Mardi 3 avril 2012

- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président -

Audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire

M. Ladislas Poniatowski, président. - L'ordre du jour cet après-midi appelle l'audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN.

Je vous remercie, monsieur Lacoste, d'avoir répondu à notre invitation. Cela étant dit, vous n'aviez pas le choix. Il est obligatoire de répondre aux invitations des commissions d'enquête parlementaires ! (Sourires.)

Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons notamment amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.

Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, monsieur Lacoste, afin d'entendre le point de vue de l'ASN sur le sujet qui nous intéresse, notamment sur la question des coûts en matière de sécurité nucléaire et sur l'éventualité d'un prolongement de la durée de vie des centrales.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

La commission a souhaité que la présente audition soit publique. Un compte rendu intégral en sera publié.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. Lacoste conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment, monsieur Lacoste, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. André-Claude Lacoste prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie.

Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.

Notre commission d'enquête est bien évidemment intéressée par les conclusions que vous avez tirées de l'accident de Fukushima et par les travaux que vous estimez nécessaires de faire réaliser dans les cinquante-neuf centrales nucléaires françaises.

M. le rapporteur va maintenant vous rappeler ses questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de votre audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Lacoste, nous vous avons adressé cinq questions.

Premièrement, pouvez-vous faire un point sur le chantier de Flamanville, notamment sur ses conséquences financières pour la production d'électricité à partir de l'EPR ?

Deuxièmement, à quel montant peut-on évaluer le coût des travaux de sûreté post-Fukushima qui seront nécessaires pour se conformer aux demandes formulées par l'ASN à l'issue des évaluations complémentaires de sûreté, les ECS ?

À cet égard, pouvez-vous commenter le choix fait par le Gouvernement, qui s'est appuyé sur une estimation du coût des travaux d'amélioration de la sûreté, de surévaluer de 3 euros le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, estimé par la commission Champsaur ?

Troisièmement, pouvez-vous commenter les conclusions du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 concernant les charges futures - démantèlement, gestion des déchets -, y compris le mécanisme de couverture d'une partie de ces charges par des actifs dédiés ?

Les sites prévus ou en projet pour le stockage des déchets vous paraissent-ils suffisants en termes de dimensionnement, compte tenu du niveau d'activité et de la durée de vie de ces déchets ? Sinon, quel pourrait être le coût supplémentaire induit par une extension de ces sites ?

Quatrièmement, pouvez-vous commenter le régime actuel de responsabilité civile en cas d'accident nucléaire, ainsi que les dispositions contenues à cet égard dans le projet de loi n° 481 (2011-2012), déposé au Sénat le 21 mars 2012 ?

Les différents risques liés à l'exploitation de centrales nucléaires, y compris en cas d'accident majeur, peuvent-ils être couverts par un système de type assurantiel ?

Le CODIRPA, le Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire ou d'une situation d'urgence radiologique, créé en 2005 pour définir une gestion des conséquences d'un accident nucléaire, étudie-t-il la question du coût financier d'un tel accident ?

Cinquièmement, d'un point de vue stratégique, comment peut-on concilier la nécessité de planifier longtemps à l'avance le remplacement des centrales nucléaires avec les incertitudes sur leur durée de vie, celles-ci découlant aussi bien du principe des visites décennales, qui peut conduire l'ASN à interdire la poursuite de l'exploitation, que du manque d'expérience concrète sur le vieillissement des centrales nucléaires au-delà de l'âge de trente ans en France ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous avez la parole, monsieur Lacoste. Après votre exposé, nous conclurons votre audition par une série de questions-réponses.

M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire. - Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de m'avoir invité à intervenir devant vous aujourd'hui.

Il est très important pour une institution comme l'Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante qui ne rapporte pas devant le Gouvernement, de rapporter devant le Parlement et ses différentes commissions. Pour des raisons évidentes, nous avons des rapports privilégiés avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, devant lequel nous sommes très régulièrement amenés à intervenir. Nous considérons que c'est à la fois un honneur, un devoir et une pratique normale.

Avant de répondre aux différentes questions que vous m'avez posées, permettez-moi de vous rappeler quels sont les deux grands types d'activités de l'ASN.

En premier lieu, nous contrôlons la sûreté et les mesures de radioprotection de ce que nous appelons les « grosses bêtes » - elles sont au nombre de 150 -, dont les réacteurs d'EDF, les installations de La Hague et les réacteurs de recherche.

En second lieu, nous surveillons le nucléaire de proximité. Cette activité, qui n'entre pas dans le champ des travaux de votre commission d'enquête aujourd'hui, est fondamentale pour nous. Nous contrôlons l'utilisation des sources radioactives dans de nombreux domaines, essentiellement dans le secteur médical, mais aussi dans l'industrie et dans la recherche. Actuellement, nous nous occupons principalement de la radioprotection des patients, à la suite des accidents survenus à Épinal, ainsi que de la croissance des doses reçues par les patients en matière de radiographie. La surveillance des « grosses bêtes » n'est donc que l'un de nos deux axes de travail.

J'en viens aux cinq questions que vous m'avez posées. J'évoquerai tout d'abord l'EPR, puis je répondrai dans l'ordre aux questions suivantes.

L'EPR est le premier réacteur de puissance construit en France depuis longtemps. Il n'a pas été édifié de tel réacteur dans notre pays depuis ceux de Chooz et de Civeaux, soit une interruption de pratiquement vingt ans.

Nous surveillons de très près la construction de l'EPR. Ce contrôle a débuté avant même le démarrage du chantier. Il faut se souvenir que la conception de l'EPR, au début des années quatre-vingt-dix, est le résultat d'une prise de position de l'Autorité de sûreté nucléaire. À l'époque - en 1991 -, mon prédécesseur avait écrit à EDF, au CEA et à Framatome qu'il n'était plus question de construire en France des réacteurs de type N4, qu'il fallait tenir compte de l'accident de Tchernobyl et passer à une génération plus sûre. Cette prise de position a conduit à l'étude d'un nouveau type de réacteur.

Ce réacteur a d'abord été franco-français, puis franco-allemand. Dans les années quatre-vingt-dix, l'ensemble des acteurs français et allemands ont travaillé ensemble. Je me souviens en particulier que mon homologue allemand et moi-même avons pris des positions communes sur les options de sécurité de l'EPR. Nous connaissons donc l'EPR depuis longtemps. Il résulte d'un certain nombre de prescriptions de l'ASN.

Depuis le début, nous avons effectué plus d'une centaine d'inspections sur le chantier de l'EPR et une cinquantaine d'inspections dans les services centraux d'EDF, ainsi que chez les fournisseurs et chez les sous-traitants.

Depuis le début, nous nous attendions à rencontrer un certain nombre de difficultés, dues à la nécessité de réapprendre ce qu'est la construction de réacteurs de puissance. À cet égard, je me souviens avoir été invité, il y a quelques années, à participer à une réunion organisée par nos homologues américains, les commissaires de la Nuclear regulatory commission, avec les chefs des autorités de sûreté de la Finlande, du Japon et de Taïwan. Les Américains souhaitaient savoir si nous avions des conseils à leur donner en matière de surveillance, dans l'hypothèse où ils recommenceraient à construire des réacteurs de puissance aux États-Unis. Je leur avais alors dit qu'ils allaient se heurter au problème du relearning, c'est-à-dire qu'ils allaient devoir réapprendre à construire et à surveiller la construction d'un réacteur. Chacun dans notre domaine - c'est le cas de l'Autorité de sûreté, mais aussi d'EDF et de ses sous-traitants -, nous avons oublié ce que nous avions l'habitude de faire.

Aujourd'hui, nous sommes exactement dans cette situation. Ainsi, les difficultés de Bouygues avec le béton s'expliquent clairement par un manque d'habitude de la qualité nucléaire. Si nous avons arrêté la construction d'un pressuriseur fabriqué en Italie par une filiale de Krupp pour le compte d'AREVA, c'est précisément parce que ce sous-traitant ne s'est pas donné les moyens de respecter les normes de qualité et de sûreté du nucléaire. L'épisode le plus récent intervenu sur le pont polaire s'explique lui aussi, de manière flagrante, par un manque de qualité.

Autrement dit, nous faisons face à un manque d'habitude en matière de construction. Il en résulte des difficultés qui, parfois, peuvent se résoudre facilement mais qui, d'autres fois, imposent un arrêt du chantier. Nous avons ainsi déjà interrompu deux fois le chantier à cause de problèmes de bétonnage. Il arrive que ces difficultés entraînent des retards lorsque c'est EDF elle-même qui constate les défauts. Ce processus de réapprentissage est très frappant, mais il n'est pas étonnant.

Chacun nourrit bien sûr l'espoir que ce réapprentissage servira si de nouveaux réacteurs EPR devaient être construits en France ou dans le monde, mais il est clair que ce processus est extrêmement prégnant et important.

Si vous me le permettez, je m'en tiendrai là, mais je répondrai bien volontiers aux questions que vous souhaiteriez me poser sur ce sujet.

Vous m'avez ensuite interrogé sur le montant des travaux de sûreté post-Fukushima. Clairement, Fukushima est un événement majeur, au même titre que Tchernobyl et Three Miles Island. Il y aura un post-Fukushima comme il y a eu un pré-Fukushima, et comme ce fut d'ailleurs le cas pour Tchernobyl et Three Miles Island. Il y a beaucoup de leçons à tirer de cet accident. Une difficulté, classique lorsque survient ce genre d'événement majeur, c'est que la compréhension complète du phénomène prendra du temps. J'ai le souvenir que, après l'accident de Three Miles Island, six ans avaient été nécessaires pour être sûr que le coeur du réacteur avait bien fondu. Or, pendant ce temps, des scientifiques continuaient d'affirmer que le coeur du réacteur n'était pas entré en fusion.

Selon nous, il faudra peut-être dix ans pour être totalement sûr d'avoir compris Fukushima. Si nous pouvons d'ores et déjà tirer un certain nombre de conséquences évidentes de cet accident, il n'est toutefois pas exclu que, au fil du temps, lorsque nous aurons une compréhension plus fine de ce qui s'est passé, nous soyons amenés à revenir sur certaines de nos prescriptions, car elles ne seront plus fondées. C'est très inconfortable d'un point de vue intellectuel, cela peut être très coûteux, mais il faut être clair : cela fait partie des possibilités.

Il est apparu rapidement que deux types de conséquences devaient être tirés de Fukushima : les stress tests, sur le plan européen et les évaluations complémentaires de sûreté, à l'échelon français. Le lancement des stress tests a été décidé lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. Quant aux évaluations complémentaires de sûreté, elles nous avaient été demandées par écrit quelques jours auparavant par le Premier ministre, François Fillon.

Un club de chefs d'autorités de sûreté, la WENRA - la Western European Nuclear Regulators' Association -, avait anticipé ces demandes. Nous avions donc commencé à rédiger un cahier des charges, lequel a été approuvé. Les stress tests et les évaluations complémentaires de sûreté ont donc été lancés. Sur le plan européen, ces tests concernent les seuls réacteurs de puissance. À l'échelon français, nous avons décidé de les étendre et de procéder à des évaluations complémentaires de sûreté à la fois sur les réacteurs de puissance et sur l'ensemble des installations concernées par Fukushima, en particulier celles qui comprennent des piscines avec du combustible usé. Les évaluations n'ont donc pas porté seulement sur les cinquante-neuf réacteurs de puissance - les cinquante-huit réacteurs en fonctionnement, ainsi que l'EPR de Flamanville -, mais sur quatre-vingts installations.

En outre, la France a décidé de porter une attention particulière aux facteurs sociaux, humains et organisationnels. Nous l'avons décidé parce que cela nous paraissait tout à fait fondé, mais également à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, dont, très clairement, les syndicats. Nous n'avons pas encore traité ce sujet, mais il est clair pour nous que c'est un point très important.

Nous avons lancé le processus en France en demandant aux exploitants de nous remettre des rapports, conformément au cahier des charges élaboré à l'échelle européenne, ce qu'ils ont fait au mois de septembre. Ces rapports ont ensuite été analysés par notre expert technique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et par le groupe permanent d'experts, lequel était très largement ouvert. Pendant trois jours, nous avons réuni plus de 200 personnes, des experts français et étrangers, des associations environnementales. À l'issue de cette réunion, nous avons pris des positions, que nous avons rendues publiques dans un rapport remis au Premier ministre le 3 janvier dernier et à l'occasion d'une conférence de presse ce même jour.

L'ASN a pris des positions de principe, qu'elle s'attache désormais à traduire en décisions juridiquement opposables.

Trois décisions ont été prises concernant les réacteurs de puissance.

Tout d'abord, nous avons décidé de mettre en place un noyau dur. Ce concept a été proposé par EDF et mis en forme par l'IRSN. Nous considérons en effet que les installations nucléaires, en particulier les centrales, doivent comprendre une partie plus résistante que les autres aux agressions externes. Il a donc été décidé de mettre en place dans ces installations un centre de gestion de crise et un diesel d'ultime secours bunkerisés.

Ensuite, EDF a proposé la mise en place d'une force d'intervention rapide, ce qui nous paraît être une bonne idée. Il s'agit de pouvoir envoyer sur le site d'un accident grave à la fois des personnes compétentes et du matériel supplémentaire.

Enfin, nous étudions la faisabilité de dispositifs supplémentaires de protection des eaux souterraines en cas d'accident grave. Ce sujet est techniquement plus délicat, mais il nous paraît s'imposer.

Telles sont les dispositions que nous avons prises à la suite de l'accident de Fukushima. Nous nous efforçons désormais de les traduire en décisions. À cet égard, nous avons déjà préparé des projets de décisions, mais la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire nous impose de consulter EDF au préalable. L'ASN a auditionné EDF sur ces sujets ce matin. Nous prendrons les décisions qui s'imposent d'ici au mois de juin prochain, en tenant compte des observations d'EDF.

Quant au coût des évaluations complémentaires de sûreté, il a été estimé de façon sommaire par EDF. Selon l'exploitant, le coût de l'ensemble des mesures que nous imposerons sans doute - encore une fois, les décisions ne sont pas prises, le détail n'est pas connu, il s'agit donc d'une évaluation très sommaire - pourrait être de l'ordre de 10 milliards d'euros. Nous n'avons pas d'éléments permettant de mettre en doute cette somme, laquelle nous paraît assez vraisemblable, compte tenu de ce que nous pensons savoir des différents éléments en cause.

Vous m'avez ensuite interrogé sur les conclusions du rapport que la Cour des comptes a rendu public en janvier 2012.

Pour commencer, je dois dire que nous avons travaillé en liaison très étroite avec la Cour des comptes, qui nous a auditionnés et à qui nous avons fourni un certain nombre d'éléments. Nous avons répondu à son projet d'observations, d'autant plus volontiers que nous avions le sentiment que le travail de fonds qu'elle effectuait était depuis longtemps nécessaire.

La filière électronucléaire en France supporte un certain nombre de charges et de coûts importants en matière de démantèlement, de gestion des déchets et de provisionnement. Or ces coûts n'ont selon nous fait l'objet que d'études imparfaites ou incertaines, pour ne pas dire grossières.

Nous avons l'impression que, sur un certain nombre de sujets, la Cour des comptes a effectué des investigations et des expertises sérieuses. Nous partageons très largement l'ensemble des conclusions auxquelles elle est arrivée, dont l'une des plus importantes, à savoir qu'il n'y a pas de coûts masqués. Comme elle, nous pensons qu'un certain nombre de coûts doivent être précisés, en particulier celui du stockage sur le futur site de Bure, s'il est autorisé, car il s'agit clairement d'une dépense massive. Le coût du démantèlement et un certain nombre d'éléments de cette nature doivent également être affinés. Il y a très sûrement là matière à investigations.

J'ajoute que la couverture financière des charges futures, point que nous avions déjà soulevé et sur lequel la Cour a insisté dans son rapport, est pour nous un sujet important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est tout à fait claire à cet égard. Elle prévoit que les provisions constituées pour faire face aux charges d'avenir doivent être gagées sur des actifs suffisamment sûrs et liquides. Nous considérons donc qu'il est anormal que l'État contourne régulièrement les dispositions de cette loi en autorisant que figurent dans ces provisions des actions de filiales, voire des engagements de l'État, dont on sait malheureusement ce qu'ils valent parfois. Je le répète : la loi prévoit très clairement que ces provisions doivent être constituées de véritables actifs, mobilisables et sûrs.

Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, portait sur les accidents nucléaires. Je commencerai par rappeler, comme l'affirme constamment l'ASN depuis sa création, que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France. On peut le dire sous une deuxième forme : un accident nucléaire en France ne peut jamais être exclu. On peut encore le dire sous une troisième forme : l'improbable est possible. Quelle que soit la façon dont on le dit, le fait est que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France, a fortiori en Europe. C'est une donnée dont il faut tenir compte.

Pour notre part, nous la prenons en compte de deux manières.

En premier lieu, nous multiplions les exercices de sûreté nucléaire. Nous en effectuons entre dix et douze par an, en essayant de mobiliser autant que possible l'ensemble des parties prenantes, et en y associant, lorsque c'est faisable, des exercices d'évacuation, même de portée limitée.

En second lieu, nous réfléchissons au post-accidentel. Dès 2005 - cela ne date pas d'hier ! -, nous avons demandé au Premier ministre de nous confier une mission de réflexion sur ce sujet. Il s'agit d'évaluer toutes les conséquences d'un accident et de prévoir la gestion des populations éventuellement évacuées, des territoires, des récoltes, du bâti et de l'eau.

Une telle réflexion est extrêmement difficile à mener. À ma connaissance, la France est le seul pays à l'avoir engagée. Nous avons tenu deux colloques internationaux sur ce sujet et nous allons prochainement publier un rapport dans lequel nous proposons au Gouvernement de prendre un certain nombre de mesures. Le fait que nous ayons lancé cette étude, de façon parfaitement publique, et à laquelle trois cents ou quatre cents personnes ont participé, montre bien que nous gardons présent à l'esprit la possibilité d'un accident nucléaire.

J'évoquerai maintenant le coût d'un accident nucléaire. Il est important de se faire une idée du coût possible d'un tel accident. Selon une étude de l'IRSN, le coût moyen d'un accident modéré s'élèverait à 70 milliards d'euros. En revanche, il n'est pas facile d'estimer le coût des accidents de Fukushima et de Tchernobyl, car cela implique de chiffrer des dommages causés à des populations, avec ou sans morts. Comment évaluer l'évacuation des habitants d'un territoire ? Le coût de ces accidents se situe probablement entre 600 milliards et 1 000 milliards d'euros. Afin de confirmer ces estimations, nous avons voulu passer commande d'une étude sur ce sujet au mois de novembre dernier, mais personne n'a soumissionné ! (M. le rapporteur rit.) Cela montre que, dans un certain nombre de domaines, nous ne disposons pas du terreau de compétences, des laboratoires ou des centres d'études nécessaires.

L'IRSN a commencé à travailler sur ce sujet, mais il est important que d'autres études soient réalisées, si possible d'ailleurs des études contradictoires, indépendantes, afin de permettre que s'engage le début d'un débat. Comment calcule-t-on le coût d'un accident nucléaire ? Que signifie la responsabilité nucléaire civile ? Est-il possible d'imaginer couvrir un accident par l'assurance ? Cela a-t-il un sens compte tenu des sommes en jeu ?

Voilà dix jours, nous avons participé, à Washington, à un séminaire à l'université Georges Washington. À cette occasion, j'ai été frappé d'entendre un économiste fondamentalement libéral déclarer que, à partir d'un certain niveau de gravité, seul l'État, s'il est assez fort et puissant, peut in fine prendre en charge les coûts d'un accident nucléaire. Nous le savons, si un accident semblable à celui de Fukushima survenait en Slovénie, l'État slovène n'y résisterait pas.

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur les montants des responsabilités nucléaires en matière civile. Ce problème est important, mais pas majeur. Certes, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait déposé au Sénat un projet de loi prévoyant de porter de 91,5 millions d'euros à 700 millions d'euros le plafond de la responsabilité des exploitants nucléaires. Toutefois, vous le savez, cette somme ne couvre que la partie basse du champ.

En conclusion, sur ce sujet, comme en matière de démantèlement, il y a tout à fait matière à réaliser un certain nombre d'études. Elles seront d'abord, sans doute, peu cohérentes, puis, progressivement, le débat permettra que se dégagent des convergences.

Pour finir, vous m'avez interrogé sur la planification de la durée de fonctionnement des centrales et sur la politique énergétique.

Permettez-moi d'abord d'apporter une précision d'ordre sémantique, mais qui n'est pas innocente. Pour notre part, nous parlons non pas de durée de vie des centrales, mais de durée de fonctionnement, parce que, pour nous, la durée de vie d'une centrale comprend la durée de construction, le temps de fonctionnement et la durée de démantèlement.

Quelle est la règle en France ? Lorsqu'une autorisation est donnée, elle l'est sans limitation explicite dans le temps. Elle est valable tant que l'installation peut être considérée comme sûre. Afin de vérifier la sûreté des installations nucléaires, nous pratiquons mille inspections par an, dont plus de la moitié - 450 ou 500 - chez EDF.

Tout d'abord, nous pratiquons des inspections au jour le jour. Nous réagissons lorsqu'un incident ou un accident se produit. Nous faisons du retour d'expérience lorsque nous apprenons qu'un événement est survenu à l'étranger.

Par ailleurs, nous effectuons un réexamen de sûreté périodique tous les dix ans. C'est la visite décennale. Lors de cette inspection, plus solennelle, nous procédons à une double vérification.

Tout d'abord, nous contrôlons si l'installation est conforme à son référentiel, aux règles qui s'appliquent à elles, si tel ou tel composant a vieilli, si des défauts n'apparaissent pas dans le béton, etc. Il s'agit de vérifications de conformité.

Ensuite, nous procédons à une réévaluation de sûreté. Nous comparons l'installation inspectée à des structures moins anciennes et plus sûres. Nous demandons à l'exploitant d'essayer de faire progresser la sûreté de son exploitation au regard de références plus récentes. Nous demandons à l'exploitant d'un réacteur de 900 mégawatts quels sont les objectifs de sûreté du réacteur EPR qui peuvent raisonnablement être appliqués à son propre réacteur.

L'objectif de nous vérification est donc double : la conformité et la réévaluation de sûreté.

Concrètement, lors d'une visite décennale, nous pouvons être amenés à prendre la décision de fermer un réacteur ou, dans le cas où nous envisageons une durée de fonctionnement inférieure à cinq ans, à prévoir des visites au jour le jour.

L'une des caractéristiques du parc français est qu'il est extrêmement standardisé.

L'avantage est double : d'abord, il est économique - surtout en ce qui concerne EDF -, ensuite, toute amélioration, tout retour d'expérience est applicable à l'ensemble des réacteurs et accroît la sûreté du parc.

L'inconvénient de cette standardisation tient au fait qu'en cas d'incident ou de défaut grave, l'ensemble des réacteurs seraient affectés. La nation se trouverait alors dans une situation difficile. Concrètement, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire se verrait contraint de se tourner, selon « l'air du temps », vers le Président de la République ou vers le Premier ministre, à qui il appartiendrait de faire un choix, celui-ci ne relevant pas de l'ASN. Il s'agirait de décider si on coupe l'électricité ou si on accepte que les réacteurs fonctionnent dans un état de sûreté dégradé. Nous faisons bien sûr tout pour éviter qu'il en soit ainsi. Chaque fois qu'un défaut est trouvé, nous demandons s'il est générique. Nous essayons de faire de la prévention.

Toutefois, je le répète, il est possible que le fonctionnement des installations soit arrêté, de façon unitaire ou collective, à tout moment, en particulier à l'occasion des réexamens décennaux.

Tout cela n'a de sens que si notre politique énergétique est suffisante pour éviter un conflit entre sûreté nucléaire et sécurité énergétique, sujet de préoccupation pour nous. Nous avons en effet par moments l'impression que, faute d'investir dans de nouvelles capacités de production - peu nous importe qu'elles soient nucléaires ou autres -, notre pays risque de faire face à un conflit : le maintien en fonctionnement d'une partie de son parc nucléaire et l'approvisionnement français.

Nous craignons qu'un tel conflit ne survienne. La Cour des comptes, elle, va plus loin. Elle considère qu'une décision implicite de prolongation de la durée de fonctionnement du parc nucléaire a d'ores et déjà été prise, faute de capacités alternatives. C'est pour nous un souci important.

Le rendez-vous des dix ans est solennel, mais il est loin d'être la seule occasion pour l'ASN d'être amenée à déclarer que telle ou telle centrale a vocation à fermer.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, telles sont les premières réponses sommaires que je peux apporter à vos questions.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vos réponses ont peut-être été sommaires, monsieur Lacoste, mais elles ont été précises, et je vous en remercie.

Monsieur le rapporteur, avez-vous eu les informations que vous souhaitiez ou avez-vous besoin d'éclaircissements supplémentaires ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Les deux, monsieur le président. (Sourires.)

Monsieur Lacoste, à mon tour, je vous remercie de la précision et de la franchise de vos réponses.

Vous avez indiqué que vous étiez dans une situation « inconfortable d'un point de vue intellectuel ». Je retiens cette expression. À cet égard, j'ai trois précisions à vous demander.

Premièrement, j'ai vu un petit film qui montre des inspecteurs de l'ASN examiner les sacs de déchets de la centrale de Brénnilis et demander qu'ils soient refaits. J'ai trouvé cela très bien, mais de tels contrôles ne sont pas possibles dans les endroits sensibles, par exemple dans la cuve. Qui est le garant du matériel de contrôle utilisé pour inspecter les endroits sensibles ? Ces contrôles sont-ils effectués par EDF ? Quel est votre degré d'autonomie en matière de contrôle technique dans les endroits inaccessibles ?

Deuxièmement, vous avez déclaré que des enseignements pouvaient être tirés de Fukushima et que cinq ou six années seraient nécessaires pour bien comprendre cet accident. Ne vous paraît-il pas drôle - le mot n'est pas bien choisi, je l'admets - de vous rendre compte qu'il se passe des choses imprévues ? À l'avenir, comment envisagez-vous de faire face à de nouveaux imprévus ?

Troisièmement, vous avez indiqué qu'il pourrait y avoir un conflit entre la sécurité énergétique et la poursuite de l'exploitation des centrales. Je vous remercie de votre franchise, car, souvent, lorsqu'on demande à la population s'il faut ou non prolonger la durée de fonctionnement des centrales, elle se réfère à l'Autorité de sûreté nucléaire. Or vous nous dites aujourd'hui que l'on pourrait être amené à choisir entre la sécurité énergétique et une sécurité nucléaire de haut niveau, et qu'un tel choix ne relève pas de votre fonction.

Mes questions, vous l'aurez compris, visent à mieux définir l'inconfort intellectuel que vous avez évoqué.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Lacoste.

M. André-Claude Lacoste. - Vous souhaitez savoir, monsieur le rapporteur, comment on vérifie l'état du matériel de contrôle dans les endroits sensibles d'une installation ou d'une centrale.

Tout d'abord, je rappelle qu'en matière de sûreté nucléaire, il existe un principe fondamental, lequel figure et dans les Safety fondamentals de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, et dans la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : le premier responsable de la sûreté d'une centrale, c'est l'exploitant. Si celui-ci est globalement considéré comme non fiable, alors sa licence d'exploitation doit lui être retirée. C'est extrêmement clair. Il est tout à fait normal que ce soit EDF qui soit chargé en premier lieu de vérifier l'état de ses installations, de son matériel et de prendre l'ensemble des mesures nécessaires.

Pour sa part, l'ASN dispose de moyens de vérification, avec l'assistance technique de l'IRSN. Nous pouvons faire appel à des tierces parties.

À titre d'exemple, j'évoquerai le cas du bétonnage de Flamanville 3 : n'étant pas nous-mêmes directement experts en bétonnage, nous avons fait appel aux personnels compétents dans ce domaine de l'IRSN. Autre exemple : un certain nombre d'éléments font débat concernant la capacité de la cuve des réacteurs à aller au-delà de trente ans. L'une de nos divisions spécialisées, la division des équipements sous pression nucléaire, et un groupe d'experts français et étrangers travaillent sur ces questions. Nous ne sommes donc pas dépourvus d'expertise d'un point de vue technique.

Toutefois, je le répète, ce système ne fonctionne que si nous pouvons considérer, ce qui est le cas, que les exploitants sont dignes d'une certaine confiance. Si cette confiance disparaît, il ne reste qu'une solution : le retrait de la licence d'exploiter.

Vous me demandez également s'il ne me paraît pas « drôle » de constater que nous sommes amenés à découvrir un certain nombre d'éléments nouveaux après Fukushima ?

Lorsque survient un accident comme celui de Fukushima, il convient d'éviter tout réflexe d'orgueil. Il ne faut pas refuser de regarder la réalité, de reconnaître qu'il y a des éléments nouveaux. L'orgueil est extraordinairement mauvais conseiller dans ce genre de situation.

À cet égard, permettez-moi de vous raconter une anecdote. Récemment, un incident, que je considère grave, s'est produit en Corée du Sud. L'opérateur a masqué cet incident afin, semble-t-il, de préserver l'honneur national. Il est intéressant de voir ce à quoi peut conduire le concept dévié d'honneur national !

La catastrophe de Fukushima a eu lieu ; nous ne sommes pas sûrs d'avoir tout compris de cet accident ; nous prenons les mesures qui nous paraissent les plus nécessaires dans l'immédiat, sans faire preuve d'orgueil.

Au Japon, les évaluations complémentaires de sûreté portent sur trois sujets : les agressions naturelles - tsunamis, tremblements de terre, inondations, ... -, les pertes d'alimentation électrique et de refroidissement, ainsi que la gestion de crise.

Selon certains, l'hypothèse qu'un tsunami se produise en Europe n'est pas crédible. Dans un pays comme la France, l'équivalent d'un tsunami serait la rupture consécutive d'un certain nombre de barrages successifs sur un cours d'eau. Nous étudions donc cette hypothèse. Jusqu'à présent, on considérait qu'elle était tellement improbable qu'on ne la prenait pas en compte. Aujourd'hui, nous n'avons pas honte de dire qu'il faut l'étudier. Il ne faut pas faire preuve d'orgueil. Nous devons tirer les enseignements de Fukushima, en fonction des informations dont nous disposons.

Certaines situations peuvent être inconfortables d'un point de vue intellectuel. Ainsi, pour le moment, on considère que, à Fukushima, le tsunami a été bien plus dévastateur que le tremblement de terre. Au fil du temps, nous apprendrons peut-être qu'il n'en est pas ainsi.

Encore une fois, il nous appartient de tirer partie le plus possible des retours d'expérience, sans pudeur, sans honte. Nos collègues étrangers font la même chose.

J'en viens à la sécurité énergétique, objet de votre troisième question. Il s'agit en effet pour nous d'un sujet fondamental. Permettez-moi simplement de vous corriger sur un point : si un jour survenait un conflit patent entre le maintien en fonctionnement de réacteurs, lesquels ne seraient pas suffisamment sûrs à nos yeux, et l'approvisionnement en électricité de la France, il est tout à fait clair que ce n'est pas l'Autorité de sûreté nucléaire qui trancherait. Cette question est trop capitale. Il ne nous revient pas de prendre toutes les décisions pour le bonheur du monde. Nous ferions alors un rapport au Premier ministre ou au Président de la République. Sur un tel sujet, c'est soit au plus haut niveau de l'exécutif, soit au Parlement de prendre position. À l'évidence, nos responsabilités ont des limites.

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'ai quatre questions à vous poser, monsieur Lacoste.

J'ai bien écouté ce que vous avez dit concernant les contrôles inopinés que vous effectuez. Par ailleurs, nous le savons tous, des incidents surviennent régulièrement dans nos centrales.

Première question : comment l'ASN intervient-elle ? Les incidents sont notés de 1 à 7, me semble-t-il, le niveau 1 qualifiant l'incident le moins grave. L'ASN se déplace-t-elle même après les incidents de niveau 1, soit immédiatement, soit après un certain temps ?

Deuxième question, en ce qui concerne la constitution des actifs dédiés, vous avez déclaré que les actifs provisionnés par EDF, lesquels sont gagés sur des actions de RTE, n'étaient pas de véritables actifs. Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Troisième question, vous avez estimé à 10 milliards d'euros le montant des travaux de sûreté nécessaires après Fukushima. J'ai beaucoup apprécié l'honnêteté dont vous avez fait preuve sur ce sujet. Vous avez indiqué qu'il s'agissait d'une estimation sommaire, et ce pour deux raisons. La première est qu'il n'est pas impossible que ce montant soit revu - à mon avis, il ne peut qu'augmenter - compte tenu des réponses que l'exploitant apportera à l'ensemble de vos observations. La seconde est qu'il faudra probablement non pas six ans, comme après Three Miles Island, mais dix ans pour tirer tous les enseignements de Fukushima. L'addition risque donc d'augmenter au fil du temps. Même s'il ne vous est pas possible de nous donner une estimation précise, j'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.

Ma quatrième et dernière question porte sur l'Europe. J'aimerais connaître l'avis de l'Autorité que vous représentez, et pour laquelle j'ai beaucoup de respect, sur les contrôles post-Fukushima. À un moment, l'Europe a souhaité effectuer ces contrôles. La France - et le Gouvernement français n'est pas le seul - a alors réagi assez vivement. Considérant qu'elle savait prendre ses responsabilités, qu'elle avait une Autorité de sûreté qu'elle jugeait compétente et en laquelle elle avait toute confiance, elle a indiqué qu'elle allait procéder elle-même à ces évaluations.

J'aimerais connaître votre avis sur les avantages et sur les inconvénients de ces deux approches. Je partage l'avis du Gouvernement sur vos compétences, sur votre autorité et votre indépendance, mais un contrôle européen n'aurait-il pas été utile, en particulier dans certains pays dont les autorités de sûreté n'ont ni vos moyens ni vos compétences ?

M. André-Claude Lacoste. - En ce qui concerne votre première question, il faut savoir que les incidents qui surviennent dans les centrales sont cotés suivant une échelle graduée de zéro à huit. Pour les coter le plus rapidement possible, nous utilisons l'échelle INES, de l'anglais International Nuclear Event Scale, qui est une échelle de communication et non une échelle technique. Nous ne pouvons pas attendre trois mois pour classer ex-post un incident.

À Fukushima, par exemple, les Japonais ont systématiquement classé l'importance de l'événement avec retard, en le qualifiant d'abord de niveau 4, puis de niveau 6, pour finir au niveau 7, ce qui n'est pas justifié. L'ASN avait annoncé deux ou trois jours après l'accident qu'elle estimait son importance supérieure à celle de Three Mile Island et inférieure à celle de Tchernobyl et que, si l'accident se produisait en France, elle le classerait au niveau 6. Si vous déclarez d'emblée l'importance de l'événement, vous êtes plus à l'aise pour communiquer.

Les exploitants nous proposent un classement de l'incident, nous vérifions ce qu'il en est et arrêtons, in fine, son niveau.

Chaque année, en France, environ 140 incidents de niveau 1 affectent les installations nucléaires et quelques-uns les transports. Tout incident de niveau 1 fait l'objet d'une inspection de notre part. Sur les 1 000 inspections que j'évoquais, 20 à 25 % sont inopinées, d'autres sont thématiques, certaines sont réactives, consécutives à la survenue d'un incident, d'autres encore sont des inspections de revue, au cours desquelles une nuée d'inspecteurs est déployée sur un site pour l'étudier de fond en comble. Une inspection réactive peut nous amener à reclasser après coup un incident à un niveau supérieur. Je précise que la façon dont nous appliquons l'échelle INES, qui est à nos yeux fondée, est considérée à l'étranger comme « rude ».

S'agissant des provisions, nous avons été choqués par deux épisodes récents. D'une part, quand le Gouvernement a buté pour trouver des provisions conformes à la loi, il a publié un décret permettant de contourner l'esprit de la loi. C'est typiquement le cas des actions de RTE.

D'autre part, certaines situations me paraissent rigoureusement contraires à la loi : c'est ainsi qu'une partie des provisions pour le démantèlement du CEA s'est transformée en créances sur l'État. Nous sommes nombreux à ne pas avoir une très haute opinion de la valeur d'une créance sur l'État dans un tel domaine. Historiquement, le démantèlement d'une installation nucléaire s'est déjà trouvé en grand péril faute d'un financement qui devait être assuré directement par l'État.

C'est cet aspect de la question qui nous fait peur. Le démantèlement est un sujet important et de longue haleine. Lorsque débute un démantèlement, il faut être sûr de pouvoir le mener jusqu'à son terme. Si on l'émiette en épisodes correspondants aux financements, on se met dans une situation à la fois inefficace et pendable.

L'épisode concernant les actions de RTE me paraît moins grave que celui des créances sur l'État, mais tous deux sont une façon de contourner l'esprit de la loi.

M. le président. RTE est une valeur sûre !

M. André-Claude Lacoste. - Certes, mais ce n'est pas du tout l'esprit de la loi - j'ai participé à son élaboration en tant que fonctionnaire - qui prévoit des actifs dédiés. J'ajoute que les créances croisées entre exploitants nucléaires sont actuellement admises comme provisions, ce qui est également contraire à l'esprit de la loi.

En ce qui concerne l'évaluation préliminaire du coût des mesures que nous avons imposées à EDF, nous rendrons une décision d'ici au 30 juin. J'ai le sentiment - j'emploie à dessein un terme d'ordre qualitatif - qu'une évaluation de quelque 10 milliards d'euros est le bon ordre de grandeur. Je ne peux pas vous garantir qu'elle ne s'élèvera pas à 8 milliards d'euros ou à 12 milliards d'euros.

En ce qui concerne l'Europe, nous avons déjà eu cette discussion, monsieur le président, en une autre occasion. L'une des difficultés d'un contrôle européen en matière de sûreté nucléaire tient au fait que les installations nucléaires sont à la fois techniques et politiques. Certains pays, certains partis, sont contre le nucléaire. À ma connaissance, il n'existe pas de pays ou de parti contre l'industrie chimique ou métallurgique. Dans un certain nombre de cas, le nucléaire est donc considéré comme devant entraîner la nécessité d'une prise de position politique « pour » ou « contre ».

À ce titre, le nucléaire s'apparente aux organismes génétiquement modifiés. La comparaison est très frappante. En ce qui concerne les OGM, il a été pris le parti de donner à l'Union européenne le pouvoir d'autoriser les semences. Il est fascinant d'observer que, dès que la décision prise à Bruxelles ne convient pas à un pays, il s'attache à prendre des mesures réglementaires pour la contourner, voire la heurter, pour employer un terme plus « rude ».

S'agissant des installations nucléaires, nous pourrions nous trouver confrontés à des situations de ce genre, un pays considérant que faire tourner ou continuer à faire tourner une centrale nucléaire peut justifier de ne pas obéir à une injonction de Bruxelles. C'est le scénario que j'ai en tête. Il faut néanmoins favoriser autant que possible l'harmonisation et la cohérence à l'échelle européenne.

À la suite de la décision du Conseil européen, un cahier des charges unique a été approuvé par l'ENSREG, European Nuclear Safety Regulators Group, et par la Commission. Dix-sept rapports nationaux ont été élaborés, dans leur majorité de façon sérieuse - quinze pays de l'Union européenne, la Suisse et l'Ukraine -, et un processus de revue par les pairs, ou peer review, est en cours. Cette revue par les pairs, qui mobilise quelque 200 experts, est pilotée par l'un des commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire française, Philippe Jamet, qui fut directeur de la sûreté nucléaire à l'AIEA, et est donc féru de relations internationales.

Cette revue par les pairs analyse les rapports nationaux par sujet : les agressions naturelles, la perte de fonction de sûreté, la gestion de crise. Elle comporte une visite de centrale dans chaque pays et doit aboutir à un rapport sur les stress tests, présenté à l'ENSREG le 25 avril, qui doit servir de base au rapport que la Commission transmettra au Conseil européen.

Un processus d'harmonisation est donc en cours. Il a pour objectif de formuler quelques recommandations, quatre ou cinq idées que le Conseil européen recommanderait aux différents pays de creuser. Nous sommes très porteurs du concept de « noyau dur ». C'est typiquement un sujet qu'il serait intéressant que chaque pays essaie d'appliquer sur son territoire. Le processus d'harmonisation engagé n'est pas extrême, il avance au cas par cas, mais va, selon moi, dans le bon sens.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Qu'appelez-vous le concept de noyau dur ?

M. André-Claude Lacoste. - Le noyau dur est la partie de l'installation qui est davantage protégée contre les agressions, en particulier le centre de gestion de crise bunkerisé et le diesel d'ultime secours.

Mme Laurence Rossignol. - Monsieur Lacoste, je vous remercie de votre propos. Je vous poserai trois questions.

Premièrement, on nous a affirmé qu'un réacteur nucléaire n'avait a priori pas de durée de fonctionnement et que seul le contrôle décennal déterminait si le réacteur pouvait repartir pour dix ans, et ainsi de suite. Ce propos s'appuyait sur l'exemple américain, qui prévoit un prolongement assez long de la durée de fonctionnement des centrales. Partagez-vous cette analyse ?

Ma deuxième question a trait au rôle de votre institution. Vous paraît-il possible de garantir un nucléaire sûr en l'absence d'autorité de sûreté indépendante ? Dans les pays qui refusent l'existence d'une telle autorité, le nucléaire peut-il selon vous néanmoins être sûr ? Vous avez évoqué l'incident survenu en Corée du Sud. La question s'est posée à plusieurs reprises et j'aimerais connaître votre sentiment.

Ma troisième question porte sur l'étendue de vos contrôles. Évaluez-vous les compétences des personnels affectés au fonctionnement des réacteurs ? La sous-traitance entre-t-elle dans le champ de votre pouvoir de contrôle ?

Enfin, chaque année, l'ASN publie un rapport sur la base des déclarations de l'opérateur, ce qui suppose un fonctionnement de confiance.

M. André-Claude Lacoste. - En l'état actuel du droit français, l'autorisation accordée à une installation est sans limitation de durée ; celle-ci peut fonctionner aussi longtemps qu'elle est considérée comme sûre.

L'ASN vérifie qu'elle est sûre à la fois au jour le jour par des inspections - 1 000 par an -, dont des inspections réactives après un incident, et par un rendez-vous plus solennel tous les dix ans. C'est la façon de faire française et, généralement, européenne, mais pas américaine. Nous essayons de convertir les Américains à la révision périodique de sûreté, Periodic Safety Review en anglais, mais nous avons beaucoup de mal.

Je précise que le Japon ne pratiquait pas les révisions périodiques de sûreté tous les dix ans. Tout laisse penser que les réacteurs General Electric de Fukushima n'avaient guère évolué depuis l'origine. En France, ces réacteurs auraient été « mis au goût du jour » autant que possible, au moins tous les dix ans.

L'indépendance de l'autorité de sûreté se conquiert au fil du temps. Entre la création de l'autorité française, en 1973, et la loi TSN, votée par l'immense majorité des partis en 2006, trente-trois ans se sont écoulés. Notre indépendance a crû, d'abord de facto, puisque nous n'avons guère reçu d'ordres lorsque nous dépendions de ministres, ensuite de jure, par la loi du 3 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

L'indépendance se construit pas à pas. Certains pays sont dans un état intermédiaire : il y a ceux où l'autorité de sûreté peine à sortir d'un statut équivalant au CEA, ceux où l'autorité est davantage évoluée. D'autres pays me paraissent matures, comme les États-Unis et le Canada.

C'est le résultat d'un long processus qui n'est pas simple. Dans de nombreux pays, le pouvoir politique considère qu'il n'est pas normal de déléguer un pouvoir régalien de ce type à une autorité indépendante. En 1999, le Conseil d'État avait émis un avis défavorable sur la création d'une autorité administrative indépendante dans un domaine aussi fondamental que la sûreté nucléaire. Le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, avait jugé qu'il ne pouvait passer outre. La loi n'a donc été votée qu'en 2006.

Il s'agit par conséquent d'un sujet politiquement sensible. Nous observons une évolution en ce sens : la Corée du Sud vient de créer une autorité ayant vocation à être indépendante et le Japon va essayer d'améliorer la situation. C'est très difficile.

Sur le point de savoir si nous contrôlons les compétences de la sous-traitance, la réponse est « oui ». Nous sommes convaincus que la sûreté nucléaire dépend non pas uniquement, loin de là, de questions mécaniques - béton, construction - mais aussi, fondamentalement, de compétences humaines.

J'ai évoqué tout à l'heure les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Ainsi, nous n'employons jamais l'expression « erreur humaine ». Bien souvent, lorsqu'une personne commet une erreur, c'est qu'elle est mal formée ou qu'elle est dans de mauvaises conditions de travail. C'est une notion fondamentale. Le fait de punir une personne lorsqu'une erreur a été commise n'est pas la chose à faire : il faut essayer de comprendre pourquoi cela s'est produit.

C'est l'un des sujets que nous aborderons au sein du groupe de travail sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains que nous convoquerons prochainement dans le cadre des suites de Fukushima.

Enfin, vous avez évoqué un rapport annuel sur base déclarative. Je n'ai pas bien compris votre propos, madame. Chaque année, en effet, nous publions un rapport annuel.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mme Rossignol soulignait, si j'ai bien compris, que les réponses de l'exploitant à vos questions sont déclaratives.

M. André-Claude Lacoste. - Nous considérons que l'exploitant a son rôle. Quand nous lui imposons quelque chose, il doit le faire. Quand nous lui posons des questions, il doit répondre. À l'évidence, c'est sa responsabilité. À nous de décider, ensuite, ce que nous faisons de sa réponse.

Nous réalisons, par exemple, 1 000 inspections par an. Nous publions les 1 000 lettres de suite sur notre site. Nous ne publions pas les réponses de l'exploitant sur notre site, parce que nous considérons qu'elles relèvent de sa responsabilité. Nous prenons ensuite les décisions qui nous paraissent adéquates.

M. Ronan Dantec. - Ma première question concerne la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales. J'ai bien noté le souci auquel nous serions confrontés si nous nous trouvions demain dans une situation de conflit entre sécurité dégradée et fourniture d'électricité. EDF nous annonce un investissement d'environ 50 milliards d'euros pour prolonger la durée de fonctionnement du parc actuel de quarante à soixante ans. L'ASN, nous l'avons bien compris, délivre, tous les dix ans, une autorisation décennale. Les investissements de sécurité nécessaires pour obtenir l'autorisation de prolonger de vingt ans la durée de fonctionnement des centrales font certainement l'objet d'échanges entre l'exploitant et l'ASN. Où en êtes-vous de ce dialogue ? De la même manière, EDF a dû vous fournir un document décrivant comment les 10 milliards d'euros consacrés à la sécurité seraient dispatchés. Notre commission d'enquête serait ravie de disposer de ce document.

Ma première question porte donc sur ces 50 milliards d'euros : nous n'imaginons pas que l'opérateur investisse une telle somme dans une centrale que vous lui imposiez finalement de fermer.

Deuxièmement, on dit que le MOX est potentiellement plus agressif pour la cuve et pourrait conduire à une réaction accélérée. Notre force d'action rapide mettant tout de même quelques heures à intervenir, le risque d'une perte de contrôle définitive serait accru. La filière MOX, en termes de sécurité, est-elle un choix raisonnable, notamment dans une logique de prolongation de la durée de fonctionnement des centrales actuelles ?

Troisièmement, les piscines contenant des combustibles usés ont été à l'origine de nombreux problèmes à Fukushima. Depuis, pourquoi ne proposez-vous pas leur confinement ? Avez-vous envisagé, par exemple, l'hypothèse d'un avion qui viendrait s'écraser sur l'une d'elles ?

Pour conclure, s'agissant de l'EPR, qu'en est-il des problèmes posés par les systèmes de contrôle-commande ? Plus généralement, le gros oeuvre a été source de difficultés. À votre avis, de nouvelles difficultés nous attendent-elles sur la gestion du coeur du système ?

M. André-Claude Lacoste. - Je ne sais pas ce que recouvrent les 50 milliards d'euros annoncés par EDF, destinés à prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs alternativement au-delà de trente ans, ou de quarante à soixante ans. Cette estimation relève de la responsabilité d'EDF.

Nous avons entamé un dialogue avec EDF sur la possibilité de prolonger la durée de fonctionnement de quarante à soixante ans. Dans ce cadre, nous avons indiqué à EDF qu'il faudrait vérifier la conformité des matériels, essentiellement les cuves et le confinement, et que nous l'interrogerions sur les progrès à réaliser pour rapprocher les objectifs de sûreté des réacteurs existants du réacteur EPR. Nous en sommes au début du dialogue. À ma connaissance, aucune évaluation, quelle qu'elle soit, n'a été produite.

Je n'ai pas du tout l'impression que l'utilisation du MOX ait la moindre conséquence sur les conditions d'intervention de la force d'action rapide.

M. Ronan Dantec. - L'emploi du MOX est-il sans conséquences sur la cuve ?

M. André-Claude Lacoste. - Absolument. Si une réaction se produit, elle relève vraiment du deuxième degré. Nous n'avons aucun état d'âme sur ce point.

Vous avez évoqué les piscines de combustibles usés lors de l'accident de Fukushima. En France, nous avons étendu le champ des stress tests à un certain nombre d'installations, dont celles qui sont dotées de piscines. Nous nous sommes demandé si la piste du confinement devait être privilégiée. Nous en avons débattu avec les opérateurs. En l'état, il nous paraît préférable de prévenir autant que possible les risques de perte d'eau. Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur la question du refroidissement. La position que nous prenons est conforme à celle de la plupart de nos homologues.

En ce qui concerne le contrôle-commande de l'EPR, les réserves que nous avons posées au mois d'octobre 2009 sont levées. Une lettre sera adressée à EDF dans quelques jours et une note d'information sera diffusée. J'ajoute que cette décision est consécutive à des contacts avec nos homologues chargés du contrôle de la construction d'EPR en Chine, en Finlande et potentiellement au Royaume-Uni.

M. Jean-Claude Lenoir. - Je voudrais d'abord souligner, monsieur Lacoste, que la façon dont l'ASN exerce son autorité est une véritable assurance apportée à ceux qui croient au nucléaire. Pas une autorité de sûreté nucléaire au monde n'a votre autorité. Je le dis, car c'est souvent une façon de répondre à ceux qui, très légitimement, s'interrogent sur la fiabilité de ce secteur. Une chose est sûre : le nucléaire n'est pas entre les mains des politiques, même si vous avez soulevé un problème qui n'est pas sans nous interroger. L'ASN s'est vraiment affirmée depuis 2006.

Revenons très rapidement sur des questions assez mineures : j'aurais voulu savoir comment sont déclenchés les contrôles en cas d'incident dans une centrale nucléaire. Est-ce la déclaration de l'opérateur qui entraîne votre intervention ? Si un opérateur annonce un incident de niveau 1 ou 2, l'avez-vous déjà vérifié ? Bref, comment cela se passe-t-il quand un incident se produit ?

Concernant les actifs de RTE, je suis troublé parce que vous semblez raisonner par rapport à la législation antérieure à 2006. Vous semblez ignorer que les réseaux, notamment de transport, sont devenus des filiales à 100 % d'EDF. Vos déclarations donnent le sentiment qu'il s'agit de planètes quelque peu éloignées d'EDF. Je souhaitais avoir quelques précisions sur ce point.

Avez-vous des contacts avec Olkiluoto en Finlande et Taishan en Chine, les deux autres EPR actuellement en construction ? Y a-t-il une coopération internationale en matière de construction des réacteurs de type EPR ? Comment établir des comparaisons dans les années qui viennent ?

La semaine dernière, M. Champsaur, qui a une certaine autorité en la matière, nous a affirmé que nous étions en situation de surcapacité nucléaire et que la question de l'augmentation des capacités d'ici à quinze ans ne se posait pas. Vous n'avez pas pour mission d'évaluer les besoins de la France en termes de capacité de production d'origine nucléaire. Néanmoins, on ne peut pas complètement déconnecter votre rôle de l'appréciation qui en est faite, puisque vous avez soulevé la question très pertinente du conflit entre un problème sur un réacteur et un problème d'approvisionnement. L'ASN ne saurait donc ignorer la question de la capacité de production et des besoins en électricité.

Enfin, quel est votre avis sur la centrale de Fessenheim ?

M. André-Claude Lacoste. - Je suis sensible aux louanges exprimées par M. Lenoir sur l'ASN. M. le rapporteur a relevé tout à l'heure mon inconfort sur un certain nombre de sujets, et je vous prie de croire que, compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres, nous ne sommes pas bardés de certitudes tranquilles. Une autorité de sûreté qui commence à croire qu'elle est bonne est sûrement en train de devenir mauvaise. Cela me paraît tout à fait fondamental. Avec nos homologues, nous échangeons plutôt des interrogations et nous accordons sur la nécessité de poursuivre la réflexion.

Les déclarations d'incident sont rendues obligatoires par la loi. Nous y veillons. Quand l'incident le mérite, nous réalisons une inspection. J'ajoute que nous n'hésitons pas à sanctionner. Pour prendre un exemple, le CEA a déclaré avec beaucoup de retard un incident sérieux dans l'atelier de traitement du plutonium, l'ATPU, à Cadarache. Nous avons dressé un procès-verbal et le CEA vient d'être condamné par le tribunal de Marseille. Nous ne plaisantons pas avec la nécessité de déclarer les incidents en temps utile. Elle est fondamentale et constitue la base du retour d'expérience, de l'amélioration, de la sûreté.

Les titres RTE, que vous avez évoqués, font partie des actifs relevés par l'ASN et par la Cour des comptes. Ce n'est certainement pas l'exemple le plus criant. Lorsque les charges futures du CEA sont couvertes par des titres d'AREVA et des créances sur l'État, nous sommes aux antipodes de l'esprit de la loi. Je ne vais pas au-delà, cela ne relève pas de mon domaine strict de compétences. Néanmoins, nous nous soucions de ces questions, par peur de nous trouver dans l'incapacité, un jour, de financer l'ensemble des opérations de démantèlement et de traitement des déchets.

Vous m'avez interrogé sur les échanges internationaux en matière de sûreté du réacteur EPR. Le MDEP, ou Multinational Design Evaluation Program, fondé par les autorités de sûreté américaine et française, regroupe une dizaine d'autorités de sûreté. Il comprend des groupes de travail thématiques, par exemple sur le contrôle-commande ou l'inspection, et des groupes de travail par type de réacteur, en particulier sur l'EPR. C'est dans ce cadre que nous discutons avec nos collègues américains, chinois, britanniques, finlandais et canadiens. La question du contrôle-commande est débattue soit dans le groupe EPR, soit dans le groupe contrôle-commande. C'est là que nous avons abouti à la conclusion que j'indiquais en réponse à votre question. Les différentes autorités de sûreté apportent et prennent plus ou moins, mais ce programme fonctionne.

Vous m'avez interrogé sur le phénomène de surcapacité nucléaire. Nous ne sommes pas équipés pour porter un jugement sur la capacité nucléaire. J'ai simplement souligné qu'il fallait éviter de nous trouver dans une situation de sous-capacité ou de capacité limite qui entraînerait un conflit extrêmement difficile à traiter entre sécurité et approvisionnement.

Sur la centrale de Fessenheim, notre position n'a pas évolué ces dernières semaines. Nous avons pris position deux fois. Au terme de la troisième révision décennale, en juillet 2011, nous avons tout d'abord imposé une quarantaine de prescriptions, principalement l'épaississement du radier, qui était moins épais que celui des autres centrales pour des raisons historiques, et la mise en place d'une source alternative de refroidissement destinée à suppléer la source principale. Sur ces deux points, la centrale de Fessenheim devait nous présenter un dossier avant la fin de l'année. Nous sommes en train de l'examiner.

Nous avons ensuite contrôlé la centrale au titre de la procédure post-Fukushima. À ce titre, nous avons imposé un certain nombre de mesures nouvelles, comme un noyau dur de gestion de crise - diesel d'ultime secours, centre de gestion de crise bunkerisé, force d'action rapide. Celles-ci s'appliquent à toutes les centrales d'EDF, dont Fessenheim.

Mme Mireille Schurch. - Premièrement, lorsqu'un incident se produit, comme à Cadarache, ou que vous faites des préconisations, comme à Fessenheim, comment vous assurez-vous qu'elles sont suivies d'effet ? Des délais sont-ils prévus ?

Deuxièmement, ne serait-il pas temps d'apprendre à « déconstruire » une centrale nucléaire ? Je dis cela en dehors de toute polémique. Nombre de nos centrales parvenant bientôt au terme d'une durée de fonctionnement raisonnable, ne pensez-vous pas, afin que nous ne soyons pas pris de court, qu'une déconstruction tranquille, qui ferait école, serait utile pour la suite ?

Troisièmement, l'ASN estimait, dans un avis émis le 3 janvier 2012, que le facteur humain était l'un des piliers de la sûreté nucléaire. Or plus de 30 000 salariés interviennent au titre de la sous-traitance. Vous nous dites que vous surveillez leurs compétences. Ne serait-il pas temps de limiter la sous-traitance de façon drastique, en particulier au coeur du métier nucléaire ? Il semble que l'inflation de la sous-traitance puisse être dangereuse à terme, à la fois pour ces salariés et pour le fonctionnement des centrales.

Ma dernière question porte sur les composants. Je crois savoir que les composants de la turbine de l'EPR de Flamanville sont fabriqués dans onze pays différents. Ne serait-il pas opportun de faire en sorte que ces pièces soient fabriquées et assemblées en France, afin de mieux en contrôler la sûreté ?

M. André-Claude Lacoste. - Vous parlez de « préconisations », mais ce terme nous est inconnu : nous prenons des décisions, qui sont comminatoires. Nous vérifions ensuite leur application selon certains délais.

Pour reprendre l'exemple de Cadarache, lorsque nous avons appris la non-déclaration d'un incident, nous avons suspendu le démantèlement des différentes cellules de l'ATPU et soumis le redémarrage à notre autorisation. Nous avons surveillé la situation d'extrêmement près, vérifié que les installations étaient remises dans un état sûr et que le plutonium excédentaire était correctement traité.

Nous sommes une autorité : nous prenons des décisions ; nous ne faisons pas des préconisations. L'exploitant n'a pas le choix.

Vous m'avez interrogé sur la déconstruction. En France, nous n'avons pas démantelé de centrale nucléaire, mais nous avons l'expérience de la déconstruction d'autres installations nucléaires. Le centre du CEA de Fontenay-aux-Roses est en cours de démantèlement, celui de Grenoble est pratiquement achevé.

Nous souhaitons disposer d'exemples de déconstruction de centrale en vraie grandeur afin d'acquérir de l'expérience. C'est pourquoi nous avions poussé EDF à engager aussi vite que possible le chantier de démantèlement de la centrale de Brennilis, qui a connu un certain nombre d'aléas, en particulier juridiques. C'est également la raison pour laquelle nous souhaitons voir démanteler aussi vite que possible la centrale de Chooz A, ou encore les réacteurs de la filière UNGG - uranium naturel, graphite, gaz.

Ces expériences portent sur des types de réacteurs différents de la filière actuelle, mais elles permettent de rassembler de l'expérience et de la comparer avec celle des pays étrangers. Pour nous, il est tout à fait fondamental de sortir de l'évaluation théorique pour avoir des évaluations en vraie grandeur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Schurch, nous nous sommes rendus sur le chantier de déconstruction de Brennilis et, vendredi prochain, notre rapporteur visitera celui de Chooz A. Si votre emploi du temps vous le permet, je vous invite à l'accompagner, ces deux centrales étant déjà à un niveau de déconstruction de l'ordre de 50 %.

M. André-Claude Lacoste. - Les facteurs sociaux, organisationnels et humains nous semblent tout à fait fondamentaux. Une installation, au-delà de ses composants, est gérée par des personnes.

Actuellement, environ 20 000 salariés d'EDF et 20 000 sous-traitants travaillent dans les centrales. Les conditions de travail des sous-traitants sont l'un de nos soucis. Nous ouvrirons ce chantier d'ici à l'été avec l'ensemble des parties prenantes et les syndicats. D'ores et déjà, consécutivement à Fukushima, nous avons pris, le 9 février dernier, un arrêté sur les installations nucléaires de base obligeant EDF à assurer la surveillance directe des opérations sous-traitées lorsqu'elles touchent un élément important pour la sûreté. Ce n'est que le premier élément de ce que nous souhaitons mettre en place.

Vous avez évoqué la turbine de l'EPR. C'est un équipement classique qui peut faire intervenir une multitude de sous-traitants. Je puis en revanche vous garantir que nous étudions très attentivement les dossiers touchant au nucléaire. En cas de sous-traitance à l'étranger, en particulier, nous vérifions sur place ce qui se passe. Comme je l'indiquais précédemment, à la suite d'un contrôle des viroles d'un pressuriseur fournies par un sous-traitant italien de la firme allemande Krupp, nous avons arrêté la fabrication et obligé AREVA à déclasser une partie des fournitures. Nous surveillons ces questions de très près.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je devrais le savoir : la turbine de l'EPR de Flamanville n'est-elle pas confiée à Alstom ?

M. André-Claude Lacoste. - Je devrais sans doute le savoir aussi, mais je l'ignore. (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le président, nous avons beaucoup apprécié la précision de vos réponses et nous vous en remercions. Je suis certain que votre audition fera autorité dans le futur rapport de M. le rapporteur.

M. André-Claude Lacoste. - Monsieur le président, je tiens à préciser que l'ASN est vraiment à la disposition du Parlement, quels que soient le sujet traité et la forme plus ou moins solennelle de l'investigation menée.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Lacoste, j'ai également beaucoup apprécié vos propos introductifs. En tant que président du groupe d'études sur l'énergie, j'abuserai peut-être de votre proposition à la prochaine rentrée parlementaire.

Audition de M. Franck Lacroix, président de Dalkia

M. Ladislas Poniatowski, président. - La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Franck Lacroix, président de Dalkia.

Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel » afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.

Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire d'entendre M. Franck Lacroix, afin de se pencher sur la question des économies d'énergie.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Monsieur Lacroix, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, même si vous n'aviez guère le choix, se rendre à la convocation d'une commission d'enquête étant obligatoire...

Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Franck Lacroix prête serment.)

Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Franck Lacroix aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête, pourront lui poser.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Tout d'abord, monsieur Lacroix, pouvez-vous nous décrire l'activité de Dalkia ? Qui sont ses clients ? Quelle est sa situation financière ? Quelle part de son activité concerne-t-elle l'électricité ? N'y a-t-il pas une contradiction à promouvoir les économies d'énergie en étant partiellement une filiale d'un producteur d'énergie ?

Ensuite, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie, en particulier sur les certificats d'économie d'énergie ?

Par ailleurs, pourquoi Dalkia ne travaille-t-elle pas avec les particuliers ? De par votre expérience dans le domaine des économies d'énergie, voyez-vous des freins au développement de ce secteur chez les particuliers ?

Enfin, quel jugement portez-vous sur la « réglementation thermique 2012 » ? Estimez-vous qu'elle soit favorable au chauffage électrique ?

M. Franck Lacroix, président de Dalkia. - Monsieur le rapporteur, votre première question impose de présenter l'activité de Dalkia. Qui sont ses clients et quelle est sa situation financière ?

Dalkia est une filiale à 66 % de Veolia Environnement et à 34 % de EDF.

En tant que créateur d'économies d'énergie, notre métier est de nous positionner dans les territoires, afin de répondre aux enjeux cruciaux du XXIe siècle, à savoir le renchérissement des énergies fossiles, l'urbanisation et la lutte contre les gaz à effet de serre. Nous apportons notre savoir-faire, notre expérience et notre maîtrise technique dans quarante pays. Pour ce faire, notre groupe comprend 52 700 salariés collaborateurs.

Notre taille nous permet d'accéder dans les meilleures conditions à des technologies souvent coûteuses, à des ressources complexes à mobiliser, comme la biomasse, et de mener des efforts soutenus en matière de recherche et de développement.

L'efficacité énergétique est notre coeur de métier. Des chiffres clés de deux natures caractérisent notre action : en 2011, nous avons fait économiser à nos clients 14,7 térawattheures, tous domaines d'énergies confondus, bien que ce soit essentiellement en énergie thermique, et nous avons évité l'émission d'un peu plus de 6,6 millions de tonnes de CO2.

Cette activité est complémentaire de celle de producteur d'énergie, même si Dalkia n'est en ce secteur qu'un acteur sur le territoire.

J'en viens à la situation financière de Dalkia.

Grâce à notre profitabilité récurrente nette proche de 2 % de notre chiffre d'affaires, nous affichons une structure financière solide. Notre endettement financier net s'élève à 2,370 milliards d'euros ; il est un peu inférieur à nos fonds propres, qui s'établissent à 2,415 milliards d'euros ; il représente à peu près quatre fois notre capacité d'autofinancement.

Le fonds de roulement dont nous avons besoin est de 778 millions d'euros, ce qui correspond, pour nous, à quarante jours d'activité, laquelle a atteint 7,1 milliards d'euros l'année dernière.

Ces performances résultent de trois activités centrales complémentaires de notre groupe.

Nous gérons et développons des réseaux urbains, soit actuellement dans le monde 837 réseaux de chaleur et de froid. Nous sommes producteur et distributeur local d'énergie thermique dans les villes.

Nous gérons des utilités industrielles, nous faisons un peu la même chose pour des plaques ou des clients industriels. Nous desservons un peu plus de 4 600 sites de cette nature dans le monde. Notre vocation est de leur fournir la vapeur, l'air comprimé, notamment, dont ils ont besoin pour produire.

Une activité complémentaire s'ajoute aux deux que je viens de décrire : elle concerne l'efficacité énergétique du bâtiment. Sur un peu plus de 123 000 installations gérées à travers le monde, elle consiste à optimiser le fonctionnement des installations énergétiques qui consomment de l'énergie pour délivrer à nos clients les services dont ils ont besoin, par exemple de la chaleur. Elle vise essentiellement des logements, des bâtiments publics et du tertiaire.

Dès maintenant, nombre de solutions existent pour diminuer l'empreinte carbone des espaces urbanisés, notamment en s'attaquant aux différentes formes d'énergies, et pas seulement à l'électricité.

En France, l'activité liée aux transports étant mise de côté, 70 % de l'énergie finale consommée doit être transformée sous forme thermique pour être utile à nos clients.

Pour établir le lien entre la chaleur et l'électricité, il faut comprendre que nous sommes un acteur majeur de la cogénération. Celle-ci, développée en France comme à l'international, nous permet de produire de manière simultanée chaleur et électricité. L'intérêt de cette technologie tient à son efficacité énergétique.

Il existe deux moyens pour produire un mégawattheure d'électricité et de chaleur : ou bien le recours à deux installations séparées, indépendantes, ce qui induit un rendement global, ou bien l'utilisation d'un seul équipement. Dans ce dernier cas, par rapport à la situation de référence, en utilisant les best available technologies, on parvient à économiser au moins 10 % d'énergie primaire. C'est une façon de délivrer de l'électricité en profitant d'un puits de chaleur situé à proximité et d'optimiser l'efficacité énergétique. Cet avantage est considérable.

De surcroît, l'électricité est produite de manière locale. Une cogénération ne souffre pas d'une production centralisée qui devrait ensuite être diffusée par des réseaux de transport, car la chaleur ne se transporte pas aussi bien que l'électricité. De ce fait, en France, des centaines d'installations qui lui sont dédiées sont réparties sur le territoire. Ainsi sont évités les coûts liés aux contraintes de transport et aux déperditions au cours du transport.

En France, nous produisons à peu près 2 000 mégawatts électriques par le biais de la cogénération, soit presque l'équivalent de deux tranches nucléaires ou de 1 000 éoliennes. Dans notre pays, la puissance installée en cogénération est de l'ordre de plus de 4 500 mégawatts, soit 2,5 fois ce que gère Dalkia.

Bien sûr, les réseaux de chaleur dont je parlais bénéficient largement des cogénérations, puisqu'ils constituent un puits thermique privilégié.

La France, comme l'Europe en général, doit « assumer » l'intérêt de la cogénération et ne pas perdre les capacités de production électrique et thermique existantes, qui constituent des atouts, en mettant en place un dispositif qui lui permette de prolonger la vie des installations actuelles tout en combinant l'efficacité énergétique résultant de la cogénération et l'énergie renouvelable.

Que la cogénération fonctionne au gaz ou avec de l'énergie renouvelable, elle a un impact sur l'efficacité énergique, mais dans le deuxième cas de figure, elle a également des conséquences sur les émissions de CO2. Dalkia intervient dans ce domaine. Voilà quelques mois, dans le sud-ouest de la France, nous avons commencé l'installation de la plus grosse centrale de cogénération, de 60 mégawatts électriques, qui valorise chaque année un peu plus de 400 000 tonnes de biomasse. Voilà quelques semaines, nous avons démarré une cogénération destinée à alimenter le réseau de chaleur de la ville de Limoges et à valoriser également une quantité significative de biomasse. Nous sommes en train de faire de même à Orléans, Tours, Angers, notamment. Ainsi, nous produisons un peu plus de 5,5 térawattheures d'électricité. Le groupe dans son ensemble produit environ 14,2 térawattheures électriques.

La production électrique représente 20 % de l'activité de Dalkia en France, le reste concernant plutôt des activités multi-techniques ou encore centrées sur la chaleur. La production électrique avec cogénération correspond à 2 000 mégawatts. Il existe aussi des groupes de production de pointe, qui peuvent produire de l'électricité en cas de forte demande, des groupes de secours et des installations gérées chez nos clients. Il s'agit de faire face à une rupture d'alimentation pour assurer la continuité du service électrique chez ces derniers.

Monsieur le rapporteur, vous vous demandez s'il y a contradiction entre la recherche de l'efficacité énergétique et le statut de filiale d'un fournisseur d'énergie. Absolument pas !

On le constate dans le domaine de la chaleur. Nous sommes à la fois producteur local et leader en matière d'efficacité énergétique. Notre présence dans le domaine de l'efficacité énergétique nous permet à nous, fournisseur d'énergie, à la fois d'être le plus performant possible en matière de production d'énergie et d'optimiser la demande de nos clients finaux, notamment en réduisant la demande de pointe, qui est toujours la plus coûteuse à satisfaire. L'efficacité passe par la capacité à produire mieux, à jouer sur les profils de consommation pour produire plus intelligemment, à optimiser les investissements et les fonctionnements.

Nous pouvons aussi apporter une prestation à plus forte valeur ajoutée aux clients finaux, non pas simplement fournir de l'énergie, mais offrir une prestation plus complète de services énergétiques. La nuance est fondamentale.

Dans les années à venir, le Réseau de transport d'électricité prévoit à la fois un fort développement de l'efficacité énergétique et le maintien de la croissance de la consommation électrique, certes modérée, de 0,6 % par an. Cette consommation s'établissait à 480 térawattheures en 2009 et devrait atteindre 523 térawattheures en 2020 et 554 térawattheures en 2030. Telles sont les données qui résultent du bilan prévisionnel de l'équilibre entre l'offre et la demande de 2011.

Les analystes financiers valorisent le fait que, avec Dalkia, EDF dispose d'une filiale dédiée à l'efficacité énergétique. Ainsi, elle pourra adapter son outil de production à l'évolution de la donne énergétique qui se traduira irrémédiablement par une baisse de la consommation.

En pratique, je constate que la réponse à des appels d'offres en groupement, en quelque sorte, par exemple Dalkia et EDF, correspond à la volonté de réaliser des économies d'énergie. Tel est ainsi le cas du contrat de performance énergétique que nous avons signé avec le Conseil général de la Manche. Nous avons pris l'engagement de réduire les consommations énergétiques, toutes énergies confondues, d'une vingtaine de collèges et de trois musées et d'aboutir à 32 % d'économies d'énergie, pourcentage garanti par la mise en place d'un plan d'action et par l'exploitation des installations pendant quinze ans.

Nous gérons encore assez peu d'électricité dans les bâtiments dont nous assurons la gestion des services énergétiques. Cela étant, EDF ne voit aucune difficulté à ce que nous nous en saisissions plus souvent, de manière à proposer à nos clients une gestion intégrée de l'ensemble de leurs énergies. En effet, EDF est bien consciente de la forte valeur qui en résulterait pour nos clients.

Pour ce qui concerne notre actionnaire majoritaire, à savoir Veolia Environnement, d'une certaine manière, il a dans ses gènes la gestion économe des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau ou de matières premières, grâce au recyclage des déchets, ou de l'énergie avec Dalkia.

L'efficacité énergétique est bien au coeur de notre activité et ce, je crois pouvoir le dire, à la satisfaction pleine et entière de nos deux actionnaires.

À ce stade de mon propos, je voudrais insister sur la question centrale de la cogénération. C'est sur ce point que le lien évident entre notre activité et la production d'électricité apparaît.

Grâce à un dispositif qui, depuis 1997, a encouragé le développement de la cogénération en France, aujourd'hui, tous acteurs confondus, la production électrique sous forme de cogénération représente l'équivalent de trois EPR. Je vous rappelle les avantages de ce système : des économies d'énergie et une production décentralisée.

Depuis 2001, le développement du parc de cogénération a été arrêté, faute de cadre suffisamment incitatif.

Douze ans après - telle était la durée des contrats d'obligation d'achat -, la question en cause est la survie de ce parc.

Grâce aux cogénérations, on économise à peu près 1,7 million de tonnes d'équivalent pétrole par an et on évite l'émission de 9,3 millions de tonnes de CO2. La conservation d'une part significative de la capacité de production électrique issue des cogénérations est essentielle pour trois raisons.

La première de ces raisons tient à la sécurité de l'approvisionnement électrique. Je rappelle que la cogénération est un outil qui ne dépend ni du vent ni du soleil, pas plus que de quoi que ce soit d'autre. C'est une production de semi-base, qui démarre le 1er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Pendant cette période, la disponibilité est quasiment de 100 %. Il s'agit donc d'une production continue, prévisible, fiable.

J'en viens à la deuxième raison que j'évoquais précédemment. Le prix de la vapeur provenant de la production combinée d'électricité et de chaleur est compétitif. C'est la vapeur qui bénéficie en particulier de l'économie d'énergie primaire. La technologie en cause permet aux industriels qui récupèrent la vapeur ou aux bâtiments collectifs qui sont raccordés sur les réseaux de chaleur qui en profitent d'obtenir un prix compétitif pour ce qui concerne la chaleur et la vapeur. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fais incidemment remarquer que 250 sites industriels qui emploient 30 000 personnes bénéficient aujourd'hui de la vapeur issue de la cogénération.

Il faut bien garder en mémoire qu'il n'est pas prévu de substituer la cogénération biomasse, qui fait l'objet d'un programme dans le cadre du Grenelle de l'environnement, à la cogénération gaz. L'objectif fixé lors du Grenelle est de porter à 2 300 mégawatts l'énergie électrique produite à partir de la biomasse, chiffre bien inférieur à la puissance actuellement disponible par le biais de la cogénération gaz. Mais la frilosité dont fait actuellement preuve le monde industriel à l'égard d'investissements de longue durée est telle que l'objectif du Grenelle ne sera pas facile à atteindre.

La situation présente est compliquée ; elle comporte deux cas de figures différents.

En premier lieu, les grosses cogénérations, de plus de 12 mégawatts, essentiellement installées sur des sites industriels, arriveront à échéance au plus tard en 2014. Elles sont menacées parce qu'elles ne disposent plus du soutien existant jusqu'à présent. Leur contrat d'obligation d'achat arrivant à terme, elles ne trouvent pas sur le marché libre une rémunération suffisante.

Certes, le ministre chargé de l'énergie a reconnu publiquement l'importance du sujet pour la sécurité électrique du pays, mais la solution envisagée, à savoir un appel d'offres par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, relatif à des capacités de production électrique, nous paraît complexe. En fait, il ne s'agit d'aider ces cogénérations que pour une période de trois ans parce que ces grosses machines trouveront leur place dans le dispositif prévu par la loi NOME, en particulier dans le marché de capacité, qui ne sera cependant effectif qu'en 2015.

L'alternative serait un dispositif de soutien transitoire par la CSPE, la contribution au service public de l'électricité, dont le coût serait extrêmement limité - 50 millions d'euros par an -, sans aucune commune mesure avec le coût antérieur du financement des obligations d'achat des cogénérations qui s'élevait à 700 millions d'euros et avec le coût total de la CSPE qui devrait atteindre 5,5 milliards d'euros à l'horizon de 2015.

En second lieu, les petites cogénérations, de moins de 12 mégawatts, concernent plutôt les réseaux de chaleur. Elles peuvent être reconduites sur un contrat d'obligation d'achat. Mais en pratique ce renouvellement est très difficile. En effet, l'annonce régulière par le ministère de sa volonté de dégrader la rémunération électrique de ces installations décourage les investisseurs. Par ailleurs, l'énergie thermique récupérée sur ces cogénérations pourtant vertueuse n'est pas reconnue comme telle en France. Ainsi, la chaleur d'un réseau alimenté à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération - par exemple, sur une usine d'incinération - bénéficie d'une TVA à 5,5 %. Mais tel n'est pas le cas si ce pourcentage est atteint avec une partie de la chaleur issue d'une cogénération gaz.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Lacroix, je comprends que vous profitiez de cette audition pour délivrer un message sur la cogénération - un certain nombre d'entre nous le connaissent d'ailleurs bien -, mais je souhaite que vous reveniez au sujet qui nous préoccupe.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Cela étant, monsieur Lacroix, rien ne vous empêche pas de nous faire parvenir un document nous précisant vos propositions pour les cinq ans à venir.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, je vous informe d'ores et déjà, vous qui êtes fidèle aux réunions du groupe d'études de l'énergie, que celui-ci organisera au printemps ou à l'automne une réunion avec le groupe Dalkia portant notamment sur le problème de la cogénération.

Veuillez poursuivre, monsieur Lacroix.

M. Franck Lacroix. - J'en viens à la deuxième question que m'a posée M. le rapporteur.

Selon moi, la meilleure incitation aux économies d'énergie est le signal-prix.

Encore faut-il que celui-ci soit suffisant. À titre d'exemple, en raison de l'absence de taxe sur les carburants aux États-Unis, le modèle américain consistant à acquérir des voitures fortement consommatrices a perduré. A contrario, en Europe, l'existence de taxes intérieures sur la consommation a incité au développement de modèles plus économes.

Encore faut-il également que ce signal-prix traduise les orientations de la politique énergétique du pays ou du continent, en l'occurrence la volonté de décarbonation. L'outil fiscal est là encore nécessaire pour répercuter une valeur économique du carbone.

Encore faut-il enfin que ce signal-prix soit uniforme, sans effet de bord. À partir de l'année prochaine, je vous signale qu'un réseau de chaleur collectif verra ses émissions de CO2 devenir progressivement payantes, alors que la chaudière à gaz située, en quelque sorte, au pied de l'immeuble ne sera pas taxée... Une telle distorsion est difficile à expliquer. De surcroît, quand bien même ce réseau de chaleur se convertirait à la biomasse et deviendrait plus vertueux qu'une chaudière à gaz, ses émissions résiduelles, par exemple celles qui correspondent aux consommations de pointe qui restent assurées par le gaz, continueraient à être taxées.

Les certificats d'économie d'énergie sont-ils un bon système ? À défaut de taxes sur l'énergie et le carbone suffisantes, ce dispositif peut avoir une utilité. Son principe est compréhensible, à savoir imposer aux vendeurs d'énergie de générer des économies d'énergie en proportion de leurs ventes.

Cela étant, en fonction des modalités précises de sa mise en oeuvre, ce procédé peut être d'application difficile.

Sur cette question, je souhaite vous délivrer deux messages principaux, mesdames, messieurs les sénateurs.

Premièrement, la charge administrative relative à la constitution des dossiers s'est fortement alourdie depuis le début de la seconde période de ces certificats. Ce fait est notamment dû aux inquiétudes suscitées par une éventuelle double revendication de la même opération. Ainsi, un vendeur d'énergie et son client bailleur social pourraient tous deux revendiquer l'installation d'une chaudière performante dans un HLM. L'éligibilité des bailleurs sociaux, comme des collectivités locales, a été voulue par le législateur afin de garantir aux clients la possibilité d'avoir un retour des certificats d'économie d'énergie sur leur patrimoine. Or la réglementation exige d'ores et déjà que le client signe le dossier de demande de certificat d'économie d'énergie, ce qui devrait suffire à garantir un débat entre l'opérateur et son client. Je considère que l'on pourrait grandement simplifier ce dispositif et en réduire le coût.

Deuxièmement, le système européen fait l'objet de discussions dans le cadre du projet de directive relative à l'efficacité énergétique. Aux termes du texte actuellement étudié, la France ne pourra plus continuer à prendre en compte des opérations de passage aux énergies renouvelables. Les opérations de petite taille de ce type qui ne bénéficient pas du fonds chaleur ne seront plus réalisées sans les certificats d'économie d'énergie. Elles sont pourtant nécessaires là où des extensions de réseaux de chaleur ne sont pas prévues pour décarboner la production de chaleur. Il convient que la France se batte lors des négociations européennes pour pouvoir conserver son système.

Cela étant, je demeure persuadé qu'une taxe carbone-énergie européenne serait plus efficace que les certificats d'économie d'énergie. Son coût administratif serait bien moindre. Une ressource fiscale supplémentaire serait ainsi créée ; elle pourrait être affectée au financement du fonds chaleur de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, par exemple.

J'en viens à la question de l'exemplarité des bâtiments publics. Lorsque nous avons conclu l'un des premiers contrats de performance énergétique avec l'agglomération de Montluçon, nous nous sommes engagés à dégager non pas une économie d'énergie théorique, mais une économie garantie de 17 % mesurée chaque année. Nous avions lancé un important programme de communication auprès des usagers des bâtiments publics qui a créé un effet d'entraînement dans toute la ville. Ainsi, des copropriétés ont entrepris des démarches similaires. Pour reproduire ce phénomène, un engagement beaucoup plus massif et systématique sur les contrats de performance énergétique des bâtiments publics serait très efficace.

Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre troisième question.

Nous ne démarchons pas les marchés de la maison individuelle et du chauffage individuel, tout simplement parce que nous n'avons pas développé de réseau commercial à cette fin.

En revanche, nous intervenons dans le domaine de l'habitat à travers des réseaux de chaleur et des installations énergétiques collectives et dans les habitations à loyer modéré et les copropriétés. En France, nous assurons la gestion énergétique d'un peu plus de 2,2 millions de logements ; 800 000 sont desservis par des réseaux de chaleur.

Pour ce qui concerne les copropriétés, la lourdeur traditionnelle de la prise de décision lors des assemblées de copropriétaires est un frein très important, d'autant plus que le temps de retour des investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie est long. De ce fait, les divergences d'intérêts entre les copropriétaires à court et long terme apparaissent encore plus.

En outre, en l'espèce, le dispositif de crédit d'impôt sur le revenu n'est pas un levier efficace, alors que tel est le cas pour les propriétaires d'une maison individuelle. Dès lors, un accompagnement particulier des copropriétés se justifie pour déclencher des opérations. De ce point de vue, l'initiative de la région d'Île-de-France, qui a décidé d'accompagner des audits énergétiques et des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie dans des copropriétés, mérite d'être soulignée et reproduite. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de formation auprès des acteurs qui effectuent des travaux d'amélioration, d'isolation du bâti pour veiller à la fiabilité des travaux entrepris.

Un autre frein important au marché des particuliers résulte de la difficulté à laquelle est confronté un propriétaire bailleur pour amortir ses investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie. Vous le savez, le dispositif de partage des charges introduit par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion constitue une étape importante. Il permet aux propriétaires bailleurs qui ont effectué des travaux de demander au locataire une participation exceptionnelle au coût des travaux. Ainsi est instauré un juste partage des économies d'énergie entre le propriétaire et le locataire. Une évaluation du bon fonctionnement de ce dispositif, notamment de sa connaissance par les propriétaires et leurs conseils - je pense aux notaires, aux professionnels de l'immobilier -, serait sans doute utile.

J'en arrive à votre quatrième et dernière question, monsieur le rapporteur.

Nous ne pouvons qu'adhérer au principe du renforcement des exigences de la réglementation thermique afin de s'orienter progressivement vers des bâtiments très économes.

Je voudrais tout d'abord démentir l'idée fausse, souvent relayée, selon laquelle les exploitants des réseaux de chaleur seraient opposés à la baisse de la consommation. Je vous ai déjà fourni des indications sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.

À l'échelle de la ville, il existe une réelle opportunité. À titre d'exemple, un quartier neuf n'est pas incompatible avec un réseau de chaleur. Nombre de personnes pensent que, dans un tel cas de figure, la consommation de chaleur sera moindre et qu'il n'est par conséquent pas nécessaire de réaliser d'importants investissements ; autant raccorder tout le monde au chauffage électrique. Mais nous démontrons quotidiennement le contraire. Ainsi, tout récemment, dans un quartier neuf, durable, à haute efficacité énergétique de 1 600 logements situé à Issy-les-Moulineaux, nous avons mis en place un réseau qui permettra d'alimenter en chauffage et en eau chaude sanitaire l'ensemble des bâtiments.

Pour ce qui concerne les réseaux existants, la plupart des collectivités ont aujourd'hui une double ambition : les verdir et les développer. Or moins les logements consomment, plus l'on pourra raccorder au réseau de nouveaux bâtiments avec la même production verte, donc les mêmes investissements.

Par ailleurs, les équipements de production verts ont la caractéristique d'être beaucoup plus capitalistiques que des moyens classiques. Une chaudière biomasse coûte, par exemple, à peu près cinq fois plus cher qu'une chaudière à gaz. Et plus de telles installations bénéficient à un nombre élevé de logements, plus on peut les amortir.

Les modalités de la réglementation thermique découragent le recours au chauffage électrique. Cette volonté claire est assumée par les pouvoirs publics.

Pour ma part, j'estime que certains points de la réglementation pourraient être améliorés. Le ministère souhaite remettre en cause le mode de calcul du contenu en carbone des réseaux de chaleur, qui résulte pourtant d'une autre direction du même ministère, et intégrer, par exemple, les émissions liées à la production du combustible biomasse. Ce raisonnement n'est valable que s'il est appliqué à toutes les sources d'énergie, notamment au gaz. Devraient être prises en compte les émissions de carbone liées au transport du gaz sur longue distance, les émissions relatives à la regazéification dans les terminaux méthaniers, aux phases de stockage souterrain, aux phases de compression. En fait, nous demandons un traitement équitable des énergies, qui favorise les énergies renouvelables et non l'inverse.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Lacroix, vous nous avez montré les avantages de la cogénération. Vous nous avez proposé de nous fournir des documents précis relatifs à des mesures incitatives. Par ailleurs, selon vous, il serait intéressant de développer la taxe carbone. Vous estimez que si des mesures de taxation étaient prises, elles devraient concerner tous les modes énergétiques.

En cet instant, je souhaite obtenir une précision. Selon les chiffres dont nous disposons, le prix moyen du mégawattheure d'électricité produit dans les grandes installations de cogénération s'élèverait entre 90 euros et 150 euros et celui du mégawattheure fourni par les petites installations entre 130 euros et 200 euros. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres ?

M. Franck Lacroix. - Il existe deux grandes catégories de tarification : celle de la production d'électricité résultant de la cogénération au gaz et celle qui est issue de la biomasse.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Entendez-vous par biomasse le bois et l'ensemble du recyclage des déchets ménagers ?

M. Franck Lacroix. - La ressource biomasse est essentiellement constituée par du bois de recyclage, de la culture agricole de taillis à très courte rotation, des plaquettes forestières issues des parcelles forestières de la filière bien spécifique du bois-énergie. En France, deux cas de figure existent : soit de grosses installations, qui résultent essentiellement d'appels d'offres de la CRE, soit des installations plus réduites, qui bénéficient du tarif d'obligation d'achat de cogénération biomasse.

Le prix du mégawattheure se situe autour de 140 euros pour l'électricité produite par cogénération biomasse et de 110 euros pour l'électricité fournie par cogénération au gaz.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. - J'avais cru comprendre que la cogénération était arrivée à maturité d'un point de vue économique. J'ai rapidement réalisé mon erreur, monsieur Lacroix, puisque vous avez indiqué que le moment économiquement intéressant était celui où vous arriviez à bénéficier de la production de pointe. Dans ce cas de figure, à quel prix êtes-vous rémunéré ?

Vous avez indiqué que vous aviez besoin d'une période de deux à trois ans pour faire le lien entre les actuels dispositifs et le marché capacitaire prévu par la loi NOME. Qu'attendez-vous de ce marché et à quel prix ?

Enfin, vous avez précisé que, en matière de cogénération, vous interveniez essentiellement dans le domaine de la production locale qui peut intégrer les énergies renouvelables. À cet égard, à quel point pouvez-vous associer l'énergie solaire ? Je formule cette question en référence au modèle allemand qui, à l'inverse du dispositif à la française, tend à « porter », en quelque sorte, le solaire sur l'autoconsommation. D'ailleurs, l'aide allemande est dédiée non pas à la vente de l'énergie sur le réseau, mais à l'autoconsommation. Monsieur Lacroix, dans quelle mesure envisagez-vous que le solaire vienne en appoint de l'énergie renouvelable ?

M. Franck Lacroix. - Tout d'abord, la cogénération et la production de pointe sont deux logiques tout à fait différentes. La cogénération s'accommode assez peu des périodes de pointe qui nécessitent une très grande réactivité. Le principe même de la cogénération est la production de semi-base, parce qu'il est nécessaire de combiner deux demandes, à savoir celles d'électricité et de chaleur.

La puissance installée en France comprend à peu près 2 000 mégawatts de cogénération semi-base, c'est-à-dire que la production commence le 1er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Par ailleurs, quelques centaines de mégawatts sont plutôt une production de pointe ; ils sont fournis, par exemple, par des groupes fioul indépendants et mis à la disposition de la production nationale à travers, notamment, le Réseau de transport d'électricité, qui a fait un appel d'offres. Nous avons conclu un contrat avec ce dernier qui est rémunéré non pas au mégawattheure produit, mais à la puissance mise à disposition. L'acteur est rétribué afin de maintenir en veille des équipements de production et de démarrer la production lorsqu'on le lui demande.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Comme M. Vial, j'avais compris que le système de chaleur de la cogénération était utilisé pour pourvoir à une demande ponctuelle de chauffage et que lorsque celle-ci était moindre, on produisait plus d'électricité. En réalité, votre activité comporte la cogénération. À côté de cela, des usines au fioul sont utilisées en période de pointe. Votre rémunération est fonction non pas du prix de production, mais de la capacité de production.

M. Franck Lacroix. - Absolument, monsieur le rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Est-ce vous qui avez remporté l'appel d'offres RTE breton ? Pourquoi vous êtes-vous porté candidat ? Ce n'est pas votre métier de base.

M. Franck Lacroix. - Nous disposons d'un patrimoine d'équipements technologiques qui était précédemment utilisé sous une autre forme. Celui-ci étant devenu disponible, il fallait le remettre sur le marché. De plus, notre savoir-faire en qualité de gestionnaire de cogénération nous amène à avoir des techniciens, des opérateurs, des dispositifs de maintenance préventifs qui nous permettent d'agir avec la meilleure efficacité.

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez évoqué précédemment la vertu de l'efficacité énergétique et l'enjeu relatif au CO2. S'il est bien une négation de cela, ce sont les centrales thermiques, que vous venez de nous présenter.

M. Franck Lacroix. - Non ! L'optimisation d'une part, d'un mix énergétique et, d'autre part, des pointes pour recourir le moins possible à de telles installations est évidemment une nécessité. Or nombre de nos installations, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, sont dotées d'outils de pointe ou de secours dont les vertus environnementales sont forcément moindres, mais dont le bilan est très faible en fin d'exercice parce que le taux d'utilisation est très réduit. Prendre une option mono-énergétique sur une installation donnée est un luxe et probablement une erreur.

L'une des vertus des installations que nous développons, à un échelon industriel, est de permettre, au niveau d'une ville, de faire des arbitrages entre plusieurs énergies dans les meilleures conditions économiques et environnementales. La création d'infrastructures collectives qui bénéficient de la cogénération, d'installations de biomasse, éventuellement d'installations de secours au gaz, permet d'apporter à nos clients la nécessaire garantie de flexibilité, en particulier lorsque les prix des énergies fossiles sont particulièrement fluctuants.

Sur le marché de capacité, notre volonté est d'atteindre un niveau de valorisation compatible avec la situation économique des installations, soit entre 40 euros et 50 euros du kilowatt.

Quant à l'énergie solaire, Dalkia n'a pas du tout pris part à ce marché. En revanche, nous sommes en train d'étudier l'optimisation énergétique globale d'une collectivité pour pouvoir avancer sur la question des réseaux intelligents, non seulement électriques mais également énergétiques complets. Nous nous penchons notamment sur notre capacité à stocker de l'énergie produite par le solaire sous forme thermique pour la restituer au meilleur moment.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. - Monsieur Lacroix, comment envisagez-vous l'avenir de la cogénération si celle-ci n'est plus soutenue ? Allez-vous néanmoins pouvoir continuer à produire ?

Par ailleurs, quel différentiel existe-t-il entre le prix de l'électricité classique et celui de l'électricité produite par cogénération ? In fine, le consommateur observe-t-il une différence ?

M. Franck Lacroix. - Pour ce qui concerne les cogénérations, le marché français est assez atypique, car nous développons dans les autres pays européens des cogénérations bénéficiant des dispositifs de soutien de différentes natures. La puissance que nous exploitons en la matière est bien supérieure à l'international qu'en France.

À défaut de dispositif de soutien à la cogénération, celle-ci va s'arrêter en France. C'est aussi simple que cela !

Aujourd'hui, y compris sur les sites industriels, nombre de grosses installations font l'objet de scénarios de démantèlement. Les équipements vont être réutilisés en Slovaquie ou en Pologne. Dans ce dernier pays, nous venons de prendre la responsabilité du réseau de chaleur de Varsovie, le plus grand de la Communauté européenne actuellement en service. Nous prévoyons d'installer de grosses unités de cogénération qui produiront une partie de la chaleur de Varsovie et alimenteront en électricité le réseau national à hauteur d'un peu plus de 150 mégawatts.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Y a-t-il un tarif d'obligation d'achat ?

M. Franck Lacroix. - Non, monsieur le président ! En revanche, il existe un dispositif incitatif - les certificats rouges -, qui consiste à donner un complément de revenu à celui qui produit de l'électricité issue de la cogénération. Le système est un peu comparable à celui de la CSPE : les producteurs d'électricité doivent disposer d'un certain nombre de certificats rouges qui sont produits par la cogénération.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Lacroix, je serais ravi d'avoir des informations sur le prix de rachat pratiqué en Pologne et en Hongrie.

M. Franck Lacroix. - Je vous les ferai parvenir, monsieur le président. Il existe toutefois une nuance : la Hongrie a récemment diminué de manière assez considérable son dispositif.

J'en reviens à la question de Mme Schurch. Le prix du mégawattheure d'électricité de la cogénération gaz s'élève à 110 euros.

Mme Mireille Schurch. - Et par rapport au prix pratiqué par un fournisseur classique d'électricité ?

M. Franck Lacroix. - Le prix de l'électricité produite par la cogénération est calé sur celui de l'électricité provenant d'un cycle combiné. Par rapport à la production d'une technologie au gaz comparable, le prix est le même. C'est d'ailleurs ainsi que la mécanique des contrats d'obligation d'achat a été élaborée.

L'économie liée aux économies d'énergie primaire concerne essentiellement la chaleur. Ceux qui bénéficient de la chaleur soit à travers le réseau, soit sur les sites industriels, profitent d'une économie de chaleur assez substantielle, qui peut aller de 10 % à 20 %.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Lacroix, je souhaite connaître votre avis sur ce qui s'est passé à Bruxelles à propos de la directive Efficacité énergétique, qui vous concerne totalement. Elle comporte deux volets importants. Le premier vise l'efficacité énergétique, notamment l'obligation de réaliser chaque année dans tous les bâtiments publics 3 % d'investissements en faveur des économies d'énergie. Le second volet a trait, si je puis dire, à la cogénération à l'envers. Il prévoit l'obligation pour tous les pays européens, à côté des centrales électriques, de produire de la chaleur.

Cette pauvre directive a été laminée en deux temps. D'une part, seuls les bâtiments d'État devaient réaliser 3 % d'investissements afin d'économiser de l'énergie. Pour ce qui concerne la cogénération, nombre de pays y sont réticents, à juste titre d'ailleurs. En effet, il s'agit des pays qui en ont le moins besoin. La France, l'Espagne et le Portugal, notamment, ont demandé que tous les pays ne soient pas traités de la même manière dans le chapitre de la directive relatif à la cogénération. Selon moi, c'est logique. Pourquoi exiger des pays méditerranéens, qui n'ont pas forcément besoin de chaleur, de disposer, en plus des centrales électriques, de cogénération chaleur ? À l'inverse, le demander aux pays d'Europe centrale, dans lesquels vous êtes particulièrement performants, n'est peut-être pas illogique.

M. Franck Lacroix. - Le projet de directive nous concerne directement parce qu'il vise les deux axes fondamentaux de nos activités.

Nous sommes très sensibles à la diversité des situations des pays dans lesquels nous nous développons. Je pense que vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Il faut prendre en compte le mix énergétique du pays, regarder si des infrastructures collectives existent ou non. Comment comparer la France à un pays d'Europe centrale, par exemple ? Je vous l'ai indiqué, à Varsovie, pour le chauffage, 80 % des bâtiments sont connectés au réseau de chaleur, alors que, respectivement en France, en Allemagne et en République tchèque, 5 %, plus de 15 % et 30 % le sont.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est le poids de l'histoire !

M. Franck Lacroix. - Vous avez tout à fait raison, monsieur le rapporteur !

Les efforts à réaliser et les politiques à développer doivent s'inspirer de la réalité opérationnelle.

Ce que nous faisons en France est ambitieux et bien orienté. Nous avons compris qu'il était nécessaire de créer des infrastructures collectives pour développer des schémas énergétiques cohérents dans nos villes ou nos sites industriels, que nous pourrions peut-être ainsi réconcilier. Nous pourrions faire en sorte que les villes se dotent d'infrastructures pour se chauffer, pour diffuser de la climatisation, compatibles avec les sites industriels qui se trouvent à proximité. Elles pourraient récupérer de l'énergie ou avoir un pilotage énergétique intelligent. Les objectifs que nous nous sommes fixés, notamment à propos des réseaux de chaleur, nous permettent d'avancer à pas cadencés.

Pour ce qui concerne la cogénération, la France est peut-être réticente à dépenser. En réalité, les cogénérateurs demandent que soit compris l'intérêt particulier de la cogénération et que soit maintenu un dispositif de soutien sans commune mesure avec celui qui existait par le passé. Antérieurement, les aides s'élevaient entre 700 millions et 900 millions d'euros par an. À l'horizon 2015, les cogénérateurs ciblent une charge annuelle de l'ordre de 200 millions à 250 millions d'euros. Cela prend bien en compte la réalité de notre pays.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Lacroix, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Audition de Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.

Madame Schwarz, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous ne pouviez d'ailleurs pas refuser : vous êtes obligée de vous présenter devant une commission d'enquête...

Cette commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques a été demandée par le groupe écologiste et acceptée par le Sénat.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Madame Schwarz, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(Mme Virginie Schwarz prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie.

Comme cette audition fait l'objet d'un enregistrement, je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a préalablement adressées de manière que vous puissiez préparer cette audition. Vous y répondrez aussi longtemps que vous voudrez. Toutefois, laissez-nous aussi le temps de vous poser des questions complémentaires.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Schwarz, je rappelle les six questions que nous vous avons adressées.

Première question, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités, s'agissant en particulier des certificats d'économie d'énergie ?

Deuxième question, pensez-vous que les mécanismes actuels d'incitation aux économies d'énergie, chez les particuliers, sont efficaces ? Quel jugement portez-vous sur les différentes incitations fiscales ? On entend parfois dire que le bénéfice des économies d'énergie est capté par des intermédiaires, qui pratiqueraient des taux de marge très importants, au détriment des propriétaires : êtes-vous d'accord avec cette affirmation ? Quelle devrait être la répartition des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement ?

Troisième question, quel jugement portez-vous sur la réglementation thermique 2012 ? Estimez-vous qu'elle est favorable ou défavorable au chauffage électrique ? Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? Comment gérer et mieux réguler le stock d'installations de chauffage électrique existant ? Avez-vous les chiffres de la répartition par type de chauffage de la population ? Et parmi les « précaires énergétiques » ?

Quatrième question, quel jugement portez-vous sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables : tarifs de rachat, incitations fiscales, etc. ? Pensez-vous que le soutien à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables devrait reposer sur l'ensemble de la filière énergétique, et pas seulement sur la filière électrique ?

Cinquième question, quels sont les principaux axes de recherche défendus par l'ADEME en ce qui concerne les énergies renouvelables ? Quel jugement portez-vous sur les techniques de stockage d'énergie, et en particulier sur la méthanation ?

Sixième et dernière question, les fonctionnalités du compteur Linky vous paraissent-elles optimales ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, certaines questions sont très précises et je ne doute pas que Mme Schwarz y réponde de façon détaillée. D'autres, en revanche, sont plus subjectives. Or, comme vous le savez, certains objectifs sont fixés par le Gouvernement et l'ADEME est une agence de l'État. Par conséquent, il ne sera pas toujours facile à Mme Schwarz, en tant que directrice exécutive des programmes, de répondre à l'ensemble de vos questions.

Madame Schwarz, vous avez la parole.

M. Jean Desessard, rapporteur. - On vous excuse déjà, madame la directrice !

Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Madame, messieurs les sénateurs, la première question que vous m'avez posée porte sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités.

Le premier constat que je peux établir, c'est qu'il existe malheureusement peu de dispositifs incitatifs aux économies d'énergie pour cette cible-là.

Sur les certificats d'économie d'énergie, qui étaient également évoqués dans la question, l'ADEME porte une appréciation très positive ; je pourrai y revenir. Il me semble que ce dispositif a porté ses fruits sur la cible prioritaire qui lui avait été initialement attribuée, c'est-à-dire les particuliers. En revanche, il a eu un impact limité pour les entreprises et les collectivités. Lors de la première période, seulement 7,8 % des certificats d'économie d'énergie ont concerné l'industrie et 6,3 % le tertiaire. C'est le secteur résidentiel qui, avec presque 84 % des certificats d'économie d'énergie, a concentré l'ensemble des effets de ce mécanisme.

Il existe cependant quelques dispositifs, d'une ampleur limitée, soutenus par l'ADEME, par exemple l'aide aux audits énergétiques dans les entreprises, par le financement d'études d'aide à la décision devant permettre aux entreprises d'évaluer les bénéfices qu'elles pourraient tirer d'opérations d'investissements pour réduire leur consommation. Il s'agit d'un dispositif efficace, avec un taux de passage à l'acte - de l'aide à la décision jusqu'à la décision elle-même - qui se situe entre 70 % et 90 %, selon les années. Toutefois, cela ne concerne qu'un millier de projets chaque année, entre l'industrie et le tertiaire.

Ce dispositif des audits est reconnu dans de nombreux pays. Le projet de directive européenne sur les services d'efficacité énergétique, dite « ESD2 », propose de les rendre obligatoires. Cela me semble intéressant.

C'est l'absence, ou la quasi-absence, de dispositifs incitatifs à destination des entreprises qui a conduit l'ADEME, dans le cadre de la Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, à proposer la mise en place d'un crédit d'impôt destiné aux PME pour les accompagner dans la réalisation d'actions d'économie d'énergie, avec un champ très large : actions sur le bâtiment, le process, le transport, etc.

Aujourd'hui, le contexte budgétaire n'est évidemment pas favorable aux actions de type crédit d'impôt. L'ADEME a proposé ce dispositif parce que des propositions de recettes existaient parallèlement permettant d'équilibrer l'ensemble. C'est l'une des mesures qui a reçu le soutien le plus marqué de la part des entreprises ayant participé à cette table ronde.

La deuxième question porte sur les dispositifs d'incitation aux économies d'énergie chez les particuliers. Ils sont beaucoup plus nombreux et d'une ampleur bien plus importante. Le premier d'entre eux est le crédit d'impôt développement durable, le CIDD.

Monsieur le président, vous avez eu la gentillesse de me mettre à l'aise en précisant que j'étais dans une position un peu difficile. Néanmoins, dans la mesure où les évaluations du crédit d'impôt développement durable que l'ADEME réalise sont menées avec le ministère de l'environnement et le ministère des finances, et pour le compte de ces ministères, je ne trahirai pas mon devoir de fonctionnaire en livrant ces chiffres. En outre, je comprends que c'est l'exercice qui est imposé par la commission d'enquête.

Nous avons estimé que le crédit d'impôt développement durable, s'il était maintenu jusqu'en 2020 aux conditions de 2012, permettrait d'atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'environ 4,5 % des émissions du secteur résidentiel, pour un coût annuel d'environ 950 millions d'euros. Ce dispositif a donc à lui seul un effet significatif.

Les dispositions du crédit d'impôt ont été sensiblement modifiées ces dernières années. À titre d'illustration, si elles avaient été maintenues jusqu'en 2020, les conditions applicables en 2009 auraient permis, une réduction de 7,5 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel, pour un coût public annuel moyen de l'ordre de 1,6 milliard d'euros. Certes, ce sont des montants importants, mais il faut les mettre en regard avec une importante augmentation du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment, de près de 4 milliards d'euros.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous avez fait l'évaluation ?

Mme Virginie Schwarz. - Oui, avec le modèle Menfis qui a été développé et fait l'objet de travaux communs entre le ministère de l'écologie, le ministère des finances et l'ADEME.

Le second dispositif qui est proposé aux ménages pour les inciter à réduire leur consommation d'énergie, c'est l'éco-prêt à taux zéro, l'éco-PTZ. Alors que le CIDD a été largement utilisé - presque trop même, puisque c'est ce qui a conduit à en revoir les conditions d'attribution -, l'éco-prêt à taux zéro a du mal à se développer : en 2010, environ 75 000 éco-PTZ ont été distribués, contre moins de 10 000 par trimestre en 2011 - l'ADEME ne dispose pas encore des chiffres du dernier trimestre 2011.

On observe que les banques, qui sont le canal de distribution de cet éco-prêt à taux zéro, le proposent peu à leurs clients. Elles avancent que c'est un produit complexe, pour lequel on leur a demandé de jouer non seulement leur rôle de banquier, mais aussi un rôle d'instruction,...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Un rôle d'information.

Mme Virginie Schwarz. - Oui.

... puisqu'elles sont chargées d'examiner l'éligibilité des dossiers. Selon elles, les coûts et la complexité de cette instruction ne sont pas couverts par les compensations versées par l'État.

Dans ce contexte, les propositions formulées par le « Plan bâtiment Grenelle » sur la révision des modalités d'attribution de l'éco-prêt à taux zéro nous paraissent particulièrement intéressantes. Il s'agit de libérer les banques de ces tâches d'instructions techniques pour lesquelles elles sont mal armées pour les confier soit à des tiers certificateurs, soit à des entreprises du secteur du bâtiment réalisant des travaux, pour autant que leurs qualifications et leurs compétences aient été validées par la mention « Reconnu Grenelle environnement », sur laquelle je reviendrai.

Le CIDD et l'éco-PTZ sont donc des dispositifs importants, mais qui connaissent des succès variables.

De manière générale, sur ces deux dispositifs, ce qui importe, c'est presque autant leur stabilité que leur niveau. Les évolutions successives du crédit d'impôt développement durable - celles qui concernent notamment le photovoltaïque ont fait beaucoup parler d'elles et ont paru très brutales au grand public - ont rendu les particuliers très hésitants. Nous savons par les contacts que nous pouvons avoir, notamment au travers des espaces info-énergie, que les particuliers hésitent aujourd'hui à recourir au crédit d'impôt, parce qu'ils n'en comprennent pas les règles et craignent qu'elles ne changent, alors qu'il était auparavant considéré comme un outil reconnu, fiable et pérenne sur lequel les professionnels s'appuyaient fortement pour promouvoir les économies d'énergie. La stabilité paraît l'un des critères de succès de ces dispositifs.

Il nous paraît également indispensable d'assurer la qualité des travaux aidés. Une polémique a pu naître sur l'idée que le crédit d'impôt avait pu inciter les particuliers à entreprendre des travaux qui finalement n'ont pas été réalisés dans de bonnes conditions. Le principe de conditionnalité des aides publiques à la qualification des entreprises, accepté par le Gouvernement l'année dernière, mais qui reste à traduire de manière opérationnelle, nous semble important.

C'est dans cet esprit que l'ADEME, avec le ministère de l'écologie, a mis en place l'année dernière la mention « Reconnu Grenelle environnement », qui permet de distinguer facilement les entreprises répondant à un certain nombre de critères de qualités : avoir suivi des formations, reçu une qualification par un organisme reconnu par le Comité français d'accréditation, le COFRAC, fait l'objet d'un contrôle sur site pour vérifier que les chantiers sont réalisés dans de bonnes conditions, etc. Tous ces critères nous paraissent importants pour l'image du crédit d'impôt.

Une question spécifique a été posée sur le captage du bénéfice des économies d'énergie par des intermédiaires. Nous ne pouvons que constater et regretter que, sur certaines filières - je pense en particulier au solaire thermique et aux pompes à chaleur -, alors que le marché s'est développé de façon très rapide, ce qui aurait dû entraîner une baisse des prix, la baisse dont les consommateurs finaux auraient dû bénéficier a profité à d'autres acteurs du dispositif. Cela a été particulièrement vrai à un moment pour les pompes à chaleur. L'interrogation demeure aujourd'hui sur le solaire thermique, ce qui nous amène à entreprendre un travail particulier sur cette filière en 2012.

Pour les particuliers, le système de certificat d'économie d'énergie nous semble un dispositif ayant fait ses preuves. La première période, entre 2006 et 2009, a permis de dépasser largement les objectifs qui avaient été fixés par les pouvoirs publics. On estime qu'aujourd'hui près de 70 % des objectifs de la seconde période qui va se terminer fin 2013 sont d'ores et déjà atteints. Les évaluations que nous avons pu réaliser sur la première période montrent un effet déclencheur important de ce dispositif, avec des coûts faibles.

En outre, un rapport vient d'être réalisé pour la direction générale énergie de la Commission européenne sur l'ensemble des dispositifs similaires en Europe. Il confirme que, dans tous les pays européens qui ont mis en place ce type de mesures, le bilan est positif. Les quantifications sont parfois très précises. Ainsi, dans le cas anglais, le système de certificats d'économie d'énergie mis en place a permis d'obtenir neuf fois plus de résultats que la simple augmentation des prix correspondante. Certes, le système a un coût faible, ce qui conduit à une augmentation faible des prix et si l'on avait simplement augmenté les prix, cela se serait aussi traduit par des économies d'énergie, mais le système de certificats d'économie d'énergie a un indéniable effet multiplicateur.

Dans aucun pays, les fournisseurs soumis au dispositif n'ont eu à payer de pénalités. C'est une réponse à la critique parfois avancée selon laquelle il s'agirait d'une taxe déguisée. Dans tous les pays, les fournisseurs ont pu atteindre leurs objectifs, au prix de transformations de leur modèle économique et de création de nouvelles activités de services et de conseils aux particuliers.

Une question spécifique a trait à la répartition des coûts et des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement. Sur ce sujet, l'ADEME a été associée par les ministères au travail qui a conduit à la mise en place de dispositions en vigueur depuis fin 2009 et qui, sur le principe, nous paraissent toujours pertinentes. Cependant, nous constatons qu'elles semblent avoir été peu utilisées et, pour notre part, nous ne disposons ni d'évaluation, ni d'un bilan réel de l'utilisation de ces dispositions, ni d'explications sur la faiblesse de leur utilisation.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous parlez de l'utilisation par le propriétaire de ce dispositif et de sa répercussion sur le prix des loyers ?

Mme Virginie Schwarz. - Oui.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pourquoi cela ne marche-t-il pas très bien ? Que faudrait-il faire d'autre ?

Mme Virginie Schwarz. - Nous avons longtemps pensé que la question du partage des coûts entre le propriétaire et le locataire constituait l'un des freins majeurs à l'investissement dans les logements locatifs, et nous pensions l'avoir levée. Pourquoi cela n'a-t-il pas suffi à déclencher les travaux ? Les causes sont-elles encore ailleurs ? Sur ce sujet, nous ne disposons pas d'évaluation spécifique.

J'en viens à la réglementation thermique 2012, ou RT 2012. Je le dis de façon nette : toutes les études et concertations auxquelles nous avons participé, tous les travaux que nous avons reçus nous incitent à penser que la RT 2012 est équitable par rapport aux sources d'énergie, aussi équitable qu'une réglementation peut l'être. Un travail approfondi de quantifications et de scénarios a été mené pour vérifier que, sur chaque type de logements, une solution pouvait être trouvée avec chaque type d'énergie à un coût acceptable et qu'aucune énergie n'était systématiquement favorisée ou défavorisée. Des dérogations ont même été mises en place, lorsque des difficultés ont été constatées, par exemple sur les petits logements collectifs chauffés avec de l'eau chaude sanitaire électrique, pour lesquels il avait été constaté, lors des études, que les technologies étaient encore un peu chères. Une dérogation jusqu'à 2015 a été accordée de manière à rétablir l'équilibre entre les énergies. Il nous semble vraiment que le travail a été réalisé de façon équitable.

« Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? » L'ADEME n'a aucune raison de le penser. Ses missions portent sur les économies d'énergie et les économies renouvelables dans le domaine de l'énergie. Aujourd'hui, avec cette réglementation thermique nouvelle, les exigences de performance énergétique qui sont imposées au chauffage électrique sont exactement identiques à celles des autres énergies. Dans la mesure où il s'agit d'une exigence en valeur absolue, on aboutit au même résultat.

Par conséquent, l'ADEME n'a aucune raison de préférer ou de moins aimer tel ou tel mode de chauffage, même si, bien sûr, elle comprend et entend les difficultés que peuvent rencontrer d'autres acteurs du système électrique sur l'impact sur les réseaux, sur la sensibilité thermique. Aujourd'hui, sur ce sujet, nous ne disposons pas d'éléments.

La seule raison qui pourrait conduire l'ADEME à s'interroger sur la place du chauffage électrique, c'est la question de la pointe. Aujourd'hui, aucune étude ne démontre très clairement que les émissions du chauffage électrique, en incluant ces questions de pointe, seraient très supérieures à celles du chauffage au gaz ; nous continuons à y travailler. À l'inverse, dans le cadre des travaux que nous menons sur les bilans de gaz à effet de serre, nous nous penchons sur le contenu carbone de l'électricité et le contenu par usage du chauffage électrique, différent du contenu moyen qui est calculé en tenant compte de la saisonnalité des usages. Le contenu carbone du chauffage électrique ne paraît pas très différent de celui du chauffage au gaz.

Nous disposons des chiffres de l'année 2010 sur la répartition des types de chauffage. Pour les résidences principales, la part du gaz est de 44 %, celle de l'électricité est de 33 %, celle du fioul est de 14,6 %, celle du chauffage urbain est de 4 %, celle du bois est de 3,6 %, celle du charbon est de 0,3 %. Ces études sont réalisées de manière régulière par le Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie, le CEREN, avec un financement de l'ADEME.

Nous suivons également de façon régulière l'évolution de la part des différentes solutions de chauffage dans le neuf. Le parc est une chose, mais le neuf en est une autre. On observe que, globalement, la part du chauffage électrique a eu tendance à décroître entre les années 1992-93 et 2003, atteignant à peu près 33 % dans les maisons, contre 44 % dans les appartements. Elle a fortement augmenté entre 2003 et 2007-2008, 73 % dans les maisons et 57 % dans les appartements. Depuis, elle a tendance à baisser légèrement. Ainsi, en 2010, elle est de 65 % dans les maisons neuves et de 49 % dans les appartements neufs. Dans les périodes les plus récentes, les pompes à chaleur représentent à peu près un tiers des installations dans les logements neufs.

En revanche, nous ne disposons pas de chiffres spécifiques sur les ménages précaires aujourd'hui. C'est l'un des objectifs assignés à l'Observatoire national de la précarité énergétique, qui a été mis en place l'année dernière avec les pouvoirs publics, les principales structures s'intéressant à la précarité et les énergéticiens : fournir davantage de données, rassembler celles qui existent et réaliser des enquêtes complémentaires pour nous transmettre des résultats.

Sur le chauffage électrique, je vais un petit peu plus loin que la question qui m'a été posée. Je vous ai communiqué les éléments dont nous disposions aujourd'hui. Sur la part du chauffage électrique, nous essayons aussi de savoir ce que pourrait être demain. Il nous semble qu'il existe quelques facteurs structurels qui font qu'à moyen et long termes le chauffage électrique, sous toutes ses formes, devrait conserver une place non négligeable. Cela est dû, bien sûr, à son coût d'investissement faible, mais aussi à sa capacité à offrir des solutions de très petite puissance.

Dans les logements dont les besoins de chauffage vont être très fortement réduits et dont la consommation va baisser, en particulier pour le neuf et pour l'ancien bien rénové, on cherchera des solutions offrant des très petites puissances ; par conséquent, les solutions qui présenteront des coûts d'investissement faibles seront privilégiées. Structurellement, cela peut militer en faveur du chauffage électrique.

Se pose également la question de la capacité à produire aussi du froid. On assiste à une demande croissante de climatisation, de solutions de rafraîchissement. La capacité de l'électricité à produire à la fois du chaud et du froid risque d'être un avantage compétitif dans les années à venir.

J'en viens maintenant aux énergies renouvelables. Parmi les principaux mécanismes de soutien, j'en citerai trois : l'obligation d'achat sous forme de tarif, les appels d'offres, le crédit d'impôt développement durable pour les particuliers.

De notre point de vue, en matière d'électricité, les tarifs d'achat restent la meilleure solution pour développer et diffuser une filière d'énergies renouvelables. Les expériences qui ont été menées en France comme ailleurs montrent que, pour créer une dynamique de développement, de croissance et de développement large d'une filière, le tarif d'achat semble la meilleure solution, pour ne pas dire la seule, en termes de volume comme de prix.

L'étude de la Commission européenne, réalisée en 2006, a notamment bien montré que, contrairement à ce que l'on peut parfois imaginer, les solutions d'appel d'offres ne conduisent pas à des coûts inférieurs aux solutions de tarif d'achat. Nous venons d'en avoir l'illustration en France : l'appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur le photovoltaïque, qui porte sur 120 mégawatts, vient d'être clos. Or l'offre ne permet d'en atteindre que la moitié. En outre, au regard des informations à notre disposition - il faudrait que la CRE le confirme -, le prix pour les lauréats serait de 229 euros le mégawattheure, alors que le tarif est à 213,7 euros le mégawattheure.

Cela étant, le tarif est un instrument de politique publique qui nécessite une régulation fine, des mécanismes d'ajustement des quantités, si l'on veut en contrôler les coûts. Ce fut le cas avec le photovoltaïque.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Le « stop and go » !

Mme Virginie Schwarz. - Pour éviter les politiques de « stop and go », il faut pouvoir anticiper, définir des trajectoires et déterminer à l'avance des règles du jeu. Dans ce domaine aussi, la continuité des politiques et leur visibilité sont au moins aussi importantes que leur niveau.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Bien sûr !

Mme Virginie Schwarz. - Associées à la confiance que les tarifs d'achat permettent de donner aux investisseurs, elles sont l'une des clés du succès des tarifs d'achat. Des tarifs d'achat établis avec du « stop and go » finissent par ressembler à des appels d'offres, en tout cas par en avoir les défauts.

Je souhaite insister sur un point. Le tarif d'achat présente un double avantage. Il permet d'améliorer non seulement la rentabilité du projet, en lui apportant une aide financière, mais également l'accès au marché aux producteurs.

On le voit aujourd'hui avec le débat sur certaines productions amorties, par exemple l'hydraulique. Pour un producteur d'énergies renouvelables, il n'est pas nécessairement simple d'avoir accès au marché et de vendre son électricité, même si son coût de revient est compétitif : il est petit, son électricité est plus fluctuante que celle d'une importante centrale à gaz, il ne bénéficie pas forcément d'une image de professionnalisme auprès de certains clients. Par conséquent, même si son prix est intéressant, il aura du mal à trouver des clients. C'est là que le dispositif de tarif d'achat joue un double rôle : donner accès au marché et améliorer la rentabilité.

Il y a là matière à réflexion pour l'avenir. En effet, de plus en plus d'installations ne pourront légitimement plus bénéficier de subventions financières de l'État et il faudra trouver des solutions pour les aider à mettre leur électricité sur le marché. La directive européenne Énergies renouvelables a prévu un accès prioritaire au réseau des énergies renouvelables, sans que le sens donné à cette priorité soit toujours très clair. Il faudra peut-être y remédier.

Pour les énergies renouvelables, le crédit d'impôt a beaucoup été utilisé pour financer du photovoltaïque, avec un cumul avec le tarif d'achat qui, de notre point de vue, a parfois relevé de l'effet d'aubaine. L'ADEME l'a souvent souligné : cela s'est fait au détriment d'autres types d'installations d'énergies renouvelables, en particulier le bois ou le solaire thermique. Nous le regrettons, sachant que ces filières ne bénéficient pas, elles, de soutiens équivalents à ceux du tarif d'achat.

J'ajouterai un dernier mot sur la comparaison des différents dispositifs. Bien sûr, cette commission d'enquête s'intéresse à l'électricité et, sur les énergies renouvelables, les questions d'électricité et de chaleur sont toujours très liées. Par exemple, on s'interroge sur l'opportunité de faire reposer les coûts des énergies renouvelables électriques sur l'ensemble de la filière énergétique, mais on pourrait le faire aussi pour les énergies renouvelables thermiques qui bénéficient aujourd'hui du soutien du Fonds chaleur renouvelable grâce à un financement de l'État. Du coup, il a bien du mal à augmenter, ou même à ne pas baisser, et nous sommes loin des trajectoires qui avaient été imaginées par le Grenelle de l'environnement. Or, quand on compare le coût par tonne d'équivalent pétrole, ou TEP, renouvelable produite des deux dispositifs, on estime le coût à 20 euros par TEP sur les grands projets nationaux financés par le Fonds chaleur, contre 200 euros à 400 euros - dix à vingt fois plus - sur les appels d'offres biomasse de la CRE.

Sur la recherche et développement en matière d'énergies renouvelables, l'ADEME s'est fixé principalement trois axes de recherche : d'abord, la réduction des coûts et l'augmentation des rendements ; ensuite, tout ce qui favorise l'intégration dans le système électrique - prévisions, ressources, connaissance de la ressource, gestion de l'intermittence - ; enfin, la qualité environnementale des énergies renouvelables, par exemple le contenu carbone. Nous avons notamment montré l'écart entre le contenu carbone d'un panneau photovoltaïque produit en Chine et celui d'un panneau produit en France.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Et alors ?

Mme Virginie Schwarz. - On note un rapport de un à dix environ.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est-à-dire ?

Mme Virginie Schwarz. - Le panneau photovoltaïque produit en France a un contenu carbone sept à dix fois plus faible que celui qui est fabriqué en Chine, puisque l'électricité est très carbonée en Chine et qu'il faut beaucoup d'électricité pour produire un panneau photovoltaïque.

Voilà un de nos axes de recherche : essayer de baisser ces empreintes environnementales. Si les énergies renouvelables présentent beaucoup d'avantages, elles ne sont pas exemptes de défauts et nous essayons de les améliorer.

Le stockage et les smart grids sont également deux axes de recherche importants.

Pour l'ADEME, le stockage constitue un enjeu majeur en matière d'intégration des énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous explorons tous les types de solutions de stockage, mais aucune piste ne se dégage. Le coût reste une difficulté majeure pour envisager une intégration à grande échelle du stockage.

La question de la méthanation que vous avez soulevée, et qui est aujourd'hui mise en avant par Gaz de France, peut présenter un intérêt comme stockage d'électricité fatale. Cette question concerne davantage les Allemands, dont l'éolien produit parfois au-delà des besoins, que la France qui n'a pas pour l'instant énormément d'électricité fatale. Néanmoins, dans la mesure où la question pourrait se poser, nous examinons cette solution.

En matière de stockage, au-delà de la question de la recherche et des coûts, la question des tarifs d'utilisation des réseaux sera cruciale. Le tarif d'utilisation des réseaux de transport est aujourd'hui construit de telle manière que le recours à grande échelle au stockage devient quasiment impossible, puisque les coûts d'injection et de soutirage du réseau sont tout à fait insupportables dans un modèle économique de stockage. Sur ce point, nous sommes face à une véritable difficulté.

Je terminerai en évoquant le compteur Linky. L'ADEME n'a pas vocation à s'exprimer sur l'ensemble des fonctionnalités de ce compteur, qui apporte des services multiples au réseau électrique. Il devrait apporter certaines améliorations pour l'intégration des énergies renouvelables. En revanche, les fonctionnalités actuelles ne permettront pas, à elles seules, la réalisation d'économies d'énergie. Le dispositif compte, mais cela ne suffit pas. La question de l'information du consommateur et de l'interaction entre le compteur et le consommateur pour l'inciter à réduire sa consommation reste aujourd'hui ouverte.

L'ADEME continue de militer, puisque le sujet n'est pas clos, pour qu'à l'occasion du déploiement de Linky soit systématiquement et gratuitement proposée à chaque consommateur une solution d'information sur sa consommation en temps réel. Ce peut être recevoir un SMS, une information sur son téléviseur, avoir un afficheur déporté dans sa cuisine. Il existe aujourd'hui un éventail de solutions techniques et organisationnelles permettant de donner au consommateur cette information qui peut lui permettre d'agir pour réduire sa consommation d'énergie. Ce débat reste lancé dans d'autres pays et à l'échelon européen où la directive européenne « ESD » pourrait aller vers une exigence d'information du consommateur.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie. Vous ne vous en êtes pas trop mal sortie : vous avez tout de même porté un jugement, répondant en cela à la demande du rapporteur, et ne vous êtes pas contentée de nous fournir des explications techniques.

Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions ou des informations complémentaires sur l'une des questions que vous avez posées ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pas pour l'instant, monsieur le président.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. - J'ai deux questions.

Ma première question porte sur les déchets. On a construit beaucoup de panneaux photovoltaïques, on aura des éoliennes, etc. Comment réfléchissez-vous à cette problématique ? Comment peut-on en calculer l'impact dans la filière ?

Ma deuxième question concerne la fameuse filière photovoltaïque qui n'était pas construite en France. N'est-ce pas une leçon pour l'avenir ? Avant de lancer une filière et de la promouvoir, encore faut-il la construire. On l'a vu, et vous l'avez rappelé, les panneaux sont construits en Chine ou ailleurs et non en France. Pour les éoliennes, c'est un peu la même chose.

Mme Virginie Schwarz. - La question des déchets fait aujourd'hui l'objet d'un certain nombre de travaux, notamment sur le photovoltaïque, pour inciter les producteurs et les installateurs de panneaux à s'inscrire dans des démarches de recyclage. Une association européenne a été créée pour mettre en place la filière de récupération et de recyclage des panneaux photovoltaïques : il s'agit d'une filière facultative sur la base du volontariat. L'ADEME suggère la mise en place d'une filière obligatoire, qui viserait à élargir la responsabilité des producteurs et permettrait d'assurer un recyclage systématique.

Sur les éoliennes, certaines mesures se mettent en place. La quantité de terres rares dans les éoliennes fait qu'un certain nombre d'acteurs industriels voient un intérêt au recyclage des éoliennes et sont relativement actifs sur le sujet.

En matière de développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics poursuivent en général plusieurs objectifs à la fois : des objectifs environnementaux, notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des objectifs d'indépendance énergétique et de sécurité d'approvisionnement et des objectifs de développement de l'emploi et d'activités économiques. Les deux premiers objectifs sont en général relativement indépendants de l'origine des matériels, sauf dans certains cas très particuliers comme les panneaux photovoltaïques chinois. Des mesures semblables à celles qu'ont mises en place les Italiens pour limiter leur soutien aux installations produites en Europe permettent d'éviter les impacts environnementaux les plus négatifs.

J'en viens à la question de l'emploi et de la valeur ajoutée. La construction des installations représente des parts de valeur ajoutée variables selon les filières, mais celles-ci sont en général loin d'être importantes.

Ainsi, dans le photovoltaïque, on estime que moins de la moitié de la valeur ajoutée est liée à la construction du panneau lui-même. En revanche, un certain nombre d'autres équipements techniques sont nécessaires, notamment des onduleurs, qui, pour une bonne part, sont produits en France. Il faut en outre tenir compte de l'activité d'installation et de maintenance des panneaux. Évidemment, nous préférerions que l'ensemble de la valeur ajoutée soit française, mais, malgré la part des importations dans la filière photovoltaïque ou dans la filière éolienne, les parts de valeur ajoutée en France sont importantes.

Pour les nouvelles filières, nous essayons de soutenir la création d'activités en France. Je pense en particulier aux énergies marines, qui font l'objet de soutiens importants dans le cadre des investissements d'avenir. Grâce au soutien des industriels français, on peut espérer créer de véritables filières nationales.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la question des incitations financières et des captages des intermédiaires ? Vous avez pointé des abus sur les pompes à chaleur et peut-être encore aujourd'hui sur le solaire thermique. Que s'est-il passé ? Les installateurs ont-ils proposé des surcapacités par rapport aux besoins réels des particuliers ou y a-t-il eu de la triche dans les factures ?

Mme Virginie Schwarz. - Nous menons en 2012 une étude pour le savoir.

Nous constatons aujourd'hui que, à produit identique, le solaire thermique est quasiment deux fois plus cher en France qu'en Allemagne. Certes, il y a un effet de volume, mais cela n'explique pas tout.

Grâce aux mesures de crédit d'impôt, le marché des pompes à chaleur s'est beaucoup développé, passant de 20 000 machines à 170 000 machines. Or cela n'a quasiment eu aucun effet sur les prix. Quelquefois, cela peut s'expliquer par la hausse des matières premières. Mais, pour cette filière, rien ne justifie un tel constat.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous l'avez-vous-même rappelé, le succès des pompes à chaleur s'explique par la souplesse qu'elles offrent par rapport au chauffage électrique, puisqu'elles proposent à la fois du chaud et du froid.

Pourtant, on ne constate pas d'abus de la part des installateurs qui auraient proposé des pompes à chaleur trois fois plus puissantes que le besoin réel de la maison. En revanche, cela n'a pas eu d'effet économique, en entraînant une baisse de prix, c'est ce que vous reprochez.

Mme Virginie Schwarz. - En effet, il n'y a pas eu de baisse de prix, c'est le premier reproche que l'on peut formuler. Il est vrai que nous avons pu avoir connaissance de cas de surdimensionnements des installations, qu'il s'agisse des pompes à chaleur ou du solaire thermique, par rapport aux besoins. Pour l'instant, nous manquons d'éléments statistiques pour quantifier ces effets-là. J'espère que, d'ici à la fin de l'année, nous en aurons davantage.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. - Je souhaite prolonger la question de M. le président sur le problème de la captation ou des prix. La non-répercussion de la baisse des coûts sur les prix concerne surtout la filière photovoltaïque. Sur le thermique, vous constatez une différence de prix. Est-ce parce que les fabricants français sont de moins en moins nombreux ou le même produit est-il vendu plus cher en France qu'en Allemagne ?

Mme Virginie Schwarz. - Nous nous fondons sur la moyenne des produits vendus en France par rapport à la moyenne des produits équivalents vendus en Allemagne. Certes, on compte assez peu de producteurs français. Pour autant, cette différence de prix ne nous semble pas pouvoir s'expliquer par le fait que les producteurs français seraient plus chers. C'est bien dans l'ensemble de la filière que l'on note des positionnements de prix différents.

Sur le photovoltaïque, on a constaté un déséquilibre entre les baisses des coûts de production et les prix qui sont restés soutenus par des tarifs d'achat élevés.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je souhaite obtenir une précision qui ne concerne pas directement les travaux que nous menons dans le cadre de cette commission d'enquête.

En matière de stockage d'énergie, vous avez affirmé que nos besoins étaient moins forts qu'en Allemagne. Ce pays, en particulier en raison de l'éolien, connaît des surproductions et il lui est donc utile de stocker l'énergie. Je comprends cet argument.

Vous avez également souligné que les réseaux de transport n'étaient pas adaptés au stockage d'énergie. Pouvez-vous nous apporter rapidement des explications sur le sujet ? Si c'est trop compliqué ou trop technique, peut-être y reviendrons-nous à un autre moment.

Mme Virginie Schwarz. - Je vais tenter d'être plus précise.

Ce que j'ai dit sur les Allemands portait spécifiquement sur la méthanation. Finalement, il s'agit d'une très bonne manière d'utiliser l'énergie fatale : au lieu de la stocker dans des batteries, on la transforme en métal. C'est un très bon mode de stockage quand on a de l'électricité fatale. Dans le cas contraire, c'est moins pertinent ; or, aujourd'hui, la France en a peu.

M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est donc moins utile.

Mme Virginie Schwarz. - Le stockage sera, en France comme en Allemagne, un enjeu important pour le développement des énergies renouvelables.

Aujourd'hui, le tarif d'utilisation des réseaux est conçu uniquement pour les producteurs ou les consommateurs : ils paient un tarif d'injection dans le réseau ou un tarif de soutirage. Par définition, celui qui gère une capacité de stockage passera son temps à injecter et à soutirer. Il paiera donc les deux composantes du tarif, ce qui fera peser sur lui une charge économique très importante par rapport aux autres utilisateurs du réseau.

Aujourd'hui, notre analyse est la suivante : avec ces caractéristiques du tarif d'achat, il est très difficile de trouver un modèle économique pour le stockage. La Commission de régulation de l'énergie en est bien consciente. Nous avons un débat avec elle sur ce sujet et il nous faut trouver des solutions, si l'on veut que le stockage puisse se développer.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je vous remercie de cette précision.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pourriez-vous nous faire parvenir une information complémentaire concernant ces tarifs d'achat ? L'ADEME doit avoir un certain nombre d'éléments comparatifs sur les tarifs d'achat dans les autres pays européens. Pour nous, c'est intéressant, notamment pour comprendre l'évolution des tarifs.

Je m'explique. Nous souhaitons comprendre comment les pays qui ont aujourd'hui de l'avance sur nous en matière de solaire et d'éolien ont fait pour favoriser ces filières. Quels étaient les tarifs d'achat initiaux et au bout de combien de temps les efforts qu'ils ont déployés pour favoriser ces filières ont-ils diminué, puis cessé ? La même question se pose pour le photovoltaïque chez nos partenaires européens.

De telles informations seraient intéressantes pour nos travaux.

Mme Virginie Schwarz. - Je crains que nous n'ayons pas une vision complète de la question, mais nous vous ferons bien sûr parvenir les éléments dont nous disposons.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Schwarz, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions et d'avoir répondu à nos questions.

M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre de nouveau, s'il souhaite obtenir quelques informations complémentaires. N'en soyez pas surprise.

Mercredi 4 avril 2012

- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président -

Audition de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV)

M. Ladislas Poniatowski, président. - La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie.

Comme vous le savez, notre commission a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.

Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, madame Mader, afin d'entendre le point de vue de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, la CLCV, sur le sujet qui nous intéresse.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à Mme Reine-Claude Mader, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Madame Mader, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(Mme Reine-Claude Mader prête serment.)

M. le rapporteur va maintenant vous rappeler les questions qu'il vous a adressées à l'avance afin que vous puissiez préparer cette audition. Une fois que vous y aurez répondu, les membres de la commission d'enquête pourront être amenés à vous poser des questions complémentaires.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Mader, voici quelles sont mes quatre questions.

Premièrement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?

Deuxièmement, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?

Troisièmement, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et moyen termes, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro, etc. ?

Quatrièmement, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - 25 % - de la demande de pointe. Quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky et vous semble-t-il qu'il soit un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous semble-t-elle excessive ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Marie-Claude Mader.

Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. - Pour dire si le tarif régulé de l'électricité est, ou non, satisfaisant, encore faut-il savoir comment il est calculé. En tant qu'association de consommateurs, nous travaillons beaucoup sur l'énergie, nous menons des recherches, mais il ne nous est pas nécessairement facile de connaître la manière dont sont effectués ces calculs. Ce qu'il faut savoir, c'est que l'évaluation de 42 euros a été faite à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes. Pour notre part, nous trouvons ce tarif élevé, mais, je le répète, nous n'avons pas vraiment la possibilité de procéder à notre propre calcul.

En revanche, nous trouvons beaucoup plus inquiétante l'annonce de M. de Ladoucette selon laquelle les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter de 30 % d'ici à 2016. Nous nous demandons sur quels éléments repose cette prévision. En particulier, s'agissant de l'électricité d'origine nucléaire, nous avons constaté, après étude, qu'un certain nombre de calculs avaient été établis sans que soient nécessairement prises en considération les conditions dans lesquelles l'industrie nucléaire s'est développée jusqu'à présent. Par conséquent, nous sommes très réservés à l'égard de cette prévision. Surtout, nous nous inquiétons fortement pour les consommateurs particuliers d'une telle perspective de hausse, car ceux-ci souffrent déjà beaucoup de l'augmentation des prix de l'énergie. C'est un véritable problème, car l'énergie est une dépense largement incompressible pour les ménages.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La deuxième question portait sur l'imputation aux agents économiques des différents coûts de l'électricité.

Mme Reine-Claude Mader. - Il faut distinguer les consommateurs industriels des consommateurs particuliers. Aux premiers, le kilowattheure est facturé 0,06 euro hors taxes ; aux seconds, il est facturé 0,1 euro hors taxes. Cette clé de répartition entre les consommateurs particuliers et les consommateurs industriels est sans doute discutable.

Pour l'instant, et j'insiste sur ce point, le consommateur particulier n'a absolument aucun pouvoir de négociation. Il subit les règles qui sont fixées au niveau politique par les producteurs et ne dispose que d'une faible marge de manoeuvre.

Quand il reçoit sa facture, le consommateur considère avant tout son montant global. Celui-ci englobe l'abonnement, dont le montant est fixe, mais dont personne ne sait vraiment ce qu'il recouvre, la consommation, dont la tarification donne lieu à différents modes de calcul, la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, ainsi que les autres taxes et contributions - taxes locales, TVA, contribution tarifaire d'acheminement.

En préparant cette audition, je discutais avec un certain nombre de représentants de notre association, lesquels avaient bien du mal à faire une distinction entre les contributions et les taxes. Pour eux, une contribution c'est une taxe, et vice-versa.

Véritablement, c'est ainsi que les consommateurs appréhendent le coût de l'électricité plutôt qu'à partir de son prix de production, de transport et de distribution. Ils ne disposent pas des éléments d'appréciation nécessaires.

Nous avons trouvé un certain nombre d'informations dans le rapport de la Cour des comptes, notamment, mais, pour tout vous dire, je me suis demandé ce que vous entendiez par « se voir adresser le bon signal-prix ». Est-ce tout simplement un signal-prix tel qu'il conduirait les consommateurs à réduire leur consommation ?

En réalité, les gens sont très attentifs à leur consommation énergétique et ont même réduit celle-ci beaucoup plus qu'on ne le croit, en raison des contraintes qui pèsent sur leur pouvoir d'achat. C'est ce qui apparaît en particulier lorsque l'on s'entretient avec des consommateurs qui se chauffent à l'électricité depuis un certain nombre d'années.

À plusieurs reprises, j'ai participé aux travaux du Grenelle de l'environnement et je suis toujours très surprise que l'on puisse considérer que c'est uniquement en jouant sur le prix qu'on va pouvoir influer sur le comportement des consommateurs. Certes, cela joue, mais il faut aussi tenir compte de tous les efforts qui ont été faits jusqu'à présent, surtout en faveur des consommateurs qui disposent de revenus faibles ou moyens.

Par ailleurs, quand les logements souffrent d'un défaut d'isolation, il n'est guère facile, d'un coup de baguette magique, de remédier à cette situation.

Nous pensons également que les consommateurs pourraient être beaucoup mieux informés qu'ils ne le sont actuellement. Cela leur permettrait parfois de ne pas porter des jugements à l'emporte-pièce.

S'agissant des économies d'énergie par rapport à un bon signal-prix, cette approche me paraît assez problématique.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Si j'ai bien compris, pour la CLCV, il n'y a pas grand-chose à dire sur le fait que le consommateur paie la fourniture, le transport et la distribution de l'électricité. Tel qu'il a formulé sa question, M. le rapporteur voulait savoir, me semble-t-il, si votre association a un point de vue notamment sur la CSPE. Autrement dit, cet élément de la facture est-il, à vos yeux, trop important, normal, logique, illogique ? Monsieur le rapporteur, c'est ainsi que j'ai compris votre question.

M. Jean Desessard, rapporteur. - L'une de mes questions portait aussi sur les énergies renouvelables.

Mme Reine-Claude Mader. - La question des énergies renouvelables est très importante. Il n'est pas envisageable de penser que l'on pourra continuer à n'avoir qu'une seule source d'énergie principale, ce qui est le cas à l'heure actuelle. Par philosophie, la CLCV est favorable au développement des énergies renouvelables, mais elles sont incontestablement plus chères. En fait, il faudrait parvenir à un mix électrique permettant de satisfaire à l'obligation de diversification des sources d'énergie, mais à un coût supportable pour le consommateur.

Toute augmentation des prix de l'énergie est problématique pour les consommateurs.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vos propos font la transition avec la question suivante.

Mme Reine-Claude Mader. - Comme je le disais à l'instant, la prévision qu'a faite M. de Ladoucette d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ne manque pas de nous inquiéter. Cela nous a conduits à réfléchir. Les centrales nucléaires devront être remplacées ou bien voir leur sécurité améliorée, pour certaines d'entre elles. Je ne parle même pas de leur entretien courant. On sait déjà que ces opérations seront très coûteuses.

Par exemple, j'ai eu l'occasion d'étudier les contrats que passent les particuliers pour revendre le surplus de l'électricité photovoltaïque qu'ils produisent eux-mêmes. D'un côté, ils sont contents de pouvoir revendre celle-ci à un prix plus important que le prix du kilowattheure qu'ils achètent. Cela fait quand même réfléchir. D'un autre côté, cette contrainte de disposer de plusieurs sources de production donne le sentiment d'un cercle infernal dont on ne sait pas vraiment comment s'extraire.

Par ailleurs, toujours en préparant cette audition, je me suis penchée sur la question des concessions de centrales hydrauliques qui arrivent à terme et qui vont devoir être renouvelées. Dans quelles conditions vont-elles l'être ? Dans quel cadre ?

Tous ces bouleversements dans le domaine de l'énergie ne peuvent que susciter des inquiétudes ; on ne sait pas quelles seront les répercussions sur les tarifs, qui sont extrêmement bas.

En travaillant avec mes homologues des autres associations européennes, je me suis rendu compte que, nous autres Français, nous avons été gâtés jusqu'à présent. Quand j'observe le prix de l'électricité dans les autres pays, je me demande comment nous allons pouvoir continuer à pratiquer un tel prix chez nous. Personnellement, je suis très inquiète.

S'agissant des dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - le crédit d'impôt développement durable, l'éco-prêt à taux zéro, etc. -, ils sont absolument indispensables si l'on veut progresser dans ce domaine. C'est tout à fait clair. En l'absence de tels dispositifs, certaines des personnes que nous rencontrons dans notre association ne se seraient pas lancées dans le photovoltaïque et un certain nombre de recherches portant sur les économies d'énergie n'auraient pas été engagées. Si l'on veut faire évoluer le mix électrique, il faut que les particuliers qui désirent diversifier l'origine de l'énergie qu'ils consomment soient aidés par la collectivité. À défaut, la situation sera totalement bloquée.

Très peu de gens, moins encore ceux qui ne disposent que de peu de moyens, peuvent sauter le pas et changer leur source d'énergie. C'est pourquoi, dans l'optique du Grenelle de l'environnement, les dispositifs fiscaux sont très importants.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La dernière question portait notamment sur la demande de pointe d'électricité. La CLCV a-t-elle pris position sur ce sujet ?

Mme Reine-Claude Mader. - Vous évoquez la possibilité, actuellement à l'étude, de fixer des tarifs différents selon l'heure et la période de l'année, y compris pour les tarifs réglementés - cette question rejoint celle du signal-prix. Dans cette hypothèse, comment procéder ? Les personnes qui se chauffent à l'électricité voient leurs factures d'électricité inégalement réparties au cours de l'année - la consommation est évidemment plus forte en hiver qu'en été. Aussi, si l'on devait diversifier les tarifs en fonction des heures et des périodes de l'année, il faudrait véritablement s'en donner les moyens.

À cet égard - et c'est votre deuxième question -, le compteur Linky est-il la solution ?

Nous portons un regard intéressé sur Linky, parce que nous pensons que les compteurs intelligents sont une nécessité. Néanmoins, Linky appartient à la première génération de ces compteurs, et il ne nous paraît pas opportun d'en équiper dès à présent l'ensemble des foyers. En fait, nous avons l'impression qu'il s'agit plus d'un choix industriel que d'un choix définitif. De fait, les industriels travaillent actuellement à l'élaboration de compteurs ou de systèmes de comptage beaucoup plus performants que Linky.

Cette comparaison va peut-être vous faire sourire, mais il ne faudrait pas que nous revivions l'épisode du Minitel, qui, s'il a été un très bon outil, a néanmoins bloqué pendant un certain temps l'arrivée de l'informatique dans les foyers. Aussi, ne serait-il pas préférable d'attendre l'arrivée de compteurs plus performants ?

Cela dit, le principe d'une diversification des tarifs ne nous choque pas a priori, à condition qu'elle soit menée intelligemment et qu'on se donne les moyens de la faire respecter.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Position très précise !

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire un mot sur le chauffage électrique ?

Mme Reine-Claude Mader. - Au-delà du chauffage électrique, il faut considérer le chauffage en général.

Actuellement, certaines personnes s'interrogent sur le maintien du chauffage électrique dans leur habitation. Toutefois, les maisons ont été conçues pour être chauffées à l'électricité, non seulement en raison de leur mode d'isolation, mais encore parce qu'elles ont été équipées à cet effet de radiateurs ou d'autres appareils. Par conséquent, cette période au cours de laquelle on a vendu du chauffage électrique au consommateur est plus ou moins révolue ; désormais, les gens « se jettent » beaucoup moins sur le chauffage électrique. C'est une bonne chose, car il existe d'autres sources de chauffage.

Cela étant, la CLCV ne porte pas un jugement particulier sur la période au cours de laquelle on a « placé » du chauffage électrique. Maintenant, il faut tourner la page et tendre vers une diversification des sources de chauffage. Mais c'est très difficile. En effet, autant le chauffage électrique peut être déployé sur l'ensemble du territoire national, autant les autres solutions dépendent des lieux d'habitation.

Étant une association nationale, nous constatons que les personnes qui sont sensibilisées aux problèmes de développement durable ne choisissent pas les mêmes options selon l'endroit où elles vivent ; les solutions diffèrent avec la situation géographique. Ceux de nos membres qui résident dans une région forestière s'équiperont plutôt en chaudières à bois, tandis que d'autres opteront pour les pompes à chaleur.

À la CLCV, le débat est libre. Les tenants du chauffage électrique soulignent son côté extrêmement pratique et son installation peu onéreuse. C'est la raison pour laquelle ce mode de chauffage gardera toujours des partisans ; bien géré, il demeure très intéressant.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Merci, madame la présidente. Plusieurs de mes collègues souhaitent maintenant vous poser quelques questions ou vous demander des précisions.

La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. - Madame la présidente, je voudrais vous poser trois questions au sujet des précaires énergétiques.

Premièrement, sachant que certaines personnes disposent de deux modes de chauffage ou sont équipées en réseaux de chaleur, serait-il pertinent, selon vous, de coupler les aides à l'énergie en ne dissociant plus l'énergie électrique de l'énergie au gaz ou au fioul - même si la prime à la cuve a disparu -, au profit d'une aide globale à l'énergie ?

Deuxièmement, vous semblerait-il pertinent, comme l'a proposé le Médiateur national de l'énergie, que cette aide prenne la forme d'un « chèque énergie » distribué par les caisses d'allocations familiales ?

Troisièmement, êtes-vous favorable à l'interdiction des coupures d'énergie sur la totalité de l'année et non pas seulement pendant la période hivernale ?

Mme Reine-Claude Mader. - La CLCV étant très implantée dans les quartiers d'habitat social, elle est souvent sollicitée par des consommateurs en difficulté. Ce sont donc des sujets sur lesquels, malheureusement, nous avons dû beaucoup travailler.

S'agissant des coupures, c'est simple, nous avons pris position récemment sur cette question : nous y sommes catégoriquement opposés. Nous ne voulons pas encourager les gens à se soustraire à leurs obligations, mais ces coupures ne nous paraissent pas justifiées. On n'imagine pas, aujourd'hui, qu'un foyer vive sans eau, sans électricité, voire sans téléphone, autant de services qui peuvent être considérés comme essentiels. Au-delà de notre propre association, cette position est également défendue, autant que je peux en juger, par l'ensemble des associations européennes de lutte contre la précarité.

En outre, il me paraît justifié de regrouper les aides à l'énergie en une seule aide. Cela relève du bon sens. Par exemple, un certain nombre de personnes vivant en milieu rural n'ont pas accès au gaz de ville et ne disposent pas de chauffage électrique. La seule solution, pour elles, c'est le gaz liquide, et, à ma connaissance, il n'existe aucune aide pour ce type d'énergie. De fait, on ne voit pas très bien pourquoi telle ou telle catégorie serait aidée plus que d'autres.

J'en viens maintenant à votre question sur le « chèque énergie ». En France, il existe énormément d'aides, dans tous les domaines. Alors que je travaillais sur le surendettement, je me rappelle m'être entendu dire un jour par un représentant du ministère des affaires sociales qu'il en existait 133 au total. Évidemment, personne n'est capable de toutes les citer !

Ces aides sont connues, mais elles ne sont pas demandées. Les initiatives visant à faire des caisses d'allocations familiales le référent unique nous paraissent bonnes. Ces caisses ont d'ailleurs fait beaucoup d'efforts, dans différents domaines, puisqu'elles contactent désormais un certain nombre de personnes éligibles à ces aides pour leur signifier leurs droits.

Le fait de centraliser en un lieu unique la distribution des aides auxquelles ont droit les personnes en situation de précarité est certainement une très bonne chose. Actuellement, certaines font valoir leurs droits, d'autres pas.

Que cette aide à l'énergie prenne la forme d'un « chèque énergie », pourquoi pas, mais, pour notre part, nous pensons qu'il est possible d'être plus ambitieux. Selon nous, il vaudrait mieux mettre sur pied un système privilégiant une politique plus globale à l'égard des personnes en situation de précarité plutôt que de multiplier les aides.

La CLCV a formulé un certain nombre de propositions dans ce sens. Par exemple, nous suggérons que les premières unités de consommation soient fixées à un prix très faible de manière que chacun puisse y accéder. Ensuite, le prix de ces unités augmenterait graduellement de manière à ce que les personnes qui le peuvent paient un prix normal.

Notre philosophie est la suivante : nous n'aimons pas beaucoup ce qui stigmatise les gens. C'est pourquoi placer les caisses d'allocations familiales au centre du dispositif nous paraît être une bonne chose dans la mesure où cela permet d'éviter aux personnes ayant droit à ces aides de venir les demander. Actuellement, la vie est très dure pour bien des personnes et un certain nombre d'entre elles passent beaucoup de temps pour faire respecter leurs droits, tout simplement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. - Madame Mader, je vous poserai deux questions.

Tout d'abord, quelle est la position de votre association sur la tarification progressive ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - Cette question a déjà été abordée.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Certes, mais Mme Rossignol a le droit de demander un complément d'information !

Mme Laurence Rossignol. - Ensuite, vous avez dit tout à l'heure que vous restiez dubitative quant à l'efficacité du signal-prix. Considérez-vous néanmoins que, si l'on met à part le cas des familles en situation de précarité énergétique, la consommation d'électricité, dans le reste de la population, est supérieure à ce que pourrait être une consommation rationnelle, raisonnable ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il y a du gaspillage en matière d'électricité ? Quel moyen serait susceptible d'y remédier, si ce n'est le signal-prix ?

Mme Reine-Claude Mader. - J'ai évoqué très rapidement la tarification progressive tout à l'heure.

Comme je l'expliquais, nous proposons que les premières unités de consommation d'eau ou d'énergie, par exemple, soient facturées aux ménages à un prix très faible. Évidemment, il conviendra d'étudier les modalités de mise en oeuvre de cette proposition.

Nous proposons ensuite que, selon la composition du ménage, on évalue le nombre d'unités qui lui seraient facturées pratiquement à prix coûtant. Ensuite, ce prix unitaire augmenterait en fonction des capacités financières des personnes.

Pour prendre l'exemple de l'eau, celui qui remplit sa piscine peut a priori payer son eau beaucoup plus cher que celui qui ne s'en sert que pour sa consommation familiale et ménagère.

Un certain nombre de personnes travaillent sur la faisabilité de notre système.

Deux points demeurent en suspens : les taxes et les contributions diverses, d'une part, ce que recouvre l'abonnement, d'autre part.

L'abonnement est-il la contrepartie d'un droit de raccordement au réseau ? Couvre-t-il son entretien ? Selon la réponse qu'on apporte à ces questions, selon ce qu'on intègre dans ces coûts, la détermination du prix coûtant s'en trouvera modifiée. En effet, il faudra considérer non pas simplement le prix de l'électricité, mais également celui des tuyaux.

À ma connaissance, personne, à ce jour, n'a procédé à ce calcul. Notre association l'a fait, mais celui-ci est forcément aléatoire, car nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires.

J'en viens au signal-prix, auquel je suis extrêmement sensible. Bien évidemment, on consomme moins un produit cher. Cependant, certaines consommations sont obligatoires. Je prendrai l'essence à titre d'exemple. D'aucuns soutiennent que, avec le signal-prix, nos concitoyens consommeront moins d'essence. Or certaines personnes sont « coincées » : habitant en province et n'ayant pas la possibilité d'avoir recours au covoiturage, elles sont obligées d'avoir une ou deux voitures pour se rendre à leur travail.

Pour en revenir à l'électricité, qu'en est-il du signal-prix ? Quid de la personne qui habite une maison mal isolée et utilise beaucoup d'électricité pour la chauffer ? Certes, parallèlement, des mesures fiscales peuvent lui permettre d'entreprendre des travaux. Mais les sommes engagées ne seront amorties qu'au terme d'une longue période.

Le calcul a été effectué à propos d'une machine à laver. Il faut se servir d'une machine à laver haut de gamme, qui dispose d'un certain nombre de fonctions et consomme moins, pendant douze ans pour récupérer le prix d'achat. Par conséquent, à l'heure actuelle, malgré les aides offertes, les personnes à pouvoir d'achat contraint n'ont pas réellement les moyens de choisir.

La responsabilité des consommateurs est souvent évoquée. Étant présidente de l'une de leurs associations, je vais être franche avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne nie pas leur responsabilité, mais n'oublions pas celle des personnes qui mettent sur le marché les produits. Si des recherches ne sont pas entreprises, si de nouvelles techniques ne sont pas développées, le comportement des consommateurs demeurera « irresponsable ».

On ne peut pas critiquer quelqu'un qui utilise une machine à laver qui coûte cher mais qui consommera moins, alors qu'il en existe sur le marché à 200 euros. On ne peut pas demander aux gens de se priver de chauffage ou d'énergie alors que leur maison est une « passoire énergétique ».

Un consensus doit se dégager afin de rechercher une diminution de la consommation des ménages. Un conseil tout bête est d'ores et déjà donné : ne pas laisser les appareils en veille. Mais encore faudrait-il que tous les produits disposent de la fonction adéquate !

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. - Je souhaite obtenir quelques précisions à propos du compteur intelligent Linky. Madame Mader, votre association a-t-elle été consultée en amont ? Avez-vous fait des propositions ? Si tel est le cas, quelles sont-elles ? Par ailleurs, de quelles informations dispose le consommateur ? On le sait également, il suffirait d'installations automatisées qui couperaient le courant en cas de non-utilisation. Or un tel dispositif n'est pas prévu en l'espèce.

Mme Reine-Claude Mader. - Les consultations des consommateurs interviennent toujours au dernier stade ; l'étape industrielle est déjà franchie ; l'appareil a été conçu par des techniciens compétents la plupart du temps. Or les associations de consommateurs sont souvent plus à même d'apprécier l'utilisation, le caractère pratique d'un produit.

Pour ce qui concerne le compteur Linky, nous avons été informés de son existence et de son installation à tel ou tel endroit dans le cadre d'expérimentations. Nous avons alors procédé à nos propres recherches afin de savoir si des matériels autres et plus pratiques d'utilisation existaient. Puis nous avons repris contact avec les décideurs en la matière et leur avons fait connaître notre point de vue. Mais notre rôle s'est limité à cela.

M. Ladislas Poniatowski, président. - À la suite de l'expérimentation réalisée à Lyon en milieu urbain et en Indre-et-Loire en milieu rural, la CLCV a été invitée à assister aux différentes réunions du comité de suivi de l'expérimentation du compteur Linky, tout comme les industriels, les fournisseurs et les autres associations de consommateurs.

Mme Reine-Claude Mader. - Tout à fait, monsieur le président. Mais nous aurions dû être consultés plus en amont.

Certes, les associations de consommateurs ne disposent pas forcément de la technologie ou de l'expertise nécessaires, mais leurs interrogations pratiques permettent souvent de soulever un certain nombre de questions.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il me semblait que les représentants de la CLCV étaient présents lors de l'expérimentation effectuée en Touraine.

Mme Reine-Claude Mader. - Je ne le nie absolument pas, monsieur le président.

À partir du moment où des expérimentations ont été réalisées, nous avons pu comprendre comment le système fonctionnait. Nous avons alors formulé un certain nombre d'observations. Or malgré cela, on nous a annoncé l'extension de l'installation du compteur Linky.

Les appareils de comptage de ce type nous paraissent intéressants. Mais, à l'échelon national, la CLCV a l'impression d'avoir assisté in situ à l'expérimentation d'un modèle industriel qui sera vendu à d'autres pays sans qu'il soit tenu compte, afin d'améliorer le matériel, de l'existence, dans les cartons, d'autres outils qui seront performants.

La question se pose de savoir s'il faut équiper les foyers du compteur Linky puis mettre à leur disposition ultérieurement un autre matériel. Au final, qui va payer ? Les consommateurs n'ont pas à financer les différents systèmes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Sauf erreur de ma part, ERDF nous a dit que le compteur ne serait pas à la charge des consommateurs.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Selon le montage proposé, ERDF emprunte et garantit de trouver un accord dont il sera pris acte demain matin, lors du conseil d'administration de la FNCCR, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Ce seront les économies réalisées qui permettront de financer le dispositif.

Pour le moment, on commence avec le compteur Linky de première génération. Des travaux sont d'ores et déjà menés sur un compteur de deuxième génération. Alors que 17 millions de compteurs seront à terme installés, le premier appel d'offres va porter sur 5 ou 6 millions de compteurs. Lorsque la deuxième génération de compteurs sera plus performante et plus intéressante non seulement pour le fournisseur, mais aussi pour le consommateur, il est fort probable que les compteurs posés par la suite seront différents.

La décision a cependant été prise de mettre en place un compteur qui est performant, mais pas assez, je crois que vous avez raison, madame Mader.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le compteur est performant pour fournir des informations au producteur, notamment sur la pointe.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Les associations de consommateurs ont été, à juste titre, très exigeantes. Elles se sont demandé à quoi servait le dispositif si les consommateurs ne pouvaient pas disposer chez eux de plus d'informations.

Le premier compteur Linky est déjà une très bonne chose. Mais il est peut-être dommage de ne pas attendre d'avoir un compteur plus performant pour aller plus loin. Pour ma part, je vous l'avoue, j'étais partisan de lancer l'opération dès maintenant et de l'ajuster au fur et à mesure. Mais je le reconnais, ce point peut faire l'objet d'un vrai débat. Les associations de consommateurs, dont la CLCV, se sont prononcées pour la mise en oeuvre, mais dans l'attente de la deuxième génération de compteurs.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je comprends votre position, madame : s'il y a quelqu'un d'intelligent dans l'appartement, autant en profiter - je parlais du compteur, bien entendu. (Sourires.)

S'agissant des investissements destinés à renforcer l'efficacité énergétique et à réduire les coûts de l'énergie, vous avez souligné que le signal-prix avait un effet parfois éloigné dans le temps - douze ans pour une machine à laver - et que de nombreux foyers ne pouvaient pas se permettre d'investir. Malgré tout, il faut bien réaliser des investissements. Dans ces conditions, que pensez-vous de la répartition entre propriétaires et locataires ? Le propriétaire doit-il répercuter sur le loyer des investissements faisant réaliser des économies au locataire ? Est-ce plutôt au locataire d'investir en bénéficiant d'une pause dans le paiement du loyer ? Quel modèle préconiseriez-vous en matière d'investissements pour la maîtrise de l'énergie et l'efficacité énergétique ?

Mme Reine-Claude Mader. - Comme vous le savez, un décret fixe les charges qui sont imputables au locataire et celles qui incombent au propriétaire. Les associations comme la mienne, qui couvrent tous les aspects de la vie quotidienne, sont extrêmement réticentes à toute modification de ce fameux décret. Elles craignent que, si nous ouvrons la boîte de Pandore, de nouveaux postes ne soient intégrés dans les charges.

Les propriétaires, ne l'oublions pas, valorisent leur bien. Je rappelle que 52 % des Français sont propriétaires de leur logement. Une juste répartition des charges entre les uns et les autres serait acceptable. Cela étant, les discussions sont toujours très difficiles.

Dans ce genre de situation, je suis personnellement très sensible à la présence de deux parties : la partie forte, le propriétaire en l'occurrence, et la partie plus faible, le locataire, qui subit. Quelles règles convient-il d'édicter pour parvenir à un juste équilibre, en sachant que certaines personnes sont dans des situations si difficiles qu'elles sont incapables de payer ? Si elles y sont obligées, elles contribueront, mais cela leur posera un véritable problème. Le décret « charges » opère bien la différence entre l'installation et les « fluides ». Si le locataire réalise des économies d'électricité, par exemple, une participation « honnête » ne me paraît pas devoir être bannie absolument.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Quelle est votre position s'agissant de travaux d'isolation, par exemple, qui occasionnent une moindre consommation ?

Mme Reine-Claude Mader. - Les travaux d'isolation coûtent extrêmement cher. Jusqu'à présent, en particulier dans le parc social, ce sont les propriétaires qui assument les frais de rénovation. C'est également une question de prix du patrimoine : il ne faudrait pas non plus mettre à la charge des uns ce qui revient aux autres dans un second temps ; il faut être équitable.

La question qu'il faut vraiment prendre en considération est la suivante : à qui bénéficient réellement les investissements ? Certains investissements profitent très directement au locataire, d'autres tout autant, voire plus, au propriétaire. Il faut en tirer les conclusions.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, vos interrogations sont-elles satisfaites ?

M. Jean Desessard, rapporteur. - J'ai la position de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la CLCV.

Mme Reine-Claude Mader. - C'est la position de notre organisation. J'ajoute que la CLCV travaille beaucoup sur la question de l'énergie, qui représente une part importante du budget des ménages.

Il faut trouver un consensus entre les locataires, les utilisateurs de matériels et ceux qui les mettent sur le marché. Nous soutenons particulièrement toutes les initiatives en matière de recherche et investissements. Nous considérons que la recherche nous permettra d'employer moins d'énergie dans les années qui viennent. Nous sommes très sensibles aux questions de développement durable et nous considérons que d'importants progrès sont encore possibles.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.

Audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme

M. Ladislas Poniatowski, président. - La suite de notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme.

Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Monsieur Faraco, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Benoît Faraco prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Faraco, le rapporteur de notre commission, M. Jean Desessard, vous a adressé les questions qu'il souhaitait vous poser de manière à vous permettre d'entrer directement dans le vif du sujet ; il va les rappeler afin qu'elles figurent dans l'enregistrement de l'audition. Je vous demanderai, bien sûr, d'y répondre, en tenant cependant compte du fait qu'il nous faut garder un peu de temps pour les questions complémentaires tant de M. le rapporteur que de l'ensemble des membres de la commission.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Faraco, je vous ai adressé six questions.

Première question : de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France et quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?

Deuxième question : la France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes et/ou investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs, EPR et réacteurs de quatrième génération ?

Troisième question : quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?

Quatrième question : pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer et à combien chiffrez-vous - si vous êtes en mesure de le faire - cet investissement ?

Cinquième question : le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?

Sixième question : quelles actions convient-il prioritairement de mener selon vous, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Benoît Faraco.

M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme. - Je me propose de respecter l'ordre du questionnaire, même s'il m'aurait semblé intéressant - je le dis en préalable - d'inverser cet ordre. La position de la Fondation consiste en effet à considérer qu'avant de parler des éléments de production d'énergie, et notamment d'électricité, il est légitime de s'interroger sur nos besoins. Cette analyse conduirait à commencer par la sixième question, mais je vais jouer le jeu et donc répondre d'abord à la première.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Faites comme vous voulez !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Si vous estimez nécessaire pour votre démonstration d'inverser l'ordre, n'hésitez en effet pas à le faire.

M. Benoît Faraco. - Je vais profiter de cette possibilité pour dire que nous estimons - c'est notre point de départ - qu'en France, s'agissant des consommations d'électricité, les questions relatives à l'offre et à la demande sont analysées un peu trop séparément : en général, on suit une logique, que traduit notamment la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui amène à « décorréler » la réflexion sur l'offre de la réflexion sur la demande.

Pour la Fondation, qui se place dans la perspective de la lutte contre le changement climatique tout en prenant en compte la dimension sociale des enjeux tarifaires de l'énergie, en particulier de l'électricité, il est au contraire intéressant de commencer par une réflexion sur la demande et sur nos besoins.

J'entrerai par la suite dans le détail pour justifier les différents éléments de notre réflexion. Je souligne d'emblée que la philosophie qui est derrière celle-ci se fonde d'abord sur des raisons tenant aux contraintes climatiques : même si elle est faiblement carbonée en France, l'électricité contribue aux émissions de gaz à effet de serre, du fait notamment des centrales à gaz ou à charbon qui continuent à fonctionner, émissions particulièrement importantes au moment de la pointe électrique.

Elle est en outre liée, puisque nous sommes sur la plaque européenne, au contexte européen.

D'une part, les émissions de gaz à effet de serre sont problématiques en Europe, dans la mesure où la production d'électricité en représente, grosso modo, de 30 % à 40 %.

D'autre part, il est légitime de s'interroger, s'agissant notamment des moyens de production thermique à base de charbon et de gaz, sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans un contexte où les indicateurs à notre disposition témoignent d'un accroissement des importations aussi bien de gaz que de charbon en même temps que d'un plafonnement de la production européenne de gaz, la situation étant à peu près stable pour le charbon.

La dépendance énergétique aux importations s'accroît donc dans le temps. Pour la France, on atteint des taux de plus de 95 % pour le gaz et de pratiquement 100 % pour le charbon, puisque nous n'avons plus de mines.

Ce sont ces paramètres qui nous conduisent à considérer que la priorité absolue doit être accordée à la réduction des consommations : c'est à ce niveau qu'il faut se placer pour être ensuite capables de gérer l'offre énergétique à même de répondre à nos besoins.

Nous avons coutume de dire dans la sphère écologique que la meilleure énergie, à la fois la moins chère et la moins polluante, est celle qui n'est pas consommée, adage qui me paraît fondamental pour les politiques publiques, notamment lorsque l'on s'intéresse aux impacts socio-économiques d'une énergie dont on voit le coût croître au fil du temps.

Ce préalable, sur lequel je pourrai revenir lors des questions suivantes s'il s'agit d'un aspect qui vous intéresse, est à notre sens profondément structurant pour l'ensemble des politiques publiques dans un contexte où il y a, me semble-t-il, un consensus assez fort sur les perspectives d'évolution du prix de l'énergie, et notamment de l'électricité. En France, où l'on paie l'électricité de 30 % à 50 % moins cher que chez nos voisins européens, il y a en tout cas un constat partagé.

Cela me ramène à la première question que vous m'avez adressée, qui porte sur le prix pour les consommateurs et le coût de production de l'électricité, sujet qui appelle selon nous deux grandes interrogations.

En premier lieu, la pratique actuelle des tarifs réglementés pour les consommateurs, en tout cas pour les 80 % de clients particuliers à qui est encore appliquée une forme de tarif réglementé, ne nous semble pas permettre au régulateur, et donc à l'État, de répercuter la hausse des coûts.

On a aujourd'hui le sentiment que la question des tarifs appliqués aux consommateurs d'électricité est plus un sujet de débat politique qu'un sujet de débat économique. La préférence va à la satisfaction d'une demande sociale, par ailleurs complètement légitime au regard du nombre de ménages en situation de précarité énergétique. Il y a donc une tendance à la perpétuation des tarifs réglementés qui a pour effet de décorréler le prix final du coût global.

Or on sait que ce coût va augmenter, pour les raisons que je rappelais, notamment l'épuisement ou l'appauvrissement des ressources fossiles, du fait des tensions géopolitiques, mais aussi parce que de nouveaux investissements sont nécessaires, notre parc thermique classique, qu'il soit nucléaire ou fossile, étant en fin de vie.

Je rappelle à cet égard que, selon le rapport de RTE, entre 30 % et 50 % de nos centrales à charbon fonctionnent actuellement sous un régime dérogatoire par rapport aux normes relatives à la pollution atmosphérique fixées par l'Union européenne, régime que l'on a choisi de leur accorder tant pour des motifs économiques, d'investissement, qu'en raison de la présence physique des unités de production concernées sur notre territoire.

Le coût réel de production va donc sans doute augmenter trop vite pour que le politique et le régulateur puissent répercuter la hausse sur le grand public, voire sur les entreprises.

En second lieu, un autre facteur joue dans le sens de la « décorrélation » entre les coûts de production et les prix aux consommateurs, à savoir la prise en compte des externalités environnementales dans les coûts.

C'est problématique dans la mesure où la pratique des tarifs réglementés revient à fixer à l'avance des prix dans lesquels EDF ne peut pas répercuter certaines de ces externalités environnementales, notamment le coût de la tonne de CO2. Il s'agit en effet d'un coût variable, fixé dans le temps sur le marché européen en fonction des volumes disponibles, des quantités allouées et des perspectives de régulation climatique internationale.

Or il s'agit là d'une composante essentielle pour la Fondation, qui plaide à la fois pour le développement d'une fiscalité écologique et pour l'instauration d'un « signal-prix » aux consommateurs, car le fait que l'opérateur historique, qui contrôle une grosse partie du marché, ne soit pas en capacité de traduire un tel coût environnemental dans le prix final aux consommateurs a pour effet d'atténuer l'efficacité de la réglementation européenne sur les quotas d'émissions.

En résumé, les tarifs de l'électricité ne nous semblent pas refléter fidèlement son coût réel.

S'agissant de la seconde partie de la première question, à savoir ce que devrait être, à nos yeux, l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, je m'autoriserai à vous demander une précision. Souhaitez-vous plutôt une perspective ?...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous évoquiez à l'instant les coûts économiques réels ; en poursuivant votre raisonnement, vous devriez « rattraper » cette question.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pensez-vous, par exemple, que le prix de l'électricité va augmenter ?

M. Benoît Faraco. - Pour nous, il est évident que le prix de l'électricité va augmenter, et cela pour deux raisons principales que je rappelle : d'une part, l'épuisement des ressources finies, notamment le pétrole et le gaz, qui constituent une composante importante du coût de cette énergie ; d'autre part, le vieillissement du parc de production et donc les investissements nécessaires, que ce soit pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ou pour le recours aux énergies renouvelables, qui entraînent, par rapport à des sources plus conventionnelles, des surcoûts que l'on connaît aujourd'hui, notamment pour l'éolien offshore et le solaire photovoltaïque.

À l'échelle européenne, un troisième paramètre, à l'introduction duquel nous sommes totalement favorables, devrait tendre à faire augmenter le prix de l'énergie : les régulations environnementales.

Si l'Europe souhaite atteindre le fameux objectif de la limitation à 2 degrés du réchauffement qu'elle s'est fixé à Copenhague, elle devra s'attaquer à ce secteur important de la production d'émissions de gaz à effet de serre qu'est la production d'électricité et donc faire payer la tonne de CO2 nettement plus cher.

Aujourd'hui, le prix de la tonne de CO2 est environ de 8 euros sur le marché européen des quotas. Les économistes, notamment ceux qui travaillent pour la Commission européenne et pour le laboratoire de Patrick Criqui, à Grenoble, estiment que nous devrions nous situer sur une trajectoire nous amenant aux alentours de 100 euros par tonne de CO2 à l'horizon 2020 pour être « dans les clous » et atteindre les objectifs, fixés à Kyoto puis réaffirmés à Copenhague, devant nous conduire au nouvel accord mondial sur le climat qui devrait être ratifié en 2015.

L'adoption d'une telle trajectoire aurait une incidence forte sur le prix de l'électricité à l'échelle européenne et, comme il y a clairement une volonté européenne d'harmoniser le marché de l'électricité et de l'ouvrir complètement, il n'y a pas de raison pour qu'il n'y ait pas de répercussions en France.

Même si, encore une fois, le kilowattheure français est nettement moins carboné que le kilowattheure européen, il y aura en effet un alignement et une évolution à la hausse du fait de l'ouverture du marché européen à la concurrence. Pour donner un ordre de grandeur - dans les exercices prospectifs, il n'est pas possible d'être plus précis -, je dirai que l'on s'attend à ce que l'alignement du prix français de l'électricité sur les prix européens conduise à un rattrapage, c'est-à-dire à une hausse, de l'ordre de 30 % à 50 % à l'horizon 2020-2030.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Pouvez-vous redire ces chiffres ?

M. Benoît Faraco. - En ce qui nous concerne, nous tablons sur une hausse de 30 % des tarifs à l'horizon 2020 par simple rattrapage des prix de nos voisins européens.

Peut-être aurais-je dû le préciser, je parle ici principalement des tarifs pour les ménages. Je reviendrai tout à l'heure à la dimension « entreprises ». La décorrélation entre le coût de l'électricité pour les entreprises, notamment dans les activités électro-intensives, et pour les ménages est certes forte, mais c'est une situation que l'on retrouve dans l'ensemble des pays européens et qui implique d'autres arguments, notamment économiques.

Pour compléter ma réponse à la question de savoir ce que devrait être l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, j'ajouterai qu'il y a, pour la Fondation, deux éléments importants.

En premier lieu, l'impact d'une hausse, tant social qu'économique, c'est-à-dire non seulement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, constitue une préoccupation qui doit être prise en considération. Nous risquons en effet d'être en situation de vulnérabilité à ce stade.

Or environ 3 millions de ménages, soit à peu près 8 millions de personnes, vivent d'ores et déjà en situation de précarité énergétique - ce qui signifie, grosso modo, car les définitions sont en cours d'élaboration, qu'ils dépensent plus de 10 % de leurs revenus annuels pour couvrir leurs besoins de chauffage et d'eau chaude - et que 300 000 personnes déclarent avoir froid chaque hiver dans leur logement simplement parce que, pour éviter d'avoir à payer une facture trop élevée, elles préfèrent couper le chauffage !

La préoccupation sociale est une question centrale pour nous, puisque nous estimons que la fourniture d'électricité fait partie des services de base indispensables aux ménages, au même titre que l'alimentation et que l'énergie associée à la mobilité.

En second lieu, l'évolution à la hausse des tarifs de l'électricité par un mécanisme d'élasticité-prix permettrait de réduire la consommation, et donc l'ensemble des externalités environnementales associées à la production, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre ou d'émissions de particules fines, voire, bien entendu, des quantités de déchets nucléaires qu'il sera nécessaire de stocker puisqu'une hausse des prix entraînera, a priori, une réduction de la consommation.

D'un point de vue strictement écologique, l'évolution des tarifs à la hausse est une voie qui nous intéresse, étant précisé que nous préférerions que cette évolution soit pilotée et contrôlée, plutôt que subie, comme c'est aujourd'hui le cas pour le pétrole.

S'agissant du pétrole, le manque d'anticipation des gouvernements précédents nous a mis dans une impasse, puisque nous sommes confrontés à sa rareté dans un contexte où il est très difficile de nous émanciper de cette ressource par le biais de solutions alternatives.

Au vu des conséquences non seulement sociales mais aussi économiques pour les secteurs fragiles ou particulièrement vulnérables face aux hausses des prix de l'énergie - pour le pétrole, je pense en particulier aux transports routiers -, nous devons donc nous interroger sur la manière dont peut être sereinement envisagée une transition énergétique.

Il n'est pas forcément mauvais que les prix évoluent à la hausse, sous réserve que l'on soit capable de gérer les impacts sociaux et économiques. À cette fin, nous envisageons un accompagnement des acteurs dans la réduction de leur consommation plutôt que des subventions à la consommation, comme c'est un peu trop la tendance aujourd'hui en France. Autrement dit, nous préférons accompagner les acteurs d'un secteur dans l'innovation technologique, en vue de la réduction de leur consommation en même temps que de l'amélioration de leur compétitivité, au lieu de les aider à payer la facture, ce qui n'est pas de nature à leur permettre de changer de « logiciel économique » et les place finalement en sursis en termes de vulnérabilité face au renchérissement de l'énergie.

J'en viens à la deuxième question, relative à l'avenir du parc électronucléaire et à l'investissement dans le développement de nouvelles centrales.

À ce sujet, je ferai une remarque préalable qui ramène à ce que je disais en introduction : s'il est intéressant de se poser la question de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, il ne faut pas le faire uniquement d'un strict point de vue économique.

Tant du fait de notre préférence pour les investissements en faveur de l'efficacité énergétique et pour la réduction des consommations en amont que compte tenu des risques associés à la production d'électricité nucléaire comme aux autres modes de production électrique, nous estimons en effet qu'il faut s'émanciper du simple débat sur le tarif à court terme de l'électricité et avoir une vision un peu plus générale.

Comme l'écrit Nicholas Stern dans son rapport, il vaut mieux investir aujourd'hui dans la prévention, notamment face au changement climatique, plutôt que de payer demain les conséquences de risques qui seront devenus réalité.

Cette philosophie conduit à se positionner au regard non pas seulement du prix à court terme, mais aussi et surtout de l'ensemble des coûts à moyen et à long terme, y compris les coûts potentiels de gestion des risques. Qu'il s'agisse du risque climatique pour l'électricité d'origine fossile, du risque de prolifération ou encore des interrogations que l'on peut avoir sur le traitement des déchets, il est important de compléter l'analyse strictement économique par une réflexion sur l'ensemble des enjeux, notamment des enjeux environnementaux, qui ne peuvent pas tous être « monétisés » : il n'est pas évident de déterminer le coût réel d'un accident nucléaire dont on peut mesurer les impacts...

M. Jean Desessard, rapporteur. - En somme, vous voulez dire que vous ne vous posez pas la deuxième question.

M. Benoît Faraco. - Je peux y répondre...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Si vous nous dites que vous ne voulez pas y réfléchir pour les raisons que vous venez d'exposer, vous n'êtes pas obligé d'y répondre.

M. Benoît Faraco. - Pour être franc, je veux répondre - c'est l'intérêt de notre participation à cette commission d'enquête -, mais en insistant avant tout sur le fait que l'on ne peut pas se satisfaire d'un raisonnement strictement économique pour aborder ces questions dont les impacts environnementaux sont extrêmement lourds.

Pour la Fondation, le débat sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes est à la fois politique et économique ; c'est un débat sur la gestion du risque, qui appartient - notamment - aux Français, lesquels doivent pouvoir être informés de l'ensemble des avantages et des inconvénients de la filière nucléaire afin d'être capables de se former un avis et en mesure de se prononcer.

C'est un premier élément de réponse.

Deuxième élément de réponse, si l'on examine cette question d'un point de vue strictement économique - ce n'est donc pas ce que je vous invite à faire ! - et si notre objectif est de conserver le prix du kilowattheure le moins cher et donc un tarif de l'électricité relativement bas, il est évident que la prolongation de la durée de vie des centrales est sans doute l'une des meilleures options, et cela même si, malgré les avancées dues au rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, il y a manifestement aujourd'hui une petite sous-estimation des coûts de cette filière.

Le troisième élément qui nous semble central dans ce débat est le respect dû à l'analyse et à la parole de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette analyse doit être décorrélée, là encore, du raisonnement strictement économique que le politique a un peu trop tendance à faire.

Se laisser le choix de demander à l'Autorité de sûreté nucléaire, dont on reconnaît la légitimité, de dire que la durée de vie de telle ou telle centrale peut ou ne peut pas être prolongée, ou peut l'être à condition que des investissements de tel ou tel montant soient réalisés, paraît être la meilleure réponse possible au problème posé. Il appartiendra ensuite aux opérateurs d'opter entre les différents moyens de production qui s'offrent à eux, en tenant compte, bien entendu, des contraintes environnementales, notamment de la contrainte climatique.

La position de la Fondation est donc à peu près celle-ci : ne pas entrer dans le débat sous le seul angle du coût ; s'assurer que l'Autorité de sûreté nucléaire peut se prononcer en toute indépendance s'agissant d'un sujet dont on sait à quel point il est sensible politiquement et dans l'opinion publique ; laisser aussi des arbitrages économiques en internalisant les externalités environnementales.

À la question relative à l'investissement dans de nouvelles générations de réacteurs, EPR et de quatrième génération, nous sommes tentés de répondre de la façon suivante : continuer la recherche, pourquoi pas ? mais il faut absolument éviter tout malentendu et surtout ne pas dire que ce type de centrales nucléaires pourra répondre aux interrogations et aux besoins énergétiques des Français à proche échéance.

Pour l'EPR, on constate que des retards sont pris sur les deux chantiers, en Finlande comme en France, et, si le projet ASTRID commence à avancer, il n'y a pas encore de réacteur de quatrième génération opérationnel. Nous ne nous situons donc pas là à des horizons de temps à la mesure des enjeux sociaux et climatiques qui sont les nôtres. Il nous faut faire évoluer à la baisse nos consommations d'énergie et nos émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, c'est-à-dire commencer tout de suite, pour que des avancées significatives puissent avoir été accomplies d'ici à 2020. Or ces solutions technologiques ne seront pas opérationnelles dans ce délai.

La quatrième question porte sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables productrices d'électricité.

Je traiterai l'hydroélectricité à part, puisque cette filière est relativement aboutie ; elle peut, en améliorant son efficacité énergétique, notamment par le remplacement des turbines, produire un peu plus qu'elle ne produit aujourd'hui, mais nous considérons qu'elle n'a pas besoin de mécanismes de soutien, ce qui la sort du champ de la question.

Je vais, cette fois encore, faire une observation préalable.

Dans les principales filières électrogènes que l'on envisage de développer en France, à savoir l'éolien, onshore et offshore, et le solaire photovoltaïque, les coûts de production sont bien plus élevés que pour les moyens conventionnels de production thermique. Je souligne cependant qu'avec un CO2 à 60 ou 70 euros la tonne, la production d'électricité à base d'éoliennes deviendrait compétitive par rapport au charbon, ce qui signifie que, si l'on prend en compte les enjeux climatiques, les coûts commencent à se rapprocher.

Les énergies renouvelables sont donc aujourd'hui des énergies un peu plus chères en termes de production, mais leurs prix suivent une tendance fortement orientée à la baisse, contrairement aux énergies fossiles et au nucléaire, dont les tendances de prix sont plutôt orientées à la hausse, pour les énergies fossiles, en raison de l'épuisement des ressources, et, pour le nucléaire, en raison, notamment, des investissements dans la sécurité en réaction à l'accident de Fukushima.

C'est ce constat qui fonde notre philosophie globale et justifie à nos yeux une bonne partie des investissements dans les énergies renouvelables.

Pour ce qui est des mécanismes de soutien à ces énergies, je me propose de passer en revue les différentes filières.

L'éolien onshore présente des coûts relativement comparables à ceux des filières conventionnelles ou qui commencent à se rapprocher de ceux-ci. On peut donc imaginer qu'à l'horizon 2020 cette filière n'aura plus besoin d'être soutenue.

Le recours à des mécanismes de soutien, notamment le tarif d'achat, paraît donc avoir produit ses effets pour l'éolien terrestre, à propos duquel nous ne sommes d'ailleurs presque plus dans un débat économique mais plutôt dans un débat de société portant sur l'acceptabilité de l'installation de nouvelles éoliennes en France.

De façon générale, les mécanismes de soutien nous semblent être totalement justifiés et appropriés en matière de politique énergétique : que ce soit pour le nucléaire ou pour les énergies renouvelables, une amorce par un financement public est souvent nécessaire pour développer des technologies dans lesquelles les opérateurs économiques ne trouveraient pas sinon de rentabilité.

Pour l'éolien offshore, il y a principalement deux mécanismes de soutien, à savoir un mécanisme d'appel d'offres couplé à un mécanisme de tarif d'achat.

Les volumes financiers correspondants devraient, certes, être significatifs - je fais un petit « détour » par la quatrième question -, mais compte tenu des enjeux et du potentiel important de cette filière, notamment en termes de leadership industriel pour la France, ces mécanismes nous semblent tout à fait justifiés. Des consortiums se sont montés pour répondre à l'appel d'offres éolien et, en contrepartie du tarif d'achat, il y a des bénéfices sociaux et économiques, notamment en termes d'emploi, d'innovation et de recherche.

Pour le solaire photovoltaïque, la logique est semblable, s'agissant en tout cas de l'intérêt du tarif d'achat, mais il y a peut-être plus d'interrogations.

D'abord, dans l'élan du Grenelle de l'environnement, un certain nombre de projets, parfois un peu farfelus, avaient été développés en vue de profiter d'une sorte d'effet d'aubaine, ce qui avait conduit à une croissance du coût de l'électricité pour les consommateurs et à un emballement du mécanisme, qui avait dû être freiné.

Ensuite, les retombées économiques pour la France qui permettraient de légitimer pleinement le tarif d'achat nous semblent, pour l'instant, un peu moindres que pour l'éolien au regard de perspectives à la baisse du solaire photovoltaïque mais aussi d'autres enjeux.

Je pense notamment aux émissions de gaz à effet de serre. Si le bilan du solaire photovoltaïque n'est qu'un tout petit peu plus élevé que celui de l'éolien, ce bilan se dégrade très fortement dès lors que les panneaux sont produits dans une zone où l'électricité est fortement carbonée. Bref, si on utilise des panneaux solaires produits en Chine pour faire de l'électricité en France, le gain en termes de CO2 sera pratiquement nul.

Par conséquent, la justification du tarif d'achat par des motivations environnementales n'a plus lieu d'être.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous avez des chiffres ?

M. Benoît Faraco. - Oui, et je vous ai apporté un certain nombre de documents pour étayer mes propos.

M. Jean Desessard, rapporteur. - On nous a dit que le temps de retour énergétique, la période pendant laquelle il faut tenir compte de l'impact énergétique des panneaux, était de quatre ans, et qu'on pouvait utiliser ces panneaux pendant vingt ans. Cela signifie qu'il y a seize ans de bonus.

M. Benoît Faraco. - Vous avez complètement raison concernant le temps de retour énergétique, mais mon exposé visait les émissions de gaz à effet de serre.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Avez-vous des chiffres sur ce point ?

M. Benoît Faraco. - Oui, nous en avons : en plus des documents que je vous ai apportés, je vous ferai parvenir une étude que nous avons réalisée sur le solaire photovoltaïque.

Grosso modo, un panneau solaire fabriqué en Europe représente 47 à 55 grammes de CO2 par kilowattheure produit. Dans le mix électrique français, on est autour de 100 à 110 grammes de CO2 par kilowattheure - des débats existent, mais on est bien dans cet ordre de grandeur. Le niveau d'émission s'élève, en Allemagne, à 450 grammes de CO2 par kilowattheure - ce pays utilise beaucoup de charbon - et, en Chine, de 800 à 900 grammes de CO2 par kilowattheure.

Si on produit un panneau solaire en Chine, les émissions seront de 80 à 90 grammes par panneau, qu'il faut comparer aux 100 à 110 grammes français. Avec des panneaux chinois, le gain sera donc de 20 grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que, avec des panneaux produits en France ou en Europe, voire aux États-Unis, le gain sera plutôt de l'ordre de 50 à 70 grammes de CO2 par panneau.

Cela nous amène à formuler une recommandation : prendre en compte le critère des émissions de gaz à effet de serre dans l'attribution de tarifs d'achat pour encourager la production de panneaux en Europe et en France, s'assurer de la vertu environnementale du dispositif et, dans une moindre mesure, inciter les pays producteurs, et notamment la Chine, à investir dans des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leur mix électrique, ce qui aurait des conséquences bénéfiques pour l'ensemble du système climatique.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous calculez le coût en termes d'émissions de CO2 de l'électricité nécessaire pour fabriquer les panneaux ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il en faut beaucoup !

M. Benoît Faraco. - Il existe aujourd'hui deux principales technologies sur le marché du solaire photovoltaïque.

La première, qui représente environ 85 % du marché, est l'utilisation du silicium. Celle-ci présente un énorme avantage : le silicium étant le deuxième élément le plus abondant sur la croûte terrestre, il n'y a aucun problème de ressources. En revanche, le procédé - il s'agit de faire fondre du sable pour dépasser la qualité du verre industriel - consomme énormément d'énergie. C'est pour cette raison que l'on impute aux panneaux solaires des émissions de gaz à effet de serre assez élevées.

La seconde est la technologie à couche mince. Son inconvénient est que les métaux utilisés - le cadmium, par exemple - sont dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes lorsqu'ils sont dispersés dans l'environnement. Cependant, d'un point de vue industriel, leur installation sur les panneaux ne nécessite pratiquement pas de consommation d'énergie. En termes de quantité d'énergie utilisée, il y a un rapport de un à quatre entre les deux technologies.

Dans les pays où l'électricité est fortement carbonée, les panneaux sont largement émetteurs de gaz à effet de serre. À titre d'illustration, nous avons effectué un petit calcul : en Suède, où l'électricité hydraulique représente près de 90 % de l'électricité produite, passer au photovoltaïque entraînerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, ce qui irait à l'encontre des objectifs de la politique environnementale.

Cela ne veut pas dire, et cela m'amène à notre deuxième remarque sur la question des tarifs d'achat du solaire photovoltaïque, qu'il faut faire une croix sur cette une énergie qui a, selon nous, un potentiel important en France. Aujourd'hui, l'approche retenue par le Gouvernement, à la suite notamment du rapport Charpin-Trink de l'an dernier, consiste à plafonner par les volumes la quantité de panneaux solaires installés. L'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement était de 5,4 gigawatts de puissance installée d'ici à 2020 ; pour des raisons économiques - par crainte d'un emballement -, on a décidé de faire ce qu'il fallait pour l'atteindre mais de ne pas le dépasser.

Nous nous interrogeons quant à la rationalité économique de cette logique. En effet, il nous semblerait plus opportun de fixer un volume financier maximal attribué au développement de cette énergie, et de laisser les acteurs de la filière nous fournir les panneaux les plus performants, en prenant évidemment en compte un certain nombre de paramètres environnementaux, afin de s'assurer qu'aucun produit toxique n'est dispersé dans l'environnement et qu'il y a bien un gain en termes de CO2.

Mme Laurence Rossignol. - Je n'ai pas compris votre raisonnement.

M. Benoît Faraco. - Aujourd'hui, le Gouvernement semble vouloir s'en tenir à l'objectif de 5,4 gigawatts installés fixé dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'éviter l'emballement économique. Par ailleurs, il existe des objectifs européens de développement des énergies renouvelables, sur lesquels je reviendrai.

Telle est la logique qui semble prévaloir aujourd'hui.

Nous sommes favorables à une autre logique, consistant à fixer le montant que l'État est prêt à investir ou la charge que le consommateur est prêt à supporter pour développer les panneaux solaires, puis à demander aux acteurs économiques de nous proposer les panneaux les moins chers et les plus performants. Plus il y en aura, mieux ce sera ! Si les industriels peuvent arriver à 10 gigawatts installés avec les deux milliards d'euros prévus, qu'ils le fassent ! Nous sommes favorables à un pilotage économique de la filière plutôt qu'à la fixation d'un plafond quantitatif qu'il ne faut surtout pas dépasser.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce n'est pas ce qui s'est passé. Nous avons fixé une quantité et une date d'échéance, avec des tarifs tellement rentables - vous avez parlé à juste titre d'effet d'aubaine - que tout le monde s'est rué dessus. De ce fait, le nombre de projets déposés en un an et demi à peine représentait la totalité des tarifs d'achat que la France est capable de garantir sur dix ans. Voilà le problème ! Cela a entraîné un effet de stop and go malheureux, puisque les acteurs - nous avons bien compris ce que nous ont dit ceux que nous avons auditionnés - ont besoin de visibilité à plus long terme.

Cependant, indépendamment du système retenu - je suis assez sensible aux avantages de celui que vous proposez -, l'erreur a plutôt été de ne pas fixer des quotas annuels. Il aurait fallu, dès le début, fixer la capacité économique annuelle du pays, peut-être en intégrant votre suggestion, qui me paraît bonne.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Peut-être auriez-vous dû apporter une précision à l'attention de Mme Rossignol, monsieur Faraco. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il fallait construire davantage de panneaux solaires en France. Cela me semble contradictoire avec la logique que vous proposez, puisque celle-ci pourrait conduire à fabriquer des panneaux en Chine dans la mesure où cela coûte aujourd'hui moins cher. Telle était l'interrogation de Mme Rossignol. (Mme Laurence Rossignol acquiesce.)

M. Benoît Faraco. - Je n'ai sans doute pas été assez précis. Les deux paramètres sont importants.

Pour ne pas tomber dans une discussion un peu stérile sur la question de la protection aux frontières pour motifs environnementaux, dont on sait qu'elle fait fortement débat au sein tant de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, que de l'Union européenne, nous proposons de mettre en place un double système : d'une part, un plafonnement par les prix et la capacité financière de la France afin d'inciter les acteurs à optimiser leurs méthodes de production ; d'autre part, une contrainte environnementale conduisant à privilégier les panneaux les plus performants de ce point de vue, soit en interdisant les panneaux entraînant des émissions de plus de 80 ou 90 grammes de CO2, soit en établissant un cahier des charges technique permettant de sélectionner les panneaux les plus respectueux de l'environnement.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous reviendrons sur la question des panneaux chinois, mais allez d'abord au bout de votre démonstration, sans quoi vous ne pourrez pas répondre aux six questions que nous vous avons adressées.

M. Benoît Faraco. - J'en viens donc à la quatrième question, à laquelle je répondrai plus rapidement.

On peut poser le problème de deux manières. Tout d'abord, on peut l'appréhender du point de vue de l'offre énergétique, en restant dans une perspective d'augmentation de la consommation d'électricité, et alors nous ferons face à une vraie difficulté.

En matière d'énergies renouvelables, l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement est une proportion de 23 % dans la consommation d'énergie finale en 2020, ce qui est légèrement plus ambitieux que l'objectif de 20 % adopté par l'Union européenne. Au niveau européen, il existe un autre objectif, qui ne nous semble pertinent ni sur le plan économique ni sur le plan écologique, en matière d'agrocarburants. Je laisse toutefois cette question de côté, puisque votre commission d'enquête ne traite que de l'électricité.

Concernant l'objectif européen d'augmentation de la part des énergies renouvelables, il y a, je le répète, deux manières d'aborder le problème.

Soit on part du principe que la consommation d'énergie va continuer à augmenter en France, et alors il faut augmenter la production d'énergies renouvelables au prorata de la quantité d'énergie consommée : puisqu'il s'agit d'une fraction, il faut augmenter le numérateur si le dénominateur augmente.

Soit on considère que, pour atteindre l'objectif européen, on peut diminuer la consommation d'énergie : les investissements à consentir en matière d'énergies renouvelables sont dès lors moins importants. Ces énergies représentent déjà 12 à 13 %, ou peut-être même 14 % de la production d'électricité ; si nous réduisons notre consommation, nous aurons besoin de moins de nouvelles éoliennes et de nouveaux panneaux solaires pour atteindre nos objectifs, et nous pourrons même être plus ambitieux. Ce point nous semble fondamental, mais il a été un peu oublié par l'administration dans ses scénarios, notamment dans ceux qui ont servi de support à la politique pluriannuelle d'investissement.

La fondation Nicolas Hulot - il ne s'agit pas de faire notre publicité, mais nous pourrons vous communiquer ces éléments - a lancé hier une campagne intitulée « L'énergie, c'est mon choix », qui permet aux citoyens de se projeter en 2030 grâce à des scénarios énergétiques intégrant plusieurs indicateurs et notamment la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité. Nos modélisations, qui s'appuient sur un travail effectué avec le cabinet d'étude Carbone 4, montrent que, sans réduction de la consommation d'énergie, il sera difficile non seulement d'atteindre les objectifs européens à l'horizon 2020, mais aussi de faire croître la part des énergies renouvelables au-dessus de 30 % d'ici à 2030.

Si nous ne changeons pas nos habitudes, si notre consommation d'énergie continue à augmenter, nous ne pourrons pas atteindre des objectifs suffisamment ambitieux exprimés en pourcentage.

Notre conclusion est donc que, si nous voulons atteindre les objectifs du Grenelle de l'environnement, la première des priorités est de réduire notre consommation d'énergie. Cela nous permettra, d'une part, d'éviter des investissements dans de nouvelles infrastructures de production, et, d'autre part, de limiter l'impact économique sur les ménages et les entreprises des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Si vous le souhaitez, je peux vous donner un exemple, en comparant les conséquences de deux scénarios pour un ménage.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il faut vous arranger pour achever votre propos à seize heures quarante-cinq, afin qu'il nous reste un quart d'heure pour les questions complémentaires.

M. Benoît Faraco. - Dans ce cas, je passe tout de suite à la cinquième question : « Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ? »

C'est sans doute le cas, jusqu'à un certain point. Selon nous, l'objectif de 100 % d'électricité à partir d'énergies renouvelables est un mythe, il ne nous semble pas possible de l'atteindre d'ici à 2030 ni même d'ici à 2050, non parce que ce ne serait pas souhaitable politiquement, mais pour des raisons techniques et technologiques.

Nous sommes assez en phase avec les conclusions du rapport sur les énergies renouvelables du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, selon lequel, si l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables n'est pas atteignable, les travaux de prospective et l'état de la recherche scientifique sur les sources de production d'électricité et les réseaux intelligents nous permettent cependant d'espérer atteindre, à l'horizon 2050, une proportion de 80 à 90 % d'énergies renouvelables, en associant des énergies variables et intermittentes à la production hydraulique. On pourrait ainsi arriver à des taux de pénétration très importants mais à des horizons de temps éloignés et donc de manière assez peu corrélée aux préoccupations du jour.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous abordez un problème important : les énergies renouvelables sont souvent décriées au motif qu'il faudrait les compenser par le thermique. Ainsi, ce que l'on gagne en recourant aux énergies propres, on le perdrait en utilisant le thermique. Or vous nous dites que, grâce à des systèmes intelligents - je suppose qu'ils le seront -, la compensation thermique ne sera pas nécessaire : on arrivera à un petit écart de 20 % par rapport à l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables, écart qui sera facilement comblé par la production hydraulique.

Pourriez-vous nous décrire ces systèmes intelligents, sachant que nous ne sommes pas habitués à une telle complexité technologique ?

M. Benoît Faraco. - Compte tenu du temps qui m'est imparti, il me sera difficile d'entrer dans le détail.

D'après nos échanges avec les différents opérateurs de distribution, notamment RTE et ERDF, un certain nombre de paramètres nous permettront d'améliorer le système de prévision météorologique indispensable pour l'éolien et le solaire. En effet, il est essentiel de connaître quarante-huit à soixante-douze heures à l'avance les conditions potentielles d'ensoleillement et de vent, afin d'obtenir une vision assez fine de la production et d'être ainsi en mesure d'installer des unités de production de manière suffisamment dispersée sur le territoire pour que la production soit relativement constante.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le premier paramètre, c'est donc une meilleure prévision.

M. Benoît Faraco. - C'est bien cela.

En outre, le développement de réseaux intelligents nous permettra de passer d'un réseau relativement centralisé, en toile d'araignée - un point central, l'unité de production, diffuse l'énergie vers les différents lieux de consommation -, à un maillage plus fin, avec des réseaux capables d'échanger le courant dans les deux sens, de manière plus adaptée et plus rapide, voire de s'auto-réparer en cas de problème de tension posé par les énergies renouvelables - par exemple, si toutes les éoliennes fonctionnent en même temps. La continuité de l'approvisionnement sera ainsi garantie.

Dès aujourd'hui, grâce à ces réseaux en évolution, il est possible de transporter du nord au sud de l'Allemagne une bonne partie de la production des éoliennes, puisque l'on observe une décorrélation entre les lieux de production et les lieux de consommation.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Le deuxième paramètre, c'est donc une production plus décentralisée.

M. Benoît Faraco. - En effet.

On peut comprendre cette décentralisation de deux manières.

La première, un peu autarcique, consiste à produire sur un territoire l'électricité qui y est consommée ; cette approche ne nous semble pas la plus pertinente d'un point de vue économique, puisqu'elle impliquerait la création d'un grand nombre de réseaux locaux et que cela ne constitue pas la meilleure manière de garantir la sécurité d'approvisionnement des territoires.

La seconde est de construire un super-réseau intelligent au niveau européen ; cela passe par des investissements dans de nouvelles lignes, notamment à moyenne et haute tension - pas forcément à très haute tension -, même si l'on peut étudier ce qui se passe du côté de Desertec.

Une troisième amélioration pourrait être obtenue par un ensemble d'investissements dans des appareils techniques tant pour la transformation que le pilotage global des réseaux.

Je pense que nous pourrions ainsi atteindre un taux de pénétration des énergies renouvelables dans les réseaux compris entre 30 et 50 %. Par exemple, au Danemark, à certains moments, plus de 50 % de la production d'électricité est d'origine renouvelable.

L'état de la recherche, notamment le fameux rapport du GIEC, qui a le mérite d'avoir fait une revue assez exhaustive de la littérature sur le sujet, laisse envisager des taux élevés de pénétration des énergies renouvelables.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Dans combien de temps ? On ne peut pas parler de taux de pénétration de 30 à 50 % sur le réseau sans préciser le temps nécessaire pour y parvenir. Le Danemark a atteint de tels taux, mais c'est la conséquence d'une évolution entamée il y a trente ans ; tous les réseaux danois ont été équipés dès cette époque pour accueillir l'éolien. Vous dites que cela ne posera pas de problèmes de faire de même en France, mais à quelle échéance ?

M. Benoît Faraco. - Nos analyses prennent comme base l'horizon 2030, mais les résultats dépendront évidemment de certains paramètres, notamment économiques, comme la capacité d'investissement dans les réseaux. Les spécialistes affirment que nous disposons de marges de manoeuvre - nous pouvons aller plus vite sans mettre à mal la résilience de nos réseaux -, mais il va de soi que, pour atteindre des taux de pénétration de 30 à 50 % d'ici à 2020 ou 2030, il faudra réaliser des investissements assez importants dans les réseaux.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous laisse répondre à la dernière question, qui concerne également le domaine que vous venez d'aborder. Notre rapporteur s'est concentré sur la question des énergies renouvelables.

M. Benoît Faraco. - Si vous le permettez, je ferai d'abord un petit retour en arrière sur la question des tarifs d'achat. En effet, j'ai omis d'évoquer un point qui nous semble essentiel : l'information et la transparence vis-à-vis du public concernant les mécanismes de financement.

Il nous paraît absolument fondamental, pour apaiser le débat sur les tarifs d'achat, d'informer le grand public, notamment sur l'utilisation de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, via par exemple l'obligation pour les différents fournisseurs d'électricité de préciser le pourcentage du montant de la facture consacré à l'énergie solaire, à l'éolien ou à la cogénération de gaz.

Aujourd'hui, d'après ce que nous disent les sympathisants de la communauté de la fondation Nicolas Hulot, l'opacité des tarifs suscite de grandes interrogations. Concernant le coût des énergies renouvelables ou le rôle de la péréquation tarifaire, voire des soutiens à la cogénération de gaz, les ressentis sont assez déconnectés des réalités. C'est pourquoi, je le répète, il nous semble vraiment essentiel, si on veut améliorer l'acceptabilité sociale de ces mécanismes, d'informer en toute transparence celui qui paie, c'est-à-dire le consommateur, sur l'utilisation de la CSPE, sur la part de sa facture annuelle qui sert au développement de l'éolien et du solaire, ou à la solidarité, à la péréquation tarifaire avec les départements, régions et collectivités d'outre-mer.

Après cette parenthèse, j'en viens à la sixième question, qui porte sur les actions qu'il convient de mener prioritairement afin de réduire la consommation d'électricité en France.

Le constat qui justifie que nos recommandations soient principalement centrées sur les ménages, c'est que la consommation d'électricité dans le secteur industriel est à peu près constante depuis une trentaine d'années, notamment à cause de la désindustrialisation de la France. En effet, de nombreuses activités électro-intensives, comme la scierie, ont été délocalisées, ailleurs en Europe, à la périphérie de l'Europe ou dans les pays émergents. Dans le même temps, des gains ont été réalisés en matière d'efficacité énergétique.

En revanche, ce qui est préoccupant, c'est la forte croissance du chauffage électrique et de l'électricité spécifique, tant dans les bâtiments résidentiels que dans les bâtiments tertiaires. Au total, la consommation d'électricité des ménages augmente de 3 % par an, d'une manière assez régulière depuis une dizaine d'années. Ni la hausse du prix de l'électricité ni la crise économique n'ont entraîné de véritable ralentissement.

Je distinguerai deux types de mesures prioritaires : des mesures structurantes et des mesures spécifiques liées à la pointe électrique, qui constitue un sujet important.

S'agissant de la pointe électrique, il y a deux sujets principaux.

Le premier est le chauffage, puisque chacun allume le sien à dix-neuf heures, en rentrant du travail, ce qui nous permet de battre chaque année un bien triste record : celui de l'appel de puissance. Nous sommes favorables à des mesures fortes d'isolation des bâtiments, voire d'interdiction du développement du chauffage électrique dans les logements mal isolés. En effet, le chauffage électrique est sans doute pertinent pour des logements performants d'un point de vue thermique, mais, compte tenu des perspectives d'évolution à la hausse du coût de l'électricité, des enjeux sociaux et de l'efficacité relativement modeste de l'électricité en termes de service rendu et de confort dans les logements mal isolés, il nous semble important que les pouvoirs publics agissent prioritairement sur ce point.

Le deuxième sujet principal est l'éclairage. Nous avons progressé grâce à l'interdiction des ampoules à incandescence, mais d'autres questions ont été laissées de côté. Depuis les tables rondes sur l'efficacité énergétique, on commence à aborder certaines d'entre elles ; je pense notamment à l'interdiction des enseignes lumineuses, même si ce n'est qu'une petite mesure.

Toutefois, il nous paraît important d'engager une réflexion plus globale sur l'éclairage, et notamment sur la question des halogènes. En effet, pour un service rendu d'éclairage quasi identique, la consommation peut être multipliée par dix par rapport à une ampoule à incandescence. Or, malheureusement, l'éclairage halogène est en constant développement, puisque, même si on en a fini avec l'halogène à 100 ou 200 watts, on installe partout, chez les ménages mais aussi parfois dans les commerces, de petites rampes de cinq ou six halogènes à 10 watts, qui utilisent dix fois plus d'électricité que les ampoules basse consommation, pour un service rendu à peu près équivalent. Il y a donc vraiment des actions à mener dans ce domaine.

J'en viens aux mesures structurelles. Nous avons besoin de travailler fortement sur les compteurs intelligents. Il nous paraît important, en termes de pédagogie et d'information du public, de rendre visibles les consommations d'électricité. Peut-être cela vous fera-t-il sourire, car cela peut sembler anecdotique, mais le fait de donner un peu de visibilité aux compteurs dans la maison, en mettant un voyant rouge ou vert, par exemple, d'utiliser des éléments de communication et de pédagogie vis-à-vis des consommateurs d'électricité, est fondamental à nos yeux.

Il nous paraît également important de renforcer les normes, notamment pour l'ensemble des appareils électroménagers, hi-fi et autres. On a parlé d'un système de bonus-malus pour les téléviseurs et les ordinateurs. Là aussi, on peut avoir l'impression que c'est anecdotique, mais nos analyses de la consommation électrique des Français montrent que c'est l'accumulation de ces nouveaux usages de l'électricité qui contribue à l'augmentation de la consommation.

Je prendrai un exemple : la consommation annuelle d'une « box » donnant accès au wifi et à la télévision - presque chacun d'entre nous en possède une aujourd'hui - représente la moitié de celle d'un réfrigérateur. Par conséquent, la multiplication de ces petits appareils - on pourrait aussi mentionner les recharges de téléphone - soulève un certain nombre d'interrogations. Or, pour l'instant, ni l'État ni l'Union européenne ne se sont vraiment intéressés aux moyens de réglementer ce secteur afin d'harmoniser les consommations.

Il en va de même du parc de téléviseurs : pour un même service rendu - regarder un match de football -, certains modèles neufs consomment dix fois plus que d'autres dont le prix est équivalent. Il y a donc, je le répète, un besoin de contrôle, voire de normes dans ce domaine.

Je vais m'arrêter là, sauf si vous me laissez l'opportunité de développer une proposition d'évolution des tarifs de l'électricité présentée par la fondation Nicolas Hulot. Cette proposition me semble particulièrement pertinente compte tenu de l'objet de votre commission d'enquête. Dois-je la développer maintenant ou vous la laisser par écrit ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Peut-être pouvez-vous simplement la commenter, car votre note est dans le dossier que vous nous avez remis.

M. Benoît Faraco. - Comme je vous le disais en introduction, deux paramètres sont importants à nos yeux : premièrement, le système des tarifs réglementés ne permet pas de refléter la prise en compte des externalités environnementales - notamment les émissions de CO2 - dans le prix de l'électricité ; deuxièmement, nous avons perdu la dimension incitative du tarif de l'électricité. (M. Benoît Faraco fait circuler plusieurs photocopies d'un document.) Sans pilotage du prix par la puissance publique, il sera délicat d'obtenir des réductions de la consommation.

Notre proposition repose sur un double système : d'une part, un forfait de kilowattheures à un tarif proche du tarif actuel pour les consommations correspondant à des besoins essentiels, de base - la production de chauffage et d'eau chaude ainsi qu'un petit complément pour l'éclairage et la cuisson -, et, d'autre part, un tarif multiplié par deux pour l'ensemble des consommations dites de confort, afin d'inciter à la réduction des consommations.

Nous proposons également de coupler ce système à un mécanisme social permettant aux ménages en situation de précarité énergétique de bénéficier gratuitement des 3 000 à 5 000 premiers kilowattheures, ce qui serait bien plus efficace que les mécanismes actuels de tarifs sociaux de l'électricité, qui ne sont pas calibrés pour répondre aux besoins de ces personnes.

Nous préconisons aussi un mécanisme proche de l'option « effacement des jours de pointe » qu'avait proposée EDF à une époque, et qui permettait aux ménages de limiter eux-mêmes leur consommation d'électricité aux périodes où il y avait le plus de tension sur le réseau. Concrètement, nous proposons la création d'un tarif d'ultra-pointe, qui fixerait à un niveau très élevé le prix du kilowattheure aux moments où toutes les consommations sont maximisées, notamment lors de la pointe de dix-neuf heures en hiver, pour inciter fortement les consommateurs à modérer leurs usages de l'électricité.

Des améliorations technologiques contribueront également à cette réduction de la consommation. Par exemple, les compteurs intelligents et les dispositifs d'effacement vous permettront un jour d'éteindre automatiquement votre réfrigérateur entre dix-neuf heures et dix-neuf heures trente, sans aucun impact sur la qualité des aliments. Il faut continuer à avancer dans cette voie, en complément des efforts qui peuvent être demandés aux ménages en matière tarifaire, et qui permettraient de rationaliser les comportements de consommation.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je crois que notre rapporteur ne souhaite pas vous poser de questions complémentaires ; peut-être vous interrogera-t-il plus tard, à titre personnel. (M. Jean Desessard acquiesce.)

Pour ma part, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des énergies renouvelables et notamment du prix de rachat de certaines d'entre elles. Vous vous êtes « mouillé », puisque vous avez déclaré qu'il ne fallait pas hésiter à mettre en place un tarif de rachat évolutif en fonction de l'origine des panneaux photovoltaïques.

C'est alors que Laurence Rossignol est intervenue, à juste titre.

Je vous signale que, bientôt, nos panneaux seront presque exclusivement d'origine chinoise. Il n'y avait pas de panneaux français, nous utilisions des panneaux allemands ; or la plus grosse société allemande de production de panneaux photovoltaïques a été mise en liquidation judiciaire il y a deux jours ; elle a licencié neuf cents personnes, soit le tiers de ses effectifs, et annoncé qu'elle ne pouvait pas tenir face à la concurrence chinoise. Par conséquent, notre principal fournisseur non chinois est menacé de disparition, sa situation juridique étant gravissime.

Je souhaiterais donc que vous approfondissiez votre idée d'un tarif évolutif sur ces panneaux. Comment cela fonctionnera-t-il ? Quel mécanisme proposez-vous ?

M. Benoît Faraco. - Il y a deux manières de faire : soit on fixe un seuil d'émissions de gaz à effet de serre...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Seuls, sans nos voisins européens ?

M. Benoît Faraco. - On pourrait fixer ce seuil au niveau communautaire.

Vous avez cependant raison de m'interroger sur la faisabilité de notre proposition. De fait, il s'agit de remettre en cause un certain nombre de règles, notamment les règles de libre-échange sur le marché européen, mais aussi, plus généralement, dans le cadre de l'OMC. Il existe donc un vrai doute quant à la faisabilité juridique de ce type de mécanisme.

Toutefois, cela ne nous empêche pas de proposer la mise en place d'un système un peu volontariste. Une des astuces que l'on pourrait utiliser consisterait à bonifier ou à dégrader le tarif pour les panneaux ne respectant pas certaines normes. Cela aurait un effet incitatif, certes amoindri mais qui pourrait tout de même constituer un système de soutien, pour des raisons environnementales, à des filières plus propres. Un tel système nous paraît intéressant.

Le second mécanisme consisterait en l'établissement d'un cahier des charges environnemental. L'Union européenne l'a déjà fait pour les véhicules, avec les normes Euro 4 et Euro 5 ; cela n'a posé aucun problème aux compétiteurs chinois, qui se sont rapidement alignés sur ces normes sans provoquer de conflit commercial. Nous disposons donc de certaines marges de manoeuvre.

Plus généralement, ces sujets nous renvoient au débat sur la taxe d'ajustement aux frontières ou le mécanisme d'inclusion carbone, c'est-à-dire à la question de la compétitivité de l'industrie européenne. On sait que l'on ne résoudra pas tous les problèmes par des mesures françaises, voire européennes. C'est pourquoi nous plaidons également pour la mise en place, au niveau international, d'une organisation mondiale de l'environnement, qui pourrait contrebalancer fortement la dimension libre-échangiste de l'OMC quand elle ne prend pas en compte la dimension environnementale.

Il nous semble vraiment légitime, à condition qu'il ne s'agisse pas de protectionnisme pur et simple et que les motivations soient bien d'ordre environnemental, d'instaurer une véritable réglementation environnementale, d'abord au niveau communautaire puis au niveau international.

Il y a vingt-cinq ou trente ans, la France exerçait un vrai leadership technologique dans le domaine du solaire photovoltaïque. Nous avons perdu cet avantage par manque de visibilité et de stabilité. Je sais qu'il est facile de donner des leçons a posteriori, mais on voit bien que les pratiques actuelles de stop and go ralentissent certains investisseurs. On peut regretter l'effondrement des fournisseurs allemands et le développement des panneaux solaires chinois, mais il ne faut pas oublier que, derrière la question des coûts de production de ces panneaux, se pose celle du coût de la main-d'oeuvre en Chine et des conditions de travail des salariés chinois. Cette situation appelle des régulations plus globales, qui dépassent le seul sujet des panneaux solaires et des émissions de gaz à effet de serre.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous avez raison !

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. - Hier, nous nous sommes demandé à qui a profité le crime d'enrichissement, si je puis dire.

Notre président vient d'évoquer la situation de Q-Cells. Je rappelle que, il y a un an et demi ou deux ans, la Chancelière Merkel s'était étonnée que les prix du photovoltaïque ne diminuent pas, alors que l'augmentation de la productivité entraînait une baisse du coût. Les industriels n'ont pas diminué les prix, alors que les évolutions technologiques le leur permettaient. Aujourd'hui, Q-Cells paie cash le fait de n'avoir pas pris les mesures qui auraient répondu aux voeux de Mme Merkel.

Monsieur Faraco, vous avez rappelé qu'une entreprise française avait été sauvée il y a quelque temps par un opérateur historique.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous pouvez dire qu'il s'agit de Photowatt, qui a été repris par EDF.

M. Jean-Pierre Vial. - Il y a quinze ans, cette entreprise était la troisième mondiale dans son secteur et maîtrisait une technologie. Je partage donc votre point de vue, monsieur Faraco : un accompagnement adapté nous permettrait de reconquérir cette maîtrise technologique, qui est actuellement à la portée des industriels français.

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Benoît Faraco.

M. Benoît Faraco. - Je souhaite revenir sur la question des effets d'aubaine. De fait, le gros problème d'un certain nombre de mécanismes incitatifs, notamment de nature fiscale, est que l'on a du mal à optimiser l'utilisation de l'argent public, car l'État n'a pas forcément les moyens de s'assurer que les industriels ne profitent pas d'un effet d'aubaine.

À mon sens, cette difficulté appelle un pilotage extrêmement fin et régulier. Les Allemands ont réussi à baisser le tarif d'achat sans effet de stop and go ; c'est de ce côté que nous devons chercher des solutions. Il ne s'agit pas d'offrir une « aubaine verte » à certains acteurs. Le tarif d'achat - nous en sommes bien conscients - doit être envisagé de manière provisoire, temporaire et décroissante à mesure que la rentabilité s'améliore ; cette condition nous semble essentielle.

En parallèle, nous devons examiner attentivement les subventions et autres soutiens accordés à la production d'énergie conventionnelle.

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'ai beaucoup aimé la logique de votre démonstration. J'ai notamment apprécié la partie relative aux préoccupations sociales, avec votre proposition d'accompagnement des personnes les plus précaires : c'est une idée très originale.

Il était également important de dire, comme vous venez de le faire, que, qu'on le veuille ou non, la France a subventionné la production de panneaux chinois, c'est-à-dire une activité qui, sur le plan social, laisse quelque peu à désirer...

M. Benoît Faraco. - Bien sûr !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions de manière aussi complète et précise. Ne soyez pas surpris cependant si notre rapporteur les prolonge de questions complémentaires.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je vous interrogerai notamment sur les réseaux intelligents et les mécanismes de compensation, monsieur Faraco.

M. Benoît Faraco. - La commission d'enquête est-elle habilitée à recevoir des contributions écrites ? Peut-on verser des documents au dossier ?

M. Ladislas Poniatowski, président. - Tout à fait ! Nous sommes mêmes demandeurs.

Je vous remercie, monsieur Faraco.

Audition de M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 »

M. Ladislas Poniatowski, président. - Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'audition de M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 ».

Monsieur Percebois, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, qui n'en est d'ailleurs pas une, puisqu'on ne peut pas refuser de venir devant une commission d'enquête. (Sourires.)

Notre commission d'enquête a été créée à l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a adressées par écrit, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Jacques Percebois prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Monsieur Percebois, nous vous avons transmis sept questions - c'est pour l'instant le record ! -, que je vais donc résumer.

Première question : pouvez-vous présenter les principales conclusions du rapport « Énergies 2050 » ? En particulier, êtes-vous en mesure de préciser l'impact des grandes options que vous avez étudiées en termes de prix de l'électricité ?

Deuxième question : quelle est la sensibilité de vos conclusions, d'une part, au choix d'un taux d'actualisation pour les charges futures, d'autre part, aux prix du CO2 ? Avez-vous pris en compte, et sous quelle forme, des externalités qui ne seraient pas déjà incluses dans les tarifs : emploi, balance commerciale, impact sur l'environnement... ?

Troisième question : le rapport « Énergies 2050 » suggère, dans sa synthèse générale, la construction d'un petit nombre d'EPR ; quels éléments vous conduisent-ils à penser que le coût de l'électricité produite par EPR sera compétitif au point de justifier un engagement sur le long terme tel que la construction de réacteurs nucléaires nouveaux ?

Quatrième question : le marché de l'électricité est-il ou risque-t-il d'être dans les vingt prochaines années, compte tenu du développement de certains moyens de production, en situation de surcapacité ? Qu'en est-il du parc de centrales nucléaires ?

Cinquième question : en tant qu'économiste, considérez-vous que les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent actuellement les « coûts réels » complets de production, transport, distribution et fourniture ?

Quelle est votre point de vue sur les déclarations du président de la Commission de régulation de l'énergie, qui annonce une augmentation de 30 % des prix de l'électricité d'ici à 2016 ?

Sixième question : estimez-vous que le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, a été fixé au niveau approprié ?

Septième question : quel jugement portez-vous, d'une manière générale, sur les mécanismes actuels de soutien aux différentes énergies renouvelables, à la cogénération et aux économies d'énergie ? S'agit-il de systèmes économiques optimaux pour promouvoir ces nouveaux moyens de production ?

M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 ». -Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette « invitation ». C'est bien volontiers que je vais rendre compte des principales conclusions de la commission « Énergies 2050 ».

Permettez-moi tout d'abord de rappeler que c'est à la demande de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, que j'ai été nommé président de la commission « Énergies 2050 » en octobre 2011, le vice-président étant Claude Mandil.

Cette commission a été chargée de faire des projections à l'horizon 2030-2050 au regard des principaux enjeux énergétiques, notamment électriques, pour la France dans le cadre de la préparation à la programmation pluriannuelle des investissements, puisqu'en 2013 le Parlement aura à se prononcer sur la PPI.

Dans la lettre de mission qui m'a été adressée par le ministre, il était question de l'énergie en général pour la France, mais plus spécifiquement de la place du nucléaire. En particulier, il nous était demandé d'examiner de près quatre scénarios nucléaires, sur lesquels je vais revenir.

Cette commission comprenait une cinquantaine de personnes. Outre le président et le vice-président, elle comptait dix rapporteurs, dont deux rapporteurs généraux. Ces rapporteurs étaient issus de la direction générale de l'énergie et du climat, de la direction générale du Trésor, du Centre d'analyse stratégique, le CAS, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Six personnalités qualifiées siégeaient également au sein de cette commission, ainsi que des représentants des entreprises énergétiques, des organisations syndicales, des associations de consommateurs, et de diverses organisations, notamment écologistes ; l'une d'entre elles, qui a participé au scénario négaWatt, a ainsi été auditionnée deux fois.

Cette commission a siégé durant quatre mois de façon intensive : nous avons auditionné quatre-vingts personnes ou organismes. Les rapporteurs ont accompli un travail important, comme en témoigne le rapport, qui comporte un peu plus de cinq cents pages.

À ce document sont annexées les propositions des différents membres de la commission. Seuls le président et le vice-président sont signataires du rapport et ce sont eux qui donnent un avis au ministre chargé de l'industrie, mais les membres de la commission ont pu s'exprimer à titre personnel ou au nom de leur organisation afin de faire part de leurs observations.

L'objectif était d'étudier l'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie à l'horizon 2030-2050.

La première observation que je ferai, qui apparaît bien dans le rapport, c'est que, s'il est possible de faire des projections pour 2030, il est bien plus difficile d'être précis pour 2050 : pensez aux scénarios énergétiques que nous aurions pu envisager en 1973, au moment du premier choc pétrolier, pour 2012 ! Il faut donc être extrêmement modeste et prudent dans ses prévisions.

On peut penser que, d'ici à 2030, il n'y aura pas de grandes mutations technologiques. En revanche, au-delà de 2030 de telles mutations sont possibles. Parmi celles qui nous paraissent susceptibles de changer complètement la donne figure le stockage à grande échelle dans des conditions économiques de l'électricité. Cela changerait totalement les choses, notamment pour la promotion des énergies renouvelables.

Un autre élément important est le captage et le stockage du CO2. On sait qu'on pourra le faire, mais on ne sait pas précisément à quelle échéance.

Un certain nombre de mutations techniques peuvent donc apparaître après 2030. Nous avons examiné huit scénarios élaborés par différents organismes, notamment RTE, le CEA, AREVA, le ministère... Ces scénarios, en général, s'arrêtent à 2030 ; seuls deux d'entre eux vont au-delà, jusqu'en 2050. Bien sûr, nous avons aussi examiné les prévisions pour 2050 de la roadmap de la Commission européenne, mais il s'agit de considérations assez générales.

Les incertitudes concernent d'abord la demande d'énergie. Il est certain, pour le dire de façon simple, qu'à l'échelle mondiale la demande d'énergie va croître, notamment en Asie, et que c'est cette demande asiatique qui va largement tirer les prix de l'énergie vers le haut.

Notre hypothèse, c'est que le prix du pétrole ne devrait pas chuter. Par conséquent, il devrait rester élevé au moins jusqu'en 2030. Le prix actuel du baril étant de 120 à 125 dollars le baril, nous avons envisagé qu'en monnaie constante, à l'horizon 2050, ce prix devrait être d'au moins 150 dollars, ce qui ne paraît pas excessif.

Nous avons également fait l'hypothèse que le prix du CO2, qui est très bas aujourd'hui, ne s'écroulerait pas. Sans nous fonder sur des prix très élevés, nous avons pensé que la contrainte environnementale demeurerait forte.

La part des énergies fossiles restera importante. Aujourd'hui, à l'échelle mondiale, elles représentent 80 % du bilan primaire ; en France, elles représentent 53 % du bilan primaire et 70 % de l'énergie finale. Nous faisons l'hypothèse qu'à l'horizon 2030 la part des énergies fossiles, c'est-à-dire le pétrole, le gaz et le charbon, devrait baisser un peu, sans toutefois diminuer substantiellement, car des inerties très fortes existent dans le secteur énergétique. Et puis parce que de larges ressources en pétrole, en gaz et en charbon subsistent, surtout si l'on fait l'hypothèse qu'il existe des sources importantes de gaz non conventionnel à l'échelle mondiale. Il suffit à cet égard de se référer à la situation américaine. En tout état de cause, nous nous sommes fondés sur l'idée qu'aucune mutation à l'horizon 2030 n'affecterait la part des énergies fossiles.

Un point sur lequel tout le monde s'accorde est la nécessité de l'efficacité énergétique. Il existe en France un potentiel énorme d'économies d'énergie, en particulier dans deux domaines : le bâtiment et les transports.

Toutefois, pour les bâtiments existants, nous sommes quelque peu démunis. Si, sur les nouveaux bâtiments, les contraintes vont pouvoir s'appliquer - on peut même faire des constructions à énergie positive -, en revanche, sur l'existant, les économies à opérer sont coûteuses, à peu près tout le monde est prêt à en convenir. Ainsi, l'isolation thermique des bâtiments existants coûte cher. Il faut donc trouver le moyen d'inciter les ménages à réaliser ces économies d'énergie. J'ajoute qu'il revient généralement aux propriétaires d'effectuer ce type de travaux, dont profitent le plus souvent les locataires. Le potentiel d'économies existe mais le système est compliqué à mettre en oeuvre.

Nous avons examiné avec beaucoup d'attention et d'intérêt des scénarios très ambitieux, très volontaristes. Ainsi, selon le scénario négaWatt, en faisant appel à des technologies très performantes, on pourrait quasiment diviser par deux la consommation d'énergie en France à l'horizon 2030-2050. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue et nous sommes un certain nombre à ne pas y souscrire ; c'est en tout cas le sentiment qui transparaît à la lecture de notre rapport. Il est en effet difficile de faire évoluer les comportements, qui demeurent assez rigides. Même si les technologies permettant de réaliser d'importantes économies seront disponibles, on ne peut pas escompter contraindre trop fortement les consommateurs, leur demander, par exemple, de ne pas recourir à des technologies nouvelles qui seraient consommatrices d'énergie.

En ce sens, on peut tout à fait concevoir un scénario selon lequel la consommation totale d'énergie baisserait tandis que la consommation d'électricité augmenterait. En effet, il peut y avoir davantage d'usages électriques dans le futur.

L'accent est donc largement mis sur l'efficacité énergétique, même si, nous le savons, la mise en oeuvre de cette efficacité n'est pas toujours facile, car, lorsque les technologies existent, elles sont coûteuses.

Concernant les énergies renouvelables, nous estimons qu'il existe un potentiel important. Il ne faut donc pas opposer, en matière d'électricité par exemple, le nucléaire et les renouvelables. Il y a un potentiel, des engagements ont d'ailleurs été pris, des efforts sont consentis, j'aurai l'occasion d'y revenir en réponse à la dernière question posée. Cela étant, un problème se pose, qu'il ne faut pas sous-estimer, celui des installations de back up, c'est-à-dire la nécessité de compenser l'intermittence.

Les énergies renouvelables, qu'il s'agisse du solaire ou de l'éolien, ne sont pas disponibles en permanence. Quand il n'y a pas de soleil ou de vent, il faut que des centrales en stand-by permettent de faire face à l'intermittence.

Ce n'est pas un élément négligeable. Nous avons ainsi étudié la disponibilité du vent en Europe, en nous fondant sur l'hypothèse selon laquelle cette disponibilité à l'horizon 2030 serait à peu près du même ordre que durant ces dernières années : nous nous sommes aperçus que l'éolien était disponible en moyenne 21 % du temps, ce taux pouvant monter à 60 % à certains moments, ce qui est important, mais également baisser à 5 %, voire en deçà, à d'autres moments.

Un des enseignements intéressants de nos débats a été que le foisonnement sur lequel beaucoup insistent ne semble pas exister. On a tendance à penser que, lorsqu'il n'y a pas de vent dans le sud de l'Europe, il y en a dans le nord. Mais, à regarder les choses de près, on se rend compte que ce n'est pas tout à fait vrai. Au vu des statistiques disponibles, il nous est apparu que, lorsqu'il n'y avait pas de vent dans une zone de l'Europe en raison d'un anticyclone, notamment en période de froid, il n'y en avait nulle part. Le problème de l'intermittence se pose donc avec acuité.

À partir de là, quelles sont les perspectives pour le parc électrique français ?

Nous avions à examiner, conformément à la lettre de mission adressée par le ministre, quatre scénarios.

Le premier scénario consistait en la prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, donc du parc des 58 réacteurs de deuxième génération. Ce parc a aujourd'hui une trentaine d'années ; il est programmé pour durer quarante ans - les coûts ont été calculés sur cette durée -, soit jusque vers 2020, 2025. Ce premier scénario revenait à se demander si l'on pouvait prolonger la durée de vie des réacteurs pendant encore vingt ans, en sachant - il faut être prudent - que, de toute façon, la prolongation ne peut se faire que sur autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire. L'hypothèse fonctionne sous réserve que l'ASN donne son accord pour chacun des réacteurs, pour dix ans, et renouvelle son accord au bout de dix ans.

Nous avons ensuite étudié, sur le plan strictement économique, car nous ne sommes pas compétents pour porter un jugement sur les aspects techniques ou de sûreté, quelles seraient les conséquences d'une prolongation de vingt ans des réacteurs actuels.

Un deuxième scénario reposait sur l'accélération du passage à la troisième, voire à la quatrième génération. La troisième génération est celle de l'EPR ; un EPR est en construction, un autre est programmé. La question posée est la suivante : quand les réacteurs actuels atteignent environ trente ou quarante ans, faut-il passer aux générateurs de troisième génération et, éventuellement, vers 2040, accélérer le passage vers la quatrième génération ? C'est le prototype ASTRID.

Un troisième scénario envisageait une baisse de la part du nucléaire. Lorsque les réacteurs atteignent quarante ans, un sur deux est remplacé, soit par des renouvelables, soit par des fossiles, c'est-à-dire de l'électricité produite essentiellement à partir du gaz, ou parfois aussi du charbon. Un réacteur sur deux continue à être du nucléaire, l'autre étant remplacé par un mix de renouvelables ou de fossiles.

Le quatrième scénario consisterait en l'arrêt du nucléaire. Quand les réacteurs atteignent quarante ans, ils sont systématiquement arrêtés et remplacés par un mix de fossiles ou de fossiles et de renouvelables.

Nous avons étudié en détail sur le plan économique ces différents scénarios, en nous appuyant sur les chiffres à notre disposition, notamment ceux de la Cour des comptes. Claude Mandil et moi-même faisions également partie du groupe d'experts auxquels la Cour des comptes a fait appel pour l'élaboration de son rapport. Nous ne pouvions pas officiellement faire état de ces chiffres tant que nous n'avions pas auditionné Mme Pappalardo, ce qui a été fait en cours de route. Il y a une cohérence entre les chiffres du nucléaire donnés par la Cour des comptes et les chiffres sur lesquels nous nous sommes appuyés.

Pour résumer les conclusions de notre rapport, le scénario qui, dans l'état actuel des informations et compte tenu des hypothèses que j'ai rappelées tout à l'heure, permet de minimiser le coût de l'électricité ou d'éviter une trop forte augmentation des tarifs - dans tous les cas de figure, en effet, le prix de l'électricité peut monter, j'aurai l'occasion d'y revenir - est celui qui consiste à prolonger la durée de vie des réacteurs actuels.

Ce scénario, qui est le plus intéressant sur le plan économique, suppose deux conditions fondamentales : premièrement, que l'ASN donne son accord, et nous faisons l'hypothèse que cela est de sa compétence ; deuxièmement, que les investissements de jouvence et de sûreté qui sont programmés soient réalisés. Leur montant n'est pas négligeable, puisqu'ils représentent 55 milliards d'euros, soit environ 45 milliards d'euros en termes de jouvence et 10 milliards d'euros supplémentaires pour la sûreté.

Les scénarios alternatifs sont plus coûteux. De toute façon, quoi qu'on fasse, en 2050, le parc actuel sera renouvelé. La différence, c'est que, dans un cas, il faut se préoccuper de remplacer les réacteurs dès 2025, alors que, dans les autres cas, on peut attendre 2030, 2035, voire 2040. Dès lors que sont consentis des investissements importants pour changer les réacteurs, le coût est évidemment plus élevé.

Nous avons également étudié les conséquences de ces scénarios en termes d'externalité : sur la balance commerciale, sur l'emploi, sur l'indépendance énergétique de la France. Quel que soit le scénario envisagé, les conclusions étaient les mêmes : l'intérêt économique de la France, c'est d'allonger la durée de vie des réacteurs actuels. Cela nous permettra en outre le moment venu, c'est-à-dire d'ici à quinze ans, d'y voir plus clair en matière de solutions alternatives.

C'est au fond une stratégie de moindre regret, au sens mathématique du terme, non au sens trivial : on minimise les inconvénients et l'on y verra plus clair dans quinze ans, notamment si interviennent des mutations technologiques et si le coût des renouvelables s'est fortement amenuisé. On pourra, à ce moment-là, prendre les bonnes décisions, réduire un peu la part du nucléaire pour passer à plus de renouvelables ou, au contraire, envisager d'autres solutions.

Le scénario d'accélération de l'EPR nous est apparu plus coûteux, car l'EPR, il est vrai, coûte plus cher. À cela s'ajoute une contrainte en termes de potentiel de l'industrie française : il n'est pas du tout certain que celle-ci puisse faire face à la construction de deux réacteurs par an, à intervalles réguliers.

Cet élément industriel est important ; comme nous l'avons souligné dans nos conclusions, nous considérons que c'est pour la France une chance d'avoir une industrie nucléaire performante, à tous points de vue. Notre pays est compétent dans plusieurs domaines sur le plan industriel, notamment l'aéronautique et le nucléaire. Donc, à la fois en termes d'emplois qualifiés, de potentiel industriel, voire d'exportations, il faut absolument maintenir cette compétence.

Je rappelle que notre balance commerciale présente un déficit de 70 milliards d'euros, sur lesquels 60 milliards d'euros sont dus à l'énergie. Le nucléaire contribue, certes modestement, à soulager ce déficit avec 2,3 ou 2,5 milliards d'euros d'exportations. Les calculs sont faciles à faire : si l'on ne faisait pas de nucléaire, il faudrait logiquement construire des centrales à gaz et importer pour 20 milliards d'euros supplémentaires.

Nous sommes prudents mais, durant ces quatre mois où nous avons étudié tous les scénarios, notamment ceux proposés par les autres institutions, auditionné un grand nombre de personnalités, ce scénario de la prolongation du parc nucléaire actuel nous est apparu collectivement comme le meilleur.

M. Jean Desessard, rapporteur. -Quand vous dites que notre industrie n'a pas la capacité de construire deux EPR par an, faites-vous allusion aux entreprises de travaux publics ?

M. Jacques Percebois. - En effet. Construire un deuxième EPR au bout de deux ou trois ans, c'est possible, faire deux EPR par an est plus problématique. Si l'on retient l'hypothèse d'une accélération, cela veut dire que l'on devra, à un moment donné, commencer par faire deux EPR, ce qui risque d'être difficile.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il s'agit de remplacer les 58 réacteurs à mesure qu'ils atteignent la fin de leur durée de vie, sans la prolongation des vingt ans, par des EPR ?...

M. Jacques Percebois. - Absolument. C'est du systématique.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce scénario paraît un peu caricatural.

M. Jacques Percebois. - C'est vrai. L'EPR est un réacteur plus sûr que les réacteurs actuels, mais le coût en est plus élevé. Nous aurons l'occasion d'y revenir puisqu'une question m'a été posée au sujet de l'EPR.

Cela étant, notre commission a recommandé de faire un peu d'EPR, de lisser un peu le remplacement, c'est-à-dire de ne pas perdre de vue que l'EPR est un excellent réacteur et qu'il est bon, ne serait-ce que pour maintenir la compétence technologique française, notamment celle des ingénieurs, de faire des EPR, mais pas systématiquement tous les ans.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie de cette précision, car, compte tenu de la façon dont le rapporteur a formulé sa question, on pouvait comprendre qu'il fallait s'arrêter après le premier EPR. Or, ce que l'industrie ne peut pas assumer, ce sont deux EPR par an.

M. Jacques Percebois. - Absolument, monsieur le président.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Et c'est bien ce que le rapporteur a compris !

M. Jean Desessard, rapporteur. - J'ai compris ce qu'a dit M. Percebois. (Sourires.)

M. Jacques Percebois. - J'en arrive à la deuxième question, la sensibilité au prix du CO2.

Si l'on avait choisi un prix du CO2 très élevé, on aurait en quelque sorte pénalisé les fossiles. Nous avons donc été raisonnables et retenu un prix de 50 euros par tonne de CO2. C'est nettement plus qu'aujourd'hui, mais c'est loin du prix de 100 ou 150 euros retenu par certains. Le taux d'actualisation intervient, ce qui peut modifier ce prix à la marge. Mais on a choisi un taux qui n'est pas négligeable, qui est de 8 %, avec des simulations à 5 %, comme l'a fait la Cour des comptes, ou à 10 %.

Il est vrai que, plus on choisit un taux élevé, plus on « écrase » le futur. Il est certain que, si le remplacement du nucléaire se fait tard, cela favorise une solution nucléaire de prolongement. En même temps, si l'on choisit un taux très bas, si l'on fait des investissements rapides en matière d'énergies renouvelables, cela peut pénaliser ces dernières, puisque le coût sera relativement élevé.

Cela modifie à la marge les résultats relatifs, mais cela ne modifie pas la hiérarchie économique, ce que l'on appelle la règle du merit order. Le nucléaire reste la moins chère des énergies. Le kilowattheure produit à partir des renouvelables ou des fossiles est plus coûteux.

Pour les renouvelables, au vu des chiffres actuellement disponibles, nous avons avancé l'hypothèse qu'il y aurait un effet d'apprentissage et que le coût des renouvelables baisserait. Comme cela apparaît bien dans l'ensemble des tableaux, nous avons fait l'hypothèse qu'il y aurait des gains d'efficacité, des économies d'échelle, mais que les renouvelables resteraient relativement coûteuses.

Une autre hypothèse, c'est que le prix du gaz resterait corrélé au prix du pétrole, sans être toutefois systématiquement indexé sur ce dernier, comme c'est le cas aujourd'hui. Un scénario pourrait changer la donne : imaginons qu'il y ait en France la même situation qu'aux États-Unis, c'est-à-dire un gaz de schiste à 2 dollars le million de BTU (British thermal unit).

M. Jean Desessard, rapporteur. - Ce n'est pas une bonne idée !

M. Jacques Percebois. - C'est une hypothèse académique ! (Sourires.)

La question est importante parce qu'aux États-Unis, aujourd'hui, le prix du gaz a modifié la donne : 50 % de la production américaine d'électricité provient des centrales à charbon et, à l'heure actuelle, celles-ci ne sont plus compétitives, contrairement aux centrales à gaz.

C'est le seul scénario qui changerait la donne, mais nous ne l'avons pas explicité dans le rapport.

La question des externalités - j'ai évoqué la balance commerciale - est importante.

Sur l'emploi, nous avons conscience que les énergies renouvelables créent aussi des emplois. Schématiquement, le nucléaire représente environ 400 000 emplois, dont 200 000 emplois directs et 200 000 emplois indirects. Après avoir examiné les choses de façon générale, sans trop entrer dans le détail, nous avons néanmoins remarqué que la nature des emplois n'était pas la même. Il importe, en effet, de différencier les types d'emplois et de compétences. L'installateur de chauffe-eau solaire n'est pas l'ingénieur nucléaire. La compétence industrielle joue aussi. Le nombre d'emplois est un argument, mais il ne faut pas se limiter à ce seul critère.

En revanche, ce qui nous est apparu important, en faisant fonctionner le modèle NEMESIS de la Commission européenne, c'est que le nucléaire représente un avantage s'agissant des emplois induits. Ces emplois sont liés au fait que, grâce au nucléaire, le prix de l'électricité reste bas, ce qui, pour l'industrie ou pour les services en France, est un avantage dans la compétition. Une augmentation du prix de l'électricité entraînerait sûrement des délocalisations ou des suppressions d'emplois. Suivant les scénarios, nous étions à 100 000, voire 200 000 emplois.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Un prix moindre de l'électricité favoriserait la création d'emplois induits ?

M. Jacques Percebois. - Tout à fait.

Il faut différencier les emplois directs, c'est-à-dire directement liés au nucléaire, les emplois indirects, qui concernent ceux qui travaillent indirectement pour le nucléaire et les emplois induits, qui concernent ceux qui profitent d'un prix de l'électricité relativement bas.

Il est certain qu'une augmentation du prix de l'électricité aurait des conséquences pour certains secteurs industriels. On peut notamment penser à l'aluminium et à certaines industries électro-intensives.

Le faible prix des hydrocarbures aux États-Unis entraîne un repositionnement de certaines industries grosses consommatrices de pétrole et de gaz dans ce pays. Le maintien à un prix assez bas de l'électricité en France nous permettra de maintenir des industries électro-intensives, voire d'en accueillir de nouvelles.

S'agissant de l'environnement, je souligne que la France émet très peu de CO2 par habitant grâce au nucléaire. Si l'on arrêtait le nucléaire, ou si l'on en diminuait la part, pour le remplacer par des renouvelables, cela n'aurait pas d'impact direct sur le CO2. En revanche, si l'on passait à l'électricité d'origine fossile, même partiellement, même s'il s'agit du gaz, cela entraînerait une augmentation des émissions de CO2.

J'en viens à la question de savoir si le coût de l'EPR peut baisser. Je reviendrai tout à l'heure sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes, parce qu'il faut faire le lien entre le coût donné par la Cour des comptes et le prix de l'ARENH.

La Cour des comptes évalue à 49,50 euros le coût moyen d'un mégawattheure ; avec l'EPR, on est plus proche de 75 euros, mais c'est un prototype. Nous avons fait l'hypothèse que, si l'on passait à l'EPR, le prix ne serait pas nécessairement de 75 euros, qu'il serait un peu plus bas, tout en étant supérieur à 50 euros. Suivant les scénarios, on est plutôt aux alentours de 60 euros. Un effet d'échelle peut jouer faisant ainsi baisser le coût. C'est un pari qu'on peut faire, car l'expérience montre que, en général, si l'on fait plusieurs EPR, on peut gagner en termes de coût ; mais on n'en a pas la preuve. Évidemment, un coût de 75 euros renforce la conclusion que je vous ai tout à l'heure exposée : il ne faut surtout pas faire deux EPR par an. À 60 euros, il faut en faire un peu.

Dans le domaine électrique, sommes-nous en sous-capacité ou en surcapacité ? Ne perdons pas de vue que, l'électricité ne se stockant pas, il faut en permanence que la demande soit satisfaite par une offre suffisante. Par conséquent, il vaut mieux être en surcapacité qu'en sous-capacité.

On observe aujourd'hui que l'on est parfois, en Europe - pas seulement en France -, en surcapacité à certaines heures et en sous-capacité aux heures de pointe. En Europe, le gros problème qui va se poser, c'est la pointe. Il se pose déjà en France. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la loi NOME prévoit qu'il faut mettre en place un marché de capacité. Ce problème se posera avec plus d'acuité encore à l'avenir parce que, pour l'instant, les équipements de pointe ne sont pas très rentables.

Pendant un certain nombre d'années, nous avons été en surcapacité nucléaire, ce qui nous a permis d'exporter de l'électricité en base.

Pour notre part, nous nous fondons sur l'hypothèse selon laquelle la demande d'électricité en France restera stable ou connaîtra une légère croissance ; nous n'imaginons pas une chute de la demande. Certains militaient pour une hypothèse de forte augmentation, arguant que des usages électriques vont apparaître. Si l'on retient l'hypothèse d'une demande stable ou en légère augmentation, nous ne serons pas en surcapacité en France.

En revanche, en Europe, on le voit bien, puisque nous sommes interconnectés, il peut y avoir à certaines heures une surcapacité, notamment en éolien. C'est l'un des problèmes auxquels sont confrontés les Allemands à l'heure actuelle. Lorsqu'il y a beaucoup de vent en mer du Nord et que la demande d'électricité est faible, par exemple la nuit, ils ont trop d'électricité. La logique devrait alors commander d'arrêter des centrales thermiques, puisque l'éolien est prioritaire sur le réseau. Néanmoins, dans la mesure où il est coûteux d'arrêter de telles installations pendant trois ou quatre heures pour les remettre ensuite en marche, il faut trouver quelqu'un qui accepte de prendre cette électricité en trop et de payer ce quelqu'un, si bien que l'on aboutit à des prix négatifs. Cela s'est produit plusieurs fois en Allemagne.

Ce n'est évidemment pas le consommateur final qui achète sur le marché de l'électricité à un prix négatif. Ce sont essentiellement les Suisses qui le font. Avec cette électricité, ils montent de l'eau au sommet de leurs montagnes, où ils possèdent des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, c'est-à-dire des installations pour stocker de l'eau. Ils « returbinent » aux heures de pointe pour revendre aux Italiens de l'électricité à prix élevé. Par conséquent, ils gagnent deux fois, quand ils prennent et quand ils revendent. C'est un effet pervers du système : à ce moment-là, il serait logique d'arrêter soit l'éolien, soit les centrales thermiques.

En France, ce phénomène ne s'est pour l'instant produit qu'une seule fois : le 2 janvier 2012, à quatre heures du matin, le mégawattheure a coûté, je crois, moins 5 euros ; mais c'est anecdotique.

Je ne pense pas que nous soyons en surcapacité. Il faut plutôt se préoccuper de la sous-capacité aux heures de pointe, car c'est un des gros problèmes.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Indépendamment de l'aspect commercial et financier de l'exemple que vous venez de décrire, le fait que les Suisses remontent l'eau, la stockent et produisent ensuite de l'électricité en période de pointe peut être intéressant pour faire face aux pointes.

M. Jacques Percebois. - Oui.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je me trompe peut-être, mais ce n'est pas la seule utilisation de la surcapacité. Certaines entreprises profitent de cette « électricité négative » pour fabriquer des produits dont elles n'ont pas un besoin immédiat, mais qu'elles ont la capacité de stocker.

M. Jacques Percebois. - Oui. Les entreprises allemandes ont préempté beaucoup de STEP dans les pays nordiques : elles savent qu'elles auront des problèmes et elles veulent donc pouvoir stocker indirectement. À défaut de stocker l'électricité, elles stockent l'eau. C'est ainsi qu'elles procèdent.

M. Jean-Pierre Vial. - Vous semblez avoir beaucoup approfondi ce point.

Vous êtes-vous penché sur l'action des pays voisins - Allemagne, Autriche, Espagne -, qui semblent développer des capacités STEP pour répondre à ce besoin de l'énergie à bas coût ?

M. Jacques Percebois. - Non, nous savons que le problème existe. Nous ne nous en sommes pas préoccupés et nous n'avons pas étudié ces questions.

Nous avons cependant examiné de près la situation de deux pays, puisque nous avons auditionné des représentants du ministère de l'énergie britannique et du ministère de l'énergie allemand. Il s'agit de deux cas un peu antinomiques puisque, dans un pays, on veut refaire du nucléaire et, dans l'autre, on veut en sortir.

Avec les spécialistes de RTE, nous avons examiné les effets induits, par exemple en Pologne ou en République tchèque. En effet, quand il y a trop d'électricité dans le nord de l'Allemagne, comme il n'y a pas assez de lignes pour la transporter du nord vers le sud, les Allemands sont obligés de passer par la Pologne, par l'Autriche, puis ils remontent vers le sud de l'Allemagne. Cela peut poser des problèmes aux pays limitrophes de l'Allemagne, donc, demain, également à la France. Pour faire simple, les Allemands ont intérêt à avoir des interconnexions de plus en plus fortes, mais je ne suis pas absolument certain que ce soit l'intérêt de tous les pays limitrophes.

J'en viens au prix de l'électricité. Je rappelle que, dans le rapport que nous avons rédigé, nous nous sommes avant tout préoccupés du coût « sortie centrale », c'est-à-dire du coût complet du kilowattheure. Je rappelle, car c'est important et nous y insistons beaucoup dans le rapport, que, le prix de l'électricité qu'acquitte le consommateur final domestique correspond, pour 40 % au coût du kilowattheure, pour 35 % aux péages d'accès aux réseaux - distribution, 25 %, et transport, 10 %. Les 25 % restants correspondent à des taxes et à la CSPE. Notre mission consistait avant tout à regarder le coût du kilowattheure « sortie centrale ». Pour les réseaux, on part de l'hypothèse que c'est la CRE qui fixe les tarifs : en fait, elle donne son avis et c'est le ministre qui décide. Pour la CSPE, c'est la même chose ; j'aurai l'occasion d'y revenir à propos des énergies renouvelables.

Bien sûr, pour le prix de l'électricité, nous avons conscience que les péages d'accès aux réseaux risquent d'augmenter si l'on fait plus de réseaux, surtout si l'on enfouit les réseaux de distribution, car il s'agit d'une opération coûteuse. La France a un effort à accomplir dans ce domaine-là : il faut moderniser les réseaux. Par conséquent, on ne s'attend pas à une chute des péages d'accès aux réseaux, d'autant que la CRE est assez vigilante sur ce sujet : elle fixe des péages qui couvrent les coûts, notamment ceux des investissements nouveaux.

J'en viens aux taxes. La CSPE pose évidemment problème. Presque la moitié de cette contribution est destinée à couvrir les surcoûts liés à l'aide aux énergies renouvelables ; une partie sert à la péréquation spatiale des tarifs avec les départements d'outre-mer, une autre, plus petite, concerne la cogénération.

Le tarif de première nécessité pour les ménages en situation de précarité représente seulement 2 % de la CSPE. C'est vraiment très modeste. Ce sont donc bien les surcoûts qui posent difficulté et non ces aides.

Pour les énergies renouvelables, le surcoût est relativement élevé et il a eu tendance à s'accroître. Fort heureusement, les aides qui ont été attribuées ont été revues à la baisse, car cela a entraîné des effets d'aubaine assez importants.

Le surcoût est difficile à déterminer ex ante, car il dépend du prix du marché. Je viens d'expliquer que le coût du kilowattheure représentait 40 %, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est constitué du kilowattheure français - c'est la base - et de ce que l'on appelle le « complément marché », c'est-à-dire le kilowattheure qu'il faut acheter aux heures de pointe sur le marché. En général, il s'agit du marché européen : c'est du kilowattheure thermique provenant d'Allemagne ou d'ailleurs. Il dépend du thermique, c'est-à-dire du prix du pétrole et du prix du gaz.

On ne sait pas très bien comment évoluera ce coût ; on fait l'hypothèse qu'il va plutôt augmenter. Le surcoût des énergies renouvelables, c'est la différence entre ce prix du marché et le prix auquel on rachète. Évidemment, cela peut fluctuer.

Ces derniers temps, le surcoût a fortement augmenté, puisque la CSPE est passée de 4 euros à 9 euros. À partir du mois de juin prochain, elle passera à 10 euros ou à 10,50 euros. La CRE estime même qu'elle devrait être aux alentours de 13 euros. EDF se plaint qu'une partie du surcoût reste à sa charge, même si, quand elle vend du renouvelable, elle profite du système.

Il est certain qu'il faut plutôt s'attendre à une hausse. Même si cette question n'entrait pas directement dans notre champ de compétences, nous avons néanmoins fait observer qu'aider les énergies renouvelables était une bonne mesure. Toutes les énergies ont été aidées. Cependant, si les énergies renouvelables le sont durablement, cela peut poser problème. La question qui se pose est la suivante : faut-il maintenir le système actuel ou envisager d'autres systèmes ? J'aurai peut-être l'occasion d'y revenir.

Concernant le coût de l'électricité elle-même, nous avons fait l'hypothèse que le complément marché allait augmenter un peu. L'avantage du nucléaire, c'est que cela permet une relative stabilité du coût « sortie centrale ». C'est un élément fort, qui explique le différentiel de prix entre la France et l'Allemagne, par exemple, ou même la moyenne européenne.

Est-ce que les prix reflètent les coûts ? À cette question, j'aurais tendance à répondre : à peu près.

En France, depuis qu'EDF a mis en place le système de la tarification coût marginal pour les industriels, en 1956, puis pour les particuliers, en 1965, les prix de l'électricité reflètent à peu près les coûts. On ne peut pas dire que ce soit en permanence le cas : la CRE formule de temps en temps des observations, notamment lorsque le ministère n'autorise pas l'augmentation qui aurait été souhaitable, pour des raisons qui tiennent par exemple à la lutte contre l'inflation.

Il n'en reste pas moins que, globalement, en France, les tarifs de l'électricité reflètent assez bien les coûts, avec une nuance sur la CSPE, qui n'est peut-être pas totalement intégrée dans le tarif. Pour ma part, je considère que la politique tarifaire est bonne de ce point de vue. D'ailleurs, la politique de tarification fondée sur les coûts marginaux est, à mes yeux, un très bon système.

Cela m'amène à l'ARENH, qui constitue un sujet important. Pour avoir eu l'honneur de participer aux commissions Champsaur, je ne peux pas ne pas répondre que l'ARENH est un bon système ou que le montant de 39 euros est pertinent !

Après la publication du rapport de la Cour des comptes, certains ont fait observer que les chiffres de la Cour des comptes ne coïncidaient pas avec l'ARENH. C'est logique, car il s'agit de deux choses différentes. La Cour des comptes a examiné les chiffres que lui a transmis EDF. Elle a donc d'abord observé qu'il n'existait pas de coûts cachés, même s'il restait des incertitudes sur certains coûts, notamment les coûts de démantèlement. C'est normal puisque ce sont des coûts à venir que l'on ne connaît pas bien ; je pense, par exemple, aux coûts de gestion des déchets. En revanche, sur les coûts passés, on arrive à peu près à reconstituer ce que l'on a dépensé.

La Cour des comptes estime que 49,5 euros le mégawattheure correspond à une bonne estimation de ce qu'a coûté le programme nucléaire actuel, c'est-à-dire le parc nucléaire actuel.

J'insiste bien sur le fait qu'il s'agit aujourd'hui du coût du passé. Si, demain, la France veut réinvestir, il faudra que le prix de l'électricité anticipe les investissements nouveaux. La politique menée dans le passé par EDF est d'ailleurs bonne : elle a consisté à établir la tarification sur la base de ce que l'on appelle le « coût en développement ». Cela revient à anticiper les investissements nécessaires et à répercuter par avance une partie des coûts dans les tarifs. En effet, il ne faut pas faire payer à la génération actuelle tous les coûts futurs, mais il ne faut pas non plus laisser à la génération future tous les coûts. C'est donc un bon système.

Pour l'instant, la question ne se pose pas puisqu'il ne faut pas renouveler les réacteurs. Elle se posera lorsqu'il faudra le faire. Dès lors, le prix de l'électricité devra augmenter. Mais ce ne sera que dans dix, quinze ou vingt ans, selon les choix qui seront faits par le politique.

Le coût actuel - 49,50 euros - est donc un coût moyen qui reflète assez bien ce qu'a coûté le programme nucléaire.

Pour l'ARENH, c'est complètement différent. Cela répond à une logique qui consiste à calculer le coût du parc actuel, par mégawattheure, pour EDF, en sachant qu'une partie importante des investissements a déjà été récupérée. Il ne faut pas que le consommateur français paie deux fois.

Lorsque la commission Champsaur 2 a calculé l'ARENH, elle a examiné, sur la base de la comptabilité - c'est un coût comptable -, ce qui avait été amorti et ce qui restait. Elle a donc procédé à un calcul prospectif sur la partie résiduelle, c'est-à-dire les quinze ans restants sur les quarante ans, puisque les calculs se fondent sur cette durée, en tenant compte de ce qui a déjà été payé. Elle est parvenue à 33 euros le mégawattheure. Elle y a ajouté le montant des « investissements de jouvence », de l'ordre de 5 euros à 6 euros, puisqu'il va falloir prolonger le parc et l'anticiper dès maintenant, et a abouti à 39 euros.

En fait, la commission Champsaur a proposé au ministre entre 38 euros et 40 euros, parce que l'on ne pouvait pas dire que l'on était à 39 euros exactement. Le rapport a été remis au moment de Fukushima et le ministre a estimé que, dans la mesure où des dépenses supplémentaires devraient probablement être engagées à cause de la sûreté, il valait mieux prévoir 40 euros en 2011 et même 42 euros en 2012. C'est une décision politique. On n'est pas très loin du chiffre proposé. D'ailleurs, le ministre l'a dit : le Gouvernement s'appuie sur le rapport Champsaur 2 pour fixer le tarif.

Il est impossible de comparer les 39 euros ou les 42 euros de l'ARENH aux 49,50 euros de la Cour des comptes. On ne parle pas de la même chose ! Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui, dans les tarifs régulés de vente, le TRV, de prendre 49,50 euros pour fixer le tarif.

N'oublions pas que le fameux tarif de 42 euros a pour but de permettre aux concurrents d'EDF de jouer à armes égales. On peut évidemment discuter de la logique de la loi NOME, mais elle répondait bien à cet objectif. Du fait des prix internationaux et des prix européens plus élevés, les concurrents d'EDF, qui n'ont pas la chance d'avoir un programme nucléaire, se trouvent dans une situation plus difficile, car leur prix de revient est plus élevé.

Il y a deux solutions : soit on considère qu'il existe une rente de rareté du nucléaire, dont profite EDF, et l'État peut éventuellement prélever la rente et, éventuellement, la redistribuer aux consommateurs ; soit on autorise les concurrents à se « sourcer » pour partie, à condition que ce soit pour alimenter les consommateurs français, sur la base du nucléaire français, à concurrence de 25 %, mais aux conditions auxquelles cela revient à EDF. Bien sûr, pour le consommateur, le coût s'établit à 49 euros le mégawattheure, mais EDF a déjà récupéré une partie de la mise.

Il est donc logique de prendre 42 euros pour fixer le tarif. Pour EDF, ce n'est pas une mauvaise affaire, parce qu'il y a une rentabilité du capital. Le rapport Champsaur précise clairement que la décomposition des différents éléments montre qu'est pris en compte ce qui a été amorti et qu'est introduite une rentabilité du capital, ce qui est tout à fait légitime pour un investisseur. On aboutit alors à un montant de 40 euros à 42 euros le mégawattheure.

Le montant actuel de l'ARENH - 42 euros - doit-il augmenter ? Le système est en principe prévu jusqu'en 2025. Ce tarif comprend une partie des dépenses d'exploitation, les OPEX, c'est-à-dire une partie des coûts de fonctionnement. Par conséquent, on peut supposer qu'il y aura de l'inflation. La seule chose que l'on pourrait considérer, c'est que, sur les 42 euros, à peu près 25 euros ou 26 euros correspondent à des coûts de fonctionnement. C'est peut-être sur ces coûts particuliers qu'il faudrait, chaque année, tenir compte de l'inflation, aux alentours de 1,5 % ou de 2 %.

Pour autant, rien ne justifie de porter l'ARENH à 49,50 euros. Cela répond à deux visions tout à fait différentes ; il n'y a donc pas de contradiction. D'ailleurs, la Cour des comptes le dit très bien : dans un cas, il s'agit du coût pour le consommateur à l'instant t ; dans l'autre, du coût pour EDF aujourd'hui, sachant qu'une partie a déjà été récupérée.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Il y a deux jours, la CGPME et, par son intermédiaire, toute une série de petites et moyennes entreprises ont tiré le signal d'alarme, disant qu'à ce prix-là elles n'y arriveraient pas.

M. Jacques Percebois. - Je rappelle qu'EDF demandait au départ 46 euros, voire plus. Certains parlaient de 33 euros. Le rapport Champsaur 2 a conclu à 39 euros, précisant qu'EDF n'y perdait pas. L'objectif était bien de permettre à l'opérateur historique de récupérer sa mise, ce qui est tout à fait légitime. La question se pose en effet : est-il légitime de demander à celui qui a fait un effort d'investissement - les centrales nucléaires appartiennent à EDF - de vendre une partie de son électricité à ses concurrents ?

C'est le débat sur le TARTAM, c'est la logique de l'Europe. Il y avait des menaces crédibles : « Si vous ne faites pas ça, on va interdire à l'opérateur historique d'avoir plus de x % de parts de marché ! »

Si l'on considère qu'il faut demander à l'opérateur historique de se sacrifier un peu pour vendre une partie de son électricité, les producteurs alternatifs deviennent des revendeurs de l'électricité nucléaire d'EDF, ce qui ne leur donne pas totalement satisfaction.

Pour nous, un ARENH à 39 euros, c'était un tarif qui paraissait raisonnable et qui, en tout cas, ne pénalisait pas EDF. Certains ont considéré que c'était insuffisant, en arguant que la Cour des comptes avait dit que le bon niveau, c'était 49 euros. Le pouvoir politique a décidé que ce serait 42 euros, eu égard aux coûts supplémentaires de sûreté. Nous, nous n'avions pas d'avis à donner sur ce point.

Certains industriels peuvent considérer qu'ils auront du mal, mais on peut leur répondre qu'il vaut mieux se « sourcer » en France sur l'ARENH à 42 euros que sur le marché européen à 50, 55 ou 60 euros. De ce point de vue, leur situation ne me semble pas si délicate.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Je voudrais être sûr de bien comprendre la différence entre 39 euros et 49 euros ou 42 euros.

Pour vous, 33 euros correspondent au coût calculé en fonction de l'investissement qui reste à amortir pour les centrales actuelles. Vous y ajoutez 6 euros au titre de la nécessaire modernisation. Cela donne un total de 39 euros, auxquels le Gouvernement ajoute 3 euros pour améliorer la sécurité, à la lumière de l'accident survenu au Japon.

M. Jacques Percebois. - C'est cela.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Mais comment est calculé le coût de 49 euros ? Si je vous ai bien compris, dans l'hypothèse où nous devrions reconstruire notre parc aujourd'hui, il faudrait payer le mégawattheure 49 euros pour financer sa construction ?

M. Jacques Percebois. - Absolument ! Si nous devions reconstruire notre parc de centrales nucléaires dans la nuit - ce que l'on appelle le coût overnight -, en tenant compte de tout, le prix du mégawattheure devrait être fixé à 49,50 euros. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment le coût overnight, car il y a une partie de ce montant qui tient aux intérêts intercalaires. Cela signifie donc que le prix de revient des 58 réacteurs, pour le consommateur français, s'élève à 49,50 euros par mégawattheure. C'est le bon chiffre. Mais le consommateur a déjà payé une partie de ce prix...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Les investissements ont été remboursés par avance, si j'ose dire...

M. Jacques Percebois. - Oui ! En 2010, l'investissement était amorti à hauteur de 75 % : EDF a donc récupéré une partie de sa mise.

D'ailleurs, si l'on observe la courbe des investissements d'EDF, elle monte entre 1973 et 1985, et celle des tarifs a suivi. Les industriels français ont payé 25 % de plus, en monnaie constante, entre 1973 et 1985. Ensuite, les tarifs d'EDF ont pu baisser régulièrement parce que l'on n'investissait plus ; aujourd'hui, ils remontent parce qu'il faut réinvestir : c'est tout à fait logique !

M. Ladislas Poniatowski, président. - Que pouvez-vous nous dire sur les énergies renouvelables ?

M. Jacques Percebois. - Plusieurs systèmes sont envisageables.

Le système des prix garantis est séduisant et a prouvé ses vertus. En effet, dans les pays où les prix garantis sont très élevés, notamment en Allemagne et en Espagne, d'importants moyens de production d'énergies renouvelables ont été mis en place. Ce système a un inconvénient : comme l'État ne sait pas bien quel sera le coût de cette production, il fixe un prix garanti et attend de connaître les quantités produites. Il peut en résulter un effet pervers : la quantité produite peut être plus ou moins importante suivant les coûts. Il y a eu des effets d'aubaine...

Pour l'éolien onshore, les tarifs ne sont pas excessifs : ils se situent à 82 ou 83 euros par mégawattheure ; c'est correct. D'ailleurs, l'éolien approche du seuil de compétitivité du marché suivant les heures - avec une nuance que j'évoquais tout à l'heure, à savoir le problème du back up. D'ailleurs, s'il y a une recommandation à faire, c'est que la Cour des comptes fasse pour les renouvelables ce qu'elle a fait pour le nucléaire, qu'elle établisse un bilan de ce que cela a coûté, des avantages et des inconvénients de chaque système.

Avec l'éolien, on a un système qui n'a pas trop mal fonctionné, même si, en Allemagne, cela l'a un peu boosté, mais, après tout, c'est plutôt bon et c'est surtout légitime : en effet, toutes les énergies, à un moment de leur histoire, ont été aidées d'une façon ou d'une autre - la plus aidée étant le charbon, y compris en France -, par la fiscalité, par des aides publiques ou par la recherche publique, notamment dans le cas du nucléaire.

En ce qui concerne l'électricité photovoltaïque, il faut bien reconnaître que les prix garantis étaient très élevés. Quand le mégawattheure était racheté 600 euros, c'était excessif. Je connais une collectivité locale qui a fait une bonne affaire en installant des panneaux solaires sur sa mairie et en signant un contrat de fourniture d'une durée de vingt ans avec un prix du mégawattheure à 600 euros. Ils sont très contents ! Ce n'est pas cela qui peut plomber le système français, mais cela montre bien qu'il y a eu des effets d'aubaine importants.

L'État a compris que c'était trop et on a réduit les aides, ce qui est une bonne chose.

La solution alternative, c'est celle qui vient d'être adoptée pour l'éolien offshore et qui consiste à recourir aux appels d'offres. C'est un bon système ! « J'ai besoin de 3 000 mégawatts installés d'éolien offshore... Qui est candidat et à quel prix ? » On va voir quels prix vont être proposés. Nous pensions que ce serait entre 150 euros et 200 euros par mégawattheure, ce qui est tout à fait raisonnable, puisque la production offshore coûte plus cher.

Il faut aider les énergies renouvelables de manière transitoire, mais on ne peut pas adopter un système où elles sont aidées durablement. Il faut surtout analyser les conséquences de ces aides, afin de savoir qui en profite vraiment. Aujourd'hui, l'installation de panneaux photovoltaïques en Europe profite principalement aux entreprises chinoises. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous soutenons l'emploi en Chine, ce serait caricaturer, mais les retombées en termes d'emplois ici ne sont pas à la hauteur des espérances.

Notre rapport rappelle qu'il est important que la France développe aussi, à côté d'une industrie nucléaire performante à l'échelle internationale, une industrie du solaire qui pourrait aussi être une industrie d'exportation : n'oublions pas que, dans le passé, notre pays a été en pointe dans ce domaine. Pour différentes raisons, ce n'est plus le cas. Des marchés importants existent dans des pays très ensoleillés, comme la Californie : pourquoi l'industrie française ne serait-elle pas compétitive dans ce domaine ? Il n'y a aucune raison valable de restreindre la recherche et l'industrie françaises au nucléaire.

Il faut cependant raison garder : les consommateurs n'ont pas toujours conscience du fait que ce sont eux qui paient ces aides aux énergies renouvelables, puisqu'elles sont répercutées dans la CSPE.

Il ne faut pas s'attendre à voir le prix de l'électricité baisser parce qu'il faudra investir dans les réseaux, aider les renouvelables, faire des efforts, y compris dans le nucléaire - et si l'on en sort, il faudra consentir des investissements encore plus importants ! Il faut donc expliquer au consommateur que nous conserverons un avantage relatif, dans la mesure où les prix français resteront très en deçà des prix européens, mais il faut qu'il soit conscient de la nécessité de réaliser des économies d'énergie, et donc des investissements dans l'efficacité énergétique, même s'ils sont relativement coûteux. La vérité des prix oblige à dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que les prix baissent, même s'ils augmenteront moins vite en France qu'ailleurs, grâce au nucléaire.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous avez raison de souligner que le système des appels d'offres est beaucoup plus juste que le système du prix de rachat. Pour la CSPE, quelle serait la solution la plus juste ?

M. Jacques Percebois. - Certains souhaiteraient en élargir la base : on pourrait concevoir qu'elle soit payée par le contribuable, mais, a priori, ce n'est pas logique. En effet, c'est le consommateur d'électricité qui profite in fine de l'électricité : il est donc logique que ce soit lui supporte la charge de cette taxe.

D'autres avancent que l'électricité ne devrait pas être seule visée et suggèrent que cette contribution frappe la consommation d'énergie : il faudrait alors élargir la base de la CSPE au pétrole et au gaz. Mais il faudrait également trouver à cela une justification économique. On veut aider les énergies électriques : si l'on instaure un système de subventions croisées, en faisant payer le nucléaire pour le pétrole, puis le pétrole pour l'électricité, il deviendra très rapidement complètement opaque.

Selon moi, la logique exige que ce soit le consommateur d'électricité qui subventionne les énergies renouvelables. Simplement, il faut baisser le prix de rachat garanti, comme cela a déjà été fait, et peut-être, dans certains cas, changer le fusil d'épaule en passant au système des appels d'offres, comme on le voit pour l'éolien offshore. Au départ, la Commission européenne n'était pas favorable au système des prix garantis, qui a pourtant fonctionné au-delà des espérances en Allemagne et en Espagne ; d'ailleurs, l'Espagne connaît une situation un peu difficile, avec des prix de rachat relativement élevés. Je pense donc que l'on a bien fait d'aider.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Les prix de rachat viennent de baisser en Espagne !

M. Jacques Percebois. - Oui, et très fortement ! En fait, c'est le photovoltaïque qui est dans le collimateur, pas l'éolien.

Pour ce qui est de l'éolien, on est à peu près maintenant sur un rythme de croisière. Mais le photovoltaïque a bénéficié d'un effet d'aubaine trop important : le prix de rachat de l'électricité produite par les panneaux installés sur les toits des maisons était destiné aux particuliers, pas aux agriculteurs qui ont décidé de couvrir leurs hangars de panneaux solaires pour que l'électricité ainsi produite leur soit rachetée au même tarif. On peut considérer qu'il appartenait à la politique énergétique de compenser les déficiences de la politique agricole commune, mais je ne suis pas sûr que cette solution soit satisfaisante...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Percebois, je vous remercie de vos réponses exhaustives. Malgré tout, je suis sûr que notre rapporteur attend des explications complémentaires...

M. Jean Desessard, rapporteur. - En ce qui concerne les emplois créés par l'électricité photovoltaïque, vous avez dit que nous contribuions surtout à développer les emplois en Chine, mais vous ne tenez pas compte du fait que les entreprises qui les installent chez nous sont françaises - même si je n'exclus pas que des entreprises chinoises puissent venir le faire également. Or la fabrication des panneaux représente un quart de l'emploi total dans ce secteur...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Plutôt la moitié ! La moitié du prix payé va aux installateurs, l'autre aux fabricants.

M. Jacques Percebois. - C'est à peu près cela.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Nous vérifierons ces hypothèses ! En tout cas, la totalité de l'investissement ne sert pas à financer les constructeurs.

M. Jacques Percebois. - Ma présentation était un peu caricaturale, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

M. Jean Desessard, rapporteur. - Est-il possible de réaliser des STEP en France ? Vous nous avez expliqué qu'en cas de surproduction d'électricité, il était rentable d'acheter de l'électricité à un prix négatif, de faire remonter l'eau dans les barrages et de la turbiner lorsque la demande d'électricité devenait importante. Vous avez mentionné les pays nordiques et la Suisse, mais ce système existe-t-il en France, ou bien nos barrages sont-ils trop vieux ?

M. Jacques Percebois. - Je précise tout d'abord que la probabilité pour que les prix d'électricité soient négatifs en France est très faible pour l'instant. La situation observée régulièrement en Allemagne n'a été observée qu'une seule fois en France, pour l'instant. Je ne veux pas laisser entendre que l'on pourrait acheter de l'électricité à un prix négatif en France...

M. Jean Desessard, rapporteur. - Mais on pourrait en racheter à l'Allemagne !

M. Jacques Percebois. - Ce serait concevable !

Ce sujet mérite d'être exploré. On entend souvent dire que le potentiel de production d'électricité hydraulique est saturé en France, notamment pour la mini-hydraulique. J'ai eu, par ailleurs, l'occasion d'examiner cette question et il me semble qu'il y aurait peut-être un potentiel en matière de mini-hydraulique, voire de micro-hydraulique, qui pourrait être intéressant dans un contexte où l'on pourrait valoriser le stockage. Ma réaction, a priori, c'est de dire qu'il n'y a tout de même pas un potentiel énorme en France : on doit pouvoir, de façon marginale, trouver des opportunités, mais on n'a pas l'équivalent du système suisse. Cela étant, la mini-hydraulique, c'est quelque chose qui mérite d'être considéré. On a peut-être considéré un peu trop rapidement qu'on avait fait le tour du potentiel. On entend dire que, dans le sud de la France, en particulier, il y aurait un potentiel qui serait loin d'être négligeable. Mais je ne suis pas en mesure de vous fournir des chiffres.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Quand les tarifs vert et jaune auront disparu, dans quatre ans, comment pourra-t-on être sûr que les prix de l'électricité acquittés par les industriels français seront moins chers ? Vous nous avez dit que le nucléaire garantissait un niveau de prix inférieur, mais comment garantir que ces prix resteront bas, puisqu'il y aura des interconnexions ?

M. Jacques Percebois. - EDF vendra toujours son électricité nucléaire relativement bon marché et ses compétiteurs, les alternatifs, auront toujours accès à l'ARENH, qui durera jusqu'en 2025. À partir du moment où ces producteurs alternatifs disposeront d'un potentiel ARENH proportionnel à leur portefeuille de clients, la logique voudrait que, s'ils achètent l'électricité au prix de l'ARENH, ils en fassent profiter leurs consommateurs. On peut concevoir que certains fournisseurs en profitent pour se « sourcer » sur l'ARENH et revendre au prix du marché européen : mais la logique du marché fait que les clients retourneront se fournir auprès d'EDF. Si ces fournisseurs veulent conserver leurs clients français, ils doivent les faire profiter de l'ARENH.

M. Jean-Pierre Vial. - Aujourd'hui, l'ARENH est calé jusqu'en 2025. Vous nous avez indiqué que, le jour où l'on voudrait relancer le parc nucléaire, il faudrait, par anticipation, majorer les prix. Si une telle décision est prise avant 2025, il faudra donc réviser le niveau de l'ARENH, au vu du calcul que vous nous avez présenté tout à l'heure ?

M. Jacques Percebois. - Le prix de l'électricité devrait être revu, mais pas celui de l'ARENH puisque celui-ci se fonde le passé. L'ARENH peut être défini comme un droit de tirage sur du nucléaire déjà très largement amorti. Demain, le prix de l'électricité comprendra plusieurs « tranches » : la première sera constituée par l'ARENH ; la deuxième, par le « complément marché » ; la troisième correspondra à l'investissement dans les nouveaux réacteurs nucléaires. Le prix de l'électricité devra augmenter, mais pas celui de l'ARENH ; théoriquement, ce dernier ne devrait pas varier d'ici à 2025, à l'exception de la prise en compte de l'effet de l'inflation sur les dépenses de fonctionnement.

M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous dites que l'ARENH n'a pas de raison d'augmenter. C'est vrai si l'on considère que l'investissement dans la construction et la recherche est amorti - étant entendu que les coûts de fonctionnement peuvent évoluer en fonction de l'inflation, ainsi que vous venez de le dire -, mais c'est à condition que le coût du démantèlement et du traitement des déchets ne nous réserve pas de mauvaises surprises !

M. Jacques Percebois. - En principe, EDF a commencé à provisionner pour faire face au coût du démantèlement, mais la Cour des comptes a soulevé deux points.

Tout d'abord, on ne connaît pas très bien ce coût et, si l'on fait du benchmarking, si l'on observe les pratiques des autres opérateurs, on s'aperçoit qu'EDF se situe plutôt dans le bas de la fourchette. Il faut donc peut-être examiner cette question de plus près. La Cour des comptes a donc eu raison de souligner qu'EDF avait peut-être été un peu trop optimiste dans ce domaine.

Et il en va de même en ce qui concerne le coût de la gestion des déchets. En tant que membre de la Commission nationale d'évaluation, j'ai eu à me pencher sur le coût de gestion du laboratoire de Bure : nous attendons de connaître la décision de l'État, mais nous savons déjà que le coût sera supérieur aux prévisions initiales.

M. Jean Desessard, rapporteur. - On ne connaît donc pas encore de manière sûre le coût du démantèlement et du traitement des déchets ?

M. Jacques Percebois. - Il n'y a pas de coûts cachés, mais certains peuvent être sous-estimés.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Percebois, je vous remercie de cet exposé très complet et très clair.