Mardi 20 mars 2012

- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président -

Audition de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, d'avoir répondu à notre invitation, invitation un peu obligatoire, il faut bien le dire... (Sourires.)

Comme vous le savez, monsieur Bigot, chaque groupe politique du Sénat dispose d'un droit de tirage pour créer une commission d'enquête sur un sujet lui tenant à coeur. En l'occurrence, le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'instituer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.

Je vais vous demander de respecter ce que j'appellerai la règle du jeu, c'est-à-dire de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Bernard Bigot prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie.

Monsieur Bigot, vous avez reçu un questionnaire de M. le rapporteur, à qui je vais céder la parole afin qu'il énonce les questions devant tous nos collègues. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus intéressant pour nos travaux. Ensuite, vous répondrez soit aux questions complémentaires de M. le rapporteur, soit aux questions supplémentaires de mes collègues et de moi-même.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Bigot, j'ai souhaité vous poser six questions, dont certaines se subdivisent en plusieurs sous-questions.

Premièrement, le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire vous semble-t-il décrire de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire ?

Deuxièmement, au sein du CEA, pouvez-vous comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part ?

Troisièmement, comment se répartit la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière ? Cette imputation vous paraît-elle pertinente ? Qu'en est-il pour les énergies renouvelables ?

Quatrièmement, avez-vous des commentaires sur les mérites comparés, notamment en termes de coût, du remplacement de l'actuel parc nucléaire, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergie renouvelable ?

Cinquièmement, quelle est la vision du CEA sur l'état de la recherche en matière de stockage de l'électricité ? Quelles sont les perspectives, à quelle échéance et à quel prix ?

Enfin, sixièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, au travers de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et des différents dispositifs fiscaux ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Bernard Bigot.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre d'intervenir devant cette commission d'enquête. Je vais répondre à ces différents points dans l'ordre où vous les avez abordés.

Vous m'avez d'abord demandé si le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire faisait une description correcte de l'investissement national en matière de recherche nucléaire.

De fait, à nos yeux, ce rapport retrace soigneusement l'ensemble des éléments de coût de la filière électronucléaire depuis plus de cinquante ans, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait ni pour cette filière ni pour aucune autre.

La Cour a pu consulter l'ensemble des comptes annuels du CEA, validés par nos commissaires aux comptes, sur toute la période d'observation. Les chiffres retenus sont donc, du moins pour ce qui nous concerne, d'une parfaite fiabilité.

À mon sens, tout conduit donc à considérer que le rapport décrit de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire, soit 55 milliards d'euros valeur 2010, au titre des cinquante-quatre années allant de 1957 à 2010. On peut donc estimer que nous avons consacré un peu plus de un milliard d'euros par an à la recherche.

Il faut savoir qu'une part significative de ces dépenses porte sur les réacteurs du futur, notamment ceux dits de quatrième génération, et pas seulement sur le parc installé et la production actuelle d'électricité. Le rapport de la Cour des comptes permet de déterminer que 80 % de ces 55 milliards d'euros bénéficient à la filière actuelle, contre 20 % à la filière du futur.

Sachant que le parc actuel aura produit 427 térawattheures à un prix de production de l'ordre de 50 euros le mégawattheure, toutes charges comprises, ce qui correspond à une valeur marchande d'environ 110 euros par mégawattheure, la part de la recherche représente au plus 2,2 % de la valeur de l'électricité produite annuellement par la filière nucléaire. Ce pourcentage est encore plus faible, environ 2 %, si l'on inclut les revenus provenant du reste de la filière industrielle des équipementiers et du cycle, qui ont également bénéficié de cette recherche. Quelle industrie pourrait poursuivre un effort d'innovation avec un pourcentage encore plus faible de ses revenus destiné à la recherche ?

L'investissement de construction de notre parc actuel de cinquante-huit réacteurs et des installations du cycle du combustible, tel que le retrace la Cour des comptes, est de 115 milliards d'euros : 96 milliards pour les réacteurs et 19 milliards pour les industries du cycle. Si l'on rapporte les charges annuelles d'exploitation de ce parc de réacteurs, soit, selon le rapport, 8,9 milliards d'euros par an au coût d'investissement actualisé, on obtient moins de 7,5 % de coût de fonctionnement, toutes charges comprises.

Ce faible pourcentage souligne à quel point, une fois l'investissement réalisé, il est essentiel d'en tirer le meilleur parti en prolongeant le fonctionnement de ces installations autant que les exigences de sûreté l'autorisent.

Vous m'avez également demandé quel commentaire m'inspirait l'évolution de cet effort financier au fil du temps, ainsi que sa répartition entre les nombreux opérateurs, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les industriels.

En reprenant les chiffres cités par la Cour des comptes sur les différentes périodes en observation, on note que, de 1957 à 1969, la moyenne annuelle des dépenses de recherche a été de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. De 1970 à 1989, ainsi que de 1990 à 2010, elle s'est élevée à 1 milliard d'euros. Force est donc de constater une grande stabilité de la part consacrée aux dépenses de recherche dans notre pays. Par ailleurs, le nombre des opérateurs est plutôt stable : la recherche est désormais réalisée soit par les industriels, dont le nombre n'a pas beaucoup augmenté au cours de ces cinquante dernières années, soit par les opérateurs publics de recherche.

À cet égard, je veux souligner que l'ANDRA n'est pas à proprement parler un opérateur de recherche de manière principale, mais plutôt un collecteur de financement public ou privé de ressources, qu'elle redistribue ultérieurement à des opérateurs de recherche, en tant qu'agence de financement, selon ses besoins de recherche en matière de stockage des déchets radioactifs, dont l'État lui a confié la responsabilité.

À mon sens, les opérateurs publics de recherche dans le domaine nucléaire sont principalement au nombre de quatre : le CEA, l'IRSN, le CNRS, ainsi que l'ensemble constitué par les universités et grandes écoles. Il y a en outre d'autres acteurs qui, ayant des activités non spécifiques au champ nucléaire, peuvent y contribuer, tel le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, pour ce qui est de l'examen de la qualité des sous-sols susceptibles d'être utilisés pour le stockage des déchets.

Il est bien évidemment indispensable que l'État se dote, à travers le soutien direct qu'il apporte à des opérateurs publics de recherche, d'une capacité durable d'expertise lui permettant d'exercer en toute compétence son rôle de stratège de la politique nationale en matière d'énergie, de contrôleur et de régulateur en matière nucléaire. De notre point de vue, c'est le sens de la mission des opérateurs publics, dont le CEA fait partie.

Une fois l'investissement réalisé par l'État, il est logique qu'il demande aux opérateurs publics, pour autant que cela ne nuise pas à leur indépendance, de valoriser les moyens et compétences ainsi acquises en les mettant à la disposition des industriels contre rétribution. C'est, je crois, une gestion intelligente des moyens publics. Les industriels y sont, pour leur part, très favorables, dans la mesure où cette mutualisation est facteur d'optimisation économique.

Le rôle de chacun des opérateurs publics me semble donc bien défini. Aux universités et au CNRS est attribué le soin de conduire la recherche de base, essentiellement organisée autour des disciplines, sur l'ensemble des problématiques de la filière. À cet égard, le CEA ne peut que souhaiter le renforcement de leur implication sur les sujets d'intérêt potentiel pour la filière, cette expertise indépendante étant un excellent moyen de répondre aux interrogations de nos concitoyens et de nourrir leur confiance dans la maîtrise des risques de la filière.

À l'IRSN est confiée l'expertise en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lui permettant d'exercer son rôle dans l'évaluation des opérateurs au service de l'État et de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Relève du CEA, enfin, la recherche scientifique et technologique sur l'ensemble de la filière, de l'exploration minière jusqu'à la gestion des déchets, en passant par la conception de réacteurs, l'optimisation des combustibles et le recyclage des matières.

Au final, je pense que l'État est en mesure de définir sa politique de filière et ses exigences en matière de sûreté de manière fondée.

Cette segmentation conduit potentiellement ces différents acteurs à des recoupements ou à des partenariats, qui sont notamment souhaitables dans les domaines se situant aux interfaces des différents champs de responsabilité. C'est par exemple le cas en matière de sûreté et de radioprotection, entre ceux qui doivent défendre leur choix en la matière et ceux qui doivent les évaluer et les contrôler.

Telle est la vision que nous avons aujourd'hui de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Vous m'avez ensuite demandé de comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part, au sein du CEA, désormais officiellement dénommé Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Le CEA qui est, comme vous le savez, un établissement public à caractère industriel et commercial, dispose d'une comptabilité analytique. Nous sommes donc en capacité de restituer finement les coûts, que l'on appelle complets, des différents programmes que nous conduisons.

Ainsi, sur la base du bilan financier 2011, qui vient de m'être remis, je suis en mesure de vous dire que nous avons consacré 550 millions d'euros en coûts complets à la recherche nucléaire, sous trois rubriques principales : les grands outils pour le développement du nucléaire, à hauteur de 208 millions d'euros ; l'optimisation du nucléaire industriel actuel, pour 173 millions d'euros ; le développement des systèmes industriels du futur, pour 168 millions d'euros. Sur cette somme, 271 millions d'euros provenaient de la subvention d'État, 279 millions d'euros d'autres ressources, dont les contrats industriels. Ces recherches ont mobilisé 3 365 personnes, ingénieurs, chercheurs et techniciens.

La même année, le CEA a consacré 214 millions d'euros, dont 84 millions d'euros de subvention d'État et 130 millions d'euros provenant d'autres ressources, aux recherches sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique associée. Ces recherches ont mobilisé environ 950 personnes, dont 801 sous statut, les autres étant des personnels type thésard ou en recherche post-doctorat.

Si l'on souhaite comparer l'effort qui vise, d'une certaine manière, à préparer l'avenir au travers des grands outils pour le développement nucléaire et le nucléaire du futur, et celui qui est consacré aux énergies renouvelables stricto sensu, on a donc 376 millions d'euros d'un côté et 214 millions d'euros de l'autre. Tels sont les éléments chiffrés précis que je suis en mesure de livrer à votre attention.

Il a été demandé au CEA, au moment où sa mission se développait à la fois dans le domaine de l'énergie nucléaire et dans celui des énergies renouvelables, de faire en sorte que, pour 1 euro dépensé pour le nucléaire du futur, 1 euro soit consacré aux énergies renouvelables. Nous essayons actuellement de répondre à cette exigence.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez par ailleurs demandé de présenter de manière consolidée le poids de la recherche publique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Ma position actuelle d'administrateur général du CEA n'est pas la situation la plus confortable pour répondre à cette question, car je ne connais pas nécessairement dans le détail les coûts associés à chacun des programmes des différents acteurs, d'autant que le sujet n'est pas si simple.

En effet, autant le nucléaire a une typologie assez assurée permettant sans difficulté d'identifier un périmètre, autant les énergies renouvelables sont multiples, diverses et font appel à des compétences variées. Je vais donc vous citer les éléments en ma possession, en toute sincérité, mais je ne doute pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ait des chiffres plus consolidés que ceux que je possède aujourd'hui.

La recherche publique sur le nucléaire, financée sur crédits publics, s'élève à environ 430 millions d'euros par an : 271 millions d'euros pour le CEA ; 28 millions d'euros pour le CNRS ; 115 millions d'euros pour l'IRSN ; une quinzaine de millions d'euros pour les universités et les grandes écoles. Ce décompte recèle un certain nombre d'incertitudes, puisque dans certains domaines comme les matériaux ou la géologie, des études peuvent être rattachées spécifiquement à un objet nucléaire ou, au contraire, à des objets plus vastes.

La recherche financée par les industriels, soit au sein des entreprises soit par l'intermédiaire des opérateurs publics, est d'un montant à peu près équivalent, soit 480 millions d'euros. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans le rapport de la Cour des comptes.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'analyse est un peu plus complexe. Selon les chiffres dont je dispose, la recherche publique financée sur crédits publics s'élève sans doute à plus de 300 millions d'euros par an : le CEA y consacre 84 millions d'euros ; le CNRS, qui dispose de crédits publics d'environ 2 milliards d'euros, dépense de l'ordre de 60 millions d'euros dans ce domaine ; l'IFP Énergies nouvelles, l'IFPEN, finance des recherches pour une trentaine de millions d'euros, sur les 170 millions d'euros dont il bénéficie au titre de la subvention publique, tandis que les universités et les grandes écoles y consacrent environ 25 millions d'euros.

Les crédits abondés par l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, qui ont des responsabilités en la matière, sont de l'ordre 50 millions d'euros.

L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, au travers de la recherche sur les éoliennes offshore, et l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, au travers de la recherche sur les biocarburants, contribuent également à cet effort global, chacun pour 20 millions d'euros.

Mais il peut y avoir des variations extrêmement importantes. Comme vous le savez, des grands programmes d'investissements structurants pour l'avenir ont été engagés, ayant notamment des incidences dans le domaine des énergies renouvelables. Il est donc possible que, d'une année sur l'autre, on relève des fluctuations significatives dans les volumes de dépenses.

Vous m'avez interrogé sur les risques d'inefficience ou de doublon qu'était susceptible d'entraîner le nombre d'organismes publics actifs en matière de recherche.

Le constat est clair : il y a de très nombreux opérateurs de recherche qui concourent à la recherche publique dans le domaine de l'énergie, et en particulier dans les énergies renouvelables. C'est la raison pour laquelle a été créée, en 2009, sur l'initiative du CEA, en accord avec les ministères en charge de la recherche, du développement durable, de l'énergie et de l'industrie, une alliance dénommée ANCRE, Agence nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, qui réunit dix-huit membres ès qualités : le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'universités, l'IFPEN, le BRGM, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture - l'IRSTEA -, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - le CIRAD -, le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB - l'IFREMER, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - l'IFFSTAR - l'Institut national de l'environnement industriel et des risques - l'INERIS -, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - l'INRIA -, l'Institut de recherche pour le développement - l'IRD -, l'IRSN, le Laboratoire national de métrologie et d'essais - le LNE -, et l'Office national d'études et recherches aérospatiales - l'ONERA. Cette agence a pour mission, en liaison avec trois partenaires, qui sont des agences de programmation et de financement, c'est-à-dire l'ANDRA, l'ANR et l'ADEME, de coordonner notre effort de conception et de mise en oeuvre des programmes de recherche arbitrés par la puissance publique. Évidemment, il y a quatre grands contributeurs majeurs dans cette structure : le CEA, le CNRS, l'IFP et la Conférence des présidents d'universités.

Vous imaginez bien qu'une telle multitude d'acteurs nous impose d'être vigilants sur les risques d'inefficience ou de doublons. De notre point de vue, il revient à l'État d'y veiller en dernier ressort.

Pour sa part, le CEA s'est clairement concentré sur les enjeux qui sont en synergie étroite avec ses métiers de base et ses champs de compétences traditionnels : production, distribution et stockage de l'électricité ; électronique et technologies de l'information ; matériaux et transfert thermique ; génomique et biotechnologies.

C'est la raison pour laquelle le CEA se limite, en pleine responsabilité, au solaire thermique et photovoltaïque ou à la production de biocarburants de troisième génération - il s'agit par exemple de recherche sur les micro-algues pour essayer d'orienter la capacité d'un organisme végétal à produire des produits à haute valeur énergétique - au stockage et à la gestion de l'électricité pour le transport - avec tout ce qui tourne autour du véhicule électrique -, mais aussi l'habitat et le tertiaire, car il faut savoir que 43 % des énergies fossiles que nous importons à grands frais sont consacrées aux besoins de l'habitat et du tertiaire, contre 31 % au transport - dans cette logique, nous essayons de réduire la dépendance énergétique aux produits fossiles et donc de développer ces éléments alternatifs - au recyclage et au stockage de la chaleur pour l'habitat et l'industrie, à la production d'hydrogène, son stockage et sa distribution, sa conversion en électricité ou, par combinaison à la biomasse non alimentaire, en biocarburants de deuxième génération.

Il n'y pas de champ en matière de recherche technologique où le CEA soit réellement en compétition avec d'autres organismes, même s'il a besoin de concours. Il revient alors à l'ANCRE de coordonner ces initiatives. Dans ce cadre, le CEA ne se prive pas d'apporter des contributions au-delà des domaines dans lesquels il a vocation à se mobiliser prioritairement et à piloter l'action programmatique. Il peut par exemple intervenir en appui sur les problématiques matériaux ou électrotechniques de l'énergie éolienne ou des énergies marines portées par d'autres organismes.

Monsieur le rapporteur, vous souhaitez en outre connaître la répartition de la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière et savoir si cette imputation me paraît pertinente.

La mission première du CEA est de créer de la valeur économique, de favoriser le développement de l'emploi industriel dans notre pays. Cette politique de valorisation passe par le dépôt de brevets, afin de défendre la propriété intellectuelle créée grâce aux ressources qui lui sont apportées soit par l'État, soit par ses partenaires.

Vous le savez peut-être, en 2011, nous avons déposé plus de 615 brevets. L'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, doit communiquer son classement pour 2011 la semaine prochaine, mais je peux dire que, en 2010, le CEA était classé quatrième déposant, derrière les deux grands constructeurs automobiles français et une grande entreprise de cosmétiques et de produits d'hygiène. Nous étions battus d'un brevet par cette dernière.

L'enjeu n'est pas tant de prendre des brevets multiples et nombreux que de les valoriser. Nous disposons actuellement de 3 000 familles de brevets vivants, lesquelles sont mises à la disposition des entreprises soit, si elles y ont contribué, de manière prioritaire et exclusive dans leur champ de compétence, soit, au contraire, au profit de tiers, dans une logique de valorisation. Sur ces 3 000 familles, environ la moitié fait aujourd'hui l'objet de licences.

Nous procédons de la même façon avec nos partenaires industriels dans le domaine de l'énergie. Lorsque nous sommes à l'origine d'une innovation sur les seuls crédits publics, nous cherchons logiquement à en assurer le transfert dans la sphère économique. Une alternative s'offre alors à nous.

Nous pouvons la proposer à une entreprise industrielle existante contre une juste rétribution de la propriété intellectuelle ainsi créée, une part de cette rétribution pouvant avoir la forme d'un contrat industriel financé à 100 % pour poursuivre les travaux et accompagner le transfert.

Mais nous pouvons également créer une entreprise innovante. Comme vous le savez peut-être, le CEA crée chaque année entre quatre et six entreprises nouvelles sur l'ensemble de ses champs de compétences, en particulier, aujourd'hui, dans le domaine de l'énergie.

Enfin, il peut arriver que nous répondions à une sollicitation de la part d'une entreprise. Dans ce cas-là, elle doit financer le coût du projet aussi largement que possible, à des taux variant, en fonction de la négociation, de 50 % à 130 %, selon le retour de droit de propriété intellectuelle, ce dernier taux étant bien évidemment le moyen de préparer l'avenir.

Vous m'interrogez sur la pertinence de ce système. Vous le savez, quand il s'agit de parler d'argent, les négociations sont toujours difficiles. Mais il revient au CEA de défendre au mieux les intérêts de la puissance publique, en fonction de l'appréciation qu'ont les industriels de nos performances, dans un monde où la concurrence joue, que ce soit en France ou à l'étranger. Je crois pouvoir dire que le CEA est assez bien placé à cet égard.

Vous souhaitez aussi connaître ma position sur les mérites comparés, notamment en termes de coûts, de remplacement de l'actuel parc nucléaire quand il sera devenu obsolète, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergies renouvelables.

De mon point de vue, la question ne se pose pas exactement en ces termes. L'enjeu prioritaire est de trouver un substitut, autant que faire se peut, aux énergies fossiles que nous importons actuellement en quasi-totalité.

En effet, le coût de ces importations devient insoutenable. Je pense que vous avez tous à l'esprit que, l'année dernière, la France a importé pour 62 milliards d'euros d'énergies fossiles, alors que, en 2005, nous en avions importé la même quantité, voire un peu plus, pour une somme de 23 milliards d'euros. Vous imaginez bien que la multiplication par trois de la facture tous les six ans n'est pas durablement soutenable. Ce poste représente aujourd'hui 90 % de notre déficit commercial.

Notre pays exporte annuellement pour environ 400 milliards d'euros de biens tels que des avions, des voitures, des ponts, qui ont des durées de vie de plusieurs dizaines d'années, et en une seule année, nous importons 62 milliards d'euros sur le poste des énergies fossiles !

Par ailleurs, pour le CEA, qui est attaché à l'indépendance de notre pays et à la défense de ses intérêts supérieurs, la dépendance énergétique à 100 % dans le domaine des énergies fossiles, telle qu'elle existe aujourd'hui, est dangereuse dans un monde incertain, où ces ressources se raréfient.

À mon sens, le nucléaire et les énergies renouvables ne sont pas concurrents, mais complémentaires.

L'énergie nucléaire est une source de production d'électricité continue, difficilement modulable dans le temps, massive, planifiable et centralisée, qui doit donc répondre aux besoins de production de base d'un pays, pour sa partie fortement urbanisée et industrialisée. En moyenne annuelle, nos besoins de puissance électrique quotidiens s'élèvent à 60 gigawatts, mais ils varient entre 30 gigawatts et 105 gigawatts ; les fluctuations sont donc considérables. Ce talon de 30 gigawatts n'est pas compressible et peut donc être assuré par l'énergie nucléaire.

Les énergies renouvelables, au contraire, sont des sources de production électrique intermittentes, diffuses, bien réparties sur le territoire, répondant à des besoins flexibles. Il faut favoriser leur consommation locale, au plus près de la production, grâce à des moyens de stockage adaptés qui permettent de réduire la dimension des réseaux d'interconnexion.

Enfin, votre question portait également sur les enjeux liés à la diminution des émissions de gaz à effet de serre pour réduire le risque de changement climatique et sur les économies comparées de ces moyens de production d'électricité. Les estimations dont je dispose, pour la France, indiquent un prix de l'ordre de 50 euros pour le mégawattheure d'électricité nucléaire, toutes charges assumées, de l'ordre de 75 à 80 euros pour le mégawattheure d'électricité éolienne terrestre, de 180 euros, voire un peu plus, pour le mégawattheure d'électricité éolienne produite en mer et de 200 à 400 euros pour le mégawattheure d'électricité solaire, sans parler de la problématique de l'intermittence. Il faut avoir tous ces éléments présents à l'esprit.

La politique que préconise le CEA consiste à couvrir les besoins flexibles d'électricité à la fois par des économies et par le recours à des énergies renouvelables, y compris avec un stockage local, en remplaçant, autant que faire se peut, la consommation d'énergies fossiles, sous réserve que l'augmentation des coûts ne crée pas un handicap pour les entreprises en renchérissant de manière inacceptable leurs charges.

Par ailleurs, il faut anticiper le renouvellement des réacteurs actuels par des réacteurs de type EPR, ou peut-être, dans l'avenir, par des réacteurs de quatrième génération. Comme vous le savez, les centrales nucléaires avaient été initialement pensées comme pouvant avoir une durée de vie de trente ans. La raison en est simple : lorsque le parc nucléaire français a été construit, on a adopté la technologie des réacteurs à eau pressurisée, développée aux États-Unis, dont un certain nombre d'exemplaires avaient déjà une durée de vie de trente ans. Aujourd'hui, on constate que cette durée de vie peut être plus longue : la porter à quarante ans semble raisonnable, au vu des résultats de l'inspection menée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et les autorités de sûreté nucléaire. Si nous adoptions cette limite de quarante ans, en 2022, vingt-deux centrales nucléaires devraient être arrêtées, puisqu'elles atteindraient cet âge. Personnellement, je pense que notre pays doit réfléchir à anticiper la nécessité d'arrêter telle ou telle centrale, si les exigences de sécurité l'imposaient.

Comme vous le savez sans doute, le coût de l'électricité nucléaire, tel qu'il est attesté par le rapport de la Cour des comptes, reflète, pour 90 %, le coût des investissements, et à hauteur de 10 % le coût du fonctionnement. Si l'on prolonge la durée de vie d'une centrale d'un tiers, en la faisant passer de trente ans à quarante ans, on réduit en moyenne le coût de l'électricité de 15 % à 20 %. La prolongation de la durée d'utilisation des centrales nucléaires représente donc un enjeu majeur, comme le souligne la Cour des comptes.

Je le répète, il faut développer, autant que possible, les énergies renouvelables, en les substituant en priorité aux énergies fossiles, afin de démontrer la performance économique et la viabilité technique de ces énergies qui présentent bien des avantages, assortis de limitations que l'on connaît, notamment l'intermittence. Pour vous donner un exemple, le parc éolien allemand représente une capacité de 30 000 mégawatts installés ; en moyenne annuelle, il délivre près de 17 % de cette capacité nominale, avec des périodes sans production et des variations brusques. On ne peut donc pas, de mon point de vue, assurer la production d'énergie de base uniquement par une source d'énergie renouvelable, si l'on n'a pas trouvé préalablement de solutions au problème du stockage de l'électricité.

J'en viens précisément à votre cinquième question portant sur le stockage. Dans ce domaine, la vision du CEA est optimiste. Les efforts de recherche et développement, notamment sur le stockage électrochimique, ont permis des progrès tout à fait spectaculaires en termes de fiabilité, de cyclabilité, de durée de vie et de densité d'énergie, grâce à la compréhension des mécanismes intimes de fonctionnement de ces systèmes, mais aussi grâce aux nouveaux matériaux et aux logiques d'économies d'atomes. Aujourd'hui, on constate que le prix des batteries baisse très régulièrement, de l'ordre de 15 % à 25 % par an - je ne parle pas des batteries au plomb des véhicules standards, dont la technologie a atteint sa maturité, mais des batteries capables de stocker de grandes quantités d'énergie pour des véhicules électriques et qui pèsent, par exemple, plus de 200 kilogrammes. En 2009, l'investissement par kilowattheure stocké était de l'ordre de 1 500 euros ; le CEA s'est donné pour objectif de descendre à 250 euros, voire à 200 euros, à l'horizon de 2020. Nous sommes engagés sur la pente qui conduit du premier chiffre au deuxième, avec une amélioration considérable de ce que l'on appelle la cyclabilité : aujourd'hui, ces batteries assurent de l'ordre de 3 000 à 5 000 cycles, et nous sommes en train de développer des batteries dont on espère qu'elles assureront 20 000 cycles.

De même, les densités d'énergie s'améliorent considérablement. Par exemple, il y a quelques années, nous en étions à 0,16 kilowattheure par kilogramme et nous nous sommes donné pour objectif d'atteindre 0,3 kilowattheure par kilogramme, c'est-à-dire de doubler la performance. Aujourd'hui, on estime que le coût d'usage du stockage du kilowattheure est de l'ordre de 50 centimes d'euro et notre ambition est de réduire ce coût, avant 2020, à 5 centimes, voire à 3 centimes. Je vous rappelle que le coût de production du kilowattheure nucléaire est de 5 centimes : nous aurons donc alors atteint des niveaux de performance qui feront du stockage un élément de compétitivité.

L'enjeu est majeur : si nous voulons développer les énergies renouvelables, il faut disposer, en accompagnement, de moyens de stockage et privilégier la consommation locale. La raison en est simple : en Allemagne, pendant 165 jours par an, il faut arrêter un certain nombre d'éoliennes qui pourraient pourtant produire, parce que le réseau n'est pas suffisamment dimensionné. La production d'une éolienne, en moyenne journalière de même qu'en moyenne horaire, varie de 0 % à 100 % : pour collecter en permanence la totalité de l'énergie à l'instant où elle est produite, il faudrait dimensionner l'ensemble du réseau en fonction des jours où le vent souffle fort, soit 17 % du temps. Il est donc impossible de calibrer un réseau pour répondre à de telles exigences. Si l'on dispose d'un moyen de stockage, même partiel, de l'énergie électrique, on peut tirer un bien meilleur parti de l'investissement dans les énergies renouvelables.

Bien d'autres solutions existent, mais je n'ai pas le temps de les évoquer. Comme vous le savez, bon nombre d'énergies renouvelables, de même que le nucléaire, permettent de produire de l'électricité. Un des moyens de stocker l'électricité est de l'utiliser pour produire de l'hydrogène par décomposition de l'eau : l'hydrogène peut alors être stocké - éventuellement pour servir à la propulsion des véhicules - ou injecté dans le circuit de distribution du gaz naturel, auquel il peut être mélangé, jusqu'à hauteur de 25 %, améliorant ainsi la capacité calorifique, sans qu'il soit nécessaire de modifier les voies de distribution ni les voies d'usage. L'hydrogène peut encore être combiné avec la biomasse stockée pour produire des hydrocarbures sans perdre de carbone, donc en optimisant le recours à la biomasse dans notre pays grâce à la production de biodiesel ou de biokérosène, directement utilisables dans les circuits tels qu'ils existent aujourd'hui.

Des moyens de stockage existent donc : il faut que notre pays se dote d'une vision claire de sa politique énergétique, en tirant le meilleur parti de ses atouts. J'espère vous avoir convaincus que la France, en termes de capacités de développement technologique, peut apporter, notamment grâce aux compétences développées par le CEA, un certain nombre de réponses qu'il faudra confronter, bien évidemment, aux exigences de la compétitivité économique et à celles de la rationalité globale du système.

J'en arrive enfin à votre sixième question, relative aux dispositifs de soutien aux différentes énergies renouvelables.

Il faut encourager le développement des énergies renouvelables ; je ne crois pas que cela doive se faire au détriment du nucléaire, vous l'aurez compris. Au contraire, il faut préserver le nucléaire, pour autant qu'il se montre économe et qu'une parfaite sûreté des installations est garantie, et remplacer en partie les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Comme ces dernières ne sont pas véritablement compétitives aujourd'hui, il faut soutenir les filières.

Personnellement, j'aurais tendance à privilégier les mesures de soutien qui responsabilisent les acteurs. Ensuite, je donnerais la priorité à la progressivité : si l'électricité solaire représente seulement 1 % de notre production globale, même si elle est quatre ou cinq fois plus chère, son coût, réparti sur l'ensemble des consommateurs, reste acceptable ; en revanche, si l'on développe trop vite cette production, avant d'être parvenus à en réduire le coût, et qu'elle représente 20 % du total, tout en restant quatre fois plus chère, le coût de l'électricité pourrait augmenter de 80 %, ce qui créerait une situation inconfortable pour les entreprises et l'ensemble des consommateurs. Il n'y a pas de solution miracle ! La contribution au service public de l'électricité, la CSPE, représente plutôt un coût différé pour les consommateurs. À l'heure actuelle, plusieurs milliards d'euros sont dépensés, compte tenu de toutes les décisions prises dans le domaine des énergies renouvelables ; c'est du moins ce que je comprends des déclarations du grand électricien français.

Je suis également favorable aux dispositifs fiscaux, dans la mesure où s'ils induisent certes une dépense instantanée, ils sont un élément majeur de responsabilisation.

Pour conclure, je pense que notre pays ne fait pas assez d'efforts pour soutenir le solaire thermique, qui représente une vraie chance pour réduire les dépenses d'énergie dans le bâtiment. Nous devrions donc être beaucoup plus actifs dans ce domaine, car les technologies sont matures, il n'y a pas de craintes à nourrir quant aux progrès à accomplir. Un certain nombre de pays disposent d'une expérience industrielle dans ce secteur : il faut donc encourager toutes les initiatives.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à toutes vos questions, peut-être un peu longuement, mais j'espère avoir été suffisamment précis.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vos réponses ont peut-être été un peu longues, monsieur l'administrateur général, mais elles étaient fort intéressantes.

Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions complémentaires ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur l'administrateur général, vos réponses ont été tout à fait « carrées », en particulier en matière de chiffres. Bien que l'organisme que vous représentez s'inscrive dans une logique de forte centralisation, vos propos reflètent une volonté de développer une production de proximité pour les énergies renouvelables, notamment le solaire thermique. Cet aspect n'a pas été soulevé aussi nettement lors des autres auditions.

Vous avez parlé d'indépendance énergétique et expliqué qu'il y avait deux réponses à cette problématique : l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Or le nucléaire n'est pas tout à fait un facteur d'indépendance, eu égard à la question de l'approvisionnement en matière première ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Vous avez tout à fait raison. Aujourd'hui, nous importons 8 000 tonnes d'uranium naturel par an, qui permettent de couvrir environ 45 % de notre consommation d'énergie primaire, et 140 millions de tonnes d'équivalent pétrole, en gaz et en pétrole. De ce point de vue, la dépendance à l'égard de l'uranium naturel est donc plus simple à gérer : stocker cinq ans de consommation d'uranium naturel ne pose pas de problème insurmontable, la quantité correspondante représentant quelques centaines de mètres cubes seulement.

Ensuite, l'uranium est assez largement distribué dans le monde, comme vous le savez, et le coût, ou la valeur commerciale, de notre consommation annuelle s'élève aujourd'hui à 800 millions d'euros. Les importations de pétrole et de gaz naturel coûtent, quant à elles, 62 milliards d'euros, payés cash aux pays fournisseurs. L'uranium est à l'origine d'une production électrique d'une valeur de 60 milliards d'euros : la plus-value est essentiellement apportée par le travail de la filière, accompli localement.

Je ne conteste nullement, monsieur le rapporteur, le fait que nous dépendions de ces 8 000 tonnes d'uranium, mais nous pouvons les stocker durablement. Par ailleurs, nous pouvons jouer sur toute une palette de fournisseurs, qu'il s'agisse du Canada, de l'Australie, du Niger, du Kazakhstan, de la Namibie ou de la République centrafricaine. La situation n'est pas tout à fait comparable s'agissant des énergies fossiles, comme vous le savez.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Avant de donner la parole à nos collègues, j'aurais souhaité vous demander deux précisions suite aux questions que vous a posées notre rapporteur, monsieur l'administrateur général.

Tout d'abord, j'aurais aimé que vous vous « mouilliez » davantage concernant la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. J'ai bien compris votre message : d'ici à 2022, si l'on retient une durée de vie de quarante ans, il faudrait fermer vingt centrales dans notre pays ; il convient donc d'y réfléchir. Pour votre part, qu'en pensez-vous ? Faut-il prolonger cette durée de vie jusqu'à cinquante ou soixante ans ?

Ensuite, s'agissant de votre effort de valorisation économique, je connaissais les chiffres impressionnants que vous avez cités en termes de brevets déposés par le CEA. En revanche, je ne savais pas que vous contribuiez à créer, chaque année, de quatre à six entreprises. Quel est leur secteur d'activité ? Que deviennent-elles ensuite ? Les revendez-vous ? Êtes-vous le seul investisseur ou intervenez-vous en partenariat ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous êtes des businessmen !

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Non. Nous avons la culture du service public, mais, comme je l'ai dit, nous nous efforçons aussi de créer de la valeur.

Pour répondre à votre première question, monsieur le président, ne craignant pas l'eau, j'accepte bien volontiers de me « mouiller » ! Ma vision est très simple : le nucléaire représente un investissement lourd. Aujourd'hui, aux termes du constat de la Cour des comptes, avec un parc nucléaire qui a, en moyenne, vingt-cinq ans d'âge, le prix de l'électricité représente, à hauteur de 90 %, la valorisation de notre investissement, et, à hauteur de 10 %, les coûts de fonctionnement, de démantèlement et de gestion des combustibles usés. Il faut donc privilégier l'allongement de la durée de vie, tout en respectant une exigence absolue : la sûreté de nos installations nucléaires. Nos concitoyens peuvent, je le crois, accepter le risque nucléaire s'il est maîtrisé et en l'absence de tout relâchement de radioactivité à l'extérieur des sites nucléaires ; ils ne peuvent pas l'accepter si une contamination durable se produit, comme à Fukushima.

Qu'avons-nous fait en matière de sûreté ? Dès le début, une éprouvette contenant des échantillons de l'acier constitutif de l'enceinte du coeur, qui représente la partie non substituable de l'installation, a été placée dans chaque réacteur. On prélève régulièrement des échantillons de ces éprouvettes pour examiner comment ils évoluent. L'acier de la cuve, d'une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, est soumis en permanence à un flux de neutrons, d'une part, et à un stress thermique et mécanique, d'autre part. Pour vous donner une idée, chaque atome constitutif de cet acier est l'objet de plusieurs déplacements chaque année, comme dans un billard. La préservation des capacités mécaniques de cet acier qui assure le confinement du coeur constitue donc un véritable défi ! Or l'examen de ces échantillons laisse à penser que ce métal se comporte beaucoup mieux que prévu. D'un point de vue scientifique, ce constat est rassurant, car tout risque serait annoncé par des signes avant-coureurs, comme des fissures, qui nous permettraient d'agir par anticipation.

Autre point très important, tous les dix ans, nos centrales font l'objet d'un examen extrêmement approfondi, afin de garantir que les installations essentielles pour la sûreté du réacteur ont un comportement conforme à ce qui est attendu. Dans la situation actuelle, si le moindre risque est décelé, il le sera de manière anticipée et il n'y aura pas à hésiter : il faudra arrêter la centrale concernée. En revanche, en l'absence de risque, je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions notre investissement en arrêtant les centrales plus tôt que nécessaire.

Au vu des premiers audits de sûreté décennaux, le comportement de nos réacteurs est apparu satisfaisant et l'Autorité de sûreté nucléaire a autorisé la prolongation de leur utilisation de dix années. Je ne sais pas ce qui se passera dans dix ans et personne ne peut le dire.

À titre personnel, je formulerai la recommandation suivante : si, dans dix ans, les centrales sont encore en très bonne forme, prolongeons leur utilisation ! Mais, puisque notre parc a été construit de manière cadencée - entre 1977 et 2000, on a mis en service, chaque année, trois ou quatre réacteurs -, si un réacteur montre des signes de vieillissement qui ne permettent plus de garantir sa sûreté, les réacteurs de la même génération ne sont vraisemblablement pas dans un meilleur état. Or il n'est guère envisageable d'arrêter trois ou quatre réacteurs une même année. Il convient donc d'anticiper et de développer de nouvelles installations : quand elles fonctionneront, nous serons beaucoup plus sereins en ce qui concerne le développement durable.

Tel était le sens de la recommandation que j'avais formulée en 2003, lorsque j'étais haut commissaire à l'énergie atomique, en préconisant le lancement de l'EPR. Nous avons besoin d'un réapprentissage industriel ! Au regard des durées que nous évoquons, il est absolument indispensable d'apprendre à maîtriser les savoir-faire d'une nouvelle filière industrielle. Comme je l'ai dit, dans le passé, nous construisions trois ou quatre réacteurs par an, contre un seul actuellement. Le problème de l'EPR de Flamanville est tout à fait banal : des entretoises supérieures ne répondent manifestement pas aux exigences de qualité très élevées imposées en matière de sûreté nucléaire, et l'industriel concerné doit donc reprendre la fabrication de la pièce jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction. Les délais s'en trouvent allongés d'autant.

Je recommande donc de prolonger la durée d'utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. Parallèlement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour développer les énergies renouvelables en intégrant leurs contraintes propres afin de garantir la satisfaction de nos besoins.

Pour répondre à votre seconde question, monsieur le président, nous créons chaque année trois ou quatre entreprises. S'il existe déjà une entreprise capable d'exploiter l'innovation dont nous avons identifié le potentiel, nous n'en lançons pas une nouvelle. En revanche, dans le cas contraire, les équipes de la direction de la valorisation accompagnent les chercheurs ou l'équipe à l'origine de cette innovation pour créer une entreprise, en les « mariant » à un gestionnaire - en effet, les chercheurs ou les ingénieurs sont plutôt des créatifs, des hommes de la technique, on ne peut pas leur demander d'être « ambidextres », c'est-à-dire géniaux à la fois dans l'innovation et le management ! Nous apportons éventuellement des crédits : nous avons créé un fonds de placement, CEA Investissement, d'un montant de 25 millions d'euros, que nous avons presque consommés - j'espère que le programme des investissements d'avenir viendra l'abonder. Ces entreprises « sortent de notre giron » au terme de cinq à huit ans, lorsqu'elles ont fait la démonstration de leur viabilité. À ce moment-là, soit elles sont introduites sur le marché boursier, soit elles sont rachetées par des tiers, et nous pouvons espérer, dans certains cas, en tirer une plus-value.

Nous avons ainsi créé plus de 140 entreprises depuis 1985. Nous avons connu des échecs, mais je me souviens qu'un comité d'évaluation nous avait reproché un taux d'échec trop faible, qui pouvait laisser à penser que nous n'étions pas assez volontaristes ! Selon moi, si notre taux d'échec est plus faible que la normale, c'est tout simplement parce que notre mécanisme d'incubation est particulièrement fort et robuste.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. - À vous entendre, monsieur l'administrateur général, j'ai le sentiment que l'approche du CEA est restée redoutablement franco-française. Or les auditions auxquelles nous avons procédé depuis quelques semaines attestent de la construction d'un système européen de l'électricité, marquée par un renforcement important des interconnexions et le développement massif de l'éolien, terrestre aujourd'hui, offshore demain, pour une puissance installée qui représente aujourd'hui le double du parc nucléaire français et augmente d'environ 10 gigawatts par an - la production d'électricité éolienne européenne représentera donc environ quatre fois celle de notre parc nucléaire à l'horizon de 2015.

Dans une Europe qui reste malgré tout une perspective politique majeure, la logique voudrait que l'on développe des programmes partagés, notamment entre la France et l'Allemagne, puisque les questions d'efficacité énergétique, de gestion de réseaux et de développement des énergies renouvelables - l'équivalent en photovoltaïque de la capacité de vingt-cinq tranches nucléaires doit être installé en Allemagne - devraient nous y amener.

J'en viens à ma première question : quels sont aujourd'hui vos programmes de recherche croisée avec l'Allemagne et, plus globalement, avec les pays qui s'inscrivent dans les grandes stratégies européennes de recherche définies par la Commission européenne ?

Je souhaite ensuite revenir sur le travail que vous réalisez dans le domaine des énergies renouvelables. Ces auditions ne nous permettent pas d'entrer dans le détail et je vous serais reconnaissant, puisque vous disposez d'une comptabilité analytique, de nous communiquer la liste précise et exhaustive des programmes relatifs aux énergies renouvelables sur lesquels travaille le CEA aujourd'hui. Ces éléments nous permettront d'avoir une idée plus précise de votre stratégie, en nous révélant sur quoi portent vos efforts, en termes financiers et opérationnels ; ils nous sont nécessaires pour avancer dans notre analyse.

Je suis surpris par certains chiffres : aujourd'hui, en France, le mégawattheure produit dans les grandes « fermes » photovoltaïques se négocie à 90 euros environ, donc à un prix bien inférieur à celui que vous avez mentionné. Compte tenu de notre potentiel de recherche, je m'étonne que nous n'ayons pas les mêmes ambitions dans le domaine du photovoltaïque que dans celui du stockage : si nous en sommes aujourd'hui à 90 euros le mégawattheure, nous pourrions espérer arriver à 60 euros demain, à condition que le potentiel de la recherche française soit pleinement engagé.

De même, vous n'avez pas parlé de l'efficacité énergétique, alors que l'électronique et l'intelligence des systèmes sont au coeur du travail du CEA. Il nous semble que nous sommes aujourd'hui extrêmement en retard dans la gestion de l'efficacité énergétique, notamment en ce qui concerne les effacements de pointe, alors que des réseaux intelligents permettraient de donner des conseils automatisés au consommateur. Rien de cela n'est en place et il me semble que ces préoccupations devraient être au coeur de votre action.

Comme vous n'aurez pas le temps de répondre à toutes nos questions, je me permets de réitérer ma demande : pouvez-vous nous adresser des documents détaillés qui nous permettront d'avoir une vision plus stratégique de la manière dont l'argent public est réparti entre les différents domaines de la recherche sur les énergies renouvelables ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Je reconnais que je n'ai pas parlé de l'Europe, car ma préoccupation première, en tant que gestionnaire d'un établissement qui reçoit l'essentiel de ses subsides d'un État, est d'aider cet État à faire face à ses propres besoins énergétiques. Vous avez totalement raison, nous devons avoir une politique européenne en matière d'énergie et d'importants progrès restent à accomplir à cet égard selon moi.

Je travaille en étroite concertation avec la Commission européenne sur un certain nombre de points, mais beaucoup reste à faire. La principale difficulté tient au fait qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de consensus absolu entre les différents États. L'Allemagne, vous le savez aussi bien que moi, a décidé de sortir du nucléaire : nous n'allons donc pas beaucoup travailler avec nos amis Allemands dans ce domaine, si ce n'est pour le démantèlement et l'assainissement. En revanche, dans le domaine des énergies renouvelables, nous travaillons avec eux. Dans le cadre de l'Institut européen de technologie, le CEA participe à un KIC - ce sigle signifiant knowledge and innovation community - qui réunit six pays européens souhaitant travailler au développement conjoint du nucléaire et des énergies renouvelables : nous y retrouvons nos amis Allemands. Nous nous inscrivons donc volontiers dans certains programmes européens, car l'effort de recherche peut bien évidemment être transversal.

Ne nourrissons pas trop d'illusions quant à l'existence d'une « grille électrique européenne » où tout serait partagé : lorsqu'il a fait très froid, la France a consommé quotidiennement 105 gigawatts de puissance électrique ; la totalité des interconnexions de notre pays représente une capacité de moins de 25 gigawatts, dont 5 gigawatts seulement avec l'Allemagne...

M. Ronan Dantec. - Cela va augmenter !

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Oui, mais cela représente un coût ! Notre logique répond à une vision systémique et non à une vision « individuelle ». Vous le savez peut-être, la France, qui est un pays où la production électrique est pourtant remarquablement distribuée, fait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des petits oiseaux et l'atmosphère : l'effet Joule, c'est-à-dire la déperdition d'énergie électrique, en est responsable. Tout cela n'est pas neutre, et il faut avoir ces éléments présents à l'esprit !

Nous sommes tout à fait désireux de travailler le plus étroitement possible avec nos amis Allemands : c'est le cas, par exemple, dans le domaine des biocarburants de deuxième génération.

J'en viens au dernier point que vous avez abordé, à savoir l'efficacité énergétique. Bien évidemment, nous pouvons considérablement progresser et le CEA est particulièrement bien placé dans ce secteur, car l'amélioration de l'efficacité énergétique consiste à rendre les systèmes « intelligents ». Aujourd'hui, cette intelligence repose essentiellement sur les technologies de l'information et nous nous efforçons d'en introduire le plus possible dans l'habitat ou l'automobile, car les coûts supplémentaires induits sont extrêmement modestes.

Par exemple, si l'on développe les véhicules électriques en France, on pourra installer une « puce » dans chaque véhicule, qui indiquera la durée de l'arrêt de celui-ci, afin que le gestionnaire du réseau puisse allouer l'électricité en fonction des besoins exprimés. En effet, 80 % des déplacements, en France, sont inférieurs à cent kilomètres, et une voiture reste à l'arrêt plus de vingt heures par jour. Avec un réseau intelligent, il sera possible de stocker dans les batteries des véhicules les ressources nécessaires et même de les récupérer. Pour donner un ordre de grandeur, si 80 % des parcours effectués par les 36 millions de véhicules utilitaires et particuliers que compte la France l'étaient grâce à un moteur électrique - aujourd'hui, les batteries de certains véhicules permettent déjà de parcourir deux cent cinquante kilomètres -, nous pourrions stocker 15 % de notre consommation moyenne d'électricité, ce qui n'est pas négligeable !

Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, monsieur le sénateur...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous pourrez compléter vos réponses par écrit !

M. Ronan Dantec. - Nous avons essentiellement besoin des documents de comptabilité analytique relatifs aux programmes de recherche sur les énergies renouvelables, pour nous faire une idée de la véritable stratégie du CEA...

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Nous sommes à votre disposition pour produire les éléments correspondants. Cependant, vous devrez consolider ces informations par celles qui pourraient émaner de nos partenaires...

M. Ronan Dantec. - Vous en avez sûrement une idée assez précise !

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Pas pour l'ensemble de nos partenaires, car nous n'avons pas tous les mêmes manières de travailler.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Marc Pastor.

M. Jean-Marc Pastor. - J'aimerais savoir, monsieur l'administrateur général, qui est le décideur en matière de définition des niveaux ou des types de recherche. S'agit-il d'opérateurs extérieurs ou le CEA retient-il lui-même, en interne, un certain nombre de pistes ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Nous sommes un établissement public et une part de notre budget provient d'allocations budgétaires annuelles, mais le restant est fourni par les agences de financement et par nos engagements industriels.

Le CEA a pour responsabilité de présenter sa vision de politique scientifique devant les autorités gouvernementales et devant le Parlement. Le schéma que je vous ai présenté n'est pas secret, c'est celui que j'essaie de promouvoir et de défendre. Ces choix sont sur la table et nous sommes prêts à recevoir toutes les indications souhaitables ; nous avons plutôt une compétence technique et nous attendons de connaître les choix politiques.

L'État nous demande également d'être aussi proches que possible des industriels : lorsque l'un d'entre eux nous propose des conditions intéressantes pour travailler sur un sujet donné, si cette proposition est conforme aux grandes lignes de la politique voulue par le Gouvernement, nous répondons favorablement.

M. Jean-Marc Pastor. - Et si elle n'est pas conforme ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Nous refusons !

On nous demande souvent pourquoi le CEA ne s'investit pas dans le développement de l'éolien. Comme je vous l'ai expliqué, j'essaie de valoriser au mieux nos compétences. J'estime que, pour l'éolien, nous n'en sommes plus à une recherche sur les systèmes, mais à une recherche spécialisée. Pour vous donner un exemple, une nacelle éolienne de 3 mégawatts ou 5 mégawatts contient entre 200 et 500 kilogrammes de matériel magnétique. Si nous pouvons aider au recyclage de ces matières ou à la substitution d'une partie d'entre elles - les métaux rares représentent, vous le savez, un enjeu stratégique mondial -, nous le ferons, bien évidemment. Mais je ne suis pas le maître du jeu, c'est l'industriel « mature » dans le domaine de l'éolien qui est susceptible de me solliciter. Je ne peux pas jouer un rôle moteur, j'ai déjà tant à faire dans les domaines où le CEA occupe un rang de leader !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Chacun son métier !

M. Jean-Marc Pastor. - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé d'engager une réflexion sur l'hydrogène en tant que moyen de stockage de l'électricité. Nous serons certainement amenés à nous retrouver pour discuter de ce sujet.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Je crois beaucoup à cette voie, parce qu'elle permet de développer des systèmes cycliques et propres. Nous ne manquons pas d'eau et l'électricité est massivement produite par les énergies renouvelables et le nucléaire : nous disposons donc de tous les ingrédients et nous pouvons toujours recombiner l'hydrogène avec l'oxygène - qui, lui non plus, ne manque pas - pour obtenir à nouveau de l'eau. Un tel dispositif a un coût, puisque chaque transformation d'une énergie en une autre entraîne des déperditions. L'objet de nos recherches consiste à réduire ces déperditions.

Avec l'université de Corte et le Centre national de la recherche scientifique, nous avons créé un démonstrateur en Corse. Il s'agit du projet MYRTE, dont vous avez sûrement entendu parler : des capteurs solaires permettent de répondre aux besoins de la journée et le supplément d'énergie est stocké sous forme d'hydrogène ; pendant la nuit, on recombine l'hydrogène avec l'oxygène pour produire de l'électricité, ce qui prolonge la possibilité de production. Nous essayons ainsi de répondre à la problématique de l'intermittence.

M. Ladislas Poniatowski, président. - M. Pastor boit du petit-lait en vous écoutant !

M. Jean-Marc Pastor. - Beaucoup d'initiatives se développent dans ce domaine à l'échelon européen. Nous devrons ensuite engager un travail législatif et réglementaire, puisque le stockage de ce genre d'énergie, vous le savez, pose d'énormes problèmes, notamment si elle doit être employée pour alimenter des véhicules.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - L'Allemagne est en train de développer un réseau de distribution d'hydrogène pour les voitures. Celles-ci fonctionneront avec des moteurs à hydrogène soit thermiques, soit alimentés par une pile à combustible.

M. Jean-Marc Pastor. - En raison d'obstacles législatifs, nous ne pouvons pas mettre en place de bornes d'alimentation en hydrogène sur notre territoire. Mais nous y reviendrons, croyez-moi !

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. - Je vais me faire l'avocat du diable, ou plutôt le porte-parole d'une personne que nous avons auditionnée il y a quelques jours...

Vous avez indiqué des chiffres extrêmement précis concernant le vieillissement des centrales nucléaires, mais je souhaite revenir sur deux points : le stockage des déchets et la durée de vie des centrales.

Tout d'abord, vous avez indiqué que la durabilité des installations ne serait connue que dans le futur. Les éléments que vous nous avez donnés sont-ils « consolidés » par rapport à cette incertitude ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Pour ce qui est de la durée d'utilisation, je confirme, conjointement avec EDF - qui a créé un institut international pour mener des recherches sur le vieillissement, auquel le CEA est associé -, que le vieillissement des composants principaux des réacteurs est plus lent que prévu...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous parlez des éléments de la cuve ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Oui, le reste est substituable. Le petit miracle du nucléaire, si j'ose dire, c'est qu'il n'y a pratiquement pas de pièces mécaniques à l'intérieur du coeur : il n'y a donc pas d'usure par frottements, etc. En revanche, les échangeurs de chaleur qui subissent le cyclone de vapeur connaissent une véritable usure : leur oxydation a été plus forte que prévu, c'est pourquoi EDF a établi un plan de remplacement de ces pièces.

En ce qui concerne la durée de vie des centrales nucléaires, je confirme que tous les éléments sont aujourd'hui plutôt favorables : aux États-Unis, certains réacteurs ont cinquante ans et fonctionnent encore. Nous disposons donc d'une véritable expérience ! Dans le domaine technologique et industriel, on peut faire beaucoup, mais on ne peut pas raccourcir le temps. Ce n'est pas en faisant fonctionner cinq réacteurs en parallèle pendant dix ans que je saurai comment chacun d'entre eux fonctionnera dans cinquante ans ! Il faut accepter d'attendre le retour d'expérience.

Pour moi, le plus important est de prolonger le plus possible la durée de vie des installations, avec une observation extrêmement attentive afin d'éviter tout risque induit. Du point de vue des scientifiques et des ingénieurs, je vous confirme qu'il n'existe pas aujourd'hui de risques particuliers, supérieurs à ceux qui existaient avec la durée de vie initialement prévue, si l'on prolonge celle-ci de dix ans. En revanche, si l'on devait constater, demain, un problème dans une centrale, il ne faudrait pas hésiter à agir !

J'en viens au deuxième aspect que vous avez soulevé. Il est clair que le nucléaire produit des déchets : il en produit à due concurrence du combustible consommé. Les 8 000 tonnes d'uranium naturel que j'ai évoquées permettent de produire 1 100 tonnes de combustible, dont 5 % sont transformées avant que ce combustible soit retiré du réacteur. Le choix technologique retenu par la France consiste à séparer ces 5 % et à recycler les 95 % restants.

Les 5 % de déchets en question, lorsqu'ils sont retirés du réacteur, émettent une radioactivité de l'ordre de 100 000 à 1 000 000 fois supérieure à la radioactivité naturelle. Si vous exposez n'importe quel organisme vivant à un tel niveau de radioactivité, vous le détruisez ! Il faut donc confiner ces déchets.

Après une première loi, en 1991, qui confiait au CEA, au CNRS et à d'autres organismes la responsabilité d'examiner les différentes pistes possibles pour la gestion des déchets, le Parlement a arrêté, en 2006, un choix de référence, fondé sur la séparation et le stockage géologique de colis vitrifiés inertant les déchets radioactifs. Même dans un dépôt d'argile, qui comporte environ 15 % d'eau - or l'eau finit par dissoudre le verre, très lentement, sur des échelles de temps qui sont de l'ordre de la centaine de milliers d'années -, on peut garantir, sur le plan scientifique, que la radioactivité ainsi introduite va décroître. Lorsqu'un atome radioactif sortira éventuellement de la couche d'argile épaisse qui se trouve entre la Haute-Marne et la Meuse, la radioactivité induite, en flux, sera de l'ordre du centième ou du millième de la radioactivité naturelle. Nous disposons désormais d'une bonne compréhension de ces mécanismes, qui nous permet de telles affirmations. La radioactivité n'est pas dangereuse, aussi longtemps qu'elle ne dépasse pas un certain seuil : notre organisme dispose de mécanismes de réparation des dommages créés par les rayonnements ionisants qui sont capables de faire face à la radioactivité naturelle dans laquelle nous baignons.

Ma conviction profonde est que nous disposons aujourd'hui d'un scénario de référence. Des incertitudes demeurent quant aux coûts, parce qu'il s'agit d'un grand projet industriel, totalement novateur. La Cour des comptes affirme très clairement que, même si le coût du stockage des déchets doublait, celui-ci ne représenterait qu'un pourcentage très faible du coût de l'électricité.

Nous nous inscrivons donc dans la logique suivante : allonger la durée de vie des réacteurs pour faire baisser le coût moyen de l'électricité, sachant qu'un « jugement de paix » reste à rendre sur le coût du stockage géologique profond. Dans tous les cas, contrairement à ce que certains disent, le nucléaire reste compétitif, y compris en intégrant la nécessité d'assumer jusqu'à la fin des temps la responsabilité d'une gestion correcte du cycle du combustible.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous nous rendrons le mardi 17 avril à Bure.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Vous pourrez constater sur place l'état d'avancement de ce grand chantier.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur l'administrateur général, M. le rapporteur souhaitait savoir s'il pouvait trouver sur votre site Internet des informations sur les entreprises créées par le CEA.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Nous allons vous communiquer ces informations. Je ne peux pas vous certifier que ces éléments figurent sur notre site internet ; si tel est le cas, ils ne sont certainement pas présentés entreprise par entreprise. Vous connaissez l'une de ces entreprises, Soitec, chère à M. Vial... (Sourires.) Nous avons également bon espoir de pouvoir aider Photowatt, dans le solaire, en apportant notre contribution au développement d'un procédé très innovant, l'hétérojonction. Tels sont les paris que nous nous prenons !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur l'administrateur général, je vous remercie de vos réponses très précises. Je crains que vous n'ayez donné envie à notre rapporteur de vous interroger à nouveau, vous-même ou vos collaborateurs, avant la rédaction de son rapport.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Je vous remercie de votre écoute.

Audition de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes.

Notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a ainsi fait usage de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. L'excellent récent rapport de la Cour des comptes intitulé « Les coûts de la filière électronucléaire » constitue évidemment un élément fondamental d'information sur le sujet, c'est pourquoi il nous a paru utile d'entendre M. Lévy et Mme Pappalardo, afin qu'ils puissent nous apporter un éclairage supplémentaire.

Je rappelle que les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission d'enquête a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Monsieur Lévy, madame Pappalardo, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, sachant que je suis bien conscient du caractère particulier de cette procédure s'agissant de magistrats s'exprimant, de surcroît, au nom d'une institution collégiale :

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Gilles-Pierre Lévy prête serment.)

(Mme Michèle Pappalardo prête serment.)

Je vous donne la parole, monsieur Lévy, pour nous présenter le rapport de la Cour des comptes. M. le rapporteur vous posera ensuite quelques questions complémentaires, qui vous ont été communiquées à l'avance afin que cette audition puisse être fructueuse.

M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter brièvement le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, en m'appuyant sur la projection de documents Powerpoint. Mme Michèle Pappalardo et moi-même répondrons avec plaisir aux questions que vous nous poserez ; si nous ne sommes pas en mesure de le faire sur-le-champ, nous nous efforcerons de vous fournir les réponses ultérieurement.

Après avoir dressé un panorama global des dépenses prises en compte, j'évoquerai les incertitudes pesant sur les charges futures, les méthodes d'évaluation des coûts complets de production, la question stratégique de la durée de fonctionnement des centrales, les actifs dédiés et les perspectives de coût à court et à moyen terme. Je conclurai sur quelques éléments difficilement chiffrables.

L'élaboration du rapport de la Cour des comptes répond à une demande du Premier ministre en date du 17 mai 2011, faisant suite à un entretien entre le Président de la République et un groupe de représentants d'organisations non gouvernementales. Il s'agissait en particulier de déterminer si la production d'électricité nucléaire comportait des coûts cachés.

Le rapport a donc pour objet d'analyser les éléments constitutifs du coût de production - et non du prix - de l'électricité nucléaire en France. Le coût que nous avons étudié représente environ 40 % du prix, le reste étant constitué des coûts de distribution, à hauteur de 33 %, et des impôts et taxes, dont la contribution au service public de l'électricité, la CSPE.

Nous avons essayé de ramener tous les paramètres à l'année 2010, dernier exercice pour lequel nous disposons d'éléments factuels. La vocation de la Cour des comptes est d'abord d'essayer de cerner au maximum ce qui est, avant de s'interroger sur ce qui pourrait être. Nous avons ainsi étudié le parc actuel - et non le parc de réacteurs EPR, à supposer qu'il voie le jour -, composé de réacteurs PWR.

Il nous était par ailleurs demandé d'examiner la prise en compte des charges futures, les dépenses assumées par d'autres acteurs que les opérateurs - existe-t-il des dépenses qui ne sont pas intégrées dans les coûts ? -, ainsi que la question des assurances - quelle est la réalité de l'assurance implicite apportée par l'État en cas de catastrophe ? - et celle des actifs dédiés - tels qu'ils sont constitués, répondent-ils aux exigences des textes législatifs qui les définissent ?

Le délai qui nous était imparti était anormalement bref pour un travail aussi lourd. Nous avons constitué une formation réunissant des représentants des principales chambres de la Cour des comptes concernées, spécialistes de l'énergie, de l'environnement, de la recherche, du calcul économique, etc. Nous nous sommes fait assister par un groupe d'experts, en ayant soin de recruter des personnalités indépendantes. Cela s'est révélé très difficile, dans la mesure où, en pratique, la plupart des experts travaillent pour les acteurs du nucléaire ou sont fondamentalement hostiles à celui-ci. Nous sommes néanmoins parvenus à constituer ce groupe, qui nous a beaucoup apporté. Je précise que ces experts étaient de différentes sensibilités et de profils variés : pro- et anti-nucléaires, Français et étrangers - deux Belges et un Américain, ce dernier nous ayant malheureusement quittés à mi-parcours -, spécialistes de diverses disciplines, y compris du calcul économique, dans la mesure où nous cherchions notamment à apprécier des décisions de dépenses à très long terme : je pense en particulier à M. Grollier, directeur de recherche à l'Institut d'économie industrielle de Toulouse et éminent spécialiste de l'actualisation.

Les membres de ce comité nous ont aidés à « caler » le questionnement puis nous ont donné leur avis sur chaque partie du rapport avant sa présentation devant la formation concernée.

Nous avons par ailleurs demandé à une quinzaine de rapporteurs de travailler sur ces sujets dans le cadre de cinq sous-rapports. Bien entendu, nous avons appliqué les règles de contradiction inhérentes à la Cour des comptes : une première contradiction sur les sous-rapports, puis une contradiction finale.

Enfin, nous avons effectué de vingt-cinq à trente auditions et visites de sites, en nous efforçant d'entendre les principaux représentants du métier et des diverses sensibilités, c'est-à-dire les responsables des grands organismes travaillant dans le domaine de l'électricité nucléaire tels que EDF, AREVA, le CEA, etc., d'organisations non gouvernementales, pour la plupart hostiles ou réservées à l'égard de l'industrie nucléaire, des syndicats, de la Commission de régulation de l'énergie, de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, de la direction générale de l'énergie et du climat.

Nous avons pris en compte trois catégories de dépenses : les dépenses passées, les coûts intégrés dans les comptes des exploitants ou les coûts de fonctionnement, les coûts supportés par les crédits publics.

En ce qui concerne tout d'abord les dépenses passées, la construction du parc électronucléaire a coûté au total - ce montant a été ramené à sa valeur en euros de 2010 - 188 milliards d'euros : 6 milliards d'euros pour le parc de première génération, qui n'est plus en fonction, 96 milliards d'euros pour les cinquante-huit réacteurs en activité, 19 milliards d'euros pour le cycle du combustible, 55 milliards d'euros pour la recherche. Il est étonnant de constater que la recherche coûte environ 1 milliard d'euros par an depuis cinquante ans, de manière constante. On peut en déduire que c'est plutôt la taille des équipes qui commande l'effort de recherche que le budget qui commande la taille des équipes. Enfin, il convient d'ajouter une dépense de 12 milliards d'euros pour Superphénix, située à mi-chemin entre recherche et industrie, même si elle est théoriquement industrielle. Réalisé par EDF, Superphénix n'a en pratique guère fonctionné - huit mois, si mes souvenirs sont bons - et a joué autant un rôle d'instrument de recherche que d'instrument de production - il consommait d'ailleurs autant, sinon plus, que ce qu'il produisait.

Cette dépense de 188 milliards d'euros permet d'assurer 70 % de l'approvisionnement en électricité d'un pays de 65 millions d'habitants. Ce montant n'est pas totalement disproportionné si on le compare au coût d'un réseau d'autoroutes ou de TGV, mais il reste considérable : le nucléaire est d'abord une industrie d'investissements.

En ce qui concerne ensuite les coûts d'exploitation d'EDF, ils s'élèvent à 8,95 milliards d'euros en « valeur 2010 », dont 2,68 milliards d'euros de dépenses de personnel, 2,13 milliards d'euros de combustible, 2,01 milliards d'euros de consommations externes. Nous avons expertisé ces coûts, qui ont été validés par les commissaires aux comptes. Globalement, en dépit de quelques retraitements, nous confirmons le chiffre annoncé par EDF, à savoir 9 milliards d'euros.

En ce qui concerne enfin les charges et provisions futures, ces deux catégories sont séparées par l'actualisation.

Les charges brutes, c'est-à-dire les dépenses totales, s'étalent sur des durées très longues, dépassant parfois le siècle pour la gestion des déchets ultimes. Elles doivent donc être actualisées. Nous avons constaté que les taux d'actualisation employés en France étaient dans la moyenne des autres pays, à savoir 5 %, inflation comprise.

Le démantèlement coûte 31,9 milliards d'euros en charges brutes et 17,3 milliards d'euros en charges actualisées. La gestion du combustible usé coûte 14,8 milliards d'euros et le dernier coeur 3,8 milliards d'euros bruts, soit respectivement 9,1 milliards d'euros et 1,9 milliard d'euros actualisés. Enfin, la gestion des déchets ultimes coûte 28,4 milliards d'euros bruts, soit 9,8 milliards d'euros actualisés. L'écart est d'autant plus grand que les dépenses s'étalent sur une longue période.

Au total, les charges brutes s'élèvent à 79,4 milliards d'euros et les provisions à 38,4 milliards d'euros.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pourriez-vous nous préciser davantage la différence entre les charges brutes et les provisions ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - La différence tient à l'actualisation. Les charges brutes correspondant à des dépenses étalées sur plusieurs années, elles doivent être actualisées. Le taux d'actualisation, dont la détermination n'est pas purement mathématique, fait l'objet de débats parmi les experts. C'est la raison pour laquelle siégeait, au sein du comité d'experts, un spécialiste de la question, qui vient de publier un ouvrage de 400 pages sur l'actualisation. En tout état de cause, nous avons vérifié que les méthodes employées étaient analogues à celles qui ont cours dans les autres pays. On peut certes discuter de ce qu'est un bon taux d'actualisation. On peut notamment se demander si cela a un sens d'actualiser de la même façon des dépenses très lointaines, qui reposeront sur les générations futures.

M. Ronan Dantec. - Un taux d'actualisation de 5 %, par définition, tend vers zéro sur des échéances longues, ce qui pose tout de même un problème fondamental.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.

M. Gilles-Pierre Lévy. - C'est l'une des vraies questions qui se posent. Dans la mesure où nous ne disposons pas de méthode absolue, nous avons beaucoup observé ce qui se pratiquait dans les sept principaux pays nucléaires autres que la France. Globalement, le taux retenu est dans la moyenne des taux employés par ces pays, à savoir 5 %, dont 2 % d'inflation.

Les dépenses telles qu'elles sont constatées sont d'abord celles qui sont prises en charge par les exploitants. Il convient à cet égard d'éviter les doubles comptes. En particulier, comment faut-il compter les dépenses prises en charge par EDF lorsqu'il s'agit d'achats de combustible ou de retraitement de combustible à AREVA ? Nous avons vérifié, en sachant que le marché n'est pas pur et parfait dans ce domaine, qu'il n'y avait pas d'anomalie. Nous sommes arrivés à la conclusion que, globalement, les prix appliqués étaient conformes à ce qui se pouvait se pratiquer sur un marché normal, et qu'il ne fallait pas les compter deux fois. Nous avons estimé, après avoir vérifié l'absence de subventions déguisées, que ces dépenses étaient bien prises en compte dans les comptes d'EDF.

J'en viens aux coûts supportés par les crédits publics.

Il existe deux types principaux de dépenses financées sur crédits publics : les dépenses de recherche et celles qui ont trait à la sécurité, à la sûreté et à la transparence.

Les dépenses de recherche, précédemment évoquées, s'élèvent à un peu plus de 1 milliard d'euros par an. Aujourd'hui, la majeure partie de ces dépenses est financée par les exploitants eux-mêmes ; nous ne devons pas les compter deux fois. Restent financés sur crédits publics 414 millions d'euros par an en 2010. À l'inverse, voilà dix ou quinze ans, la majorité des dépenses de recherche était financée sur crédits publics.

En ce qui concerne les dépenses relatives à la sécurité, à la sûreté et à la transparence, les principaux postes sont l'ASN et l'IRSN, pour la part de leurs activités concernant la production d'électricité nucléaire. Elles comprennent également les dépenses de gendarmerie, de transports, les subventions aux commissions de suivi de la transparence. Au total, 230 millions d'euros sont financés sur crédits publics dans ce cadre.

Par conséquent, s'ajoutent aux dépenses d'exploitation d'EDF et à l'ensemble des dépenses prises en compte par les exploitants 414 millions d'euros au titre de la recherche et 230 millions d'euros au titre des dépenses de sécurité, de sûreté et de transparence, soit au total, en 2010, 644 millions d'euros. Je ferai observer que ce montant est à peu près du même ordre de grandeur que le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base pour 2010, à savoir 580 millions d'euros. L'écart était beaucoup plus marqué voilà dix ou vingt ans.

En résumé, les dépenses de fonctionnement à la charge de l'exploitant s'élèvent à quelque 9 milliards d'euros en supprimant les doubles comptes ; il convient d'y ajouter 644 millions d'euros de dépenses financées par la puissance publique.

S'agissant d'une activité fortement consommatrice de capital, il convient ensuite de s'interroger sur la prise en compte des coûts du capital. Les méthodes employées font l'objet d'intenses débats parmi les experts ; j'en citerai cinq.

La première consiste à prendre en compte l'annuité d'amortissement telle qu'elle est constatée. La deuxième considère l'amortissement linéaire sur quarante ans. Trois autres méthodes appliquent un loyer à un capital : l'approche selon le coût comptable complet de production, dite C3P, où l'on réévalue le capital en fonction de l'inflation ; celle de la commission Champsaur, qui applique un loyer au capital réévalué, en cherchant à amortir le capital restant dû pour la période 2011-2025 ; enfin, la méthode du coût courant économique, qui repose sur le calcul d'un loyer par application d'un taux constant équivalant au coût moyen pondéré du capital - les capitaux d'emprunt et les capitaux propres utilisés pour financer les opérateurs - sur une base d'investissement réévaluée de l'inflation.

L'application des trois principales méthodes pour le calcul du coût total donne les résultats suivants, sensiblement différents : 1,8 milliard d'euros pour la C3P; 2,4 milliards d'euros pour la méthode Champsaur, 8,3 milliards d'euros pour celle du coût courant économique. Il faut ajouter à ces chiffres, en 2010, des investissements de maintenance de 1,7 milliard d'euros et des dépenses d'exploitation de l'ordre de 10 milliards d'euros selon la méthode employée.

Au total, quand on rapporte ces montants aux 407 térawattheures produits en 2010, on obtient un coût de 33,4 euros ou de 33,1 euros par mégawattheure selon les deux premières méthodes, mais de 49,5 euros par mégawattheure selon la dernière méthode. L'écart est donc très significatif.

En réalité, une méthode n'est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de ce que l'on en attend. Si l'on cherche une méthode pour comparer différentes énergies, celle du coût courant économique est probablement la plus adaptée. Si l'on souhaite définir un prix en permettant au consommateur de bénéficier des amortissements qui ont déjà été réalisés, la méthode Champsaur sera privilégiée. EDF préfère clairement la méthode du coût courant économique. Chacun peut adopter, en fonction de ce qu'il souhaite calculer, une méthode différente. Voilà ce que l'on peut constater sur ce sujet.

M. Ronan Dantec. - Quel pourcentage la rémunération du capital représente-t-elle dans ces évaluations ?

Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes. - Le calcul a été fait avec un taux de 7,8 % pour le coût courant économique et de 8,4 % pour la méthode Champsaur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le coût du démantèlement est-il compris ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - Oui.

Mme Michèle Pappalardo. - Toutes les provisions que nous avons évoquées tout à l'heure sont incluses dans ces coûts. Elles sont réparties différemment selon leur type. Les provisions pour gestion des déchets et des combustibles usés sont inscrites à la ligne « dépenses d'exploitation ». Nous sommes capables de calculer, pour chaque année, la partie des provisions correspondant à la production. En revanche, pour le démantèlement, qui concerne plutôt le capital et l'investissement, les provisions sont inscrites à la ligne « coût du capital ». Nous avons fait le calcul que vient d'exposer M. Lévy et nous avons ajouté le montant du coût de démantèlement calculé chaque année. Toutes les provisions sont donc intégrées dans ces coûts.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est un autre sujet, mais l'assurance est-elle comprise ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - Aujourd'hui, l'assurance représente une petite dépense pour les exploitants, moins de 100 millions d'euros par an. Elle est prise en compte, mais à un niveau dont on peut débattre, et figure dans les dépenses d'exploitation. Nous y reviendrons ultérieurement.

J'en viens à la question des coûts futurs, lesquels peuvent être discutés.

S'agissant des coûts de démantèlement, aucun opérateur, à ce jour, n'a démantelé un parc de plusieurs dizaines de réacteurs du même type. Aujourd'hui, trois méthodes peuvent être envisagées pour évaluer ces coûts.

L'ancienne méthode des coûts de référence, dite PEON, consistait à appliquer un pourcentage au coût complet des investissements. Le montant des charges ainsi calculées représentait 16 % du coût, puis 15 %. On ne comprend pas très bien sur quoi elle était fondée.

Une deuxième méthode, appliquée par EDF, la méthode dite Dampierre, consistait à analyser, à partir du cas d'une centrale type, ce que coûterait chacune des opérations de démantèlement. Cette méthode nous a paru solide. Elle a déjà été actualisée, mais elle gagnerait à l'être une nouvelle fois, car les paramètres varient dans le temps. Sur le fond, c'est en tout cas une approche cohérente, contrairement à la précédente.

Enfin, comme personne ne sait réellement comment de telles opérations se dérouleraient dans la réalité, nous nous sommes penchés sur les études menées dans les autres pays.

L'extrapolation des études internationales au coût du démantèlement du parc d'EDF amène à situer l'évaluation d'EDF, soit 18,4 milliards d'euros, tout en bas de la fourchette. L'un des opérateurs allemands estime le coût du démantèlement à 62 milliards d'euros. D'autres évaluations sont proches de celle d'EDF, comme celle de la Suède -20 milliards d'euros -, qui est probablement l'un des pays ayant le plus exploré ce sujet. D'autres encore avancent des chiffres plus de deux fois supérieurs, soit 44 milliards d'euros ou 46 milliards d'euros.

Nous avons donc étudié, à titre indicatif, quel serait l'impact du doublement des charges de démantèlement sur le coût : il entraînerait une augmentation de 5 % de celui-ci.

Le stockage profond des déchets représente une deuxième source d'incertitudes.

Il existe des désaccords importants à ce sujet entre les exploitants, qui estiment le coût de ce stockage à une quinzaine de milliards d'euros, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, en principe seul expert en la matière, qui l'évalue à quelque 35 milliards d'euros. Cet écart provient de différences d'appréciation de chaque coût, mais également d'une diversité d'approches, s'agissant notamment de la réversibilité.

La Cour des comptes n'est pas compétente pour donner un avis sur ce point. Elle évalue la sensibilité du coût à un doublement du devis du stockage profond des déchets à 1 %. En effet, la période considérée étant extrêmement longue, l'actualisation ramène le coût à un niveau peu élevé.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur le taux d'actualisation. Si nous avons constaté que le taux retenu par EDF était dans la moyenne des autres opérateurs, cette moyenne n'est pas mathématique. Un point de variation du taux d'actualisation aurait un impact de 0,8 % sur les coûts.

Voilà ce que l'on peut dire, au total, sur les coûts futurs et leur sensibilité à une variation des paramètres.

Je voudrais à présent aborder la question importante de la durée de fonctionnement des réacteurs.

C'est l'un des sujets qui nous a le plus interpellés. En pratique, la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire d'autoriser la prolongation de trente à quarante ans de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires a donné lieu à de vifs débats. L'âge moyen du parc actuel est de vingt-cinq ans ; vingt-deux réacteurs, soit 30 % de la puissance installée, auront quarante ans de fonctionnement avant la fin de 2022.

Si, juridiquement, les réacteurs, à deux exceptions près, ont une autorisation de fonctionnement pour trente ans, l'amortissement comptable que pratique EDF porte sur quarante ans, conformément aux règles de la comptabilité qui préconisent, à tort ou à raison, de retenir la durée de vie la plus probable. En réalité, EDF table, comme en témoignent des déclarations aux analystes financiers et certains articles parus récemment dans le quotidien Le Monde sous la signature d'Henri Proglio, sur une durée de vie de cinquante à soixante ans. À titre indicatif, aux États-Unis, le fonctionnement de ce type de réacteurs est autorisé pour soixante ans ; cela ne signifie pas que les Américains ont raison : c'est un constat.

Quoi qu'il en soit, si l'on devait remplacer les vingt-deux réacteurs que j'évoquais à l'instant avant la fin de 2022, compte tenu des délais de mise en oeuvre de sources d'énergie alternatives ou de réalisation d'économies d'énergie correspondantes, l'effort à fournir serait comparable à un effort de guerre. À supposer que l'on continue à recourir à l'énergie nucléaire, une dizaine d'années séparent la décision de construire un réacteur EPR de l'entrée en service de celui-ci. Nous sommes en 2012 : il faudrait donc construire une douzaine de réacteurs EPR - leur puissance étant plus élevée que celle des réacteurs actuels - d'ici à 2022. Cela me paraît hautement improbable, mais vous êtes mieux placés que moi pour en juger.

La mise en oeuvre de sources d'énergie alternative n'est pas non plus immédiate. C'est un élément important à garder à l'esprit.

Par conséquent, il est vraisemblable - mais pas certain : les Japonais ont arrêté l'essentiel de leur parc nucléaire sans préavis - que les dépenses de maintenance, qui s'assimileront à des dépenses de prolongation de la durée de vie, vont fortement augmenter. Leur incidence est supérieure à celle des dépenses futures.

Les dépenses pour investissements de maintenance d'EDF étaient en moyenne de 800 millions d'euros par an entre 2003 et 2008. En 2010, elles atteignaient 1,75 milliard d'euros. Le programme d'EDF, avant l'audit réalisé par l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima, prévoyait un budget de 50 milliards d'euros à ce titre pour la période 2011-2025, soit 3,4 milliards d'euros par an. Je précise que les dépenses mises en oeuvre aboutissent à la fois à maintenir les équipements en bon état de fonctionnement et à prolonger de vingt ans leur durée de vie.

En même temps que le Gouvernement demandait à la Cour des comptes un rapport sur les coûts de l'électricité nucléaire, il chargeait l'Autorité de sûreté nucléaire d'étudier les précautions supplémentaires à prendre après l'accident de Fukushima. Le programme de l'ASN n'a pas été formellement chiffré. L'ordre de grandeur avancé par l'ASN comme par EDF est de 10 milliards d'euros. J'ai été frappé par leur convergence de vues au cours des auditions que nous avons menées. Ils s'accordent également sur le fait que la moitié de ces dépenses sont déjà plus ou moins prises en compte dans le programme de maintenance d'EDF. Le surcoût est donc de l'ordre de 5 milliards d'euros pour la période 2011-2025, sachant que ces dépenses seront concentrées en début de période.

M. Jean Desessard, rapporteur. - S'agissant du chiffrage du programme de l'ASN, vous avez recoupé les chiffres fournis par EDF avec d'autres, mais vous n'avez pas procédé à vos propres calculs ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - La Cour des comptes n'a pas pu effectuer de tels calculs. Les conclusions de l'ASN ont été remises au mois de janvier 2012, en même temps que notre rapport. Nous en avons discuté avec les équipes d'EDF et avec l'ASN : il est frappant de constater que, alors qu'ils ne suivent pas forcément la même logique, ils arrivent à des conclusions analogues. Des appels d'offres en vue de réaliser des chiffrages détaillés sont lancés ; un délai de six mois a été prévu.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous avons tous été surpris de constater que les estimations étaient analogues. Le fait que la moitié des dépenses soit déjà intégrée dans les travaux de maintenance, en revanche, ne fait pas l'objet d'un consensus.

Mme Michèle Pappalardo. - Nous avons vérifié qu'une partie de ces 10 milliards d'euros était bien prise en compte dans le programme de maintenance. Nous ne saurions préciser si elle s'élève à 4 milliards, à 5 milliards ou à 6 milliards d'euros, mais les ordres de grandeur présentés nous ont semblé tout à fait acceptables. Nous savons quelles sont les grandes masses issues de l'évaluation de l'ASN ; certaines d'entre elles figurent effectivement dans le programme de maintenance de 50 milliards d'euros.

Les conséquences de l'audit de l'ASN pour AREVA et le CEA n'ont en revanche pas du tout été chiffrées.

M. Gilles-Pierre Lévy. - J'en arrive maintenant aux actifs dédiés.

L'article 20 de la loi du 28 juin 2006 impose la constitution de provisions financées indépendamment du cycle d'exploitation, afin que l'argent nécessaire soit disponible à l'issue de celui-ci.

Au 31 décembre 2010, sur un total de 27,8 milliards d'euros de provisions actualisées à couvrir, 65 % de cette somme l'étaient par des actifs dédiés, 18 milliards d'euros par des titres financiers cotés, 4,6 milliards d'euros par des créances entre opérateurs du nucléaire, et un peu plus de 2 milliards d'euros correspondaient à 50 % des titres de RTE. Enfin, le solde, soit 2,7 milliards d'euros, n'était pas couvert.

Ce chapitre appelle quelques commentaires.

Premièrement, la loi ayant été modifiée, les exploitants sont en règle aujourd'hui - sinon, ils ne l'auraient pas été.

Deuxièmement, ces actifs sont gérés, en France, par les exploitants eux-mêmes ; dans d'autres pays, leur gestion a été confiée à d'autres acteurs. Cela peut se discuter en termes d'indépendance ou de méthodologie, sachant que les exploitants se sont efforcés d'embaucher des spécialistes de ces sujets.

Troisièmement, ces actifs correspondent aux provisions actualisées. Pour qu'ils couvrent les dépenses finales, il faut donc que leur rentabilité soit au moins égale au taux d'actualisation, soit 5 %. Si l'on considère la rentabilité des actifs financiers au cours du dernier siècle, on constate que les actions ont rapporté en moyenne plus de 5 % par an. Cela étant posé, ce qui s'est produit une fois dans l'histoire ne se reproduira pas forcément une deuxième fois. Autrement dit, notamment en période de crise financière, on peut se demander si ces actifs rapporteront bien 5 % par an sur plusieurs décennies...

Quatrièmement, l'acceptation de créances croisées entre acteurs du nucléaire peut se discuter. En effet, ces créances, certes minoritaires au regard du total - 4,6 milliards d'euros -, seront incertaines en cas de crise systémique du nucléaire. Si, demain, plus personne ne veut de l'énergie nucléaire, tous les acteurs seront en difficulté et ils ne pourront pas se rembourser mutuellement. L'État a d'ailleurs estimé que financer le CEA pour qu'il constitue des actifs destinés à rembourser des dépenses payées par ce même établissement public n'avait pas de sens. Cela signifie qu'un certain nombre de dépenses risquent de retomber sur la puissance publique.

J'évoquerai à cet instant la décision d'EDF d'allouer 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés. Cette solution est-elle raisonnable ou pas ? Sans trahir le secret des délibérations, j'indiquerai que c'est l'un des points qui ont été le plus discutés entre nous lors de la contradiction.

Dans un premier temps, nous étions très réservés. Même si les avis demeurent partagés - Michèle Pappalardo et moi en discutions encore tout à l'heure -, nous le sommes moins aujourd'hui, dans la mesure où si, en cas de crise systémique du nucléaire, les créances entre acteurs du secteur risquent de perdre de leur valeur, en revanche, tant qu'on aura de l'électricité, on aura a priori besoin de la transporter.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Bien sûr.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Les textes qui régissent RTE prévoient que la CRE garantisse une rentabilité du capital. Par conséquent, les 50 % du capital de RTE engendrent un flux de revenus normalement garanti par la CRE. On peut donc penser que l'option retenue par EDF n'est pas totalement aléatoire.

En conclusion, je ferai observer qu'il serait souhaitable de ne pas modifier la règle du jeu régulièrement.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous évoquez des provisions à couvrir. Cela signifie-t-il que ce n'est pas encore fait ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - Non, c'est la cible. Il est prévu que la totalité des provisions soit couverte en 2015 par des actifs dédiés.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Les opérateurs ont déjà mis en place des actifs dédiés à cette fin.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Absolument. Les provisions sont aujourd'hui couvertes à hauteur des deux tiers par des actifs dédiés, dont 75 % sans couverture croisée. Ces patrimoines financiers sont gérés par les opérateurs, mais séparément du reste de leur activité.

Cela étant précisé, plusieurs questions se posent.

Premièrement, ces actifs, qui sont essentiellement financiers - il s'agit d'actions -, se valoriseront-ils à hauteur de 5 % par an sur les vingt, trente ou cent prochaines années ?

Deuxièmement, les actifs représentant des créances entre exploitants - d'EDF sur AREVA ou d'AREVA sur EDF, par exemple -, qui représentent une part minoritaire du portefeuille d'actifs dédiés, présentent-ils la même sécurité que les autres ? Nous n'en sommes pas certains.

Troisièmement, affecter la moitié du capital de RTE à ce portefeuille d'actifs représente-t-il une solution raisonnable ? On peut, à la rigueur, considérer que oui.

M. Ronan Dantec. - S'il fallait réaliser le dernier des actifs que vous avez cités, il faudrait bien que quelqu'un le rachète. Or ce ne pourrait être qu'EDF ou l'État, car je ne pense pas que RTE sera mis sur le marché privé. En fait, affecter 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés permet à EDF de faire une économie de trésorerie. J'imagine que c'est sur ce point que porte le débat au sein de la Cour des comptes.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Pas seulement.

C'est un fait que, dans d'autres pays, des réseaux ont été privatisés, en tout ou en partie. En réalité, ceux qui achètent de tels actifs achètent un flux de revenus, théoriquement garanti par la CRE dans le cas de RTE. Certes, la loi pourrait changer sur ce point. Le réseau de transport d'électricité pourrait-il être privatisé en France, comme il l'a été dans d'autres pays ? Je ne sais pas.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La loi dit que non.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Pour le moment, la loi l'exclut formellement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Si RTE devait être privatisé demain, faites-moi confiance, il y aurait des candidats au rachat, car c'est une entreprise sacrément rentable !

EDF demandera vraisemblablement que la période de provisionnement soit prolongée, compte tenu des dépenses supplémentaires que risque d'entraîner la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima. Pour les 25 % restant à provisionner, la date butoir, qui est actuellement 2015, serait alors reportée de deux ou trois ans. Avez-vous eu le temps de prendre en compte cette hypothèse ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - Je me bornerai à observer qu'il serait préférable de ne pas changer la règle du jeu. Il n'appartient pas à la Cour des comptes de dire au Parlement ce qu'il doit décider, mais il est clair que si EDF obtient tous les trois ou cinq ans une prolongation, cela dénature quelque peu l'exercice, sachant que, aujourd'hui, la plus grande partie des provisions sont couvertes par des actifs dédiés, répondant pour la majeure partie, mais pas en totalité, à la définition de tels actifs.

M. Jean Desessard, rapporteur. - En dehors des incertitudes sur les actifs croisés, peut-on dire que la situation est globalement correcte au regard des provisions à couvrir ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - Oui, mais pas totalement. Une part minoritaire des provisions n'est pas couverte du tout, mais c'est conforme à la loi, l'échéance ayant été reportée à 2015.

Par ailleurs, nous avons clairement un doute sur les actifs croisés, qui nous paraissent présenter un risque, outre la question, qui n'est pas totalement marginale, de la rentabilité.

M. Ronan Dantec. - Il manque au maximum 10 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Je parlerai brièvement de l'assurance, cette question ayant été soulevée. Sommes-nous bien assurés en cas de catastrophe nucléaire ?

Sur le plan de la théorie, il est très difficile de calculer une prime d'assurance contre un phénomène pour lequel il n'existe pas de série statistique significative.

Trois catastrophes nucléaires ont eu lieu à ce jour.

L'accident de Three Miles Island s'est circonscrit à l'enceinte de confinement, sans provoquer de réels dégâts à l'extérieur. Son coût peut être estimé entre 1 milliard et 2 milliards de dollars.

Il y a eu ensuite la catastrophe de Tchernobyl. L'évaluation de son coût suscite des débats sur lesquels je suis incapable de me prononcer. Les dégâts se chiffrent en centaines de milliards de dollars, mais il est très difficile de préciser davantage.

Enfin, la catastrophe de Fukushima est due autant au tsunami et au tremblement de terre consécutif qu'à l'accident nucléaire lui-même. L'évaluation du coût de ce dernier n'est pas terminée. Le Japon remettra-t-il en route ses autres centrales ou pas ? S'il ne le fait pas, l'accident de Fukushima concernera l'ensemble des centrales et le coût sera totalement différent. L'incertitude est forte sur ce point.

On m'objectera naturellement que les situations ne sont pas comparables. En particulier, il est habituel de faire observer que Tchernobyl est un accident soviétique autant qu'un accident nucléaire : la centrale était dépourvue d'enceinte de confinement, les équipes n'étaient pas suffisamment formées, etc. C'est possible. Cela étant, le risque zéro n'existe pas.

En conclusion, ce que l'on peut simplement dire, c'est qu'il est techniquement difficile de calculer le montant d'une prime d'assurance contre un risque très important qui s'est réalisé très rarement dans le passé.

Les assurances ont joué pour d'autres types de catastrophes, notamment certains tremblements de terre, en particulier celui de Californie et, dans une moindre mesure, celui de Kobé, ainsi que certains cyclones, tel Katrina. L'ordre de grandeur est la centaine de milliards de dollars.

Sur le plan factuel, voici ce que couvrent aujourd'hui les assurances, aux termes des conventions en vigueur : en cas d'accident, les exploitants sont engagés à hauteur de 91 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence d'un peu moins de 110 millions d'euros et les autres États parties à la convention à hauteur de 143 millions d'euros, soit un montant total de 340 millions d'euros, qui pèse pour plus des deux tiers sur les États.

Le protocole de 2004, qui n'a pas encore été ratifié par tous les États et qui n'est donc pas encore juridiquement en vigueur, prévoit une augmentation significative des montants que j'ai cités : les exploitants seront engagés à hauteur de 700 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence de 500 millions d'euros et les autres États parties à hauteur de 300 millions d'euros, soit un total de 1,5 milliard d'euros.

C'est l'ordre de grandeur du coût de l'accident de Three Miles Island, mais sûrement pas celui du coût de l'accident de Fukushima ou, a fortiori, de la catastrophe de Tchernobyl.

Il faut être extrêmement prudent lorsque l'on avance une estimation d'une provision dans ce domaine, car il ne faudrait pas que le public y voit l'annonce d'une catastrophe à venir. L'IRSN a estimé, à titre purement indicatif - ce n'est que le résultat du travail de deux personnes -, le coût d'un accident nucléaire grave, mais pas totalement incontrôlé, à 70 milliards d'euros. Pour couvrir ce montant, la Cour des comptes a simplement calculé qu'il faudrait provisionner 1,75 milliard d'euros par an pendant quarante années - durée de vie théorique et comptable d'une centrale nucléaire aujourd'hui. Cela s'ajouterait aux quelque 10 milliards d'euros de dépenses d'exploitation et, selon la façon dont on compte, aux 2,5 milliards à 9 milliards d'euros pour la prise en compte du capital, soit un peu moins de 2 milliards d'euros de provision par an rapportés à un total d'une vingtaine de milliards d'euros : la prime d'assurance serait donc de l'ordre de 8 %. Bien entendu, on ne constitue pas une telle provision pour se prémunir contre les conséquences d'un tremblement de terre ou d'un cyclone, par exemple. Voilà ce que l'on peut dire sur ce sujet.

En conclusion, permettez-moi de faire quatre commentaires et trois remarques.

Schématiquement, la question posée à la Cour des comptes était : les coûts de la filière électronucléaire sont-ils à peu près tous connus ? La réponse est globalement positive, sauf en ce qui concerne la prime d'assurance, au sujet de laquelle nous n'avons pas de bonne réponse.

Deuxièmement, les dépenses financées par des crédits publics ne sont pas du premier ordre si on les rapporte aux coûts pris en charge par les exploitants. Ces dépenses ont atteint 644 millions d'euros en 2010, répartis entre dépenses de recherche et coûts liés à la sécurité, à la sûreté et à la transparence. Un tel montant n'est pas négligeable, mais il n'est pas de première grandeur au regard des coûts totaux, qui s'élèvent à une vingtaine de milliards d'euros.

Troisièmement, le nucléaire, à l'évidence, est un domaine dans lequel subsistent de nombreuses incertitudes industrielles et scientifiques, d'autant plus difficiles à gérer que l'on se projette à long terme.

Quatrièmement, nous avons déjà évoqué les investissements supplémentaires demandés par l'Autorité de sûreté nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima. Ces investissements ne sont pas marginaux, mais ils ne sont pas non plus d'un ordre de grandeur radicalement différent de ceux qui étaient prévus. Leur coût s'élèverait à une dizaine de milliards d'euros, montant à comparer à la cinquantaine de milliards d'euros d'investissements envisagés sur les quinze prochaines années.

J'en viens maintenant aux trois remarques annoncées, qui vont au-delà du calcul des coûts.

En premier lieu, la durée de vie effective des centrales pose véritablement question. En tout état de cause, sauf à réduire de manière significative notre consommation d'électricité, compte tenu des délais de mise en oeuvre des solutions alternatives - économies d'énergie, construction d'EPR ou recours aux énergies renouvelables -, ne pas décider, c'est décider de prolonger la durée de vie des centrales.

En deuxième lieu, dans tous les cas, un volume considérable d'investissements sera nécessaire. Les seuls coûts de la maintenance, qui étaient inférieurs à 1 milliard d'euros par an, sont en voie de passer à quelque 4 milliards d'euros, soit 20 % des 20 milliards d'euros calculés sur la base du coût courant économique, le CCE. Cette évolution a une incidence plus significative que la prise en compte d'une incertitude forte sur le coût du démantèlement ou sur celui de la gestion des déchets.

En troisième lieu, je tiens à souligner que nous n'avons pas travaillé significativement sur la prise en compte des externalités, qu'elles soient positives ou négatives, c'est-à-dire sur les quotas de CO2 économisés ou dépensés, sur les devises économisées ou dépensées, sur les emplois créés ou supprimés, etc. Ces sujets méritent d'être étudiés mais ne faisaient pas l'objet du présent rapport.

Voilà ce que je voulais vous dire pour résumer le travail de la Cour des comptes, madame, messieurs les sénateurs. Je vous remercie de votre attention.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous vous remercions d'avoir orienté la présentation de votre rapport en fonction du thème de travail de notre mission d'enquête.

Monsieur le rapporteur, de nombreuses questions ont déjà reçu réponse. Souhaitez-vous néanmoins obtenir certaines précisions ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je tiens tout d'abord à saluer à mon tour la qualité du travail de la Cour des comptes. Le sujet était difficile, car il existe de nombreuses incertitudes. Vous avez bien cerné l'ensemble des problèmes. Je salue également la qualité de votre exposé, au cours duquel vous avez répondu à presque toutes les questions que je souhaitais vous poser.

J'aimerais toutefois revenir sur la question de la sensibilité du coût de production de l'électricité nucléaire à la variation de certains paramètres. Il y a en effet une incertitude sur le coût du démantèlement. Vous avez indiqué que le doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % au maximum du coût de production. Une révision à la hausse du devis de stockage profond des déchets aurait quant à elle une incidence de 1 %. Enfin, une révision du taux d'actualisation aurait pour effet une augmentation du coût moyen de production de 0,8 %.

Par ailleurs, en cas de prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, l'augmentation des dépenses de maintenance aurait également une incidence sur le coût moyen de production, mais je ne vous ai pas entendu donner de pourcentage sur ce point.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Il serait compris 15 % et 20 %, mais peut-être suis-je un peu excessif...

Mme Michèle Pappalardo. - Il serait plutôt compris entre 10 % et 15 %.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Pourtant, avec 3,7 milliards d'euros rapportés à un total de 20 milliards, il me semble que l'on s'inscrit plutôt dans la fourchette comprise entre 15 % et 20 %.

Mme Michèle Pappalardo. - En fait, ce pourcentage s'établit à 9,5 % sur la base du CCE et à 15 % si l'on prend en compte le coût le plus faible, c'est-à-dire le coût comptable.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Lorsque nous disons qu'un doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % du coût de production de l'électricité, il ne s'agit là ni d'un minimum ni d'un maximum. Dans l'incertitude, nous avons simplement pris une marge, qui nous semblait cohérente avec ce que l'on peut observer dans d'autres pays. Une telle hypothèse de sensibilité nous paraissait en outre correspondre aux ordres de grandeur évoqués dans les débats actuellement en cours entre l'Autorité de sûreté nucléaire et les exploitants. Toutefois, il n'y a pas de certitude : si tout le monde s'est trompé, il est possible que le chiffre réel soit supérieur !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Précisément : à part les Russes, personne n'a jamais encore totalement démantelé une centrale nucléaire et n'est donc en mesure aujourd'hui d'en préciser le coût. Tous les chiffres qui figurent sur le tableau que vous nous avez présenté correspondent à des estimations.

J'ai beaucoup apprécié la prudence dont vous avez fait preuve sur certains points, mais vous m'avez semblé assez affirmatif concernant le coût du démantèlement, alors que nous sommes aussi dans l'incertitude à ce sujet.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Je me suis certainement mal exprimé ; vous avez entièrement raison. Des équipements, de petits réacteurs ont déjà été démantelés, mais jamais un parc homogène complet. Opérer sur une telle échelle permettrait sans doute de réaliser des économies industrielles, car normalement le démantèlement du cinquantième réacteur coûterait moins cher que celui du premier, à conditions de sécurité équivalentes.

Dans l'incertitude où nous sommes effectivement sur le coût du démantèlement, nous avons considéré les estimations retenues par les pays comparables au nôtre afin d'essayer d'extrapoler au parc nucléaire français ce qui nous semblait être la moins mauvaise d'entre elles, rien de plus.

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'ai la prétention d'être bien informé sur ces sujets, mais je dois dire que je ne connaissais pas ce tableau, que j'ai trouvé très intéressant.

Mme Michèle Pappalardo. - Vous ne pouviez pas l'avoir vu auparavant, car c'est nous qui l'avons fait ! (Sourires.)

Pour le réaliser, nous nous sommes appuyés sur des chiffres disponibles dans la littérature, puis nous avons tenté de les ramener le plus possible à notre situation en termes de parc de réacteurs et à notre définition de la notion de démantèlement, laquelle recouvre des réalités très différentes selon les pays. Ainsi, elle englobe souvent, chez nos voisins, la gestion des déchets.

Jusqu'à présent, personne ne nous a dit que nous avions commis des erreurs grossières. Nous avons tenté de préciser un certain nombre d'éléments, mais il est exact que, pour l'heure, aucun réacteur du type de ceux dont nous disposons n'a jamais été démantelé.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. - Compte tenu des coûts de maintenance, le CCE tendrait donc vers 60 euros dans les prochaines années ? Mais si la rentabilité des actifs dédiés n'atteignait pas 5 %, cela aurait-il également une incidence sur le CCE ? Tout a-t-il déjà été pris en compte dans vos calculs ?

Mme Michèle Pappalardo. - Je ne sais pas comment vous parvenez à 60 euros. En 2010, le CCE s'établissait à 49,5 euros, avec 1,7 milliard d'euros d'investissements de maintenance. Le doublement des investissements de maintenance portera le CCE à 54 ou à 55 euros.

On peut bien sûr ensuite faire l'hypothèse que le coût du démantèlement va lui aussi doubler, par exemple, et aller plus loin encore, mais la seule certitude, c'est que les investissements de maintenance vont augmenter.

Par ailleurs, le taux d'actualisation peut certes évoluer, mais c'est relativement peu probable à court terme. Toutefois, on sait évaluer l'impact d'une modification de ce taux : s'il diminuait de 1 %, cela entraînerait une hausse de près de 1 % du CCE.

M. Ronan Dantec. - Si l'État annonçait qu'il manque 10 milliards d'euros de provisions pour démantèlement, cela entraînerait-il une augmentation du CCE, par exemple si l'on excluait le recours à des actifs croisés ?

M. Gilles-Pierre Lévy. - La gestion des actifs est théoriquement séparée du fonctionnement. Si les actifs ne rapportaient pas 5 % par an sur une longue période, s'ils ne rapportaient que 3 %, par exemple, les exploitants devraient alors compenser le manque à gagner, ce qui pèserait sur leurs comptes.

Mme Michèle Pappalardo. - En trésorerie.

M. Ronan Dantec. - Cela ne jouerait pas sur le CCE ?

Mme Michèle Pappalardo. - On ne parle pas du tout de la même chose. Dans l'hypothèse que vous faites, le montant de la provision ne change pas : il est toujours calculé en fonction du coût de l'ANDRA, etc. Les provisions comptabilisées dans les comptes des exploitants doivent être utilisées, en partie en tout cas, pour acheter des actifs dédiés. Cela a un effet, mais pas sur le CCE.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. - J'ai une question un peu technique à poser, mais je maîtrise un peu moins bien ce sujet que celui de l'énergie solaire.

L'un des tableaux que vous nous avez présentés indique que les dépenses annuelles d'investissement de maintenance passeraient de 3,4 milliards d'euros à 3,7 milliards d'euros, du fait des préconisations de l'ASN après l'accident de Fukushima. Quelles sont les préconisations dont la mise en oeuvre entraînera cette augmentation de 300 millions d'euros par an ? Le nucléaire français s'inscrit déjà dans une démarche de sécurisation maximale.

M. Gilles-Pierre Lévy. - L'ASN a ajouté des contraintes, dont certaines étaient déjà prévues, par exemple la création d'une salle de crise protégée dans chacune des centrales ou le rajout d'un générateur d'électricité autonome et protégé pour chaque réacteur. Ce sont là les deux principaux postes de dépenses. Chacun d'entre eux a été évalué « à la louche » à 2 milliards d'euros pour l'ensemble du parc. Le coût de la création d'une salle de crise est évalué à une centaine de millions d'euros, soit une dépense de 2 milliards d'euros au total pour vingt centrales.

Mme Michèle Pappalardo. - Pour parvenir aux 300 millions d'euros que vous avez évoqués, nous avons simplement divisé 5 milliards d'euros par quinze ans.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le rapporteur, pour poser une question qui, je le crains, risque de s'écarter du sujet qui nous occupe...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le secteur du nucléaire fait beaucoup appel à la sous-traitance, or les salariés des sous-traitants ne travaillent pas dans les mêmes conditions que les autres. Ce fait a-t-il été pris en considération par la Cour des comptes ? Avez-vous évalué le coût que représente, pour la collectivité, la prise en charge des maladies professionnelles qui peuvent résulter de cette situation ? Ce sujet est un peu difficile, mais il y a un véritable problème.

M. Gilles-Pierre Lévy. - Nous n'avons pas évalué ce que représenterait un changement de pratiques en matière de sous-traitance.

Mme Michèle Pappalardo. - Nous n'avons pas chiffré un tel coût, d'une part parce que ce n'est pas à nous de le faire, d'autre part parce que nous ne saurions pas comment le faire.

Cela étant, sur le sujet des maladies professionnelles, de très importants progrès ont été accomplis ces derniers temps. Les maladies professionnelles ont effectivement un coût, mais il est déjà pris en compte dans les coûts d'exploitation. Nous n'avons pas insisté sur le fait que l'évolution des dépenses d'exploitation d'EDF a été relativement forte ces dernières années, puisqu'elles ont augmenté de 11 % entre 2008 et 2010. Cette tendance va se poursuivre et même s'accentuer, en raison notamment de l'évolution des modalités de recours à la sous-traitance et du renouvellement des compétences du personnel. Nous avons souligné de manière qualitative l'augmentation potentielle des coûts de personnel liée à la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je comprends qu'il soit très difficile d'établir un tel chiffrage. Vous avez tout de même souligné que ces coûts étaient pris en compte dans les charges d'exploitation.

Mme Michèle Pappalardo. - Absolument.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. - Le coût de la construction de l'EPR suscite beaucoup d'interrogations ! Vous avez indiqué une fourchette, mais on sent bien que des incertitudes subsistent. Pourriez-vous nous indiquer comment vous avez calculé ce coût ?

Mme Michèle Pappalardo. - Comme nous l'avons écrit dans le rapport, nous n'avons rien calculé, rien validé, et ce volontairement. La Cour des comptes ne peut pas aujourd'hui valider le coût de construction alors que celle-ci n'est pas encore achevée, et encore moins le coût de production, puisque si des hypothèses sont faites sur l'évolution des coûts d'exploitation par comparaison avec ceux des centrales actuelles, la Cour des comptes ne peut rien constater.

Nous n'avons donc nullement validé les chiffres qui nous ont été donnés et qui figurent dans le rapport : 6 milliards d'euros pour le coût de construction et entre 70 et 90 euros pour le coût de production, ce qui est d'ailleurs peut-être un peu optimiste. Ces chiffres ont été obtenus en prenant comme hypothèses un taux d'utilisation de l'EPR de 90 % - cela me paraît là aussi un peu optimiste -, une durée de vie de l'EPR de soixante ans et des coûts de production moins importants que ceux des centrales actuelles.

Les chiffres qui nous ont été donnés semblent cohérents avec ces hypothèses, mais nous ne pouvons pas les valider aujourd'hui. Nous les avons fait apparaître dans notre rapport parce qu'ils sont cités dans le débat et qu'il peut être intéressant de les connaître, mais, je le répète, nous n'avons pas calculé le coût de production de l'EPR en développement. Nous avons simplement dit et écrit clairement que, a priori, les EPR suivants devraient coûter moins chers que le premier, sans toutefois pouvoir davantage préciser les choses. Nous sommes restés extrêmement prudents sur ce point.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je crains, monsieur Dantec, que vous ne restiez sur votre faim ! Je ne vois pas comment la Cour des comptes pouvait répondre sur ce point.

Cette question n'a rien à voir avec le sujet de notre commission, mais, en tant que président du groupe énergie, je peux vous indiquer que nous la suivrons de près. Le coût de l'EPR présente une grande importance pour les parlementaires que nous sommes. Pour commencer à l'appréhender, nous devrons nous intéresser aux quatre seuls réacteurs en construction aujourd'hui, à savoir le finlandais, qui est le plus ancien et aussi celui dont le chantier a le plus dérapé, celui de Flamanville et les deux chinois, dont l'un sera d'ailleurs terminé avant le nôtre.

Nous nous pencherons sur ce sujet, mais nous n'aurons malheureusement pas de réponses à nos questions au cours des travaux de cette commission d'enquête. Je comprends tout à fait l'argumentation de Mme Pappalardo : il était très difficile, pour la Cour des comptes, d'aller plus loin.

M. Ronan Dantec. - Je ne m'attendais pas à apprendre aujourd'hui le prix au centime près du mégawattheure produit à Flamanville ! Je note toutefois que vous considérez que les coûts annoncés sont un peu optimistes.

Cela étant, ces estimations « à la louche » prennent-elles en compte le coût du démantèlement de l'EPR, ainsi que le coût du stockage ? En effet, le coût de 35 milliards d'euros avancé par l'ANDRA ne concerne que le parc actuel ; il ne prend pas en compte l'EPR.

Mme Michèle Pappalardo. - La méthode de calcul de ces coûts est comparable à celle qui est utilisée pour le CCE. La logique est la même. Utiliser une même méthode permet de faire des comparaisons.

Les charges futures - nous parlons d'un futur très éloigné, bien sûr - sont intégrées. Si vous souhaitez faire des comparaisons de coûts de construction, j'attire votre attention sur le fait que le coût de 6 milliards d'euros prévu aujourd'hui inclut l'ingénierie, mais pas les intérêts intercalaires. Or la durée de la construction étant longue, ces derniers auront un poids important.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie vivement de vos prestations, madame Pappalardo, monsieur Lévy.

J'indique que le rapport annuel de 2011 de la Cour des comptes comporte un volet très intéressant sur la contribution au service public de l'électricité, sujet d'actualité qui entre dans le champ des préoccupations de notre commission d'enquête. Ce document datant du mois de février 2011, nous nous permettrons probablement de demander à la Cour des comptes de bien vouloir l'actualiser. Ses magistrats sont indépendants et libres de déterminer leur programme de travail, mais nous serions ravis que vous acceptiez d'accéder à cette requête. C'est la qualité de votre rapport sur les coûts de la filière électronucléaire qui nous incite à entreprendre cette démarche. Vous nous avez mis en appétit avec ce travail très important pour nous parlementaires, par conséquent ne soyez pas surpris si nous saisissons officiellement le Premier président dans les prochains jours !

Je vous renouvelle nos remerciements de vous être pliés à cet exercice et de nous avoir présenté votre rapport en tenant compte de l'objet de notre commission d'enquête.

Audition de M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil en énergie-climat

M. Ladislas Poniatowski, président. - La commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité est ravie d'accueillir M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil en énergie-climat.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour les questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Jean-Marc Jancovici prête serment.)

Vous avez reçu par avance un questionnaire de la part de M. le rapporteur.

M. Jean-Marc Jancovici. - Je ne jurerai pas de cela, mais ce n'est pas important, car ce que j'ai l'intention de dire, comme en politique, est assez indépendant de la question posée ! (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Quoi qu'il en soit, nous vous demanderons de rester dans les limites du sujet. Après que vous aurez répondu aux six questions de M. le rapporteur, nous vous interrogerons plus avant le cas échéant.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Jancovici, je suis désolé que le texte des questions que je souhaitais vous poser aujourd'hui ne vous soit pas parvenu.

Premièrement, comment analysez-vous le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire ? Cette source d'électricité va-t-elle, à vos yeux, demeurer compétitive d'un point de vue économique ?

Deuxièmement, êtes-vous favorable, notamment pour ce qui concerne le coût de l'électricité, à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires actuelles ou au développement d'une nouvelle génération de centrales - EPR ou quatrième génération -, propre à engager la France dans la voie de ce type de production pour le long ou le très long terme ? N'êtes-vous pas plutôt favorable à un développement des énergies renouvelables ?

Troisièmement, de manière générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ?

Quatrièmement, ces mêmes tarifs vous semblent-ils pertinents d'un point de vue environnemental, au regard du « message » à envoyer aux consommateurs ? Le cas échéant, comment devraient-ils évoluer selon vous ?

Cinquièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération - contribution au service public de l'électricité, dispositifs fiscaux ? Ce mécanisme vous paraît-il justifié dans son principe, trop ou pas assez développé, bien ou mal ciblé ? On pourrait élaborer des mécanismes de financement reposant non pas sur le consommateur, mais, par exemple, sur le contribuable ou sur les entreprises.

Sixièmement, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? La prochaine acquisition à titre onéreux desdits quotas par les électriciens va-t-elle dans le bon sens et aura-t-elle des conséquences sur le prix payé par les consommateurs ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'espère, monsieur Jancovici, que ces questions ne se trouvent pas à des années-lumière de ce que vous avez préparé ! (Sourires.)

Vous avez la parole.

M. Jean-Marc Jancovici. - Pour étayer mon propos, je vous projetterai un document Powerpoint. Mon exposé servira d'assise à mes réponses à vos questions, monsieur le rapporteur. Elles tiendront ensuite en peu de mots.

L'essentiel de mon intervention visera à rappeler un fait simple : l'énergie est avant tout, par définition, la grandeur physique qui caractérise le changement d'état d'un système. Dire que l'énergie est une grandeur physique signifie qu'elle obéit à un certain nombre de lois. Les faits scientifiques ne sont pas des opinions : ils s'imposent à nous. Si l'on essaie de construire l'avenir en les ignorant, on va dans le mur !

Qu'il me soit permis de rappeler quelques éléments de base sur l'énergie.

L'énergie est donc, par définition, ce qui caractérise le changement. Du point de vue de l'utilisateur, un certain nombre de pratiques, aujourd'hui passées dans la vie courante, mais de manière très récente à l'échelle de l'histoire de l'humanité, supposent d'utiliser ou de restituer de l'énergie. C'est le cas si l'on modifie la température dans une pièce, si l'on met un objet en mouvement ou si on l'arrête, si l'on change une forme...

Aujourd'hui, le travail de tous les ouvriers d'usine consiste essentiellement à appuyer sur des boutons et à actionner des manettes afin de piloter des machines pour modifier, changer, déformer, extruder, aplatir, emboutir, etc. L'ouvrier moderne n'utilise donc pas plus ses muscles que l'employé des services.

Quand un corps se déplace dans un champ avec lequel il interagit, de l'énergie est mise en jeu ; idem quand une composition atomique change. Soit dit en passant, toutes les énergies que l'on utilise sur terre dérivent directement ou indirectement de l'énergie nucléaire. Enfin, l'énergie intervient quand de la matière et du rayonnement interagissent.

Par conséquent, dire que l'on utilise de l'énergie, c'est dire que l'on change le monde qui nous entoure. La conclusion qui s'impose alors est simple : l'énergie « propre » n'existe pas puisque, par définition, utiliser de l'énergie, c'est modifier ce qui nous entoure. Or être propre, n'est-ce pas laisser des lieux dans l'état dans lequel on les a trouvés ? Quand on utilise de l'énergie, c'est justement pour faire évoluer cet état.

Si l'énergie propre n'existe pas, ce qui peut exister en revanche, c'est une énergie dont les bénéfices sont significativement plus importants que les inconvénients, ou l'inverse. Comme l'énergie est une grandeur physique, ces différents aspects ne sont qu'une affaire de chiffres.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 3.)

Je vous présenterai maintenant un petit calcul qui rend compte de la totalité du monde qui nous entoure aujourd'hui. Je soutiens que les 35 heures, l'égalité entre les hommes et les femmes, le divorce, les études longues, la tertiarisation de l'économie, l'étalement urbain, la concentration urbaine, la désertification rurale, etc., s'expliquent par la comparaison entre l'énergie que sont capables de fournir nos muscles et l'énergie qui est associée à toutes les machines que nous employons, y compris le vidéoprojecteur que j'utilise en ce moment, l'ordinateur dont je me sers, le métro qui m'a amené ici, le percolateur qui vous a fait le café.

L'organisme d'un humain bien entraîné, par exemple celui d'un militaire du peloton de gendarmerie de haute montagne, qui gravit le Mont-Blanc et qui pèse 65 kilos restitue environ 0,5 kilowattheure d'énergie mécanique dans cet exercice. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont déjà escaladé le Mont-Blanc en une journée ; pour l'avoir fait, mais en deux jours, je puis vous assurer que l'effort est significatif et qu'on ne le répète pas les jours suivants !

Par conséquent, le maximum d'énergie qu'un être humain puisse fournir avec ses jambes, lesquelles sont dotées des muscles les plus puissants de son organisme, représente une fraction de kilowattheure par journée de travail. Admettons que je sois non pas un esclavagiste, mais un employeur qui rémunère correctement ses employés : si je paie un homme au SMIC pour pédaler comme un forcené dans une usine, le kilowattheure d'énergie mécanique produit me reviendra environ 200 euros ; s'il utilise ses bras, la quantité d'énergie restituée sera grosso modo dix fois inférieure et le coût de revient dix fois supérieur. Quand bien même je ne respecterais aucune des lois sociales en vigueur en France et traiterais mes employés comme des esclaves, le simple fait de devoir les maintenir en vie, les nourrir, les protéger du froid, des prédateurs, etc. me ferait payer le kilowattheure d'énergie mécanique quelques euros ou une dizaine d'euros. En comparant ce chiffre au coût de l'énergie produite par les machines, on comprend pourquoi l'esclavage a disparu !

En effet, un litre de notre très chère essence, qui affole tant les foules à l'heure actuelle, contient environ 10 kilowattheures d'énergie chimique. Après passage dans un moteur, elle produit quelques kilowattheures d'énergie mécanique. En termes de coût marginal - hors coût du moteur -, le kilowattheure d'énergie mécanique issu d'une machine sera de 1 000 à 10 000 fois moins cher que le kilowattheure produit par un travailleur humain payé au SMIC.

Par conséquent, n'importe quel différentiel de salaire dans le monde se compense par n'importe quel trajet. En mettant des machines à notre service, nous avons multiplié notre pouvoir d'achat par 50, par 100 ou par 1 000. Bref, voilà ce qui permet les acquis sociaux. Cela a quelques implications.

Tout d'abord, contrairement à une idée répandue, le prix réel de l'énergie, depuis que nous en utilisons, n'a pas augmenté ; il a même considérablement décru. Le prix réel correspond au temps de travail nécessaire pour acquérir un kilowattheure. Cette durée est la seule unité constante dans le temps pour mesurer le prix réel d'une chose. Toute autre unité monétaire est trompeuse, en particulier le prix en monnaie courante, voire le prix en monnaie constante, qui doit être ramené à ce que les gens gagnent : si la fiche de paie augmente plus vite que le prix en monnaie constante, le prix réel n'augmente pas ; il baisse.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 4.)

Cette courbe retrace le prix du pétrole, qui est le prix directeur de toutes les autres énergies, depuis 1860. On constate qu'en monnaie constante le prix du baril de pétrole entre 1880 - auparavant, il a décru parallèlement à celui de l'huile de baleine, la source d'énergie concurrente - et 1970 est resté relativement stable, aux alentours de 20 dollars. Dans le même temps, la rémunération du consommateur occidental a été multipliée par quinze à vingt, ce qui revient à dire que le prix du litre de pétrole a été divisé par quinze à vingt. En outre, ma corporation, celle des ingénieurs, ayant remarquablement travaillé et multiplié par un facteur compris entre deux à dix l'efficacité mécanique de l'utilisation d'un litre de pétrole, le coût réel du kilowattheure fourni par l'esclave énergétique qu'est la machine a été divisé par cinquante à cent en l'espace d'un siècle.

Le prix réel - c'est-à-dire exprimé en temps de travail - de n'importe quel objet pouvant être acquis aujourd'hui - une table, une chaise, une paire de lunettes, une chemise - et existant déjà il y a un siècle a été divisé par un facteur allant de cinquante à cent. C'est ce que l'on appelle l'augmentation du pouvoir d'achat. Cette augmentation peut se ramener, en première approximation - j'insiste bien sur ce point -, à la baisse du prix réel de l'énergie. Même au cours des périodes récentes, contrairement à l'idée répandue, le prix de l'énergie a continué de baisser.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 5.)

Ce superbe graphique, issu de l'excellent Service de l'observation et des statistiques, présente l'évolution des dépenses de carburants, d'électricité, de gaz et autres combustibles des ménages français depuis 1970. Comme ces dépenses augmentent, on se dit que les gens paient leur énergie de plus en plus cher. En fait, la donnée importante est leur part dans le budget des ménages, autrement dit la part du temps de travail consacrée à l'achat de l'énergie. En prenant ce paramètre en considération, on s'aperçoit que l'énergie coûte moins cher aujourd'hui qu'avant le premier choc pétrolier.

Encore une fois, contrairement à une idée très répandue, l'énergie coûte de moins en moins cher. En fait, son coût est passé, au cours des quarante dernières années, de rien à encore moins que rien : j'ai montré tout à l'heure que l'énergie mécanique valait entre un millième et un dix-millième du coût du travail humain.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 6.)

Quel type d'énergie utilisons-nous en France ? Les journalistes, dans notre pays, confondent en permanence énergie et électricité, au motif que les seuls dispositifs de production français sont non pas des puits de pétrole ou de gaz ni des mines de charbon, mais des centrales électriques.

Les Français consomment, pour l'essentiel, des combustibles fossiles importés. Il faut pomper un peu pour les extraire du sous-sol, mais également les transporter. La part du pétrole dans la consommation énergétique des Français est exactement identique à ce qu'elle est dans la consommation des Britanniques, des Allemands ou des Italiens, les Américains n'utilisant guère plus de pétrole que nous.

Contrairement à une idée courante, le recours au nucléaire ne sert pas à éviter d'utiliser du pétrole ; il sert à éviter de consommer du gaz et du charbon, ce qui, selon moi, est une excellente idée.

Vous pouvez constater, sur ce graphique, que la part du chauffage électrique est importante, mais qu'elle est loin de constituer l'essentiel du total. Notez également que, pour le résidentiel et le tertiaire, le chauffage consomme moins d'électricité que les autres usages. Autrement dit, la consommation d'électricité qui augmente le plus vite aujourd'hui dans les bâtiments n'est pas celle qui est liée au chauffage, mais celle qui sert à faire fonctionner tout le reste : les machines qui montent et qui descendent, qui cuisent, qui refroidissent, qui tournent, qui retransmettent des tas d'images extraordinaires, etc. Bref, le chauffage ne représente pas l'essentiel de la consommation électrique dans les bâtiments.

Selon moi, il est très important de garder en tête un raisonnement macroéconomique : la notion microéconomique de coût et de prix n'a pas nécessairement beaucoup de sens.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Que signifie « ECS » dans le tableau ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Eau chaude sanitaire.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Et « autres » ? Ce sont tous les appareils électriques ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Chauffage et ECS constituent les usages thermiques de l'électricité. La catégorie « autres » recouvre les usages spécifiques : tous les moteurs électriques, les réfrigérateurs, les pompes, les machines à laver, les appareils audiovisuels, les ampoules électriques...

M. Jean Desessard, rapporteur. - La consommation d'électricité est supérieure pour ces usages spécifiques ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Oui, et elle croît plus vite !

Je n'ai pas indiqué, dans le schéma, l'évolution de la consommation électrique dans les bâtiments en France. De mémoire, elle est passée, entre 1970 et aujourd'hui, de 50 térawattheures à 250 ou 300 térawattheures. L'essentiel de l'augmentation est imputable au poste « autres », et non au chauffage électrique.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 7.)

L'une des conclusions que je tire des éléments précédents est que les outils de pilotage macroéconomique dont nous disposons aujourd'hui sont totalement trompeurs. C'est l'un des problèmes sur lesquels on bute souvent lorsqu'on établit des comparaisons économiques. Selon l'économie que nous avons apprise à l'école, il y a deux facteurs de production : le capital et le travail. Quand le PIB « flageole » - ce qui ne manque pas d'inquiéter fortement tous les élus ! -, on détaxe un peu le travail et on injecte du crédit pour augmenter le capital, afin que le PIB reprenne du souffle. En fait, cela ne fonctionne pas : depuis maintenant quarante ans, il y a trop de travail - le chômage est structurel - et trop de capital - de nombreuses bulles spéculatives se forment -, et pourtant le PIB est flageolant ! Cela signifie que le schéma que j'ai décrit n'est pas le bon.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 8.)

La bonne représentation du système est la suivante : la machine économique mondiale n'est qu'une machine à transformer en autre chose des ressources gratuites grâce à du travail, fourni par des êtres humains ou des machines. Tout ce qui se trouve dans cette salle, mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce qui s'offrira à votre regard quand vous en sortirez n'est rien d'autre que de la ressource naturelle transformée par l'action de l'homme.

Les ressources naturelles sont le fruit de 15 milliards d'années d'évolution depuis le big bang et elles sont gratuites, y compris le pétrole, le gaz, le charbon, l'uranium. Les partisans des énergies renouvelables affirment souvent que le vent et le soleil sont gratuits, mais il en est de même de toutes les autres sources d'énergie. Ce qui coûte pour le pétrole, par exemple, c'est l'accès à la ressource, qui a la mauvaise idée de se trouver sous les pieds de M. Dupont et pas sous ceux de M. Durand ! Cependant, la formation de la ressource est gratuite : personne n'a payé le moindre centime pour que se constituent les réserves de pétrole, les atomes de fer, de cuivre, de manganèse, ainsi que tout le patrimoine de la biodiversité. Ces ressources gratuites sont captées et transformées grâce à notre travail afin de devenir autre chose.

Par ailleurs, la formation de capital ne représente qu'une boucle interne au système. Le capital, par exemple l'immeuble dans lequel nous sommes, c'est des ressources et du travail passés.

Dans ce schéma, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le travail qui permet de transformer les ressources est fourni par nos muscles et par les machines dans un rapport de 1 à 200.

Cette représentation éclaire ce qui se passe depuis trente-cinq ans : s'il y a un problème de volume disponible pour l'énergie - et c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'un problème de prix -, il y a un problème de volume pour le PIB, quel que soit le prix auquel les gens ont accès à l'énergie.

Je prendrai un exemple caricatural à cet égard. Si demain matin le carburant est rationné et les volumes disponibles divisés par dix, peu importe que les gens paient le litre de carburant 50 centimes, 1 euro ou 1,5 euro plus cher : les flux de transport seront instantanément divisés par dix et, en première approximation, le PIB français sera divisé par un chiffre compris entre cinq et vingt. Ce n'est pas une question de prix de l'énergie, c'est une question de quantité disponible. Dans un marché parfait, les deux paramètres sont corrélés, mais le marché n'est pas parfait et une foule de régulations - rationnements, quotas, normes, interdictions - interviennent hors marché. Dans le monde réel, les prix et les volumes ne sont pas parfaitement asservis par le jeu de phénomènes totalement lisses. Ce qui compte, encore une fois, ce sont les volumes.

C'est exactement ce que l'on observe en France depuis le premier choc pétrolier : une contrainte pèse sur les volumes, contrainte qui a fait régresser la croissance du PIB de 3 % à 1 % par an, d'où un chômage structurel et un tas de petits inconvénients qui ne sont pas à la veille d'être résolus...

S'il y a en plus une pression sur les ressources, il y aura également une pression sur la production, quelle que soit la quantité d'énergie disponible. Par exemple, si la ressource en poissons est épuisée, vous aurez beau armer tous les chalutiers du monde avec toute l'énergie disponible, ils ne prendront aucun poisson et le PIB de la pêche sera nul.

Or, j'insiste, ni le stock de poissons ni le stock de pétrole ne sont nulle part valorisés dans les représentations économiques. Par conséquent, le prix de l'énergie ne donne qu'une vision très partielle de l'importance du système énergétique dans le fonctionnement des sociétés modernes. Les déterminants du premier ordre sont le volume disponible et celui que je peux obtenir.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 9.)

Voilà un premier graphique qui accrédite mes propos. Il retrace la variation depuis 1961 de la consommation d'énergie de la planète, en violet, et celle du PIB mondial, en bleu. Les deux sont extrêmement bien corrélées, conformément à ce que je viens de vous dire.

La première partie de mon intervention peut se résumer ainsi : mère nature nous a donné gratuitement des combustibles fossiles, qui alimentent les moteurs et la chimie, lesquels font fonctionner la totalité des machines qui nous entourent ; par ricochet, cela a induit une très forte hausse de la productivité du travail, qui a structuré l'ensemble de nos acquis sociaux. Même le divorce est un fruit de ce phénomène : on ne divorce pas dans les pays qui manquent d'énergie. En effet, un divorce amène un doublement des besoins en logement - la crise du logement est notamment due au divorce - et par voie de conséquence de la consommation d'énergie pour le chauffage et la fabrication de tous les objets de la vie courante, sans parler du transport des éventuels enfants d'un domicile à l'autre ou de la facture du psychiatre, la garde alternée étant très néfaste à l'équilibre mental de ces derniers, ainsi qu'une étude épidémiologique récente vient de le démontrer... Ce n'est pas une blague : il est prouvé que le divorce augmente instantanément la consommation d'énergie des ex-conjoints d'environ 60 % !

L'urbanisation croissante est une fonction de l'énergie croissante. Pourquoi ? Parce que quand une énergie abondante permet de faire fonctionner de nombreuses machines, il devient possible de retirer les agriculteurs des champs et les ouvriers des usines pour les employer dans des bureaux où leur fonction sera d'échanger des informations, comme nous le faisons actuellement ou comme le font les comptables, les banquiers, le personnel de la sécurité sociale. Nous ne produisons rien de physique, nous échangeons des informations. Si nous pouvons le faire, c'est parce que, ailleurs, des machines s'occupent des flux physiques à notre place et fabriquent des vêtements, de la nourriture, des voitures, des logements, etc.

En cela, une société fortement urbanisée et fortement tertiarisée n'est pas une société fortement dématérialisée ; elle est, au contraire, l'aboutissement ultime d'une société fortement consommatrice d'énergie.

Si je vous montrais la courbe de la consommation d'énergie par personne en fonction de la part du tertiaire dans l'emploi, vous pourriez constater qu'il existe une très belle corrélation à la hausse mais pas du tout à la baisse. De plus, le tertiaire comprend tous les services de transport, qui ne sont pas spécialement dématérialisés.

L'énergie, et non la technique, a joué un rôle central dans cette évolution. La technique permet de construire un ordinateur ; pour que chacun puisse avoir un ordinateur à 500 euros, il faut de l'énergie à gogo : surtout pour la fabrication, un peu pour le fonctionnement.

À ce stade, deux questions d'une importance déterminante se posent : y a-t-il un goulet d'étranglement en amont en ce qui concerne l'accès aux combustibles fossiles ? Y a-t-il un goulet d'étranglement en aval au regard du changement climatique induit par la libération de CO2 dans l'atmosphère ?

Pour répondre à la première question, il faut faire appel à un petit théorème de mathématiques. Les combustibles fossiles mettent des centaines de millions d'années à se former : 300 millions pour le charbon et 100 millions pour le pétrole. Aux échelles de temps qui nous intéressent, nous pouvons donc considérer que le stock extractible de combustibles fossiles est donné une fois pour toutes, même si l'on ne connaît pas à l'avance son niveau. Lorsqu'on puise dans un stock donné une fois pour toutes, l'extraction ne peut aller indéfiniment croissant. Elle ne peut même pas être indéfiniment constante : l'exploitation du stock part de zéro, se termine à zéro et passe par un maximum entre les deux. Cela se démontre, et c'est vrai pour le pétrole, pour le gaz, pour le charbon, pour tous les minerais métalliques de cette bonne vieille terre.

Pour toutes ces matières premières, il existe donc une entité mathématique qui s'appelle le « pic ». Celui-ci peut avoir déjà été atteint ou ne devoir l'être que dans un avenir éloigné ; il peut s'établir au niveau actuel de production ou à un niveau bien supérieur. Mais l'existence de cette entité est démontrée et son apparition est inéluctable.

En ce qui concerne le pétrole, un premier pic est très facile à discerner : le pic des découvertes, qui est déjà passé.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 12.)

Cette courbe, qui retrace les découvertes annuelles de réserves de pétrole extractibles, est passée par un maximum en 1964. À l'heure actuelle, un peu plus de 2 000 milliards de barils ont été découverts. La quantité extraite a crû jusqu'en 2005 et s'est stabilisée depuis cette date. Elle représente au total environ 1 200 milliards de barils, soit à peu près la moitié de ce qui a été découvert.

Compte tenu du délai moyen qui sépare l'apparition du pic des découvertes de celle du pic de production, donnée qui se vérifie dans toutes les grandes zones pétrolières, nous sommes au maximum de la production mondiale de pétrole. L'Agence internationale de l'énergie a même avoué que le pic de production avait été atteint en 2006. En première approximation, retenons simplement que la production annuelle de pétrole est désormais stable. Cette période de stabilité durera plus ou moins longtemps, selon le rythme d'extraction des stocks déjà connus et celui des nouvelles découvertes.

Nous sommes donc très loin des 50 milliards de barils annuels de nouvelles réserves de l'âge d'or des découvertes, quand les ingénieurs de Schlumberger exploraient le sous-sol des pays bordant le golfe Persique. Aujourd'hui, quand on découvre un gisement de seulement quelques milliards de barils, cela semble mirifique !

Le « plateau » de production durera jusqu'aux alentours de 2020, puis nous assisterons à un déclin absolument inexorable, n'en déplaise aux automobilistes français, aux gestionnaires de turbines à fioul ou aux utilisateurs de fioul lourd.

Quel sera le prix du pétrole à ce moment-là ? Selon moi, ce n'est pas le sujet. Comme je l'ai déjà souligné, ce qui importe, ce sont les volumes. Par ailleurs, au vu des expériences passées, il convient de rester extrêmement modeste quand on se risque à faire des prévisions : on gagne du temps à ne pas écouter ceux qui annoncent une prévision de prix à vingt ans pour le pétrole ! La seule certitude est que les cours vont devenir volatils.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 13.)

Voici un comparatif entre les prix réels du pétrole constatés jusqu'en 2010 et les prévisions de prix établies, année après année, par l'Agence internationale de l'énergie : il y a de quoi rire !

Il est impossible de prédire l'évolution du prix d'une matière première aussi essentielle que le pétrole, dont le marché comporte énormément de biais et d'incertitudes. Je ne sais pas quel sera le prix du pétrole à l'avenir, mais encore une fois là n'est pas la question : ce qui importe, ce sont les volumes.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 14.)

Une règle de trois fait apparaître pourquoi l'énergie et le PIB - ou GDP, gross domestic product - sont si fortement liés. Le PIB par habitant, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, est égal au produit de l'énergie par personne par la quantité d'énergie nécessaire pour obtenir 1 dollar de PIB, qui mesure l'efficacité énergétique de l'économie.

Intéressons-nous maintenant aux variations. Vous savez que la variation d'un produit est la somme des variations de ses termes. La croissance du PIB par personne est donc la somme de la croissance de l'énergie par personne - voilà pourquoi cet élément est si structurant - et de celle de l'efficacité énergétique de l'économie. La première, en moyenne mondiale, a crû de 2 % par an entre le début de la révolution industrielle et 1980. Après cette date, sa croissance est devenue presque nulle. Quant à l'efficacité énergétique de l'économie, elle augmente de 1 % par an depuis 1970. Tout cela signifie que la croissance du PIB par habitant, qui concerne essentiellement les économies dites « développées » jusqu'en 1990-1995, est passée brutalement à partir de 1980, pour des raisons physiques, de 3 % à 1 % par an, ce qui a entraîné l'apparition puis l'augmentation de la dette des États souverains, l'endettement des ménages et des entreprises, la volatilité des prix de l'énergie, l'émergence du chômage structurel, bref tous les petits désagréments que l'on nous promet de régler après la prochaine élection, mais qui ne le seront bien évidemment pas, sauf mise en oeuvre d'un nouveau « plan Marshall ».

En conclusion, toute réflexion prospective sur le prix de l'énergie doit prendre en compte le fait qu'il n'y aura pas de retour de la croissance : je n'y crois pas.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Votre démonstration vaut pour la France ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Elle vaut pour n'importe quel pays.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le sigle « NRJ » recouvre le volume d'énergie ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Oui, le volume et non le prix. Le terme « NRJ/POP » désigne la quantité d'énergie par personne et par an, exprimée en kilowattheures.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Comment calculez-vous ces chiffres ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Il suffit de diviser la production mondiale d'énergie - issue du pétrole, du gaz, des centrales nucléaires et hydrauliques, de la biomasse, le reste étant négligeable - par la population mondiale. Toutes les énergies peuvent s'exprimer en kilowattheures.

Ce petit calcul prouve que toute réflexion prospective sur les investissements dans les infrastructures énergétiques doit, à mon sens, s'envisager dans un contexte où nous ne retrouverons pas une croissance économique forte. Est-ce un bien ou un mal ? Là n'est pas la question. Si gérer, c'est prévoir, il faut avoir cette donnée en tête.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 15.)

Voilà une illustration de cette corrélation entre énergie et PIB à partir de 1968. L'évolution de la production mondiale de pétrole est figurée en violet. Il s'agit bien de la production, et non du prix. La variation du PIB par personne est figurée en bleu. Contrairement à une idée répandue, la co-variation des deux courbes est meilleure à partir de la fin des années quatre-vingt qu'auparavant, époque où la production de pétrole pouvait varier plus fortement sans trop affecter le PIB, et l'économie n'est pas moins sensible aujourd'hui qu'hier à la quantité de pétrole accessible, bien au contraire : les transports tiennent une place plus importante dans une économie mondialisée.

Vous pouvez également constater qu'au cours des deux derniers épisodes de crise, la chute du PIB n'a pas entraîné celle de la production de pétrole ; c'est l'inverse qui s'est produit. C'est le reflet de l'effet « volume ». Lorsque l'offre de pétrole est réduite brutalement, cela provoque, outre une hausse du prix, une baisse du PIB, celui-ci étant piloté par le volume de pétrole. Cette baisse n'est pas simplement due à l'effet inflationniste de la hausse du prix du pétrole.

Que se passera-t-il, à l'avenir, en ce qui concerne le volume de pétrole ?

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 16.)

Ce graphique représente la quantité totale de pétrole à disposition de l'Europe depuis 1965. La production domestique est figurée en rose, avec un petit talon de production provenant historiquement des pays de l'Est situés non loin de la mer Caspienne. Est également prise en compte la production de la mer du Nord - dont celle de la Norvège -, qui a connu un pic en 2000 et qui décline, depuis, à raison de 5 % à 8 % par an. Les importations en provenance du reste du monde sont figurées en vert.

On constate que les importations représentent l'essentiel du pétrole consommé par les Européens. Le début du déclin « terminal » de l'accès européen au pétrole date, selon moi, de 2005. Depuis cette date, le volume de pétrole à la disposition de l'Europe a diminué de 8 %. La production mondiale étant désormais stable, en raison de l'effet d'éviction dû aux pays émergents et aux pays producteurs eux-mêmes, la fraction résiduelle mise sur le marché mondial baisse. Les importations et la production européennes décroissent, par conséquent la quantité de pétrole disponible en Europe diminue.

Or, en l'état actuel des choses, il n'y a que deux manières de faire baisser la consommation de pétrole : par la hausse des prix, forte et non régulée, ou par la récession. Mon sentiment est que nous entrons maintenant dans une ère nouvelle de l'économie européenne, qui sera marquée par de fortes hausses du prix du pétrole et la récession. C'est dans ce contexte qu'il faudra envisager nos investissements électriques.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 17.)

Voilà comment se décompose le prix du litre de super dont il a beaucoup été question il n'y a pas si longtemps. Pour l'essentiel, le prix de l'essence est constitué de taxes, qui ne sont pas seulement prélevées par la France. Les taxes encaissées par les États producteurs constituent un quart du prix. La TIPP compte pour 41 %, la TVA pour 16 % et la part de l'« affreux » Total pour 5 %. Une éventuelle suppression de la marge de Total - 10 milliards d'euros  - ne réduirait que très faiblement le prix du carburant à la pompe pour le consommateur : la baisse serait de l'ordre de 5 centimes. Les ordres de grandeur ne seraient pas modifiés. En particulier, cela ne changerait rien aux paramètres liés à la rareté de la ressource ni aux dépenses d'extraction, les coûts marginaux de celle-ci augmentant très fortement pour les nouveaux gisements mis en exploitation.

Voilà pourquoi je pense le plus grand mal de l'instauration d'une TIPP flottante. Selon moi, il s'agirait d'une subvention directe aux exportations du Qatar, de la Russie et de la Libye.

M. Jean Desessard, rapporteur. - L'application de la TIPP flottante serait limitée dans le temps. Il s'agit de permettre aux entrepreneurs de respecter leurs devis.

M. Jean-Marc Jancovici. - C'est une mesure fondée sur l'idée que le prix du pétrole finira par se stabiliser, or cela ne pourra arriver que dans un contexte de récession.

M. Jean Desessard, rapporteur. - D'accord !

M. Jean-Marc Jancovici. - Instaurer la TIPP flottante revient donc à appauvrir l'État tant que le pétrole continue à se vendre, avant que cet appauvrissement ne s'aggrave avec la récession. Je ne suis pas sûr que ce soit la façon la plus intelligente d'utiliser l'argent public.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 18.)

Le gaz se formant géologiquement aux mêmes endroits que le pétrole, il est découvert à peu près en même temps que lui. Au début, le gaz n'intéressait pas du tout les pétroliers. Trouver du gaz était même, pour eux, une véritable calamité. Ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. Ils n'aimaient pas trouver du gaz pour une raison simple : contrairement au pétrole, le gaz coûte plus cher à transporter qu'à extraire. Le pétrole étant liquide à température ordinaire, il se transporte avec une densité d'énergie par unité de volume beaucoup plus importante que le gaz, qui obéit à la loi de Mariotte, et donc à un coût moins élevé.

Voilà pourquoi les deux tiers du pétrole extrait sur Terre passent une frontière avant d'être consommés. Cela n'est vrai que pour 25 % du gaz, le gaz naturel liquéfié représentant en particulier 8 % de la consommation mondiale de gaz. La seule vraie énergie internationale est donc le pétrole. Toutes les autres énergies sont des énergies régionales, comme le gaz, ou domestiques, comme le charbon.

Le pic des découvertes de gisements gaziers a déjà été passé depuis longtemps. Comme pour le pétrole, la production va monter puis se réduire. On raclera les réservoirs, ce qui sera plus difficile à faire que pour le pétrole. Le pic de production interviendra, selon les régions, entre maintenant et 2050.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 19.)

Voilà maintenant un graphique qui figure l'approvisionnement gazier de l'Europe. On observe une proportion inverse à celle constatée pour le pétrole. Les importations ne représentent que 40 % du total, mais le pic de production des gisements de la mer du Nord, d'où proviennent les 60 % restants, a été passé dans les années 2000. La production européenne est en léger déclin pour le moment, mais la tendance s'accélérera fortement lorsque la Norvège passera également son pic, d'ici à 2020.

Par conséquent, le remplacement, même en période de transition énergétique, de la moindre centrale nucléaire en Europe par du gaz se fera nécessairement au détriment d'une consommation de gaz ailleurs. On ne peut pas accroître la production actuelle de l'Europe, qui est déjà en baisse.

La récente décision de Mme Merkel de relancer le plan Schröder et de remplacer le nucléaire allemand par du gaz russe aura un effet d'éviction direct sur le consommateur français. Les textes européens n'interdisent pas à l'Allemagne de faire un tel choix, mais la France doit bien comprendre ce que cela signifie pour elle.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 20.)

Ce que la presse désigne de manière erronée sous le nom de gaz de schiste - pour l'essentiel, ce n'en sont pas - correspond en fait à ce que l'on appelle les gaz non conventionnels, catégorie qui recouvre trois familles de gaz.

La moins importante d'entre elles est celle des gaz de schiste, ou plus exactement de roche-mère. Ces gaz se sont formés dans la roche qui contenait les sédiments organiques à l'origine de la formation du pétrole et du gaz et n'ont pas quitté cette roche.

La deuxième famille est celle des gaz de charbon. Il s'agit tout simplement du grisou, que l'on récupère en fracturant les veines de charbon et qui est composé essentiellement de méthane.

La troisième famille est celle des gaz de réservoir compact, qui ont migré depuis la roche-mère où ils se sont formés vers une roche-réservoir, où ils se sont accumulés, comme pour le gaz ordinaire, à la particularité près que la roche-réservoir s'est par la suite un peu resédimentée. La perméabilité n'est donc plus assurée, et il faut la recréer en fracturant la roche-réservoir. Il s'agit également de techniques de fracturation, comme pour le gaz de schiste, mais sur le plan géologique cela n'a rien à voir.

On trouve du gaz de réservoir compact là où il y a du gaz tout court. On peut trouver du gaz de roche-mère là où il y a des roches-mères, mais ce n'est nullement une certitude : depuis la surface, on peut seulement savoir s'il y a des roches-mères ; pour savoir si elles contiennent du gaz, il faut forer. À titre indicatif, lorsque l'on soupçonne, après « échographie », qu'une formation géologique contient du pétrole, les forages d'exploration ne donnent rien cinq fois sur six.

Avons-nous en France des gaz de schiste ? On ne peut pas le savoir tant qu'on n'a pas foré. Y a-t-il en Europe des gaz de réservoir compact ? La réponse est non. Y a-t-il du gaz de charbon ? Pour les pays qui ont des gisements de charbon, la réponse est oui ; pour la France, où il reste très peu de charbon, la réponse est non.

Confondre gaz de schiste et gaz non conventionnels, schiste et gaz de schiste et tout extrapoler à la France est un mauvais raccourci médiatique. En réalité, nous ne savons pas si un approvisionnement en gaz de schiste est possible en France. Quand bien même cela le serait, l'exploitation du gaz de schiste est considérablement plus capitalistique que celle du gaz conventionnel.

Tout le gaz du gisement de Lacq a été extrait par un seul forage d'exploitation. Pour les gaz non conventionnels, un puits draine une surface d'environ un kilomètre carré. Il faut donc forer un puits tous les kilomètres pour exploiter un gisement : je vous laisse imaginer ce que cela donnerait dans les Cévennes ! Il faut donc pouvoir forer facilement et disposer de suffisamment de capitaux pour le faire en permanence.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 21.)

Quelles sources d'énergie sont utilisées en Europe pour fabriquer de l'électricité ? Contrairement à la réponse couramment donnée à l'occasion d'un sondage réalisé aux États-Unis, l'électricité ne sort pas du mur, il faut la produire.

En Europe, l'électricité provient en grande partie du charbon. Il entre pour moitié dans la fabrication de l'électricité allemande. Du reste, l'Energiekonzept allemand, ce n'est pas de construire principalement des éoliennes, c'est essentiellement de produire de l'électricité à partir du charbon et du gaz. L'Allemagne construit actuellement 20 gigawatts de capacité fossile pour pouvoir décommissionner les 23 gigawatts de production nucléaire actuellement en service. Avec un peu de chance, la population allemande diminuera suffisamment rapidement pour que les émissions de CO2 du pays n'augmentent pas. En tout état de cause, le plan allemand de transition énergétique repose sur l'effet combiné du vieillissement de la population et de l'augmentation de la consommation de gaz et de charbon. La presse française applaudit des deux mains, mais j'ai quelques doutes sur l'intérêt écologique du système...

Le charbon fournit donc un tiers de l'électricité européenne, le gaz entre 15 % et 20 %. Comme je l'ai souligné, la quantité de gaz disponible est déjà en baisse. Viennent ensuite l'hydroélectricité et l'éolien. À l'échelle européenne, l'éolien n'est pas significatif aujourd'hui. Peut-il le devenir ? Ne disposant pas d'assez de temps pour répondre à cette question aujourd'hui, je me bornerai à quelques observations.

Il n'existe pas, aujourd'hui, de foisonnement éolien en Europe. Il est faux de prétendre le contraire. Soit une dépression est installée sur la façade atlantique et les éoliennes injectent leur production électrique sur le réseau, de l'Espagne à la Grande-Bretagne en passant par l'Allemagne et la France, soit il n'y a pas de dépression et donc pratiquement pas de production. Il n'existe pas d'effet de compensation entre le nord et le sud de l'Europe.

Par ailleurs, je suis favorable à ce qu'on limite le bénéfice des tarifs de rachat à la production électrique dont la disponibilité est garantie de façon permanente. Sinon, cela signifie que l'intermittence induite est mise à la charge d'un autre acteur du réseau, sans que celui-ci soit prévenu ni même désigné.

L'intermittence induite oblige d'autres acteurs à prévoir des moyens de back up, de stockage ou d'effacement de consommation. En gros, dans la situation actuelle, on subventionne le producteur d'énergie éolienne pour introduire de l'intermittence dans le réseau électrique et on impose à d'autres d'assumer les surcoûts qui en découlent. Il serait préférable, à mon sens, de distinguer deux sous-catégories au sein des tarifs de rachat : l'une pour le kilowattheure garanti, à savoir celui qui est fourni de manière certaine quand on en a besoin - la production hydroélectrique entre dans cette sous-catégorie -, l'autre pour le kilowattheure injecté dans le réseau au gré de la production, ce dernier valant nécessairement moins cher. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.

Il y a donc des distinctions à faire entre les énergies renouvelables. La production électrique est mieux garantie à partir d'un stock de bois, qui peut être consommé à la demande, qu'à partir de l'éolien, qui fournit de l'électricité uniquement quand le vent souffle. Dans la mesure où l'électricité ne se stocke pas en tant que telle - on stocke de l'eau en altitude ou une séparation chimique dans une batterie -, une source intermittente a nécessairement moins de valeur pour un réseau électrique qu'une source garantie et pilotable.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 22.)

Comment vont évoluer les prix exogènes, c'est-à-dire ne dépendant pas des décisions françaises ?

Le prix du charbon est figuré dans le graphique de gauche. Il entre pour environ 50 % dans le coût de la production électrique issue du charbon. Le prix du charbon est très bien corrélé à celui du pétrole. Par conséquent, comme le prix du pétrole augmentera, sauf récession, celui du charbon suivra la même tendance.

Le prix du gaz - qui constitue 70 % du coût de production du kilowattheure produit à partir du gaz - est figuré dans le graphique de droite. Il a évolué de façon identique au niveau mondial, jusqu'au moment où les États-Unis se sont fortement décorrélés des autres zones, pour des raisons de production domestique, ce qui ne changera rien au destin des Européens, comme nous avons pu le constater récemment. Pour l'Europe, le prix du gaz continuera d'être asservi à celui du pétrole. L'électricité produite à partir du gaz coûtera donc plus cher.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 23.)

J'en viens à l'hydroélectricité. Voilà un modèle qui présente une synthèse des simulations issues du dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC. Il établit l'évolution des précipitations sur la planète selon un scénario qualifié de « charbon haut », c'est-à-dire caractérisé par une utilisation maximale du charbon consommable, avec un pic aux alentours de 2050. Il fait apparaître l'évolution des précipitations en hiver et en été dans l'hémisphère Nord : on constate que le pourtour du bassin méditerranéen s'assèche en toutes saisons et pour tous les modèles. La production hydroélectrique européenne va probablement diminuer.

Or l'hydroélectricité est la plus précieuse de toutes les formes de production électrique, car c'est la mieux modulable et la plus pilotable. La seule installation capable de délivrer 2 gigawatts dans un délai de trois minutes est un barrage. Aucune autre forme de production électrique n'en est capable ! La contrainte climatique ne sera donc pas sans incidences.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Comment voyez-vous cette évolution sur la carte ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Les zones colorées en rouge s'assèchent et les précipitations augmentent dans les zones en bleu.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est une carte de la situation actuelle ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Non, elle présente l'évolution d'ici à la fin du siècle. En gros, l'Europe devrait avoir perdu de 20 % à 30 % de ses précipitations à cette échéance, mais de façon non continue. Il y aura des à-coups, comme en 2003 ou en 2010. Nous connaîtrons de plus en plus des situations de mise sous tension du système.

Les épisodes caniculaires importants ou de grande sécheresse présentent deux inconvénients importants : d'une part, les barrages se remplissent moins bien ; d'autre part, le refroidissement des centrales thermiques devient problématique. Or les centrales thermiques - nucléaire, gaz et charbon - représentent environ 75 % de la production d'électricité européenne.

En 2003, sur les treize dérogations demandées par EDF pour ses centrales thermiques, sept concernaient des centrales nucléaires, et six des centrales à charbon ou à pétrole. Comme nous avons l'association « Sortir du nucléaire », la presse a largement parlé des centrales nucléaires, et pas des centrales à charbon ou à gaz. Néanmoins, la problématique est identique pour toutes les centrales thermiques.

Le TGV qui se rend à Marseille passe à proximité de la centrale à charbon de Gardanne, qui est équipée de très beaux aéro-réfrigérants. Si l'on demande aux voyageurs de quoi il s'agit - je fais souvent ce test -, ils répondent que c'est une centrale nucléaire ! Dans la même situation, un Américain pensera à une centrale à charbon.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 24.)

Je terminerai mon exposé par les énergies renouvelables. Ce graphique retrace la contribution des énergies renouvelables au bilan énergétique mondial en 2010.

L'unité utilisée est le million de tonnes équivalent pétrole. La consommation mondiale équivaut à 14 000 millions de tonnes équivalent pétrole. La première énergie renouvelable est de très loin le bois, qui couvre environ 10 % de la consommation mondiale d'énergie. Vient ensuite l'hydroélectricité, qui, en équivalent primaire, représente environ 5 % de la consommation mondiale. Tout le reste tombe sous la barre de 1 % de celle-ci. J'ai fait figurer les équivalents primaires pour les énergies purement électriques.

Les agrocarburants, que j'appelle « agricarburants » car ils ne sont pas bio, représentent 0,5 % de l'énergie mondiale, soit 1,5 % du pétrole mondial. C'est ridicule. Néanmoins, afin de développer cette ressource, nous sommes déjà en train d'affamer une partie de la planète. (M. Claude Léonard s'étonne.)

En effet, il y a maintenant quinze ou vingt ans que les Américains ont affecté la totalité de la hausse de leur production de maïs à la fabrication d'éthanol. Le Mexique, pour le moment, peut encore payer des importations de maïs grâce à ses excédents pétroliers. Ces derniers disparaîtront dans quatre ou cinq ans, car la part mexicaine de la production du golfe du Mexique est en train de décliner. Que se passera-t-il alors au Mexique ? Je ne sais pas, mais cela risque d'être intéressant !

Aujourd'hui, une pression absolument évidente s'exerce sur les cultures vivrières en raison du développement des agrocarburants. Ce n'est pas la seule : une autre est due au climat.

Cela me permet de répondre en partie à l'une des questions que vous m'avez posées : est-il intéressant de fixer des tarifs de rachat exorbitants ? Ma réponse est non. C'est du gaspillage, à seule fin de se faire plaisir ! Dit autrement, tant qu'il y a de la croissance parce qu'il y a abondance de gaz, de charbon et de pétrole, une telle mesure sert uniquement à se donner bonne conscience en recyclant des surplus. Le jour où l'économie sera durement atteinte parce que l'approvisionnement français en pétrole, en gaz et en charbon commencera à décliner, on arrêtera de se livrer à ce genre de plaisanteries. C'est en 2004 que j'ai écrit pour la première fois que les subventions au photovoltaïque et à l'éolien s'arrêteraient lorsque surviendraient des récessions justement dues aux problèmes que l'on prétend ainsi éviter. Je crois que nous y sommes.

J'en ai fini avec cette présentation des quelques éléments de réflexion qui, selon moi, doivent encadrer toute analyse sur les tarifs de l'électricité en particulier, et de l'énergie en général.

M. Jean Desessard, rapporteur. - En ce qui concerne les énergies non renouvelables, le pétrole est-il la source d'énergie la plus utilisée ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Oui, dans le mix mondial, le pétrole fournit un tiers de l'énergie primaire. Il représente plus de 40 % de l'énergie finale, c'est-à-dire celle qui est mise à la disposition des consommateurs. Le pétrole domine donc très largement le mix énergétique mondial.

Par ailleurs, dans le système de transport qui, aujourd'hui, est le « sang » de l'économie mondiale, la part du pétrole atteint 98 %. C'est la raison pour laquelle, à l'heure actuelle, le pétrole pilote le PIB en volume. Si demain la France se trouvait privée de moyens de transport, Paris mourrait de faim, il y aurait des émeutes et le pays s'effondrerait !

M. Jean Desessard, rapporteur. - D'abord le pétrole, ensuite le gaz ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Non, le charbon !

Le pétrole représente un tiers de l'énergie primaire mondiale, le charbon 25 %, le gaz 20 %, la biomasse 10 %, le nucléaire et l'hydroélectricité 5 % chacun, et le reste de 1,5 % à 2 %.

Autre précision, le charbon sert essentiellement à produire de l'électricité, à hauteur des deux tiers des quantités extraites. Symétriquement, la première source de production électrique dans le monde est le charbon, qui fournit environ 40 % de l'électricité mondiale.

Toujours pour fixer des ordres de grandeur, j'indique que, entre 1945 et aujourd'hui, la production électrique mondiale est passée de 600 térawattheures, soit la production française actuelle, à 20 000 térawattheures. L'accès massif et démocratique à l'électricité n'est pas le fait de la révolution industrielle, c'est un acquis de la deuxième moitié du XXe siècle.

Par ailleurs, les deux tiers de l'électricité mondiale sont produits à partir de combustibles fossiles, la part du gaz étant de 25 %.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie, monsieur Jancovici.

Monsieur le rapporteur, j'imagine que vous aimeriez maintenant obtenir des réponses à vos questions liminaires ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - M. Jancovici a abordé les questions que je lui ai posées sous un certain angle.

Puisque vous avez parlé des volumes, monsieur Jancovici, pourriez-vous maintenant évoquer les coûts ? J'imagine que votre conclusion est qu'ils seront déterminés par les volumes ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Pour partie !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Les volumes détermineront également les politiques énergétiques.

M. Jean-Marc Jancovici. - Pour répondre à la première question que vous m'avez posée au début de l'audition, monsieur le rapporteur, je n'ai pas lu en totalité le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire. J'en ai seulement lu la synthèse et j'ai eu plusieurs fois le plaisir de discuter avec Mme Pappalardo.

Selon moi, ce rapport est un exercice extrêmement salutaire, qui devrait être répété pour les autres formes d'énergie afin de définir les concepts et de bien préciser de quoi il est question !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Absolument !

M. Jean-Marc Jancovici. - L'électricité d'origine nucléaire va-t-elle demeurer compétitive d'un point de vue économique ? Ma réponse est oui, même en tenant compte du coût des accidents possibles. En effet, si l'on veut tenir compte des externalités pour le nucléaire, il faut également le faire pour toutes les autres énergies.

Par ailleurs, la production d'un mégawattheure d'électricité à partir du charbon entraînant l'émission d'une tonne de CO2, si l'on fixe à 100 euros le coût de cette dernière, le coût de production du mégawattheure d'électricité augmente de 100 euros, soit une hausse de 10 centimes par kilowattheure électrique pour le consommateur final.

Dans un marché européen dont la finalité est d'instaurer la concurrence partout et en permanence - ce qui à mes yeux est une ânerie sans nom pour l'électricité -, comme le système s'ajuste, par la magie de la circulation des électrons, qui ne se stockent pas, non sur le coût le plus bas du dispositif de production, mais sur le plus élevé,...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Eh oui !

M. Jean-Marc Jancovici. - ... si l'on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure par les centrales à charbon, on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure pour tout le monde !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Exact !

M. Jean-Marc Jancovici. - C'est toute la magie du marché libéralisé ! C'est donc une bêtise, non pas à cause de cette hausse du coût - je suis très favorable à des augmentations de prix de l'électricité pour engendrer des économies d'énergie -, mais parce qu'on crée une rente qui va là où elle ne devrait pas aller.

Le nucléaire restera donc économique. Qu'est-ce qui est important pour la France ? Premièrement, l'état de la balance du commerce extérieur ; deuxièmement, le taux de chômage ; troisièmement, l'état des comptes publics.

Je vais peut-être vous choquer, mais le pouvoir d'achat moyen des Français n'est pas mon premier sujet de préoccupation, car sa baisse est inévitable. Plus on s'arc-boute sur le pouvoir d'achat, plus on dégrade les trois autres indicateurs que je viens d'évoquer. La grande distribution a fait le bonheur du consommateur et le malheur de notre balance commerciale, ainsi que de l'emploi français ! Les subventions à l'énergie feront le bonheur de l'automobiliste pendant une courte période. À cause de l'effet récessif des différents chocs pétroliers, elles aggraveront le chômage et la situation des comptes publics.

Si l'on prend en considération les trois critères qui doivent importer, le nucléaire est la source d'électricité dont l'incidence sur la balance commerciale est le plus faible. Certes, nous dépendons des importations d'uranium, mais celles-ci ne représentent pas grand-chose dans le prix du kilowattheure final. Par ailleurs, on peut stocker l'uranium, ce qui laisse le temps de se retourner : si le Kazakhstan nous fait des misères, on s'adressera au Canada ; si le Canada nous fait des misères, on se tournera vers l'Australie ou le Niger !

En revanche, nous avons seulement trois mois de stock de pétrole, idem pour le gaz, et donc très peu de marge de manoeuvre, comme nous avons pu le constater l'hiver dernier, lors de la vague de froid qui a entraîné une tension sur le marché du gaz. Les Russes et les Norvégiens font de nous ce qu'ils veulent. Les Norvégiens sont accommodants ; les Russes, je ne sais pas ce que cela va donner dans le temps...

Quoi qu'il en soit, nous sommes pieds et poings liés en ce qui concerne les importations de gaz. Il en va de même pour l'Espagne, qui en raison de l'intermittence de la production, a dû doubler son parc éolien d'un parc de centrales à gaz à peu près de même puissance, et qui produit aujourd'hui 2 kilowattheures au gaz pour 1 kilowattheure d'éolien.

Le nucléaire représente donc un optimum pour la production d'électricité de masse. C'est même la seule solution accessible en France : il n'est plus possible de noyer beaucoup de vallées, l'éolien, à cause du caractère diffus et intermittent de sa production, ne tiendra qu'une place limitée, de même que la biomasse. Les calculs d'ordre de grandeur mettent en lumière que le potentiel de biomasse disponible pour fabriquer de l'électricité n'est pas très étendu, surtout si l'on doit vivre dans un monde où l'on utilisera moins d'engrais.

À mes yeux, le nucléaire est donc très compétitif, et ce pour de bonnes raisons.

Faut-il prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes ? Je serais content qu'une telle décision soit prise, mais ce n'est ni à moi ni à vous d'en juger : cette responsabilité incombe à l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui a été créée, justement, pour que les décisions relatives au nucléaire ne soient pas le fait du prince. Laissons l'ASN accomplir sa mission. C'est pour moi un point de principe : soit on considère que l'ASN est techniquement compétente pour se prononcer sur l'état des installations nucléaires ; soit on considère qu'elle ne l'est pas, mais alors on remplace les personnes qui se trouvent à sa tête. Si je n'ai pas confiance en l'un de mes collaborateurs, je ne passe pas derrière lui pour refaire son travail : je le vire !

Il revient à l'exploitant de tenir compte des recommandations de l'ASN. Pour la filière graphite-gaz, il faut savoir que l'autorité de sûreté de l'époque, qui était une direction du ministère, avait critiqué ce type de réacteurs et exigé d'EDF des aménagements. EDF, jugeant les coûts trop élevés, a alors décidé de renoncer à cette filière. Il doit en aller de même pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires : il incombe à l'exploitant de faire ses calculs et de mettre en oeuvre les recommandations de l'ASN ou de renoncer à cette prolongation.

En tant que citoyen, je considère que prolonger la durée de vie des centrales nucléaires serait une bonne chose sur le plan économique. Cela étant, si l'ASN estime préférable de ne pas le faire, mon sentiment est qu'il faut construire de nouvelles centrales.

À mes yeux, les sources d'énergie fossiles comportent globalement beaucoup plus de risques que le nucléaire. Jusqu'à présent, je n'ai pas évoqué les risques globaux, notamment le changement climatique. Les « printemps arabes » sont, selon moi, très largement une conséquence de la contrainte énergie-climat. Il est évident que des déstabilisations socioéconomiques massives vont apparaître dans un monde où l'énergie fossile se fait rare et où le climat se dérègle rapidement.

Je préfère, de très loin, vivre avec le risque réel mais maîtrisé lié à l'existence d'une centrale nucléaire qu'avec le risque totalement non maîtrisé que recèle un monde devenant violent et guerrier à cause du manque de pétrole et du dérèglement du climat. Pour avoir bien étudié la question depuis cinq ans, je pense que, malheureusement, cette éventualité est loin d'être une simple vue de l'esprit.

Les tarifs actuels de l'électricité me paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ? Si l'on inclut les externalités liées aux sources d'énergie fossiles, la réponse est non. Je vous ai dit tout à l'heure que si la tonne de CO2 émise coûte 100 euros, le consommateur doit payer le kilowattheure 10 centimes plus cher.

Je persiste et signe : l'électricité ne vaut pas assez cher. Cela étant, la hausse de son prix doit profiter non pas aux gaziers et aux charbonniers, mais à l'État, via les taxes, qui assurent un recyclage national de l'argent. Les impôts sont nécessaires, toute la question est de bien les choisir.

Les taxes sur l'énergie, à mes yeux, sont de très bons impôts. Elles ne font pas obstacle, par ailleurs, à la promotion des modes de production électrique les plus favorables à la baisse du taux de chômage, à la balance commerciale et à l'équilibre des finances publiques.

Comment les tarifs devraient-ils évoluer selon moi ?

Je pense qu'il faut mettre en place un tarif progressif de l'électricité, et non pas dégressif. Plus on consomme d'électricité, plus on doit payer cher. Certes, une telle mesure est antinataliste, mais tous ceux qui s'intéressent de près à la fiscalité savent très bien qu'une bonne taxe exclut les niches. Les situations particulières doivent être prises en compte grâce à des mesures particulières. Une bonne taxe sur l'énergie a une assiette large, n'admet pas de dérogations et donne de la visibilité. Quand on commence à faire des cas particuliers, c'est le début de la fin. La situation des familles nombreuses qui ont des difficultés à payer leur facture d'électricité doit être réglée en tant que telle, par exemple en leur versant directement une allocation par enfant.

Par ailleurs, pour le gaz et le pétrole, il faut bien sûr également mettre en place une taxe carbone. Pour l'électricité, le problème est largement réglé par le système européen des quotas d'émission de CO2. Cependant, ce dernier devrait être complété de deux façons.

Tout d'abord, l'application de la directive devrait, d'entrée de jeu, être prolongée jusqu'à la fin de vie des centrales électriques, afin de donner de la visibilité aux acteurs économiques jusqu'en 2050. Voilà vingt-cinq ans qu'ils me font vivre, je les connais donc bien : sans visibilité, ils ne font rien. Le grand paradoxe est qu'un acteur économique ne sait pas payer de lui-même sa prime d'assurance : il ne calcule pas l'espérance mathématique de ses pertes pour déterminer son action, et par conséquent, en l'absence de visibilité sur le prix auquel il achètera ses quotas d'ici à 2050, il ne fera rien !

La décision de prolonger la directive jusqu'en 2050 ne dépend pas des Français, mais elle peut éventuellement résulter du lobbying que les Français seraient avisés d'exercer à Bruxelles pour que soit affiché dès à présent un prix croissant dans le temps pour les quotas mis aux enchères. Tant que l'on manquera de visibilité s'agissant de la contrainte à venir pour des infrastructures qui durent cinquante ans et qui, notamment pour le nucléaire, demandent des immobilisations de capitaux pendant huit ans avant que ne soit produit le premier kilowattheure, il n'y aura rien à espérer de ces acteurs financiarisés que sont la quasi-totalité des producteurs d'électricité du Vieux Continent. La financiarisation a beaucoup raccourci les échéances. Bruxelles fait fausse route en préconisant une telle libéralisation : le système se porte beaucoup plus mal.

Le seul moyen de corriger à peu près les choses est de mettre en place des quotas avec un prix minimum d'enchères annoncé à l'avance et quarante ans de préavis. Cela n'interdit pas, ensuite, de moduler à la baisse ou à la hausse le rythme de l'augmentation du prix, mais il faut donner de la visibilité : c'est le maître mot dans le monde économique. Si le cadre fiscal change tous les quatre matins, il est à peu près certain qu'il n'en sortira rien de sympathique.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Cela ne peut se faire qu'au niveau européen ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Oui, c'est pourquoi je recommande un lobbying actif de la France à Bruxelles.

L'Allemagne prétend vouloir à la fois lutter contre le changement climatique - elle s'est dotée d'un plan très ambitieux à cet égard - et sortir du nucléaire. Soit, mais il lui faut des quotas très élevés : si elle s'en sort, tant mieux !

J'ai déjà répondu à votre question sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Selon moi, ils sont gérés en dépit du bon sens. Il faudrait plutôt mettre en place un dispositif transversal. J'en ai justement présenté un devant la Cour des comptes il n'y a pas longtemps : le coût à la tonne de CO2 évitée.

Supposons que l'on envisage de prendre une mesure dont l'effet escompté est d'éviter d'émettre du CO2 et, très accessoirement, d'importer des combustibles fossiles. Par exemple, il peut s'agir d'instaurer une prime à la casse pour les voitures ou une prime à l'installation des éoliennes. Cette mesure va déformer notre avenir : en comparant ce que serait celui-ci avec ou sans mesure, à la fois sur le plan de l'équation économique d'ensemble et sur celui des émissions de CO2, on déduit le coût à la tonne de CO2 évitée.

Ainsi, si l'on produit des panneaux photovoltaïques en France, le coût à la tonne de CO2 évitée est de l'ordre de 10 000 euros : il faut dépenser 10 000 euros d'argent public pour éviter l'émission d'une tonne de CO2. Si l'on produit de tels matériels en Chine, le solde est négatif, le temps de retour sur carbone pour un panneau fabriqué en Chine grâce à de l'électricité produite à partir de charbon chinois étant de l'ordre de trente ans, ce qui est supérieur à la durée de vie du panneau. Autrement dit, subventionner la production de panneaux photovoltaïques en Chine revient à subventionner une augmentation des émissions de CO2.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pourriez-vous reprendre cette explication ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Le panneau photovoltaïque chinois est fabriqué avec de l'électricité dont la production entraîne l'émission de 800 à 900 grammes de CO2 par kilowattheure, contre 130 ou 140 grammes de CO2 par kilowattheure pour un panneau fabriqué en France. Pour un kilowattheure d'électricité chinoise consommée pour fabriquer le panneau, il faut en récupérer 6 à 8 - c'est plutôt 8 - une fois qu'il a été installé en France.

Il se trouve que la quantité de kilowattheures nécessaire pour fabriquer un panneau représente de l'ordre de trois ans de fonctionnement de ce dernier. Comme il faut récupérer huit fois plus d'électricité en France que ce qui a été consommé en Chine pour la fabrication, on en arrive à vingt-quatre années de fonctionnement, et à trente en prenant en compte les équipements annexes. Le panneau fabriqué en Chine doit donc fonctionner trente ans pour que les émissions de carbone liées à sa fabrication soient compensées.

Par conséquent, quand on a subventionné le développement du photovoltaïque en France, on a subventionné un déséquilibre commercial, une non-création d'emplois dans notre pays et une hausse des émissions de CO2 !

M. Claude Léonard. - Tout à fait !

M. Jean-Marc Jancovici. - On a donc eu faux sur toute la ligne, sans même parler du déséquilibre des finances publiques ! Et je suis écologiste, c'est-à-dire soucieux de préserver un monde stable pour mes enfants, en termes aussi bien de climat que de ressources biologiques et énergétiques ! Le monde a toujours comporté des risques. L'idée d'un monde sans risques est une vue de l'esprit ; il faut simplement choisir les bons.

D'autres mesures que celle que je viens d'évoquer seraient efficaces, mais elles sont moins démagogiques.

Par exemple, augmenter le prix de l'essence est une mesure qui présente un coût à la tonne de CO2 évitée extrêmement intéressant. Par ailleurs, cela permettrait d'alléger le déficit de la balance commerciale - il a été de 70 milliards d'euros l'an dernier -, de créer de l'emploi en France et d'équilibrer les finances publiques.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je comprends qu'une augmentation du prix de l'essence puisse permettre d'améliorer les finances publiques, mais en quoi créerait-elle de l'emploi ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Parce qu'il faudra gérer un certain nombre de transitions, notamment en matière d'urbanisme.

L'urbanisme actuel ne résistera pas à une forte contrainte sur l'approvisionnement pétrolier, car une partie de la population vivant aujourd'hui dans les zones périurbaines sera mise hors du jeu économique, donc au chômage. Ce phénomène a déjà commencé : des poches de chômage apparaissent dans les zones périurbaines, par petites touches pour le moment, mais cette tendance va se renforcer.

Il faudra remplacer les voitures actuelles par des modèles de plus petite cylindrée. La mesure la plus efficace pour les trente prochaines années n'est pas de passer à la voiture électrique : c'est de remplacer des voitures qui consomment 6 litres de carburant aux 100 kilomètres par des 2 CV nouveau modèle, dont la vitesse plafonnera à 110 kilomètres à l'heure et la puissance moteur à 30 chevaux, qui pèseront 500 kilos et consommeront 1,5 litre aux 100 kilomètres. Nos ingénieurs sauront très bien concevoir de tels véhicules.

Si Renault et Peugeot se lancent dans la construction de ce genre de voitures, ce sera bénéfique pour l'emploi. Sans cela, ces sociétés feront faillite. Voyez General Motors, qui ne savait fabriquer que des voitures consommant 10 ou 15 litres aux 100 kilomètres au moment du choc pétrolier de 2008.

La TIPP a sauvé l'industrie automobile française, il faut le dire. En forçant pendant cinquante ans les constructeurs français à concevoir de petits moteurs et en amortissant les variations de prix du marché par des taxes qui dépendent des volumes et non des prix hors taxes, on a considérablement stabilisé le système.

Si je préconise une augmentation du prix de l'électricité, ce n'est pas pour faire de la peine au consommateur, c'est pour forcer le Français, qui n'en peut mais, à payer la prime d'assurance qui permettra de stabiliser le pays.

Nous serons certainement tous d'accord ici pour considérer qu'un pays qui n'est pas en paix est un pays dans lequel la prospérité est difficile à trouver. Il existe des situations qui sont des sources potentielles de conflits, y compris en France. Il peut s'agir aussi de guerres civiles larvées, d'émeutes, etc.

Le mécanisme de soutien aux différentes énergies renouvelables me paraît-il mal ciblé ? Oui. Il faudrait réaliser une étude préalable du coût à la tonne de CO2 évitée lorsque l'on envisage de prendre la moindre mesure budgétaire destinée à faire baisser les émissions de CO2. Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre de telles mesures, je dis qu'il faut procéder à une analyse préalable.

Enfin, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? J'ai déjà répondu par l'affirmative à cette question.

À mon avis, il faut lutter pour éviter les incohérences entre la liberté, pour les pays européens, de choisir leur politique d'investissements électriques et l'obligation, pour l'Union européenne, de répercuter les variations de coût résultant des différents choix nationaux sur l'ensemble de la plaque européenne. Autrement dit, si les Allemands prennent une décision qui entraîne une augmentation du prix de l'électricité chez eux, par le jeu du système qui a été mis en place, tous les États voisins en supportent les conséquences, ce qui n'est pas normal. Ou bien les pays européens définissent tous ensemble une politique commune et en partagent les coûts - cette option serait probablement mon premier choix -, ou bien chacun est libre de sa politique et en assume seul les coûts, sans que des interconnexions permettent par exemple aux Allemands d'importer de l'électricité quand ils décident de fermer leurs centrales nucléaires. C'est un principe de responsabilisation des États.

Si les États veulent conserver une marge de manoeuvre, ils doivent assumer la responsabilité correspondante. Sinon, il faut mutualiser et aller vers plus de fédéralisme, ce qui n'est probablement pas la plus mauvaise option.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous félicite, monsieur Jancovici, vous avez bien mené votre exposé. Très sincèrement, je ne savais pas très bien où vous alliez nous mener au début de cette audition ! (Sourires.)

M. Jean-Marc Jancovici. - J'ajouterai une dernière précision : il ressort implicitement de tout ce que j'ai dit que l'accès au capital privé, dans un monde qui connaîtra une récession tous les trois ans, va devenir considérablement plus difficile. En creux, cela signifie qu'une forme de renationalisation des systèmes électriques ne serait probablement pas une mauvaise idée.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions complémentaires ?

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Effectivement, monsieur Jancovici, votre discours s'écarte de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant. Je pense à votre préconisation d'augmenter le prix de l'électricité.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Elle ne me surprend pas !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous affirmez également qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre si l'on veut éviter un changement climatique qui nous conduirait à une récession importante. Cela signifie qu'il faut réduire la dépendance au pétrole par des économies d'énergie, ...

M. Jean-Marc Jancovici. - Essentiellement dans un premier temps.

M. Jean Desessard, rapporteur. - ... puis renforcer l'efficacité énergétique ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Également. Il y a un bon mix des deux à trouver.

Je prendrai un exemple. Des calculs ont été réalisés pour le compte d'EDF, que je suis autorisé à vous communiquer. L'optimum économique, dans le bâtiment, n'est pas de ramener la consommation d'énergie primaire à 50 kilowattheures par mètre carré et par an ; il est plutôt de l'abaisser aux alentours de 100 kilowattheures et d'augmenter la part de l'électricité au détriment du chauffage au gaz et au fioul, en isolant, mais sans excès. Ramener la consommation à 80 ou à 100 kilowattheures par mètre carré et par an est déjà une jolie performance pour un certain nombre de bâtiments, notamment dans l'ancien. Par ailleurs, passer au chauffage électrique n'empêche pas de faire des choix intelligents : on peut très bien recourir à des pompes à chaleur.

Grâce à un ensemble de telles mesures, on divise par six à huit les émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment et on diminue les importations de produits pétroliers et gaziers. De surcroît, c'est excellent pour l'emploi puisque cela donne du travail aux maçons. Le véritable défi est de revaloriser le travail manuel aux yeux de nos enfants. C'est très cohérent avec ce que j'ai dit précédemment : dans un monde où l'énergie sera plus rare, tout le monde ne pourra pas travailler dans un bureau, de plus en plus de gens vont devoir se remettre à transpirer ! (Sourires.)

Un mix entre les économies d'énergie, par l'isolation, et l'électrification, avec le recours à une électricité produite sans émissions de CO2, me paraît constituer le bon arbitrage.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous n'êtes pas opposé au nucléaire.

Mme Laurence Rossignol. - Non, vous y êtes même très favorable !

M. Jean-Marc Jancovici. - Tout à fait !

M. Jean Desessard, rapporteur. - En ce qui concerne les énergies renouvelables, en revanche, vous avez émis des réserves.

M. Jean-Marc Jancovici. - J'ai souligné que toutes les énergies renouvelables ne se valaient pas. Nous devons être sélectifs et employer un critère de bonne gestion. Si la contrainte doit nous mettre dans une situation financière difficile, il faut faire particulièrement attention à l'efficacité de la dépense budgétaire. Installer un poêle à bois dans une maison de campagne, après l'avoir isolée, ou un chauffe-eau solaire est une excellente idée, mais poser partout dans le pays des panneaux photovoltaïques est une idée saugrenue ! Il faut donc être sélectif et bien savoir pourquoi on prend telle décision plutôt que telle autre.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Êtes-vous favorable à un renouvelable de proximité ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Ça dépend. Pour l'électricité, ça n'a pas de sens, mais ça en a pour la chaleur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Le chauffe-eau solaire est tout de même fabriqué en Chine !

M. Jean-Marc Jancovici. - Il peut très bien être fabriqué en France, à condition que l'on accepte de le payer plus cher. C'est une affaire de choix : le malheur du consommateur fait le bonheur du salarié, et inversement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous avez très bien démontré tout à l'heure qu'en subventionnant le photovoltaïque, on favorisait le déficit commercial et l'emploi en Chine au détriment de l'emploi en France, ainsi que la production de CO2. Cette démonstration vaut également pour le chauffe-eau solaire !

M. Jean-Marc Jancovici. - Tout dépend du système d'incitation mis en place.

Même pour le photovoltaïque, le prix du système posé varie du simple au triple selon les pays. La France est un pays de profiteurs, les effets d'aubaine sont absolument monstrueux. Encore une fois, tout dépend de la manière d'organiser le système. Si l'on importe des chauffe-eau solaires de Chine pour un montant inférieur au coût du gaz nécessaire pour produire l'eau chaude sanitaire, c'est une bonne affaire. Je ne prétends pas être dès à présent capable d'établir une liste exhaustive et régionalisée des bonnes mesures. En revanche, je sais comment déterminer la bonne réponse en fonction de la zone géographique considérée et de ce que l'on veut faire.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Quoi qu'il en soit, j'ai apprécié votre démonstration. Ce n'était pas le sujet, mais je regrette que nous ne vous ayons pas questionné davantage sur le transport.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Il a parlé des petites voitures !

M. Jean-Marc Jancovici. - En ce qui concerne le transport, il faut augmenter le prix de l'essence et, dans le même temps, planter des « banderilles » dans le dos des constructeurs pour les inciter à réduire la consommation moyenne de leurs véhicules.

Je vais vous livrer un calcul d'ordres de grandeur qui vous intéressera peut-être. Le coût des investissements pour les infrastructures au titre du projet du Grand Paris sera à peu près de 60 milliards d'euros, avant que n'intervienne le fameux « facteur ð », entre le budget prévisionnel et le coût réel.

Par parenthèse, Mme Cécile Duflot, qui s'exprimait l'autre jour sur une chaîne de radio, a posé une question qui m'a fait sourire : qu'est-ce qui coûte finalement le double de ce qui était initialement prévu, à part l'EPR ? La réponse est simple : tout prototype industriel ! Cela est vrai aussi dans le domaine du développement des logiciels.

Pour en revenir au Grand Paris, cette dépense d'environ 60 milliards d'euros débouchera, selon nos calculs, sur un déplacement de l'ordre de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée des Franciliens...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Explication ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Soit l'on implante des lignes de transport en commun dans des zones denses, où déjà très peu de gens utilisent leur voiture, et l'on obtient essentiellement un report modal pour des personnes qui ne se déplaçaient pas en voiture, ainsi que de l'induction de trafic : des gens profitent de l'existence d'un moyen de transport en commun en bas de chez eux pour aller se balader alors que sinon ils seraient restés à la maison ! Dans ce schéma, le vrai report modal au détriment de la voiture est marginal.

Soit l'on implante des moyens de transport en commun dans des zones peu denses - par exemple on construit une station de métro sur le plateau de Saclay, au milieu de la pampa -, et alors on n'attire personne, le rayon de la zone d'attraction d'une gare n'étant que de un à deux kilomètres. Les habitants d'une zone peu dense ont tous une voiture et la nouvelle offre de transports en commun ne les attirera guère.

Soit dit en passant, le projet de desserte par le métro du plateau de Saclay aura pour premier effet d'accroître les constructions à usage tertiaire dans cette zone. Le métro n'étant pas encore construit, les résidants se déplaceront en voiture. Le jour où la construction du métro sera achevée, ils ne déménageront pas pour aller s'installer ailleurs. Un tel projet était probablement une très bonne idée en 1930 ou en 1940, mais il est totalement anachronique aujourd'hui.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous parlez du projet du Grand Paris pour les transports ?

M. Jean-Marc Jancovici. - Les projets prévus pour la petite couronne sont intelligents, ceux qui concernent la grande couronne ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux. C'est donc du gaspillage d'argent public. Je le répète, pour un coût de 60 milliards d'euros, on obtiendra un déplacement de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée.

Je reprends maintenant l'exemple des petites voitures à faible consommation. Si, après avoir poussé Renault et Peugeot à produire des 2 CV consommant 1,5 litre aux 100 kilomètres, on instaure une prime à la casse couvrant la totalité du prix d'achat d'un tel véhicule - 10 000 euros - au bénéfice de tous les ménages franciliens qui mettront à la casse leur voiture qui consomme 6 litres aux 100 kilomètres, la dépense totale sera de 60 milliards d'euros, puisque l'on compte 6 millions de voitures en Île-de-France.

Pour la même somme, dans le premier cas, on change la vie de 3 % des utilisateurs de voiture ; dans le second, on change la vie de tous les automobilistes. Si l'on veut éviter que, dans le même temps, les recettes de la TIPP ne s'effondrent parce que la consommation de carburant aura été divisée par trois, il faut multiplier le prix de l'essence par trois. (M. le président sourit.)

Avec une telle mesure, on résout le problème posé à urbanisme constant, car ce n'est pas en dix ans que l'on peut faire déménager des gens depuis des banlieues lointaines : il faut de cinquante à cent ans pour modifier la forme des villes.

Pour répondre à la contrainte pétrolière qui commence à s'exercer aujourd'hui et qui deviendra particulièrement prégnante dans les dix à quinze prochaines années, la seule possibilité est de diminuer très rapidement, à technologie constante, la consommation unitaire des véhicules.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. - Je vous ai trouvé très sévère à l'égard des éoliennes et du caractère intermittent de leur production électrique. Mon département en compte environ 200, et quelques installations vont encore être réalisées. Je le traverse trois ou quatre fois par semaine, grâce à une voiture qui ne consomme pas 1,5 litre aux 100 kilomètres, et je vois rarement ces éoliennes à l'arrêt. Se mettent-elles systématiquement en marche lorsqu'elles me voient arriver ? (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il y a des chiffres officiels.

M. Jean-Marc Jancovici. - Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la production électrique injectée sur le réseau est fonction du cube de la vitesse du vent. Si la vitesse de rotation des pales double, la puissance injectée sur le réseau est multipliée par huit. Or nous avons du mal à apprécier la vitesse de rotation avec nos sens.

M. Claude Léonard. - Effectivement, mais il faudrait le faire savoir au grand public, qui ignore ce fait et raisonne selon une logique du tout ou rien : soit les éoliennes tournent, soit elles ne tournent pas.

M. Jean-Marc Jancovici. - Voici un début de réponse à votre question.

(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 25.)

Des physiciens, au terme d'un long travail de fourmis, de telles informations n'étant pas centralisées, ont récupéré auprès de RTE et de plusieurs autres transporteurs d'électricité européens la puissance injectée sur le réseau par l'ensemble des éoliennes d'Espagne, d'Allemagne, de France, de Grande Bretagne, et du Danemark, le pas de temps étant l'heure, si ma mémoire est bonne.

Soit une dépression est installée sur l'Atlantique et toutes les éoliennes produisent, qu'elles soient en Allemagne, en Espagne, en France, au Royaume-Uni, etc. ; soit un anticyclone est installé sur l'Atlantique, et il ne souffle qu'un peu de vent résiduel sur Gibraltar ou dans le couloir rhodanien. Ce graphique montre que, en moyenne, sur les six mois considérés, la puissance injectée ne dépasse jamais la moitié de la puissance installée, qui est de 65 000 mégawatts. Il montre également que la puissance garantie ne représente qu'un petit pourcentage de la puissance installée. L'intermittence induite, qui doit être compensée soit par des centrales hydrauliques, soit par des centrales à gaz, apparaît clairement.

Les Espagnols ont opté pour des centrales à gaz, ce qui leur coûte maintenant très cher en importations de gaz et en émissions de CO2. Ils publient de très beaux communiqués de presse quand c'est la production éolienne qui domine, mais la production des centrales à gaz est trois fois plus souvent dans ce cas !

Les Allemands ont choisi de compenser avec des centrales à charbon. Quant aux Danois, ils ont trouvé une solution géniale. Quand le vent souffle, comme le pays est trop petit pour absorber sa propre production éolienne, il l'exporte vers les pays avec lesquels il est interconnecté, c'est-à-dire l'Allemagne et la Norvège. Le Danemark devant absolument se débarrasser de cette électricité pour sauvegarder l'équilibre du réseau électrique, il est prêt à la vendre à n'importe quel prix. À quel prix croyez-vous que la Norvège est disposée à la payer ? À un prix qui reflète le coût de production marginal d'un barrage, soit le coût des trois minutes de travail nécessaires aux ouvriers norvégiens pour ouvrir et fermer le « robinet »... Les Danois ont donc subventionné une industrie qui vend à l'exportation à un coût marginal quasiment nul. En revanche, lorsque le vent ne souffle pas et qu'ils ont besoin d'électricité, ils en achètent au producteur norvégien, qui leur fait payer le prix fort puisqu'il s'agit d'électricité de pointe !

Voilà pourquoi les Danois ont finalement mis fin aux subventions à l'éolien, qui profitaient en réalité au producteur d'électricité hydraulique norvégien. Les Norvégiens, eux, sont ravis et tout à fait favorables à l'électricité d'origine éolienne, comme, du reste, les vendeurs de gaz ! J'ai assisté, en marge de la conférence de Copenhague sur le changement climatique en décembre 2009, au meeting de l'International Gas Union. J'étais certainement le seul Français présent dans la salle et je n'ai pas aperçu un seul journaliste. Je puis vous garantir que les gaziers, tous en coeur, ont plébiscité l'éolien ! (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il nous reste à vous remercier et à vous féliciter de votre prestation, monsieur Jancovici.

Mercredi 21 mars 2012

- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président -

Audition de M. Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie beaucoup, monsieur Chabannes, d'avoir accepté notre invitation. Cela dit, vous n'aviez pas le choix ! Certes, je n'aurais pas demandé à deux gendarmes de vous amener de force, mais on ne peut pas refuser de venir à l'audition d'une commission d'enquête parlementaire. (Sourires.)

Je vous indique que cette commission d'enquête a été créée, à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité.

Le rapporteur est membre du groupe écologiste et, pour respecter les usages de la Haute Assemblée en matière d'équilibre politique, le président de la commission est membre du groupe UMP.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et son compte rendu intégral sera publié.

Je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Laurent Chabannes prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président.- M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire, dont il va rappeler les termes. Je vous demanderai de bien vouloir y répondre dans un laps de temps convenable de manière à ce que nos collègues puissent s'exprimer.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Chabannes, permettez-moi de rappeler les quatre séries de questions que je vous ai adressées.

Première question : la fin du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TaRTAM, a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?

Deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - sont correctement imputés aux différents agents économiques ?

Troisième question : selon vous, quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives d'un développement important des énergies renouvelables et quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?

Quatrième et dernière question : quels moyens vous semblent à même de réduire la demande de pointe ?

M. Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies. - Je vous remercie beaucoup, sinon de nous avoir « invités », d'avoir souhaité nous consulter. J'avais pris quelques précautions en demandant à mon avocat quels étaient mes devoirs et mes droits. J'étais donc prévenu de ce qu'il en était. (Sourires.)

Tout d'abord, permettez-moi de vous faire une présentation rapide de l'UNIDEN, l'Union des industries utilisatrices d'énergie, avant d'évoquer la problématique des électro-intensifs.

L'UNIDEN représente les industries consommatrices d'énergie en France, pour lesquelles la maîtrise des coûts énergétiques constitue un facteur important, souvent essentiel, de compétitivité. Pour certaines de ces industries, l'électricité représente 20 %, 30 % dans le cas de l'aluminium, voire 70 % dans le cadre du chlore, du coût de revient. L'électricité est donc, pour elles, une véritable matière première stratégique. Avec de tels niveaux, l'efficacité énergétique est évidemment un objectif ancien et permanent de toutes nos industries, et nous n'avons jamais cessé de chercher à l'améliorer.

Les 41 membres que compte l'UNIDEN représentent environ 70 % de la consommation énergétique industrielle en France - si on l'évalue à 100 térawattheures, l'UNIDEN en représente 70 - et sont présents dans l'agro-alimentaire, l'automobile, la chimie, les ciments et chaux, l'électronique, les métaux, le papier, le verre... Il est à noter que tous les procédés électrochimiques et électrométallurgiques sont particulièrement électro-intensifs.

Je dirai un mot de ce qui s'est passé depuis plus de dix ans.

Historiquement, les membres de l'UNIDEN ont été les premiers à militer pour la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe. Ils ont donc été les premiers à sortir des tarifs réglementés, dès 1999.

Ils ont également été les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur les dysfonctionnements du marché de l'électricité, où l'électron est considéré comme une commodity, ces dysfonctionnements ayant eu des conséquences très graves pour nous : une spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production ; un alignement par le haut des offres de fourniture électrique ; une impossibilité de contracter à long terme et, au final, une absence de réelle concurrence, le monopole sous le contrôle de l'État ayant été remplacé par un petit monopole incontrôlé.

Face à ces dysfonctionnements, le législateur français a réagi.

À cet égard, je rappellerai toutes les décisions importantes qui ont été prises.

Ainsi, a été mis en place le dispositif qui a donné naissance à Exeltium - loi de décembre 2005 et décret de mai 2006. Après deux années d'âpres débats avec la direction de la concurrence à Bruxelles, il a obtenu le feu vert de la Commission européenne en 2008.

Ensuite, en décembre 2006, a été instauré le TaRTAM, dont ont pu bénéficier les membres de l'UNIDEN au cours de ces dernières années et qui a été prorogé à plusieurs reprises.

Le TaRTAM ayant été remis en cause par la Commission européenne, qui y voyait une aide d'État potentielle - souvenons-nous de la menace extrêmement sérieuse qui pesait alors -, la France a adopté l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, qui permet aux concurrents d'EDF d'accéder au coût réel du parc nucléaire historique.

Les consommateurs français peuvent donc bénéficier, avec l'approbation de Bruxelles, de ce parc nucléaire historique, qui est aujourd'hui en très grande partie amorti. C'est un beau résultat, que l'UNIDEN salue.

Enfin, le profil de consommation de nos membres présente deux intérêts majeurs pour le système électrique français. La plupart du temps, ils sont réguliers et prévisibles : nous sommes donc les partenaires naturels d'une production en base, qu'elle soit d'origine nucléaire ou hydraulique. En outre, par l'effacement, les industriels consommateurs d'électricité peuvent réduire leur consommation d'électricité à la demande et soulager le réseau en période de pointe ; mais nous reviendrons ultérieurement sur cette question.

À l'instar de ce qui se pratique ailleurs dans le monde et parfois dans les pays voisins, les industriels électro-intensifs français ont besoin, pour survivre, que soient actionnés quatre leviers : l'accès durable au parc nucléaire historique aux conditions définies par la CRE, sur la base des recommandations du rapport Champsaur ; une rémunération compétitive de leurs capacités d'effacement, de modulation et d'interruptibilité ; la non-participation aux coûts de développement des énergies renouvelables et la mise à l'abri du risque carbone.

J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été transmises.

La fin du TaRTAM a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?

Tout d'abord, il convient de rappeler que le TaRTAM a été fixé en 2007 à un prix supérieur de 23 % à celui des tarifs réglementés. Dès 2007, l'industrie a payé son électricité à un prix qui était déjà plus élevé que celui que paient les particuliers.

Par ailleurs, il faut avoir à l'esprit - ce sujet est techniquement complexe - qu'il n'y a pas un TaRTAM, mais un prix TaRTAM spécifique à chaque site industriel, comme c'était le cas pour les tarifs réglementés.

Cela posé, concernant l'ARENH, l'article 1er de la loi NOME dispose que « le prix est initialement fixé en cohérence » avec le TaRTAM. Cette cohérence théorique initiale avec le TaRTAM a duré au maximum six mois, jusqu'au passage à 42 euros par mégawattheure, en janvier 2012. La cohérence entre le TaRTAM autour de 40 euros par mégawattheure pour un site vert et l'ARENH de juillet 2011 est vraiment apparente et très brève.

Pour connaître l'impact réel du passage à l'ARENH, l'UNIDEN a mené auprès de ses membres une étude portant sur 47 sites industriels représentant une consommation annuelle totale de 12 térawattheures. Cette étude, qui a été finalisée au début de l'année 2012, a été réalisée avec beaucoup de sérieux et de manière détaillée. Nous avons comparé, d'une part, le niveau du TaRTAM entre juillet 2010 et juin 2011 et, d'autre part, le coût d'approvisionnement sous le régime de l'ARENH en 2012.

Sans entrer dans le détail des hypothèses de calcul, que nous tenons à la disposition de votre commission, je rappelle que le coût d'un « approvisionnement ARENH » intègre un certain nombre de frais : la marge commerciale du fournisseur, le coût de la garantie bancaire et des délais de paiement à EDF.

Je vais vous livrer les résultats, que nous avons d'ailleurs communiqués à la CRE, qui cherche à élargir cette analyse.

Sur les 47 sites, 13 sites sont gagnants et 34 sites sont perdants. Ce sont les sites les plus importants qui sont aussi le plus défavorablement impactés. La hausse a été très forte puisqu'elle a été de 6 % en six mois seulement.

Et si l'on intègre la part transport et les taxes, on dénombre 41 sites perdants, avec une hausse de 7 %.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pour tout le monde ?

M. Laurent Chabannes. - Bien sûr !

Notre étude a en outre révélé l'élément suivant.

Alors que la construction tarifaire qui fondait encore le TaRTAM permettait aux sites importants qui consomment en base de bénéficier de prix plus compétitifs, donnant ainsi un signal favorable aux consommateurs en base que nous sommes, avec les vertus que cela implique et que j'ai rappelées, l'ARENH, même calculé sur la base de la consommation en heures creuses, ne permet pas de valoriser de la même façon ce type de profil. En conséquence, les sites qui bénéficiaient des TaRTAM les plus bas ont subi les hausses les plus fortes.

À cet égard, on ne peut pas dire que la « cohérence TaRTAM » ait été envisagée « du point de vue du consommateur final », comme le recommandait le rapport Champsaur.

J'en viens au niveau de l'ARENH et à l'évolution de son prix.

Tout le monde a juré de dire la vérité, mais j'entends beaucoup de chiffres circuler. Aussi, je me finis par me demander où se trouve la vérité...

Je considère que nous n'avons pas, à notre niveau, d'expertise particulière. Notre point de vue relève de la lecture de tout ce qui a été porté à notre connaissance, ainsi que de nos expériences contractuelles, acquises à la lumière de la vie quotidienne de nos industries.

J'observe que l'évolution du prix de l'ARENH doit toujours correspondre à sa définition, à savoir refléter « les coûts du parc électronucléaire historique ».

Pour ce faire, l'ARENH doit intégrer les dépenses courantes d'exploitation, d'entretien courant, ce qui a été décidé concernant la mise à niveau « post-Fukushima », c'est-à-dire les investissements qui s'avèrent nécessaires au vu de cette catastrophe, ainsi que le provisionnement du démantèlement et du retraitement des déchets.

Quant à la prolongation de la durée de vie, elle ne pourra intervenir que lorsqu'elle aura été décidée par l'Autorité de sûreté nucléaire et que les coûts auront été constatés par la CRE.

Par ailleurs, lorsque le remplacement du parc nucléaire existant interviendra - et s'il intervient comme nous l'espérons -, il ne doit pas être financé par l'ARENH, sauf à retirer le « H » à la fin de cet acronyme.

M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est ce qui est prévu !

M. Laurent Chabannes. - En effet ! Mais les propos que j'entends ne respectent pas toujours exactement cette philosophie !

L'UNIDEN rejoint les analyses convergentes du rapport Champsaur de mars 2011 et de la CRE dans sa délibération du 5 mai 2011, à savoir un prix de l'ARENH compris entre 36 et 39 euros par mégawattheure.

Des chiffres circulent, qui ajoutent plutôt à la confusion. Or, nous, nous avons besoin de clarté et de prévisibilité.

Le coût de 49,5 euros par mégawattheure mentionné par la Cour des comptes sur la base des chiffres et de la méthode économique d'EDF ne nous semble pas pertinent pour parler de l'ARENH. Ce coût ne rejoint pas les objectifs sous-tendus par l'ARENH. La Cour des comptes reconnaît que le parc nucléaire est en grande partie amorti, expliquant que « l'essentiel de l'amortissement a été concentré sur les exercices de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix ». La Cour des comptes ajoute que, à partir des bilans d'EDF, elle évalue la valeur nette comptable du parc d'EDF à 17,9 milliards d'euros. Pour nous, il n'y a pas de débat sur ce point.

La méthode du coût courant économique citée - et non pas recommandée - par la Cour des comptes équivaut à appliquer à un parc qui est, comme on vient de le voir, en grande partie amorti, et sur lequel l'essentiel du capital a déjà été rémunéré, des coûts correspondant à la construction du même parc aujourd'hui. Or il ne s'agit pas de cela, pas plus qu'il ne s'agit d'intégrer le financement d'un futur parc. La question se posera quand l'échéance sera venue, en fonction de la durée de vie des centrales nucléaires existantes - cinquante ou soixante ans, selon nous - et de l'évolution de la consommation électrique de notre pays.

D'ailleurs, la CRE a montré l'inadaptation de cette méthode au calcul du prix de l'ARENH. « Se plaçant hors du débat tarifaire », la Cour des comptes n'a pas voulu trancher sur la pertinence du coût courant économique appliqué à l'ARENH.

L'UNIDEN demande que soit vraiment clarifiée la méthode utilisée pour faire évoluer le prix de l'ARENH. Vous imaginez bien les décisions que doivent prendre nos membres. Nous attendons le décret fondateur. Nous appelons de nos voeux le début des travaux menés sous l'égide de la CRE et nous affichons notre confiance dans la pertinence du modèle de calcul retenu par la CRE.

À ce stade, nous nous bornons à observer que le niveau de 36 euros est aussi légitime que celui de 39 euros. Je rappelle tout de même que c'est un choix comptable qui fait passer d'un niveau à l'autre.

Une autre variable est essentielle aux yeux des membres de l'UNIDEN, à savoir l'évolution des volumes disponibles pour les industriels via l'ARENH.

Au-delà de l'ARENH, permettre aux industriels d'accéder, via des engagements de long terme, à des moyens de production hydroélectrique ou nucléaire serait de nature à favoriser le maintien, voire le développement, d'activités électro-intensives en France.

Après tout ce que nous avons entendu récemment, nous souhaitons que soit examinée la possibilité pour les industriels de financer les investissements de prolongation, ou certains d'entre eux, à hauteur de leurs besoins, ce qui leur permettrait d'accéder durablement au coût du parc nucléaire historique.

Autrement dit, les industriels capteraient les droits d'usage sur une partie du parc nucléaire historique, à charge pour eux de financer les investissements de prolongation.

Ce pourrait être de la responsabilité des industriels, et non pas de celle des particuliers. (M. le rapporteur fait une moue dubitative.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est un message du président de l'UNIDEN au président de la commission, qui est très favorable à cette proposition ! (Sourires.)

M. Laurent Chabannes. - C'est vrai !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Il me manquait un maillon pour comprendre...

M. Laurent Chabannes. - J'aborderai maintenant la question de la compétitivité électrique de la France.

Si l'on regarde avec un oeil acéré certaines régions du monde - les plus pertinentes à nos yeux sont celles où se situent souvent les centres de production des industries électro-intensives -, à savoir l'Amérique du Nord, la Chine, les pays du Golfe, l'Australie, force est de constater que des décisions politiques ont été prises dans toutes ces régions pour favoriser le développement et/ou le maintien d'industries électro-intensives. Ce sont des arbitrages politiques qui ont été retenus.

En Amérique du Nord, il y a des valeurs publiques. Ainsi, aux États-Unis et au Québec, il existe des tarifs ou des prix de gré à gré réservés aux industries visant à les faire bénéficier du patrimoine énergétique local quand elles sont très sensibles au prix de l'électricité. Il existe un tarif patrimonial au Québec. Je ne cite pas son prix, qui est basé sur l'hydroélectrique du Québec ; il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision politique tendant à favoriser le maintien ou le développement d'activités industrielles sur ce territoire.

Il en est de même en Chine, grâce à l'accès à un prix de charbon très compétitif, que j'appellerai aussi « patrimonial ». Mentionnons, au passage, que les consommateurs chinois ne paient pas de composante C02. Toute la production de l'aluminium en Chine se développe pour l'essentiel avec des centrales au charbon.

C'est aussi le cas dans certains pays du Golfe, grâce à une production d'électricité à partir de gaz patrimonial. Le prix du gaz facturé aux industriels est de 1,5 dollar par million de Btu, alors que l'Europe achète son gaz entre 8 et 10 dollars par million de Btu. Les pays du Golfe ne paient pas de composante C02. Il y a donc bien un arbitrage entre le fait de vendre du gaz sur les marchés des pays développés et celui de développer une industrie locale. Ils pourraient parfaitement vendre le gaz, le liquéfier, le transporter, le regazéifier et obtenir un prix du gaz supérieur à 1,5 dollar. Ils procèdent autrement, en développant une industrie locale.

Pour notre part, nous souhaitons pouvoir accéder durablement aux prix de l'ARENH, avec des perspectives qui soient clarifiées, même si ces prix sont supérieurs aux prix pratiqués dans les zones que je viens de mentionner.

En effet, en fonction de l'électro-intensivité de nos activités, le prix de la fourniture électrique n'est pas le seul critère pour un groupe industriel qui décide d'implanter une usine, d'investir dans des installations existantes, voire de suspendre ou de reprendre la production. Au-delà du prix, il existe d'autres critères tels que la non-sensibilité au risque carbone, la disponibilité d'une production électrique de base de forte puissance et la prévisibilité du tout. Ces critères ont aussi, à nos yeux, de la valeur.

La production d'électricité nucléaire française répond à chacune de ces exigences. C'est pourquoi nos industries, dont la consommation électrique est à la fois prévisible à moyen et long terme et souvent « plate », sans à-coup, constituent un partenaire économique et stratégique idéal pour le parc nucléaire en France, comme elles le sont de la production hydroélectrique à très grande échelle au Canada ou dans certains pays du nord de l'Europe, telles la Norvège et l'Islande.

La production électronucléaire est essentielle à la compétitivité électrique de la France. Le pire des signaux qui puisse être envoyé aux industriels est que la France envisage de réduire sa production nucléaire. Les dividendes du choix nucléaire sont encore devant nous. Ainsi, la Cour des comptes a conclu « que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d'amortir les investissements sur un plus grand nombre d'années. D'autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d'investissement dans de nouvelles installations de production. »

Je ne vous surprendrai pas en disant que l'UNIDEN souhaite la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires de quarante à soixante ans. C'est la décision la plus rationnelle dans la situation énergétique et économique de notre pays.

Je pense avoir évoqué tous les points en réponse à la première question que vous m'avez posée, monsieur le rapporteur. Mais si vous voulez aborder d'autres points, j'essaierai de vous répondre.

J'en viens à votre deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les industriels électro-intensifs ?

Je répéterai un peu ce que j'ai déjà dit : la politique énergétique est une clé essentielle de la politique économique et industrielle d'un pays. Elle devrait donc être tournée vers la recherche de la meilleure combinaison entre compétitivité et risques du site France.

Il est très important que soient proposés aux différents acteurs des mécanismes adaptés à leur situation propre et aux objectifs industriels et écologiques du pays.

Les industriels électro-intensifs ont quatre particularités, que j'ai déjà mentionnées : le prix de l'électricité est une composante essentielle de leurs coûts ; ils ont un profil de consommation prévisible et régulier ; ils sont soumis à une concurrence mondiale et ils sont donc délocalisables.

Toute décision de politique énergétique et fiscale les concernant devrait tenir compte de ces particularités.

On cite souvent l'exemple allemand, en mettant en valeur sa réussite industrielle malgré un prix de l'électricité plus élevé qu'en France. À cet égard, je voudrais vous donner quelques informations parce que nous avons approfondi ce sujet pour qu'il ne donne pas lieu à des discours quelque peu évanescents et qu'on en parle au contraire en se fondant sur des faits précis.

Nous avons donc étudié la situation de nos homologues allemands, dont certaines usines appartiennent aux mêmes groupes que les nôtres. Il en ressort qu'une batterie de dispositifs permet d'amortir très largement la facture électrique des industries consommatrices allemandes.

S'agissant du coût du transport - part fixe et part variable, hors taxes et contribution -, les sites industriels allemands petits et moyens, c'est-à-dire de 5 à 20 mégawatts, paient en moyenne la moitié de ce que paient leurs homologues français.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pour la part transport ?

M. Laurent Chabannes. - Oui.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est-à-dire combien ?

M. Laurent Chabannes. - 5 euros par mégawattheure en Allemagne, contre 10 euros en France.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est le prix du transport ?

M. Laurent Chabannes. - Oui !

Pour les sites industriels plus importants, de 40 mégawatts et au-delà, le niveau est, en théorie, à peu près équivalent entre les sites français et allemands. Toutefois, les gros sites industriels allemands bénéficient d'un taux d'exemption de ces frais de transport qui peut atteindre 80 %.

On est dans des zones de coûts de transport qui sont inférieurs à 5 euros par mégawattheure, mais il y a encore un bonus très important qui est accordé aux consommateurs allemands sur la part des frais de transport, laquelle est plus faible quand la puissance est élevée.

Considérons maintenant les taxes et contributions acquittées sur la facture du transport : contribution tarifaire d'acheminement et CSPE (contribution au service public de l'électricité) en France ; surcharges compensatoires des exemptions et EEG - c'est l'équivalent allemand de la CSPE - pour le financement des renouvelables en Allemagne.

L'EEG est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour la plupart des industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros par mégawattheure pour les consommateurs domestiques. En France, le niveau de la CSPE est le même pour les consommateurs domestiques et industriels, à savoir 10 euros par mégawattheure, mais les industriels bénéficient d'un plafond. Toutefois, à y regarder de près, ce plafond ne comble pas le différentiel favorable aux industries allemandes, même si c'est bien entendu fonction de la puissance. À titre d'exemple, un site français de 60 mégawatts consommant en continu, avec le plafond de 550 000 euros, paie encore 1 euro de CSPE par mégawattheure, soit deux fois plus qu'en Allemagne. Autrement dit, même un site qui bénéficie presque à plein du plafond paie plus cher qu'en Allemagne.

Quant à la contribution censée compenser les exemptions de frais de transport, de 1,61 euro par mégawattheure, elle est elle-même réduite à 0,5 euro par mégawattheure à partir de 100 mégawattheures de consommation annuelle - un niveau très vite atteint dans nos industries -, voire de 0,25 euro pour les industriels dont la facture électrique excède 4 % du chiffre d'affaires.

En conséquence, en Allemagne, les sites petits et moyens paient, sur le poste taxes et contributions, cinq à dix fois moins qu'en France ; les sites plus importants paient environ 50 % de moins en Allemagne.

Au total, si l'on considère la facture transport toutes taxes comprises, les sites petits et moyens paient trois à quatre fois moins en Allemagne ; pour les sites importants, le plafond de CSPE appliqué en France permet de réduire le déficit en défaveur de la France, mais la facture reste 20 % moins lourde en Allemagne qu'en France. Il ne faut donc jamais oublier que, au-delà de la façade, les Allemands agissent en prenant des mesures pour favoriser leur industrie.

Je ferai un dernier point de comparaison.

L'électricité allemande est beaucoup plus carbonée, si je puis dire, que l'électricité française. C'est un fait, mais cela ne se traduira pas pour autant par une perte de compétitivité pour l'Allemagne. En effet, la directive 2009/29/CE relative au système d'échange de quotas d'émissions de CO2 reconnaît la menace de délocalisations industrielles de l'Europe vers les pays non soumis à un système comparable, ce qu'on appelle le risque de fuite de carbone. Elle autorise donc la compensation financière par les États, avec des effets directs sur l'industrie, liés à l'augmentation du coût de production dû à l'achat de quotas, mais aussi avec des effets indirects, liés à l'augmentation des prix de l'électricité, incorporant le coût des quotas achetés par les électriciens.

L'Allemagne prévoit ainsi d'ores et déjà une vaste redistribution aux industriels de la manne résultant de la mise aux enchères par l'État fédéral des quotas de CO2 aux producteurs d'électricité. Tout impact négatif sera ainsi compensé.

On en arrive à la situation paradoxale où l'Allemagne sera autorisée à compenser les surcoûts liés à la teneur carbone de leur électricité, alors que la France, dont l'électricité est décarbonée, ne pourra y prétendre, et ce même si le prix de marché intègre une part carbone - c'est le cas actuellement.

Pour conclure sur ce sujet, je dirai que l'Allemagne a mis en place des mesures qui amortissent considérablement les conséquences du choix énergétique allemand pour ses industries, un choix d'ailleurs cohérent avec ses réserves de lignite - l'Allemagne possède, selon les estimations, 250 à 350 années de réserve -, des réserves dont la France ne dispose absolument pas.

Pour répondre à la question du signal-prix, le seul signal-prix à adresser aux industriels est celui de la compétitivité de leurs activités. Les efforts d'efficacité énergétique sont déjà anciens et restent permanents. En témoignent les efforts engagés dans l'industrie du verre ou dans l'industrie de l'aluminium. Si vous examinez la consommation spécifique par tonne produite - je pourrai vous donner ces informations précises -, vous constaterez que, depuis vingt ans, elle n'a cessé de décroître.

M. Jean Desessard, rapporteur. - J'aimerais avoir des éléments d'information sur l'efficacité énergétique.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous acceptons très volontiers que vous nous fournissiez une comparaison précise entre entreprises allemandes et françaises de verre et d'aluminium, les deux secteurs dans lesquels l'électricité est la première matière première. Notre rapporteur en tirera profit.

M. Laurent Chabannes. - Nous vous les ferons parvenir.

Avant la libéralisation, on avait coutume de dire que les clients domestiques « subventionnaient » les consommateurs industriels alors même que l'égalité de traitement de la loi de 1946 s'appliquait rigoureusement dans le calcul des tarifs réglementés de vente.

Avec la sortie des tarifs, puis le TaRTAM, supérieur de 23 % au tarif réglementé, puis avec l'ARENH, dont le niveau dépasse de très loin le tarif bleu, ce sont bien les industriels qui subventionnent les domestiques. Cela ne nous semble pas aller dans le bon sens. Il ne s'agit pas d'un signal-prix très clair, adapté aux comportements de consommation.

À cet égard, je ferai un petit clin d'oeil. Si, comme le disait ici même le président d'EDF, les modes de production intermittents et aléatoires induisent un surcoût de 20 euros par mégawattheure, une consommation erratique devrait, elle aussi, être facturée plus cher qu'une consommation de base, ce qui n'est pas le cas.

De même, il nous semble intéressant de rappeler ici que les exportations d'électricité ne paient pas le transport : là encore, il n'est pas certain que le signal-prix soit le bon.

La répartition des coûts de l'électricité entre les différents acteurs constitue une décision politique, comme le montre l'exemple allemand, mais comme le montrent aussi la plupart des puissances industrielles dans le monde.

Voilà pour cette deuxième question.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Venons-en à la question des énergies renouvelables.

M. Laurent Chabannes. - J'ai omis de mentionner, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que le rapport Énergies 2050 de MM. Mandil et Percebois retient deux catégories devant faire l'objet d'une attention particulière : les consommateurs précaires et les consommateurs industriels. Vous me direz qu'on va reporter tout l'effort sur ceux qui ne sont ni précaires ni industriels ! C'est un peu cela que nous sommes en train d'expliquer...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous auditionnerons prochainement ces deux personnes !

M. Laurent Chabannes. - J'en viens à la troisième question : quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?

Au travers des précédentes questions, ces points ont déjà été abordés.

Il n'appartient pas à l'UNIDEN de porter un jugement sur les objectifs de développement des énergies renouvelables qui ont été décidés à l'échelon européen et ont été traduits en objectifs nationaux. En revanche, nous pouvons préciser pourquoi leurs conséquences ne doivent pas affecter les industries électro-intensives.

Les conséquences peuvent être d'ordre technico-économique et d'ordre financier.

S'agissant des conséquences technico-économiques, un développement important des énergies renouvelables renforcera la nécessité de disposer d'outils de gestion des pointes de consommation mobilisables même lorsque ces énergies, qui sont par nature intermittentes, ne pourront pas être mobilisées. Dans ce contexte, les effacements industriels sur une base volontaire ont une importance accrue.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est plutôt bien !

M. Laurent Chabannes. - Certes, mais encore faut-il que l'on puisse traduire cela dans les textes et dans les faits. Vous avez peut-être déjà eu ces débats ici au Sénat.

S'agissant du financement des énergies renouvelables, y compris les investissements nécessaires dans les réseaux, il ne peut pas reposer sur les industriels consommateurs d'électricité.

D'une part, les industriels ont un profil de consommation plat, qui ne correspond pas au profil de production intermittent des énergies renouvelables.

D'autre part, ce n'est pas possible économiquement : aucune industrie consommatrice ne peut durablement supporter ces coûts, sauf à imaginer que l'on traite tout le monde de la même façon partout dans le monde.

D'ailleurs, les membres de l'UNIDEN, qui, je le rappelle, sont installés un peu partout dans le monde, constatent que, nulle part, on ne demande aux industriels consommateurs de financer le développement des énergies renouvelables.

À cet égard, permettez-moi de revenir sur l'Allemagne, ce pays ayant lancé une vigoureuse politique de développement des énergies renouvelables. Ainsi que je l'ai déjà signalé, l'EEG, équivalent allemand de notre CSPE, est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour les industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros pour les consommateurs domestiques. Je tiens à rappeler ce chiffre, car il montre bien que le choix énergétique allemand étant un choix politique, l'Allemagne assume de le faire financer, non par les industriels, mais par les électeurs.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Les électeurs ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous voulez dire les particuliers ?

M. Laurent Chabannes. - Oui, par les particuliers.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Par les consommateurs ! Ou plutôt par les contribuables !

M. Laurent Chabannes. - Par le contribuable-électeur !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous êtes allé directement au vif du sujet ! (Sourires.)

M. Laurent Chabannes. - Tout à fait ! Vous avez raison, j'aurais dû franchir les étapes les unes après les autres.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Celui qui ne va pas au bureau de vote, il dit : « Moi, je ne paie pas ma part ! »

M. Ladislas Poniatowski, président. - La différence est payée par le consommateur ou le contribuable et par consommateur on entend le particulier ou l'industriel.

M. Laurent Chabannes. - Oui ! Nous sommes d'accord !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Nous avons bien compris !

M. Laurent Chabannes. - Il doit en être de même en France. Le plafonnement appliqué aux industries en France est une nécessité, même si je vous ai montré qu'il ne suffit pas à combler le différentiel défavorable avec l'Allemagne et même s'il ne protège pas, ou peu, les industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille, contrairement au modèle allemand.

En effet, malgré l'existence d'un autre plafond à 0,5 % de la valeur ajoutée - ce plafond existe aussi - par entité légale, nombre d'industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille paient une CSPE de plusieurs euros par mégawattheure, voire le taux nominal actuel de 9 euros par mégawattheure, à comparer au 0,5 euro payé outre-Rhin.

C'est pourquoi il ne saurait être question de réviser ces plafonnements à la hausse : c'est le moins que nous puissions demander ; tel est le message que nous vous adressons.

J'en viens à la quatrième et dernière question : quels moyens nous sembleraient à même de réduire la demande de pointe ? Quelles mesures pourraient favoriser le développement de l'effacement chez les électro-intensifs ?

Ce sujet est récurrent depuis de très nombreuses années.

L'UNIDEN observe que la forte augmentation de la demande de pointe en France s'explique par une anomalie, à savoir la part très élevée du chauffage électrique, mais aussi, relativement, par une baisse de la consommation de base par les industriels, du fait de la crise et des fermetures de sites. Je rappelle que 700 000 emplois industriels ont été détruits en France au cours de ces dix dernières années. C'est un élément que l'on retrouve dans la courbe de consommation des industries. Cela n'a pas rendu la courbe de consommation électrique de la France plus homogène avec son parc.

À titre d'exemple, le récent pic de consommation s'est traduit par une augmentation de la consommation globale de 18,7 % en février 2012 par rapport à février 2011, alors que, dans le même temps, la consommation industrielle a baissé de 3,8 %.

Réduire la part du chauffage électrique direct - les « grille-pain » - et développer des politiques d'efficacité énergétique sont les deux premières réponses évidentes, mais il ne nous appartient pas d'en décider.

En revanche, nous avons un rôle à jouer dans la gestion des épisodes de pointe. Ainsi, pratiqués par certains sites électro-intensifs depuis les années quatre-vingt, les effacements industriels ont été mobilisés lors de la vague de froid de février 2012, marquée par deux records de consommation.

Si le système électrique français a tenu bon ces jours-là, c'est grâce à la convergence de plusieurs facteurs : la disponibilité des centrales nucléaires, qui était en nette amélioration par rapport aux deux dernières années ; des stocks de gaz naturel élevés, compte tenu de la douceur qui avait prévalu jusqu'alors ; la mise à contribution des centrales thermiques au fioul ; le recours à des importations d'électricité proches de la limite des capacités de transport ; l'apport complémentaire d'énergie éolienne, cette vague de froid étant exceptionnellement accompagnée de vents soutenus ; et le recours aux capacités de cogénération et d'effacement de consommation des industriels.

Mais la convergence de tous ces éléments ne sera probablement pas toujours assurée. II faut donc donner toute sa place au potentiel d'effacement des industriels, il doit être beaucoup plus important que ce qui a été effectivement mobilisé. Il faut savoir qu'il n'a pas été mobilisé de façon si significative que cela. Et je rappelle qu'il s'agit aussi d'émissions de C02 évitées : lorsqu'un site industriel s'efface, il arrête sa production correspondante et celle-ci ne sera pas rattrapée par ailleurs ; il n'y a donc pas d'effet rebond, en quelque sorte.

Nous, nous notons qu'il existe des barrières absurdes.

À titre d'exemple, en février dernier, une usine de 40 mégawatts appartenant à l'un des membres de l'UNIDEN était à l'arrêt lorsqu'il lui a été demandé de s'effacer le lendemain, jour de pic.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Permettez-moi de vous interrompre quelques instants.

Vous dites que, lors des deux jours de pointe, les 7 et 8 février dernier, la consommation industrielle a diminué de l'ordre de 2 % à 3 % par rapport à il y a un an.

M. Laurent Chabannes. - Oui !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il faut comparer ce qui est comparable : il n'y avait pas de pic de pointe en février 2011.

M. Laurent Chabannes. - Je voulais simplement illustrer que la consommation globale avait augmenté de 18,7 % entre février 2011 et février 2012.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Est-ce une étude que vous avez réalisée auprès de vos 41 adhérents ?

M. Laurent Chabannes. - Ce sont les chiffres de RTE.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je prends un autre exemple : une entreprise qui est fermée veut travailler le lendemain et on lui demande de s'effacer.

M. Laurent Chabannes. - Elle était à l'arrêt.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cette entreprise a déjà été citée lors de précédentes auditions.

M. Laurent Chabannes. - En fait, la raison pour laquelle cet industriel a redémarré le lendemain, c'est qu'il n'était pas rémunéré pour ne pas redémarrer.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cela nous a été relaté. On a proposé à RTE ou à EDF, je ne sais plus, de ne pas redémarrer. Vous me rémunérez combien ? La réponse a été : rien. Donc, dans ces conditions, l'industriel a dit qu'il redémarrait.

M. Laurent Chabannes. - C'est exactement ce qui s'est passé.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Que voudriez-vous qu'on fasse dans un tel cas ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Que l'on rémunère celui qui ne redémarre pas !

M. Laurent Chabannes. - Oui, qu'il soit rémunéré.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Si quelqu'un dit qu'il arrête toute l'année et, pendant les périodes de février, il est rémunéré...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Non, non !

M. Laurent Chabannes. - Il n'y a pas de danger ! Cela ne se passera pas comme cela !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il ne s'agit pas de caricaturer, car c'est un vrai sujet.

Le message, on le connaît, on l'a bien compris. Votre souhait de mieux rémunérer l'effacement est un vrai problème. Par rapport à ce qui est fait dans d'autres pays, notamment dans les États américains, il y a une marge de manoeuvre importante en France.

M. Laurent Chabannes. - Oui !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je suis tout à fait d'accord avec vous.

M. Laurent Chabannes. - Il y a d'autres pays où il y a plus de flexibilité intellectuelle, dirons-nous, sur ce sujet.

M. Jean Desessard, rapporteur. - De la part de qui ?

M. Laurent Chabannes. - De la part des acteurs, c'est-à-dire des producteurs, des gestionnaires de réseaux, de l'administration.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Des gestionnaires de réseaux ?

M. Laurent Chabannes. - Je pense que cela concerne tout le monde.

M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est un vrai enjeu technique et économique, on l'a bien compris.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je veux simplement entendre M. Chabannes me dire de qui il voudrait plus de flexibilité.

M. Laurent Chabannes. - Je pense que la flexibilité ne concerne pas seulement un acteur. Vous savez bien comment cela se passe en France.

M. Ladislas Poniatowski, président. - On est bien d'accord !

M. Laurent Chabannes. - Il faut quand même arriver à déplacer quelques barrières et ce n'est pas toujours très facile.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Notre système d'effacement peut être beaucoup plus performant.

M. Jean-Pierre Vial. - M. Chabannes est peut-être gêné d'employer le terme « autorité publique »...

M. Laurent Chabannes. - Non, si l'on parle des « autorités publiques », au pluriel.

M. Jean Desessard, rapporteur. - L'ensemble des opérateurs publics et privés.

M. Laurent Chabannes. - Nos préconisations pour favoriser l'effacement des industriels s'intègrent dans le contexte des travaux conduits actuellement par l'administration pour aboutir à la mise en place du mécanisme d'obligation de capacité prévu par la loi NOME. Nous avons beaucoup participé ou, en tout cas, donné notre avis. Un projet de décret a été soumis à la fin du mois de février aux acteurs. Nous avons dit qu'il ne nous semblait pas aller complètement dans la bonne direction. De notre point de vue, il manque certains points, sur lesquels on n'a pas pu obtenir satisfaction.

Sans entrer dans le détail de nos propositions, parce que le sujet est technique et aride...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Si elles concernent l'effacement, cela nous intéresse !

M. Laurent Chabannes. - Je puis vous donner une version écrite de nos propositions.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Volontiers !

Quoi ? Comment ? Combien ? Quel volume ? Quel prix vous semblerait justifié ? En particulier, si vous avez des éléments de comparaison sur la manière dont sont rémunérés les effacements à l'étranger, cela nous intéresse. Du reste, plusieurs de vos groupes industriels ont des unités de production en France et à l'étranger. Cela peut être très intéressant pour nous.

M. Laurent Chabannes. - Sans entrer dans le détail, je vais vous donner quelques pistes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous êtes frustré ! (Sourires.)

M. Laurent Chabannes. - C'est juste que le détail de la note est très technique et je ne veux pas vous empoisonner avec cela. Moi-même, très franchement, je m'y perds parfois. C'est un sujet compliqué ; il faut donc veiller à dire des choses précises et claires.

La première piste que nous évoquons est la suivante : les effacements pris en compte ne doivent pas exclure la valeur d'un non-redémarrage à un moment où l'équilibre du réseau le rendrait nécessaire, comme je l'ai dit.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Nous venons d'en parler !

M. Laurent Chabannes. - Ces engagements de non-consommation doivent, eux aussi, être valorisés. L'industriel garantit que, si on le lui demande, sa consommation ne dépassera pas un certain niveau : il prend l'engagement, à la demande, de ne pas dépasser un certain niveau de puissance. C'est le cas de nombre de procédés industriels discontinus. C'est un véritable sujet et il n'est pas convenablement traité aujourd'hui.

Le potentiel d'effacement par engagement de non-consommation est une énorme ressource de capacité, notamment chez les industriels. Je rappelle que 3 000 mégawatts d'EJP, ou effacement jours de pointe, ont été perdus. Cela ne concerne pas seulement les industriels, mais c'est aussi un potentiel dans le secteur tertiaire et chez les consommateurs particuliers. Pour nous, industriels, c'est facile à mettre en oeuvre. Ce potentiel est important parce qu'il est facile de le mettre en oeuvre. C'est peut-être plus compliqué dans d'autres cas, mais, dans notre cas, c'est facile à mettre en oeuvre.

Deuxième piste : la valorisation des capacités de production de pointe doit se limiter explicitement aux seules capacités ne pouvant pas se rémunérer, à l'exclusion de toutes les autres. Autrement dit, il y a des capacités de production qui ne méritent pas d'être traitées comme des capacités de pointe. Sinon, il en résulterait un effet d'aubaine pour toutes les autres capacités.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Voilà !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Quel exemple pouvez-vous donner ?

M. Laurent Chabannes. - Les capacités de base, qui sont certes mobilisées en période de pointe, mais qui ne pâtissent d'aucun déficit de rémunération pour leur maintien en état, contrairement à celles qui ne sont mobilisées que quelques heures par an. Or on les traite de la même façon, ce qui est quelque peu paradoxal : les unes ne supportent pas les mêmes coûts que les autres.

Un mécanisme qui serait à l'avantage des seules capacités de production, surtout de base, serait d'autant plus incompréhensible que les producteurs d'électricité ne sont pas délocalisables, contrairement aux industries électro-intensives. Or l'effet d'aubaine potentiel est énorme. Il se chiffre en centaines de millions d'euros, pour ne pas dire plus.

M. Ladislas Poniatowski, président. - À quel secteur pensez-vous ? Concrètement, quel type d'activité bénéficie de ces effets d'aubaine ?

M. Laurent Chabannes. - Toute la production électrique de base.

Nous recommandons de ne pas traiter tout le monde de la même façon.

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'ai bien compris. Vous voulez que celui qui s'efface soit plus rémunéré que celui qui ne le fait pas.

M. Laurent Chabannes. - Celui qui s'efface ou celui qui ne démarre pas sa capacité à ce moment-là.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Une activité saisonnière ! Ça deviendrait une activité en soi.

M. Laurent Chabannes. - Nous soulignons le fait que les industriels, du fait de leur profil de consommation, qui est généralement plat, ne sont pas les responsables de la problématique de la pointe de consommation française. Nous considérons que, si l'on mettait en place ce qui est aujourd'hui recommandé - c'est que nous disons à l'administration -, le mécanisme dégraderait fortement la compétitivité des sites industriels qui ne peuvent pas s'effacer et ne permettrait aux autres sites industriels, par la valorisation de l'effort d'effacement, que de limiter la hausse de leur facture.

Ce n'est pas du tout, nous semble-t-il, l'esprit du rapport Sido-Poignant de 2010, qui est à l'origine des dispositions de la loi NOME.

Ce sujet reste en pointillé. Les débats qui ont eu lieu hier au CSE montrent que la situation n'est pas en voie d'être clarifiée. Mais j'invite les uns et les autres à être extrêmement attentifs à ce point, car il y a des sujets très sensibles derrière. On a encore le temps de s'expliquer et de modifier ce qui peut l'être. Cela nous paraît très important.

Troisième piste : il est urgent de mettre en place un mécanisme transitoire permettant d'amorcer le marché de capacité avant sa mise en oeuvre prévue en 2015. En effet, la France accuse déjà un vrai retard en la matière, alors que ses besoins sont aigus.

À titre d'exemple, l'Espagne a depuis longtemps une politique volontariste de développement et de maintien de ses capacités d'effacement industriel, et dispose aujourd'hui d'un volume de 2 gigawatts, dont une grande partie provient d'engagement de non-consommation. Des interruptions de consommation sont régulièrement réalisées, généralement au niveau régional, toute la puissance offerte au système étant parfois appelée en même temps, ce qui assure au système une gestion optimisée de la demande dans un pays où les interconnexions avec les pays frontaliers sont encore aujourd'hui extrêmement limitées.

En conclusion, je veux insister sur deux points.

Premièrement, l'effacement est le seul moyen de gestion de la pointe extrême qui permette d'éviter l'utilisation de moyens de production émetteurs de C02 que sont les turbines à combustion ou les centrales fioul lourd.

Deuxièmement, la valorisation des effacements peut aussi être un outil de politique industrielle, en contribuant à rétablir une certaine compétitivité pour les électro-intensifs installés en France. L'interruptibilité presse-bouton est sensiblement mieux rémunérée dans certains pays qu'en France, et cela fait des différences substantielles.

Au-delà, je reviens à mon propos liminaire, ce sont des décisions de politique industrielle qui visent à favoriser le maintien ou le développement des industries sur le territoire ou l'inverse.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie d'avoir répondu de manière exhaustive aux questions que vous a posées M. le rapporteur, mais peut-être vos réponses ont-elles suscité de nouvelles questions.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur Chabannes, d'avoir répondu de manière effectivement exhaustive à mes questions.

J'ai bien compris que vous souhaitiez, sur l'effacement, une politique un peu plus souple, mais organisée. C'est ce qui ressort de tout ce que vous avez dit : vous avez besoin de lisibilité, de règles du jeu connues, tenant compte de la souplesse des sites, de la souplesse de l'activité et de la souplesse de la production. J'ai bien compris tout cela.

Nous continuerons à travailler sur cette affaire d'effacement afin qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine pour certains qui, au bout d'un moment, verraient l'effacement constituer une part de leur rémunération.

J'aimerais vous poser une question complémentaire sur la comparaison entre la France et l'Allemagne concernant le coût pour les industriels. Vous avez dit que les électro-intensifs avaient beaucoup de qualités : la régularité et la prévisibilité dans la demande d'électricité. Vous dites aussi que, même si le prix de l'électricité en Allemagne est plus élevé, il y a des dispositifs qui font que, en fin de compte, l'industriel électro-intensif allemand paie l'électricité moins cher.

J'espère que nous pourrons disposer de cette étude comparative entre le coût en Allemagne et le coût en France.

Par ailleurs, qui paie ? Certes vous avez répondu à cette question, mais j'aimerais y revenir.

S'il y a un coût de l'électricité et qu'il y a des dispenses pour les industriels, qui paie ? J'ai bien compris tout ce que vous avez dit sur le fait que, comme vous avez une production régulière, vous ne voyez pas pourquoi vous iriez payer les aléas des énergies renouvelables. J'ai cru comprendre cela. Vous dites que ce ne sont pas les industriels qui les paient en Allemagne. Alors, qui paie ? Les particuliers ? Les contribuables ? En un mot, qui paie, en Allemagne, le fait que les industriels ne paient pas entièrement le prix de l'électricité ?

M. Jean-Pierre Vial. - J'aimerais vous poser trois questions.

Je ne vous interpellerai pas sur l'interruptabilité, que vous n'avez pas évoquée, afin de ne pas vous mettre dans l'embarras avec vos ressortissants. Sur l'effacement, étant dans un secteur très concerné par les électro-intensifs, je ne peux que souscrire à vos propos, y compris pour regretter que l'on ne mobilise pas : je crois qu'en période de pointe il y avait entre 5 et 7 gigawatts disponibles au niveau du parc industriel qui auraient pu être mobilisés.

J'ai bien retenu ce que vous évoquez quant au risque de parasitage avec l'effet d'aubaine. Vous avez évoqué les discussions qui sont en cours, notamment au sein du CSE. Pourrez-vous nous communiquer vos observations sur le décret qui a fait l'objet de vos interrogations. Il est vrai que l'on en est actuellement à la mise en place du dispositif.

Par ailleurs, pour ce qui concerne le transport, vous avez évoqué la différence avec l'Allemagne. Avez-vous pris en compte dans vos observations, des aides venant de l'État fédéral et celles venant du Land ? Dans le domaine de l'hydraulique, apparaissaient très clairement les aides qui pouvaient provenir directement du Land. Cela permettrait d'apprécier, dans l'aide dont bénéficient les industriels en Allemagne, ce qui vient de l'État et ce qui viendrait éventuellement du Land ?

Enfin, sur le prix pour les électro-intensifs, vous avez longuement évoqué l'ARENH, mais n'avez pas évoqué la situation d'Exeltium. Exeltium avait été créé pour donner de la visibilité, de la garantie au niveau de la rémunération. Est-ce que la mise en place de l'ARENH justifie aujourd'hui Exeltium et quelle est la différence entre les deux pour un industriel ?

M. Claude Léonard. - Le ministre de l'industrie a accordé, fin février début mars, l'exploitation de 16 sites de biomasse, me semble-t-il, sur des sites industriels qui se situent tous, à part un gros site à Aix-en-Provence ou Méreuil, entre 16 et 30 mégawatts de capacité de production électrique. Pensez-vous que c'est une tendance à la marge d'industriels qui veulent se libérer un peu de la tutelle des fournisseurs d'électricité ou bien, dans vos milieux, considère-t-on que cette situation peut s'étendre, notamment dans les industries qui sont fortes consommatrices de vapeur et qui sont en capacité de produire de l'électricité avec de la biomasse - en l'occurrence, c'est un bien grand mot, s'agissant de bois plaquettes - et dans les régions présentant une certaine densité forestière.

M. Laurent Chabannes. - Si vous le permettez, monsieur le rapporteur, je répondrai ultérieurement par écrit à votre question sur les coûts précis en Allemagne, incluant toutes les exonérations, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Je ne veux pas avancer un chiffre aujourd'hui, car je sais quelle vague cela risquerait de déchaîner. (Sourires.)

Monsieur Léonard, je réfléchirai à votre question. Il y a un prix qui bénéficie de l'obligation d'achat ; cela diminue le coût de la vapeur : en général, c'est comme cela que les industriels se décident. C'était vrai pour la cogénération depuis des années ; je pense que cela reste vrai.

Pour ce qui concerne la question relative au financement de ce qui se passe en Allemagne, à notre connaissance tout vient de l'État fédéral. On ne sait pas bien ce qui se passe du côté des Länder. Cela dit nous allons examiner d'un peu plus près la question.

J'ajoute que nous avons un certain nombre de documents que nous pouvons vous laisser aujourd'hui et que nous compléterons en fonction des questions que vous nous avez posées.

Je dirai un mot d'Exeltium. Il se trouve que je suis président d'Exeltium, mais je ne peux pas, vous le comprenez bien, m'exprimer... Mais je peux quand même expliquer quelle est la philosophie d'Exeltium et quelle est la philosophie de l'ARENH.

La philosophie d'Exeltium n'est précisément pas celle de l'ARENH : ce n'est pas un accès au nucléaire historique. La philosophie d'Exeltium, c'est l'accès au parc nucléaire historique, mais à des conditions de prix aux termes desquelles les industriels participaient à l'effort de renouvellement du parc, c'est-à-dire de développement de nouvelles capacités. Philosophiquement, le prix d'Exeltium est basé sur ce qu'aurait coûté une petite série d'EPR. Les industriels avaient accepté de participer à cela, de financer en achetant des droits d'usage pendant un temps limité qui étaient « backés » par le parc nucléaire existant, afin de financer le développement de capacités nouvelles.

Évidemment, le prix qui en résulte - le contraire serait étonnant - est supérieur au prix du nucléaire historique. Si vous prenez les recommandations de la commission Champsaur et les calculs de la CRE, il s'agit bien du parc existant, avec les dépenses au centime près de l'année divisées par la production. Exeltium, c'est un investissement, un effort des industriels pour participer au développement futur, ce qui suppose de supporter un certain nombre de risques industriels matérialisés. Il s'agit vraiment d'un contrat de partenariat industriel. Exeltium a donné naissance à une première phase, qui a permis aux industriels d'activer la moitié de leurs droits, mais la seconde phase bute sur le contexte d'aujourd'hui : il y a l'accès régulé au nucléaire historique, sans engagement en capital, sans mise de fonds en capital, sans engagement à quinze ans - c'était quinze ans minimum dans le cas d'Exeltium. Les industriels qui participent y mettent du capital qu'ils ne revoient éventuellement qu'à la fin du projet. Tous ces risques sont évalués et, aujourd'hui, cela rend très difficile la concrétisation de la deuxième phase.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie de ces précisions.

Vous n'avez pas profité de la troisième question de notre rapporteur sur la CSPE pour défendre un peu la cogénération. N'était-ce pas quelque chose que demandaient certains de vos adhérents ? Il me semblait que c'était le cas. Mais vous êtes libre de répondre comme vous l'entendez. Cela étant, j'ai été surpris que vous n'en profitiez pas pour faire passer un petit message. Prenez cela en note et, si jamais vous avez des éléments d'information à nous donner, faites-le.

M. Laurent Chabannes. - Bien sûr !

M. Ladislas Poniatowski, président. - On sait très bien que, avec la cogénération, les aides diminuent, voire sont supprimées.

M. Laurent Chabannes. - Oui !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mais là aussi, ce qui est intéressant c'est de pouvoir comparer ce qui est fait en France par rapport à vos concurrents directs, pour vous gros consommateurs d'électricité. C'est un élément qui m'intéresse. Si vous avez des éléments d'information, ceux-ci pourraient être utiles à notre rapporteur.

M. Laurent Chabannes. - On en a. On a eu peut-être un prisme nucléaire ce matin, parce que ce sont les sujets actuels.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cette question ne demande pas de réponse aujourd'hui, mais nous serions ravis d'avoir des éclairages à partir de l'expérience de vos adhérents.

M. Laurent Chabannes. - À l'occasion de nos réflexions sur le marché de capacités, nous avons évidemment évoqué cette question.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Bien sûr !

M. Laurent Chabannes. - Sur ce sujet également, nous pourrons vous faire parvenir de la documentation.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Chabannes, je vous remercie beaucoup de nous avoir éclairés. Ne soyez pas surpris si notre rapporteur vous pose éventuellement par écrit une ou deux questions. Je vous saurais gré de bien vouloir y répondre pour l'aider à compléter le rapport auquel il travaille.

M. Laurent Chabannes. - Bien sûr !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Si vous voulez faire preuve d'une certaine souplesse dans vos réponses... (Sourires.)

M. Laurent Chabannes. - Bien sûr ! (Nouveaux sourires.)

Audition de Mme Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mesdames, messieurs, avant que nous reprenions nos travaux, je voudrais remercier Mme Michèle Bellon, président du directoire d'ERDF, d'avoir accepté notre invitation, même si, je le signale, c'est une obligation.

Je voudrais vous rappeler l'historique de cette commission d'enquête.

Chaque groupe politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage » pour créer une commission d'enquête ou une mission commune d'information. Le groupe écologiste en a fait usage pour créer cette commission d'enquête. Voilà pourquoi, madame la présidente, nous vous auditionnons aujourd'hui.

Je vais vous demander de respecter l'obligation qui vous incombe du fait de notre statut de commission d'enquête. Pour cela, vous devez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et dites : « Je le jure. »

(Mme Michèle Bellon prête serment.)

Je vous remercie.

M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire assez complet. Il va rappeler les questions afin qu'elles soient enregistrées dans les comptes rendus d'auditions. Je vous demanderai de bien vouloir ensuite y répondre dans l'ordre que vous voulez, en laissant tout de même un petit laps de temps aux membres de cette commission pour qu'ils puissent vous poser des questions complémentaires.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame la présidente, nous vous avons adressé cinq questions que je vais résumer.

Première question : le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien en ligne avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?

Deuxième question : quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences que cela aurait sur le TURPE, en particulier dans le cas d'un scénario de forte production d'électricité renouvelable ?

Troisième question : quel commentaire faîtes-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France, et sur sa « pointe » particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Quels leviers d'action préconisez-vous afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ? Nous pourrons évoquer les contrats d'effacement de certains clients, leurs modalités et leur mise en oeuvre.

Quatrième question : quel doit être le coût du déploiement du compteur dit « intelligent », Linky, chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?

Dernière question : quel est le coût des pertes d'électricité en ligne sur les réseaux de distribution ? Y a-t-il des moyens de le réduire ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame la présidente, vous pouvez dépasser ou compléter le champ de ces questions ; une grande liberté vous est octroyée en la matière.

Vous avez la parole.

Mme Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF). - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur le service public de la distribution de l'électricité.

Avant d'aborder le coeur du sujet et de répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je vous propose de situer le distributeur au sein du système électrique.

Créée en 2008 lors de la filialisation des activités de distribution d'EDF, ERDF est une entreprise de service public chargée de la distribution publique d'électricité sur 95 % du territoire français.

Je dirai quelques mots pour caractériser ERDF : 1,3 million de kilomètres de réseau gérés, de basse et moyenne tension, ce qui en fait le plus grand réseau d'Europe ; 35 millions de clients desservis ; 11 millions d'interventions techniques réalisées chaque année ; plus de 1 000 implantations d'ERDF sur l'ensemble du territoire ; enfin, 35 000 salariés.

Dans le contexte français, avec un prix de l'électricité particulièrement attractif et identique sur tout le territoire national, il convient de juger de la qualité de la fourniture perçue par nos citoyens non pas sur le seul temps de coupure, le critère B, sur lequel je reviendrai, mais sur la qualité globale du service public.

Lorsque j'ai pris la responsabilité d'ERDF, voilà tout juste deux ans, ma feuille de route était claire : restaurer la qualité du service public, renouer le dialogue social, rétablir la rentabilité de l'entreprise.

En effet, 2009 avait été une année noire : une crise sociale majeure, un taux de satisfaction des clients en chute libre, des concédants critiques, des résultats négatifs. Aller sur le terrain à la rencontre des élus, des clients, des salariés, des organisations syndicales, des managers a été ma première priorité.

J'ai constaté que les procédures retenues à l'occasion de l'ouverture totale des marchés, en juillet 2007, par l'ensemble des parties prenantes, avaient désorganisé et « désoptimisé » la relation entre le distributeur et ses 35 millions de clients. La notion même de « client » s'était effacée au profit de celle de « point de livraison », ou PDL. Cela s'est traduit par une « désoptimisation » de l'ensemble des interventions, entraînant ainsi une totale incompréhension et un très fort mécontentement chez nos concitoyens comme chez les élus locaux.

Ces évolutions, accompagnées d'une compression des effectifs, ont conduit à une dégradation de la qualité de service public, à une sous-traitance non maîtrisée, y compris sur notre coeur de métier, à la fermeture de sites en zones rurales et à une démotivation profonde des salariés.

Nous avons un personnel dévoué, attaché au service public. Tous nos collaborateurs sont d'accord pour faire d'ERDF un distributeur de référence. Avec eux, j'ai donc lancé le projet industriel d'ERDF, centré tout d'abord sur le client, ensuite sur le renforcement et la modernisation du réseau, la proximité territoriale, avec une organisation adaptée aux attentes de nos concitoyens en matière de service public, enfin, sur un dialogue social permanent et de qualité.

En ce qui concerne les clients, la première étape a été de simplifier les procédures d'intervention ; quatorze mois de concertation ont été nécessaires pour obtenir le feu vert, mais c'est maintenant chose faite. Des agences de raccordement ont été créées, des interlocuteurs privilégiés ont été désignés pour l'ensemble des grands clients et pour les élus. Tous les chantiers sont engagés aujourd'hui pour « réhumaniser » et améliorer la relation avec l'ensemble des parties.

Nous devons être encore plus présents sur l'ensemble du territoire. Cela passe par davantage de dialogue avec l'ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, davantage de présence, et par une application très en amont, dans les projets locaux d'aménagement du territoire, dans la préparation des schémas régionaux climat air énergie et des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables pour réussir l'insertion des énergies renouvelables, mais également dans les conférences départementales créées par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, sous l'égide des préfets, avec les autorités concédantes. Là aussi, le mouvement est engagé.

Concernant le réseau, il s'agit à la fois d'améliorer la qualité de fourniture, de le développer et de le moderniser pour intégrer les énergies nouvelles et les nouveaux usages : le véhicule électrique et demain le stockage.

ERDF est une entreprise innovante qui prépare l'avenir des réseaux de distribution, et pas seulement avec Linky. Les réseaux de distribution sont déjà dotés de systèmes technologiques évolués et bien plus smart, si vous me permettez cette expression, que la plupart des réseaux de distribution européens : agences de conduite régionales, réseaux auto-cicatrisants, les exemples ne manquent pas. Avec les nombreux démonstrateurs de réseaux intelligents qu'ERDF pilote en France, ou le projet européen Grid4EU, le distributeur français investit déjà pour les réseaux du futur.

J'en viens plus précisément aux deux premières questions de M. le rapporteur, qui concernent à la fois les investissements et le TURPE.

Je dirai d'abord quelques mots sur le TURPE.

Le TURPE, c'est le tarif d'acheminement, qui constitue l'essentiel des recettes du distributeur et du transporteur. Il représente en moyenne, respectivement 28 % et 11 % de la facture du client particulier, soit, pour ce qui nous concerne, 34,5 euros par mégawattheure.

Le TURPE est défini par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur des périodes tarifaires de quatre ans - 2009-2013 pour le TURPE 3. Il est perçu par le distributeur, qui en fait plusieurs usages.

D'une part, il reverse sa quote-part au transporteur RTE, Réseau de transport d'électricité, pour environ 3 milliards d'euros, et finance l'achat des pertes pour 1,5 milliard d'euros. D'autre part, il finance ses investissements - 2,8 milliards d'euros en 2011 - et son exploitation - 4,9 milliards d'euros -, c'est-à-dire la maintenance, l'élagage, la conduite, les interventions, ainsi que les redevances et le Fonds d'amortissement des charges d'électricité, le FACÉ, qui sont versés aux autorités concédantes pour une somme de l'ordre de 700 millions d'euros.

Ce sont donc, au total, 7,7 milliards d'euros qui sont investis dans l'économie locale.

J'évoquerai maintenant les investissements.

Nous avons investi 2,3 milliards d'euros en 2009, 2,6 milliards d'euros en 2010 et 2,8 milliards d'euros en 2011, soit une croissance moyenne de 10 % par an. Cette croissance des investissements se poursuit au même rythme et atteindra 3 milliards d'euros en 2012. Ces montants correspondent à la trajectoire TURPE 3 définie pour la période tarifaire 2009-2013.

À ces investissements réalisés par ERDF, il faut bien évidemment ajouter les investissements opérés chaque année par les autorités concédantes, majoritairement en zones rurales, soit quelque 850 millions d'euros en 2011.

Les investissements d'ERDF sont classés en deux catégories que je détaillerai : les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, d'une part, et les investissements qui concourent à la meilleure performance et la modernisation du réseau, d'autre part.

Pour la première catégorie, les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, qui représentent environ les deux tiers des investissements, il s'agit essentiellement du développement du réseau, en particulier du raccordement des nouveaux clients et du raccordement des énergies renouvelables, mais également des déplacements d'ouvrages liés aux projets de voirie ou d'urbanisme, des grandes opérations d'aménagement comme la ligne à grande vitesse en Aquitaine, le Grand Paris, de tous les projets de transports en site propre, notamment les tramways, qui mobiliseront les moyens tant humains que financiers d'ERDF, enfin, du respect des obligations réglementaires en matière de sécurité et d'environnement.

En effet, le réseau de distribution d'électricité se développe, et, en 2011, ERDF a raccordé 450 000 nouveaux clients, soit près de 1,5 % de croissance, et mis en service 86 000 nouveaux sites de production d'énergie renouvelable. J'en profite pour signaler que, contrairement à certaines idées reçues, la quasi-totalité des installations de production d'énergie renouvelable est raccordée au réseau de distribution d'électricité.

À la fin de 2011, 95 % du parc éolien, pour un total de 6 063 mégawatts très exactement, et 99 % du parc photovoltaïque, pour un total de 2 321 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution. Sur la seule année 2011, plus de 2 200 mégawatts ont été raccordés sur le réseau géré par ERDF.

Pour ERDF, cet essor des énergies renouvelables implique d'importants investissements liés aux travaux de renforcement des réseaux, même si la loi NOME a mis fin à la réfaction sur le raccordement.

De surcroît, le distributeur finance les renforcements du réseau de transport, ce qu'on appelle la haute tension B, ou HTB, rendus nécessaires par l'insertion des énergies renouvelables sur les réseaux de distribution, et ce pour autant que ce soit techniquement et politiquement possible.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Le distributeur finance les travaux de fonctionnement du transporteur !

Mme Michèle Bellon. - C'est exact !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pour quel montant ?

Mme Michèle Bellon. - Pour 40 millions d'euros en 2011, qui devraient s'élever à 55 millions d'euros en 2012 : lorsqu'il faut créer un nouveau poste source - nous en avons créé quatre nouveaux uniquement pour les énergies renouvelables en 2011 -, il faut également y amener, soit du 63 kilovolts, soit du 90 kilovolts, qui relèvent donc de RTE. Ces renforcements du réseau de transport sont financés par ERDF.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il est normal que vous financiez le renforcement du réseau de distribution, mais dans quelle proportion ?

Mme Michèle Bellon. - Au début, il a fallu renforcer le réseau de distribution ; puis, lorsque l'interface avec RTE arrive à saturation, il devient nécessaire de renforcer le réseau RTE.

La seconde catégorie, celle qui concourt à la meilleure performance et à la modernisation du réseau, consiste, en fait, à améliorer le patrimoine, à rénover le réseau basse et moyenne tension, à enfouir les lignes là où cela se justifie, à remplacer les câbles souterrains vétustes, notamment en zones urbaines.

La baisse des investissements entre 1995 et 2005 a conduit à une lente dégradation de la qualité des réseaux. Elle a entraîné une augmentation du temps moyen annuel de coupure par client entre 2002 et 2009. Ce temps moyen, hors événements exceptionnels comme les tempêtes, est passé de 42 minutes en 2002 à 85 minutes en 2009. Rappelons que ce même indicateur, qui fait l'objet d'une normalisation, était de l'ordre de 400 minutes dans les années quatre-vingt, mais il est vrai que, à l'époque, la dépendance à l'électricité n'était pas la même. Cette diminution des investissements trouve son origine dans la baisse de plus de 25 % des tarifs en euros constants entre 1993 et 2005.

À partir de 2005, les investissements sont repartis à la hausse. En 2010, nous avons réussi à stabiliser le temps de coupure, et la tendance est aujourd'hui inversée. Je suis donc fière des résultats qu'ERDF a obtenus en 2011 ; le temps moyen de coupure, hors événements exceptionnels, s'est établi à moins de 71 minutes. Il est de 73 minutes, toutes causes confondues, en baisse de 39 % par rapport à 2010.

Avec ces résultats, nous sommes dans le peloton de tête en Europe, en ayant sans aucun doute le meilleur rapport qualité-prix. En effet, selon une étude Eurostat de 2009, et dans l'ordre décroissant des prix, le tarif d'acheminement français se classe en vingtième position sur vingt-sept. D'après cette même étude, le tarif d'acheminement moyen allemand est supérieur de 40 % à celui de la France.

Les résultats de 2011 sont la conséquence de plusieurs facteurs : une reprise significative des investissements ; une mobilisation extraordinaire de l'ensemble du personnel dans un climat social apaisé, je tenais à le souligner ; enfin, une optimisation des dépenses d'exploitation.

Les investissements ont doublé entre 2005 et 2012, passant de 1,5 milliard d'euros à 3 milliards d'euros en 2012, en euros courants, ce qu'a permis une hausse significative du tarif d'acheminement.

Par ailleurs, au-delà de ce temps moyen de coupure annuel, il est tout aussi important de réduire les disparités entre les zones rurales et les zones urbaines. Nous oeuvrons en ce sens et nous avons bien progressé en 2011, mais il reste encore beaucoup à faire.

En 2010, le temps de coupure, toutes causes confondues, avait été de plus de 700 minutes dans le Loir-et-Cher, largement touché par la tempête Xinthia et par les épisodes de neige collante de la fin de l'année 2010. En 2011, le département le plus touché a été le Morbihan, très atteint lors de la tempête Joachim, avec 193 minutes de temps de coupure.

Pour inscrire dans la durée cette amélioration de la qualité du service public qu'attendent nos concitoyens, il nous faut impérativement poursuivre sur cette voie, et surtout être constants dans nos efforts. Ce dont le réseau a le plus souffert, ces dernières années, c'est de la baisse des investissements. Il faut éviter, dans les dix prochaines années, l'effet yo-yo, l'approche court-termiste dans les décisions d'investissement et les fluctuations. La dimension industrielle des réseaux électriques impose stabilité et visibilité. Le maintien d'une politique d'investissements régulière, avec les moyens techniques et humains qui permettent sa mise en oeuvre, est indispensable pour améliorer le réseau, préparer l'avenir et tendre vers un temps de coupure raisonnable, de l'ordre de 60 minutes.

Pour donner une estimation de nos besoins dans les dix prochaines années, les incertitudes sont telles qu'il est nécessaire de prendre quelques précautions oratoires, tant l'exercice est difficile. Néanmoins, toutes les analyses s'accordent pour estimer que les évolutions des systèmes électriques générés par l'évolution des mix énergétiques vont nécessiter des investissements considérables dans les réseaux de distribution comme dans ceux du transport.

Nous estimons les besoins d'investissements sur le réseau de distribution entre 40 milliards et 45 milliards d'euros pour les dix années prochaines, hors Linky. Cette fourchette s'explique de la façon suivante : le montant de 40 milliards d'euros correspond à une hypothèse de développement des énergies renouvelables, les ENR, conforme à la programmation pluriannuelle des investissements, la PPI, et une hypothèse de flotte de 500 000 véhicules électriques à l'horizon de 2022 et à législation constante ; l'autre extrême - 45 millions - serait atteint si le véhicule électrique devait voir son développement confirmé par rapport à l'hypothèse du Livret vert du sénateur Louis Nègre, c'est-à-dire si le nombre de véhicules électriques atteignait 2 millions, ce qui représenterait pour nous 2 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, c'est-à-dire, grosso modo, 1 000 euros par véhicule électrique.

M. Jean Desessard, rapporteur. - 1 000 euros par véhicule ?

Mme Michèle Bellon. - Oui.

Autre évolution possible : si, en matière d'énergies renouvelables, nous devions aller au-delà de la PPI ; aujourd'hui, notre pronostic est que, en ce qui concerne le photovoltaïque, nous sommes d'ores et déjà bien au-delà de la programmation pluriannuelle des investissements.

Concernant les évolutions réglementaires, je dirai que la multiplication des textes ces trois dernières années, concernant l'élagage ou les travaux sur l'espace public - le décret « DT DICT » -, pour légitime qu'elle soit, a conduit à une forte augmentation des coûts supportés par le distributeur pour répondre à ses nouvelles obligations. Elle va également conduire à une augmentation du temps de coupure pour travaux. Je plaiderai donc, si vous m'y autorisez, pour une meilleure prévisibilité du cadre réglementaire et une prise en compte de l'impact financier et technique sur le distributeur.

En ce qui concerne l'impact sur le niveau futur du TURPE - nous parlons de dix années, soit deux périodes et demie de TURPE -, d'une façon générale, ERDF ne souhaite pas s'écarter trop significativement de l'inflation, afin de ne pas alourdir exagérément la facture des consommateurs. L'écart souhaité ne peut pas aujourd'hui être estimé, puisque nous sommes au tout début des travaux du TURPE 4 et que cela dépendra à la fois de la structure du TURPE et du modèle tarifaire, ainsi que d'un certain nombre d'incertitudes qui restent à lever. Les travaux du TURPE 4 commencent, la Commission de régulation vient de lancer une consultation sur la structure, qui est la toute première étape de la détermination du TURPE.

Tout cela rend d'autant plus nécessaire de faire preuve de constance dans le niveau des investissements et des moyens alloués à ERDF, par une trajectoire tarifaire raisonnable pour les dix prochaines années. C'est indispensable pour maintenir sur l'ensemble du territoire le tissu industriel compétent et motivé que représentent nos nombreuses entreprises prestataires, entreprises créatrices d'emplois locaux. C'est également le cas pour renforcer la proximité des territoires.

En effet, pour la première fois depuis quinze ans, et après une baisse des effectifs de 30 % à périmètre constant depuis 2000, soit 14 000 suppressions d'emplois, ce qui a contribué à la dégradation du service public, ERDF est créateur net d'emplois en 2011, pour la première fois depuis quinze ans, avec plus de 1 700 embauches dans tous les métiers et dans tous les territoires. Parmi ces embauches, 460 sont issues de l'alternance.

Pour conclure, je dirai qu'il nous faut poursuivre et amplifier ce mouvement, tout en ayant à l'esprit que le prix de l'électricité en France constitue un facteur de compétitivité et d'indépendance nationale.

Je répondrai maintenant à votre deuxième question concernant la structure de la consommation et la « pointe ».

Tout d'abord, la notion de pointe nationale, je tiens à le souligner, est pertinente pour la gestion de l'équilibre entre l'offre et la demande à l'échelon national et pour le dimensionnement des parcs de production et du réseau de grand transport.

En ce qui concerne le réseau de distribution, globalement, les jours les plus chargés en consommation se trouvent en hiver, pour la majorité de nos 2 200 postes. Pour autant, les demandes de consommation et les productions sont réparties sur tout le territoire, ce qui conduit à chaque niveau du réseau, aussi bien pour les 2 200 postes sources qui sont les interfaces avec le réseau de transport que pour nos 750 000 postes de transformation moyenne et basse tension, à des pointes spécifiques et différenciées découlant de la diversité des usages des clients raccordés. Selon que vous vivez dans une région industrielle ou balnéaire, une station de sports d'hiver ou une zone très irriguée, les pointes ne sont pas concomitantes : la pointe nationale est la somme de toutes les courbes, ce qui signifie que nous n'avons pas une pointe nationale sur le réseau de distribution.

D'un point de vue statistique, je relève d'ailleurs que, sur les 22 jours de pointe nationale, seuls 12 jours coïncident avec des pointes constatées localement à partir des courbes de charge des postes sources, soit approximativement la moitié.

La notion de pointe a donc une réalité plus locale pour le réseau de distribution que pour le réseau de transport ou de production. Toute approche en la matière doit donc intégrer la complexité entre l'échelon national et l'échelon local.

Je souhaite par ailleurs attirer votre attention sur les conséquences possibles d'une vision purement nationale en la matière. Tout signal envoyé à l'échelle nationale à un nombre significatif de consommateurs peut engendrer des contraintes particulières sur le réseau de distribution.

En effet, dans les instants qui suivent le passage d'une plage durant laquelle le prix est élevé à une plage durant laquelle le prix est plus faible, le consommateur peut déclencher des usages flexibles qu'il peut décaler : chauffage, eau chaude sanitaire, machines à laver, véhicules électriques. Ce comportement peut être amorti sur un grand nombre de consommateurs à l'échelle nationale, ce qui permettra d'effacer la pointe nationale. Mais ce ne sera plus vrai à un niveau local, où la concentration des consommateurs asservis au signal pourrait être très dense sur une partie du réseau. C'est ce que nous appelons « l'effet rebond ».

Pour répondre à une problématique nationale, on peut alors avoir déplacé le problème à un échelon local, qui se traduira par des besoins de renforcement du réseau. Le niveau de cet effet rebond causé par le report de charge est, de plus, susceptible de s'intensifier à l'avenir avec le développement des usages intelligents asservis.

Que peut-on faire ?

Concernant les mécanismes d'effacement qui contribuent à l'ajustement - vous les abordez dans votre question, monsieur le rapporteur -, je suis favorable à leur développement, pour autant qu'ils prennent en compte la dimension locale des pointes.

Au-delà des mécanismes qui ont fait leurs preuves - heures pleines, heures creuses, par exemple -, qui permettent d'asservir un chauffe-eau ou un lave-linge et doivent être préservés, il est indispensable que les mécanismes futurs qui pourraient être envisagés impliquent bien les gestionnaires de réseaux de distribution.

À cet égard et dans le cadre du mécanisme de capacité qui doit être prochainement mis en place, ERDF a proposé des relations contractuelles tripartites entre, d'une part, RTE et ERDF qui déterminent les rôles de chacun, et, d'autre part, les fournisseurs de capacité : effacement ou production raccordée sur le réseau de distribution.

Enfin, je terminerai en rappelant que le déploiement du système Linky constitue un préalable indispensable au déploiement de masse des solutions évoquées, en donnant accès aux informations nécessaires à l'optimisation et en offrant les relais locaux pour d'éventuelles télécommandes.

Plus généralement, le développement de l'intelligence dans les réseaux, smart grids en anglais, devrait permettre de développer et de tester des systèmes évolués de pilotage de la charge, effacement en temps réel ou « horo-saisonnalité » avancée, afin de limiter les contributions aux pointes nationales et locales. C'est pourquoi ERDF participe à de nombreux démonstrateurs dans le cadre des appels à manifestations d'intérêt de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.

Je suis donc favorable au développement de nouveaux outils de flexibilité, mais il me semble important de souligner devant la commission d'enquête qu'il convient de s'assurer de leur compatibilité avec les spécificités locales des réseaux de distribution, et qu'ils doivent permettent à chacun de jouer son rôle dans l'optimisation globale du système.

Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, concerne les avantages concrets du système Linky.

Ce système est composé d'un système informatique, d'une infrastructure de communications et de compteurs communicants.

Les avantages sont multiples, à l'égard tant de l'ensemble des consommateurs que des autres acteurs du marché de l'électricité et de la collectivité : le client bénéficiera d'une facture calculée sur la base de la consommation réelle et non plus d'une estimation ; de nombreuses interventions seront réalisées à distance et ne nécessiteront plus la présence du client, par exemple la relève des compteurs, le changement de puissance, de fournisseurs ou la mise en service ; les délais d'intervention seront beaucoup plus courts, puisqu'ils seront ramenés de cinq jours actuellement à moins de vingt-quatre heures.

Le système Linky permettra également aux fournisseurs d'électricité de développer de nouvelles offres : grilles tarifaires modulant les journées, les semaines ou les saisons. En outre, Linky est un outil essentiel pour développer les outils de la maîtrise de la demande, la MDE. Il permettra aux clients de disposer d'une information de leur consommation, soit sur internet, soit par l'intermédiaire de leur fournisseur. Avec les compteurs actuels, 12 millions de ballons d'eau chaude sont pilotés à distance. Tout en maintenant cette possibilité, Linky permettra un pilotage différencié de nombreux autres équipements et usages - huit réseaux, huit circuits différents - et, bien entendu, du chauffage électrique en fonction des offres tarifaires et des services qui seront proposés.

Toutes ces nouveautés favorisent les économies d'énergie et l'effacement des pointes de consommation.

Linky permettra de mieux accueillir le développement des productions d'énergies renouvelables d'origine photovoltaïque ou éolienne et les nouveaux usages comme le véhicule électrique. Il sera ainsi un outil essentiel du pilotage des nouveaux équilibres, de la fiabilité et de la sécurité globale du réseau national de distribution d'électricité.

En effet, ces énergies renouvelables sont intermittentes, elles ont une grande variabilité, difficilement prévisionnelle, et le fait de disposer d'outils de mesure et de pilotage sera demain indispensable pour pouvoir piloter et assurer l'équilibre permanent entre l'offre et la demande.

Linky complètera les automatismes qui ont déjà été mis en place sur le réseau d'ERDF. Il facilitera le diagnostic à distance, l'optimisation des investissements et permettra des dépannages plus rapides.

Ces fonctionnalités sont-elles optimales ?

Je formulerai deux observations.

En premier lieu, les fonctionnalités ont été définies après plus de soixante réunions, la plupart organisées sous l'égide de la Commission de régulation de l'énergie. Toutes les parties prenantes ont été associées à cette concertation. Ces réunions ont permis de faire converger des visions et des intérêts parfois divergents des différents acteurs sur les fonctionnalités.

En second lieu, on peut toujours attendre la prochaine génération que le progrès pourrait nous apporter. Mais, technologiquement, non seulement Linky constitue un optimum, mais aujourd'hui il est conçu pour que ses logiciels internes, et donc ses fonctionnalités, puissent être mis à jour à distance. Si de nouvelles fonctions devaient être décidées par la suite, il ne serait pas nécessaire de remplacer les compteurs.

ERDF continue à travailler sur les solutions de demain, sur l'innovation, notamment sur les courants porteurs en ligne, mais les compteurs qui sont conçus aujourd'hui et seront déployés dans la première phase offriront l'ensemble des fonctionnalités. Seules les conditions de transmission, notamment la vitesse de transmission, seraient susceptibles d'évoluer.

Quel est le coût du système et quel est son financement ?

L'expérimentation sur 260 000 compteurs a permis de valider le budget nécessaire au déploiement complet du projet, soit environ 4,5 milliards d'euros sur la période de déploiement, c'est-à-dire sur six ans.

Un tel effort nécessite une sécurisation dans la durée. En tant que présidente d'ERDF, j'ai pris la responsabilité que cet investissement important ne se fasse pas au détriment de l'entreprise publique d'ERDF.

Le budget prévisionnel est équilibré sur vingt ans, c'est-à-dire que les gains, notamment sur les interventions, les déplacements, la relève, mais également sur les pertes, devraient couvrir, à terme, le coût de l'investissement.

Dès lors, deux dispositifs de financement sont en débat : le financement dans le cadre du TURPE, dont vous savez qu'il couvre des périodes de quatre ans, et un financement hors TURPE, c'est-à-dire un financement du surcoût Linky par ERDF.

Dans le second dispositif, ERDF finance ce surcoût et se rembourse ensuite par les gains générés par la mise en oeuvre du système. Dans ce cas, le compteur n'aurait alors rien à payer de plus.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Ce système a l'air satisfaisant !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Desessard, laissez Mme Bellon terminer sa démonstration !

Mme Michèle Bellon. - Cette solution devrait être sécurisée par la régulation.

Compte tenu de la nature de l'investissement et de son montant, des conditions sont toutefois requises - M. Poniatowski connaît le sujet - pour l'obtention du prêt nécessaire au financement.

Il s'agit en fait de garantir les flux financiers d'ERDF sur la durée d'amortissement du prêt, soit vingt ans, et/ou d'obtenir un droit réel sur les actifs ainsi financés, lesquels appartiennent aux collectivités.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Merci de le rappeler !

Mme Michèle Bellon. - Des discussions sont engagées avec l'ensemble des parties prenantes, les pouvoirs publics, la CRE, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et nous essayons d'avancer.

Il est enfin important de noter que Linky procurera un chiffre d'affaires important et des emplois aux fabricants de compteurs et installateurs implantés sur le territoire national - environ 10 000 emplois directs et indirects, dont 5 000 emplois locaux directs pour les seules opérations de pause -, permettant ainsi le développement d'une filière industrielle qui a vocation à exporter le savoir-faire français. Chaque semaine, nous accueillons des délégations étrangères en visite - nous sommes très observés - et, croyez-moi, notre système a les fonctionnalités et les performances qu'il faut.

Cinquième et dernière question : quel est le coût des pertes ?

De quoi s'agit-il ? Que sont les pertes réseaux ?

Il existe deux types de pertes.

Les réseaux sont constitués de matériaux métalliques conducteurs, en général du cuivre, mais pas seulement, qui génèrent des pertes techniques : ils s'échauffent en raison de l'effet joule ; c'est un phénomène physique. La première catégorie de pertes résulte donc de la circulation du courant dans les câbles, les lignes aériennes ou les transformateurs, qui crée un échauffement naturel. Ce sont des pertes techniques que l'on ne peut pas éviter.

Par ailleurs, tous les gestionnaires de réseaux doivent également faire face à ce que nous appelons des pertes commerciales : une énergie a bien été livrée mais non facturée, du fait de différentes raisons : des tricheries de consommateurs, des consommateurs sans fournisseur, des compteurs défaillants.

L'écart entre l'énergie injectée sur le réseau et celle qui est facturée traduit à la fois les pertes techniques et les pertes commerciales.

En France, c'est l'une de nos spécificités, il a été décidé par convention que ce solde revenait à la charge du gestionnaire de réseau de distribution, et qu'il était couvert par le tarif d'acheminement.

Qu'en est-il des chiffres ?

Le rendement du réseau de distribution est, au final, de 93,8 %, compte tenu des pertes qui s'établissent à 6,2 % ou 6,3 %. Donc, au total, cela représente annuellement entre 23 et 26 terawattheures, dont environ 60 % pour les pertes techniques. Il faut remarquer que ce taux est l'un des meilleurs en Europe. Le coût correspondant aux achats des pertes par ERDF sur le marché - nous achetons sur le marché avant de pouvoir, plus tard, acheter au prix de l'ARENH, l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique - s'établit, pour 2011, à 1,5 milliard d'euros. Ce sont donc des sommes considérables. Le régulateur est particulièrement attentif à cette charge financière ; il a d'ailleurs mis en place une mesure de contrôle de notre performance dans le TURPE 3 en matière d'achat de cette énergie sur les marchés.

Comment réduire ces pertes ?

Le volume des pertes techniques est sensible au volume d'énergie acheminée. Trois facteurs ont une influence prédominante : le climat, les échanges étant différents suivant la température ; la croissance de la consommation ; enfin, la hausse de la production décentralisée.

Le niveau des pertes techniques est comparable à celui que connaissent les autres distributeurs en Europe. Nos efforts porteront donc à l'avenir sur les pertes commerciales, notamment grâce à une meilleure efficacité de la relève permise par Linky.

D'ici à 2020, nous avons ainsi pour objectif d'améliorer de plus de 10 % notre performance dans ce domaine, puis, en régime pérenne, de doter ERDF des outils de diagnostic permettant d'agir sur les pertes commerciales. Cette économie significative repose en particulier sur le saut technologique apporté par le système Linky.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis maintenant à votre disposition pour toute question complémentaire.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame la présidente, je vous remercie d'avoir répondu avec beaucoup de précision aux cinq questions qui vous ont été posées.

Monsieur le rapporteur, avez-vous besoin d'un complément d'explication sur l'un ou l'autre des éléments de cet exposé ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Oui, monsieur le président. Je comprends votre souci : vous souhaitez que mes collègues puissent également interroger Mme Bellon. Par conséquent, je vais poser mes questions, mais, madame la présidente, vous n'êtes pas obligée d'y répondre immédiatement.

Première surprise : le reversement de 1 milliard d'euros, ou un peu plus, au transporteur. Mais j'ai cru comprendre que c'était pour payer...

Mme Michèle Bellon. - La quote-part d'acheminement.

C'est nous qui percevons,...

M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est juste !

Mme Michèle Bellon. - ... ce que nous appelons en jargon anglais du pass route. Donc, sur notre chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros, nous reversons 3 milliards d'euros à RTE.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Comme portefeuille.

Mme Michèle Bellon. - C'est normal.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous avez parlé d'investissements considérables pour renforcer le réseau des énergies renouvelables.

J'aimerais qu'on me dise - soit directement, soit au travers d'un document -, en quoi l'installation d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques à l'échelon local nécessite-t-il un renforcement de réseau ? Sur combien de kilomètres ? Comment calculez-vous le coût moyen compte tenu de la diversité de situations ? Je voudrais avoir plus de précisions sur l'investissement « considérable » - je reprends votre terme - que nécessite un autre type de production que celui qui existe actuellement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Par comparaison, quels ont été les investissements réalisés sur le photovoltaïque dans les Landes et l'éolien dans le Pas-de-Calais, dont les situations sont totalement différentes ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Sur ces questions tout de même très techniques, soit vous pouvez apporter une réponse très précise dès maintenant, et tant mieux, soit vous pourrez nous la transmettre par écrit dans des documents de travail.

Je souhaiterais obtenir une précision, madame la présidente, sur les notions générales d'investissement et de maintenance.

Vous parlez d'un investissement du réseau. J'ai parfois l'impression - je le sais, ce n'est qu'un terme - qu'il s'agit de maintenance. Par exemple, dans quelle catégorie placez-vous le remplacement de câbles ? Est-ce de l'investissement ou de la maintenance ?

J'ai été surpris, je l'ai déjà dit, des 1 000 euros par véhicule électrique nouveau. Dès qu'un particulier prend un véhicule électrique, le coût d'installation est de 1 000 euros. Donc, si La Poste, par exemple, achète dix véhicules électriques, le coût d'installation pour vous sera de 10 000 euros. Je suis vraiment très étonné.

Enfin, qu'appelle-t-on un réseau cicatrisant ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame la présidente, M. le rapporteur vous laisse la liberté, pour certaines questions très techniques nécessitant des chiffres, de les lui communiquer plus tard.

Mme Michèle Bellon. - Si vous le voulez bien, je commencerai par la fin : le réseau cicatrisant.

Lors de la dernière mission que nous avons effectuée aux États-Unis sur les smart grids - nous faisons beaucoup de benchmarking pour savoir ce que font les autres -, nous pensions que les Américains étaient très en avance. Or, c'est avec amusement que nous avons constaté qu'ils voulaient nous vendre un logiciel auto-cicatrisant - ils sont très bons en marketing -, alors que nous en utilisons déjà depuis trois ans dans l'entreprise.

En fait, sur notre réseau à moyenne tension, nous avons mis en place des automates permettant d'isoler les tronçons du réseau. Quand, par hasard - cela arrive pratiquement toutes les nuits - un véhicule percute un pylône ou qu'un incident quelconque oblige à couper l'électricité sur une partie du tronçon, il y a quelques années, il fallait envoyer une équipe pour interrompre l'électricité. Puis, petit à petit, nous avons installé des automates qui étaient commandés depuis nos agences de conduite.

L'étape suivante a consisté à mettre en place des logiciels qui simulent la totalité de nos réseaux et calculent automatiquement quel est le réseau, l'itinéraire bis le moins chargé qui permettra de délester les clients et de faire en sorte que les clients en aval du point d'interruption soient réalimentés le plus vite possible.

Le logiciel utilisé fonctionne extrêmement bien et permet de minimiser le temps de coupure en cas d'incident sur le réseau. C'est ce que l'on appelle les réseaux auto-cicatrisants, puisque le logiciel calcule, « mouline » très vite pour trouver le réseau le moins chargé et qui, après transfert, pourra supporter la charge supplémentaire.

Je vais maintenant répondre aux autres questions en remontant.

Le prix de 1 000 euros par véhicule électrique résulte des calculs qui ont été faits par nos techniciens avec l'ensemble des parties prenantes, les fabricants de véhicules électriques, les équipes interministérielles concernées par cette question.

L'hypothèse de départ est que, lorsqu'on possède un véhicule électrique, même si 80 % de la population fait moins de 40 kilomètres par jour, notamment en ville, il faut avoir une borne chez soi et une au travail ou sur la voie publique. C'est une moyenne ; il ne faut pas systématiquement deux bornes, mais c'est l'ordre de grandeur.

Les coûts ont été établis en examinant de très près les modes de vie et d'usages, et en estimant le prix du raccordement au réseau des bornes : nous en sommes arrivés à ce chiffre de 1 000 euros par véhicule.

Notre approche a été validée, « challengée » : c'est le coût de raccordement au réseau ; pour installer des bornes dans Paris, Nice ou ailleurs, il faut creuser des tranchées, casser le béton. Les travaux à faire engendrent des frais.

La différence entre investissement et maintenance est délicate, car il est vrai que ce sont deux notions un peu complexes.

La maintenance peut être par exemple l'élagage : lorsque vous coupez des arbres, que vous les taillez, vous n'effectuez aucun investissement ; pourtant, vous engagez des dépenses. Dans le poste de maintenance, qui pèse 4,9 milliards d'euros, il y a toutes les commandes de prestation, par exemple la relève. La relève est une prestation et non de la maintenance, mais elle figure dans ce fameux poste exploitation comprenant de la maintenance, de la conduite, des commandes de prestations. Ce sont des charges d'exploitation comme il en existe dans les collectivités locales.

Il faut ajouter à cette liste la masse salariale, pour 1,9 milliard d'euros, l'immobilier et les véhicules, toute la logistique, les camions nacelles, les petites voitures bleues. Tout cela fait partie des charges d'exploitation.

La liste est un peu longue. C'est pourquoi nous l'avons résumée à maintenance, conduite et élagage.

S'agissant des investissements de renforcement du réseau, nous avons déjà une idée de ce que cela nous a coûté depuis 2005 : 650 millions d'euros.

De quoi s'agit-il ?

Le producteur finance aujourd'hui la totalité du raccordement au réseau, alors que ce n'était pas le cas avant dans la mesure où nous prenions une quote-part à notre charge. Il a en effet fallu la loi NOME pour que le taux de réfaction soit supprimé.

Le réseau doit être renforcé parce qu'il est dimensionné avec des marges et des capacités d'accueil plus ou moins importantes. Or, au fur et à mesure que les installations sont raccordées, les capacités d'accueil arrivent à saturation et il faut créer un nouvel ouvrage, un poste de transformation ou un poste source.

Je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons créé quatre nouveaux postes sources en 2011 uniquement pour des grands champs de photovoltaïque et d'éolien, et nous nous apprêtons à en créer entre six et dix cette année. Un poste source, suivant sa conception, sa localisation, coûte entre 2 millions et 4 millions d'euros.

Pour créer un poste source, qui est, en plus, un poste de transformation entre le réseau de transport et notre réseau, il faut amener l'électricité très haute tension sur ce poste source, et donc les renforcements qui vont avec, ce qui correspond aux 40 millions d'euros en 2011 et aux 55 millions d'euros en 2012 que je vous ai cités tout à l'heure.

Nous n'avons pas de réseaux à dimensionnement infini. Comme un tuyau d'eau, qui a un débit limité, le réseau électrique peut être saturé. Dès lors, vous êtes obligé d'installer un tuyau à côté.

Pour les années à venir, tout dépendra du volume de raccordement.

On estime entre 550 millions et 1,4 milliard d'euros le coût du renforcement du réseau, et non du raccordement au réseau, suivant les hypothèses de développement du photovoltaïque. Alors que la PPI était, je le rappelle, de 5 700 mégawatts de photovoltaïque, nous sommes plutôt aujourd'hui sur une trajectoire de 8 000 mégawatts. Mais nous n'excluons pas un engouement ou des mesures qui permettraient d'atteindre les 12 000 mégawatts.

En tout cas, aujourd'hui, compte tenu du volume de raccordement existant et de ce que nous avons dans les tuyaux, c'est-à-dire de toutes les demandes déjà instruites ou en cours d'instruction - nous avons 1 400 mégawatts en portefeuille aujourd'hui, en plus des 2 300 mégawatts -, à la fin de l'année, nous nous attendons à 3 200 mégawatts. Donc, si nous continuons à un rythme de 900 à 1 000 mégawatts par an, les 8 000 mégawatts sont pour nous une valeur basse.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Le coût sera de 550 millions à 900 millions d'euros...

Mme Michèle Bellon. - De 550 millions à 1,4 milliard d'euros d'ici à dix ans.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Sur dix ans ?

Mme Michèle Bellon. - Comme toutes les autres questions portaient sur dix ans, j'ai raisonné sur dix ans.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pour les postes sources, y a-t-il du personnel ou est-ce simplement une interconnexion technique ?

Mme Michèle Bellon. - Il n'y a pas de personnel ; nous utilisons beaucoup de télécommandes à distance.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Il y a l'auto-cicatrisant !

Mme Michèle Bellon. - L'auto-cicatrisation se fait dans les agences de conduite, où du personnel travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Ces agents supervisent à distance les 2 200 postes sources.

On crée aussi de nouveaux postes sources pour des usages consommateurs. Par exemple, en Ile-de-France, nous allons créer, dans les deux années qui viennent, un certain nombre de nouveaux postes sources, compte tenu du développement économique de Data Center.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. - Madame la présidente, si j'ai bien retenu tout ce que vous venez de dire, 8 00 sites de production d'énergie nouvelle seront raccordés en 2011. Il s'agit de toutes les ombrières, les petites toitures individuelles ou agricoles...

Mme Michèle Bellon. - Effectivement, il y aura 86 000 raccordements de producteurs photovoltaïques. Au total, cela fait 1 500 mégawatts. Il existe des installations de 3 kilowatts, et des installations de plusieurs mégawatts. En divisant les 1 500 mégawatts, on obtient en moyenne 15 kilowatts.

M. Claude Léonard. - C'est donc la conjonction de tous ces raccordements, vous venez de l'expliquer à l'instant, qui entraîne la saturation et vous oblige à recréer des postes sources ?

Mme Michèle Bellon. - J'ai dit aussi que nous souhaitions être impliqués très en amont dans les schémas régionaux climat air énergie, dont la mise en place a été prévue par la loi portant engagement national pour l'environnement et dans les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que certains endroits sont saturés.

Par exemple, les lignes de la vallée du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes, où j'étais hier, sont saturées, y compris la ligne RTE de 150 000 volts. Nous devons donc créer une nouvelle ligne RTE.

Dans d'autres endroits, notamment le nord des Alpes-Maritimes, vers Saint-Auban, il va falloir créer de nouveaux postes sources.

Mais il existe aussi des lieux où des capacités d'accueil sont disponibles et où le raccordement est possible sans que cela nécessite des investissements considérables.

Par conséquent, le réseau n'est pas totalement saturé partout uniformément.

M. Claude Léonard. - Je suis quelque peu perplexe parce que, sur le solaire que je connais un peu, un moratoire dit que 500 mégawatts sont accordés par an sur les tarifs préférentiels. Y a-t-il d'autres personnes qui se branchent malgré le tarif non préférentiel ? C'est ma première question.

Seconde question : si je comprends bien, quand le coût est important pour les centrales solaires au sol, à savoir entre 5 millions et 7 millions d'euros pour une quinzaine de kilomètres permettant de regagner le poste source, finalement une négociation s'opère directement entre l'opérateur et RTE afin de trouver un moyen de se rebrancher sur une ligne qui est beaucoup moins loin, mais à condition de créer un poste source.

Mme Michèle Bellon. - Au vu du coût de raccordement, nous recherchons chaque fois les solutions optimisées. L'expérience montre que, aujourd'hui, 1 % du photovoltaïque est raccordé sur le réseau de transport. En réalité, assez peu de négociations ont abouti. Cela signifie aussi que l'on se raccorde à un niveau de tension supérieur, pour de grandes fermes photovoltaïques, et non pour de petites installations.

M. Claude Léonard. - Cela vous laisse de la marge sur les postes sources qui ne sont pas saturés et sur lesquels on envisagerait de se brancher.

Mme Michèle Bellon. - Quand cela arrive, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Claude Léonard. - C'est pourquoi vous souhaitez avoir une lisibilité en amont pour établir des plans...

Mme Michèle Bellon. - Indiquer les endroits où existent des capacités d'accueil sans surcoûts excessifs ; c'est cela qui serait raisonnable.

Je reviens sur votre question du moratoire.

Il y a eu effectivement un moratoire en décembre 2010. Ce moratoire a été débloqué par des textes qui sont sortis en mars 2011. Depuis, l'objectif, c'est 500 mégawatts par an, mais ce n'est ni une contrainte ni une clause couperet.

Actuellement, nous recevons, en nombre de demandes de raccordement - et nous avons l'obligation de raccorder - beaucoup plus que les 500 mégawatts par an. C'est pour cela que les pouvoirs publics ont mis en place un système de régulation selon lequel, pour essayer d'ajuster au mieux le tarif d'achat, on leur transmet tous les trois mois le volume de raccordement demandé et le prix de l'obligation d'achat, modifié en fonction du flux qui arrive.

D'ailleurs, il est amusant d'observer que, sur un trimestre, les courbes de demandes sont assez faibles les deux premiers mois parce que les producteurs font le pari de déposer leur demande le troisième mois en se demandant si l'évolution tarifaire du quatrième mois sera positive ou négative. En tout cas, depuis mars 2011, les deux premiers mois de chaque trimestre ont été faibles alors que le troisième mois enregistrait un pic avant de diminuer. Il y a ainsi un pic tous les trois mois.

M. Claude Léonard. - Vous dites, à propos des 500 mégawatts, que 4 000 mégawatts seraient en stock à la CRE ?

Mme Michèle Bellon. - C'est une autre question : c'est l'appel d'offres de la CRE.

Effectivement, la CRE a lancé un appel d'offres pour des installations de forte puissance. En l'occurrence, la puissance proposée est quatre fois supérieure à celle de l'appel d'offres. Il appartient à la CRE de choisir les projets qui se positionnent le mieux ; cela viendra en sus, pas toujours en sus d'ailleurs parce que certains ont fait des demandes préalables d'études. Donc, certains viendront en sus et d'autres viendront en substitution.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Qu'en est-il de l'exemple concret du producteur situé à 15 kilomètres du réseau ?

Mme Michèle Bellon. - Dans ce cas, il va bien falloir y aller. Or, au moment où ce producteur a fait son étude, il a bien dû voir s'il y avait ou non un réseau au près.

Il est arrivé que certains producteurs - les études et le processus de décision sont parfois longs - se mettent à un moment dans la file d'attente pour bénéficier d'une capacité d'accueil à proximité. Au bout d'un certain délai, ils perdent leur droit à raccordement s'ils ne nous donnent pas de nouvelles. En effet, un certain nombre de projets sont abandonnés en cours de route. Or, s'ils reviennent un an ou dix-huit mois après, il est possible qu'entre-temps les capacités aient été saturées et que le poste à proximité ne soit plus disponible. Il faut alors chercher plus loin le raccordement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. - Je poserai deux questions rapides.

Premièrement, vous avez dit que le compteur Linky avait créé 10 000 emplois, dont 5 000 pour la fabrication - Le Lot est intéressé, puisque le groupe Core en fabrique -, et 5 000 pour la pose. Cela veut dire qu'ERDF ne poserait pas les compteurs ?

Deuxièmement, vous avez évoqué les courants porteurs en ligne. On en avait beaucoup parlé à un moment donné, et je croyais qu'ils avaient disparu. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur ce point ?

Mme Michèle Bellon. - Concernant la pose des compteurs, nous avons prévu de conserver un certain pourcentage de pose par nos propres salariés, ne serait-ce que pour garder la main et notre savoir-faire.

De plus, dans certaines zones particulièrement isolées, il n'y a aucune raison de faire appel à une entreprise, parce qu'il n'y en a pas à proximité et que, de toute façon, nos salariés sont présents. Nous avons tout de même plus de 1 000 implantations sur le territoire, c'est-à-dire, grosso modo, un salarié pour 1 000 clients. Nous avons donc du monde partout sur le territoire.

Par conséquent, dans certains endroits, la pose sera réalisée par nos salariés : nous gardons 10 % à 15 % minimum de pose de compteurs par nos propres salariés. D'ailleurs, cela permettra de mieux accompagner les entreprises, de suivre les évolutions et, je le répète, de conserver notre savoir-faire.

La seconde question concerne les courants porteurs en ligne.

En fait, dans le système Linky, il y a des concentrateurs et des compteurs qui se trouvent chez l'habitant ; il y a aussi des concentrateurs qui regroupent, par grappe, les compteurs, qui sont en général situés dans des postes de transformation. Enfin, il y a un système informatique national.

Entre le compteur et le concentrateur, l'information transite par le câble, qui est aussi le câble d'alimentation en électricité. Cela s'appelle des courants porteurs en ligne, c'est-à-dire qu'on ne met pas un deuxième câble. L'information du compteur transite donc par le câble électrique.

M. Jean-Claude Requier. - À un moment, on a eu beaucoup d'espoir, car on a cru que, comme cela se faisait en Allemagne, nous pourrions passer au numérique, y compris pour le téléphone, par les courants porteurs en ligne. Puis on en a moins parlé. C'est pour cela que je suis heureux de vous entendre.

Mme Michèle Bellon. - Nous travaillons effectivement sur les courants porteurs en ligne, et nous avons pris l'option après l'avoir testée sur 260 000 compteurs. Le signal passe effectivement par les câbles.

En revanche, entre les concentrateurs et le système national, on aurait pu imaginer que l'information passe par GPRS, donc par voie téléphonique, mais il faut une puissance très importante des câbles et, techniquement, nous n'avons pas aujourd'hui la solution. Les États-Unis ont pris ce parti compte tenu des vastes étendues du territoire même s'ils n'ont pas beaucoup de compteurs aujourd'hui. Mais cela conduit à un très grand nombre de communications et à des dépenses d'exploitation importantes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Absolument !

Mme Michèle Bellon. - Nous, nous avons à peu près un concentrateur pour 100 à 150 compteurs, tout dépend des zones. Donc, nous divisons par 50 ou 100 les communications téléphoniques pour transmettre l'information.

Il y a un arbitrage à faire entre coût d'investissement et coût d'exploitation.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Bien sûr !

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. - Je souhaiterais poser deux questions.

Nous n'aborderons pas aujourd'hui la question de la concession et du rapport avec les collectivités locales. Il s'agit pourtant d'une question clé, mais nous ne pourrions pas la traiter en peu de temps. Mes deux questions seront donc plus précises et en lien avec les discussions précédentes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Peut-être Mme Bellon pourrait-elle faire une petite réponse rapide sur la concession.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mme Bellon en a beaucoup parlé ce matin lors de la réunion sur le coût de l'énergie.

M. Ronan Dantec. - Nous ferons des recoupements.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce problème est un peu hors sujet.

Mme Michèle Bellon. - Et les questions peuvent être multiples.

M. Ronan Dantec. - Plus ou moins !

J'en viens à la montée du tarif avec le TURPE 4. Nous avons bien compris qu'il sera plus élevé que le TURPE 3. Il en est de même pour le prix de l'ARENH ; nous avons entendu la CRE sur ce point.

Ne pensez-vous pas que, demain, des consommateurs vont se doter d'énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, mais aussi le petit éolien, qui progresse mais n'est pas encore parvenu à maturité ? Ces clients chercheront d'abord à pratiquer l'autoconsommation, dans la mesure où ils feront une économie sur le prix de vente de l'électricité tout compris, et chercheront ensuite à revendre, même à un petit prix - ce sera assez secondaire dans leur projet -, l'électricité supplémentaire au moment où ils n'en auront plus besoin.

Ma première question est la suivante : comment pourrez-vous gérer une multitude d'opérateurs de ce type avec des compteurs qui marchent une fois dans un sens et une fois dans l'autre, puisque c'est un modèle économique dont on entend énormément parler aujourd'hui.

Ma seconde question porte sur Linky.

Lors des auditions précédentes, un certain nombre d'intervenants nous ont dit que, puisqu'il fallait intervenir pour installer Linky, autant procéder comme pour le ballon d'eau chaude sur le chauffage électrique. Ainsi, pour effacer la pointe, on aurait quelque chose de massif et de très opérant. Mais comment ERDF pourra-t-il gérer si Linky est couplé non pas seulement sur le ballon d'eau chaude, mais aussi sur le chauffage électrique ?

Mme Michèle Bellon. - En ce qui concerne la montée du tarif - TURPE 3 et TURPE 4 -, j'ai tout de même été beaucoup plus réservée que cela. J'ai dit qu'il fallait que nous fassions des efforts constants et que nous évitions l'effet de yo-yo. À mon sens, l'augmentation du tarif d'acheminement ne doit pas être considérable. En revanche, il est vraiment important de maintenir l'effort dans la durée ; c'est du marathon.

M. Ronan Dantec. - Si vous passez de 3 milliards d'euros à 4,5 milliards d'euros d'investissements par an, il faudra quand même trouver la recette.

Mme Michèle Bellon. - C'est une augmentation très modeste par an. Actuellement, nous sommes à 3 milliards d'euros.

Quant à l'autoconsommation, qui est assez développée dans les pays nordiques, notamment en Allemagne, elle est peu pratiquée en France. Force est de constater que, vu le tarif d'achat, il n'est pas très séduisant de consommer une électricité qu'on peut vendre cinq fois plus cher, ou plus. Ce système ne s'est donc pas développé.

Au demeurant, même avec des panneaux photovoltaïques sur une toiture, on ne pourra pas se dispenser d'être raccordé au réseau, parce que, de toute façon, la nuit ou quand il n'y aura pas de soleil, il faudra bien avoir du réseau.

Ce qui me semble important dans les discussions actuelles sur la structure du tarif, c'est de savoir quelle doit être la partie fixe et la partie variable. Les coûts du réseau de distribution sont essentiellement fixes, même s'il y a une part variable avec les pertes.

M. Ronan Dantec. - D'accord.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je reviens sur la question de notre collègue d'une autre manière.

Parmi les 27 pays européens - tous ne sont pas concernés -, dans lesquels est-on obligé de se raccorder et de revendre au réseau, et dans lesquels peut-on être auto-producteur ?

Mme Michèle Bellon. - En France, vous pourriez être auto-producteur. Vous n'y avez pas intérêt, mais c'est possible.

En Allemagne, en Hollande et en Belgique, il existe des systèmes d'autoconsommation, assortis en général de formules d'incitation. De toute façon, cela soulève la question du comptage puisque celui-ci se fait à la sortie de la production et à l'entrée de la consommation : il faut donc plusieurs compteurs.

L'Allemagne, par exemple, a mis en place une forme d'incitation financière à l'autoconsommation : les kilowattheures produits et autoconsommés sont également subventionnés, même s'ils le sont beaucoup moins que ceux qui sont revendus au réseau.

En résumé, il existe des mécanismes assez astucieux.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Dans tous les Länder ou seulement dans certains d'entre eux ?

Mme Michèle Bellon. - Dans certains, parce que vous savez qu'en Allemagne les politiques sont très différentes suivant les Länder. D'ailleurs, même le tarif d'acheminement varie : entre 55 euros et plus de 70 euros par mégawattheure, alors que nous en sommes à 45 euros tout compris, transport et distribution.

M. Ronan Dantec. - Linky fonctionne-t-il dans les deux sens ?

Mme Michèle Bellon. - Oui, Linky est totalement bidirectionnel.

M. Jean Desessard, rapporteur. - On va faire, comme en Allemagne, de l'autoconsommation : on passe par le compteur pour pouvoir bénéficier éventuellement d'une subvention sur l'autoproduction.

Mme Michèle Bellon. - Cela fait partie des fonctionnalités, c'est faisable.

M. Ronan Dantec. - Si le réseau français tel qu'il est connaissait un boom de l'autoconsommation, des ajustements seraient peut-être nécessaires. Mais, globalement, il tient le choc.

Mme Michèle Bellon. - Cela nécessiterait des investissements de la part de chaque client particulier, puisqu'il faut une boucle qui ramène l'électricité avec des modes de basculement de pilotage.

En revanche, il ne faut pas sous-estimer le fait que, de toute façon, le réseau est nécessaire en secours, comme s'il n'y avait pas de production.

M. Ronan Dantec. - La logique que nous suivons est donc de se connecter ! Et Linky ?

Mme Michèle Bellon. - Pour l'effacement il n'y a aucun problème, puisque Linky est l'outil rêvé pour le faire. C'est l'un des moyens qui va nous permettre d'accompagner toutes les solutions d'effacement de pointe.

Ce système ira beaucoup plus loin qu'Ecowatt, dans lequel nous sommes aujourd'hui engagés et qui fonctionne, d'ailleurs plutôt bien, sur la base du volontariat : on suscite un geste citoyen en envoyant un texto au consommateur pour qu'il s'efface.

Demain, les clients auront la possibilité de commander à distance leur installation en cas d'alerte ou de baisse de la consommation, voire d'effectuer des modifications de façon plus automatique ou de confier cette prestation à un tiers fournisseur ou à un prestataire de service. L'effacement est donc facilité par Linky.

M. Ronan Dantec. - Ma question était précise : comme nous l'ont dit d'autres acteurs que nous avons auditionnés, tant qu'à intervenir pour installer Linky, autant le connecter directement au chauffage électrique, puisque là, il faut faire fort sur l'effacement de pointe.

Mme Michèle Bellon. - Aujourd'hui, lorsqu'on installe Linky - c'est ce que l'on a fait en Indre-et-Loire et à Lyon -, on raccorde le ballon d'eau chaude, qui jusqu'alors avait un câble séparé et distinct, pour qu'il continue à recevoir son signal. D'ailleurs, l'essentiel des 0,7 % de réclamations est dû au fait que l'installateur avait oublié de raccorder le câble de ballon d'eau chaude !

Les compteurs bleus ne pouvaient malheureusement n'envoyer qu'un signal, mais Linky pourra en faire plus. Pour raccorder directement le réseau de chaleur, encore faut-il qu'il y en ait un au niveau du tableau électrique et qu'il soit bien différencié. C'est le cas dans les nouveaux logements, mais ce n'est pas ainsi partout.

Cette question a déjà été étudiée - je suis tout à fait ouverte à ce que nous la réexaminions - dans les groupes de travail pilotés par le régulateur. Certains voulaient un signal par radiofréquence, d'autres réclamaient qu'on mette un gadget directement dans le compteur Linky, par exemple en wifi. Différentes modalités sont possibles.

Il faudrait que les différents acteurs se mettent d'accord sur les modalités d'asservissement du chauffage. C'est possible par le câble, mais cela nécessite des travaux électriques intérieurs ; ce n'est pas gratuit. Les frais de déplacement pourront certes être évités, mais pas tous les travaux de modification du réseau électrique intérieur qui devront être effectués. D'autres opérateurs envisagent une communication par puce ou par ZigBee. Enfin, plusieurs systèmes permettent de communiquer entre le compteur et le radiateur.

Plusieurs solutions sont donc envisageables. Or le débat qui a eu lieu - je n'étais pas encore là - n'a pas été conclu par un arbitrage ou par un consensus sur la normalisation et une standardisation de la communication.

Linky permet tous les modes de communication, mais le choix d'une solution implantée au moment de l'installation n'est pas encore retenu. Nous sommes ouverts pour entamer un débat sur ce sujet.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier. - Madame la présidente, dans le calibrage des investissements que vous opérez sur les postes sources, comment intégrez-vous les schémas régionaux éoliens qui existent ou qui sont en cours de montage ? Je dis cela parce que je suis dans un secteur, le sud Aveyron, où un poste source prête à forte protestation.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Toute revendication locale devra être formulée après la réunion ! (Sourires.)

M. Alain Fauconnier. - Sans plus préciser je pose la question : intégrez-vous les schémas régionaux éoliens dans le renforcement des investissements ?

Mme Michèle Bellon. - Oui, mais cela va beaucoup plus loin. Nous voulons que nos investissements fassent l'objet d'une concertation avec les autorités concédantes, puisque nous ne sommes pas propriétaires des réseaux, contrairement à RTE. Donc, les arbitrages et les priorités sur les investissements réseaux doivent être discutés à la maille locale. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai renforcé mon organisation locale et la responsabilisation de mes équipes locales pour que, justement, les débats aient lieu au bon niveau avec les acteurs économiques et politiques locaux, et surtout avec les autorités concédantes.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Claude Léonard, pour une brève question.

M. Claude Léonard. - Madame la présidente, commencent à se généraliser à l'intérieur des appartements, des maisons, des systèmes porteurs, sur le 220 volts, de signal numérique pour la télévision, par Orange ou d'autres opérateurs. Cela entraînera-t-il une incompatibilité avec l'usage de Linky ? L'un va-t-il perturber l'autre ? Le fait d'installer le compteur intelligent Linky sera-t-il un frein à la multiplication de ces dispositifs qui permettent d'éviter des câblages ?

Mme Michèle Bellon. - Linky, comme je l'ai dit, peut communiquer dans différents modes avec les installations intérieures, y compris les box, c'est-à-dire par fil - c'est la communication filaire - en wifi, en Zigbee, par radio. Ces fonctionnalités qui permettent de couvrir tous les modes d'échanges ont été décidées avec l'ensemble des parties prenantes dont les acteurs des télécoms qui étaient associés. Ces systèmes sont compatibles. Linky va-t-il freiner les autres dispositifs ? Je n'en ai aucune idée. Là, c'est une démarche marketing.

M. Claude Léonard. - L'essentiel, c'est la compatibilité !

Mme Michèle Bellon. - C'est techniquement compatible.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame la présidente, cette audition s'achève. Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu de manière très complète aux interrogations des uns et des autres. M. le rapporteur sera peut-être amené à vous interroger de nouveau, vous ou certains de vos collaborateurs, bien qu'il ait déjà obtenu de nombreuses réponses à ses questions, avant de rédiger son rapport final.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur le président, je remercie également Mme la présidente de la clarté et de la précision de ses réponses. J'attends effectivement des informations complémentaires sur les investissements importants en faveur de la production des énergies renouvelables et le renforcement des réseaux.

Audition de M. Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

M. Ladislas Poniatowski, président. - Dans la suite de nos travaux, nous allons maintenant entendre M. Luc Oursel, président du directoire d'AREVA.

Monsieur Oursel, je vous remercie d'avoir accepté - il est vrai que vous ne pouviez pas refuser ! - notre invitation. (Sourires.)

Comme vous le savez, notre commission d'enquête porte sur un sujet pointu : le coût de l'énergie et le prix de l'électricité. Elle a été créée à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».

Monsieur Oursel, avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Luc Oursel prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, je vous laisse résumer les questions que vous avez adressées à M. Oursel.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Oursel, dans votre réponse au rapport de la Cour des comptes, vous écrivez que le coût de production de l'EPR en série sera compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure. Sur quels éléments vous fondez-vous pour donner cette estimation ? Quel est le nombre d'EPR qu'il serait nécessaire de construire en France pour bénéficier de ce coût ?

Pouvezvous présenter le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qui pourrait avoir pour effet, si la décision de construire des EPR était prise, de garantir un prix d'achat minimum ? Pouvez-vous évaluer quel serait, dans les projets anglais auxquels AREVA participe, le prix d'achat de l'électricité produite par EPR ?

Quels sont vos commentaires sur la présentation des coûts de démantèlement des centrales nucléaires faite par la Cour des comptes ? Quels enseignements tirez-vous des démantèlements en cours ?

Pouvez-vous indiquer le coût de production de l'électricité à partir de sources autres que nucléaire, compte tenu des activités d'AREVA dans les énergies renouvelables, notamment dans l'éolien ?

Quelle est votre vision du stockage de l'énergie ?

Enfin, si la France décidait de renoncer aux réacteurs de quatrième génération, quel en serait l'impact sur les coûts de stockage des déchets nucléaires et sur la validité économique du choix fait par la France de retraiter les combustibles usés dans l'usine de La Hague ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Oursel.

M. Luc Oursel, président du directoire d'AREVA. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de m'avoir invité dans le cadre de votre commission d'enquête et de me donner ainsi l'opportunité d'évoquer l'ensemble des sujets que vous venez d'évoquer.

Je le rappelle, notre champ de compétences est l'électricité nucléaire, ainsi qu'une partie des énergies renouvelables. Mes réponses ne pourront bien évidemment porter que sur les coûts de l'électricité, et non sur les prix.

En réponse à la première série de questions, je voudrais vous faire part du retour d'expérience d'AREVA sur l'EPR.

Selon le récent rapport de la Cour des comptes, qui est très important et très complet, le coût complet de production du mégawattheure d'EDF à Flamanville serait compris entre 70 et 90 euros. Mais il faut rappeler - cela permettra d'expliquer notre présentation à la Cour des comptes - que l'EPR en construction à Flamanville est une tête de série. Aucun réacteur nucléaire n'a été construit en France depuis maintenant bien plus de dix ans ; la filière est donc logiquement confrontée à des coûts liés à l'apprentissage, ou plutôt au réapprentissage. Il n'est pas anormal que les coûts et délais des premiers chantiers soient légèrement plus élevés que, d'une part, les estimations initiales et, d'autre part, des chantiers suivants. Nous avons déjà eu cette expérience en Finlande avec notre client TVO.

Grâce à une organisation spécifique qui fonctionne maintenant depuis 2007, nous tirons les enseignements des différents chantiers qui sont en fonctionnement, c'est-à-dire Olkiluoto 3 et Flamanville. Ce retour d'expérience a d'ores et déjà permis d'apporter des améliorations très concrètes sur les chantiers chinois de Taishan 1 et Taishan 2.

Je vais vous donner quelques exemples.

Le nombre d'heures d'ingénierie qu'il a fallu dépenser sur la chaudière nucléaire, qui est le coeur de la machine, a diminué de près de 60 % entre Olkiluoto et Taishan.

La durée de fabrication des gros composants, ceux que nous fabriquons en Bourgogne, a, elle aussi, été réduite : la baisse a été de 40 % pour les générateurs de vapeur entre Olkiluoto 3 et le premier réacteur de Taishan et de 25 % pour les cuves de réacteurs.

Quant aux délais d'approvisionnement, puisque de très nombreux composants sont achetés auprès de fournisseurs, notamment français, ils ont été réduits de 65 % pour Taishan.

Ainsi le chantier de Taishan respecte-t-il les prévisions de coûts et de délais. Sa durée de construction devrait être inférieure de 40 % à celle d'Olkiluoto.

Voilà quelle est pour nous la traduction concrète du retour d'expériences, de l'apprentissage de tous les chantiers d'EPR, et pas seulement du projet français. D'ailleurs, plus de la moitié des équipes d'AREVA affectées au projet Taishan avait déjà travaillé soit sur le projet finlandais, soit sur le chantier de Flamanville. Et cette proportion ne pourra aller qu'en augmentant avec les nouveaux projets.

Nous emmagasinons donc tout ce retour d'expérience, qui nous permet de prévoir des réductions de coûts et de délais pour l'EPR dans les prochaines années.

Nous participons à de nombreux appels d'offres, que ce soit en Europe ou ailleurs. Suivant les méthodes de calcul - on pourra revenir sur ce point -, les coûts de production d'un EPR en série seraient compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure pour les appels concernant l'Europe de l'Ouest. J'insiste, ce coût est estimé pour l'Europe de l'Ouest, car il est important de raisonner sur une zone relativement homogène en termes de coûts de production et de main-d'oeuvre.

Progressivement, l'effet tête de série se résorbe. Grâce aux efforts permanents qu'effectuent désormais de façon conjointe EDF et AREVA, la durée de construction et les coûts se réduisent peu à peu.

L'estimation de 50 à 60 euros par mégawattheure repose sur un certain nombre d'hypothèses importantes.

D'abord, les EPR seront construits par paires, pour bénéficier d'une mutualisation entre les deux EPR construits. Cela répond à la plupart des appels d'offres en Europe.

Ensuite, le taux de disponibilité de la centrale est de 92 %, ce qui est très supérieur au taux actuel de disponibilité d'EDF. Cela est essentiellement dû à des questions de design : le réacteur est conçu pour que certaines opérations de maintenance puissent se faire en temps masqué pendant son fonctionnement. Ce concept est hérité des centrales allemandes, qui ont des taux de disponibilité supérieurs aux nôtres.

Par ailleurs, l'amortissement des coûts fixes d'exploitation est supérieur à celui de la génération précédente. En effet, la puissance de l'EPR est de 1 630 mégawatts, contre 1 500 mégawatts pour l'ancien N4.

En outre, en raison de sa conception, le réacteur EPR consomme 10 % de combustible en moins que la génération précédente. Ce point est insuffisamment connu.

Enfin, la durée de vie est de 60 ans alors que, pour le N4, le calcul se faisait avec une durée de vie de l'ordre de 40 ans.

Les coûts de production de l'EPR le rendent tout à fait compétitif par rapport non seulement aux filières classiques, que ce soit le gaz ou le charbon, sans même tenir compte des hausses des prix du gaz et du CO2, mais également aux filières renouvelables. Je reviendrai plus tard sur ce point.

Vous m'avez aussi interrogé sur la capacité du système français à assurer le déploiement d'EPR. Tout dépend des hypothèses que choisirait EDF pour assurer le remplacement du parc existant.

En tout état de cause, il faut prendre en compte les caractéristiques de l'EPR.

D'une part, sa puissance moyenne installée est de 1 600 mégawatts alors que celle des centrales varie aujourd'hui entre 900 et 1 300 mégawatts, soit 1 100 mégawatts en moyenne. D'autre part, le taux de disponibilité de l'EPR est supérieur de dix points à celui des anciens réacteurs. Il faut donc évidemment moins d'EPR que de réacteurs de la génération précédente. Pour remplacer la totalité du parc, un mégawatt pour un mégawatt, il faudrait une trentaine d'EPR. Vous devriez poser la question à EDF, qui réfléchit à des scénarios permettant de lisser le programme de reconstruction.

La construction des réacteurs actuellement en service a été faite avec, nous le savons, un pic très important de chantiers lancés simultanément. En 1986, il y a eu, me semble-t-il, jusqu'à huit démarrages de réacteurs en même temps. Aujourd'hui, EDF privilégie un lissage.

De notre côté, nous avons travaillé pour que la chaîne de sous-traitance, qu'elle soit en France, pour la fabrication des forgets au Creusot, ou au Japon, pour les pièces pour lesquelles nous n'avons pas encore développé de capacité de production, soit capable de fabriquer, produire et suivre en termes d'ingénierie, selon les maillons de la chaîne, de deux à cinq EPR par an.

Selon nous, il n'y a pas de problème de capacité industrielle. Certes, il faudrait probablement ajuster, recruter des personnels, mais nous avons les capacités industrielles pour mener un programme de remplacement significatif du parc français.

Vous m'avez interrogé sur le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qu'il est extrêmement intéressant à suivre. Il faut rappeler que la Grande-Bretagne est le premier pays qui, à la fin des années 1980, a dérégulé massivement le système de production électrique, ce qui a fini par poser des difficultés en termes de sécurité d'approvisionnement.

En effet, il est très difficile de construire des centrales à charbon en Grande-Bretagne ; les ressources de gaz, qui ont permis pendant un moment de couvrir les besoins en électricité, sont déclinantes en mer du Nord ; enfin, le parc nucléaire britannique, de par sa conception, n'a pas une capacité énorme d'extension de durée de vie.

Dès le premier semestre de 2011, le ministère de l'énergie britannique avait lancé un livre blanc reposant sur quatre mesures principales, qui sont intéressantes à connaître.

Premièrement, est appliqué le mécanisme dit « de capacités » : la capacité est rémunérée pour permettre le développement de centrales de production d'électricité de pointe.

Deuxièmement, on instaure des standards obligatoires de performance en matière d'émission de CO2. Ainsi, s'il n'y a pas d'installation de captage du CO2, il n'est pas possible de construire des installations au charbon.

Troisièmement, un prix plancher du CO2 est mis en place, ce qui est très important au regard des fluctuations observées ces dernières années. Il permet de renforcer les technologies sobres en carbone, tout en étant neutre par rapport aux technologies utilisées : il n'avantage ni les énergies renouvelables, ni le nucléaire. Toute technologie sobre en émission de carbone bénéficie de ce mécanisme de prix plancher.

Quatrièmement, enfin, un système de tarifs de rachat est mis en place. Ces tarifs de rachat de long terme permettent à des investissements capitalistiques lourds, nécessaires aussi bien pour le nucléaire que pour les énergies renouvelables, d'être pris en compte.

Les objectifs sont clairs : mettre en place un nouveau système de production électrique et garantir la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique, tout en assurant une très forte décarbonisation du secteur de l'électricité.

Les tarifs de rachat et le prix plancher du CO2 sont les deux éléments principaux. Ils permettent d'apporter une certaine garantie, de diminuer les incertitudes sur les prix de vente du kilowattheure et ainsi de faciliter la décision et le financement d'investissements de production d'électricité qui sont, nous le savons, lourds pour des projets très longs.

Aujourd'hui, il est encore trop tôt pour savoir quel sera exactement le prix de l'électricité. Le gouvernement britannique devrait finaliser les tarifs de rachat vers la fin de l'année 2012 ou le début de l'année 2013, pour que des contrats puissent entrer en vigueur en 2014. Ces contrats concerneront en priorité des investissements à plus courte durée de réalisation, les toutes premières centrales nucléaires devant entrer en fonctionnement en Grande-Bretagne entre 2018 et 2020.

Aujourd'hui, deux acteurs développent de tels projets : EDF, qui a d'ores et déjà démarré, avec nous, des activités d'études et de réalisation de quelques composants sur le site de Hinkley Point, et un consortium rassemblant des électriciens allemands, Horizon, lequel devrait annoncer dans les prochaines semaines le choix de la technologie qu'il retiendra.

Nous ne participons évidemment pas aux négociations de tarifs avec le gouvernement britannique. Notre travail a consisté à fournir aux électriciens nos propositions de prix sur la base desquelles ils peuvent discuter avec le gouvernement britannique.

Cette réforme est extrêmement importante ; elle doit nous faire réfléchir à la possibilité de déployer de nouveaux mécanismes permettant simultanément une décarbonisation de la production d'électricité, le maintien d'une certaine compétition et la réalisation d'investissements lourds, à un moment où, nous le savons, l'Europe doit renouveler ses investissements et mettre en place des solutions décarbonisées.

Vous m'avez aussi posé une question sur le démantèlement, sur lequel je tiens à vous rappeler quelques points importants. Dans son rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'y avait aucun coût caché dans la filière nucléaire, même s'il demeure un certain nombre d'incertitudes dans le démantèlement. Elle ne remet pas en cause l'estimation des opérateurs ; même s'il y avait un doublement des devis de démantèlement, la hausse du coût de production de l'électricité ne serait que de 5 %.

Pour AREVA, le démantèlement correspond à deux choses différentes. C'est d'abord le démantèlement de ses propres installations en tant qu'exploitant d'activités industrielles du cycle de combustibles ; c'est ensuite celui des installations de ses clients pour lesquels elle est fournisseur de services, non seulement en France, mais également en Allemagne et aux États-Unis.

En ce qui concerne nos propres installations en France, la Cour des Comptes rappelle - tous les chiffres ont été publiés dans son rapport - que les charges de démantèlement sont de l'ordre de 7 milliards d'euros et qu'elles sont correctement provisionnées. Le démantèlement a d'ores et déjà commencé pour un certain nombre d'activités.

Par exemple, l'arrêt définitif de l'usine UP2 400 de La Hague, qui avait été mise en service en 1966 et a permis le traitement de 10 000 tonnes de combustibles, a été décrété en 2003. Aujourd'hui, compte tenu de l'état d'avancement, nous estimons que le devis de démantèlement est stabilisé ; il n'a d'ailleurs pas changé entre 2006 et 2010.

En revanche, le devis de démantèlement d'Eurodif, une installation d'enrichissement qui va bientôt être arrêtée, a crû pendant cette même période, mais cette hausse s'explique par un changement de périmètre, c'est-à-dire la volonté de procéder à un démantèlement plus important, et par une augmentation du volume de déchets et de contamination à traiter. Vous avez certainement vu que nous avons prévu, dans les comptes de l'entreprise en 2011, une provision récente pour faire face à cette augmentation.

Nos démantèlements sont des opérations très spécifiques pour lesquelles nous devons compter sur notre propre expertise pour assurer les devis. Il est en effet difficile de s'appuyer sur des expertises extérieures pour des opérations comparables.

Pour nos nouvelles installations, que ce soit George Besse II, UP2/800 et UP3 à La Hague, et Melox, le démantèlement a été intégré dès la phase de conception des installations afin de l'optimiser, ce qui n'était probablement pas le cas pour les générations précédentes d'équipements.

Nous procédons à une révision périodique des devis, triennale lorsque le démantèlement n'a pas encore commencé et annuelle lorsqu'il est en cours. Nous pouvons ainsi « recaler » les choses régulièrement.

Pour le démantèlement des installations de nos clients, je tiens d'abord à insister sur le fait que, pour nous, cette activité est non pas théorique, mais bien réelle. Près de 1 500 collaborateurs, représentant l'ensemble des métiers, travaillent sur ces chantiers, pour la préparation des projets, la gestion, l'assainissement, le démantèlement et le traitement des déchets. Nous travaillons pour La Hague, le CEA, Superphénix, mais également en Allemagne, où nous avons participé au démantèlement d'un réacteur, et aux États-Unis, auprès du Department of energy.

L'accumulation de toutes ces expériences permet de fiabiliser les devis que nous préparons pour le compte de nos clients et les engagements commerciaux que nous prenons. Il en va de même des études très approfondies que nous effectuons pour préparer les opérations de démantèlement.

Pour revenir à votre question, dans le cas particulier des réacteurs, le système en France est quelque peu différent : EDF assure la maîtrise d'ouvrage et une grande partie de la maîtrise d'oeuvre et ne nous confie qu'une partie des réalisations à faire. Nous n'avons donc pas de vision globale du devis de démantèlement d'un réacteur français ; nous ne connaissons que celui de la part qui nous est confiée.

Il n'est pas étonnant que les coûts de démantèlement soient assez variables, car, comme je l'ai indiqué précédemment, ces coûts varient en fonction des hypothèses retenues pour le projet, le type d'installation, l'âge et de l'intégration, ou non, dès le démarrage du projet de démantèlement. Le fonctionnement, la conception, le génie civil, tous ces éléments sont également importants.

Le coût varie également, et cela concerne particulièrement le parc français, en fonction de la courbe d'apprentissage, de l'effet d'expérience, des économies d'échelle engendrées par la construction de plusieurs réacteurs.

Enfin, il faut prendre en compte la stratégie de démantèlement retenue par l'opérateur : un démantèlement immédiat ou différé. Un certain nombre de coûts fixes du démantèlement découlent des coûts de surveillance du site : ils varient fortement selon que le site est encore en fonctionnement pour une partie des autres réacteurs ou qu'il est totalement abandonné.

J'en reste là sur la question du démantèlement, mais je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur ce point.

J'en viens au coût de production de l'électricité à partir d'autres sources que le nucléaire. AREVA a souhaité, sous l'impulsion d'Anne Lauvergeon, et j'ai repris cette stratégie, s'engager dans le domaine des énergies renouvelables. Il s'agit d'une décision d'entreprise récente, datant d'il y a quelques années, qui s'est essentiellement traduite par des acquisitions. Nous intégrons ces activités, et nous les soutenons industriellement et commercialement pour qu'elles se développent.

Nous le faisons dans les domaines de l'éolien en mer (offshore), mais pas dans le terrestre (onshore), dans le domaine du solaire à concentration, mais pas dans le photovoltaïque, dans le domaine de la biomasse, mais aussi dans le stockage, qui est plus en phase de développement.

Je vais vous donner les coûts sur lesquels nous travaillons.

Pour l'éolien terrestre, nous observons que la moyenne de coûts est située entre 80 et 90 euros par mégawattheure, avec un investissement qui représente entre 80 % et 90 % du coût de production.

Pour l'éolien en mer, les coûts sont très variables en fonction de la distance à la terre, de la taille du champ, de la profondeur et de la qualité de la fondation, c'est-à-dire des sols marins. Vous le savez, l'appel d'offres en cours dans notre pays a retenu une fourchette de 115 à 200 euros par mégawattheure.

Les conditions de vent sont évidemment des facteurs très importants de différences. Par rapport à la France, le temps de vent efficace est en Allemagne supérieur de 30 % en moyenne. Pour des installations très capitalistiques, cet élément a un impact immédiat sur le coût du kilowattheure.

Nous participons à l'appel d'offres sur les cinq champs français et nous attendons avec impatience de connaître la décision. Nous sommes avec GDF-Suez sur certains champs et avec Iberdrola sur d'autres.

Pour les installations offshore, l'investissement représente 80 % du coût de production du mégawattheure, car il s'agit d'installations capitalistiques. La turbine compte pour une petite moitié de l'investissement. Quant aux coûts de maintenance et d'intervention, ils en représentent 20 % : pour l'éolien offshore, ils sont assez importants puisqu'il faut être prêt à réagir très rapidement en cas de panne. Tout kilowattheure perdu coûte très cher. Les conditions d'intervention rendent parfois nécessaire l'utilisation de moyens lourds, hélicoptères ou bateaux.

Nous comptons un technicien par turbine pour assurer la maintenance des champs : c'est une très bonne chose du point de vue de la création d'emplois, mais le coût à payer pour assurer une bonne réactivité des équipes est relativement significatif. Nous concevons des turbines optimisées en termes de durée de maintenance : tout est fait pour que la maintenance soit la plus limitée possible. Mais les interventions mobilisent des équipes importantes.

Sur le solaire photovoltaïque, un sujet largement débattu, nous retenons un coût de l'ordre de 250 euros par mégawattheure. Là aussi, les variations sont très importantes selon les pays. Vous le savez, les prix des panneaux ont baissé. La question qui se pose est de savoir quelle est dans cette baisse des prix la part qui résulte de l'évolution technologique, celle qui résulte de l'augmentation des séries de production et celles qui s'explique par les surcapacités de production existant aujourd'hui dans le monde - je pense en particulier à certains pays à l'est de la France qui ont tendance à casser quelque peu les prix du marché.

Pour le solaire thermique à concentration, qui est notre domaine d'activité, nous avons deux types d'application.

D'une part, nous proposons une centrale de production d'électricité : l'eau est chauffée et, à partir de miroirs, de la vapeur est produite qui fait tourner une turbine. Nous vendons souvent à l'Inde une centrale de 125 mégawatts. Vous le voyez, il s'agit d'installations de taille relativement importantes. Les prix sont, là aussi, extrêmement variables en fonction de la configuration choisie, de l'ensoleillement et du prix du terrain, ces installations prenant beaucoup de place.

Nous vendons aussi un produit très intéressant, les boosters. Cette technologie est utilisée pour réchauffer de la vapeur et augmenter la vapeur introduite, par exemple, dans des centrales à charbon. Nous avons une installation de ce type qui, couplée avec une centrale à charbon, améliore le rendement de cette dernière, tout en diminuant la consommation de charbon, et donc la production de CO2.

Vous m'avez interrogé sur les perspectives de réduction des coûts. Dans le domaine des énergies renouvelables, certaines technologies sont très mûres et d'autres ne font que démarrer. C'est enfoncer une porte ouverte que de dire que ces dernières ont évidemment un potentiel de réduction de coût plus important. Tel sera particulièrement le cas de l'éolien offshore et peut-être encore du solaire photovoltaïque. Mais il est clair qu'il va falloir faire des sauts.

Une partie des coûts de l'éolien offshore sont des coûts d'installation dérivés en fait des technologies de l'industrie pétrolière. À part un effet de série, il est difficile d'imaginer qu'on puisse faire, sur ce poste, des gains très significatifs, les technologies étant déjà disponibles.

Un des sauts importants à réaliser pour réduire le coût de l'éolien offshore sera l'augmentation de la taille de la turbine. Aujourd'hui, celle que nous commercialisons fait 5 mégawatts ; certains de nos concurrents annoncent des turbines de 6 ou 7 mégawatts. Mais un accroissement de la puissance se traduira forcément par une augmentation du poids ou par la mise ou point de matériaux plus légers, sans pour autant que cela nuise à la fiabilité. Encore une fois, il est absolument essentiel pour ces technologies offshore que la fiabilité des turbines soit parfaite afin de minimiser les temps d'intervention.

De ce point de vue, le soutien mis en place pour les énergies renouvelables est absolument nécessaire pour la réalisation de ces opérations qui vont permettre de tester de nouvelles technologies, de créer cet effet d'apprentissage que j'évoquais tout à l'heure pour le nucléaire et d'abaisser ainsi progressivement les coûts.

Vous m'avez aussi interrogé sur le stockage de l'énergie. Il s'agit d'une question-clé compte tenu de l'intermittence des ressources des énergies renouvelables. Je ne vais pas revenir sur les chiffres et sur les caractéristiques de ces énergies, mais il faut trouver des capacités pour le stockage de l'énergie.

Nous travaillons sur une solution par le biais d'Helion, qui correspond à la filière hydrogène. Nous participons ainsi à une opération concernant l'université de Corse, opération que je souhaite mettre en avant : il s'agit de la plateforme Myrte, cofinancée par AREVA, l'État français, la collectivité territoriale de Corse et l'Union européenne. Ce projet avance conformément au calendrier prévu, ce qui est important pour un projet novateur. Il s'agit d'une centrale photovoltaïque couplée à une chaîne hydrogène : le stockage se fait pendant la journée et permet d'assurer l'approvisionnement électrique de l'université pendant la nuit.

C'est aujourd'hui une installation pilote : on est encore très loin d'un déploiement industriel. Je ne souhaite donc même pas parler des coûts correspondants... Toutefois, je pense que cette première opération montre l'intérêt de se mobiliser sur ce sujet et de lancer des programmes de recherche importants.

En ce qui nous concerne, c'est la filière que nous avons choisie. Il y en a sans doute d'autres, et la sagesse serait que différentes filières soient explorées en parallèle pour permettre évidemment à la meilleure technologie de se développer.

Il existe aussi probablement de grandes variations en fonction de la taille des installations. Selon moi, la formule du stockage n'est sûrement pas une réponse unique, mais c'est une réponse variée et variable en fonction de la taille des installations.

Pour laisser de la place à nos échanges, j'en viens à votre dernière question, relative à la quatrième génération.

Il est évident que nous continuons à travailler sur ce projet. Nous y travaillons dans le cadre du projet ASTRID, mené par le CEA. C'est un projet qui, lui aussi, nous paraît très important pour assurer le développement continu de notre industrie. Cela permettra d'optimiser à la fois la consommation d'uranium et la gestion des déchets.

D'après les calendriers du démonstrateur qui nous ont été annoncés, il est aujourd'hui plutôt question d'un démarrage de la construction en 2017. Mais tout cela est susceptible d'être redéfini. Il est certain qu'il reste, dans les prochaines années, à figer les grandes options technologiques et probablement aussi à dessiner ce que seront les partenariats internationaux à nouer pour ce type de filière. Aujourd'hui, les travaux en cours, qui mobilisent déjà plusieurs dizaines d'ingénieurs, sont essentiellement franco-français puisque réalisés conjointement par EDF, AREVA et le CEA.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, compte tenu des précisions de Luc Oursel, avez-vous des questions subsidiaires à poser ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Oui, monsieur le président, mais je laisse d'abord la parole à mon collègue Ronan Dantec, qui ne pourra rester jusqu'au terme de l'audition. Or, vous le savez, il a une question urgente à poser.

M. Ladislas Poniatowski, président. - En outre, je ne doute pas qu'il sera sobre, concret et rapide !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Précis et concis !

M. Ronan Dantec. - Mes questions ne portent que sur des points de détail.

Sur les coûts, je souhaite juste avoir une précision : quand vous évoquez des coûts compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure, à terme, pour l'EPR et entre 80 et 90 euros par mégawattheure pour l'éolien, vous parlez bien en coûts courants économiques ?

M. Luc Oursel. - Absolument.

M. Ronan Dantec. - C'était une précision importante.

Il ne s'agit pas ici d'avoir un débat technique : cela nous prendrait du temps et je sais bien que le président me rappellerait à l'ordre !

Toutefois, serait-il possible, pour ne pas rester dans la simple affirmation, que, sans contrevenir au secret-défense, vous nous adressiez un document à la fois détaillé et synthétique ?

Il pourrait s'agir d'un tableau en trois colonnes.

La première colonne porterait sur les coûts de l'EPR de Flamanville. Aujourd'hui, on parle d'à peu près 6 milliards d'euros. Ce montant comprend notamment le génie, la chaudière, les intérêts intercalaires - question extrêmement importante, que la Cour des comptes a soulevée -, etc. Il suffirait alors d'additionner l'ensemble des lignes de la colonne pour en connaître le coût global - soit, pour l'instant, probablement aux alentours de 7 milliards d'euros.

Une deuxième colonne concernerait l'EPR chinois, dont vous nous avez dit qu'il marchait « du tonnerre de Dieu » et qu'il allait donc coûter beaucoup moins cher.

Une troisième colonne porterait sur l'EPR de série. Vous pourriez ainsi nous expliquer, peut-être, que, sur un EPR de série, vous prévoyez 1 milliard d'euros de génie civil, et non pas 2 milliards d'euros comme à Flamanville. Je prends cet exemple uniquement pour vous expliquer l'esprit de ce que nous attendons.

Avec ce tableau, il s'agirait d'avoir quelque chose de suffisamment détaillé sur l'ensemble de ces coûts pour nous permettre d'avoir une idée plus précise de la manière dont vous concevez effectivement les économies de série. Si vos propos sont intéressants, le risque est que l'on reste un peu dans l'affirmation. Or on est quand même là au coeur de notre rapport sur le coût réel de l'électricité.

Si je peux me permettre, je vous ai trouvé un peu imprudent d'annoncer un prix de série compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce n'est pas imprudent : c'est affirmatif !

M. Ronan Dantec. - En ce cas, monsieur le président, vous ajoutez à l'imprudence !

En effet, je vous rappelle qu'EDF-Energy est en train de négocier avec les autorités britanniques, et cela m'étonnerait que la négociation se fasse aux alentours de 60 euros le mégawattheure... Pour ma part, j'avais cru comprendre que l'on était parti sur une négociation à un plus haut niveau. Il est donc un peu embêtant que l'on donne déjà ce genre de chiffre.

Au-delà de mon souhait de disposer de tableaux nous donnant une vision en coûts courants économiques beaucoup plus précise, j'ai une question - une vraie, cette fois - à vous poser avant de m'éclipser. Cette question est assez simple : elle porte sur le retraitement, dont on parle finalement assez peu et que tout le monde ne pratique pas. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de continuer à retraiter ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pour stocker au fond des océans ?

M. Ronan Dantec. - On peut essayer !

M. Luc Oursel. - Monsieur le sénateur, sur votre première question, j'ai probablement failli à ma tâche parce que j'avais justement essayé de prendre quelques exemples très concrets pour vous montrer comment l'effet de série se traduisait pratiquement, par exemple sur des durées de fabrication de gros composants ou sur les programmes d'ingénierie.

M. Ronan Dantec. - Il faut une synthèse de tout cela !

M. Luc Oursel. - Nous allons donc essayer de faire le tableau que vous nous demandez.

J'ai une petite difficulté pratique concernant l'EPR de Flamanville : c'est EDF qui le construit et donc qui connaît l'ensemble des éléments du devis. Les choses sont un peu différentes pour le cas finlandais, sur lequel nous avons une vision plus complète.

S'agissant de l'EPR chinois, je vous ai apporté plusieurs précisions.

J'ai d'abord dit que l'on bénéficiait effectivement aujourd'hui de tout le retour d'expérience de la Finlande et de Flamanville.

Je vous ai également indiqué que, sur le plan budgétaire, notre objectif était une valeur comprise entre 50 et 60 euros par mégawatheure.

M. Ronan Dantec. - En Chine, quel est le budget ?

M. Luc Oursel. - 50 à 60 euros par mégawatheure, cela correspond à des valeurs d'Europe occidentale, où les coûts des facteurs sont à peu près homogènes. Il est évident qu'en Chine, par exemple, les coûts de main-d'oeuvre sont différents.

Nous ne connaissons donc pas, là non plus, tous les coûts de l'EPR chinois puisque, si nous avons, sur ce dernier, une responsabilité particulière, cette dernière coïncide avec les objectifs qu'avait le gouvernement chinois.

M. Ronan Dantec. - Connaissez-vous le coût de l'EPR chinois ?

M. Luc Oursel. - Non.

M. Ronan Dantec. - Vous ne pouvez pas nous dire qu'il sera vraiment moins cher ?

M. Luc Oursel. - Non. Il sera bien sûr moins cher qu'un EPR en France, mais ce coût se décompose en fait en deux types de coûts. Vous aurez, pour des équipements, des coûts strictement identiques. Sur ce plan, vous observerez tout simplement l'effet d'expérience que je vous décrivais. Vous aurez ensuite des coûts particuliers aux marchés chinois, comme, par exemple, les coûts de construction, sur lesquels vous enregistrerez évidemment à la fois l'effet d'apprentissage et les coûts de main-d'oeuvre.

M. Ronan Dantec. - On est bien d'accord !

Vu ce que vous venez de dire, vous connaissez le prix de l'EPR chinois.

M. Luc Oursel. - Non ! Aujourd'hui, dans l'EPR chinois, nous ne fournissons pas tout. Ce que nous fournissons, c'est un contrat ingénierie et achat sur la partie îlot nucléaire. Par exemple, en Chine, nous ne sommes pas en charge du génie civil ; c'est le client chinois lui-même. Sur ce point, je ne dispose donc pas de la donnée pratique.

M. Ronan Dantec. - Vous savez que c'est moins cher, mais vous n'avez pas le coût.

M. Luc Oursel. - Voilà. Mais je sais que c'est moins cher compte tenu des conditions de réalisation du chantier, du nombre de personnes qui y travaillent, de sa durée, ainsi que d'un certain nombre d'améliorations que, je le répète, nous avons-nous-mêmes introduites lors des chantiers précédents.

Nos comparaisons portent sur des équipements identiques. Telle vanne que nous avions achetée à un certain prix pour la Finlande nous sera vendue moins cher par le même fournisseur eu égard à l'effet d'expérience et à l'ingénierie.

S'agissant du retraitement, c'est un sujet qui mériterait un long débat ; je n'ose pas essayer de vous convaincre ce soir. Je peux toutefois vous dire que la France n'est pas la seule à avoir retenu cette option : nous avons retraité et nous continuons à retraiter pour un certain nombre d'autres pays, et pas nécessairement des pays qui ont systématiquement de grandes flottes. Je prends le cas particulier des Pays-Bas, qui exploitent une centrale et ont décidé d'y retraiter et d'y brûler du combustible MOX (mélange d'oxydes). Vous savez que le Japon a fait le choix du retraitement. Vous savez que la Chine est en passe de faire de même. Vous savez aussi que les États-Unis ont mis en place une nouvelle commission, la Blue Ribbon Commission, laquelle vient de rendre ses conclusions : si elle ne tranche pas clairement pour, elle ne tranche pas non plus contre, ce qui est inédit.

Je pense donc que la multiplicité de ces situations et le fait qu'un grand nombre de pays aient utilisé le retraitement, qu'un grand nombre de centrales, et pas seulement en France, aient brûlé du MOX constituent probablement la meilleure réponse à votre question sur la compétitivité économique et la pertinence de cette solution.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cher Ronan Dantec, avez-vous eu la réponse à votre question ?

M. Ronan Dantec. - Monsieur le président, je n'abuserai pas du temps qui nous est collectivement imparti !

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. - Je reviens sur la question de M. Dantec.

Avez-vous déjà une idée du coût d'un EPR que la France déciderait d'installer, par rapport à ce qui est investi sur Flamanville ? Je n'ai pas soit tout entendu, soit tout compris de ce que vous avez répondu.

M. Luc Oursel. - Nous raisonnons en coûts de production par mégawattheure. Aujourd'hui, dans un système où les EPR seraient construits selon une certaine série, où le retour d'expérience serait cumulé, nous pensons que l'on peut viser un coût compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.

M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est la réponse que vous nous avez donnée sur la manière dont vous avez répondu à des appels d'offres.

M. Luc Oursel. - Absolument.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pouvez-vous répéter de quels appels d'offres et de quels pays il s'agissait ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Il s'agissait notamment de la Grande-Bretagne !

M. Ladislas Poniatowski, président. - En outre, vous avez dit que, dans presque tous les projets, il s'agissait d'une construction par paire.

M. Luc Oursel. - Oui.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Or, à ma connaissance, tel n'est pas le cas en Pologne.

M. Luc Oursel. - Si ! Il s'agira aussi de paires en Pologne.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Des paires dans deux régions polonaises différentes ?

M. Luc Oursel. - Absolument. En République Tchèque, où il y a un appel d'offres en cours, c'est aussi une paire. Il en va de même en Grande-Bretagne. En Finlande, ce sont des unités seules.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous étiez prêts à vendre un deuxième EPR !

M. Luc Oursel. - Non, nous sommes consultés pour en proposer un deuxième ! Et l'appel d'offres, qui a commencé, n'émane pas du même client. Vous savez que la Finlande avait quatre réacteurs. Elle avait décidé la construction d'un cinquième réacteur - un « Finlande 5 » -, le fameux Olkiluoto 3, et elle a voté, il y a quelques années, la construction de deux réacteurs supplémentaires.

L'un sera construit par notre client actuel, TVO, et l'autre le sera par un autre client, qui s'appelle FVO. Ce client a d'ores et déjà lancé son appel d'offres. Nous sommes en concurrence avec Toshiba-Westinghouse : ce sera l'EPR contre un réacteur bouillant. Évidemment, nous avons, là, la possibilité de bénéficier du retour d'expérience du premier chantier.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pensez-vous que vous avez des chances, malgré ce qui s'est passé sur ce premier dossier en termes de durée et de surcoût ?

M. Luc Oursel. - D'abord, le fait que nous ayons été appelés montre bien l'intérêt qu'on nous porte.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Oui, c'est intéressant.

M. Luc Oursel. - En effet !

On voit bien aussi, pour les Finlandais, l'intérêt, en termes de commodité d'exploitation, d'avoir un parc relativement homogène. Autre intérêt pour le client finlandais : le fait que les leçons aient été tirées des difficultés du premier chantier : nous pouvons raisonnablement faire l'hypothèse que ces difficultés ne se reproduiront pas. C'est un élément de certitude que nous offrons à nos clients.

M. Claude Léonard. - Le coût que vous avancez est-il fonction des mégawattheures produits ?

M. Luc Oursel. - Oui. Nous donnons un coût en fonction du mégawattheure parce que nous voulons absolument illustrer, de cette façon, les caractéristiques particulières de disponibilité et de moindre consommation de combustibles de l'EPR par rapport à la génération précédente et par rapport à d'autres technologies. Raisonner seulement sur le coût en capital serait ne pas rendre compte de ces avantages.

M. Claude Léonard. - On est d'accord !

M. Ronan Dantec. - Mais, après, vous vendez bien une machine pour x milliards ?

M. Luc Oursel. - D'abord, suivant les appels d'offres, nous vendrons tout ou partie de cette machine, en fonction de l'organisation industrielle que voudra mettre en place le client.

Certains clients souhaiteront, par exemple, une solution packagée ou un consortium ; nous leur proposons alors d'assurer la totalité du chantier. D'autres voudront conserver un rôle de maîtrise d'oeuvre, et non pas seulement de maîtrise d'ouvrage. Dès lors, ils segmenteront la centrale en différents lots et assureront eux-mêmes la coordination. Toutes les configurations sont possibles et se pratiquent.

En outre, je vous rappelle que, lorsque nous proposons ces réacteurs, grâce au modèle intégré d'AREVA, dans un certain nombre de cas liés à l'offre de l'EPR, nous avons également une offre de fourniture de combustible à long terme.

Peut-être vous souvenez-vous que, pour les deux EPR construits en Chine, le contrat comprenait non seulement la fourniture d'une partie de la tranche de l'EPR, mais aussi la fourniture du combustible pour une longue période puisque nous avions signé pour quinze ans. L'engagement ne porte donc pas simplement sur la partie construction.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Arrive-t-il que certains de ces appels d'offres européens demandent un exploitant ?

M. Luc Oursel. - Non. Il n'y a pas de demande pour qu'un exploitant se substituant stricto sensu à l'investisseur : cela n'existe pas en Europe.

En revanche, les appels d'offres européens prévoient souvent le soutien d'un exploitant pour les phases de démarrage de la centrale et de formation des opérateurs, ce qui est tout à fait normal.

Dans un certain nombre de cas - ce pourrait être le cas en Pologne, même si ce n'est pas très clair -, les appels d'offres prévoient qu'il y ait, aux côtés de l'électricien principal, un investisseur, lequel apporte une expérience d'opérateur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mais, en Pologne et en République Tchèque, qui répond à l'appel d'offres : vous ou EDF ?

M. Luc Oursel. - En Pologne, pour la partie portant véritablement sur la construction, sur la réalisation de la centrale, nous allons répondre avec EDF. Il est toutefois possible que l'électricien polonais demande à EDF - ou à un autre - d'investir dans la centrale et d'y apporter son expérience d'opérateur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il faut, dans certains cas de figure, utiliser les bonnes relations de l'électricien polonais avec l'électricien français.

M. Luc Oursel. - Exactement. C'est un point qui, vous vous le rappelez, avait suscité beaucoup de débats dans l'affaire des Émirats arabes unis. Nous avons aujourd'hui en la matière une réponse totalement pragmatique : nous étudions avec EDF les besoins du client et nous voyons quelle est la meilleure configuration.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Au Sénat, nous avons reçu, à deux reprises, des délégations de parlementaires polonais. Chaque fois, ils nous ont interrogés sur l'acceptabilité par l'opinion publique, sujet qui les préoccupait beaucoup. Mais la question des bonnes relations d'EDF avec l'électricien polonais était particulièrement importante à leurs yeux.

M. Jean-Pierre Vial. - Je n'envisageais pas de poser une question sur le nucléaire, mais je constate que, dans notre discussion, nous entrons énormément dans le détail des sites.

En Chine, à côté du site sur lequel l'EPR est en cours de construction, il y a déjà un « quasi-trou » pour l'EPR n° 2 et, un peu plus loin, un autre « quasi-trou » pour l'EPR n° 3.

Pouvez-vous nous communiquer les hypothèses d'application sur les EPR n° 2 et n° 3 ?

En ce qui concerne le solaire, vous nous avez donné le prix estimé du solaire photovoltaïque. Vous avez parlé du solaire par concentration, mais vous ne nous avez pas informés sur son prix, pas plus que sur celui du booster.

Enfin, en ce qui concerne le stockage, vous nous avez parlé de l'hydrogène, mais pas de la possibilité de la station de transfert d'énergie par pompage, alors que vous y avez eu recours dans le couplage nucléaire-hydraulique. Or on sait que l'Allemagne et l'Autriche se targuent de vouloir être demain les « batteries » de l'Europe, en stockant, justement, l'énergie fabriquée par les sources de production intermittentes, ce qui serait un comble.

Intégrez-vous ce stockage, notamment au niveau national ?

M. Luc Oursel. - S'agissant tout d'abord de la Chine, vous êtes probablement allés sur le site de Taishan.

Quelle est la situation aujourd'hui ?

Taishan n° 1 est en cours de construction et Taishan n° 2, son jumeau, le suit à douze mois. Des travaux préparatoires ont déjà été faits pour accueillir Taishan n° 3 et n° 4 et, un peu plus loin, le site présente, sans toutefois qu'aucuns travaux aient encore été faits, ce qui pourrait être Taishan n° 5 et n° 6.

Aujourd'hui, sur Taishan n° 3 et n° 4, nous avons remis une offre au partenaire chinois. Mais vous savez que, pour l'instant, la Chine a suspendu son processus d'autorisation de nouvelles constructions. Ce processus devrait reprendre dans les prochains mois. À ce moment, nous espérons, compte tenu du bon déroulement de Taishan n° 1 et n° 2, avoir quelques possibilités de réaliser Taishan n° 3 et n° 4. Ce serait évidemment une belle confirmation du potentiel de l'EPR.

Au regard de ce qui m'a été décrit lors de mon dernier voyage en Chine, je pense que cette reprise du processus d'autorisation de nouvelles constructions pourrait intervenir dans le second semestre de cette année, sachant que le gouvernement chinois veut tirer tous les enseignements de Fukushima.

De ce point de vue, l'EPR présente un avantage : son passage au crible, après Fukushima, par les autorités de sûreté française, britannique et finlandaise, n'a pas montré la nécessité de procéder à des modifications majeures. Nous en sommes fiers, et je le dis sans aucune arrogance. En effet, le processus de conception de l'EPR avait très clairement intégré un certain nombre de faiblesses de cet ordre. Je prends l'exemple des fameux moteurs diesels : vous savez qu'un EPR, c'est six diesels, localisés dans deux bâtiments séparés, étanches, résistant aux chutes d'avion, etc.

Sur le solaire par concentration, je n'ai effectivement pas donné de valeur parce que, encore une fois, il faut vraiment raisonner au cas par cas. Les éléments tels que la préparation du terrain ou le transfert sur le chantier sont très spécifiques. Il me paraît donc difficile de vous donner des valeurs qui soient très pertinentes.

Concernant les stations de pompage que vous évoquiez, j'ai quelques souvenirs de mon lointain passé de haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie et du climat. Ces constructions n'entrent pas aujourd'hui dans le portefeuille de compétences d'AREVA ; c'est EDF qu'il faut essentiellement interroger sur ce point.

Il me semble toutefois que ces constructions présentent aujourd'hui non pas des problèmes techniques - tout est bien connu -, mais plutôt des problèmes d'acceptation et de sites disponibles, dans des environnements montagnards, lesquels sont ou protégés ou soumis à des contraintes très fortes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je souhaite poser une question concernant la durée de vie des centrales actuelles.

Vous savez que, dans quelques mois - ou, en tout cas, dans les prochaines années -, nous allons tous être confrontés à un grand débat. Quelle doit être la part du nucléaire dans l'électricité ? Quelle doit être celle du renouvelable ? Quelle politique faut-il avoir ? À cet égard, le coût est un paramètre parmi d'autres ; la sécurité et la sûreté des installations entrent également en ligne de compte.

Pouvez-vous donc nous donner votre appréciation sur la sûreté et sur la durée de vie des centrales actuelles ? Quel est le risque potentiel d'une prolongation de vingt ans ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Dix plus dix !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Si vous préférez, monsieur le président !

Je vous pose d'autant plus facilement cette question que l'EPR se veut une installation plus sûre - en tout cas, c'est ce que vous dites -, notamment en termes de béton. Peut-être pouvez-vous nous parler aussi des cuves. Il y a une expérience sur les cuves : c'est en leur sein que se fait le grand chambardement. Quelle est la durée de vie d'une cuve ? Les fissures pourraient annoncer que les cuves ne peuvent aller au-delà de trente ou quarante ans.

Vous qui, justement, avez ce souci, quand vous vendez l'EPR, de le présenter comme étant plus sûr que d'autres installations, que pensez-vous de la prolongation des centrales actuelles ? Est-ce raisonnable ? Quel est le degré de sûreté ?

M. Luc Oursel. - Vous le savez, ce sujet de l'extension de la durée de vie des centrales devient d'une grande actualité en France, avec évidemment le premier cas de Fessenheim.

Ce sujet a déjà été traité dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis, où le parc est plus ancien que le nôtre. Aujourd'hui, à la suite de contrôles menés par l'autorité de sûreté, la durée de vie d'un très grand nombre des centrales américaines a d'ores et déjà été étendue, jusqu'à soixante ans.

Il ne faut évidemment pas imaginer une situation statique, en cas d'extension de durée de vie. En France, c'est un processus qui fait l'objet d'examens décennaux, ainsi que, entre ces examens, d'inspections et de contrôles réguliers.

Pour étendre la durée de vie des centrales, il faut remplacer un certain nombre de composants. C'est ce qui s'est fait, par exemple, en France, avec les générateurs de vapeur, et c'est ce qui peut se faire avec un certain nombre d'autres composants.

Selon moi, il n'y a pas d'arbitrage à opérer entre durée de vie et sûreté. Je pense que l'extension de durée de vie ne peut se faire qu'à sûreté égale ou renforcée. Pour cela, toute une série de mesures, en particulier techniques, doivent être prises au niveau de l'exploitation, comme le remplacement de composants.

AREVA a son rôle à jouer auprès d'EDF, qui a la responsabilité de gérer les procédures d'autorisation, les conditions d'exploitation et ces programmes de modernisation et de mise en conformité avec la sûreté. Pour ma part, je ne pense pas que la prolongation puisse se faire autrement qu'à sûreté égale ou supérieure, moyennant, donc, les travaux que j'évoquais.

Pourquoi l'EPR a-t-il une durée de vie de soixante ans ? Parce que, dans sa conception, nous avons tout simplement intégré des matériaux et le savoir-faire qui n'étaient pas nécessairement disponibles pour avoir, par exemple, des générateurs de vapeur fonctionnant soixante ans sans devoir être changés. La conception, l'expérience de la circulation des fluides à l'intérieur du générateur de vapeur font partie du retour d'expérience obtenu avec EDF sur l'ensemble du parc.

Les générateurs de vapeur ont donc été changés sur cette génération, comme cela a d'ailleurs été le cas dans le monde entier. Ainsi, dans le cas de l'extension de la durée de vie des centrales américaines, que je décrivais tout à l'heure, tous les générateurs de vapeur ont été changés. En France, les générateurs de vapeur de 900 mégawatts ont été changés. Le programme de changement des générateurs de 1 300 mégawatts va intervenir.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Quid de la cuve ?

M. Luc Oursel. - La cuve pose un problème de contrôle. Dans les réacteurs existants, les pièces qu'il a fallu changer ont été, par exemple, les générateurs de vapeur et, parfois, les couvercles - non pas la cuve, mais son couvercle. Je parle ici pour le compte d'EDF.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Hier, la Cour des comptes nous a dit qu'EDF avait constaté avec surprise que l'usure d'un élément avait été plus importante que prévue dans les centrales actuelles. Était-ce la cuve ? Cet élément a-t-il été intégré dans le calcul ?

M. Luc Oursel. - N'ayant pas d'élément très précis en tête, je préfère rester prudent dans ma réponse. Je suis prêt toutefois, si l'élément nous est communiqué, à vous donner notre point de vue.

M. Claude Léonard. - Je voudrais revenir sur l'offshore. À moins de vouloir à tout prix se positionner à l'horizon de plusieurs décennies, je ne vois pas vraiment l'intérêt qu'il y a à être présent sur l'un des projets, sauf si vous espérez une vraie diminution des coûts, lesquels atteignent des sommets au niveau de la production. J'estime donc qu'il faut plutôt être présent dans une niche de recherche et développement.

M. Luc Oursel. - En fait, nous avons d'abord la conviction qu'un groupe comme AREVA doit développer à la fois le nucléaire et les énergies renouvelables ; il s'agit donc véritablement d'un choix stratégique. Nous le faisons également en raison de l'intérêt qu'il y a pour nous à valoriser ainsi notre présence commerciale auprès d'un certain nombre d'électriciens.

Nous prenons également en considération la possibilité de valoriser les technologies et les compétences que nous avons accumulées dans le nucléaire. De ce point de vue, j'ai beaucoup insisté sur la disponibilité nécessaire pour les turbines offshore, lesquelles travaillent évidemment dans des environnements assez agités, assez exigeants. Sur ce plan, nous pensons qu'un groupe comme AREVA peut, par le dessin des turbines, apporter une valeur ajoutée forte et contribuer ainsi à la conception de turbines particulièrement disponibles, adaptées à cet environnement et nécessitant des temps de maintenance réduits.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous pensons qu'il est souvent plus facile de développer une turbine offshore en partant d'un carton à dessin vide que de chercher à transposer une turbine onshore en augmentant sa puissance dans un environnement marin.

Nous pensons donc qu'il y a un marché, qu'AREVA y a sa place et que les coûts vont baisser.

Le cas français de l'appel d'offres français est un peu particulier : sur les toutes premières réalisations, il faut amortir un certain nombre de nouvelles capacités, qu'il va falloir créer. Pour ce qui concerne l'appel d'offres français, je vous rappelle que, si nous disposons de deux champs, nous envisageons d'y construire deux usines de fabrication de pales, de turbines, etc. Il va bien falloir amortir ces capacités.

Pour ma part, je suis convaincu que nous n'en sommes là qu'au début.

S'agissant de la disponibilité des équipements, nous avons la chance d'avoir six turbines qui fonctionnent maintenant en mer du Nord, dans des conditions très exigeantes, et qui ont d'ores et déjà produit 15 % d'électricité de plus que ce que nous attendions.

M. Claude Léonard. - Voulez-vous dire que la production s'est accrue de 15 % ?

M. Luc Oursel. - Exactement.

Je pense également que les coûts vont évoluer, grâce, justement, à cette meilleure disponibilité, aux effets de série, à l'amortissement des infrastructures, etc.

Enfin, dans une perspective de long terme, une hausse des prix de l'électricité me paraît à peu près inéluctable.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Oursel, je vous remercie beaucoup de nous avoir répondu de manière très complète et précise.

Il n'est pas impossible que notre rapporteur vous demande de nouveaux renseignements. En effet, j'ai constaté qu'il vous écoutait avec beaucoup d'intérêt et qu'il a notamment été sensible au fait que vous êtes de ceux qui, dans le monde entier, ont le plus d'expérience en matière de démantèlement. Comme ce dernier est un élément important du coût, ne soyez pas surpris s'il revient vers vous ou vers vos services pour obtenir sur ce sujet des éléments complémentaires.

M. Luc Oursel. - Je reste bien sûr à votre disposition et vous remercie à mon tour.

Audition de M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir.

Monsieur Bazot, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous n'aviez d'ailleurs pas le choix : vous êtes obligé de vous présenter devant une commission d'enquête... (Sourires.)

Comme vous le savez, cette commission d'enquête a été créée notamment à la suite du rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait application de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Elle a désigné M. Jean Desessard rapporteur.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Monsieur Bazot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Alain Bazot prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie.

Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions préliminaires qu'il vous a adressées. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus pertinent pour nous éclairer sur ce débat important.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Bazot, je rappelle les quatre questions que nous vous avons adressées.

Première question, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?

Deuxième question, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?

Troisième question, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables : crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro...

Quatrième et dernière question, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - + 25 % - de la demande de pointe : quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky, et ce dernier vous semble-t-il un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous paraît-elle excessive ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Bazot, vous avez la parole.

M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord d'auditionner une association de consommateurs, l'UFC-Que Choisir, sur un sujet aussi crucial que les coûts de l'électricité.

Au sondage que nous avons réalisé dans le cadre d'un pacte consumériste que nous voulions adresser aux candidats à l'élection présidentielle, nous avons recueilli 56 000 réponses. Il en ressort que, en matière d'énergie, 87 % des consommateurs ont pour principale préoccupation les tarifs, bien avant donc les problèmes liés à la qualité des services.

Depuis 2008 et le début de la crise, les consommateurs, en particulier les plus modestes d'entre eux, ont subi une augmentation généralisée des prix de l'énergie : + 44 % pour les carburants et + 25 % pour le gaz. C'est dire si l'annonce par le président de la CRE d'une hausse de 30 % du prix de l'électricité dans les années à venir a de quoi les inquiéter, car celle-ci s'inscrit dans un contexte non pas de stabilité, mais bien d'envolée considérable des prix depuis quelques années.

On ne peut pas traiter la question du prix de l'électricité sans se préoccuper des problèmes liés à la précarité énergétique. Les chiffres sont là : selon l'INSEE, plus de 3 800 000 ménages se trouvent en situation de précarité énergétique. Tout récemment, le médiateur national de l'énergie a estimé à au moins 500 000 le nombre de consommateurs visés par une réduction, voire une suspension de fourniture d'électricité en 2011. Il s'agit d'une situation inacceptable. C'est dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, l'enjeu du sujet que vous avez à traiter et pour lequel vous m'avez convoqué en tant que président d'UFC-Que Choisir.

L'augmentation d'environ 30 % d'ici à 2016 que prévoit M. de Ladoucette concerne non seulement les tarifs de fourniture, de transport et de distribution, mais également la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. Dans ce contexte, au-delà des inquiétudes, cette annonce soulève un certain nombre de questions. Pour notre part, nous nous interrogeons notamment sur le cadre qui devrait entourer ces futures augmentations. Au-delà du niveau de ces augmentations, nous appelons à la plus grande vigilance en matière de lisibilité de cette future évolution.

Nous le savons, nous allons entrer dans un nouveau cycle d'investissement, où nous devrons faire face à la fois à des besoins en production, en transport, en distribution d'électricité, et à des moyens de production durables. Cela aura inévitablement pour conséquence dans le temps une augmentation significative des coûts, qui sera répercutée sur le consommateur.

Un principe figure dans la loi : le tarif réglementé doit couvrir les coûts réels supportés par les opérateurs. C'est une sorte de réalisme économique qui est ainsi posé.

Dans le même temps, le contrat de service public entre l'État et EDF qui n'a toujours pas été renégocié établit que, en tout état de cause, l'augmentation du prix ne doit pas dépasser l'inflation. La loi elle-même prévoit que le tarif doit être fixé dans le cadre de ce contrat. Néanmoins, dans la mesure où ce contrat reste par conséquent en vigueur et qu'il n'existe pas d'engagement pluriannuel de l'État avec EDF, on ne voit pas comment on pourrait mettre concrètement en oeuvre les perspectives de M. de Ladoucette.

Ces projections d'augmentation méritent d'être encadrées. Le consommateur a besoin de lisibilité et de visibilité en la matière. Si l'on veut de la prévisibilité, il est impératif de revoir le contrat de service public.

Examinons maintenant un peu plus précisément la facture d'électricité du consommateur. Elle est composée du tarif réglementé ou régulé, d'une part, de la contribution au service public de l'électricité, d'autre part.

Le tarif régulé a lui-même deux composantes : tout d'abord, ce qui est lié à la fourniture de l'énergie, de l'électricité - c'est la production - ; ensuite, ce qui est lié aux transports et à la distribution, à savoir le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE.

Le premier aspect du tarif régulé est la part liée à la fourniture. À partir de 2015, la contribution du prix de détail devra tenir compte du niveau de l'ARENH, qui a été fixé à 42 euros. Or le prix de référence historique d'approvisionnement en nucléaire s'élève à 35 euros. Ce passage de 35 euros à 42 euros entraînera une augmentation mécanique, inévitable même, de l'ordre de 11 %, uniquement pour cette part liée à la fourniture. C'est ce que le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et des réseaux de communication, le SIPPEREC, a calculé.

Je souhaite faire une remarque sur le niveau et l'évolution de l'ARENH. Son nouveau montant - 42 euros - est-il satisfaisant ou pas ?

Au regard des éléments disponibles, je dois dire que l'UFC-Que Choisir n'est pas capable de se prononcer sur le niveau de prix satisfaisant pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, tout simplement parce que ce sujet fait l'objet d'une opacité considérable. Pour tenter d'y voir plus clair, notre association a même organisé des auditions, notamment pour ses administrateurs, et sollicité des experts : M. Jean-Marc Jancovici, M. Vincent Maillard, ancien directeur des tarifs chez EDF, M. Benjamin Dessus. Pour autant, nous avons du mal à adopter une position au regard des prévisions des différents intervenants.

Après avoir annoncé une fourchette comprise entre 35 euros et 39 euros, la CRE a indiqué que le montant de l'ARENH s'élèverait à 42 euros. Au mois de janvier 2011, M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, a annoncé un tarif de 46 euros le mégawattheure. Un an après, les récents rapports de la Cour des comptes fixaient ce tarif à 49,50 euros. Pour être presque exhaustif, je rappelle que GDF-Suez, qui est l'exploitant de centrales nucléaires - vous avez reçu, je crois, l'un de ses représentants dans le cadre de cette commission d'enquête -, a avancé le chiffre de 31 euros.

Face à ces approches contradictoires des acteurs du secteur, il est très difficile pour nous, association de consommateurs, d'avoir une expertise qui permettrait de trancher sur le sujet.

Je tiens cependant à souligner, même si cela ne permet pas de répondre plus précisément à cette question, que, depuis le début, nous dénonçons ce qu'est devenu l'objectif réel de ce tarif. En réalité, ce dernier est d'abord destiné à créer artificiellement un marché et à permettre à des entrants de l'intégrer. On crée donc un tarif. Et même si l'on tentera ensuite d'en justifier le montant, il y a un vice fondamental, dans la mesure où l'intention est bien de mettre en place une concurrence qui, pour nous, est complètement artificielle.

Je ne peux pas m'empêcher de vous faire observer, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, que la libéralisation du marché de l'électricité en France, à la différence de la téléphonie mobile, n'a engendré ni une baisse des tarifs pour les consommateurs - au contraire, un mécanisme pervers a entraîné une hausse des prix - ni des bienfaits en matière d'innovation. Autant dire que le consommateur est perdant-perdant.

Le second aspect du tarif régulé tient à la part liée à l'acheminement, c'est-à-dire le TURPE, qui finance à la fois les réseaux de transport et les réseaux de distribution. Là aussi, de nombreuses incertitudes planent sur son évolution. La nouvelle structure du TURPE n'est pas encore arrêtée ; je crois qu'elle est encore en discussion. Néanmoins, nous éprouvons des inquiétudes quant à certains éléments qui peuvent accroître considérablement les coûts, en particulier le financement du compteur Linky.

Là aussi, aujourd'hui, une certaine cacophonie règne. Selon les estimations réalisées par Électricité réseau distribution France, ERDF, le niveau d'investissement nécessaire est d'environ 4 milliards d'euros, ce qui ramène le coût unitaire du compteur pour le consommateur aux alentours de 110 euros, sur une base de 35 millions de compteurs. Cela ne correspond pas du tout à la somme qui est avancée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, laquelle estime le coût de l'installation entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Évidemment, notre inquiétude est encore plus grande si l'on se réfère au coût unitaire annoncé par M. Proglio, président-directeur général d'EDF, aux alentours de 200 euros à 300 euros, soit un montant qui semble correspondre à la somme totale avancée de 8 milliards d'euros à 10 milliards d'euros.

Nous sommes très inquiets, car ces perspectives remettent totalement en cause les résultats positifs de l'étude socio-économique, étude qui était un préalable nécessaire à la généralisation de l'installation des compteurs Linky. La généralisation a donc été décidée sur la base d'une étude dont les résultats semblent, en fait, assez peu conformes à la réalité.

Cette différence entre 4 milliards d'euros et 10 milliards d'euros aura évidemment une incidence sur le TURPE. Sur ce sujet non plus, nous ne disposons pas d'une visibilité parfaite.

J'en viens maintenant à l'impact de la contribution au service public de l'électricité. La CSPE n'est pas intégrée au tarif réglementé, mais, vous le savez, elle est due par le consommateur, puisqu'elle figure sur sa facture. Elle s'est déjà envolée depuis 2004 : elle a doublé, passant de 4,5 euros à 9 euros par mégawattheure. La CRE estime à 4,3 milliards d'euros les charges prévisionnelles de service public de l'électricité au titre de 2012, dont 2,2 milliards d'euros de charges liées aux énergies renouvelables. Là encore, le président de la CRE a élaboré des hypothèses, fixant la CSPE aux alentours de 20 euros le mégawattheure.

Pour notre part, nous nous posons une question cruciale, celle du financement des énergies renouvelables. Les ménages vont subir une forte augmentation de la facture liée à la CSPE et nous devons nous interroger sur la contribution des ménages les plus modestes à cet investissement d'intérêt général. Je ne dis pas que l'on détient la réponse. Mais, finalement, sur la facture d'électricité, la CSPE apparaît comme une taxe : elle fait penser à la TVA dont on sait les effets pervers par rapport à la structure de consommation et l'inégalité et l'injustice qu'elle engendre lorsque cela prend des proportions importantes.

La deuxième question que vous m'avez adressée porte sur les différents coûts de l'électricité et sur l'imputation aux différents agents économiques. Il s'agit pour nous d'une question complexe à laquelle il nous est actuellement très difficile de répondre.

Vous le savez, la formation du tarif ressemble à un millefeuille assez inextricable, qu'il s'agisse de la construction du TURPE, de l'ARENH ou de la CSPE. Par ailleurs, les paramètres qui sont nécessaires à la fixation du tarif réglementé restent assez complexes et illisibles. À cet égard, je veux souligner le manque d'informations dont nous souffrons et les difficultés que nous avons à nous prononcer sur l'imputation des coûts ou sur l'existence ou la constitution d'une rente.

J'ouvre ici une parenthèse. Il est vrai que, dans certains secteurs d'activité économique, notre association a eu une capacité d'expertise et d'identification de rente. Ce fut par exemple le cas pour les carburants, pour lesquels la transparence est très grande : tous les chiffres sont sur la place, et, dans une telle situation - très rare ! -, il suffit que des spécialistes acceptent de se pencher sur les chiffres disponibles pour identifier l'existence éventuelle de rentes sur l'ensemble de la filière.

Pour l'électricité, cela n'a pas été possible. Je pense que les pouvoirs publics doivent pouvoir contribuer à assurer une meilleure transparence des coûts, qu'il s'agisse de la production, de l'acheminement ou du développement des énergies renouvelables. Monsieur le président, la commission d'enquête devrait beaucoup insister sur cet aspect.

Vous m'avez également interrogé sur les dispositifs fiscaux de soutien.

Les dispositifs fiscaux ou les crédits spécifiques qui permettent non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi l'installation d'équipements offrant une meilleure maîtrise de la demande énergétique ne sont pour nous ni satisfaisants ni suffisants. Ils ne sont pas assez incitatifs et ne permettent pas de traiter correctement la problématique de la précarité énergétique. Pour aller à l'essentiel, nous considérons que, d'un point de vue économique, ces aides ne sont pas optimales, car elles permettent des effets d'aubaine.

Le premier effet d'aubaine bénéficie aux installateurs. Ces derniers profitent des aides pour gonfler leurs devis et, ainsi, capter une grande partie du crédit d'impôt accordé aux consommateurs.

Le second effet d'aubaine profite aux ménages eux-mêmes, plus précisément aux plus aisés d'entre eux, qui auraient entrepris ces travaux d'efficacité énergétique de toute façon, même sans aide fiscale ou crédit d'impôt. Pour ces ménages, les aides n'ont pas véritablement d'effet incitatif.

Au-delà de ces problématiques d'aide se pose un véritable problème d'égalité sociale. Il est vrai que, en droit, tous les mécanismes sont accessibles à tous dans les mêmes conditions. Pourtant, les faits montrent qu'ils sont majoritairement utilisés par les ménages les plus aisés. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène, notamment le coût élevé des travaux qui fait que, en tout état de cause, même avec ces aides fiscales, les ménages les plus modestes renoncent. Certes, les exceptions existent et il arrive que, en cumulant plusieurs aides, des consommateurs, même à revenus modestes, parviennent à entreprendre des travaux d'amélioration. Toutefois, cela reste très limité. Fondamentalement, ce que nous dénonçons, c'est que les aides ne permettent pas la transition énergétique pour tous.

Votre quatrième question porte sur l'évolution de la consommation d'électricité ces dernières années, caractérisée par une hausse importante, de l'ordre de 25 %, de la demande de pointe. Vous souhaitez connaître la position de l'UFC-Que Choisir sur les dispositifs permettant de réguler la demande pour répondre à ces nouvelles problématiques.

Trois facteurs essentiels permettent d'expliquer cette évolution rapide de la demande de pointe : l'augmentation du nombre des ménages, le développement d'usages nouveaux de l'électricité, tels que l'informatique, la télévision, les appareils avec accumulateurs, et la poursuite du développement du chauffage électrique.

Cette pointe peut être traitée de plusieurs manières. Dans l'idéal, il faut agir sur un ensemble de leviers que sont la tarification incitative et l'information des consommateurs. L'UFC-Que Choisir est convaincue que le signal-prix permet de responsabiliser le consommateur, mais à la condition expresse que la diversification des prix que cela suppose soit à la fois claire et lisible pour lui. En France, la question de l'horo-saisonnalité des tarifs n'est pas récente, puisque les contrats qui différencient les heures creuses des heures pleines ou les dispositifs d'effacement journalier de pointe existent depuis très longtemps et ont fait leurs preuves. C'est d'ailleurs pour cette raison précise que nous déplorons les modifications statutaires intervenues en 2009, qui ont réduit l'écart tarifaire entre les heures pleines et les heures creuses et ont donc diminué l'attrait de cette tarification incitative.

Si l'on doit aller vers une diversification des tarifs en fonction des heures de pointe, nous devons être attentifs à un risque : il faut éviter de tomber dans la jungle tarifaire, phénomène que nous avons trop bien connu dans le secteur de la téléphonie. Quand un secteur connaît un tel phénomène, on sait parfaitement que la concurrence ne s'exercera pas de façon réelle, le consommateur n'étant pas en situation de procéder à des arbitrages éclairés et rationnels. La modulation des tarifs nous paraît donc une solution intelligente et efficace ; en revanche, une myriade de tarifs complexes empêche le consommateur d'être le régulateur du marché, si tant est qu'il puisse l'être !

La question de l'utilisation de l'électricité comme mode de chauffage doit être posée. Aujourd'hui, le chauffage électrique équipe 30 % des logements - c'est le deuxième mode de chauffage après le gaz -, ce qui a une incidence importante sur le niveau de la consommation. J'attire votre attention sur le fait que l'usage du chauffage électrique entraîne des surcoûts non seulement pour le consommateur détenteur de ce chauffage, mais aussi pour l'ensemble des consommateurs.

En ce qui concerne le surcoût individuel, selon les études, le choix de l'électricité, par rapport à d'autres solutions énergétiques, peut provoquer un doublement de la facture pour les ménages, en particulier lorsque le logement est une véritable « passoire thermique », ce qui est souvent le cas !

Le surcoût collectif indirect est lié aux surcapacités de production et de transport de l'électricité rendues nécessaires par l'utilisation du chauffage électrique. Les surinvestissements sont répercutés par les opérateurs sur les factures de l'ensemble des consommateurs.

La réglementation thermique 2012 limite fortement l'utilisation du chauffage électrique dans les logements neufs ; l'essentiel du problème qui persiste est dû au parc existant, sauf à développer un plan ambitieux d'isolation - il faut toujours améliorer l'isolation, parce que le combat énergétique porte non pas uniquement sur les économies d'électricité, mais sur l'économie de toute forme d'énergie - et la conversion à une autre énergie que l'électricité.

Au vu de l'enjeu que représente la maîtrise de la consommation électrique, nous attendions beaucoup d'un compteur dit « intelligent » - avant d'être intelligent, il est d'abord communiquant. Le compteur Linky devait s'inscrire dans cette grande ambition de la maîtrise de leur consommation par les consommateurs. Or, dans sa version actuelle, les potentialités d'information précieuses de ce compteur risquent de ne profiter qu'à une petite catégorie de ménages, ceux qui pourront financer des services supplémentaires que vendra le fournisseur. Autrement dit, pour consommer moins, il faudra payer plus ! Il en résultera donc une rupture d'égalité dans le droit à l'information entre, d'une part, ceux qui pourront payer un service fournissant des informations sur leur consommation ainsi que les possibilités de consommer différemment et, d'autre part, ceux qui ne le pourront pas. Pour nous - et ce n'est pas la première fois que nous le disons -, l'affichage déporté reste la pierre d'achoppement dans la conception du compteur Linky. Je n'en démords pas, nous passons à côté d'un rendez-vous historique de maîtrise de la consommation par l'ensemble des ménages !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur souhaitez-vous obtenir un complément de précisions ou d'informations sur l'une ou l'autre des questions ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - J'ai bien compris que M. Bazot craignait une augmentation trop forte des tarifs et souhaitait que l'engagement, figurant dans le contrat de service public, de ne pas trop augmenter le prix de l'électricité soit respecté, d'autant plus que la précarité énergétique est importante.

Ensuite, sur les mesures à prendre pour améliorer l'efficacité énergétique et réduire les coûts, il a exprimé ses réticences à l'égard des méthodes adoptées, ces dernières ne semblant profiter qu'aux personnes les plus aisées.

Enfin, il a estimé que le déploiement du compteur Linky aurait pu être intéressant, mais que, dans sa configuration actuelle, ce compteur ne profitera également qu'aux personnes les plus aisées.

Deux outils existent, la maîtrise de la consommation, avec le compteur Linky, et l'amélioration de l'efficacité énergétique ; vous n'y êtes pas opposé, mais vous pensez qu'ils sont mal conçus. Que pourrions-nous faire pour rendre ces instruments vraiment utiles ? Quelle idée pouvez-vous nous suggérer ?

M. Alain Bazot. - Pour nous, ainsi que des études l'ont démontré aux États-Unis, la réelle maîtrise et la diminution de la consommation supposent que le consommateur soit en mesure d'obtenir une information sur place, en temps réel, ce que permettrait le compteur Linky. Il serait donc souhaitable que ce dernier puisse émettre une alerte en temps réel, afin de prévenir le consommateur qu'il est en situation de surconsommation, en affichant éventuellement le niveau du tarif effectivement payé. Il en résulterait alors une prise de conscience du consommateur qui serait ainsi à même de décider de différer certaines opérations. Cette « conscientisation » est importante, et ce n'est pas une consultation du niveau de la consommation sur Internet qui permettra le mieux d'y parvenir. Le consommateur doit pouvoir constater de manière instantanée qu'il consomme beaucoup...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Avec quel dispositif ? Faut-il qu'une grosse ampoule s'allume en période de surconsommation ?

M. Alain Bazot. - Le compteur Linky devrait au moins permettre un affichage sur le lieu d'habitation ; mais cette solution ne serait pas complètement satisfaisante puisque, dans la moitié des cas, le compteur sera placé à l'extérieur des bâtiments.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Lors d'une table ronde organisée au Sénat, un représentant de votre association nous avait expliqué que le consommateur français d'essence réagissait à la hausse ou à la baisse des prix de manière beaucoup plus consciente que le consommateur d'électricité, lequel n'était pas assez mature pour consommer moins quand les prix augmentent.

Cela dit, cet intervenant avait estimé qu'il faudrait apprendre à se servir du compteur Linky et que le consommateur d'électricité deviendrait peut-être aussi vigilant sur sa consommation d'électricité que sur sa consommation d'essence.

M. Alain Bazot. - Je pense que cette prise de conscience représente un enjeu majeur. Nous jouons notre rôle en essayant de faire prendre conscience aux consommateurs des conséquences de leurs choix de consommation. Nous sommes partisans d'une consommation responsable, qui prenne en compte les conséquences de la consommation sur l'environnement, l'emploi, etc., et nous cherchons à développer une prise de conscience de masse. Or, si cette prise de conscience passe par l'achat d'un service supplémentaire qui fournira l'information, les conditions ne sont alors pas remplies. Pour nous, l'information est un droit qui ne devrait pas être soumis au marché : dans le cas de l'électricité, nous pourrions faire en sorte que ce droit soit effectivement hors marché, puisque la technologie le permet et puisque le TURPE fait supporter au consommateur le financement du compteur Linky.

J'ajoute que ce compteur permet aussi, et nous nous en félicitons, une rationalisation de la gestion des opérateurs qui pourront réaliser des gains de productivité, de même qu'il présentera quelques avantages pour le consommateur qui n'aura plus besoin d'être présent pour le relevé du compteur, etc. Le compteur Linky offre toute une gamme de services aux professionnels, mais tout le monde en bénéficiera en définitive. Cependant, pourquoi l'information serait-elle accaparée par les fournisseurs ? Personne n'a jamais répondu à ma question sur le choix stratégique consistant à confisquer l'information pour ne la fournir que moyennant finances. Ce n'est pas un bon choix politique !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pour vous, il faudrait non seulement que le compteur soit intelligent, mais que l'on puisse le consulter immédiatement ?

M. Alain Bazot. - Il doit communiquer l'information au consommateur, et pas seulement au professionnel.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous aurez un rôle à jouer dans cette affaire, parce que vous êtes l'un des canaux d'information importants du consommateur en France. Je sais bien que le compteur Linky pourrait être encore plus intelligent, donc encore plus difficile à exploiter. Le déploiement de ce compteur représentera une amélioration certaine, et votre rôle d'information des consommateurs sera important.

J'ai bien entendu un autre message auquel je souscris d'ailleurs entièrement : il est dommage d'avoir réduit l'écart tarifaire entre les heures creuses et les heures pleines. Je suis prêt à mener ce combat à vos côtés, car il faut mener une politique incitative si l'on veut réduire la consommation de pointe à dix-neuf heures au mois de février.

La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. - Monsieur Bazot, vous avez beaucoup insisté sur la transparence : s'il y a un domaine où nous pouvons être entièrement d'accord avec vous, c'est bien celui-ci ! Cette commission d'enquête a précisément pour objet de faire la plus grande clarté possible. J'aimerais donc que vous nous précisiez les points sur lesquels vous auriez souhaité recueillir plus de précisions, notamment en ce qui concerne le nucléaire, afin que nous puissions obtenir également des réponses. Nous appelons en effet tous de nos voeux une plus grande transparence !

Ensuite, vous avez évoqué le chauffage électrique. Je ne reviendrai pas sur la question du surdimensionnement des installations qui en résulte, avec son coût induit pour la collectivité, mais je souhaite revenir sur celle du coût de ce mode de chauffage, notamment pour les ménages aux plus faibles revenus. J'ai entendu de nombreux débats sur ce thème qui se sont terminés de manière pudique. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la réglementation thermique 2012 soit une traduction scientifique de la réalité du chauffage électrique. En effet, dans un logement bien isolé, le chauffage électrique est le mode de chauffage le plus économique. Je veux bien admettre que, dans un habitat mal isolé, le chauffage électrique pose un problème, mais il serait bon qu'un organisme comme le vôtre puisse mettre la question en perspective : le chauffage électrique peut être une source de problèmes dans un cas, mais pas dans d'autres, notamment pour les plus défavorisés.

Enfin, je souhaite revenir sur le compteur Linky et sur la question de savoir qui doit en supporter le coût. À partir du moment où une technologie nouvelle est mise en oeuvre, il faut bien que quelqu'un la paie ! Mais - et vous avez eu raison de le souligner - la vraie question est celle du service rendu.

Il faut bien recourir aujourd'hui à des moyens technologiques nouveaux pour apporter de nouveaux services. Hier, l'option « effacement des jours de pointes », ou EJP, a apporté un service : voilà une dizaine d'années, au moment où l'effacement jouait à plein, EDF économisait 6 gigawatts, voire un peu plus. Aujourd'hui, EDF « efface » un peu moins de la moitié. Or cette option EJP revenait à un compteur Linky « bête », puisqu'il suffisait de vérifier qu'un voyant était allumé.

On observe que, quand le prix de l'eau augmente dans une commune, les consommations individuelles diminuent : je ne vois pas pourquoi les consommateurs seraient intelligents pour gérer leur consommation d'eau et bêtes pour leur consommation d'électricité. Je suis donc convaincu que les consommateurs sont capables de maîtriser leur consommation quel que soit le service fourni. Malgré vos critiques, que je comprends en partie, le compteur Linky n'offre-t-il pas au consommateur un moyen d'obtenir une information qu'il ne détient pas aujourd'hui ?

M. Alain Bazot. - Précisément ! Nous estimons que le compteur Linky est pour le consommateur un instrument formidable de communication des éléments de consommation, et nous dénonçons le fait que les consommateurs ne puissent pas y avoir accès directement et soient obligés de payer pour les obtenir : ceux d'entre eux qui auraient le plus intérêt à mieux maîtriser leur consommation d'énergie n'auront pas les moyens de payer ce service supplémentaire qu'EDF leur proposera, puisqu'ils ont déjà du mal à régler leur facture. On ne peut pas demander au consommateur de payer plus pour obtenir des informations qui lui permettront de consommer moins !

Nous estimons que certaines informations du compteur devraient être communiquées directement aux consommateurs...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cela coûterait beaucoup plus cher ! J'ai pu le constater aux États-Unis, dans un État qui avait dix ans d'avance sur nous : au début, 17 % des consommateurs utilisaient vraiment le compteur intelligent et, en deux ans de temps, ils l'utilisaient de moins en moins. Nous avons d'ailleurs été très étonnés que nos interlocuteurs aient l'honnêteté de le reconnaître !

Je comprends vos arguments, mais ce qui me fait très peur, c'est que vous ne défendiez pas suffisamment un dispositif qui, certes, ne donnera pas toute l'information souhaitable, mais représente malgré tout un énorme progrès par rapport à la situation actuelle. Il est dommage que vous l'appréhendiez dès le départ de manière quasi hostile : entre rien et un outil plus cher, mais beaucoup plus performant, nous aurons Linky, et ce n'est déjà pas si mal !

Par ailleurs, l'appel d'offres qui va être lancé comporte plusieurs tranches : les premiers consommateurs équipés recevront un compteur de première génération, mais les suivants seront dotés de modèles améliorés. Si l'on n'engage pas le déploiement sous prétexte que l'information n'est pas très performante dès le départ, on peut attendre encore longtemps !

M. Alain Bazot. - En ce qui concerne le coût du compteur Linky, comme je vous l'ai dit, nous avons du mal à le connaître puisque les chiffres que l'on nous donne varient du simple au double, voire presque au triple. Les études économiques préalables ont dû être réalisées un peu rapidement !

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'ai noté que vous aviez effectivement des difficultés à obtenir des informations précises sur ce sujet.

M. Alain Bazot. - En ce qui concerne le chauffage électrique, je ne vais pas botter en touche, mais je vais vous faire une confidence : le dernier conseil d'administration de l'UFC-Que Choisir a décidé de faire de cette question un « chantier prioritaire ». Notre service des études a pour mission de réaliser une étude sur le chauffage électrique en France ; pour nous, votre commission d'enquête arrive un peu trop tôt, car nous n'aimons pas prendre position publiquement tant que nous n'avons pas au moins six mois d'expertise...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Comment travaillez-vous ?

M. Alain Bazot. - Nous procédons de différentes manières : soit nous recherchons les informations déjà disponibles, soit nous réalisons nous-mêmes des enquêtes. Nous nous appuyons sur notre réseau d'associations locales en fonction des sujets. Par exemple, lorsque nous enquêtons sur les tarifs bancaires, nous utilisons la capacité de notre réseau de proximité à nous faire remonter divers types de documents : des tarifs, des factures...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Des factures de travaux d'amélioration de l'isolation, par exemple ?

M. Alain Bazot. - Si nous travaillons sur ce sujet, un des axes de recherche peut effectivement consister à comparer des factures et des devis : c'est ce que nous avions fait pour les ascenseurs. Voilà un bon exemple de création artificielle d'un marché : il suffit de décréter la nécessité de changer tous les ascenseurs dans un délai donné pour créer un effet d'aubaine. La demande est artificiellement élevée et les prix explosent : nous avions donc dénoncé la formidable efficacité du lobby des ascensoristes. En effet, un examen approfondi de l'accidentologie avait révélé que les accidents recensés étaient en majorité des accidents du travail, n'impliquant pas d'usagers. En réunissant des devis partout en France, en étudiant l'état du marché au niveau national - il s'agissait d'un marché très concentré -, nous avons pu développer une réelle expertise.

Nous aurons donc plusieurs angles d'approche dans le dossier du chauffage électrique, mais, ne travaillant pas à la sauvette, nous ne produirons pas de chiffres avant d'avoir étudié la question pendant plusieurs mois. Le collaborateur en charge de cette enquête est d'ailleurs présent dans cette salle...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Malheureusement, il n'est pas autorisé à s'exprimer !

M. Jean Desessard, rapporteur. - De toute façon, l'enquête n'est pas terminée !

M. Alain Bazot. - Enfin, votre première question portait sur la transparence des coûts, monsieur le sénateur Vial. Nous ne disposons effectivement d'aucune visibilité. L'UFC-Que Choisir est pour la « vérité des prix » : nous ne menons pas de combat idéologique, en cherchant, par exemple, à cacher les coûts du nucléaire. On entend souvent dire que l'électricité nucléaire n'est pas chère parce que les investissements ont été financés par les contribuables ; or nous n'arrivons pas vraiment à savoir ce qu'il en est ! Nous déplorons un véritable manque de transparence sur les coûts de mise aux normes des centrales, de leur démantèlement, du traitement des déchets. Il est clair que tous ces éléments doivent être intégrés dans le prix de l'électricité nucléaire, car il ne s'agit pas de les faire supporter indirectement à la collectivité : c'est cela la vérité des prix !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Bazot, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions, et, surtout, de nous avoir exposé le point de vue des consommateurs.

M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre à nouveau, s'il le souhaite. En ce qui me concerne, j'ai compris que je devrai absolument m'entretenir avec vous, non pas dans le cadre de cette commission d'enquête, mais dans celui du groupe d'études de l'énergie au Sénat, à propos du compteur Linky : je suis persuadé qu'il apporte une amélioration, et j'essaierai de vous en convaincre !

Je tiens à remercier nos collègues présents depuis ce matin de leur assiduité.