Mercredi 28 mars 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche - Audition de MM. Philippe Lemercier, délégué général, et Alain Biseau, responsable des expertises halieutiques, de l'IFREMER (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer)

M. Serge Larcher, président. - Cette audition ouvre les travaux de la délégation sur trois thèmes importants : la pêche, la vie chère, et les enjeux de la zone économique exclusive en outre-mer. Nous abordons aujourd'hui la problématique de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), dont les rapporteurs sont MM. Maurice Antiste et Charles Revet. Notre objectif est l'élaboration d'une proposition de résolution européenne, dont nous demanderons l'examen en séance publique en juin 2012, et qui nous permettra de prendre position dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche qui doit être portée devant le Parlement européen à l'automne.

Nous accueillons ce matin des représentants de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) : MM. Alain Biseau, responsable des expertises halieutiques, et Philippe Lemercier, délégué général. Je passe tout d'abord la parole au rapporteur, M. Charles Revet.

M. Charles Revet, co-rapporteur. - Comme vous l'avez évoqué, Monsieur le Président, la perspective de nos travaux consiste à se demander quelle place est faite à l'outre-mer dans le cadre de la PCP et comment cette politique commune va s'appliquer outre-mer. Alors même que la France dispose de zones économiques maritimes (ZEE) les plus importantes du monde derrière les États-Unis, nous ne couvrons que 15 % de nos besoins en poissons et crustacés.

D'où vient ce paradoxe ? Pour le lever, je vous demande un état des lieux, pour l'ensemble du globe si c'est possible, des espèces et des possibilités de capture, afin que nous puissions intervenir avec beaucoup plus d'efficacité dans la politique européenne. J'attends beaucoup de vous, car la France dispose d'un potentiel commercial énorme, et qui pourrait donner des atouts formidables à l'outre-mer.

M. Philippe Lemercier, délégué général à l'outre-mer. - Avant de répondre à votre question, je veux vous expliquer toute l'importance que représente l'outre-mer pour l'IFREMER. À cet égard, je ne peux que me féliciter de la récente création d'une délégation sénatoriale à l'outre-mer.

L'IFREMER est présent dans la quasi-totalité de l'outre-mer français : dans l'Océan Indien : à La Réunion, à court terme à Mayotte, et dans l'Atlantique : en Guyane et aux Antilles. Je souligne que nous sommes le seul organisme présent à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous sommes également présents dans le Pacifique : en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

8 % de nos effectifs permanents sont en poste outre-mer et l'outre-mer représente 5 à 6 % de notre budget ; l'effort en faveur de l'outre-mer est en réalité plus important car nos équipes travaillent en partenariat avec celles de la métropole.

Les trois grands objectifs de l'IFREMER liés à l'outre-mer sont :

- poursuivre et développer des activités d'observation et de surveillance, en réponse aux demandes régaliennes. Cela concerne essentiellement nos activités environnementales : la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau, des actions d'appui à l'agence des aires marines protégées, le suivi de la contamination du littoral par la chlordécone...

- mener davantage de recherche et mieux valoriser la plus-value scientifique des milieux ultra-marins, notamment la biodiversité ;

- contribuer au développement socio-économique des collectivités ultramarines par un appui scientifique au développement des filières locales de production, qu'elles soient traditionnelles (pêche et aquaculture) ou émergentes, comme la valorisation des molécules d'origine marine, et les énergies marines renouvelables.

Le partenariat est très important pour nous, avec les acteurs locaux et les organismes nationaux et internationaux. L'IFREMER est par exemple membre de l'alliance pour l'environnement, l'AllEnvie ; Jean-Yves Perrot, président de l'IFREMER, en est d'ailleurs le vice-président chargé de la coordination, de la recherche en outre-mer.

Je précise enfin que la délégation générale à l'outre-mer de l'IFREMER a été créée il y a maintenant deux ans.

Abordons maintenant la problématique de la pêche et de l'aquaculture.

M. Alain Biseau, responsable des expertises halieutiques. - Je vais vous présenter un panorama de la pêche en outre-mer.

À La Réunion, elle recouvre trois composantes : industrielle (pêche australe), côtière et de loisir.

- La pêche industrielle repose sur des palangriers qui pêchent la légine dans les TAAF, un caseyeur qui pêche la langouste, et des thoniers senneurs. Trois d'entre eux sont immatriculés à Mayotte et deux sont en construction à La Réunion, mais les débarquements, soit 35 000 tonnes de thon, ont lieu à Maurice, donc ne créent pas d'emplois à La Réunion. Une flottille de palangriers pêche en eau internationale, dans les zones économiques exclusives (ZEE) de La Réunion, de l'Ile Maurice ou de Madagascar, et sont très tributaires des accords de pêche, notamment avec Madagascar, signés au niveau communautaire.

- La pêche côtière connaît un problème de disponibilité des ressources, le plateau continental étant quasiment inexistant. Une pêche côtière faite à la journée s'est développée grâce aux dispositifs de concentration de poissons (DCP) ancrés dans les fonds marins, et qui peuvent aller jusqu'à 2 000 mètres dans des eaux relativement proches. Les DCP permettent aux pêcheurs d'aller plus loin que la bande côtière, où les ressources sont déjà très exploitées.

- Enfin, la pêche de loisir est une composante très importante de la pression à laquelle les ressources halieutiques sont soumises. Elle représente le même ordre de grandeur que la pêche professionnelle en termes de production, ce qui est considérable.

Les perspectives de développement sont peu nombreuses, en dépit des tentatives pour améliorer la pêche en eau plus profonde. Mais ces ressources en eau profonde étant fragiles, le peu d'efforts supplémentaires entraîne une baisse des rendements et de l'abondance des stocks de poissons. Le maintien d'une activité importante repose surtout sur l'exploitation du « large proche », (la limite des 12 000) grâce aux « DCP ancrés », qui ont été longtemps financés par les fonds européens. Or, depuis 2008, la Commission européenne considère que les DCP ne sont plus éligibles à ses fonds. Cette appréciation inadéquate repose sur une confusion de la Commission européenne avec les « DCP flottants » qui s'appliquent aux thons tropicaux, et qui peuvent effectivement nuire à la biodiversité, ce qui n'est pas le cas des DCP ancrés. Cette confusion regrettable pénalise les DCP ancrés (au nombre de 30 à 35 à La Réunion), pourtant efficaces car ils permettent de pêcher davantage en beaucoup moins de temps, économisant ainsi du carburant.

Ce problème des DCP est d'ailleurs commun à La Réunion, Tahiti et les Antilles. Les DCP ancrés, en forte baisse à La Réunion, doivent être renouvelés, car ils ont une durée de vie limitée, entre un et deux ans. De surcroît, la pêche de plaisance profite de ces DCP, certes en accès libre, mais cette pratique n'en constitue pas moins un prélèvement sur les ressources de la pêche professionnelle.

La Martinique présente le même type de problème, avec un plateau très étroit, relativement exploité, et des interdictions de pêche liées à la présence de chlordécone dans l'eau. La production du plateau est de 380 tonnes par an, soit 27 % de la pêche martiniquaise.

La pêche y est très mal régulée, à cause notamment des retraités qui poursuivent leur activité de pêche, et des plaisanciers, très présents : on estime leur pêche à 50 % des relevés de nasses dans la branche côtière. Les ressources pélagiques du large, qui sont des petits pélagiques, représentent 20 % des ressources martiniquaises ; les grands pélagiques sont pêchés grâce aux DCP ancrés, et connaissent les mêmes conflits avec la pêche récréative. Il existe également une petite activité de pêcheurs martiniquais qui pêchent le vivaneau à la nasse sur le plateau guyanais, mais dont l'activité pâtit aujourd'hui du coût du carburant puisqu'il faut quatre à cinq jours de mer pour rejoindre la Guyane.

Les voies de développement, communes aux Antilles, concernent les grands pélagiques hauturiers, notamment grâce aux DCP, ainsi que des prestations de pêche touristique. Le « pescatourisme », avec la création d'un parc marin, pourrait en effet contribuer à l'expansion de la pêche.

L'activité halieutique à Saint-Pierre est malheureusement assez faible. La flotte est constituée par un palangrier pour la pêche d'espadon et de thon en été et de flétan noir en hiver, un chalutier pour la pêche sur le plateau (morue, limande...), un autre navire de chalut, de casier à crabe et de drague à coquille et une dizaine de petits navires côtiers de pêche artisanale (crabe des neiges, bulot, morue). La ZEE limitée autour de Saint-Pierre freine les possibilités de développement pour Saint-Pierre, en dépit d'un plateau important.

Tahiti se caractérise par une pêche aux thonidés (5 000 tonnes) par de grands palangriers, une soixantaine, et une pêche côtière de 350 petits navires de 6 à 12 mètres qui connaissent des problèmes de suivi de l'activité et de déclaration. Les DCP ancrés soutiennent la pêche côtière ; la pêche en lagon est considérable (près de 5 000 autorisations de pêche en lagon en 2010) avec une production supérieure à 4 000 tonnes, dont la moitié à Tahiti, les autres archipels se caractérisant par une pêche de subsistance.

Les deux ressources principales de la Guyane sont la crevette et le vivaneau, ainsi qu'une multitude de poissons côtiers. Le secteur de la crevette est très menacé par l'effondrement des ressources lié à un problème environnemental, une baisse des prix avec l'importation de crevettes d'élevage et la hausse du coût du carburant. Il reste aujourd'hui une quinzaine de bateaux dont tous ne sont pas en activité.

Le vivaneau provient quant à lui, hormis les cinq bateaux antillais, de ligneurs vénézuéliens qui ont obtenu une licence de la Commission européenne (41 licences), et exportent le vivaneau vers les Antilles. Une surexploitation du vivaneau a été constatée dans le passé. Ces dernières années ont connu une très forte augmentation du stock, qui permettrait peut-être de développer la pêche du vivaneau au casier, une fois les problèmes de concurrence entre ligneurs et caseyeurs réglés.

Les poissons côtiers, qui comptent une trentaine d'espèces dont l'acoupa rouge est la plus prisée, sont pêchés par de petites unités au filet essentiellement. Cette activité, difficilement rentable, souffre des hausses du coût du carburant, du faible prix de vente, de la difficulté à trouver des marins, mais surtout de la difficulté à entretenir les bateaux, le plus souvent en bois. Le développement passe par un accroissement du marché intérieur, demandeur en poissons, et du marché antillais, la totalité de la production du vivaneau étant actuellement exportée vers les Antilles. La difficulté tient au contingentement par la Commission européenne des permis de mise en exploitation, qui concerne tout particulièrement la Guyane, ce qui limite les investissements bien que les ressources guyanaises ne soient pas surexploitées. La faible rentabilité de la petite pêche côtière constitue également un frein au développement.

En conclusion, à part les difficultés prégnantes liées au renouvellement des DCP, les disparités de ressources et d'activités sont telles qu'il est difficile d'aboutir à une synthèse valable pour l'ensemble de l'outre-mer.

M. Michel Vergoz. - Mes questions portent sur trois aspects concrets. La question centrale reste : l'outre-mer a-t-elle un potentiel de ressources en poissons important, notamment en haute mer, et si oui, lequel ? J'ai été président de la commission pêche à La Réunion pendant six ans, et je suis choqué d'entendre parler de DCP, qui sont marginaux à La Réunion. Il faut aller beaucoup plus loin dans ce dossier de la pêche, très important pour l'outre-mer. La question de nos ressources fait partie des négociations européennes avec les pays ACP situés dans nos zones. Quel éclaircissement pouvez-vous nous donner ? Vous évoquez laconiquement la faible rentabilité, mais concrètement, quels obstacles avez-vous rencontrés, et quels remèdes avez-vous apportés ? Ensuite, la surveillance de nos ressources. Où en est-on ? Nous avons certainement des ressources très conséquentes, puisqu'on vient de très loin piller nos zones maritimes ! Nous demandons toute la lumière sur ces questions. Nous avons tous les atouts en mains, le satellite par exemple, pour exercer une surveillance efficace. Enfin, quelle est la procédure à mettre en place pour qu'une fois la ressource capturée, nos collectivités ultramarines bénéficient des retombées économiques ? Je pense notamment au débarquement du thon à l'Île Maurice, dont j'entends parler depuis dix ans. L'Île Maurice bénéficie d'accords privilégiés avec l'Europe pour exploiter nos mers !

M. Serge Larcher, président. - Je donne la parole aux rapporteurs.

M. Charles Revet, co-rapporteur. - J'ai indiqué que la France disposait d'une surface de zone économique maritime aussi importante que celle des États-Unis, mais dans tous les océans. Dans la mesure où 85 % de ses besoins proviennent de l'importation, je demande à quels endroits la France peut aller pêcher ? Pourquoi les pêcheurs étrangers, chinois notamment, nous envoient-ils du poisson alors que nous disposons des ressources ? Les enjeux de développement économiques peuvent être extraordinaires !

M. Maurice Antiste, co-rapporteur. - Je suis troublé. J'ai été moi aussi président de la commission pêche, en Martinique. Le milieu des marins pêcheurs n'a pas toujours été d'accord avec les chiffres avancés par l'IFREMER. La question des ressources fait l'objet d'un débat permanent. Sur quels fondements les mesures sont-elles élaborées pour nos territoires ultra-marins ? La législation européenne ne convient pas du tout ! Elle est complètement en marge de nos réalités. Nous sommes systématiquement fondus dans le droit commun européen. Il faut se libérer des contraintes européennes, ne serait-ce que dans l'étude du milieu marin et de la pêche. L'Europe n'a jamais accepté de poser un regard juste sur notre activité pêche. Nos marins pêcheurs l'attendent ! La ressource chez nous n'a rien à voir avec la pénurie en ressources des côtes européennes. Il faut revoir la conception que l'Europe a de la pêche en outre-mer. À cela s'ajoute une autre difficulté : la diversité des problématiques, très différentes en Guyane, en Martinique ou à La Réunion. Il ne sera pas aisé de synthétiser la situation en outre-mer ! La délégation proposera un regard particulier pour chacune de ces situations. On ne peut pas considérer le problème globalement, ne serait-ce que s'agissant de la topographie des fonds.

M. Serge Larcher, président. - Je vous propose de donner rapidement des éléments de réponse, et de nous transmettre par une note des réponses plus complètes, afin que nous puissions aborder la question de l'aquaculture.

M. Alain Biseau. - Extrapoler les rendements du plateau européen et comparer avec l'ensemble des ZEE d'outre-mer est effectivement impossible. J'ai insisté, d'une part, sur l'importance des DCP, parce qu'ils permettent l'essentiel de l'activité aujourd'hui, d'autre part, sur la faiblesse des marges de progression des ressources côtières, parce que les marges de développement réel concernent les grands pélagiques, avec les problèmes tenant au débarquement à Maurice. Pour autant, je ne suis pas sûr qu'un bateau français puisse rivaliser avec un bateau coréen ou indonésien compte tenu des minima salariaux et des conditions sociales requises pour les équipages français.

Je suis d'accord avec M. Maurice Antiste sur la spécificité de l'outre-mer au regard de la PCP, notamment pour le renouvellement de la flotte.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie. Je suggère que vos questions ne débordent pas trop sur le temps alloué à la question de l'aquaculture...

M. Jean-Étienne Antoinette. - Vous n'avez pas répondu à la question sur la différence d'appréciation entre vos chiffres et la réalité perçue en outre-mer, par exemple en Guyane : vous dites que la ressource halieutique n'est pas en danger, alors qu'une motion a été présentée la semaine dernière contre le pillage halieutique dans la ZEE de la Guyane. Des quotas sont négociés avec les pays ACP : comment peut-on intervenir en faveur de l'outre-mer ? Par ailleurs, l'Europe ne finance plus la construction des bateaux ; pouvez-vous, là aussi, nous donner des éléments pour faire des propositions à la Commission européenne ? Le rapport de la mission sénatoriale sur l'outre-mer identifiait un déficit en infrastructures : comment y remédier ? Ne pourrait-on pas harmoniser les normes européennes avec la situation, plus favorable, des pays qui n'y sont pas contraints (concernant par exemple les filets ou la dimension des bateaux), ou au moins imposer ces normes aux pays qui bénéficient des quotas européens, afin d'éviter les différences de compétitivité entre les ultra-marins français et les Chinois ou les Vénézuéliens ?

M. Serge Larcher, président. - Cette question mérite une note approfondie. Je propose que nous passions maintenant à la problématique de l'aquaculture.

M. Philippe Lemercier. - À l'instar de la pêche, il est difficile d'avoir une vision globale de l'aquaculture en outre-mer. Les situations sont très hétérogènes, les caractéristiques sont différentes, ainsi que les filières de production qui se mettent en place. Je présenterai la situation de la pectiniculture à Saint-Pierre-et-Miquelon, de la crevetticulture qui concerne essentiellement la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, de la perliculture en Polynésie, de la pisciculture qui concerne l'ensemble de l'outre-mer, et enfin d'une filière émergente qui est la production de micro-algues.

Même si les situations sont hétérogènes, il existe, d'une façon générale en outre-mer, des perspectives de développement pour l'aquaculture. L'exploitation de ce potentiel suppose toutefois d'organiser en amont :

- les filières, depuis la production jusqu'aux positionnements sur les marchés ;

- la recherche et le développement ;

- la capitalisation sur place des résultats de la recherche et du développement.

J'aborde à présent les cas particuliers.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, les efforts de recherche et développement en direction de la pectiniculture, aujourd'hui prometteurs, ont commencé il y a une dizaine d'années. Ils sont axés sur un produit phare, le pétoncle géant, à très forte valeur potentielle. La production est aujourd'hui de 20 tonnes de noix, sachant qu'il faut 50 tonnes pour dégager de la rentabilité économique. L'IFREMER est largement impliqué localement. On progresse dans la fiabilisation de la production, mais la commercialisation doit être améliorée. Une stratégie marketing doit encore être menée, avec un travail de labellisation et de certification du produit. Ce travail a été amorcé dans le cadre d'un audit en cours sur la filière pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui devrait être rendu mi-avril. Si on arrive à bien positionner le produit sur les marchés d'exportation, les perspectives de développement existeront, à condition aussi de mobiliser des financements. La mise en place d'une filière est un processus long, de l'ordre de 15 à 20 ans.

J'en viens maintenant à la crevetticulture, qui concerne principalement la Nouvelle-Calédonie et, à un degré moindre, la Polynésie, où les potentialités sont importantes, même si elle est victime d'une croissance un peu trop rapide. On y retrouve les mêmes exigences en termes de recherche et développement et d'organisation de la filière. La production atteint 1 000 tonnes, contre 2 000 tonnes il y a sept ans. Un audit récent a conclu à des recommandations qui ont vocation à être appliquées sur l'ensemble de l'outre-mer, et quelle que soit la filière. Sous réserve d'une organisation de la filière et d'une meilleure répartition des rôles avec les acteurs de la recherche, l'audit prévoit la possibilité d'atteindre une production de 3 500 tonnes. Aujourd'hui, l'exportation de crevettes de Nouvelle-Calédonie constitue sa deuxième activité exportatrice, après le nickel. Cette activité joue un rôle important en termes d'emplois (plus de 1 000 personnes en emplois directs) et d'aménagement du territoire.

La perliculture est la deuxième activité exportatrice en Polynésie après le tourisme, mais est en crise aujourd'hui, également à cause de problèmes de positionnement sur le marché. Ce secteur représente 4 à 5 000 emplois directs. La profession est cependant en train de se restructurer pour avoir une démarche de qualité, notamment de sélection des produits. L'IFREMER, en tant qu'organisme de recherche, est très largement impliqué dans cette démarche de qualité, mais également pour favoriser les dépôts de brevets. Les perspectives de développement existent donc.

La pisciculture concerne La Réunion, Mayotte, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, avec des perspectives de développement mais aussi des freins identifiés. Mayotte et les Antilles souffrent d'un manque d'ambition : les unités de production mises en place sont de petite taille, sauf à Mayotte où une ferme importante a été créée. La production globale en pisciculture en outre-mer représente environ 250 tonnes, dont 120 tonnes qui proviennent de la seule grande ferme de Mayotte que je viens de citer.

M. Serge Larcher, président. - Est-ce vraiment un problème de manque d'ambition, ou de demande sur le marché ? Les consommateurs antillais apprécient-ils réellement ces produits issus de la pisciculture ?

M. Philippe Lemercier. - Il nous semble qu'un des freins au développement de la pisciculture conduit justement à adopter une vraie réflexion stratégique commerciale. Ce que vous évoquez concerne la taille des entreprises, la compétitivité, les positionnements sur le marché, tous aspects qui ne relèvent pas de l'IFREMER. Le rôle de notre organisme consiste à lever des verrous scientifiques, dès lors qu'ils sont identifiés. Pour autant, on ne peut pas nier une faiblesse de compétitivité : la Martinique importe 8 000 tonnes de produits de la mer par an, pour une consommation de 10 000 tonnes par an. On peut regretter que dans le cadre de la loi d'orientation agricole, les schémas régionaux de développement soient essentiellement consacrés à une démarche en termes de zonages, et que la stratégie d'organisation de la filière ne soit pas prise en compte, alors que c'est un aspect primordial. À Mayotte, qui a un potentiel de production extrêmement important du fait de son lagon, un schéma directeur de développement de l'aquaculture sera lancé dans les prochains jours, et permettra d'avoir une meilleure visibilité sur les rôles de chacun. Il me semble que ce type de démarche devrait être dupliqué pour les autres activités et les autres territoires. L'audit que j'ai évoqué sur la crevetticulture en Nouvelle-Calédonie intègre cette réflexion.

Je conclus sur une filière émergente et prometteuse, les micro-algues, avec un projet à moyen terme en Nouvelle-Calédonie, où le potentiel de production est très important.

M. Serge Larcher, président. - Merci. Chers collègues, avez-vous des questions ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Il ne faut pas oublier que ces études doivent tenir compte des Mahorais, et de la réalité mahoraise. Je viens d'être saisi de cette préoccupation par les pêcheurs mahorais, au nombre de 3 000, qui craignent que les dispositifs actuellement à l'étude les menacent, alors que ces pêcheurs font subsister plusieurs familles. Pouvez-vous nous éclairer ?

M. Philippe Lemercier. - Le parc marin de Mayotte, créé en janvier 2010, a vocation à coordonner le développement durable de l'ensemble des activités de façon harmonieuse. Il doit proposer un plan de gestion de l'ensemble des eaux de Mayotte, d'ici fin 2012 ou début 2013, qui intégrera la petite pêche côtière. Ce schéma directeur devra prendre en compte l'ensemble des acteurs. L'IFREMER, dans son rôle d'appui au développement de la pisciculture, aura d'ailleurs des effectifs permanents d'ici deux ans pour participer à l'élaboration de ce plan de gestion.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Il est urgent de mettre un terme aux mesures inadéquates et destructrices pour Mayotte !

M. Serge Larcher, président. - Il ne me reste plus qu'à vous remercier. Je suis désolé d'écourter ces débats, mais nous devons passer à l'audition suivante. Je propose que vous répondiez par une note exhaustive sur les questions soulevées concernant particulièrement le niveau des ressources halieutiques en outre-mer, le développement de la filière pêche et de l'aquaculture, et les différents freins au développement de ces activités.

L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche - Audition de M. Mikael Quimbert, conseiller technique, chargé de la pêche, de l'aquaculture et de l'outre-mer au ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire

M. Serge Larcher, président. - Nous accueillons à présent M. Mikael Quimbert, conseiller technique, chargé de la pêche, de l'aquaculture et de l'outre-mer au ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Nous aimerions vous interroger sur les grandes lignes de la PCP et de sa réforme, ainsi que le positionnement de la France sur le volet ultramarin. S'est-elle rapprochée des autres pays disposant de régions ultrapériphériques (RUP) ?

M. Mikael Quimbert, conseiller technique, chargé de la pêche, de l'aquaculture et de l'outre-mer au ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Je vous remercie de votre invitation. La réforme de la PCP a été engagée en 2007 avec la publication d'un Livre bleu de la Commission européenne, sur la base de laquelle M. Bruno Lemaire, nommé ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche en 2009, a souhaité prendre l'avis des différentes parties prenantes et a organisé une concertation très large avec les élus, les représentants des professionnels, les ONG, les scientifiques. Les représentants de l'outre-mer et des différents instituts intervenant en outre-mer, comme l'IFREMER ou de l'IRD, ont bien entendu participé à ces échanges. Des assises régionales en outre-mer ont en outre été organisées. Malgré ce travail de concertation, nous avons dressé le constat qu'on pouvait aller plus loin dans les propositions concernant l'outre-mer, notamment sur le dossier de la création de l'interprofession des pêches de La Réunion.

L'étape suivante a été constituée par le dépôt, à l'automne 2011, des quatre règlements portant réforme de la PCP. Les positions des États membres et de la Commission sont calées ; la Commission est dans une attitude attentiste, alors qu'il existe un consensus fort des États membres contre ses positions, notamment sur la question des quotas, l'atteinte du rendement maximum durable (RDM) ou la gestion des rejets. Il appartiendra au Parlement européen de se prononcer, à l'automne 2012. Un parlementaire français, Alain Cadec, est d'ailleurs rapporteur sur l'un des quatre règlements, celui portant sur les aspects financiers pour les affaires maritimes et la pêche. La réforme ne sera donc pas adoptée avant le premier semestre 2013, sous la présidence irlandaise, ce qui est positif pour la France. Outre la France, seuls l'Espagne et le Portugal ont des RUP concernées par la PCP. Nous avons des échanges très étroits avec ces deux pays. Le Parlement européen a souhaité associer les parlements nationaux à cette démarche.

M. Serge Larcher, président. - Le Sénat s'impliquera pleinement. Ce calendrier nous convient parfaitement. Concernant les grandes lignes de la PCP, quels sont les aspects qui freinent le développement de la pêche outre-mer, et comment y remédier ?

M. Mikael Quimbert. - Je voudrais tout d'abord insister sur l'importance de la pêche pour les territoires des quatre départements concernés, auxquels s'ajoutera Mayotte en voie d'accéder au statut de RUP. Ce secteur comporte des enjeux très importants en termes d'emplois car la pêche est largement vivrière dans les DOM.

En Guyane, 180 navires produisent environ 6 500 tonnes, mais l'emploi étranger y est très important, ainsi que la présence, dans les eaux guyanaises, de navires étrangers qui pêchent sous licence. À La Réunion, la pêche bénéficie du voisinage des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), qui ouvrent des perspectives de capture importantes. 250 navires emploient 700 marins, avec une pêche côtière très importante.

M. Michel Vergoz. - La Réunion dispose de beaucoup moins que 250 navires ! Vous incluez les petites embarcations de pêcheurs, dont la moitié ne sont pas des pêcheurs professionnels ! Vos chiffres n'ont pas de signification. Nous n'abordons pas les vrais enjeux.

M. Mikael Quimbert. - La petite pêche représente néanmoins environ 1 000 tonnes sur les 11 000 tonnes pêchées à La Réunion.

M. Serge Larcher, président. - La problématique est la suivante : alors que nous avons la possibilité de créer nous-mêmes notre production, l'essentiel de notre consommation est importée. Quelle est la cause de ce paradoxe ? L'organisation de la filière, l'appauvrissement des fonds marins, les normes européennes inadéquates ? Que faire pour apporter des solutions à cette situation, alors que nous avons déjà des taux de chômage très importants ? N'y a-t-il pas là un gisement d'emplois ?

M. Michel Vergoz. - Oui ou non, la pêche ultra-marine est-elle un atout économique ? La France, l'Espagne et le Portugal ne sont que trois pays sur vingt-sept, mais ont-ils un poids réel ?

M. Mikael Quimbert. - Oui ! Mais dans l'Europe des vingt-sept, il est difficile de s'exprimer sur le dossier de la pêche, car beaucoup de pays, pourtant consommateurs de poissons, n'ont pas de façade maritime et considèrent que la pêche est une activité nuisible à la biodiversité et à la durabilité de la ressource ! Or, face à la Commission européenne qui est sensible à cet argument idéologique, il est très difficile de faire prévaloir les intérêts des pêcheurs ; trois États-membres ne constituent pas une minorité de blocage, malgré tout le poids politique de la France, de l'Espagne et du Portugal. Nous sommes obligés de travailler en concertation avec nos partenaires.

S'agissant des statistiques, elles sont encore plus frappantes pour les Antilles. 2 000 navires pêchent environ 20 000 tonnes et représentent 2 000 emplois. On ne peut pas négliger ces navires sous prétexte qu'ils sont petits.

M. Maurice Antiste, co-rapporteur. - Un peu plus que 2 000 navires ! Comment se répartissent ces chiffres entre la Guadeloupe et la Martinique ?

M. Mikael Quimbert. - En Guadeloupe, 900 navires embarquent 1 200 marins. Aujourd'hui, tous ces navires sont dans le périmètre de la PCP. L'un des freins au développement de l'activité pêche est la constitution de plafonds de flotte applicables à la flottille ultra-marine, mesurés par la jauge ou par la puissance moteur. On a réussi, lors de ces cinq dernières années, à faire réévaluer ces plafonds, mais on en arrive à appliquer les mêmes règles qu'avec la métropole alors que la situation de la ressource, les enjeux de la politique des pêches ne sont pas du tout les mêmes. La France veut faire supprimer ces plafonds. Cette suppression figure dans la proposition de la Commission, mais en contrepartie de l'imposition d'un système de quotas de pêche transférables, à laquelle la France et une très large majorité d'État-membres s'opposent. La France reste attachée à la gestion de la pêche par le régime des quotas, mais ne souhaite pas que soit établi au niveau européen un marché d'achat et de vente de ces quotas, qui favoriserait la concentration et risquerait de détruire la pêche artisanale comme en Islande. L'outre-mer n'est pas directement concernée par les quotas, mais la question de l'enveloppe est centrale pour la pêche en outre-mer.

Par ailleurs, se développe dans la ZEE des départements d'outre-mer dans l'Océan Indien, une pêche dite lointaine, la pêche thonière tropicale, qui emploie très peu de marins ultra-marins, les principaux emplois étant occupés par des marins métropolitains, et les emplois d'exécution par des marins de pays tiers (malgaches, d'Afrique), et les produits sont débarqués non pas dans les DOM, mais aux Seychelles ou à l'Île Maurice où a été créée une usine de traitement. Les tonnages sont extrêmement importants, mais sans que les retombées soient immédiates pour les DOM.

M. Michel Vergoz. - Vous voulez plutôt dire « sans qu'il y ait de retombées » !

M. Mikael Quimbert. - Pas nécessairement. Prenons l'exemple de la SAPMER, entreprise basée à La Réunion. Les employés sont Réunionnais, même si les captures sont débarquées à l'Île Maurice.

M. Michel Vergoz. - Vous connaissez la répartition des effectifs de la SAPMER entre ouvriers réunionnais et non réunionnais ?

M. Mikael Quimbert. - Sur ses navires, il y a en moyenne dix marins français, pour une flotte de six ou sept navires.

M. Michel Vergoz. - Vous confirmez qu'il y a des Malgaches sur ces navires ?

M. Mikael Quimbert. - Bien sûr, c'est même une obligation, car ces navires travaillent dans le cadre d'accords de pêche signés par l'Union européenne.

M. Michel Vergoz. - Et ces accords sont signés sous l'oeil vigilant de la République française ?

M. Mikael Quimbert. - Le processus est totalement transparent. Le modèle économique de la pêche tropicale et guyanaise ne pourrait pas perdurer avec des marins qui seraient rémunérés selon les normes sociales aujourd'hui applicables en métropole. Le minimum social appliqué dans le cadre des accords de pêche avec les pays tiers est celui de la marine marchande, c'est-à-dire 600 dollars par mois.

M. Michel Vergoz. - Disposez-vous de la comptabilité analytique de la SAPMER ?

M. Mikael Quimbert. - Elle est cotée en bourse, ses comptes sont donc disponibles à quiconque souhaite y avoir accès. La SAPMER est, d'ailleurs, la seule société ultramarine qui soit cotée en bourse dans ce secteur. Les autres entreprises sont métropolitaines.

Mme Catherine Tasca. - Je voudrais rappeler que nous savons tous où sont les contraintes européennes. Notre rôle est de changer de point de vue, afin que l'outre-mer ne soit plus assimilée aux règles générales. Notre objectif est de contribuer au développement de l'outre-mer, dont vous avez tous souligné la diversité. Cela suppose que les autorités françaises affirment avec vigueur un discours plus particulariste et ne cherchent pas à fondre les schémas de l'outre-mer dans des schémas généraux. C'est dans ce sens que doit aller le travail de la délégation. On doit être certain de la défense de ces particularismes, si on est réellement attaché à l'outre-mer, dont la présence partout dans le monde est une richesse pour notre pays.

M. Mikael Quimbert. - Notre détermination est sans faille, même si les difficultés que j'ai exposées sont réelles. Nous avons défendu cette position avec vigueur, et avec un certain nombre de succès. Je pense notamment à la question de l'interprofession de la pêche à La Réunion, dont la Commission européenne ne voulait pas entendre parler. Le ministre Bruno Lemaire s'est impliqué personnellement, et nous avons obtenu gain de cause. Tout comme vous, nous pensons que la pêche ultra-marine a des atouts indéniables : ses espaces, la diversité des espèces, la qualité de notre outil de formation des pêcheurs, la présence d'instituts de recherche (IFREMER, IRD, CIRAD), le dynamisme de la consommation locale. Les contraintes, vous les connaissez : l'éloignement, qui renchérit les coûts d'approvisionnement ; le caractère encore très artisanal de la pêche locale.

La réforme de la PCP présente deux axes : la question de l'enveloppe de flotte, que j'ai déjà évoquée, et celle du soutien financier, qui doit appeler toute notre attention car une réforme profonde de l'instrument financier dans la réforme de la PCP est prévue.

En conclusion, j'insiste sur les deux points les plus importants : la prise en compte une fois pour toute des spécificités de l'outre-mer, et la traduction, qui n'existe pas dans la PCP contrairement à la PAC, de l'article 349 du TFUE (traité de fonctionnement de l'Union européenne) qui autorise l'Union européenne à tenir compte des spécificités des régions ultra-périphériques (RUP) et à y mettre en oeuvre des politiques dérogatoires au droit commun.

M. Serge Larcher, président. - C'est très important. La pêche aux Antilles ne peut pas actuellement recevoir de subvention de collectivités locales, ni de l'Europe. Il y a un véritable problème de financement. Peut-être y a-t-il là matière à demander un régime dérogatoire.

M. Mikael Quimbert. - La question du financement est en effet très importante. Des contraintes fortes liées à la surcapacité des flottes européennes empêchent de subventionner les politiques locales comme la construction et la modernisation des navires ; les subventions de fonctionnement permises dans le cadre de la PAC, sont interdites dans le cadre de la PCP, en métropole comme en outre-mer. On peut citer pour l'aquaculture l'interdiction des aides à l'achat d'intrants. Cette difficulté s'est révélée lorsque les Réunionnais ont constitué une interprofession en 2010, l'Association Réunionnaise Interprofessionnelle la Pêche Artisanale (ARIPA), qui regroupe tous les segments de la flottille, des petites embarcations aux flottes du large. C'était une démarche inédite, même au regard de la métropole où l'interprofession de la pêche est embryonnaire. Nous avons défendu ce dossier à Bruxelles dans le cadre de la PAC, car le POSEI (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité), l'instrument financier pour les RUP, est ouvert aux produits de la mer, alors que le FEP (le fonds européen pour la pêche) ne permet pas d'aides au fonctionnement. Une bataille rangée s'est alors engagée entre les directions générales de l'Union européenne, la DGagri regardant le projet avec bienveillance alors que les services s'occupant traditionnellement de la pêche refusaient que la PAC s'immisce dans la PCP. Nous avons réussi à obtenir gain de cause, mais dans le cadre d'une aide nationale notifiée (ce sont les crédits du CIOM). Nous estimons que ces crédits auraient dû être européens, raison pour laquelle les axes forts de notre combat sont d'une part la traduction de l'article 349 dans la cadre de la réforme de la PCP, d'autre part, soit la reconnaissance de la spécificité d'un POSEI pêche, soit l'assurance que l'enveloppe du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) soit constante dans le cadre de la future PCP.

Par ailleurs, la PCP aujourd'hui, avec le FEP, ne reconnaît que les RUP espagnoles et portugaises, la Guyane et La Réunion, mais pas les Antilles ni Mayotte. Nous espérons voir le champ concerné par l'instrument financier s'élargir, de toute façon à enveloppe constante.

Dans le cadre du POSEI agricole, la Commission européenne accepte l'aide au surcoût du transport de vivaneaux pêchés en Guyane exportés vers la métropole mais pas vers un autre DOM.

M. Serge Larcher, président. - Pourquoi a-t-on sorti les Antilles de ce dispositif ?

M. Mikael Quimbert. - Elles n'en ont jamais fait partie. C'est une singularité que nous réprouvons, bien évidemment.

En deux mots, les enjeux sont : un instrument financier qui prenne en compte les particularités de l'outre-mer, et qui permette par exemple des aides au fonctionnement pour l'achat de matériels et d'intrants ; et la nécessité d'avoir un budget redimensionné pour accueillir cet instrument.

Pour que les projets puissent émerger, comme celui de l'ARIPA, il faut d'abord supprimer les contraintes, puis trouver les financements. Il faut surtout que l'outre-mer puisse s'exprimer au sein de l'Union européenne. La présence de professionnels y est nécessaire. Dans le cadre de la précédente PCP, des instruments ont été créés, sont à perfectionner : ce sont les comités consultatifs régionaux, qui permettent, au niveau de l'Europe continentale, d'avoir une gestion partagée des pêches, notamment avec les scientifiques, par bassin maritime. Les RUP espagnoles et portugaises sont intégrées dans l'Europe continentale du fait de leur relative proximité géographique par le biais du comité consultatif « eaux occidentales sud », ce qui n'est le cas ni des Antilles, ni de la Guyane, ni de l'Océan Indien. Notre première demande est donc la création d'un comité consultatif spécifique. Il en existe un pour les pêches lointaines, très spécifiques.

Une importante lacune dans les propositions de la Commission pour la réforme de la PCP est une vraie réforme de la gouvernance au sein des instances gouvernementales. Il faut passer d'une logique pointilliste où sont évoqués les détails techniques à une autre logique où seules les orientations politiques soient déterminées au niveau du Conseil et du Parlement européens : M. Bruno Lemaire estime qu'il ne lui appartient pas de résoudre des questions technico-techniques, comme l'épaisseur des fils des filets ou la dimension de la sole. Puis ce serait aux acteurs de terrain, aux comités consultatifs régionaux de déterminer comment doivent être atteints ces objectifs. L'avis des professionnels est aujourd'hui insuffisamment pris en compte.

M. Jean-Étienne Antoinette. - Je me réjouis que la position du ministère ait progressé et qu'il admette que ces comités sont indispensables.

M. Maurice Antiste, co-rapporteur. - Comment les comités consultatifs régionaux vont-ils articuler leur fonctionnement avec les actuels comités régionaux des pêches ?

M. Mikael Quimbert. - Les comités régionaux des pêches sont des instances de représentation nationales, qui discutent de questions plus larges incluant la dimension sociale. Ils représentent les intérêts de la profession auprès du gouvernement français notamment. Ils ont une vocation toute différente des comités consultatifs régionaux, qui s'expriment sur les propositions de réforme de la PCP de la Commission européenne : le développement des flottes, les plafonds, les instruments financiers et les mesures techniques qui s'appliquent aux pêcheurs.

Dans un premier temps, je ne pense pas qu'on puisse avoir un comité consultatif régional par département. Un comité pourrait recouvrir l'ensemble des départements d'outre-mer.

M. Serge Larcher, président. - Il faudrait les définir par bassin.

M. Mikael Quimbert. - J'en viens maintenant à la question sur les accords de pêche. Nous partageons votre point de vue sur les accords de partenariat de pêche, qui ne tiennent pas suffisamment compte des intérêts des pêcheurs ultra-marins. Nous sommes en concurrence avec des produits d'importation des pays voisins qui ont des coûts bien inférieurs. On défend ce point de vue, et à ce stade, la Commission européenne semble l'accepter.

M. Michel Vergoz. - Je voudrais revenir sur mes trois questions. Je suppose que nous disposons d'une vision exhaustive de nos richesses marines ; où sont ces richesses ? Pourrait-on obtenir une carte de ces richesses ? Et j'ai longtemps entendu parler des fameux nodules polymétalliques. Je n'en entends plus parler depuis quinze ans. Que sont-ils devenus ?

Par ailleurs, à hauteur de quels montants sommes-nous pillés ? Par qui ? Et quelle réponse y apporter ? Nous avons tous les outils pour tracer ces pilleurs et on ne fait rien ! Et pendant ce temps, 60 % de notre jeunesse est au chômage !

Ensuite, s'agissant des accords de pêche : la pêche est devenue une variable d'ajustement de la politique française face aux instances européennes et dans le cadre des rapports de bon voisinage avec les pays de la zone !

Enfin, je refuse votre discours qui consiste à « chasser la subvention ». Aujourd'hui, l'intérêt des ultra-marins est de « chasser le projet ». Quel est ce projet ? Protéger le pêcheur hexagonal avant le pêcheur ultra-marin ? Ou le pêcheur français ? Qui le décide ? Notre projet doit être de créer de la plus-value, de la richesse pour demain, et de l'emploi pour nos outre-mer.

M. Mikael Quimbert. - Nous sommes dans le même état d'esprit. L'ARIPA est un bon exemple de projet qu'on peut conduire, dans la logique du CIOM. C'est justement en présentant un projet, avec à la clé des créations d'emploi et des retombées économiques, que nous avons réussi à convaincre l'Union européenne d'accorder des financements. Les pêcheurs ultra-marins sont défendus par le ministère avec la même vigueur que les pêcheurs métropolitains. Quant à la carte des ressources, j'aimerais comme vous pouvoir en disposer. Malheureusement, la mer est une grande inconnue. On dispose d'éléments de connaissance mais l'évaluation des ressources halieutiques coûte une fortune. Les moyens de recherche sont considérables et sans doute perfectibles. Les nodules polymétalliques ne sont toujours pas exploités, pour des raisons de coût, mais des projets sont à l'étude, qui relèvent du ministère de l'Écologie, et non du ministère de l'agriculture et de la pêche. La France va ainsi déposer un permis d'exploitation des grands fonds marins en Jamaïque auprès de l'Autorité internationale des fonds marins.

La question de la police, qui n'entre pas réellement dans le champ de la PCP, est pourtant centrale. Je suis moins pessimiste que vous sur le bilan de cette politique. L'exemple des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) montre que cette politique est plutôt un succès. Le braconnage était flagrant, et le ménage a été fait avec des moyens considérables, notamment satellites. Aujourd'hui, la pêche y est rentable, et est surtout le fait de pêcheurs réunionnais. Des progrès restent néanmoins à faire, notamment en Guyane, où des actions sont déjà menées avec beaucoup de fermeté par nos autorités maritimes locales.

Le lien avec la réforme de la PCP existe : c'est la lutte contre la pêche « INN », qui provient de navires braconniers qui fréquentent les eaux internationales y compris les ZEE des pays de l'Union européenne. Des contrôles de la pêche illégale (par exemple du thon rouge) sont menés grâce à des instruments juridiques, certes perfectibles. Les pêcheurs en voient déjà le bénéfice, car les prix de ces produits ont augmenté.

M. Serge Larcher, président. - Nous avons encore des questions à poser, mais le temps est imparti et nous serions intéressés par des réponses écrites.

L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche - Audition de Mme Joëlle Prévot-Madère, vice-présidente de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure de la section de l'agriculture sur la réforme de la politique commune de la pêche

M. Serge Larcher, président. - Nous accueillons à présent Mme Joëlle Prévot-Madère, vice-présidente de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE), rapporteure de la section de l'agriculture sur la réforme de la politique commune de la pêche.

Nous consommons beaucoup de produits de la mer, mais ne parvenons pas à produire ce dont nous avons besoin. Parmi les freins qui bloquent notre développement, figure la PCP. Avant de nous présenter les solutions à mettre en oeuvre pour la France d'outre-mer dans le cadre de la PCP, je vous demanderai de nous dresser un état des lieux.

Mme Joëlle Prévot-Madère, vice-présidente de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure de la section de l'agriculture sur la réforme de la politique commune de la pêche. - Les grandes lignes de la réforme sont : le rendement maximum durable (RMD), le zéro rejet et les concessions de pêche transférables (CPT).

La France a une position qui lui permettrait d'obtenir auprès de l'Union européenne certains avantages grâce à la taille de sa ZEE : 11,2 millions de km2. Le gouvernement s'attache à perpétuer le principe de stabilité relative, qui repose sur des éléments historiques : depuis 1983, il existe des quotas, attribués à chaque État membre, sur certaines espèces communes. Ces quotas, auxquels seulement 36 espèces sur 100 commercialisables sont soumises, conduisent à des taux admissibles de capture (TAC). Je vous rappelle que le poisson est considéré comme une ressource commune et que le principe de stabilité relative, aves les quotas et les TAC, peuvent conduire à des situations préjudiciables : quand le quota d'une espèce de poisson, toujours défini annuellement, est atteint avant la fin de l'année, les bateaux de l'État concerné doivent s'arrêter de pêcher. En revanche, des bateaux des autres États européens peuvent continuer à pêcher dans les propres zones de l'État ayant atteint son quota. Le principe de stabilité n'est cependant remis en cause à ce jour par aucun État membre.

Le point de départ de la PCP, réformée tous les dix ans depuis trente ans, repose sur la stigmatisation par l'Union européenne d'un seul responsable de la diminution des ressources halieutiques : le pêcheur lui-même. Or, les zones où circule le poisson n'ont pas de frontières. De plus, l'insuffisance de la ressource ne s'explique pas uniquement par la surpêche, mais aussi par les dérèglements climatiques, les pollutions estuariennes qui agissent sur le plancton, la pêche illégale (non déclarée, non réglementée : INN), qui peut représenter jusqu'à 30 % des prises. Le rapport de la Cour des comptes de 2011 établit le même constat : la politique contre la surpêche est un échec, car le pêcheur n'est pas seul responsable. Il faut aujourd'hui analyser les raisons de cet échec.

Dans son avis, le CESE a considéré que l'Union européenne n'avait pas cerné les véritables responsables, même si les objectifs qu'elle fixe ne pouvaient qu'être partagés par tous les acteurs. Il faut arriver à gérer la ressource : en vingt ans, le consommateur français a multiplié par cinq sa consommation de poisson et l'Union européenne importe 80 % de sa production.

La réforme de la PCP devra être mise en application dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon sous forme de mesures particulières, mais pas dans les pays et territoires d'outre-mer qui ne relèvent pas de l'Union européenne.

Elle repose sur trois éléments, dont les deux premiers sont intéressants pour la France :

- une gouvernance régionalisée, que tous nos territoires appellent de leurs voeux ;

- une gestion pluriannuelle : des quotas sur trois ans permettent en effet une plus grande visibilité pour les pêcheurs ;

- en revanche, le rendement maximum durable (RMD), taux de prélèvement autorisé en fonction du renouvellement de l'espèce concernée, présente des difficultés. Il s'appuiera sur les avis des scientifiques. Or, dorénavant, les propositions de la Commission européenne ne seront plus simplement fondées sur les avis scientifiques, mais devront être prises en accord avec les avis scientifiques. Or, nos territoires disposent de très peu de connaissances scientifiques. Ils vont donc devoir mettre en application des éléments de réforme pris au niveau européen, qu'ils n'auront aucun moyen de contester. Une de nos préoccupations est par conséquent de développer l'analyse scientifique, pas uniquement par le biais de relevés, mais aussi grâce à des instances européennes régionales, regroupées autour d'une instance européenne de recherche et qui comprendra non seulement les scientifiques mais également les pêcheurs, dont l'expérience doit nécessairement être prise en compte. Il apparaît évident que des moyens sont nécessaires pour financer ces structures. Le gouvernement français doit insister auprès du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour obtenir les financements nécessaires à la mise en place de ces structures de recherche, qui permettront à nos territoires de contester les décisions européennes, par exemple la fixation de dates butoirs au-delà desquelles il sera interdit de pêcher certaines espèces.

Une autre préconisation de l'Union européenne est le zéro rejet, qui consiste à obliger les pêcheurs à ramener à terre la totalité de leurs prises. Pour le CESE, le véritable objectif doit porter sur la réduction maximale des captures non commercialisables ou non viables par l'amélioration de la sélectivité des techniques de pêche. Il ne s'agit donc pas d'interdire ces rejets mais de faire en sorte qu'il y en ait le moins possible, voire à terme plus du tout. Si les finalités visées par la Commission et le CESE s'avèrent proches, en revanche ce sont les moyens envisagés pour y parvenir qui diffèrent. La sélectivité des engins de pêche nécessite des financements, pour l'instant absents des propositions de la Commission européenne.

Les espèces non commercialisables ramenées à quai impliquent l'existence de structures de débarquement et de stockage car ces poissons ne doivent pas être détruits. Pour valoriser financièrement les rejets, la création d'une filière dédiée semble de prime abord séduisante, au regard des possibilités d'utilisation en pharmacologie et en cosmétologie, au-delà de leur transformation en farines destinées à l'aquaculture, pour laquelle nous préférons le recours au plancton. Cependant, déployer une véritable filière exige du temps et de gros investissements. Or, l'objectif visé est de réduire à terme au strict minimum les rejets ramenés à terre, ce qui implique que les infrastructures dédiées au traitement de ces produits devront s'adapter à une diminution progressive de leurs approvisionnements. Cette solution n'est envisageable que si les rejets ne constituent qu'un complément d'intrants pour des transformateurs déjà en activité et traitant par exemple les coproduits de poissons destinés à l'alimentation humaine. Ces industriels seront cependant eux aussi confrontés dans un premier temps à un afflux massif de matières premières dont les volumes s'amenuiseront ensuite peu à peu. Il faut par ailleurs éviter que des conditions particulièrement favorables de valorisation des rejets conduisent à créer des débouchés commerciaux trop attractifs car, dans cette hypothèse, certains navires, lors de campagnes de pêche infructueuses, pourraient être tentés de remplir leurs cales de poissons non directement vendables mais sujets à indemnisation, ce qui irait totalement à l'encontre des finalités du « zéro rejet ».

Abordons maintenant les concessions de pêche transférables (CPT). Le projet porté par la Commission, visant à la mise en place d'un système de droits de pêche susceptibles d'être vendus, les CPT, ne modifiera certes pas les quantités capturées. En revanche, il aura un impact irrémédiable sur la structuration du secteur. En effet, il est prévisible que seules les grandes entreprises auront les moyens financiers pour acquérir de nouveaux droits. Les petits pêcheurs ne pourront pas le faire ou alors au détriment d'autres investissements, pourtant souhaitables, relatifs au renouvellement et à la modernisation de leurs équipements, ce qui va à l'encontre des objectifs environnementaux assignés à la PCP en termes notamment de renforcement de la sélectivité des modes de pêche. Ajoutons à cette analyse le fait que les deux principaux garde-fous proposés par la PCP apparaissent illusoires, car exclure des CPT les navires de moins de 12 mètres ne prend pas en compte le fait qu'une part significative des pêcheurs artisanaux utilise des bateaux de 12 à 24 mètres.

Ensuite, l'interdiction de transférer des quotas d'un État membre vers un autre sera impossible à faire appliquer à de grandes entreprises de plus en plus transnationales disposant de flottes installées dans différents pays. Mais c'est sans aucun doute sur l'emploi direct et indirect que les CPT font peser les plus grands risques. En effet, on peut capturer une quantité de poissons équivalente avec un gros navire ou avec plusieurs petits. En revanche, les effectifs de marins nécessaires seront nettement plus faibles dans le premier cas. Dans le cas d'une concentration presque exclusive des moyens de pêche autour de gros navires, les effectifs de marins seront nettement diminués. Dans cette situation, compte tenu de l'autonomie des bâtiments considérés, les prises pourront être débarquées de manière opportuniste, dans de multiples endroits, y compris à l'étranger, en fonction des intérêts économiques du moment après, de surcroît, qu'une partie de leur transformation aura été effectuée à bord. Ces éléments à caractère social, conjugués au risque de financiarisation de la pêche, conduisent le CESE à réaffirmer son opposition formelle à la mise en place d'un système de quotas de pêche commercialisables.

Venons-en maintenant à la valorisation des atouts de nos territoires. Rappelons qu'au titre de l'article 349 du traité de fonctionnement sur l'Union européenne (TFUE), les Régions ultrapériphériques (RUP) dont font partie les DOM, bénéficient d'une base juridique qui reconnaît leur spécificité (éloignement des marchés pour l'exportation et l'importation, étroitesse des marchés locaux) et la nécessité d'adapter les politiques communes à leurs réalités et à leurs contraintes permanentes. La PCP doit par conséquent pleinement s'inscrire dans cette approche.

Nous avons demandé, depuis la mise en place des comités consultatifs régionaux (CCR) il y a dix ans, de constituer deux CCR particuliers, pour les Antilles et la Guyane, d'une part, et pour l'Océan Indien, d'autre part. Les DOM ne sont, en effet, à ce jour, représentés dans aucun comité consultatif régional, à la différence d'autres RUP prises en compte dans le CCR « eaux occidentales ».

Nous avons également demandé que soit maintenu le dispositif du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Mis en place afin de compenser les surcoûts dus à l'éloignement et l'insularité, le programme européen POSEI permet de garantir une certaine compétitivité aux exportations des RUP dans le marché européen (y compris, inter-RUP). Le POSEI-Pêche est donc une aide vitale pour le développement du secteur. Le secteur de la pêche et de l'aquaculture de La Réunion, grâce à la pugnacité de la collectivité elle-même, a obtenu le déblocage de financements du POSEI-Agri (dispositif FERGEA) pour les produits de la mer. Pour le CESE, cette démarche doit être initiée dans les autres DOM et la réforme de la PCP doit veiller tout d'abord au maintien essentiel du dispositif financier POSEI, ainsi qu'à une articulation judicieuse de ces deux fonds. Les collectivités ultramarines, à l'instar de La Réunion, doivent s'impliquer très directement dans ces procédures pour aboutir à des résultats.

Nous recommandons également de développer les flottilles locales. Les dernières aides françaises autorisées en faveur du développement des flottilles datent de 2007. Depuis cette date, l'Europe les a interdites afin de lutter contre la surcapacité. Cependant, plusieurs rapports recommandent la fin de cette interdiction car des règles pertinentes pour les réserves halieutiques en métropole peuvent s'avérer contre-productives en outre-mer. Compte tenu de l'état des flottilles - la moyenne d'âge des bateaux est de l'ordre de 20 à 26 ans, ce qui est très élevé -, majoritairement destinées à la pêche côtière et artisanale, ralentir leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus écologiques, moins consommateurs en carburant, plus sécuritaires et moins destructeurs des lagons. Le CESE considère que la réforme de la PCP doit garantir le maintien de règles spécifiques aux flottilles ultramarines (sur les gabarits notamment) et autoriser l'aide au renouvellement et à la modernisation de la flotte de pêche côtière, au titre de l'article 349 du TFUE. Notre pêche côtière, en effet, subit des courants marins beaucoup plus puissants qu'en métropole, ce qui accroît les besoins en puissance de nos bateaux et rend nécessaires des aides particulières. À ce jour, l'Union européenne ne permet aucune subvention pour le renouvellement des flottes et des moteurs, nous avons donc demandé, en dépit d'un contexte budgétaire national défavorable, le relèvement du « de minimis » (montant de subvention du gouvernement français autorisé sans l'accord de l'Union européenne) de 30 000 à 200 000 euros, comme dans les autres secteurs industriels.

Une autre préconisation du CESE est de développer les Unités d'exploitation et de gestion concertées (UEGC), organismes de cogestion qui rassemblent acteurs publics, pêcheurs, commerçants et défenseurs de la nature sous l'égide des Conseils consultatifs régionaux (CCR). Le Grenelle de la mer a d'ores et déjà lancé, à titre expérimental, deux UEGC en outre-mer (seule celle de Guyane a été créée). Ce système permet d'évaluer les ressources localement et d'adapter les volumes de pêche par des plans pluriannuels. Les pêcheurs sont ainsi plus enclins à respecter une réglementation dont ils participent à l'élaboration. Pour le CESE, il convient d'encourager ces unités qui pourront ainsi déterminer localement le RMD et encadrer la modernisation de la flotte dans le respect des exigences de développement durable.

J'aborde à présent la problématique des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) au regard de la PCP. Ils ne relèvent pas de l'Union européenne et ne sont donc pas concernés par la réforme, mais subissent la règlementation française en matières sociale et environnementale. Les PTOM souffrent des accords de libre échange avec des pays tiers dans lesquels l'Union européenne n'impose pas de normes sociales et environnementales contraignantes. Parallèlement, la majeure partie de la ZEE française se situant dans le Pacifique autour des collectivités d'outre-mer du Pacifique et de la collectivité sui generis de la Nouvelle Calédonie, ne fait donc pas partie de l'Union européenne et à ce titre ne relève pas de la PCP. Toutefois les collectivités concernées sont de facto incluses au sein du marché communautaire du fait de leur appartenance à la République française, ce qui les conduit à respecter les règles et les normes communautaires. Les industries de pêche de ces territoires participent très peu à l'approvisionnement du marché européen (environ 1 000 tonnes/an pour la Polynésie) malgré leur potentiel halieutique exceptionnel, alors que l'Union européenne a signé des Accords de partenariat économiques (APE) avec Fidji et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui représentent plus de 400 000 tonnes/an. Ces accords prévoient la levée de tarifs douaniers, notamment pour les produits transformés issus des pêches locales ainsi que de celles battant pavillon étranger, sans pour autant impliquer une amélioration des standards environnementaux et de traçabilité. Il s'agit là d'une concurrence déloyale faite aux PTOM du Pacifique qui souhaitent bénéficier des mêmes facilités à l'exportation et pour lesquels s'appliquent des normes nationales exigeantes alors qu'ils ne sont pas juridiquement membres du marché commun. De la même manière, l'accord de libre échange actuellement en discussion entre l'Union européenne et le Canada risque d'avoir des effets fortement négatifs sur les activités de pêche de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il est à noter que l'Union européenne a appliqué une approche différente et plus juste dans la zone Caraïbe en conditionnant l'application des APE dans cette région à la mise en place de pratiques environnementales et sanitaires comparables à celles en vigueur en Europe ; cette politique devrait être appliquée également dans le Pacifique. Dans le cadre du volet externe de la future réforme, le CESE juge nécessaire de revoir et de subordonner la conclusion de ces accords au respect des principes de la PCP. Une mise en cohérence entre la politique de commerce extérieur et la PCP est en effet indispensable car il en va du développement économique des PTOM associés.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie pour la clarté et la densité de votre intervention.

M. Michel Vergoz. - Qu'entendez-vous par gouvernance régionalisée ? Quelle est la différence avec les comités consultatifs régionaux (CCR) ? La gouvernance régionalisée signifie-t-elle que nous intervenons en amont des décisions ?

Mme Joëlle Prévot-Madère. - Ce que la PCP appelle la gouvernance régionalisée ne concerne pas le niveau auquel les décisions seront prises, qui resteront aux mains des ministres et du Parlement. Mais une fois les décisions prises concernant les quotas et les TAC, elles devront être mises en oeuvre sur le territoire soit par pêcherie, soit par organisation de producteurs. Ces organisations sont en effet plus à même de répartir ces quotas et TAC. Cela pose toutefois le problème du financement des organisations de producteurs, qui disposent de peu de ressources propres et sont financées par les collectivités régionales en fonction des moyens de celles-ci. Nous avons demandé une participation financière nationale pour ces organisations, qui doivent avoir les moyens de mettre en oeuvre la régionalisation prônée par la PCP. L'Espagne et le Portugal ont obtenu l'autorisation, pour leurs RUP, dans le cadre de la gestion de l'effort de pêche, de n'accorder des autorisations de pêche qu'aux bateaux battant pavillon de leur territoire à certains moments de l'année. L'UE peut donc accorder, dans le cadre de l'article 349, des adaptations de la réglementation.

M. Michel Vergoz. - Pourrait-on obtenir ces accords conclus entre l'Union européenne et l'Espagne et le Portugal pour leurs RUP ?

M. Jean-Étienne Antoinette. - J'observe que cet exposé confirme notre ressenti, selon lequel nous ne sommes pas bien défendus sur l'ensemble de ces questions, et que la pêche en outre-mer est une variable d'ajustement dans les relations de la France avec l'UE...

J'ai trois questions. La France et l'UE convergent sur les objectifs, mais pas sur les outils, que ce soit les quotas ou les concessions de pêche transférables. Existe-t-il une troisième voie ? D'autre part, l'UE préconise-t-elle des moyens de contrôler le pillage ? Et enfin, la convergence entre la politique extérieure de l'UE et les intérêts nationaux se fait au détriment de l'outre-mer. Avez-vous des recommandations sur ces questions ?

Mme Joëlle Prévot-Madère. - La pêche illégale est estimée à 30 % des prises en moyenne, et davantage en Guyane. La Guyane est un exemple flagrant du besoin essentiel de regroupement des scientifiques et des pêcheurs. Un courrier envoyé par les socioprofessionnels a attiré l'attention sur la pêche illégale pratiquée par des Vénézuéliens, des Surinamais et des Brésiliens. Or, une motion du comité scientifique évoque la surpêche, mais sans préciser qu'elle est due à la pêche illégale et non à la gestion locale de la pêche. C'est la France qui doit convaincre de la véritable cause de la surpêche, c'est-à-dire la pêche illégale, et qui doit porter la demande d'alignement normatif lors de la conclusion d'accords entre l'UE et les États concernés. Par ailleurs, nous avons demandé la mise en place d'observateurs européens dans les pays où il existe des accords de partenariats de pêche, pour constater quel niveau de normes ces pays respectent. Mais sans contrôle, cela ne sert à rien. Nous avons donc surtout demandé la mise en place d'une écolabellisation sur la base d'un cahier des charges qui serait défini par l'UE, et qui serait donc le même pour tous.

Je n'ai pas évoqué les dispositifs d'aide au retrait et d'aide au report.

L'aide au retrait renvoie à une liste d'espèces régionales. Quand les quantités pêchées sont trop importantes pour être vendues sur le territoire, le surplus est donné à des associations caritatives, mais les professionnels reçoivent une compensation financière de l'Union européenne, à condition qu'ils aient préalablement inscrit auprès de celle-ci leurs espèces concernées. La Martinique n'est pas concernée.

Le CESE a demandé, pour les espèces communautaires, une aide au report pour conserver et stocker les espèces pêchées afin de les vendre quand le marché est moins saturé.

Les quotas vénézuéliens, actuellement acceptés par la Commission européenne, sont une particularité de la Guyane. Un tribunal européen en étudie cependant la pérennité. Le ministère est actif afin que le gouvernement puisse négocier directement avec le Venezuela.

Votre première question concernait une éventuelle troisième voie. L'UE veut réduire la surpêche en continuant à réduire le nombre de bateaux. Pour elle, la seule solution est de mettre en place les contrats de pêche transférables, rachetés par des grands groupes, au risque de faire disparaître la pêche côtière, comme cela a été le cas en Irlande. Le CESE a demandé que soient revus les critères de la capacité de pêche des bateaux, qui reposent aujourd'hui sur la jauge et la puissance. Ces critères nous semblent obsolètes, notamment au regard de l'exigence du zéro rejet qui nécessite de stocker les poissons non commercialisables sur le bateau. Nous demandons que le critère retenu soit le gabarit du bateau, en fonction de la façade maritime considérée, pour prendre en compte les différentes forces des courants.

Mme Karine Claireaux. - Notre État ne prend pas suffisamment position face à l'Union européenne, surtout pour défendre un petit territoire comme Saint-Pierre-et-Miquelon. Le Canada nous impose sa loi. Je ne sens pas aujourd'hui de politique ferme et affichée de la France en faveur de l'outre-mer.

Mme Joëlle Prévot-Madère. - Un argument auquel le gouvernement pourrait être sensible est, dans le contexte actuel, le potentiel de disparition d'emplois.

M. Maurice Antiste, co-rapporteur. - Avez-vous eu des contacts avec les comités régionaux de pêche ?

Mme Joëlle Prévot-Madère. - Nous leur avons envoyé des courriers. Excepté La Réunion, ils se sont regroupés au sein du Comité national des Pêches pour répondre par un courrier commun.

M. Serge Larcher, président. - Les scientifiques doivent apporter des éléments supplémentaires sur le nombre et la taille des prises, car on constate une diminution des espèces et de la taille des espèces capturées.

Mme Joëlle Prévot-Madère. - La surpêche ne concerne que 36 espèces définies par l'UE, soumises à quotas. Mais nous considérons que d'autres espèces doivent être protégées, même non commerciales, compte tenu de leur rôle dans la chaîne alimentaire. Il est donc nécessaire d'établir une cartographie dynamique des espèces.

M. Serge Larcher, président. - J'observe, pour conclure, que l'article 349 recèle des potentialités pour l'outre-mer, et qu'il a été trop peu utilisé par le gouvernement français. Je vous remercie de votre brillant exposé.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de M. Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM, et de M. Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l'INSEE

M. Serge Larcher, président. - La question de la vie chère que nous abordons cet après-midi se trouve malheureusement à nouveau sur le devant de la scène dans les outre-mer. Tout récemment, elle a surgi à Mayotte et a réalimenté l'actualité réunionnaise, antillaise et guyanaise. Elle n'oublie pas non plus les autres collectivités ultramarines comme Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie. Il nous a paru essentiel que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, s'en saisisse pour présenter des propositions. Je rappelle qu'en 2009 nous avions déjà formulé cent propositions, dont toutes n'ont hélas pas été suivies d'effet et qu'il y a lieu d'affiner. À l'époque, le champ d'étude de nos travaux était circonscrit aux départements d'outre-mer. Notre mission actuelle s'étend désormais à l'ensemble des outre-mer.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Patrick Besse, directeur de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEDOM-IEOM), ainsi qu'à M. Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ils inaugurent notre cycle d'auditions par une présentation de la situation économique actuelle des outre-mer au regard de la vie chère.

M. Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM. - L'objet de mon intervention est de brosser le panorama de la conjoncture outre-mer. Fabrice Lenglart proposera, quant à lui, une analyse de la situation des prix et de l'emploi.

L'activité économique ultra-marine connaît des évolutions très contrastées : si la plupart des territoires se trouvent en difficulté, quelques-uns laissent apparaître une situation plutôt positive. Comme vous l'indiquera Fabrice Lenglart, la hausse des prix est généralement contenue mais l'emploi se caractérise depuis trois ans par une dégradation qui persiste, bien que le rythme de la hausse du chômage s'atténue depuis environ un an.

L'indicateur du climat des affaires, qui se fonde sur des enquêtes de conjoncture trimestrielles auprès des chefs d'entreprise, nous renseigne, lorsque nous le confrontons à l'évolution du PIB annuel calculé par l'INSEE, sur l'évolution passée, présente et à venir de l'activité. Nous ne disposons malheureusement pas de données récentes sur le climat des affaires à Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-Et-Futuna, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, notamment parce que l'échantillonnage ne le permet pas.

De façon générale, sur la période 2001-2011, l'indicateur du climat des affaires révèle des variations très fortes des niveaux d'activité d'un département ou d'une collectivité à l'autre jusqu'à l'année 2005. Ces variations sont suivies d'un rapprochement fort et plutôt positif jusqu'à la fin de l'année 2007, au moment où débute la crise financière. Les années 2007 et 2008 sont marquées par un effondrement violent. L'IEDOM considère toutefois que l'impact de la crise financière, bien que réel, demeure très limité dans les départements d'outre-mer et qu'il apparaît un peu plus prégnant dans les territoires ultra-marins du Pacifique. De fait, il y a des crises plurielles qui ont affecté, selon le cas, soit les Antilles, soit La Réunion, et, plus récemment, Mayotte. La reprise qui s'est fait jour depuis 2009 n'a pas permis un retour de l'activité au niveau de la période antérieure. Depuis la deuxième moitié de l'année 2011, l'on observe à nouveau des évolutions divergentes de l'activité selon la zone géographique considérée.

La Guadeloupe présente une situation plutôt favorable jusqu'à 2008-2009, si l'on excepte la fin de l'année 2004 pendant laquelle l'activité a subi les conséquences de la grève du port de Jarry. Le mouvement social de l'année 2009 a très fortement marqué l'économie guadeloupéenne dont l'activité a brutalement chuté. Cette dégradation est suivie d'une tendance positive marquée par une reprise lente qui repose sur la consommation des ménages et le secteur du tourisme. L'activité est bien orientée et soutenue par les banques : la croissance de l'encours des crédits bancaires a été de + 7 % en 2011. Cependant, les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP) et de l'agriculture souffrent quelque peu et la confiance manque encore aux investisseurs. La situation de l'emploi demeure préoccupante, les entreprises guadeloupéennes ayant réalisé des efforts de rigueur dont elles recueillent les fruits aujourd'hui. L'IDEOM estime que l'amélioration générale de la conjoncture devrait se poursuivre en 2012.

La Martinique, où le climat des affaires se situe toujours en-deçà de sa moyenne de longue période, présente une situation moins favorable. La crise sociale, qui a mis un terme à la tendance positive qui prévalait jusqu'en 2008, n'a pas été suivie d'une véritable reprise. La croissance demeure modeste et peu créatrice d'emploi. Cette différence avec la Guadeloupe s'explique par la structure des entreprises martiniquaises, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, qui n'ont pas su réaliser les ajustements nécessaires. Bien que la consommation des ménages se maintienne, les niveaux globaux d'investissement, qui correspondent à des investissements de renouvellement et non pas de création, demeurent faibles. Les difficultés sectorielles concernent l'agriculture. Le BTP et le commerce se maintiennent tandis que le tourisme connaît une faible reprise. La croissance des encours bancaires, de l'ordre de 1,6 %, est beaucoup plus faible qu'en Guadeloupe, ce qui montre que l'activité peine à repartir. Nous demeurons circonspects sur les perspectives de reprise.

En Guyane, le bilan apparaît assez mitigé jusqu'en 2005. Cette période est suivie d'une très forte croissance de l'activité jusqu'en 2008. La chute de l'activité guyanaise a ensuite été beaucoup moins forte que celle de ses consoeurs et la reprise beaucoup plus rapide. Depuis lors, l'amélioration du climat des affaires se poursuit. Le territoire se caractérise par un fort dynamisme, lié essentiellement à l'évolution démographique. L'immigration est forte, ce qui entraîne une hausse de la consommation et des besoins de logements profitant au secteur du BTP, autant de moteurs de croissance à côté du dynamisme du secteur spatial. La croissance des crédits aux entreprises a été de près de 7,5 %, celle des crédits à l'habitat de près de 11%. Les perspectives offertes par les ressources minières et pétrolières en font un territoire attractif. Les entreprises antillaises viennent d'ailleurs investir en Guyane, délaissant la Martinique et la Guadeloupe.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la reprise marque le pas. En 2011, les secteurs de la pêche et du tourisme demeurent en retrait, contrairement à celui du BTP qui est porté depuis quelques années par l'investissement public (l'hôpital, la centrale d'EDF). La hausse des prix est bien supérieure à celle des autres départements et collectivités, même s'il faut la relativiser car l'indicateur des prix local n'a pas la même valeur que celui de l'INSEE. Cette hausse soutenue s'explique par l'augmentation des prix de l'énergie dans un territoire qui nécessite de se chauffer une plus grande partie de l'année et par le cours du change entre le dollar canadien et l'euro. L'emploi connaît des variations marquées du fait de l'importance des activités saisonnières. Entre 2007 et 2011, l'on observe un resserrement entre le nombre de demandeurs et le nombre d'offres d'emploi en raison du maintien de l'activité dans le secteur du BTP.

La Réunion se caractérisait jusqu'en 2007 par une tendance positive très forte qui s'expliquait par les grands travaux (route de Tamarin, basculement des eaux). La chute d'activité, intervenue dès avant la crise financière, a été d'autant plus importante qu'elle était concomitante de la fin des grands travaux et de changements de municipalités ne reconduisant pas certains chantiers. Après une lente reprise de l'activité, l'économie réunionnaise connaît une nouvelle dégradation depuis le deuxième trimestre de l'année 2011. La confiance fait défaut chez les chefs d'entreprise et dans la population. L'incertitude et la prudence affectent l'investissement. Pour autant, la consommation demeure bien orientée. Les secteurs de l'agriculture, de l'agro-industrie et du tourisme continuent à se porter correctement. Celui du BTP survit grâce à la reprise du logement social, où les besoins sont importants, mais à un niveau bien inférieur à son niveau antérieur à 2007. Les services et le commerce sont en perte de vitesse. En témoigne l'encours des crédits qui n'a augmenté que de 2,3 %, avec une stabilisation des risques. Le chômage augmente également pour atteindre le taux le plus élevé de l'ensemble des outre-mer. Les perspectives apparaissent mitigées pour les mois qui viennent.

Mayotte ne se trouve pas en meilleure situation. Jusqu'en 2008, l'activité a été assez forte, tirée par les transferts de l'État et par une commande publique relativement importante. La reprise consécutive à la chute de 2008 a été suivie d'une rechute violente en 2011 avec, en fin d'année, un long conflit social qui a paralysé l'activité économique pendant au moins deux mois. Si la consommation demeure le moteur de ce nouveau département français, l'investissement est mal orienté. La croissance des encours de crédit a été de 6,6 % mais elle s'accompagne de la dégradation des risques bancaires. Les hausses de prix ont été fortes même si les accords intervenus à la fin de l'année 2011 ont permis un retournement de tendance, en particulier pour les produits alimentaires. Depuis 2011, l'emploi est en forte dégradation. Dans ces conditions, les perspectives d'une véritable reprise à court terme apparaissent peu probables.

La Nouvelle-Calédonie se porte plutôt bien. L'activité y étant fortement liée au nickel, il existe une corrélation entre les évolutions du PIB et le cours de cette matière première. La chute de confiance qui a eu lieu fin 2011 s'explique par la perspective de l'achèvement des chantiers de l'usine du Nord dans le secteur du BTP. L'investissement s'essouffle. Cependant, malgré des prix légèrement supérieurs aux prix hexagonaux et dont la croissance atteint 2,6 %, la consommation des ménages reste soutenue. Le secteur du nickel, tiré par la demande des pays émergents, et celui du tourisme se portent bien. La croissance des encours bancaires est de l'ordre de 7 %. La montée en puissance des différentes usines devrait générer un flux positif dans les mois qui viennent.

La Polynésie française vit une période difficile depuis plusieurs années malgré plusieurs sursauts en 2006 et 2007. Elle ne se relève pas de la crise dans laquelle elle est entrée dès la fin 2006. La morosité économique persiste, avec une consommation des ménages atone et un investissement des entreprises quasi-inexistant. La dégradation touche tous les secteurs. La progression des encours de crédit est de 0,8 %. Les risques bancaires apparaissent en forte hausse, le taux d'impayés auprès des banques se montant à 12 %. Les perspectives de croissance font défaut. Les difficultés budgétaires du territoire ne permettent pas de réaliser une relance par l'intermédiaire de la commande publique. Les prix, qui sont pourtant administrés, ont crû de 1,8 %, affichant donc une hausse inférieure à celle des prix hexagonaux. L'emploi poursuit sa chute malgré une très légère reprise en 2011.

Enfin, à Wallis-Et-Futuna, après une période difficile, l'activité est bien orientée et relativement dynamique depuis deux ans grâce à la commande publique alimentée par des fonds européens. Le secteur du BTP se porte plutôt bien. La hausse des prix y est légèrement plus forte qu'ailleurs, du fait de l'augmentation des prix de l'énergie.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - L'on observe effectivement de grandes variations selon les territoires, dont certains sont marqués par des indices positifs et d'autres par des indices négatifs. Si tout à l'air d'aller bien en Guyane, c'est parce qu'il y a une forte progression de la population, ce qui favorise la consommation. Gardons néanmoins à l'esprit que les indices peuvent cacher les réalités de la vie quotidienne des citoyens. En d'autres termes, les progressions statistiques ne sont pas contradictoires avec les mouvements contre la vie chère.

M. Jean-Étienne Antoinette. - Selon une analyse communément admise, il existe une déconnexion entre, d'une part, la crise économique et financière en France et en Europe et, d'autre part, la crise économique en outre-mer. Or, jusqu'à preuve du contraire, les crises sociales sont une conséquence des crises économiques et l'on voit que la tendance à la baisse de l'activité économique en outre-mer date de la fin de l'année 2007 tandis que la crise sociale, qui a débuté à La Réunion avant de s'amplifier à la Guyane, date de 2008. Ne faut-il pas réviser la manière de considérer les liens entre la crise économique dans l'hexagone et la crise sociale dans les outre-mer ?

Je souhaite poser deux questions supplémentaires. Premièrement, la loi organique pour le développement de l'outre-mer, dite « LODEOM », a-t-elle favorisé la reprise ? Pourriez-vous nous présenter une évaluation de son impact, s'agissant notamment des mesures de défiscalisation ?

Deuxièmement, en ce qui concerne l'emploi, les collectivités territoriales, qui ont traditionnellement un rôle de « buvard social », ont freiné leurs recrutements à la suite des observations des chambres régionales des comptes. Cela pourrait-il expliquer la dégradation de la situation de l'emploi ?

M. Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM. - C'est surtout la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française que la crise financière a fortement touchées. À La Réunion, la dégradation de la conjoncture économique est davantage liée à l'arrêt des grands travaux. Les conséquences précises de la crise financière sont difficiles à identifier aux Antilles. En Martinique et en Guadeloupe, le mouvement de 2009 est lié aux fortes augmentations de prix mais il a lui-même eu des conséquences sur l'économie. Il est malaisé de définir son origine exacte. Il est certain que les prix de l'énergie sont dépendants de l'évolution globale des cours de change. En Guyane, l'impact de la crise a été beaucoup plus limité que dans les Antilles, ce qui s'explique par une structure différente de l'économie. La difficulté à définir précisément l'impact de la crise tient également à l'importance des amortisseurs sociaux dans notre pays. En tout état de cause, la crise génère ou non chez les chefs d'entreprise un attentisme. De ce point de vue, l'appréciation de l'attitude à adopter face au retournement de tendance a été meilleure en Guadeloupe qu'à La Réunion.

Je ne saurai vous répondre sur la LODEOM car l'évaluation des politiques publiques ne relève pas de nos missions. Ce que l'on constate, c'est que le secteur du BTP s'est maintenu.

L'emploi ne repart pas, bien au contraire. J'ignore si les collectivités ne recrutent plus. Un autre phénomène, lié à la baisse générale des effectifs de la fonction publique d'État, peut jouer. Je ne dispose pas de chiffres récents relatifs aux recrutements des collectivités territoriales.

Mme Karine Claireaux. - Je ne vois aucun signe de reprise à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le dynamisme du secteur du BTP est essentiellement lié à la commande publique, laquelle ne permet pas de disposer d'entreprises en bonne santé. Les chiffres que vous nous avez présentés au sujet de l'emploi ne tiennent pas compte de la soixantaine d'ouvriers du secteur de la pêche qui font l'objet d'une convention de reclassement personnalisé (CRP). Ils viendront augmenter dès le mois de juillet les chiffres du chômage. Le bassin d'emploi étant fermé, il n'existe pas de perspectives concrètes d'avenir sur l'île pour les jeunes qui quittent le territoire pour débuter leurs études. J'ajoute que les mesures du comité interministériel de l'outre-mer (CIOM) n'ont eu absolument aucun effet sur la conjoncture, ni sur les prix ou l'emploi.

M. Jean-Étienne Antoinette. - Vous vous étiez engagé à nous donner des chiffres actualisés. Nous avons obtenu hier les chiffres de l'emploi pour la France hexagonale. Pour l'outre-mer en général et la Guyane en particulier, ces mêmes chiffres datent de septembre 2011. Nous ne disposons donc pas de chiffres récents.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Mon propos sera centré sur les départements d'outre-mer puisque leur appareil d'information statistique est géré par l'INSEE, à l'inverse de celui des collectivités d'outre-mer. Après vous avoir présenté brièvement la structure du système d'information statistique français couvrant les DOM, je passerai en revue les résultats obtenus par cet appareil au regard de la question de la vie chère.

L'INSEE est une direction déconcentrée du ministère de l'économie et des finances et comprend 5 200 agents, dont 1 320 travaillent à la direction générale à Paris. Les trois quarts du personnel sont donc répartis sur le territoire français entre les directions régionales de l'INSEE. En outre-mer, existent deux directions régionales. La première, dite « Antilles-Guyane » (DIRAG), dont le siège se trouve à Pointe-à-Pitre, possède trois services régionaux en Guadeloupe, Martinique et Guyane. La seconde, « La Réunion-Mayotte », comporte un service régional à Mayotte. Proportionnellement, les effectifs de l'INSEE travaillant dans les directions régionales des DOM sont comparables aux effectifs des directions régionales de l'hexagone, voire légèrement supérieurs en moyenne.

Les indicateurs relatifs au niveau de vie englobent les chiffres produits en matière d'emploi, de revenu et de prix. Dans les DOM, hormis Mayotte, les statistiques relatives à l'emploi et aux salaires sont tirées, comme c'est le cas pour le reste de la France, de sources administratives qui proviennent de la sphère sociale : l'agence de recouvrement des cotisations sociales (ACOSS) s'agissant de l'emploi salarié, et les déclarations annuelles effectuées par les organismes sociaux, en particulier la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). L'appareil statistique qui permet de suivre les évolutions de l'emploi et des salaires est donc identique dans l'hexagone et en outre-mer. La situation est la même pour l'indice des prix à la consommation : dans l'appareil statistique de l'INSEE, les relevés de prix effectués spécifiquement en outre-mer suivent le même cheminement que les relevés de prix effectués dans l'hexagone.

Les DOM se caractérisent toutefois par une double spécificité : d'une part, la publication de comptes régionaux, d'autre part, le nombre plus élevé des relevés de prix qui y sont effectués, permettant de publier un indice de prix régional dont il n'existe pas d'équivalent pour les régions hexagonales.

Les enquêtes auprès des ménages constituent une autre source importante du système d'information statistique. Celui-ci a beaucoup progressé et la plupart des enquêtes ménages réalisées par l'INSEE couvrent désormais l'outre-mer et bénéficient fréquemment d'extensions régionales, en partie financées par les décideurs locaux. Songeons en particulier à l'enquête budget de famille (BDF) qui permet d'interroger les ménages à la fois sur leurs revenus et sur la structure de leur consommation. L'enquête patrimoine a récemment bénéficié d'extensions régionales à La Réunion et en Guadeloupe, c'est-à-dire de publications représentatives de chacun de ces départements. La prochaine enquête logement qui aura lieu en 2013 couvrira l'ensemble des DOM.

S'agissant de l'emploi, l'INSEE est passé d'une enquête annuelle à une enquête dite en continu, permettant de produire pour la France hexagonale un taux de chômage trimestriel. Les DOM sont pour l'instant exclus de cette évolution mais vont progressivement y être intégrés, d'ici à 2013-2014.

Reste un point plus complexe qui concerne la mesure du niveau de vie, c'est-à-dire des revenus, par l'intermédiaire des enquêtes. Les deux principales enquêtes réalisées aujourd'hui auprès des ménages pour mesurer la disparité des revenus sur le territoire français sont l'enquête sur les revenus fiscaux et sociaux (ERFS) et l'enquête statistique sur les revenus et les conditions de vie (SRCV), laquelle constitue une enquête en panel européenne. À ce jour, les DOM demeurent exclus du champ de ces enquêtes. La seule exception concerne un exercice d'ERFS effectué à La Réunion en 2008. La réalisation de ces enquêtes requiert en effet des appariements avec des fichiers fiscaux et sociaux afin de reconstituer des revenus. L'ERFS, en particulier, résulte de l'appariement de l'enquête emploi avec des sources fiscales et sociales soumises à des conditions d'adresse qui ne sont pas toujours réunies dans tous les DOM. Cette difficulté concerne tout particulièrement la Guadeloupe et la Guyane. Dans ces conditions, en ce qui concerne les DOM, l'INSEE a davantage recours à l'enquête BDF pour mesurer les disparités des niveaux de vie. L'enquête BDF mesure à la fois les revenus, bien que de façon moins détaillée que l'ERFS et l'enquête SRCV, et la consommation.

À Mayotte, le système d'information statistique n'a pas encore atteint le niveau des instruments utilisés pour les autres départements ultra-marins. Les informations nécessaires aux statistiques de base (emploi, salaires, prix) y sont déjà recueillies mais ne sont pas encore intégrées dans le système de production national. Comme dans les autres DOM, il existe néanmoins à Mayotte un indice régional de prix à la consommation. Les enquêtes auprès des ménages feront l'objet d'une extension progressive à ce territoire : l'enquête BDF y a été effectuée en 2010 ; une enquête emploi y sera menée en 2013-2014 et l'enquête logement aura lieu en 2014. Je rappelle par ailleurs qu'une opération de recensement a lieu à Mayotte cette année.

Ainsi, les constats que je souhaite exposer ci-après concernent tous les DOM à l'exclusion de Mayotte. Les structures démographiques de ces départements se caractérisent par une population proportionnellement plus jeune que celle de l'hexagone, tout particulièrement en Guyane : moindre part des actifs dans la force de l'âge, du fait notamment de l'émigration, et moindre part des retraités, en particulier à La Réunion et en Guyane.

Mme Catherine Procaccia. - Comment expliquez-vous le resserrement de la pyramide des âges dans certaines tranches d'âge ?

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Il s'explique par l'émigration, en particulier vers la métropole. Une partie des natifs, jeunes actifs, a quitté le territoire pour aller travailler ailleurs. Ce phénomène jouera bien entendu un rôle important dans notre analyse finale sur les différences de niveau de vie.

M. Serge Larcher. - Les derniers sont partis dans les années 1960...

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Beaucoup de natifs ont émigré dans les années 1960 et un palier a été atteint à partir de la fin des années 1980, avant une lente reprise de l'émigration ces dernières années. Le document publié par l'INSEE en février dernier sur la population née dans les départements d'outre-mer et vivant en métropole confirme cette évolution.

Le taux d'activité des jeunes dans les DOM est sensiblement inférieur au taux d'activité des jeunes dans l'hexagone. Il en va de même du taux d'activité des femmes en ce qui concerne, en particulier, La Réunion et la Guyane. La Guadeloupe et la Martinique ont des taux plus proches de celui de l'hexagone.

Tendanciellement, l'emploi croît dans les DOM à un rythme plus dynamique que celui que l'on observe en France hexagonale. Entre 1998 et 2008, le taux de croissance annuel moyen de l'emploi salarié s'est monté à 2,3 % dans les DOM et à 3,1 % à La Réunion, contre 1,1 % en France hexagonale. Si l'on prend les DOM dans leur ensemble, en 2009, année de grave récession, l'emploi n'a pas baissé. Il a progressé beaucoup plus faiblement que sa tendance naturelle. Cela s'explique par la dynamique démographique spécifique à ces départements. La croissance tendancielle de l'emploi provient essentiellement du secteur marchand même si la place du secteur non-marchand dans l'emploi des DOM demeure plus importante que dans l'hexagone. La Guyane est un cas à part.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les chiffres présentés dans le tableau que vous commentez ne font-ils référence qu'au seul secteur marchand ?

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Les différents tableaux distinguent l'emploi marchand d'une part, l'emploi salarié, marchand et non marchand, d'autre part. Malgré le dynamisme de l'emploi dans le secteur marchand, la part du tertiaire non marchand demeure importante dans les DOM, même si elle a tendance à baisser. Cela est manifeste à La Réunion.

Il n'en demeure pas moins que structurellement, ou en niveau, la situation du marché du travail est plus dégradée dans les DOM que dans l'hexagone. Le taux de chômage, que le dynamisme évoqué à l'instant n'a pas permis de faire baisser au cours des dix dernières années, y est sensiblement plus élevé. L'écart est immense en ce qui concerne les jeunes de moins de vingt-cinq ans. La proportion de jeunes appartenant à la population active mais absents du marché du travail est plus importante dans ces outre-mer que dans l'hexagone.

Les constats sur le niveau de salaire requièrent une distinction entre secteur privé et secteur public. S'agissant du secteur privé, une comparaison des salaires en équivalent temps plein (ETP) montre que le niveau de salaire moyen dans les DOM est inférieur de près de 10 % au niveau hexagonal. Cet écart s'explique entièrement par un effet de structure : la proportion de cadres est plus faible dans les DOM. Les salaires du secteur privé par catégorie socioprofessionnelle sont donc comparables. En ce qui concerne le secteur public, les salaires sont plus favorables dans les DOM puisque des primes spécifiques y sont accordées. Les écarts, de 30 à 40 %, sont significatifs et plus prononcés pour les fonctions publiques d'État et hospitalière que pour la fonction publique territoriale où ils se situent tout de même entre 10 et 20 %. Ces différences ne s'expliquent pas, quant à elles, par les différences de structure de l'emploi.

Pour apprécier le niveau de vie, nous mesurons le revenu disponible des ménages, défini comme la somme des revenus d'activité, des revenus du patrimoine et des prestations sociales reçues (pensions de retraite, allocations familiales, minima sociaux), défalquée des impôts (cotisations sociales, impôt sur le revenu). Nous utilisons une échelle d'équivalence, dite unité de consommation, afin de neutraliser les différences de composition des ménages. L'enquête BDF permet ainsi d'observer le niveau de vie médian, qui équivaut au niveau de revenu d'un célibataire et sépare la population en deux parts égales. Ce niveau de vie médian est sensiblement inférieur dans les DOM : l'écart est de 38 % dans l'enquête BDF de 2006. La situation est meilleure en Martinique que dans les trois autres départements ultra-marins étudiés.

De l'ordre de 30 %, l'écart est plus faible sur le niveau de vie moyen et les inégalités sont plus fortes que dans l'hexagone.

Les facteurs d'explication de ce niveau de vie inférieur à la métropole sont au nombre de trois. Tout d'abord, les ménages des DOM comptent en moyenne plus d'individus mais qui, compte tenu de la plus forte proportion de jeunes et des taux d'emploi plus faibles, sont moins apporteurs de ressources. Ensuite, les emplois des DOM sont en moyenne moins qualifiés. Enfin, la proportion de familles monoparentales est plus forte dans les DOM que dans l'hexagone. Or, le niveau de vie des familles monoparentales est beaucoup plus bas en moyenne que celui des autres types de ménages.

La comparaison des structures des revenus laisse apparaître une proportion de revenus d'activité à peu près identique, une proportion plus faible de ressources provenant des pensions de retraite en raison du nombre moins élevé de retraités et une proportion de revenus de prestations sociales beaucoup plus élevée. En raison de leur niveau de vie plus faible, les DOM contribuent moins à l'impôt.

Au total, la dispersion des niveaux de vie est donc plus forte en outre-mer que dans l'hexagone, ce qui a pour conséquence mécanique des taux de pauvreté plus élevés.

S'agissant des prix, tendanciellement, sur une douzaine d'années, les différents indices de prix mesurés montrent une évolution proche en outre-mer et dans l'hexagone. L'INSEE a mené en 2010 une grande enquête de comparaison spatiale des prix. La technique utilisée à cette fin consiste à rapprocher la structure de consommation de l'un des deux territoires comparés des niveaux de prix constatés dans l'autre territoire. Ainsi, la mesure du niveau général des prix dans les DOM par affectation à chaque prix de la structure de consommation moyenne de l'hexagone, aboutit à des niveaux de prix plus élevés entre 12 et 20 % selon les DOM. Dans le cas inverse, la mesure du niveau de prix dans l'hexagone par application de la structure de consommation moyenne des départements ultra-marins débouche sur un écart plus faible en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe et équivalent à La Réunion. Les spécialistes des indices de prix font une moyenne géométrique des résultats obtenus suivant les deux approches : au total, les écarts de prix se situent entre 6 et 13 %. Cela peut vous sembler faible. Je souhaite cependant rappeler que les écarts de prix sont beaucoup plus marqués pour les produits alimentaires, part très visible des dépenses de consommation et qui contribue beaucoup au sentiment de prix élevés.

Les résultats de l'enquête de 2010 peuvent être rapprochés des constats effectués à l'occasion des enquêtes de 1985 et 1992. Globalement, entre 1992 et 2006, la situation s'est plutôt dégradée en Guyane et en Martinique et est plutôt restée stable en Guadeloupe et à La Réunion. En 2010, par rapport aux résultats obtenus en 1985, la situation serait la même en Martinique et en Guadeloupe, elle serait restée stable en Guyane et se serait légèrement améliorée à La Réunion.

En conclusion, l'INSEE estime que pour parler de niveaux de vie, il faut s'intéresser à la fois aux revenus, au niveau des prix et aux structures familiales. De ce point de vue, la différence de niveau de vie entre l'hexagone et les DOM est manifeste. Mais elle tient peut-être moins aux prix que ce que le ressenti social pourrait laisser croire et davantage aux revenus, essentiellement parce que le nombre de personnes inactives ou au chômage est plus élevé outre-mer et parce qu'à revenu donné identique la taille des ménages est plus grande.

Mme Catherine Procaccia. - Nous demandions des éléments de comparaison depuis longtemps. Mais n'est-il pas aberrant de mesurer des niveaux d'activité pour la tranche des 15-24 ans alors qu'en France la scolarité est obligatoire jusqu'à seize ans et qu'une grande proportion de cette tranche d'âge est encore étudiante ?

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Effectivement, sur la tranche des 15-24 ans, utilisée à l'échelle internationale, il est naturel que le taux d'activité soit plus faible que le taux du reste de la population puisqu'un grand nombre de jeunes de cet âge sont encore élèves ou étudiants. Néanmoins, en tout état de cause, la différence observée sur cette tranche d'âge demeure significative.

Mme Catherine Procaccia. - Cela pose tout de même problème. Vous parlez de comparaisons internationales mais le système scolaire français n'est absolument pas comparable à celui des autres pays. Dans certains pays, compte tenu du coût des études, tous les étudiants ont un emploi alimentaire et sont donc répertoriés comme actifs. En France, il faudrait changer les tranches d'âge sur lesquelles portent les études relatives au taux d'activité.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Il est tout à fait possible de produire des chiffres sur des tranches d'âge plus resserrées.

Je souhaitais indiquer que les événements qui se sont produits en outre-mer en 2010 ne sont pas sans avoir poussé l'INSEE à publier ces chiffres.

Mme Catherine Procaccia. - C'est donc grâce aux interventions des parlementaires sur ces sujets !

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - C'est ce que je voulais dire, la pression a été forte. Il a fallu mobiliser des moyens.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - On observe selon les territoires des écarts considérables en termes de niveau de vie. À l'intérieur d'un même territoire, les écarts sont également forts. Je ne pense pas que ceux qui se plaignent de la vie chère se situent dans les tranches supérieures. Il serait intéressant de connaître la proportion de personnes se situant dans ces tranches supérieures et leur répartition entre secteur public et secteur privé. Un travail plus approfondi est nécessaire pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés. L'idée reçue est qu'un certain nombre de personnes travaillant dans la fonction publique ont des revenus supérieurs à ceux de la métropole. Si les niveaux de prix sont supérieurs en France hexagonale, l'avantage joue en faveur des tranches de revenus supérieures dans les départements ultra-marins, hypothèse qu'il faudrait vérifier. Une analyse plus fine selon les structures familiales devrait également être menée.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - S'agissant de la fonction publique, le niveau de revenu est certes plus important. Pourtant, lorsque le chef de famille appartient à la fonction publique, nous constatons que les niveaux de vie deviennent comparables et non plus supérieurs car plus souvent dans les DOM que dans l'hexagone le conjoint ou la conjointe ne travaille pas. Ainsi, bien qu'en termes de salaires l'avantage joue en faveur de l'outre-mer compte tenu des niveaux de prix, cet avantage disparaît lorsque sont prises en compte les différences de structures familiales.

Mme Catherine Tasca. - Notre collègue de Mayotte étant parti, je me fais son intermédiaire car il souhaitait vous interroger sur le fait que le dernier recensement y date de 2007, ce qui rend les chiffres obsolètes.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - C'est exact. Contrairement aux autres DOM, Mayotte ne bénéficie pas d'un recensement en continu. Le recensement y est effectué tous les cinq ans, comme dans les collectivités d'outre-mer. Le recensement effectué en 2012 devrait être disponible au début de l'été.

D'une façon générale, je rappelle que la structure de l'appareil d'information statistique à Mayotte n'est pas au même niveau que dans les autres départements ultra-marins. C'est un sujet en soi, l'INSEE s'efforcera de progresser sur ce point. C'est également une affaire de moyens...

M. Serge Larcher, président. - Pourriez-vous nous éclairer sur l'absence, de la part de l'INSEE, de statistiques sur les collectivités d'outre-mer ?

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Les collectivités d'outre-mer ne relèvent pas de la responsabilité de l'INSEE. Il existe bien sûr des instituts statistiques dans ces collectivités. Citons l'Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie (ISEE) ou l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF).

M. Serge Larcher, président. - Sont-ils en contact avec vous et utilisent-ils les mêmes critères ?

M. Fabrice Lenglart. - Les systèmes d'information ne sont pas comparables. Mais nous collaborons avec eux et c'est l'INSEE qui mène les recensements en relation avec ces instituts.

M. Jacques Cornano. - La Guadeloupe est un archipel de trois îles entre lesquelles il faudrait pouvoir distinguer lorsque l'on délivre des chiffres...

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Il existe sans doute des études réalisées en ce sens par la direction régionale ou les services régionaux. Je ne possède pas de données à ce sujet. Les chiffres que je vous ai présentés englobent l'ensemble du territoire guadeloupéen.

M. Jacques Cornano. - Je souhaite insister sur ce point. Le taux de chômage moyen est de 9,9 % environ en France hexagonale. Il est de 24 % en Guadeloupe proprement dite mais atteint 35 % au minimum dans les îles périphériques, en particulier à Marie-Galante. Il faut garder à l'esprit que les îles du sud demeurent dans une situation particulière encore plus dégradée, ce dont ne rendent pas compte les moyennes.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Bien entendu, les taux de chômage que je vous ai indiqués sont des taux moyens pour l'ensemble du territoire guadeloupéen.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les statistiques présentées ne semblent pas correspondre aux remontées du terrain. Il suffirait de consommer le panier de consommation local pour avoir à payer des prix comparables aux prix hexagonaux ! La comparaison spatiale des prix pose le problème de l'intégration de l'évolution du contenu du panier de consommation au cours du temps. Comment est défini le panier de consommation local ? Les loyers ou encore le carburant y sont-ils intégrés ? Qui sélectionne les éléments du panier ? Il conviendrait de veiller aux autres paniers réalisés par divers experts, notamment les associations, et de prendre en compte le vécu local. A-t-on fait la jonction avec les nombreux experts locaux ? L'INSEE doit travailler avec ces experts pour garantir la transparence et la confiance.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - L'indice des prix à la consommation est construit sur le fondement d'une méthodologie irréprochable, notamment d'un point de vue international. Cet indice se base sur une nomenclature internationale des produits de consommation et sur la structure moyenne de consommation des ménages français fournie par les chiffres de la comptabilité nationale et les enquêtes BDF. Le choix du produit lui-même, c'est-à-dire de la marque, n'est pas rendu public pour des raisons évidentes : l'indice ne doit pas être manipulable. Les indices de prix locaux sont construits selon la même logique : nous utilisons les comptes économiques des DOM et les enquêtes BDF.

Pour mesurer, par exemple, les différences de niveau de prix pour un produit donné entre la Martinique et la métropole, il y a deux manières de procéder. Soit j'agrège le niveau de prix martiniquais de ce produit et le poids du produit dans la structure de consommation hexagonale, soit j'agrège le niveau de prix hexagonal et le poids du produit dans la structure de consommation martiniquaise.

M. Serge Larcher, président. - Les choses sont plus compliquées que cela car les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes. Certains produits ultra-marins ne trouvent pas leur équivalent dans les produits hexagonaux.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Les habitudes alimentaires sont prises en compte. Les produits sont pondérés par leurs poids respectifs.

M. Serge Larcher, président. - Il faut regarder les choses de plus près. Par exemple, la part des produits congelés dans la structure de consommation ultra-marine est supérieure à celle de l'hexagone. Il est important que le public adhère au choix des indicateurs utilisés.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Nous avons un désaccord tant sur la définition que sur la construction du panier. À La Réunion, les commentaires locaux citent la marque des produits figurant dans le panier et dont il est dit que le prix a baissé. Nous en sommes à un stade de confusion extrême. Il ne s'agit pas de donner des noms de marque. La concurrence doit bien entendu jouer. La perception de la vie chère est une chose réellement vécue sur le terrain.

Mme Karine Claireaux.- La situation à Saint-Pierre-et-Miquelon apparaît atypique, avec une population vieillissante, des revenus qui font le grand écart entre le secteur public et le secteur privé. Ce dernier subit une saisonnalité et donc automatiquement des périodes de chômage assez importantes, un marché complètement captif avec des importations à près de 95 % de ce que l'on consomme et des difficultés de plus en plus grandes pour certaines catégories de la population, comme les retraités, qui ont du mal à faire face.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE. - Toute l'information que je vous ai communiquée est publique. L'exercice de comparaison des prix date de 2010 et peut être complété par des documents plus détaillés accessibles notamment sur le site Internet de l'INSEE. Je pense que vous cherchez à mettre en évidence une différence de coût de la vie. Or, une comparaison des niveaux de prix n'est pas une comparaison des coûts de la vie. Nous ne calculons pas un indice de coût de la vie. À mon sens, le sentiment de cherté est lié non seulement au niveau des prix mais aussi au niveau des revenus.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de M. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

M. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). - En outre-mer, l'organisation locale de la DGCCRF est centrée sur les cinq départements d'outre-mer (DOM). Nous sommes également présents à Saint-Pierre-et-Miquelon mais nous n'avons pas de présence permanente en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

L'organisation de nos services en outre-mer a été plutôt moins impactée par la réforme territoriale de l'État qu'en métropole, où les niveaux départementaux et régionaux ont été fusionnés. Les services déconcentrés de la DGCCRF sont rattachés aux Directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE). En Martinique existe par ailleurs une brigade interrégionale d'enquête de concurrence compétente sur les dossiers les plus importants pour les trois départements français d'Amérique. Les dossiers équivalents à La Réunion et à Mayotte sont gérés par une brigade basée en Île-de-France.

Le mode de détermination des effectifs présents en outre-mer est dérogatoire au droit commun. En effet, en métropole, nous utilisons un logiciel qui calcule les effectifs en fonction de critères territoriaux. Cette méthode conduirait à une forte diminution des effectifs en outre-mer, dont le nombre est aujourd'hui déterminé de manière plus empirique.

Nous avons à l'heure actuelle 29 personnes en Guadeloupe, 30 en Martinique, 13 en Guyane, 21 à La Réunion, 4 et bientôt 5 à Mayotte et 3 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les effectifs n'ont diminué que de 3 % par rapport à 2008 alors que la baisse a été de 6 % en métropole. Si on compare ces effectifs à la population des territoires, on constate un ratio de 32 agents pour 400 000 habitants en Guadeloupe, par exemple, alors que pour des départements comparables, ce ratio serait de 19 agents dans les Pyrénées-Orientales, de 18 dans les Landes ou de 23 en Vendée. C'est moins vrai pour La Réunion où le ratio est de 23 agents pour 800 000 habitants. Elle est donc moins bien dotée.

Les liens entre l'administration centrale et les antennes locales, les DIECCTE, fonctionnent à partir d'une directive nationale d'orientation. Il existe des tâches nationales et des tâches régionales, choisies dans chaque région en fonction des spécificités de l'économie locale. Les tâches nationales sont parfois adaptées aux contextes de l'outre-mer pour prendre en compte par exemple l'existence des importateurs-grossistes et leurs relations avec les fournisseurs. Il existe aussi des tâches régionales mutualisées entre les départements français d'Amérique, comme sur le prix des yaourts ou des eaux embouteillées par exemple.

La réalisation des tâches nationales correspond à 60 % à 70 % du travail en outre-mer. Par rapport aux régions métropolitaines, les tâches non programmées sont plus nombreuses, ce qui montre une grande réactivité des services par rapport aux situations locales.

Les trois activités des DIECCTE sont la concurrence, la sécurité des produits et la protection des consommateurs. La part « concurrence » est plus importante en outre-mer qu'en métropole parce que, dans ce domaine, nous agissons souvent pour les Observatoires des prix et des revenus (OPR). Les OPR sont donc des partenaires importants.

Nos liens avec la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sont également forts, sur la base d'échanges d'informations, notamment dans le cadre des Groupements d'intervention régionale (GIR) concurrence. Il est plus difficile d'accéder aux informations des douanes, couvertes par le secret.

Nos relations avec les inspecteurs du travail sont très fréquentes puisque nous les côtoyons au sein des DIECCTE.

Enfin, nous contribuons aux enquêtes de l'Autorité de la concurrence, dont l'activité en outre-mer est très forte depuis 2009. Il y a actuellement 16 enquêtes en cours concernant les DOM en partenariat avec elle. La DGCCRF contribue également aux enquêtes sectorielles de l'Autorité sur le coût de l'assurance-construction et sur le prix des pièces détachées automobiles.

Quelles sont les spécificités des plaintes portées devant la DGCCRF en outre-mer ? Nous recevons plus qu'ailleurs des plaintes pour des affaires entre particuliers, comme lors de ventes de voitures d'occasion. Nous ne pouvons les traiter car cela ne rentre pas dans le champ du code de la concurrence. Sinon, nous retrouvons les mêmes « classiques » qu'en métropole : la grande consommation et les télécommunications. La seule différence est la faiblesse du volume des affaires relatives au commerce en ligne en outre-mer par rapport à la métropole.

À l'exception de La Réunion où on constate une hausse en 2011, le nombre de contrôles a diminué en outre-mer de 10 % à 15 % entre 2010 et 2011, en raison probablement de la très forte mise sous tension des services en 2009 et 2010 et de la montée en puissance des actions menées pour les OPR auxquelles la DGCCRF a dû contribuer.

S'agissant de la nature des activités par rapport à la métropole, les contrôles de concurrence sont plus fréquents, le temps d'enquête sur le terrain est également plus élevé et le nombre de visites par agent très sensiblement supérieur à la Martinique et La Réunion.

Quel est le bilan des accords de baisse de prix conclus en outre-mer à la suite de la crise de 2009 ? Globalement, on peut dire que ces accords ont été respectés, les taux de respect des prix convenus et de disponibilité des produits variant selon la DGCCRF entre 75 % et 90 %. Donc, de manière générale, la grande distribution a joué le jeu. Il y a eu quelques problèmes de disponibilité des produits de première nécessité mais c'était davantage en raison de leur attractivité et du comportement de stockage des consommateurs et des petits commerçants que du fait d'une stratégie des grandes surfaces.

Les accords, d'une durée variable (un an en Guadeloupe, trois ans en Martinique, quelques mois à La Réunion), ont expiré sans demande de renouvellement. Ils expireront le 31 mars prochain en Martinique et à Mayotte sans que la question du renouvellement ait fait l'objet de négociations intensives.

La DIECCTE de Guadeloupe a regretté que les accords aient été conclus pour une durée si brève. Ils auraient eu davantage d'impact s'ils avaient duré plus longtemps. En Martinique, on a constaté qu'il n'y avait pas eu d'effet de contagion vertueux sur le niveau général des prix des autres produits.

À ces accords semble succéder une démarche de définition de listes de produits constituant un chariot-type correspondant à la structure de consommation locale.

M. Serge Larcher, président. - En pratique, les distributeurs ont tendance à pratiquer les mêmes prix et à ne pas jouer le jeu de la concurrence.

S'agissant des produits visés par les accords, ils étaient en effet signalés comme tels dans les grandes surfaces et les syndicats contrôlaient ces prix. Mais cette opération a fonctionné sur les produits de grande distribution et pas, par exemple, sur les pièces détachées.

M. Stanislas Martin. - Concernant les pièces détachées, un avis de l'Autorité de la concurrence sera rendu prochainement et contiendra un volet ultramarin.

M. Serge Larcher, président. - Dans ce domaine, les prix par rapport à la métropole varient de 1 à 100 ou à 200...

M. Stanislas Martin. - La DGCCRF met l'accent sur l'information du consommateur, la détermination d'un chariot-type et elle effectue des relevés de prix et une communication au public si nécessaire. Elle fait pression sur les grands distributeurs qui pourraient être tentés de s'entendre.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Quel est votre chariot-type ?

M. Stanislas Martin. - Il est déterminé par chaque OPR.

M. Serge Larcher, président. - Sa détermination fait l'objet d'une concertation entre tous les acteurs.

M. Stanislas Martin. - Vous m'avez posé une question sur la décomposition des prix. Cela occupe beaucoup les DIECCTE, qui ont travaillé notamment sur les produits agricoles, les yaourts et les eaux embouteillées en 2012. De manière générale, les frais d'approche - fret et octroi de mer - expliquent une faible partie des écarts. Ces frais représentent par exemple 4 % du coût du produit pour les gels à raser, 3 % pour le thé, 2 % pour les produits vaisselle, 4,6 % pour les céréales, 4,9 % pour l'huile de tournesol, ou encore 6 % pour les filtres à café.

Le phénomène qui nous semble le plus marquant est le rôle des importateurs grossistes ou agents de marque sur chaque territoire. C'est un maillon supplémentaire dans la chaîne de formation du prix. Le prix du produit à l'exportation de métropole est en général inférieur au prix de vente au fournisseur en métropole. Mais, ensuite, un importateur-grossiste dans un DOM n'a pas la même force de négociation qu'un groupe comme Carrefour. Il y aura une enquête régionale sur les trois départements d'Amérique de l'Autorité de la concurrence sur ce sujet avant la fin de l'année 2012 pour avoir une vision plus claire du type de circuit de distribution le moins générateur d'inflation. On dispose d'ores et déjà de quelques éléments d'information sur cette question : en Guadeloupe, la marge de l'agent de marque pèse entre 28 % et 45 % du prix du produit, ce qui paraît considérable. Il y a néanmoins très peu d'approvisionnement en direct ; les importateurs-grossistes disposent souvent de contrats d'exclusivité, parfois même sur des produits rivaux, ce qui réduit encore le jeu de la concurrence.

Parfois, une exclusivité a été négociée avec les fournisseurs ou même plusieurs fournisseurs concurrents. C'est le cas par exemple pour le fromage à La Réunion, ce qui fausse totalement la concurrence, notamment « inter-marque ». Ce sujet peut être à l'origine du problème des prix en outre-mer sans constituer pour autant une infraction. L'enquête en cours de réalisation par l'Autorité de la concurrence pourra le déterminer.

Lors du rachat d'un supermarché Cora par Bernard Hayot en Martinique...

M. Serge Larcher, président. - Il y a eu de nombreux rachats par le même distributeur en Martinique !

M. Stanislas Martin. - ...l'Autorité de la concurrence a demandé à Hayot de renoncer à ses exclusivités avec certains fournisseurs, dont il bénéficiait en tant qu'importateur-grossiste puisqu'il était verticalement intégré. En termes de comparaison, on a certains exemples de circuits courts, pratiqués par Cora, qui permettaient des réductions de coûts d'approvisionnement significatives : 9 % sur le thé, 17 % sur la moutarde, 61 % sur les spaghettis, 15 % sur l'huile, 6 % sur les tablettes lave-vaisselle et 11 % sur le Schweppes.

Mais il faut aussi prendre en compte le fait que les agents de marque, en mutualisant la logistique, devraient avoir un effet positif sur les coûts d'approvisionnement. Le modèle de l'agent de marque, économiquement, devrait produire des gains d'efficacité par la masse des commandes et les économies d'échelle sur les coûts logistiques. On attend sur ce point beaucoup de l'enquête de l'Autorité de la concurrence de 2012.

M. Serge Larcher, président. - Dans un circuit court, il faut que tous les maillons du circuit fonctionnent correctement, sinon l'approvisionnement est bloqué.

M. Stanislas Martin. - En effet, il faut aussi veiller à sécuriser l'approvisionnement. Il est certain que les importateurs-grossistes ont des marges très positives, qu'ils ne vivent pas mal ; la question est : méritent-ils leurs marges ?

Les marges des distributeurs sont aussi parfois très élevées. Par exemple, en Guadeloupe, elles sont de 520 % sur les filtres à café, de 180 % sur les gels douche, 170 % sur du déodorant, 145 % sur du shampooing ou de 86 % sur les jus d'orange. Ça n'est toutefois pas vrai sur tous les produits. Les marges habituelles, qui tournent autour de 20 % à 21 %, sont plus acceptables. Mais même si la marge en pourcentage est équivalente à celle de la métropole, le montant en euros est plus élevé parce que le prix auquel elle s'applique est plus élevé.

Certaines marchandises sont produites localement. Par exemple, Danone et Yoplait produisent aux Antilles les mêmes gammes qu'en métropole. Pourtant, les prix pratiqués sont de 2 à 2,5 fois plus élevés, ce qui paraît beaucoup. Il est rare que, lorsqu'un produit est à la fois importé et produit localement, le produit local soit vendu à un prix inférieur. Il a tendance à se caler sur le niveau du prix du produit venant de métropole. Globalement, les entreprises ont une stratégie de marge plutôt que de volume. Elles n'ont pas pour objectif de conquérir des parts de marché.

M. Serge Larcher, président. - Les coûts de production sont plus élevés pour les produits locaux, parce que les quantités produites sont moindres ; elles ne visent qu'à alimenter le marché local, plus étroit. Mais le fait que la banane soit parfois plus chère en Martinique qu'à Paris pose tout de même problème.

Une idée serait d'appliquer l'octroi de mer seulement au prix du produit et non à celui de l'acheminement.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Mais ce serait autant de produit fiscal de perdu pour les collectivités territoriales d'outre-mer.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les agents de marque sont des sortes de « verrouilleurs de la non-concurrence ».

Pensez-vous que les frais d'approche expliquent à eux seuls le niveau des prix en outre-mer ?

M. Stanislas Martin. - Nous l'avons vu, les coûts d'importation représentent entre 3 % et 6 % du prix du produit. Évidemment, ils comptent proportionnellement plus pour les produits les moins chers.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les frais d'approche représentent environ 7 % du prix pour les médicaments.

M. Stanislas Martin. - Les marchés ont une taille réduite, ce qui explique les faibles économies d'échelle. Par conséquent, là où les coûts fixes sont élevés, les marchés d'outre-mer ne peuvent se permettre d'avoir trop d'opérateurs économiques. C'est le paradoxe : on ne peut aller trop loin dans la mise en concurrence et on est confronté à des oligopoles étroits. A fortiori, cela s'applique aux entrepôts d'hydrocarbures de la SARA et de la SRPP.

Il est aussi assez facile, sur ces territoires de taille réduite, de se coordonner avec les autres acteurs et de connaître leur politique commerciale.

Enfin, le fait que les normes de l'Union européenne s'appliquent empêche souvent à ces économies de s'intégrer à leurs environnements régionaux. Les approvisionnements en provenance de métropole deviennent obligatoires. Par exemple, la viande de boeuf à Mayotte pourrait venir d'Afrique du Sud ou de Madagascar mais, en raison des normes, elle est en général importée de Pologne, d'Irlande ou d'Uruguay. À l'inverse, il ne serait pas facile de dire aux populations locales qu'elles n'ont pas le droit à la même qualité de produits que les autres européens.

Les principaux secteurs posant des problèmes de concurrence sont le sable, l'énergie, notamment pour son stockage et son raffinage, et la grande distribution. Le reste est plus ponctuel.

En matière de fret maritime, une enquête de l'Autorité de la concurrence est en cours.

S'agissant des carburants, l'absence de concurrence justifie la réglementation des prix. Par ailleurs, dans chaque DOM, on retrouve les mêmes actionnaires au niveau des grossistes et des stations-services, ce qui n'est pas satisfaisant.

Je serai plus optimiste pour le secteur des télécommunications. On part de situations dominantes, celle d'Orange dans les départements français d'Amérique et celle de la SRR à La Réunion et à Mayotte. Mais l'Autorité de la concurrence a rendu plusieurs décisions, depuis 2009, qui commencent à assainir la situation.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Je constate toutefois que, malgré la réglementation des prix du carburant depuis 1988, la SRPP a été condamnée à deux reprises, c'est que le problème reste entier !

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de MM. Alain Vienney, délégué général de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), et Didier Payen, président de l'Association des moyennes et petites industries de la Guadeloupe

M. Alain Vienney, délégué général de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM). - La FEDOM a été créée en 1986 aux débuts de la défiscalisation et n'a cessé de prendre de l'ampleur. Aujourd'hui, elle est très représentative des entrepreneurs de l'ensemble de l'outre-mer et plus seulement des départements d'outre-mer (DOM) puisque nous avons désormais des membres présents en Polynésie française et même des membres installés en métropole mais qui ont des intérêts en outre-mer. Nous représentons plus ou moins 100 000 entreprises, avec une grande diversité, mais beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE). Cela correspond environ à 500 000 salariés. Des organisations patronales comme le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale du patronat des PME (CGPME) ou des chambres de commerce adhèrent aussi parfois.

M. Serge Larcher, président. - Quelle est votre analyse sur le niveau élevé des prix en outre-mer et les conditions de formation de ces prix ?

M. Alain Vienney. - La vie chère est un problème récurrent, qui resurgit souvent à cause du prix des carburants. Il n'est pas dissociable de la question du pouvoir d'achat des ultramarins.

Le constat du niveau des prix est connu, il a été dressé par l'Insee. Il montre que l'écart du niveau des prix entre outre-mer et hexagone est plus important pour les paniers de consommation métropolitains que pour les paniers locaux, donc il faut utiliser l'indice de Fischer. Celui-ci montre que l'écart des prix a assez peu varié depuis 1985 ; il est donc structurel.

Le premier facteur d'explication réside dans les prix d'achat des produits, qui sont plus élevés qu'en métropole pour plusieurs raisons. Les grandes sociétés passent par leurs divisions export et le bénéfice de l'affiliation à des grands groupes ne joue plus. Par ailleurs, les délais de paiement prévus par la loi de modernisation de l'économie de 2008 ne sont apparemment pas toujours respectés, ce qui impacte la trésorerie des entreprises et majore les coûts finaux.

Le fret est le second élément d'explication. Il est d'autant plus important que le produit a une faible valeur unitaire, les coûts du fret étant calculés sur le volume et non sur le prix des marchandises. Pour 70 % des tonnages importés, les coûts d'approche représentent 50 % du prix CAF (coût, assurance, fret). Ils expliquent donc une grande partie des écarts de prix pour les produits de consommation courante et de première nécessité.

Puis, vient l'octroi de mer qui, contrairement à la TVA, n'est pas récupérable. Il s'applique aussi au prix CAF, donc en incluant dans son assiette l'assurance et le fret. C'est un élément du prix de revient du produit. Le prix de vente serait plus faible si l'octroi de mer était déductible comme la TVA. En outre, la TVA s'applique aujourd'hui aussi à l'octroi de mer, ce qui en fait un impôt sur un impôt ! Le différentiel entre l'octroi de mer interne et externe expliquerait une majoration allant de 7 % à 11 % du prix de vente au consommateur pour les produits importés, selon une étude du cabinet Langrand chargé d'une mission sur l'octroi de mer par le gouvernement.

Enfin, il y a les marges de distribution. Une étude de l'Insee de 2007 a montré que ces marges commerciales en pourcentages n'étaient pas très différentes des marges métropolitaines. Le rapport de l'Autorité de la concurrence de 2009 évoque des marges de 14 % pour les distributeurs métropolitains et allant jusqu'à 19 % pour les distributeurs dans certains DOM ; on voit que c'est à peu près équivalent. En termes de marges économiques - l'excédent brut d'exploitation rapporté à la valeur ajoutée - le taux est de 27 % en métropole et de 14 % pour la Guadeloupe, 24 % pour La Réunion et 30 % pour la Martinique.

M. Didier Payen, président de l'Association des moyennes et petites industries de la Guadeloupe. - La première chose c'est que les DOM sont considérés comme un tout alors que leurs situations sont très différentes : La Réunion est régie par l'article 72 et les autres DOM par l'article 73.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - La Réunion est un département français à part entière ! Elle est régie par l'article 73, comme les autres DOM, à l'exception en effet de la capacité d'adaptation législative.

M. Didier Payen. - L'article 73 donne une possibilité d'adaptation qui, à mon avis, n'est pas assez utilisée, notamment dans le cadre du grand marché antillais.

Le problème des prix dans les DOM est lié à plusieurs facteurs : l'éloignement géographique, l'insularité, le rattachement fiscal et normatif à la métropole et le problème de l'application de la réglementation de l'Union européenne.

Si l'octroi de mer fonctionnait comme la TVA, nous pourrions réexporter les produits en récupérant l'octroi de mer que nous aurions acquitté au moment de l'importation. C'est pour le moment impossible. Il y a également une problématique de fiscalité indirecte dans les DOM, encore accentuée récemment par la taxe sur les boissons gazeuses. Cette fiscalité constitue un millefeuille qui majore les prix à la consommation.

L'étroitesse du marché explique la présence de plusieurs monopoles et oligopoles. Pour les carburants, le décret n'encadre que le prix de vente au public et pas la fourniture en matière première de la SARA. Or, il y a une différence de prix entre le Brent et le WTI (West Texas Intermediate) du Golfe du Mexique, où se fournit la SARA. L'indexation du prix est fixée sur le Brent, alors qu'il est plus cher. Son spread avec le WTI atteint 18 dollars le baril. Cette indexation sur le Brent est donc absurde. Un spread de 15 dollars par baril correspond à 45 millions d'euros par an sur la consommation de Guadeloupe, 90 millions d'euros sur la totalité des Antilles et 125 millions d'euros si l'on inclut la Guyane.

Cette question est d'autant plus importante que les ultramarins n'ont pas d'autre choix, étant donné la pauvreté de l'offre de transport public, que de prendre leur voiture. Il faudrait créer une mise en concurrence au niveau de l'approvisionnement des matières premières entrant dans la composition des carburants.

Je voudrais par ailleurs vous appeler à la prudence sur l'idée de constituer de grosses unités logistiques mutualisées d'approvisionnement car il faut un équilibre entre la rationalisation des circuits en vue de réaliser des économies d'échelle et une trop forte dépendance envers un passage obligé.

Le problème est aussi qu'il n'y pas les mêmes exonérations de charges sociales pour les entreprises de plus de 10 salariés.

Les délais de paiement prévus par la loi de modernisation de l'économie (LME) peuvent également induire des surcoûts. Il faut au minimum 15 jours de mer entre la métropole et les Antilles et 60 jours de stock pour tenir compte des aléas d'approvisionnement. Or, la LME autorise en crédit local 60 jours. Par conséquent, même en bénéficiant du maximum du taux autorisé par la LME, il reste au minimum 75 jours à financer. Tout cela induit des coûts financiers payés par le consommateur, qui sont d'ailleurs majorés par les taux supérieurs pratiqués par les banques outre-mer.

En outre-mer, quelqu'un qui utilise beaucoup son véhicule peut être conduit à dépenser 150 euros par mois pour son carburant, sur un total de 1 500 euros nets, soit 10 % du revenu disponible. À cela s'ajoutent les dépenses indispensables à la vie moderne, téléphonie mobile, internet, télévision par satellite, etc., qui sont deux fois plus élevées qu'en métropole.

S'agissant de la défiscalisation, je pense que les excès qui ont pu être faits de ces dispositifs ne doivent pas en masquer l'intérêt économique. Je rappelle que la performance économique des DOM a été remarquable ces vingt dernières années et que la création d'emplois a été deux fois plus rapide qu'en métropole. Il faut prendre tout cela en compte si on veut modifier le régime d'aides actuel.

Le prix du tabac pose également problème. En Guadeloupe, en 11 ans, le prix du tabac a augmenté de 3 200 %, ce qui l'a rendu plus cher qu'au niveau national en raison des taxes votées par le conseil général. Comme nous sommes dans une zone où les prix pratiqués par nos voisins sont cinq fois moins élevés, la moitié de la consommation est en réalité de la contrebande. Cela a abouti à l'effondrement du marché et des recettes fiscales. C'est l'exemple flagrant de ce qui est contreproductif.

M. Serge Larcher, président. - Ces sujets ont été travaillés de très près avec la FEDOM. L'augmentation des prix du tabac et de l'alcool vise à dissuader les consommateurs et il est logique que le conseil général cherche à favoriser la santé publique.

M. Didier Payen. - Hélas, l'augmentation a été opérée dans le but de produire de la recette fiscale et non pour un objectif de santé publique, cette politique de santé publique étant un échec total !

À La Réunion, la recette du droit de consommation sur le tabac est de 150 millions d'euros pour 800 000 habitants, ce qui est énorme ! C'est 25 millions d'euros pour 400 000 habitants dans les départements français d'Amérique donc trois fois moins, ce qui montre l'importance de la contrebande. Le différentiel de prix entre les cigarettes de marque et celles discount est par ailleurs beaucoup plus élevé en Martinique et en Guadeloupe qu'en métropole : 3 euros par paquet contre 70 centimes d'euros.

M. Serge Larcher, président. - La Martinique et la Guadeloupe sont un marché commun donc il est logique qu'elles pratiquent les mêmes taux. La Chambre régionale des comptes a par ailleurs constaté que la situation financière du conseil général de la Martinique n'était pas si mauvaise que ça.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Est-ce qu'une étude a été faite sur les avantages et les inconvénients qu'il y aurait à ne pas appliquer les normes européennes sur les carburants ?

M. Didier Payen. - La problématique des normes aurait pu ne pas exister car l'Union européenne a laissé la possibilité d'y déroger pour les régions ultrapériphériques (RUP) mais les opérateurs n'ont pas fait ce choix. La norme n'impacte pas le brut mais le seul produit fini. La raffinerie martiniquaise peut faire de la spéculation en s'approvisionnant dans la zone, même si certains produits bruts, trop bitumineux, ne correspondent pas à ses capacités de raffinage.

M. Alain Vienney. - Le problème des normes existe mais pourrait être transformé en atout si l'on arrivait à imposer la norme européenne dans notre environnement géographique. Il existe aussi des normes qui pèsent sur la construction, l'hôtellerie, etc.

M. Didier Payen. - Notre propos n'est pas de rejeter les normes. Saint-Barthélemy a fait le choix de sortir du statut de RUP et nous verrons ce que cela donnera. Pour nous, il n'en est pas question en raison des aides des fonds européens liées au statut de RUP.

M. Jacques Cornano. - Je voudrais remercier les deux intervenants pour avoir bien mis en évidence les différents éléments qui peuvent peser sur le niveau des prix en outre-mer.

M. Didier Payen. - Je voudrais, pour finir, vous sensibiliser à certains sujets. Il est pour moi absurde de dire que les taux réduits de TVA dans les DOM sont des niches fiscales. De même que calculer ce que donnerait l'application d'un taux de TVA à 19,6 % en Guyane est une absurdité.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec le rapport de l'Autorité de la concurrence qui affirme que la seule cause de la cherté du coût de la vie en outre-mer provient des importateurs-grossistes. Je suis moi-même importateur-grossiste pour beaucoup de produits, parfois en exclusivité. Si le système subsiste, c'est qu'il y a un intérêt à ces plateformes de stockage. La grande distribution préfère sous-traiter et cette mutualisation est également nécessaire pour le petit commerce.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de M. Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV)

M. Serge Larcher, président. - Nous accueillons à présent M. Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV), dans le cadre de nos travaux sur la vie chère. En tant qu'observateur sur l'évolution des prix, quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie. - Je représente une des principales organisations françaises de consommateurs, présente en Guyane, Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe. J'ai pris contact avec les associations CLCV sur ces territoires, et notamment la Guadeloupe, qui a été moteur dans la mise en place de l'observatoire des prix par la DIECCTE, présidé par un magistrat. La CLCV s'occupe de l'un des quatre ateliers, celui sur le suivi des prix. J'ai également pris contact avec La Réunion.

Les enjeux qui apparaissent aux associations locales sont les suivants :

- la question fiscale, liée à celle de l'octroi de mer. Il s'agit de savoir si la baisse de la fiscalité, par exemple celle constatée en Guadeloupe, se reporte sur le prix de vente du produit. Il faut obtenir plus de transparence sur l'impact réel des taxes. La question apparaît complexe et opaque ;

- la concurrence et la formation des prix : en Guadeloupe, qui travaille à partir d'un chariot-type défini par l'INSEE et la CLCV, la volonté d'améliorer la visibilité est réelle. Les distributeurs ont accepté d'évaluer la hausse des prix. Ceux des services notamment augmentent très fortement.

Les freins à la concurrence, vous les connaissez : moins de distributeurs, moins d'enseignes. Certains distributeurs ont un monopole sur certains produits, notamment en téléphonie mobile et dans les entreprises de réseaux, car les économies d'échelle sont plus difficiles à atteindre sur des petits territoires. La possibilité d'élargir le marché à plusieurs territoires pour amortir les coûts d'installation, reste débattue.

Nos associations souhaitent davantage de transparence pour les consommateurs. L'observatoire de Guadeloupe doit avoir les moyens de son indépendance afin qu'il puisse servir de référence pour d'autres territoires.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Vous avez dû aussi analyser les conséquences, les évolutions, les causes des hausses des prix dans les secteurs où des dérapages ont été constatés. Pouvez-vous nous en parler ?

M. Thierry Saniez. - Nous n'avons pas, aujourd'hui, les moyens de mener plus d'investigations sur place.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Et sur le logement ?

M. Thierry Saniez. - Nous sommes très implantés dans le logement social à La Réunion, aux Antilles et en Guyane. C'est un secteur très difficile, qui doit compter avec une paupérisation forte des populations.

M. Serge Larcher, président. - Certains accords passés avec les grossistes sur les prix des familles de produits sont arrivés à échéance. Y-a-t-il eu une évolution après la fin de ces accords ?

M. Thierry Saniez. - Nous n'avons pas d'enquête précise sur cette question.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Vous semblez dire qu'il y a eu une concertation en Guadeloupe sur la constitution du chariot-type. Et sur les autres territoires ?

M. Thierry Saniez. - Il faudrait le faire ailleurs. En Guadeloupe, il y avait une volonté partagée.

M. Serge Larcher, président. - Dans des secteurs comme les pièces détachées des automobiles, les différences de prix avec la métropole sont énormes, de l'ordre de 50 à 200 % !

M. Thierry Saniez. - En métropole aussi, les dérapages sont importants dans ce secteur.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Comment avez-vous constitué ce chariot-type ?

M. Thierry Saniez. - En lien avec l'administration, l'ancienne DGCCRF, l'INSEE. L'observatoire est présidé par un magistrat de la Cour des comptes.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Mais votre chariot guadeloupéen n'a rien à voir avec les paniers de l'INSEE ?

M. Thierry Saniez. - Non. L'important pour nous était d'analyser les habitudes de consommation. Quand l'INSEE évalue le pouvoir d'achat, personne ne s'y retrouve ! Notre chariot-type, que je pourrai vous transmettre, repose sur une soixantaine de produits référencés et relevés dans plusieurs magasins, mois après mois, selon une méthodologie bien définie. La hausse des prix est bien actée. Nous devons maintenant analyser les causes des hausses des prix. Il est plus facile d'aborder un sujet quand le constat est déjà fait. L'administration comme les distributeurs se sont mis d'accord sur ce constat, et se sont montrés prêts à analyser les causes pour trouver des solutions. C'est déjà une démarche positive.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Combien y-a-t-il de produits dans votre chariot ?

M. Thierry Saniez. - Soixante produits de première nécessité sur neuf établissements.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Des produits alimentaires, donc.

M. Thierry Saniez. - Absolument.

M. Serge Larcher, président. - Je crois qu'une démarche similaire a été faite en Martinique, mais je n'ai pas les éléments.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - La discussion sur la constitution du chariot a-t-elle été difficile ?

M. Thierry Saniez. - Je n'ai pas eu d'écho de difficultés particulières. Dans un second temps, c'est une question de moyens. Les enquêteurs dans les magasins doivent être fiables, et les prix affichés de façon transparente.

M. Serge Larcher, président. - J'observe que les gens contrôlent les prix dans les stations services. Ce sont des membres d'associations.

M. Thierry Saniez. - Les relevés de prix sont réguliers dans les magasins ou sur Internet ; beaucoup d'enseignes y affichent leurs prix en ligne.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Le problème de la vie chère dans les DOM, c'est une vue de l'esprit ?

M. Thierry Saniez. - Non, même s'il y a une composante de « ressenti », dans la perception de la hausse de prix. Il demeure que des hausses de prix sont fortes : en 2011, les prix des auto-écoles ont augmenté de plus de 7 %, et ceux des réparations automobiles de 4 %.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Et sur l'alimentation, avez-vous constaté des hausses anormales ?

M. Thierry Saniez. - Oui, en métropole, le café par exemple, a augmenté de 20 %.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie.

Jeudi 29 mars 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? - Audition de M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission « Droit de la mer » auprès du Secrétaire général de la Mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU

M. Serge Larcher, président. - Nous abordons aujourd'hui le thème de la zone économique exclusive, après avoir abordé hier la problématique de la pêche et celle de la vie chère, qui est très prégnante à La Réunion, à Mayotte et aux Antilles ; nous poursuivrons la semaine prochaine l'examen de ces sujets.

M. Jeanny Lorgeoux. - Je m'associe à l'accueil de notre invité. La commission des affaires étrangères et de la défense, dont je suis membre avec notre collègue Trillard ici présent, a créé un groupe de travail dont je suis le rapporteur, consacré à la maritimisation, dans la perspective de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales ; notre travail est très complémentaire de l'initiative prise par la Délégation à l'outre-mer. De fait, plus de 90 % des territoires maritimes, sous juridiction française, sont ultramarins. Les enjeux stratégiques liés à la délimitation de nos zones économiques exclusives et à l'extension de notre plateau continental sont déterminants pour comprendre les enjeux de sécurité actuels.

Nous sommes donc très heureux, M. Jarmache, de bénéficier de votre expertise.

M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission « Droit de la mer » auprès du Secrétaire général de la Mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU. - L'objet de notre discussion est notre présence en mer, en métropole et outre-mer. On voit bien les enjeux de la maritimisation, la France et son territoire étant riverains de trois océans. C'est au début des années 2000 qu'a été mis en place le programme d'extension du plateau continental.

La convention de Montego Bay est à mes yeux l'effort de codification du droit international le plus important du XXe siècle. Sa négociation a duré dix ans. Le texte compte 320 articles et une dizaine d'annexes. Deux accords de mise en oeuvre ont été signés, un autre est en cours de négociation. La convention est à la fois un résultat et le début d'un processus.

Notre pays y a très tôt adhéré. Il a été le premier pays occidental à accepter la notion de zone économique exclusive. La convention a revisité et consolidé toutes les dispositions du droit de la mer. M. Louis Le Pensec, alors ministre, a été l'un des premiers à la signer à Montego Bay en décembre 1982, avec les Pays-Bas ; tous les autres pays étaient réticents, voire hostiles. On peut considérer que les intérêts français y ont été pris en compte. J'entends ici ou là des appels à la réviser ; ce serait ouvrir la boîte de Pandore. À la suite d'une réunion au Secrétariat général de la Mer, au cours de laquelle l'avis de la Marine nationale a été sollicité, il a été convenu qu'il fallait en préserver les équilibres, quitte à envisager un accord d'implémentation sur certains points.

La convention comporte des innovations, dont la définition de la zone économique exclusive. Celle de Genève de 1958 s'arrêtait au plateau continental et à la mer territoriale ; encore celle-ci était-elle mal définie, ce qui a produit quelques fantaisies... La zone économique exclusive va, en zone océanique, jusqu'à 200 milles nautiques ; à peu près 80 en Méditerranée. Le caractère exclusif porte sur les aspects économiques. Dans la zone, sont reconnus à l'État côtier des droits souverains sur les ressources naturelles et les activités économiques qui en découlent, telles l'énergie ou la pêche. En d'autres termes, l'État côtier décide seul, rien ne peut s'y faire sans son autorisation. Il peut tout interdire ou poser des conditions, ce qu'il faut sans cesse rappeler aux ONG... Mais il doit tenir compte des droits et libertés traditionnels des États tiers, notamment le droit de navigation ; c'est l'article 58 de la convention.

M. Jeanny Lorgeoux. - Celui-ci prévoit-il des corridors ?

M. Élie Jarmache. - Non. Les dérogations à la liberté de navigation doivent être temporaires, proportionnées et justifiées.

M. Jeanny Lorgeoux. - Droits souverains et liberté de navigation ne sont pas faciles à articuler.

M. Élie Jarmache. - C'est vrai, et les tensions sont permanentes. Cela se règle de façon bilatérale. On apporte des...

M. Jeanny Lorgeoux. - ... apaisements...  .

M. Élie Jarmache. - ... assurances quand il le faut... Les protestations ne sont jamais virulentes...

La France doit tenir compte de cette liberté car elle est un État navigant. Il y a un équilibre à rechercher. Un célèbre navigateur avait proposé à M. Borloo un principe de notification d'entrée dans la zone économique exclusive, ce qu'il aurait été par parenthèse difficile de faire admettre par les États-Unis, grands défenseurs, et sans faire trop de sentiment, de la liberté de naviguer. Le Vietnam nous a interrogés sur notre pratique car, en mer de Chine, la Chine prétend mettre en place un système d'autorisation. En droit, même la mer territoriale, espace de pleine souveraineté, souffre d'une servitude de libre passage inoffensif.

La zone économique exclusive emporte donc des droits souverains, des compétences de contrôle et l'obligation de veiller à ce qu'elle reste un espace où certaines libertés peuvent être exercées.

M. André Trillard. - Y a-t-il obligation de cartographier les restrictions ?

M. Élie Jarmache. - J'y viens.

Auparavant, précisons la notion de plateau continental. Fallait-il en donner une définition distincte de celle de la zone économique exclusive ? Nous l'avons fait. Le plateau continental a une vie autonome. L'État souverain y dispose de droits exclusifs d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles ; ces droits existent indépendamment de toute occupation effective, ils sont en quelque sorte naturels ; le plateau continental est la prolongation naturelle du territoire terrestre.

Si le plateau continental existe par lui-même, il faut en revanche un acte législatif pour créer une zone économique exclusive. En Méditerranée, pendant longtemps, nous n'en avons pas éprouvé la nécessité. En 2003, on en a créé un avatar, une zone de protection écologique, qui s'arrêtait à 12 milles nautiques, soit la mer territoriale. Nous venons de changer la donne, ce qui a créé un certain émoi chez nos voisins...

Je réponds à M. Trillard. La convention de Montego Bay prévoit que l'État doit publier les coordonnées de sa zone exclusive, autant que possible sous forme de carte, et les déposer au Secrétariat général des Nations-Unies, à charge pour ce dernier de les mettre à la disposition de la communauté internationale. Peuvent s'en suivre des notes verbales de contestation... La France avait du retard dans l'exécution de cette quasi-obligation, que nous rattrapons à marche forcée avec le concours du Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom).

M. Jeanny Lorgeoux. - Quelle forme juridique revêt la notification de création d'une ZEE ?

M. Élie Jarmache. - Une note verbale de transmission au Secrétariat général des Nations Unies, à laquelle sont annexées la loi française et les coordonnées. C'est à partir de cette publication, si elle n'est pas contestée, que la zone économique exclusive devient opposable aux tiers.

Certains États voisins dans l'océan Indien, Maurice, Madagascar, ont déposé leurs textes législatifs. La vigilance est réciproque : Maurice, entre autres, craint des revendications de souveraineté sur Tromelin. La France doit aussi produire sa carte.

Il convient de prendre une précaution sémantique autour de la notion de délimitation. Il y a celle qui est opérée par l'État lui-même ; il y a aussi la délimitation bilatérale pour fixer une frontière maritime. Certaines conditions sont à respecter, selon les termes de la convention, notamment pour le tracé des lignes de base. Le Shom est l'opérateur de référence en la matière.

Le principe de la zone économique exclusive a été fixé par une loi de juillet 1976. En février 1978, une batterie de décrets a été publiée pour les départements et territoires d'outre-mer. Mais en l'absence de coordonnées, ces décrets ont délimité la zone économique exclusive jusqu'à 188 milles nautiques au-delà des 12 milles de la mer territoriale, ce qui n'était pas des plus solides en termes d'opposabilité. Nous sommes en train de rattraper notre retard.

J'en viens aux modalités de délimitation avec un autre État. Encadrées par le droit de la mer, elles ne sont pas nécessairement contraignantes mais laissées à la négociation pourvu qu'elles ne violent pas le droit international ni le principe d'équidistance. Quand les circonstances géographiques sont complexes, on recourt à d'autres circonstances dites pertinentes, laissées elles aussi à la négociation, et considérées par la jurisprudence de la Cour de justice internationale au regard de l'équité.

Pardonnez-moi si je parle de territoires d'outre-mer, terme générique, sans distinguer les différents statuts des collectivités. J'espère ne heurter personne.

M. Serge Larcher, président. - Effectivement, les collectivités ont toutes des statuts différents.

M. Élie Jarmache. - Pour ces territoires, c'est dans l'Océan indien que la situation est la moins bien fixée. La délimitation est faite avec Madagascar et Maurice. Tromelin a fait l'objet d'un accord de cogestion avec Maurice ; la zone économique exclusive existe même si la délimitation n'est pas faite. Le Shom vient seulement de produire des cartes qui doivent être déposées aux Nations Unies.

À Mayotte, le changement de statut a conduit à revoir la délimitation de la zone, en tenant compte du futur parc naturel marin.

M. Michel Vergoz. - Qu'en est-il des Comores ?

M. Élie Jarmache. - C'est justement en raison de la proximité des îles comoriennes que nous avons dû reprendre le travail de délimitation.

Pour les îles éparses, les accords ne sont pas encore conclus avec Madagascar et le Mozambique. Pour les Glorieuses, il reste à conclure un accord avec Madagascar et les Comores, qui posent un vrai problème politique. Tout le travail de nos ambassades tend à ce que les revendications des Comores ne soient pas reprises dans les législations des États voisins. Nous essayons de nous assurer une sorte de neutralité des Seychelles et de Madagascar. Il ne se passe pas de semaines sans qu'un territoire ou un département n'évoque ces questions.

M. Michel Vergoz. - Qu'en est-il de l'accord avec Maurice, qui se trouve à 200 milles nautiques de La Réunion ?

M. Élie Jarmache. - Il est entré en vigueur en avril 1980 et exclut Tromelin. La position française est de dire que là où il y a un îlot, il y a plateau continental et ZEE.

M. Michel Vergoz. - Qu'en est-il des Chagos ? Sont-elles américaines ou mauriciennes ?

M. Élie Jarmache. - Mauriciennes, c'est mon analyse personnelle.

Dans l'océan Atlantique, une kyrielle d'accords de délimitation ont permis de beaucoup mieux établir les limites. Il n'y a pratiquement pas de lacunes. Les derniers accords ont été signés avec la Barbade, la Dominique, Sainte-Lucie. Le Venezuela, également. Reste Saint-Martin, le gros du travail doit être mené avec les Pays-Bas. Il faut revoir les conditions de négociation à la suite du changement de statut de la partie néerlandaise de l'île ; les points de délimitation sont acquis.

Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui tient lieu de délimitation est l'arbitrage particulièrement défavorable à la France de 1992 avec le Canada, qui pose encore beaucoup de problèmes.

En Guyane, la zone économique exclusive vers le large existe, le plateau continental aussi. L'accord a été conclu avec le Brésil. Nous reprenons langue avec le Surinam pour finaliser les lignes de délimitation et écarter toute perspective de contentieux.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Nous voyons la difficulté de la délimitation. Mais j'ai l'impression que la France est davantage sur une attitude défensive qu'offensive. On l'a vu pour l'accord avec le Brésil, on le voit avec le Surinam et même avec l'Italie en Méditerranée : la France réagit, mais n'anticipe pas. On rejoint là le problème de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui fait l'objet de marchandages avec le Canada. Nous reviendrons ensuite sur le plateau continental.

M. Élie Jarmache. - Je ne peux pas vous laisser sur ce sentiment.

Avec l'Italie, nous avons pris les devants. Les Italiens s'étaient endormis, leur position ne reposait sur rien. Ils n'avaient pris aucune loi. Nous les avons attendus deux ans. Dès que leur loi a été promulguée, nous avons alerté notre ambassade afin de reprendre la discussion avec Rome.

Il en va de même avec le Surinam. Un grand nombre de correspondances sont restées sans réponse, ou sans réponse fondée. Le Surinam souhaitait au préalable terminer les négociations sur son autre frontière, mais croyez bien que nous l'avons beaucoup sollicité. Il y a quelques mois, ils se sont dits disposés à tenir une prochaine réunion à Paris.

M. Jeanny Lorgeoux. - Ce qui compte, c'est la délimitation.

M. Élie Jarmache. - En effet, c'est elle qui donne un sens à la ZEE. Nous essayons d'anticiper, mais nos initiatives ne sont pas toujours couronnées de succès. Pour la Guyane, l'enjeu est surtout le plateau continental ; nous y reviendrons.

Dans le Pacifique, les choses sont assez claires. Pour Wallis-et-Futuna et la Polynésie française, elles sont bien délimitées et acceptées. Pour Clipperton, il y a une contestation de souveraineté. Nous avons une ZEE depuis 1998, ce qui n'a jamais posé de problème avec le Mexique jusqu'à ce que, il y a trois ou quatre ans, un navire militaire français saisisse un armement de pêche illégal mexicain et détruise son matériel de pêche. Les Mexicains, s'appuyant sur la Convention de Montego Bay, ont fait valoir que Clipperton était impropre à l'habitation et, en conséquence, notre zone économique exclusive infondée. Ils ont menacé de saisir les juridictions internationales. Il eût été dangereux d'entrer dans une mécanique aux potentiels effets « domino », par exemple dans l'Océan indien... Nous avons donc négocié un accord de pêche avec les Mexicains ; en d'autres termes, nous avons acheté la paix maritime non sans avoir, pour la forme, entouré l'accord de conditions environnementales et écologiques.

Pour la Polynésie, nous manquions jusqu'alors de bons tracés de lignes de base ; le décret sera prochainement publié.

Voilà le panorama. La situation est donc plutôt bonne.

M. Jeanny Lorgeoux. - Et Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Élie Jarmache. - Le Canada a perdu un arbitrage en 1985. Il est persuadé qu'à la fin tout lui reviendra, compte tenu de la proximité géographique. D'ailleurs, il a eu satisfaction avec l'arbitrage de 1992 ; et la « baguette » sud de 12 milles de large a été fermée. Nous n'avons pas contesté l'arbitrage pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas. Toute tentative d'y revenir est exclue ; les Canadiens ont une sensibilité épidermique sur ce sujet.

M. Joël Guerriau. - Et la Corse ?

M. Élie Jarmache. - Il n'existe pas de décret spécifique. Cela dit, le couloir à l'est de la Corse fait l'objet de toutes les attentions, comme nous l'avons vu récemment à Rome. De toute façon, la ZEE en Méditerranée reprend les limites de la zone de protection écologique du décret de 2004. Et nous ne touchons pas aux Bouches de Bonifacio, qui ont un statut international. Nous devrions parvenir à un accord avec l'Italie avant la fin 2012, peut-être dès l'été.

Le plateau continental appartient à la zone économique exclusive tout en ayant une vie autonome. Le plateau continental étendu est une innovation de Montego Bay, bien qu'une définition en ait été donnée par la convention de Genève de 1958. À l'époque, on pouvait aller jusqu'à 200 mètres de profondeur... C'est fort peu au vu des techniques utilisées aujourd'hui. On considère désormais que le plateau peut s'étendre, quelle que soit la profondeur, jusqu'à 200 milles nautiques, ce qui est une aberration pour les géologues. D'où l'utilisation par les Anglo-saxons de l'expression legal continental shield, plateau continental juridique.

L'appétit venant en mangeant, certains États côtiers ont voulu étendre le plateau jusqu'à 350 milles - le plateau, non la zone économique exclusive. Pour obtenir une extension, il faut apporter des preuves devant la commission des limites du plateau continental ; il y est question de l'épaisseur de la roche sédimentaire et autres éléments ou indicateurs techniques. J'ai défendu récemment le dossier des Antilles, qui se présente bien, et celui des Kerguelen, qui se présente moins bien... Jusqu'à aujourd'hui, la commission n'a jamais accepté d'aller jusqu'à 350 milles, c'est un plafond.

Si leur plateau - fond, sol, sous-sol et leurs ressources - est étendu, les États acquièrent de nouveaux droits souverains pour exploiter - ou interdire l'exploitation...

M. Jeanny Lorgeoux. - C'est fondamental pour l'exploitation d'éventuels gisements d'hydrocarbures...

M. Élie Jarmache. - Oui. Parlez-en au sénateur de Guyane ! Mais les enjeux sont scientifiques aujourd'hui; les enjeux économiques et sociaux sont plus lointains.

M. Jeanny Lorgeoux. - C'est-à-dire ?

M. Élie Jarmache. - La prospective m'embarrasse toujours ... On parle ici de 2016, là de 2030, voire 2050, à partir de scénarios et d'hypothèses divers. L'importance de la contrainte écologique portée par la Commission européenne ne doit pas être négligée.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - La France a déposé ses premiers dossiers d'extension en 2009. Comment a-t-on choisi les zones prioritaires ? Jusqu'en 2002, il n'existait pas de budget alloué à ce programme. Les moyens sont-ils maintenant au rendez-vous ?

M. Élie Jarmache. - Oui, depuis 2003. Auparavant, la problématique de l'extension était bien là, mais pas le financement. Nous disposons aujourd'hui d'un budget et d'une organisation qui font des envieux... Le 9 avril 2002, juste avant l'élection présidentielle, le cabinet du Premier ministre a créé le programme Extraplac et prévu un budget jusqu'en 2009 dont la reconduction était garantie. Quel confort ! Le Premier ministre a accepté fin 2009 de poursuivre. Votre collègue Roland Courteau, qui m'avait consulté, a semble-t-il eu davantage de difficulté avec le centre d'alerte aux tsunamis en Méditerranée.

La subvention de l'État est de 18 millions d'euros, contre 40 millions pour le Danemark et 100 millions pour le Canada. Nuançons : si l'on tient compte des apports en moyens de l'Ifremer et du Shom, le montant est supérieur. Au total, cela correspond à 10 euros par km2 de plateau continental.

Nous avons déposé tous les dossiers d'extension en mai 2009, voire auparavant pour le dossier guyanais. Il a été prévu que les États parties à la convention puissent, en cas de retard, déposer des lettres d'intention auprès du Secrétariat général de l'ONU. La France a utilisé cette procédure pour la Polynésie française, Wallis-Et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le dossier de Clipperton était prêt mais nous l'avons retiré....

Pour la Guyane, dont le dossier a été déposé en 2007-2008, la décision de la commission des limites est intervenue en septembre 2009 : 72 000 km2 s'ajoutent dorénavant aux 126 000 existants. La négociation que j'ai menée, croyez-moi, a été rude. Le président de la sous-commission, un Mexicain, bon scientifique, avait rendu une première décision qui nous avait abasourdis. J'ai demandé que le dossier reste ouvert, en arguant que la France ne pouvait pas avoir dépensé un million en campagnes au large pour un si piètre résultat ! Nous avons finalement obtenu satisfaction.

Une autre anecdote, si vous le permettez. J'ai rencontré il y a deux ou trois ans M. Thierry Desmarets ; son regard sur l'extension était alors plutôt lointain... L'année dernière, après l'annonce des premières découvertes, son regard avait changé... Lors des réunions, le représentant de Bercy finit toujours par demander : « où est le privé ? ». Le privé ne vient qu'après que la puissance publique a fait son travail... L'extension ouvre de nouvelles perspectives ; une disposition législative a même été votée pour un partage des taxes entre l'État et le département...

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Le Sénat est allé à cette occasion plus loin que l'Assemblée nationale...

M. Élie Jarmache. - Le classement des dossiers ? Il ne repose pas sur des raisons politiques, mais sur des données scientifiques. Lorsque celles-ci étaient solides et complètes, il était possible de convaincre. D'où la première sélection et en Guyane la campagne qu'on a appelée « Guyapac ».

M. Maurice Antiste. - Il faudra une extension à ce débat, comme il en existe une au plateau continental... Nous avons encore mille questions à vous poser... En voici une, sur le budget : le Canada consacre-t-il 100 millions d'euros au financement des mêmes missions que la France ?

M. Élie Jarmache. - Oui, cela inclut les voyages et les séjours à New-York, l'acquisition des données en mer, le montage des dossiers. Nous défendons un dossier dès qu'il est prêt. C'est une manière d'animer l'équipe et d'expérimenter le face-à-face avec la commission des limites. Celle-ci est composée en plénière de 21 membres, experts scientifiques, ingénieurs, géologues ou hydrographes. Il y a trois unités d'instruction de sept membres chacune. Notre premier dossier, qui concernait le Golfe de Gascogne, a été bouclé en 2009, soit après trois ans d'instruction. Il a fallu deux ans pour la Guyane.

M. Maurice Antiste. - Qui rend les décisions ?

M. Élie Jarmache. - La commission prend des « recommandations », mais la Convention dit qu'elles sont définitives et contraignantes. Le Brésil a refusé la « recommandation » de la commission en 2007, a fait savoir qu'il ne s'y plierait pas et a préféré revoir entièrement son dossier. C'est cela que nous attendons pour notre dossier guyanais.

M. Michel Vergoz. - Tout cela est passionnant. Merci de m'avoir oxygéné l'esprit ! Vous montez la scène sur laquelle seront exploitées les futures richesses. Les technologies ont fait d'énormes progrès ces dix ou quinze dernières années. Le profane que je suis a été stupéfié de voir des débris de l'avion Rio-Paris remontés de 4 000 m de profondeur.

Que pensez-vous des perspectives d'exploitation ? Les Français sont-ils prêts à se retrousser les manches ? Si non, tout votre travail aura été en pure perte. Où se prennent les décisions ?

Les régions, qui jouissent de compétences économiques élargies, jouent-elles un rôle dans ce grand mouvement qui semble un peu parisien?

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Un partenariat public-privé est-il envisageable pour financer votre programme ? Après tout, derrière l'extension, il y a l'exploitation...

M. Élie Jarmache. - À Matignon, un conseiller budgétaire pose toujours la question : « où est le privé dans tout ça ? ». Mais tant qu'il n'y a pas de titre juridique, l'industriel ne bouge pas, il n'investira qu'une fois l'extension consolidée. Cela dit, les partenariats de nature technique ne manquent pas ; Technip, un de nos champions mondiaux, vient de signer un gros contrat avec le Brésil. Sur le plateau de Wallis-Et-Futuna, il y a semble-t-il des réserves d'amas sulfurés ; deux campagnes de l'Ifremer y ont été financées en partenariat avec Eramet, Areva et Technip.

Il faudrait également évoquer les ressources génétiques des fonds marins, auxquelles Le Figaro consacrait un article hier. Il y a, dans ces zones, c'est une certitude, un gisement d'activités à forte valeur ajoutée ; mais il ne faudra jamais perdre de vue la contrainte écologique européenne.

M. Jacques Cornano. - Pourriez-vous m'apporter, une prochaine fois, des précisions sur la coopération bilatérale dans les Antilles ?

M. Élie Jarmache. - Bien volontiers.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie de ces très intéressantes informations. Nous allons certainement nous revoir en juin...