas développée toute seule, même si elle devient de plus en plus autonome : nos grandes entreprises y ont investi, en y apportant leurs productions et leurs brevets.

L'asymétrie est patente dans les comportements : les difficultés persistantes d'accès au marché chinois pour les entreprises européennes, le manque de transparence des réglementations et leur mise en oeuvre arbitraire, les droits de propriété intellectuelle contournés, les transferts de technologie imposés, les commandes publiques réservées aux producteurs nationaux et les distorsions bénéficiant aux entreprises chinoises, ainsi qu'une sous-évaluation chronique du yuan sont autant de facteurs de déséquilibre, contraires aux obligations qu'implique l'adhésion à l'OMC. La Chine ne peut pas tirer profit du libre-échange et ne pas respecter les règles du commerce international.

Après avoir largement ouvert ses marchés, l'Union européenne, depuis 2009-2010, semble avoir compris qu'il fallait changer de méthode. Lors du sommet Union européenne Chine de 2009, elle a refusé l'octroi anticipé du statut d'économie de marché, revendication récurrente de la Chine qui rendrait la mise en oeuvre des clauses antidumping plus difficile pour l'Europe. Le principe de réciprocité adopté par le Conseil européen, largement porté par la France, vise tous les émergents et particulièrement la Chine.

Nos interlocuteurs chinois ont parfois l'air de ne pas comprendre. Je vous renvoie à notre rapport écrit. Pendant notre déplacement, nous avons été reçus par des autorités intéressantes, qui nous ont dit leur souci que l'Union européenne et la Chine établissent un partenariat « gagnant-gagnant ». Nous en sommes loin ! Le rééquilibrage des relations, par la mise en oeuvre du principe de réciprocité, est indispensable. Au cours des prochaines années, les pays émergents, dont la Chine, tireront la croissance mondiale. Le marché chinois est un enjeu pour les entreprises européennes, grandes entreprises ou PME, dans des secteurs comme les énergies renouvelables, l'automobile ou les services.

L'Union européenne a des atouts : elle est la première zone commerciale mondiale et l'interdépendance des économies constitue un levier de négociation.

Avant tout, l'Europe doit forger son unité et surmonter ses divergences pour définir ses priorités. La priorité absolue, la clé de sa compétitivité, est son avance technologique, qu'elle doit conserver en développant l'innovation et en la protégeant, tant pour ses investissements en Chine que pour les investissements chinois en Europe. Tel est l'objet de plusieurs points de notre proposition de résolution.

La réciprocité pourra surgir d'un accord sur les investissements, tendant à réduire les barrières non tarifaires et à permettre aux entreprises européennes d'accéder au marché chinois, sans être tenues de transférer leurs technologies. Ne rêvons pas, mais amenons-les à négocier ! De même, l'Union européenne ne doit pas ouvrir ses marchés publics sans réciprocité, comme c'est le cas actuellement.

L'Union européenne doit être moins naïve, si elle veut rétablir l'équilibre nécessaire des relations, d'autant que la Chine, son économie, sa société, ne sont pas immunes et pourraient faire face à des difficultés.

Mme Pervenche Bérès, députée européenne. - Attention à l'appel à l'épargne des pays émergents pour éponger une partie de la dette européenne ! Voyez les Etats-Unis ! Nous avons l'impression qu'ils disent « le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème », en bénéficiant du privilège exorbitant de disposer d'une monnaie de réserve et en faisant financer leur dette par le reste du monde. Mais, vu de Chine, il en va tout autrement ! Les Chinois ont utilisé leur maîtrise d'une partie de la dette américaine, donc du cours du dollar, comme levier de négociation avec les Etats-Unis : ils se tiennent par la barbichette ! Je ne vois pas pourquoi ils accepteraient avec enthousiasme d'y renoncer. Le patron du fonds souverain chinois est un diplomate, il dit avoir conscience de l'allergie de l'opinion publique à l'intervention de ce fonds dans le CAC 40 ou nos banques, mais les statistiques sont là : leur croissance dépend aussi de nous. Nous devons négocier plus cher que nous le faisons leur besoin de notre marché intérieur.

Vous avez mentionné le rachat d'une entreprise allemande d'énergie éolienne. Le plus grand producteur danois du secteur a délocalisé ses usines en Chine, en alléguant un rapprochement de ses futurs marchés. Ne soyons pas naïfs : certaines éoliennes reviennent en Europe !

Il faut en tirer les conséquences, en poussant beaucoup plus loin la réflexion sur ce que certains d'entre nous appellent, non la réciprocité, mais « le juste échange ». Personne ne peut reprocher à la Chine d'émerger, nous devons nous en réjouir ! Mais la santé du système bancaire et du marché financier chinois, son appétence pour nos « produits dérivés », la titrisation, dont nous connaissons les conséquences, doivent nous préoccuper. Sachons tirer les leçons de la crise, dans nos négociations avec les Chinois !

La Chine est-elle une bonne élève du multilatéralisme ? Je ne le crois pas. Nous, Européens, avons le plus grand intérêt à ce que le multilatéralisme fonctionne, mais nous ne nous en donnons pas les moyens, parce que nous sommes crispés sur l'évolution de la représentation de la Chine au FMI et des conditions de sa participation dans les organisations internationales.

M. Bruno Gollnisch, député européen. - Oui, la prospérité de la Chine est tout à fait compatible avec la nôtre ! Ce rapport et cette proposition de résolution sont très intéressants. Ils mettent en lumière la contradiction entre la construction d'un ensemble régional où circulent librement les marchandises et les capitaux, afin de maintenir, au sein de l'Union européenne, un certain niveau de prix, de revenu, de protection sociale, supérieur au reste du monde, et son ouverture à un pays comme la Chine, où règne, toute communiste qu'elle soit, le capitalisme le plus effréné, les ouvriers y étant payés vingt fois moins que chez nous, n'ayant ni retraite ni protection sociale ou si peu, tout en travaillant six jours sur sept et en dormant 35 heures par semaine ! Comme le régime est autoritaire, ils ne peuvent se syndiquer librement, ni manifester, ni revendiquer une vie meilleure. C'est cela, et non la perversité chinoise, qui incite les entreprises à délocaliser vers ce gisement de main d'oeuvre disciplinée, intelligente, très bon marché, comme nous avons mis du temps pour le découvrir ! Il ne s'agit pas de s'isoler du reste du monde et de bloquer nos relations avec la Chine, mais de rappeler, comme vous le proposez, que les relations internationales sont fondées sur la réciprocité, y compris les relations commerciales, et non sur des règles définies par l'OMC, dont le respect fluctue au gré des intérêts.

L'embargo sur les armes est assez largement contourné. La Chine vient de se doter d'un superbe porte-avions, l'ancien Varyag soviétique, acheté à l'Ukraine, et entièrement rénové, ce qui illustre la montée en puissance de sa flotte, un peu inquiétante, notamment pour Taïwan. Elle pourrait exercer une pression sur la Corée du Nord. Il faudrait un jour une conférence sur la Corée, analogue à celle qui a obtenu le départ des troupes soviétiques d'Autriche après la seconde guerre mondiale, en échange de sa neutralisation, afin de réunir la Corée du Sud et la Corée du Nord, dont le régime abominable menace la sécurité de la région.

La Chine n'abandonnera jamais le Tibet, qu'elle a toujours considéré comme l'une de ses provinces ; tout au plus peut-on lui demander, sans nous payer de mots, de respecter davantage la culture tibétaine.

Sur l'attitude de la Chine et de la Russie à l'ONU à propos de la Syrie, je m'étonne de votre étonnement, non que je défende le régime de Bachar el-Assad, que je n'aurais pas invité à la tribune du 14 juillet, mais parce que la Chine a déjà concédé à l'OTAN une certaine latitude en Lybie pour protéger les populations civiles. Je n'ai aucune sympathie pour Kadhafi, mais enfin, nous avons, au-delà de ce mandat, procédé à des bombardements massifs des parties du pays qui lui étaient restées loyales, détruit sa flotte, armé les insurgés et participé en direct à son assassinat ! Il ne faut donc pas s'étonner que la Chine et la Russie nous disent : « vous nous avez eu une fois, vous ne nous aurez pas deux fois ! »

M. Patrice Calméjane, député. - La Chine, en 2012, est un « pays en voie de développement » et la deuxième puissance mondiale ! L'angélisme de votre rédaction est surprenant... Cette dictature fait travailler des centaines de millions de Chinois sans aucune règle sociale, dans une société où la liberté individuelle n'existe pas. Comment parler d'égal à égal ? La « promotion des valeurs démocratiques » n'apparaît qu'à la fin de votre proposition de résolution. Vous pourriez la remonter ! Nous demandons à la Chine « d'accentuer la lutte contre les produits de contrefaçon qui portent atteinte aux produits de qualité et à la santé publique». Il faudrait au moins introduire un délai ! Dans quel monde sympathique vivons-nous ? La Chine nous inonde de produits de qualité moyenne, voire issus de la contrefaçon, fabriqués dans des conditions lamentables, souvent par des enfants, au mépris de la santé et de la sécurité. Votre rédaction est bien gentille, alors que la Chine recherche une véritable hégémonie économique mondiale ! C'est un partenaire, nous avons encore des choses à lui vendre, le ralentissement de notre PIB lui pose problème, mais le jour où elle n'aura plus besoin de nous, elle nous laissera au bord de la route sans hésiter ! Il faudrait muscler la rédaction de vos recommandations à la Commission européenne !

M. Philippe Juvin, député européen. - Nous pouvons parler de tout avec la Chine, sauf d'interdépendance. Ses capitaux viennent chez nous, elle prend des positions unilatérales. C'est de la dépendance ! C'est une grande puissance économique qui veut s'affirmer comme grande puissance politique : le porte-avions est un symbole de sa volonté de mener une politique mondiale. Nous n'avons pas pris la mesure de la puissance chinoise. Le texte présenté par la commission au Parlement européen sur le CO2 citait « l'Inde et la Chine » parmi les pays susceptibles de s'affranchir des règles communes, il y a deux ans. Dans l'esprit de certains, la Chine n'était pas une grande puissance et encore moins une menace.

Cosco Pacific, filiale de la compagnie maritime d'Etat chinoise, a obtenu deux concessions de 35 ans pour gérer deux terminaux de conteneurs du port du Pirée. Elle a emporté un marché de gestion d'infrastructures en pleine propriété. Autre scandale : la construction de l'autoroute Lodz-Varsovie a été attribuée au groupe chinois Covec, qui a gagné ce marché public, financé par le fonds social européen, contre deux sociétés européennes! Il faut obtenir la réciprocité pour les marchés publics, qui n'existe pas actuellement. Les marchés publics chinois, estimés à mille milliards de dollars, ne sont pas ouverts, alors que les nôtres le sont ! A nous de nous doter, via la directive sur les marchés publics et celle sur les concessions, en cours de discussion, des outils et des moyens de la réciprocité ! M. Barnier y travaille. Nous devons disposer d'outils législatifs et réglementaires. La question des investissements en Europe est fondamentale : les Chinois profitent des garanties financières fournies par l'UE aux obligations grecques qu'ils achètent ! Celle de la protection de l'innovation aussi. Nous ne pouvons continuer à prétendre que l'innovation est notre atout dans le monde si nous ne savons pas protéger la propriété intellectuelle, bien au-delà de l'internet.

Mme Catherine Trautmann, députée européenne. - Je suis préoccupée par la gouvernance de l'internet et des nouvelles technologies. Après le mouvement qui a conduit au sommet mondial sur la société de l'information de Tunis, nous assistons à la tentative de certains Etats, notamment la Chine et la Russie, de battre en brèche ses acquis, en passant par l'union internationale des télécommunications. Ce sont les pays émergents qui ont engagé la bataille sur les noms de domaines, pour éviter une rupture du système international de l'internet. Il s'agit des droits de l'Homme et de la liberté de l'internet. Lors de notre visite à Washington il y a quelques mois, nous avons assisté, au Sénat américain, à une séance de la sous-commission Chine, portant sur trois questions : le commerce international, les droits de l'Homme, Internet. Je vous recommande de consulter ces travaux et d'observer attentivement l'évolution de la Chine sur ces trois sujets hypersensibles, qui touchent notamment à la défense et à nos moyens d'observation. Je n'ai jamais été pour le stockage de données sur des méga-serveurs américains, mais la Chine dispose aujourd'hui d'importantes capacités de cloud computing. La grande entreprise de télécommunications chinoise Huawei vient d'ouvrir un bureau de lobbying à Bruxelles. J'ai été alertée par les syndicats d'Alcatel-Lucent sur les risques de la présence de cette entreprise, qui après le marché européen des terminaux, va s'attaquer à celui des réseaux. Il en va de même pour les terres rares, composants essentiels des téléphones portables et des tablettes, dont la Chine maîtrise le marché. Je souhaite que l'Union européenne soit beaucoup plus conséquente qu'elle le prétend sur les normes applicables en particulier aux télécommunications et à l'internet. La maîtrise de notre avenir est en jeu. Si la Chine intervient sur notre dette, bénéficie d'un excédent commercial, nous taille des croupières dans des secteurs stratégiques comme l'aéronautique, l'espace, les télécommunications, la balance sera de plus en plus déséquilibrée en notre défaveur. La Commission européenne a longtemps été naïve. Les Chinois ont compris qu'ils ont été écartés de l'accord sur la contrefaçon. Ils seront désormais plus durs et plus exigeants. Politiquement, soyons actifs sur la question de l'internet !

M. Pierre Bernard-Reymond. - Interrogeons-nous sur les transferts de technologies consentis par nos entreprises, pour remporter leurs contrats commerciaux en Chine ! Nous sommes confrontés, non seulement à un problème d'achat de terres rares, mais aussi à un problème d'achat massif de terres agricoles, ou de baux à très long terme dans les pays qui prohibent la vente de terres à des étrangers, à Madagascar et ailleurs.

Les Chinois ont acheté le port du Pirée, mais pas celui de Marseille, quand ils ont su qu'il était géré par la CGT !

M. Bruno Gollnisch, député européen. - C'est l'avantage du syndicalisme !

Mme Catherine Trautmann, députée européenne. - Il protège !

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. - Je suis d'accord avec M. Pierre Bernard-Reymond. Ne classons plus la Chine dans la catégorie des pays émergents...

M. Bruno Gollnisch, député européen. - C'est un pays submergent !

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. - L'Union européenne et la France doivent se préoccuper de ce que la Chine a fait en Afrique...

M. Bruno Gollnisch, député européen. - Oui !

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. - ...que nous avons négligée, s'il est encore temps !

La Commission européenne n'est pas naïve, mais, ce qui est pire, partagée en deux : une partie s'en tient au dogme libre-échangiste, en dépit de la crise mondiale qui a touché l'Union européenne. Même le président de la Commission a mis longtemps à évoluer vers plus de réalisme. Des commissaires, comme Michel Barnier ou son collègue chargé de l'industrie tentent de contrecarrer ce dogme, mais ils se heurtent à d'énormes difficultés. Il faut aller plus vite, pour faire prévaloir la réciprocité, à l'OMC aussi. Nous ne pourrons pas avancer si nous ne rompons pas avec les idées du passé. Le diagnostic posé, le constat établi, les solutions connues, nous devons surmonter ces graves blocages.

M. Dominique Riquet, député européen. - Il y a cinq ans, nous aurions parlé exclusivement de droits de l'Homme, qui ne nous préoccupent plus aujourd'hui, bien qu'ils restent d'actualité en Chine. Les Chinois rachètent la dette américaine, et non la nôtre, parce que notre monnaie n'est pas une monnaie de réserve, et parce que les Américains ont défendu leur souveraineté. Aux Etats-Unis, dès qu'ils concernent une industrie sensible comme la défense, l'aéronautique ou l'électronique, les transferts de technologies sont interdits. Il en va de même pour les infrastructures. Les Chinois se sont intéressés aux ports de New York et de Los Angeles. Un décret fédéral le leur a interdit. Nous sommes victimes de notre naïveté, mais aussi de notre absence de coordination : l'Europe n'est pas un Etat fédéral ! Je suis contre l'idée que nous devrions faire racheter notre dette par les Chinois. L'austérité - qui ne suffit pas, car il faut de la croissance - est aussi le prix de notre indépendance. Elle est liée à notre compétitivité et à notre relation avec la Chine. Par leurs coûts salariaux et leur politique sociale, les Chinois submergent la planète. Les Etats-Unis se défendent parce qu'ils sont une puissance impérialiste, au sens étymologique, et qu'ils n'acceptent pas le multilatéralisme. La Chine nous renvoie à nos propres insuffisances : l'Europe n'est pas un Etat fédéral, sa monnaie n'est pas une monnaie de réserve, elle a mené une politique déraisonnable en matière d'investissement, de recherche-développement, de transferts de technologie et défense de ses frontières. Elle doit aujourd'hui régler tous ses problèmes en même temps, ce qui est difficile !

Mme Marie-Louise Fort, députée, co-rapporteure. - Nous avons rencontré la directrice adjointe chinoise chargée des droits de l'Homme...

M. Jérôme Lambert, député, co-rapporteur. - ... qui a négocié sur le sujet avec l'Union européenne.

Mme Marie-Louise Fort, députée, co-rapporteure. - Nous ne nous sommes pas privés de lui faire des remarques. Sa réponse, en substance : « nous avons réformé, nous avons pris modèle sur votre organisation judiciaire et vos codes, de grandes démocraties pratiquent la peine de mort, comme les Etats-Unis ». C'est simpliste, mais cela montre qu'ils ont des arguments à l'appui de leurs insuffisances.

Sur la définition de « pays émergent », j'ai été frappée par le fait que le problème de la propriété intellectuelle des découvertes réalisées au sein de l'ICARE (institut sino-européen pour les énergies propres et renouvelables, partenariat constitué avec nos plus grandes universités et grandes écoles) n'ait pas été réglé en amont. Peut-être à cause des relations bilatérales, l'Europe n'est pas en capacité d'adopter une position commune et de s'y tenir. Selon le directeur général de la chambre de commerce européenne en Chine, il est de plus en plus compliqué de s'y implanter. Les relations de collectivités à collectivités sont souvent perturbées par l'intervention du parti communiste chinois, très autoritaire, qui dirige tout.

Je reviens néanmoins relativement optimiste. Nous prenons conscience que nous devons réagir. La crise mondiale nous incite à redistribuer les cartes. Nous comptons sur vous, députés européens, pour faire ce qu'il faut au niveau de l'Europe. Nous, parlementaires nationaux, apportons notre pierre à l'édifice.

Les manifestations et les grèves se multiplient dans toute la Chine, ce que nous ne savons pas assez, en raison de leur extraordinaire capacité à contrôler l'information. Nous pouvons espérer, un jour ou l'autre, un printemps chinois...

M. Jérôme Lambert, député, co-rapporteur. - Je vous remercie pour vos critiques et propositions. Notre rapport écrit répond à l'essentiel de vos questions. La Chine présente des fragilités. Elle est traversée par des conflits sociaux, des manifestations, qui remettent en cause, parfois de manière violente, son organisation sociale et politique. Il y a aussi des spéculations, des bulles immobilières dangereuses. Le système financier et bancaire n'est pas des plus sûrs. Ce rapport est une première ; il devra faire l'objet d'un suivi dans chacune de nos assemblées.

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Nos échanges tripartites sont très intéressants et vos observations ont permis d'éclairer le débat sur la proposition de résolution. Je remercie les auteurs pour ce rapport très complet, sur un sujet majeur.

M. Simon Sutour, président. - C'est notre dernière réunion, particulièrement intéressante en effet, avant la suspension des travaux parlementaires. L'une de nos trois assemblées va être renouvelée. Je souhaite que nous relancions ces réunions, entre les députés français au Parlement européen et les commissions des affaires européennes de l'Assemblée et du Sénat, peut-être autour d'échanges plus pragmatiques et de sujets plus concrets. Il en est un qui nous préoccupe beaucoup au Sénat, dont je suis le rapporteur pour la commission des lois et le rapporteur pour avis pour la commission es affaires européennes : la proposition de règlement et de directive de Mme Reding sur la protection des données personnelles, qui nous occupera pour les mois à venir et que nous examinerons en séance publique dès le 6 mars. Je forme le voeu que nous l'abordions lors de nos prochaines réunions. Je vous remercie.

La Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a approuvé la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 153, 191, 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le traité sur l'Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne « Commerce, croissance et affaires mondiales - La politique commerciale au coeur de la stratégie Europe 2020 », COM (2010) 612 du 9 novembre 2011, ainsi que les conclusions des Conseils européens des 16 septembre 2010 et 23 octobre 2011,

Considérant qu'il est de la responsabilité de l'Union européenne de défendre son modèle social et un modèle démocratique fondé sur les droits de l'Homme et l'économie de marché ;

Considérant que les niveaux de développement comparés de l'Union européenne et de la Chine et les relations d'interdépendance entre les deux économies impliquent le passage d'une relation asymétrique à une relation équilibrée fondée sur des avantages réciproques ;

Considérant qu'en adhérant à l'Organisation mondiale du commerce en 2011, la Chine a fait le choix du libre-échange dont elle retire des bénéfices importants et qu'elle s'est engagée à en respecter les règles de réciprocité et les disciplines ;

Considérant que les pratiques inéquitables et les comportements protectionnistes contraires aux engagements internationaux de la Chine faussent le jeu d'une concurrence loyale avec l'Union européenne ;

Considérant, compte tenu des perspectives de croissance des pays émergents, que le rééquilibrage des relations entre l'Union européenne et la Chine passe par un accès équitable au marché chinois pour les entreprises européennes, alors que l'Europe a largement ouvert ses frontières ;

Rappelant que l'Union européenne a reconnu la République populaire de Chine en 1975, qu'elle a conclu en 1985 un accord de commerce et de coopération, que les deux partenaires ont établi en 2003 un partenariat stratégique et ont ouvert, en 2006, des négociations sur un nouvel accord cadre pour remplacer l'accord obsolète de 1985, qui n'ont toujours pas abouti, en dépit d'un dispositif de dialogues économique, commercial et stratégique ;

Prenant acte des résultats encourageants mais limités du quatorzième sommet entre l'Union européenne et la Chine à Pékin, le 14 février 2012 ;

1. Estime indispensable que l'Union européenne surmonte les divergences entre États membres pour définir une stratégie ambitieuse à la mesure de ses atouts de première zone commerciale mondiale et qu'elle assure le respect par les États membres de ses priorités et intérêts communs ;

2. Considère que l'Union européenne doit prendre en compte le système productif régional intégré dont la Chine est le moteur, et inscrire le développement de son partenariat commercial et stratégique avec la Chine dans une vision plus large englobant l'Asie et ne négligeant pas les autres pays de la région dans une approche trop fragmentée ;

3. Rappelle que la Chine bénéficie de l'accès au marché européen et juge que sa participation éventuelle aux opérations du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité ne doit pas se traduire par des concessions spécifiques de la part de l'Union européenne ;

4. Souligne la nécessité pour l'Union européenne de compléter sa politique commerciale par le développement d'une politique industrielle et de compétitivité encourageant l'innovation et la protégeant par la création d'un marché unique des droits de propriété intellectuelle ;

5. Demande à l'Union européenne de soutenir l'accès de ses petites et moyennes entreprises aux marchés globaux ;

6. Estime que l'Union européenne ne doit accorder le statut d'économie de marché à la Chine qu'à la condition que celle-ci remplisse effectivement les critères définis par l'Union européenne ;

7. Se félicite de la révision du règlement sur le système des préférences généralisées accordant à la Chine le bénéfice de préférences unilatérales non justifiées et recommande à la Commission européenne d'utiliser, autant que de besoin, les instruments de défense commerciale et la saisine de l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce ;

8. Rappelle qu'imposer strictement aux produits importés les normes européennes ne constitue pas du protectionnisme, dans la mesure où ces normes ne sont pas discriminatoires ;

9. Demande à la Commission européenne d'accentuer sa lutte contre les produits de contrefaçon qui portent atteinte aux efforts d'innovation et de qualité des entreprises européennes et à la santé publique et insiste pour que la Chine adhère à l'accord international de lutte contre la contrefaçon ;

10. Estime indispensable que la Commission européenne mette en oeuvre un mécanisme permettant de s'assurer que les investissements étrangers réalisés dans l'Union européenne n'aient pas pour objet ou pour effet de capter les bénéfices des innovations technologiques dans des domaines essentiels au développement de l'économie européenne ;

11. Demande aux États membres de contrôler le respect des normes sociales en vigueur sur leur territoire par les entreprises étrangères qui emploient des travailleurs originaires de leur pays ;

12. Invite la Commission européenne à négocier un accord sur les investissements afin de réduire les barrières non tarifaires contraignantes qui n'existent pas au sein de l'Union européenne, d'établir l'égalité de traitement dans l'accès au marché chinois dans des secteurs actuellement interdits ou restreints et de défendre la propriété intellectuelle, notamment par la suppression de l'obligation de constituer des entreprises partagées (« joint venture ») avec ou sans transfert forcé de technologie ;

13. Appelle la Commission européenne à prendre une initiative sur les marchés publics afin de clarifier les règles européennes permettant d'encadrer les offres anormalement basses et l'utilisation d'aides d'État et de définir le traitement des entreprises de pays n'ayant pas souscrit à l'Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) et lui demande d'introduire une clause de réciprocité prévoyant que l'Union européenne n'ouvre ses marchés que si le pays tiers accorde un accès comparable et effectif à ses marchés publics ;

14. Souhaite que l'Union européenne poursuive ses efforts afin de faire avancer les négociations multilatérales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce pour introduire des normes sociales et environnementales et faire progresser le volet « services » ;

15. Estime qu'il ne peut y avoir de dialogue concret avec la Chine sans que soit posée la question du taux de change et de la convertibilité de la monnaie chinoise ;

16. Appelle la Chine à éliminer les restrictions d'exportations de matières premières et de terres rares auxquelles elle pourrait procéder, après sa récente condamnation par l'Organisation mondiale du commerce pour sa politique discriminatoire en la matière ;

17. Invite tous les États membres, en particulier les plus grands, à s'accorder sur une position commune avant d'entreprendre une démarche individuelle sur la question des droits de l'Homme et à se soutenir mutuellement au cas où la Chine essaierait de les isoler, afin de ne pas affaiblir la position de l'Union européenne sur cette question majeure ;

18. Considère que l'Union européenne doit renforcer la promotion des valeurs démocratiques et du respect des droits de l'Homme dans son dialogue avec la Chine, au moment où le changement du modèle économique chinois, nécessitant une ouverture vers la société civile et l'octroi de la liberté intellectuelle en faveur de l'innovation technologique, pourrait favoriser une évolution vers la démocratie ».

Jeudi 23 février 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Economie, finances et fiscalité - Régulation bancaire (textes E 6480 et E 6787) - Proposition de résolution de M. Richard Yung

M. Simon Sutour, président. - Notre ordre du jour est copieux, pour ne pas dire indigeste, car la suspension prochaine des travaux nous impose d'examiner en deux séances des textes dont nous aurions normalement discuté jusqu'à fin mars.

Nous commençons par le projet « CRD IV » qui doit modifier profondément la législation bancaire, sujet complexe sur lequel nous avions organisé le 15 février une table ronde conjointe avec la commission des finances.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les fonds propres des banques et leur contrôle prudentiel sont un thème d'actualité depuis que la crise financière a mis en lumière une série d'insuffisances. Nous avons tous étés surpris par l'ampleur de cette crise et la rapidité de sa propagation.

En décembre 2010, le comité de Bâle, qui réunit les banques centrales et certains décideurs européens ou américains, a proposé de refondre le contrôle prudentiel des banques. Tel est l'objet des normes « Bâle III ». En juillet 2011, la Commission européenne a présenté une proposition de directive et une proposition de règlement dénommés « Capital requirement directive IV » ou « CRD IV ». Leur objectif est de transposer les normes « Bâle III » et d'ajouter une harmonisation des règles prudentielles applicables aux banques européennes.

L'ambition d'une régulation pérenne et efficace doit être défendue. Il y a danger en ce domaine, car le débat se déroule dans un contexte difficile où les pressions sont nombreuses. Cela pourrait inciter à temporiser, même si la présidence danoise s'efforce d'accélérer le calendrier.

Ensuite, il faut surveiller les conséquences non souhaitées pour le financement de l'économie. Les nouvelles règles ne font pas plaisir aux banques, qui doivent respecter des exigences sensiblement accrues. D'où le pilonnage auquel procèdent les groupes de pression financiers et bancaires. C'est vrai en Europe, ça l'est encore plus aux États-Unis où l'importante législation votée par le Congrès est en partie stoppée. Nous risquons d'être soumis à un chantage, on nous menacera de licenciements par milliers pour faire baisser les exigences.

Les obligations prudentielles sont aujourd'hui régies par une directive autorisant des divergences nationales significatives : l'Europe des banques n'existe pas. Il faut donc harmoniser. Tel est le choix fait par la Commission européenne, avec son projet de règlement, par nature directement applicable sans transposition.

Le règlement « CRD IV » s'applique à l'ensemble des 8 300 institutions bancaires en Europe, donc au-delà des banques internationales, seules visées par « Bâle III ». Cette évolution exigera de nombreuses adaptations dans bien des pays. Elle placera le régulateur européen en avance sur son homologue américain.

On ne s'est pas limité à élever les contraintes de solvabilité, on a aussi voulu réduire le risque de nouvelle crise systémique, se propageant comme le feu en Corse l'été. Concrètement, la proposition de règlement « CRD IV », c'est d'abord le renforcement des fonds propres. Selon certains, cette disposition sera inutile si le risque est suffisamment contrôlé, et inefficace face un risque majeur. Elle apporte néanmoins une certaine garantie. Concrètement, le ratio minimal des fonds propres réglementaires sur les risques supportés par l'institution financière reste à 8 %, mais la proposition « CRD IV » impose des exigences qualitatives nouvelles quant à ce qui constitue des fonds propres et distingue des fonds propres « durs », dont la part devra être de 4,5 %, contre 2,5 % aujourd'hui, et qui devront être complétés par un « coussin de conservation » de 2,5 %. En cas de choc, les banques disposeront ainsi de fonds propres « durs » de 7 % - j'ai tendance pour ma part à juger ce niveau encore un peu bas...

En outre, un ratio de levier sera progressivement introduit. L'expérimentation initiale plafonnera à 3 % le quotient des fonds propres par rapport au total du bilan. L'intérêt de ce ratio est qu'il ne tient pas compte de la pondération des risques qu'effectuent les banques pour elles-mêmes. Reprendre l'idée de pondérer les risques reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore : qui décidera s'il faut comptabiliser un hôtel à Caracas pour 100 %, 70 %, 50 % ou 20 % de sa valeur ? La discussion serait sans fin et nul ne s'y retrouverait au niveau du système bancaire européen. Une des grandes armes brandies par les institutions financières consiste à discuter ces pondérations.

Enfin, la liquidité des établissements bancaires serait encadrée par deux ratios, celui à court terme permettra d'apprécier la capacité de l'établissement à surmonter un choc de liquidités sur 30 jours ; celui sur un an concernera l'adéquation des maturités des financements longs.

Ces dispositifs imposeront aux banques européennes d'immobiliser 1 000 milliards d'euros pour assurer leur liquidité à court terme, 1 700 milliards pour les liquidités à un an et seulement 460 milliards au titre des ratios de fonds propres - mais on parle de 8 300 établissements dans une zone dont le PNB atteint 16 000 milliards.

À ce règlement s'ajoute la directive qui traite de la supervision, des sanctions, du recours aux agences de notation et du matelas de précaution. La démarche « CRD IV » mérite d'être soutenue.

M. Alain Richard. - C'est un rattrapage qu'on n'aurait jamais dû avoir à opérer !

M. Richard Yung, rapporteur. - Cela évitera, on l'espère, de revoir certaines situations...

Le principe de l'harmonisation maximale doit être défendu. Il signifie qu'aucun État ne peut établir de ratios réglementaires minimaux plus stricts, ni bien sûr de ratios moins exigeants, car toute différence compliquerait les comparaisons et serait source d'incertitudes. Renoncer à l'harmonisation maximale rendrait la régulation inopérante.

Deuxièmement, le ratio de levier est un outil complémentaire prudentiel indispensable. Il est indiscutable, puisqu'il est calculé partout de la même façon.

Troisièmement, la fiscalité est un outil de cohérence réglementaire. D'après le FMI, l'exonération, très fréquente, des intérêts de la dette incite les banques à emprunter plutôt qu'à constituer des fonds propres. Nous discutons avec la commission des finances, en particulier la rapporteure générale, pour formuler une proposition plus précise à ce sujet.

Quatrièmement, l'encadrement réglementaire de la liquidité est une priorité. La gestion de la liquidité étant au coeur du métier bancaire, la démarche « CRD IV » représente un enjeu considérable pour l'industrie bancaire, qui se démène pour obtenir de meilleures conditions. La gestion de la liquidité est au coeur du métier des banques. Il faut une régulation pour éviter les excès et assurer une plus grande transparence.

Cinquièmement, la réglementation « CRD IV » doit être coordonnée avec les directives MIF portant sur les marchés financiers, et EMIR sur les produits dérivés - nous avions examiné une proposition de résolution.

Sixièmement, il est indispensable de réduire le contournement de la règlementation, la « finance de l'ombre », le shadow banking comme on dit au pays de Conan Doyle. Aujourd'hui, les marchés non contrôlés représentent des montants considérables ! La titrisation en particulier a permis aux banques de transférer le risque au sein de hamburgers financiers mélangeant des instruments financiers tellement variables que nul ne peut plus apprécier le risque. La dissémination par ce biais des junk bonds fonciers aux États-Unis est une des causes de la crise financière. Il faut donc que les institutions financières appliquent le même traitement réglementaire à des instruments financiers identiques.

Enfin, j'en viens à la séparation des activités bancaires. Les banques commerciales sont aux yeux du public des guichets où les honnêtes gens déposent leur épargne afin que les gentils banquiers la transforment en prêts à de bons industriels qui créent des emplois. Un vrai conte de fées ! Mais les banques bénéficiant d'une garantie implicite de l'État réalisent des placements risqués avec cette ressource, obtenue dans des conditions très avantageuses. D'où le grand débat sur la séparation entre banques commerciales et banques d'affaires. Certains ont déjà choisi : la commission Vickers en Angleterre propose de séparer les activités de banque de détail et celle d'investissement. Aux États-Unis, la règle Volcker, le Dodd Frank Act, interdit les activités de trading pour compte propre.

La proposition de résolution ajoute un élément à ce que je viens de dire, en demandant que le règlement « CRD IV » s'accompagne d'une harmonisation comptable basée sur les normes européennes.

M. Alain Richard. - J'approuve l'analyse de M. Yung. La régulation bancaire et financière est un combat permanent, car ceux qui gagnent beaucoup d'argent avec le système actuel s'opposent fort logiquement aux normes « Bâle III », qu'ils prétendent contraires à l'intérêt des clients.

S'agissant de normes comptables, les pays tiers ont-ils déjà adopté les normes américaines ou sont-ils partagés ?

M. Richard Yung, rapporteur. - Je n'ai pas la réponse, mais je pense que le combat n'est pas perdu d'avance, car les normes en vigueur aux États-Unis s'appliquent exclusivement aux banques fédérales, soit 15 à 20 établissements. Le reste du système bancaire est régi par la législation de chaque État fédéré. Vu la puissance économique de l'Union européenne, nous n'avons aucune raison de baisser pavillon.

M. Jean-François Humbert. - Je n'ai pas d'objection concernant la proposition de résolution.

M. Aymeri de Montesquiou. - L'ultralibéralisme a engendré une grande prospérité, puis une très grande catastrophe. Il faut éviter de nouvelles catastrophes, mais sans brider les banques au point que l'économie en pâtisse. Restons dans un juste équilibre.

M. Richard Yung, rapporteur. - La grande prospérité fut surtout pour les banquiers, et nous payons la très grande catastrophe !

Mme Bernadette Bourzai. - Je félicite M. Yung pour sa clarté : j'ai plus appris aujourd'hui qu'il y a trois semaines à la Banque européenne d'investissement, à Bruxelles. Je constate que les inquiétudes qu'il exprime se réalisent déjà à notre détriment, quand par exemple un réseau bancaire distribue 8 millions de prêts dans une zone où il recueille jusqu'à 111 millions en dépôts.

La proposition de résolution suivante est adoptée à l'unanimité.

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement (E 6787), dit « règlement CRD IV » ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (E 6480), dite « directive CRD IV » ;

- soutient l'initiative de réunir dans un corpus réglementaire unique européen les dispositions de l'accord « Bâle III » et d'harmoniser les règles de gouvernance et de supervision ;

- partage les objectifs de « CRD IV » et approuve les dispositions contenues dans le texte des propositions de directive et de règlement ;

- souligne que l'ambition de « CRD IV » d'établir un cadre réglementaire pérenne à même d'assurer la solidité et le fonctionnement sain du secteur bancaire européen doit être maintenue; 

- constate que certaines des règles prudentielles préconisées dans les propositions « CRD IV » sont d'ores et déjà appliquées ;

- souhaite en conséquence que soient étroitement surveillés :

* les démarches de réduction de l'activité des établissements bancaires, en particulier lorsqu'elles se traduisent par des réductions de crédit en direction des entreprises et des collectivités locales ;

* le repli progressif des acteurs financiers sur leur marché national qui risque de conduire à terme à une fragmentation du marché financier européen ;

- soutient et juge essentielle la mise en place effective d'une harmonisation maximale des ratios prudentiels au sein de l'Union européenne ;

- se prononce en faveur d'un ratio de levier conçu comme un outil réglementaire complémentaire aux ratios de fonds propres ;

- considère indispensable que la mise en place des mesures réglementaires de « CRD IV » soit accompagnée d'une harmonisation internationale des normes comptables sur la base des normes européennes, nécessaire à l'homogénéité des ratios ;

- souhaite que soit étudiée l'utilisation de la fiscalité au regard des objectifs de renforcement des fonds propres ;

- soutient la mise en place dans le règlement « CRD IV », au terme d'une période d'observation, de ratios de liquidité contraignants, en particulier en ce qui concerne la gestion de la liquidité à court terme ;

- souhaite que des moyens appropriés soient alloués à l'Autorité bancaire européenne afin qu'elle puisse mener à bien les missions centrales qui lui sont confiées ;

- rappelle que les dispositions « CRD IV » doivent être coordonnées avec un ensemble de textes récents ou en cours d'élaboration et qu'une attention particulière doit être portée à leurs calendriers de mise en oeuvre respectifs ;

- souligne notamment l'importance d'établir rapidement un cadre européen de prévention et de gestion des crises bancaires ;

- souhaite que soit étudié un renforcement de l'encadrement des rémunérations du secteur bancaire ;

- souhaite également que soient rapidement formulées des propositions européennes en ce qui concerne la régulation du transfert des activités et des risques bancaires vers le secteur non réglementé ;

- prend acte de la constitution d'un groupe de travail à haut niveau en Europe sur la séparation des différentes activités bancaires ;

- souligne que ce groupe de travail devra traiter du soutien implicite des Etats au secteur bancaire et de la nécessaire protection des déposants ;

- souhaite que, dans le cadre de cette réflexion, une étude approfondie sur la corrélation entre risque et rentabilité des activités bancaires et particulièrement des transactions (trading) pour compte propre soit communiquée au Parlement ;

- demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

Justice et affaires intérieures - Contrats de vente (texte E 6713) - Proposition de résolution de M. Alain Richard

M. Simon Sutour, président. - Nous en venons au sujet important et très controversé du droit européen des contrats de vente.

M. Alain Richard, rapporteur. - L'Europe applique au moins 27 droits différents, auxquels nos juristes sont habituellement attachés. Néanmoins, l'intensification des transactions transfrontalières justifierait une harmonisation dont le besoin s'accentue avec le développement des achats en ligne.

Quelques outils pratiques existent déjà, ce qui est logique puisque l'Union européenne est compétente pour parachever le marché intérieur, donc les contrats entre acheteurs et vendeurs. Globalement, la législation communautaire est favorable aux consommateurs - la délocalisation fait produire moins cher des produits vendus aux consommateurs sous étiquette d'entreprises européennes.

La Commission a voulu créer un droit commun des contrats, en commençant par les contrats de vente, pour avancer par étapes vers une sorte de Code civil européen, expression dont l'usage est le meilleur moyen pour que les juristes en général, et les civilistes en particulier s'arment d'escopettes. La Commission a publié un Livre vert qui expose plusieurs formules permettant d'aboutir à un droit européen des contrats. Après consultation, notamment d'universitaires, gardiens de la rigueur juridique, elle a établi un plan d'action. Parmi les options décrites, figure de donner le choix entre le droit contractuel national et un droit européen, qui serait nécessairement le fruit d'un règlement pour être directement applicable parallèlement aux codes civils locaux. Cette démarche ne fait pas que des heureux, le conservatisme du Vieux continent s'ajoutant à la crispation des professionnels du droit. Bien qu'il se heurte à d'innombrables oppositions, ce projet correspond à une nécessité pratique difficilement contestable.

Parmi les objections formulées se trouve la publication récente d'une directive sur le même sujet. Sauf qu'il faut des années pour transposer une directive, nombre de pays jouant de surcroît les bons apôtres en n'intégrant les nouvelles dispositions que de façon très approximative. C'est pourquoi la Commission préfère proposer un contrat européen optionnel, de manière à créer la pression à l'harmonisation.

Le règlement proposé repose sur une trentaine d'années de travail fourni par les juristes. Sur le plan de la cohérence, il ne subit aucune critique. En revanche, la méthode utilisée est contestée. Les associations de consommateurs mettent en exergue les quelques dispositions protégeant mieux les consommateurs dans telle ou telle législation nationale, pour craindre que la solution la plus défavorable aux consommateurs ne soit systématiquement retenue par les vendeurs. Ne croient-elles pas à leur action ? Je ne crois pas les avoir convaincues du fait que la concurrence éviterait ce risque.

M. Aymeri de Montesquiou.- Libre-échangiste !

M. Alain Richard, rapporteur. - Avec le développement des achats en ligne, on peut penser que les acheteurs choisiront la meilleure offre, bien qu'aucun ne lise les contrats sur Internet. Au demeurant, le règlement apporterait à un très grand nombre de consommateurs européens une protection très supérieure à celle dont ils bénéficient aujourd'hui.

La principale interrogation est la suivante : a-t-on le droit de faire progresser l'harmonisation en offrant un système juridique alternatif aux législations nationales au lieu de faire évoluer celles-ci par des directives ? Offrir une option entre deux législations a déjà été admis, par exemple pour la société coopérative européenne, qui s'adressait, il est vrai, à des personnes que leurs démarches avaient déjà éclairées. Peut-on donner directement le choix à tous les agents économiques ? Notre gouvernement le conteste ; le service juridique du Conseil se penche sur la question. Quel que soit le sort final de ce règlement, que les Etats membres acceptent le principe d'une harmonisation par option entre un système juridique national et un ensemble législatif communautaire serait un vrai changement. Est-ce une harmonisation qu'autorise le traité ? Les juristes en débattent.

Un mot de la collégialité de la Commission, où les commissaires se renvoient volontiers l'ascenseur. Evidemment, rien de semblable ne se passe dans un gouvernement... Mme Viviane Reding a fait grand cas de cette harmonisation pour fluidifier le marché intérieur, notamment les exportations des PME. L'essentiel des groupements patronaux explique que cela ne sert à rien ; la CGPME est la seule à se dire intéressée pour les transactions entre deux entreprises, nettement moins pour les ventes aux consommateurs. En réalité, les estimations de chiffre d'affaires supplémentaire que l'on trouve dans l'étude d'impact ne reposent sur rien.

Le règlement repose sur une idée intéressante et il comporte beaucoup de points positifs. En France, la direction des affaires civiles estime que toute évolution du droit national prend en compte ce qui se passe à l'étranger, ce qui assure la convergence juridique. Pour toutes ces raisons, je vous propose une résolution que je crois équilibrée, différente de celle de l'Assemblée nationale où les députés s'insurgent contre une atteinte abominable à la souveraineté nationale.

M. Aymeri de Montesquiou. - Dès lors qu'un choix est proposé entre le droit européen et le droit national et que chacun peut ester, je vois mal où est le problème. C'est une situation extrêmement souple. Je suis favorable à un contrat européen. Peut-être se heurte-t-il à des oppositions culturelles, mais il faut savoir ce que l'on veut, l'Union européenne ou des frontières intangibles ? Où cela va-t-il finir ?

M. Alain Richard, rapporteur. - A la Cour, je ne sais dans combien de temps. Ce que contestent le gouvernement français et des Parlements, le Bundestag et la Chambre des communes, au motif que ce texte rend applicable sur leur sol un droit alternatif au leur...

M. Aymeri de Montesquiou. - So what ?

M. Alain Richard , rapporteur. - Cela froisse la souveraineté...

M. Aymeri de Montesquiou. - C'est le propre de l'Europe !

M. Simon Sutour, président. - Il y a la subsidiarité !

M. Alain Richard, rapporteur. - Outre que ce principe est parfois mis en avant pour arrêter la construction européenne, il n'y a pas de problème de subsidiarité, car le droit national demeure applicable. Un choix est donné au contractant. Cela représente une interprétation nouvelle de la souveraineté de l'Etat. Le gouvernement français et plusieurs autres autorités nationales plaident qu'il n'y a pas de base dans le traité pour le faire, l'harmonisation devant partir de chaque législation nationale et non d'une législation transnationale. Si je devais présenter un jour un mémoire à la Cour de justice de l'Union européenne, je plaiderais que c'est possible. L'establishment juridique de chaque pays prétend que non.

M. Richard Yung. - Nous savons que la chancellerie a toujours été très frileuse dans ce domaine. Cela ne me gêne pas que l'on froisse la souveraineté, c'est ainsi que l'on avance ! Les juristes sont là pour inventer des solutions.

M. Simon Sutour, président. - Il y aura une jurisprudence !

M. Alain Richard, rapporteur. - En fait, les litiges vont se développer dans chaque pays. Dans un monde parfait, le premier tribunal saisirait la Cour d'une question préjudicielle ; en réalité, les jurisprudences nationales se prononceront dans des sens différents. Le règlement dit qu'il faut les recueillir : c'est nouveau et positif. Dans la vraie vie, il y a une certaine cohérence, une continuité. Mais il arrive à des cours suprêmes, je le sais, de changer de jurisprudence. La Cour remplit assez bien sa mission.

M. Simon Sutour, président. - Nous vous suivons sur l'harmonisation nécessaire au sein de l'Union européenne et sur les bémols que vous avez apportés, qui sont moindres que ceux de l'Assemblée nationale.

M. Alain Richard, rapporteur. - Je continue à penser que l'Etat est un. Le fonctionnement de notre exécutif est assez optimal à cet égard. Il en va tout autrement chez nos amis allemands, qui font preuve d'une mauvaise coordination. On m'a assuré, lors de mon premier contact au SGAE, que l'affaire était pliée, que personne ne défendrait ce texte au Conseil. Trois semaines après, la direction des affaires civiles m'a dit qu'en dépit des réserves du Bundestag, le gouvernement allemand ne s'opposerait pas à ce texte au Conseil !

M. Richard Yung. - Fédéralisme oblige.

La proposition de résolution suivante est adoptée à l'unanimité.

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 114, 169 et 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la proposition de règlement (texte E 6713) relatif à un droit commun européen de la vente ;

Vu la résolution européenne du 15 février 2011 sur la proposition de directive relative aux droits des consommateurs (E 4026) ;

Le Sénat :

- considère qu'une harmonisation plus grande du droit commun de la vente au niveau européen apparaît nécessaire pour faciliter les échanges dans le marché unique ;

- rappelle que la méthode optionnelle proposée par la Commission européenne a déjà été utilisée dans le passé ; regrette toutefois que ses effets pour les entreprises et les consommateurs n'aient pas été évalués précisément ; estime qu'en tout état de cause cette méthode optionnelle peut être conduite de manière complémentaire avec l'adoption de directives tendant à renforcer les droits des consommateurs dans le marché unique ;

- souligne que cette harmonisation du droit commun de la vente ne peut être envisagée que sous réserve d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs comme l'exige l'article 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; invite, en conséquence, le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance pour que la mise en place d'un « second régime » pour le droit des contrats de vente n'aboutisse pas à réduire le niveau de protection des consommateurs ;

- juge nécessaire de clarifier la base juridique utilisée pour conduire cette démarche d'harmonisation et invite le Gouvernement à agir dans ce sens ;

- estime que l'unification du droit applicable ne saurait suffire à l'ouverture des marchés et que cette démarche devrait être complétée par l'adoption d'un instrument, soit public, soit résultant d'une mutualisation des moyens entre entreprises, afin de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises de taille intermédiaire à des marchés nationaux spécifiques.

Agriculture et pêche - Aliments pour nourrissons (texte E 6365) - Proposition de résolution de Mme Bernadette Bourzai

M. Simon Sutour, président. - Nous allons maintenant traiter de sécurité pour les consommateurs, avec aussi un enjeu économique pour nos territoires.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure. - En particulier dans le département de la Corrèze ! Dans la perspective de la suspension des travaux parlementaires, et pour enrichir le texte afin de parvenir à un consensus, j'ai complété l'exposé des motifs et le texte de la proposition de résolution. Cela devrait favoriser une adoption tacite par la commission de l'économie.

La proposition de résolution porte sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les aliments destinés aux nourrissons (de un jour à 12 mois) et aux enfants en bas âge (d'un à trois ans), ainsi que les aliments destinés à des fins médicales spéciales. Le Comité économique et social européen a rendu un avis le 28 janvier dernier.

Cette proposition remplace un dispositif spécifique à l'alimentation de populations ayant des besoins particuliers : nourrissons, enfants en bas âge, malades, personnes intolérantes au gluten, personnes âgées, personnes en surpoids ou obèses qui suivent des régimes pour perdre du poids, sportifs, catégories de population auxquelles il convient d'assurer un haut niveau de protection.

La commercialisation de ces denrées alimentaires est encadrée par deux séries de textes. La première, composée du règlement posant les principes de la législation alimentaire et du règlement général sur les allégations nutritionnelles et de santé, s'applique à tous les aliments. La seconde concerne les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière. Elle comprend la directive-cadre sur les aliments diététiques et un droit dérivé résultant d'une directive relative aux régimes hypocaloriques, d'une directive relative aux aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales, d'une directive concernant les préparations pour nourrissons et les préparations de suite (le lait de croissance qui a remplacé la bouillie de naguère), d'une directive concernant les préparations à base de céréales et les aliments pour bébé destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge et enfin d'un règlement relatif aux denrées alimentaires concernant les personnes souffrant d'une intolérance au gluten.

Tous ces produits se distinguent des denrées courantes de consommation par leur composition ou leur mode de fabrication. Les producteurs de fruits et légumes entrant dans la composition de préparations pour nourrissons ont une obligation de résultats (zéro résidu)...

M. Simon Sutour, président. - Ce n'est pas rien !

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure. - Cela explique la mobilisation des entreprises.

Destinés à des catégories spécifiques de population, ces produits répondent à des besoins nutritionnels particuliers. La règlementation fixe des obligations d'information sur le bon usage de ces produits. Les règles de notification aux autorités sanitaires varient selon les denrées.

La Commission a souhaité simplifier cette règlementation. Elle estime que l'évolution de la législation alimentaire générale permettrait de se dispenser de textes spécifiques. Il s'agit du règlement CE n° 1924/2006 relatif aux allégations nutritionnelles et de santé, du règlement CE n° 1925/2006 relatif à l'addition de nutriments et autres substances aux aliments et du règlement CE n° 1169/2011 concernant l'information des consommateurs. Ces textes s'appliquent sans préjudice des dispositions relatives aux denrées destinées à une alimentation particulière, qui font l'objet de cette proposition de règlement.

Celle-ci abolit le concept d'aliments diététiques, en retenant un nouveau cadre établissant des dispositions particulières, pour un nombre limité de catégories de denrées alimentaires, considérées comme essentielles pour quelques groupes de populations vulnérables : préparations pour nourrissons, préparations à base de céréales et aliments pour bébés, destinés aux nourrissons et enfants en bas âge, ainsi que des aliments destinés à des fins médicales spéciales. Le concept d'aliment diététique disparaît, de même que les règles explicites sur les aliments destinés aux régimes hypocaloriques, aux sportifs, aux diabétiques et aux personnes souffrant d'une intolérance au gluten. La proposition modifie également la notification et l'étiquetage.

Plusieurs interrogations se sont exprimées. Des entreprises du secteur appréhendent les conséquences de la disparition du principe même d'un dispositif règlementaire spécifique aux aliments destinés à des populations vulnérables, ainsi que la suppression des dénominations « produit diététique » ou « aliments pour sportifs », qui représentent des marchés très importants en Europe.

La Commission fait reposer une partie du dispositif sur des textes qui ne sont pas encore aboutis, tel le règlement relatif aux allégations nutritionnelles et de santé, en cours de révision. Les profils nutritionnels conditionnant l'accès aux allégations nutritionnelles et de santé n'ayant pas été définis, les limites maximales en vitamines et minéraux n'ont pas été adoptées. Lorsque l'autorité européenne examine une demande d'allégation, elle en examine les justifications, mais pas la sécurité de la substance concernée.

Sans nier l'importance des changements règlementaires relatifs aux régimes hypocaloriques de perte de poids, l'inquiétude la plus importante porte sur la sécurité de l'alimentation destinée aux nourrissons et aux enfants en bas âge, qui répond aujourd'hui à des normes strictes, assurant la sécurité nutritionnelle et sanitaire des produits et l'information associée. C'est pourquoi je me suis intéressée en priorité à ce secteur, avant d'ajouter dans ma proposition les aliments spécifiques.

Il est indispensable que l'alimentation destinée à des nourrissons réponde à des normes fermes et que l'information soit complète et parfaitement accessible, afin que les parents ne soient pas trompés par des allégations peu lisibles.

La règlementation de la nutrition particulière doit garantir la sécurité nutritionnelle (qualité du produit final), la sécurité sanitaire (traçabilité et qualité des composants de l'aliment), une information complète adaptée aux besoins de ces populations. Cette exigence est particulièrement importante pour les nourrissons, les prématurés, les personnes malades ou suivant un régime. La modification de la législation ne doit, en aucun cas, s'accompagner d'une baisse de ces garanties. Il est essentiel que le nouveau dispositif permette d'atteindre les mêmes objectifs. L'Union européenne et les États doivent veiller à la parfaite qualité des produits alimentaires et de l'information. Celle-ci doit être compréhensible et utile. Elle s'adresse à deux publics distincts : l'acheteur du produit peut être perturbé par l'afflux d'informations, voire des conclusions scientifiques contradictoires ; les prescripteurs, médecins, diététiciens ou pharmaciens sont des relais important auprès des consommateurs.

M. Jean-François Humbert. - J'ai cru comprendre que mes collègues du groupe UMP sont satisfaits par la nouvelle rédaction, plus complète, que vous proposez.

La proposition de résolution suivante est adoptée à l'unanimité.

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les aliments destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge, ainsi que les aliments destinés à des fins médicales spéciales (E 6365) ;

Considérant que la proposition modifie la législation applicable aux denrées destinées à une alimentation particulière, notamment celles des nourrissons, des enfants en bas âge, des personnes ayant des besoins nutritionnels particuliers ;

Considérant qu'il est important de veiller à ce que cette alimentation réponde à des normes élevées de sécurité et qu'il convient de garantir à ces catégories de populations particulières ainsi qu'aux parents, lorsqu'il s'agit de nourrissons ou d'enfants en bas âge, une information complète et de qualité afin qu'ils ne puissent être induits en erreur par des allégations peu lisibles ;

Considérant qu'une règlementation dans ce domaine visant particulièrement les personnes les plus vulnérables doit garantir la protection et la santé des consommateurs, ainsi que la sécurité totale des produits ;

Considérant que cet objectif vise à la fois la sécurité nutritionnelle et la sécurité sanitaire et suppose une information adaptée aux catégories particulières de consommateurs concernés ;

Considérant qu'il est imprudent de modifier la réglementation portant sur des publics particuliers avant que le cadre général posé par la réglementation sur les allégations nutritionnelles et de santé, ainsi que celles relatives à l'addition de nutriments et autres substances aux aliments, ne soit parfaitement établi ;

Considérant qu'il convient de s'assurer que le dispositif proposé garantisse le même niveau de protection et de sécurité pour les populations visées que l'actuelle réglementation spécifique ;

- demande que la révision des textes européens dans le domaine alimentaire garantisse une protection élevée des consommateurs;

- demande de conserver la possibilité d'adopter une information adaptée aux professionnels de santé afin que ces derniers puissent apporter aux consommateurs toutes les recommandations adéquates ;

- demande, s'agissant de l'alimentation destinée aux nourrissons et aux enfants en bas âge, de garantir un degré exemplaire de protection et de sécurité du consommateur ;

- demande au Gouvernement de défendre et faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

Justice et affaires intérieures - Protection des données personnelles - Communication de M. Simon Sutour et proposition de résolution portant avis motivé

M. Simon Sutour, président. - Au cours de sa réunion de jeudi dernier, le groupe subsidiarité a considéré que la proposition de règlement relatif à la protection des données personnelles présentait un risque de non-conformité au principe de subsidiarité. J'ai présenté hier en commission des lois une proposition de résolution européenne, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, qu'elle examinera la semaine prochaine et qui sera débattue en séance publique le 6 mars. Une telle procédure est exceptionnelle. Ce texte le mérite, car sa portée est considérable.

Nous nous penchons ce matin sur la seule question de la subsidiarité, selon le cadre fixé par l'article 88-6 de la Constitution. Nous examinons uniquement la proposition de règlement relatif à la protection des données à caractère personnel présentée par la Commission européenne le 25 janvier 2012, que nous a exposée Mme Reding lors de sa récente audition, et non pas la proposition de directive qu'elle présente également.

Ce règlement, qui remplacerait la directive du 24 octobre 1995, a pour objectif d'instaurer un climat de confiance dans l'environnement en ligne, essentiel selon la Commission, au développement économique. Ce texte suscite des interrogations au regard du principe de subsidiarité sur trois points.

Tout d'abord, la Commission européenne a fait le choix de proposer un règlement pour remplacer la directive de 1995, afin d'assurer une plus grande homogénéité au sein de l'Union. Or notre pays a adopté de longue date des dispositions pour protéger les données personnelles : la grande loi Informatique et libertés remonte à 1978 - notre législation a très largement inspiré la directive de 1995. Précisément, la proposition de règlement se montre moins exigeante que notre droit national pour les responsables de traitement. Puisqu'il s'agit d'un règlement, nous ne pourrons maintenir nos dispositions lorsqu'elles sont plus protectrices. S'agissant des droits des citoyens, il serait plus conforme au principe de subsidiarité de pouvoir garder nos dispositions plus protectrices, aussi longtemps que la législation européenne ne donnera pas toutes les garanties dont nous bénéficions aujourd'hui - nous retrouvons le débat qu'a illustré le rapport d'Alain Richard.

Ensuite, il faut préserver le rôle des autorités de contrôle. Les textes nécessaires n'étant pas aboutis, de nombreux points ne sont pas traités. La proposition de règlement renvoie à cinquante reprises à des actes délégués ou à des actes d'exécution que la Commission européenne prendrait seule. Des questions essentielles sont concernées, comme le droit à l'oubli numérique. On peut y voir une concentration excessive du pouvoir de décision entre les mains de la Commission européenne. Non seulement certaines questions devraient plutôt être réglées directement par le législateur européen - Parlement et Conseil -, mais elles pourraient l'être, dans certains cas, ce qui met en cause la subsidiarité, par les autorités de contrôle des États membres, éventuellement regroupées au niveau européen. La rapidité des évolutions technologiques requiert une capacité d'adaptation permanente. Nos autorités de contrôle nationales sont réactives. Elles ont su coordonner leur action au sein du G29. Elles paraissent mieux placées que la Commission européenne pour appréhender les défis technologiques.

Enfin, la proposition de règlement retient la compétence d'une seule autorité de contrôle, celle du principal établissement du responsable de traitement. Ce guichet unique éloigne la décision du citoyen.

Quand un citoyen soulèvera un problème le concernant, la décision pourra être renvoyée à l'autorité de contrôle d'un autre pays. Ainsi, pour un Français en litige avec Facebook, c'est l'autorité de contrôle irlandaise qui tranchera. Les moyens de l'autorité compétente pour un pays de 4,6 millions d'habitants ne sont peut-être pas adaptés au traitement des saisines potentielles de centaines de millions de citoyens européens ! Une gestion de proximité serait plus pertinente et mieux à même d'enraciner la construction européenne dans l'opinion publique. Il serait préférable de poser la compétence de l'autorité de contrôle de l'État membre où réside le plaignant, comme c'est le cas en droit de la consommation. Dessaisir l'autorité de contrôle nationale, c'est éloigner la décision du citoyen, à rebours du principe de subsidiarité, le seul qui nous importe ce matin, puisque nous examinerons le fond jeudi prochain, qui a fait hier l'objet d'un débat très intéressant et d'un vote quasi unanime de la commission des lois.

M. Alain Richard. - Il pourrait être plus convaincant, au titre de la subsidiarité, de donner aux personnes le choix entre leur autorité nationale et l'autorité découlant du nouveau règlement.

M. Simon Sutour, président. - C'est une proposition judicieuse, mais qui, à ce stade, n'aurait sans doute pas l'aval de la commission des lois.

La proposition suivante de résolution portant avis motivé est adoptée à l'unanimité :

Proposition de résolution européenne portant avis motivé

La proposition de règlement, d'applicabilité directe, tend à réduire la fragmentation juridique et à apporter une plus grande sécurité juridique, en instaurant un corps harmonisé de règles de base. Elle prévoit, dans de nombreux domaines, de conférer à la Commission européenne le pouvoir d'adopter des actes délégués conformément à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Afin de garantir des conditions uniformes pour sa mise en oeuvre, elle confie à la Commission des compétences d'exécution. Son article 51 met en place un système de « guichet unique » qui confie la compétence pour contrôler les activités du responsable de traitement ou du sous-traitant établi dans plusieurs États membres à l'autorité de contrôle de l'État membre où se situe le principal établissement dudit responsable ou du sous-traitant.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; cela implique d'examiner non seulement si l'objectif de l'action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l'intensité de l'action entreprise n'excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif que cette action vise à réaliser ;

- dans un domaine touchant directement aux droits des citoyens, la proposition de règlement ne doit pas priver les États membres de la possibilité de maintenir transitoirement des dispositions nationales plus protectrices de manière à ce que l'harmonisation européenne ne puisse aboutir à une diminution des garanties ;

- le très grand nombre de délégations accordée à la Commission européenne, en sus de ses compétences d'exécution, tend à excéder la nature même d'un acte délégué au regard des dispositions de l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; un certain nombre d'entre elles, par exemple celles prévues pour le droit à l'oubli numérique, devraient être réglées directement par le législateur européen ; d'autres pourraient relever des autorités de contrôle nationales ou de leur regroupement au niveau européen ;

- le dispositif du « guichet unique » prévu par l'article 51 de la proposition de règlement priverait les personnes concernées de la possibilité de voir l'ensemble de leurs plaintes instruites par leur autorité de contrôle nationale, et serait, pour les plaignants, source d'une grande complexité en raison de l'asymétrie entre les recours administratifs exercés auprès de l'autorité étrangère et les recours juridictionnels contre le responsable de traitement, portés devant le juge national ; pour assurer le respect du principe de subsidiarité, il conviendrait de privilégier une procédure permettant aux personnes concernées de s'adresser à l'autorité de contrôle de l'État membre où elles résident.

Le Sénat estime donc que l'article 51 de la proposition de règlement ainsi que les dispositions de celle-ci concernant des actes délégués et d'exécution ne respectent pas, en l'état, le principe de subsidiarité.

Questions diverses

M. Simon Sutour, président. - Je dois vous demander encore un court instant d'attention car nous sommes saisis de deux textes urgents.

- Le texte E 6881, tout d'abord, est une recommandation visant à autoriser la Commission européenne à négocier un accord avec la Russie et la Biélorussie relatif à l'exploitation du réseau d'électricité des États baltes. Il s'agit de mieux intégrer ce réseau, encore fortement dépendant de celui de ses voisins, au marché de l'électricité de l'Union.

- Le texte E 7004, ensuite, concerne la reconnaissance mutuelle par l'Union européenne et les États-Unis de leurs programmes de partenariat respectifs dans le domaine commercial. Ces programmes ont pour but de simplifier les procédures pour les opérateurs européens ou américains qui apportent la preuve des efforts qu'ils consentent pour garantir la sécurité des échanges. Le texte E 7004 vise à arrêter formellement la position favorable à la reconnaissance mutuelle que l'Union européenne exprimera au sein du comité mixte de l'accord de coopération douanière avec les États-Unis.

Je crois que nous pouvons lever la réserve sur ces deux textes qui relèvent des affaires courantes.

Il en est ainsi décidé.