Mardi 5 février 2013

-Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente-

Audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. L'intitulé-même de son ministère évoque l'importance de chacune de ces thématiques dans la prochaine réforme territoriale.

À plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de vous entendre dire, Madame la ministre, que cette loi devait porter sur l'ensemble de l'action publique et non pas être considérée comme un acte nouveau de la décentralisation même si, naturellement, ce dernier aspect sera essentiel dans le projet de loi.

Mes collègues et moi-même avons de nombreuses questions à vous poser, c'est pourquoi je vous cède immédiatement la parole.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Merci, Madame la présidente. Effectivement, le Président de la République et le Premier ministre, en me confiant la responsabilité de ces trois piliers, souhaitaient manifester leur engagement à l'égard de la cohérence et de la modernisation de l'action publique.

Le projet de loi, qui sera bientôt transmis au conseil d'État, a été élaboré en fonction de cette démarche globale, tout en mettant l'accent sur les acteurs essentiels de l'action publique que sont les collectivités territoriales.

Ce texte a donné lieu à de nombreux échanges avec mes collègues du Gouvernement, je citerai en particulier le ministre du travail et de la formation professionnelle, le ministre de l'éducation nationale, le ministre délégué chargé des transports, la ministre de l'écologie, la ministre de l'égalité des territoires et du logement ou encore le ministre de la ville, en relation étroite, bien évidemment, avec le ministre de l'intérieur, dans le sillage des travaux de l'ensemble des ateliers organisés par le Sénat lors des états généraux de la démocratie territoriale les 4 et 5 octobre derniers.

Nous avons également souhaité - c'était la volonté du Président la République - rencontrer l'ensemble des associations d'élus, malgré les difficultés que vous connaissez pour dégager un consensus général. Avec ma collègue Anne-Marie Escoffier, nous avons pourtant essayé de favoriser ce consensus. Malgré cette complexité, les débats progressent. Les élus ont notamment décidé de se rencontrer entre eux afin de faire évoluer certaines propositions ou de bâtir des pistes communes sur tel ou tel point qui ne figurerait pas dans le texte actuel.

Je précise que les discussions ont été engagées sur la base d'un plan du projet de loi, nous avons en effet souhaité éviter de faire circuler d'innombrables versions d'un texte non consolidé afin de nous concentrer sur les objectifs mêmes de la loi.

Si tout se passe bien, après l'examen par le Conseil d'État, je présenterai le texte en conseil des ministres au mois de mars, la première lecture pouvant sans doute intervenir au Sénat à la fin du mois de mai pour une durée de deux semaines. Nous avons, avec mon collègue Alain Vidalies, étudié de très près les contraintes du calendrier parlementaire, et nous avons estimé que les délais d'examen du texte ne changeraient pas, que celui-ci soit présenté maintenant ou au mois de mars. Cela nous a permis de laisser un peu plus de temps à la réflexion, avant l'adoption et la transmission d'un projet au Conseil d'État. La première lecture à l'Assemblée nationale aurait lieu en juillet lors d'une session extraordinaire, le vote définitif étant envisagé à l'automne. Mais, au-delà du calendrier, ce qui me paraît le plus important est que vous disposiez du temps nécessaire pour travailler sereinement entre le dépôt du texte et son vote définitif.

Le plan retenu pour le projet de loi marque la volonté de suivre les grands engagements du Gouvernement : la croissance économique, l'emploi et la jeunesse, les solidarités sociales et territoriales, etc. C'est ainsi que nous essaierons de présenter les choses, avec notamment un renforcement, attendu d'ailleurs, des dispositions législatives relatives aux chefs de file.

Je le dis tout de suite, nous aurons à ce sujet des difficultés tenant, d'une part, au principe de libre administration des collectivités territoriales et, d'autre part, à l'encadrement par la Constitution de la possibilité d'expérimenter des délégations de compétences de l'État aux collectivités, cette possibilité étant limitée à cinq ans. Nous avons travaillé sur cet aspect constitutionnel et, pour l'instant, rien n'est arbitré sur la question de l'expérimentation.

Nous ne toucherons évidemment pas à la libre administration des collectivités territoriales. Lors de son discours du 5 octobre dernier, le Président de la République a indiqué, et je me tiendrai à cet engagement, qu'il souhaitait revenir à la clause de compétence générale pour les départements et pour les régions. Cette déclaration a été très largement commentée et a suscité de nombreux débats, notamment dans les journaux économiques.

Je souhaite, Madame la présidente, qu'après la discussion de ce texte qui fait suite à celui de 2004 et à celui de 2010, nous connaissions une certaine accalmie législative et qu'après 2013 il ne soit pas indispensable de lancer l'examen d'autres textes législatifs dans ce domaine. Il faut en effet une stabilité dans les relations entre l'État et des collectivités territoriales. Ces dernières la réclament, tout comme nos concitoyens, qui sont les usagers des politiques publiques.

J'espère que je réussirai à faire évoluer les liens entre l'État et les collectivités territoriales sans avoir, comme je viens de le dire, à vous proposer de légiférer à nouveau ultérieurement. C'est pourquoi j'ai proposé au Premier ministre que figure dans le texte en cours d'élaboration un pacte de gouvernance territoriale, c'est-à-dire un engagement des collectivités les unes envers les autres, discuté dans une conférence de coordination de l'action publique à laquelle assisteront le préfet, le recteur ou encore le directeur général des finances publiques, selon les sujets, avec en tous les cas une présence de l'État.

Il s'agira de parler à la fois de la gouvernance des compétences déjà décentralisées et de celles qui seront transférées ou déléguées. Pour l'État, il s'agira d'accepter des délégations de compétences ou des expérimentations, en fonction de la pertinence des demandes des uns et des autres.

Nous voulons également renforcer le principe du chef de file, étant entendu que la région disposera de compétences pleines et entières en matière économique, de tourisme, d'orientation tout au long de la vie, de formation professionnelle et de transport.

La compétence en matière de biodiversité n'est pour l'heure toujours pas tranchée, cette compétence étant susceptible d'être ou non régionale, ou encore d'être partagée. Il en est de même en ce qui concerne la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques.

Forte de son rôle de chef de file, la région devra échanger au sein de la conférence quand il s'agira, par exemple, d'aborder des sujets relatifs à l'immobilier d'entreprise avec une ville, un département ou une communauté d'agglomération. Je l'ai souvent dit, la région peut et doit discuter de stratégies de développement économique régional, elle sera d'ailleurs la seule habilitée à accorder des aides directes et nous éviterons, dans le respect du droit communautaire, la nécessité qu'intervienne à chaque fois à ce sujet un décret en Conseil d'État. Et si, au sein de la conférence, un partage de compétences est décidé, il faut évidemment que celui-ci soit clair, décrit, écrit et signé, afin que nos concitoyens puissent aussi s'y retrouver en ce qui concerne la responsabilité des élus et le contrôle de l'action publique.

Le département est confirmé dans son rôle en matière d'action sociale : handicap et solidarité territoriale. Le cas de cette dernière compétence fait, il faut le dire, l'objet de discussions entre les régions et les départements. Vous vous souvenez sans doute que, dans le texte de 1982, l'aménagement du territoire était une compétence de la région. Or, il est possible de considérer que les solidarités territoriales sont liées à l'aménagement du territoire.

Le bloc des communes et des intercommunalités, en plus des nombreuses compétences qu'il possède déjà, disposerait de la compétence en matière de transition énergétique ou écologique, selon les termes que l'on choisira. Il s'agit concrètement de deux pans de politiques attendues sur le terrain, à savoir l'isolation thermique des logements et la mobilité durable, considérée à travers le prisme de la localisation de l'habitat au regard de l'implantation des services et des emplois.

Je vous rappelle que la région porte d'ores et déjà la responsabilité exclusive de l'apprentissage et de la gestion des lycées. La région pourra, en la matière, choisir dans le cadre de la conférence de confier cette gestion à d'autres partenaires.

Le département conserve toutes ses compétences en matière de prestations sociales, de gestion des collèges ainsi que des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

La commune conserve les compétences qu'elle possédait déjà, à savoir l'eau potable, l'assainissement, l'électricité et la gestion des déchets non dangereux, etc.

Le texte prévoit également la création d'un Haut conseil des territoires, instance de discussion entre l'État et les collectivités territoriales qui comprendra, bien évidemment, des représentants d'associations d'élus, le Premier ministre présidant les réunions plénières. Le Haut conseil sera chargé d'évaluer l'impact des décisions de l'État sur les collectivités territoriales.

À titre d'exemple, si un Haut conseil des territoires avait existé, nous aurions pu, dans cette enceinte, discuter de la semaine des quatre jours et demi avec les collectivités territoriales. Au sein de ce Haut conseil, on trouvera des commissions spécialisées, à l'image du comité des finances locales, ou encore du comité chargé de l'évaluation des normes applicables aux collectivités, l'actuelle commission consultative d'évaluation des normes.

Je souhaite de mon côté, mais cela n'a pas encore été arbitré, que soit mise en place en son sein une commission chargée des problèmes de la montagne, parce qu'il existe une loi spécifique fixant un certain nombre de principes pour les communes de montagne. Les problématiques relatives au littoral pourraient également être abordées mais, là encore, rien n'a été arbitré.

Renforcement de l'intercommunalité, reconnaissance du fait urbain et création de communautés métropolitaines sont parmi les sujets qui font le plus débat entre les collectivités territoriales. Ils forment l'un des grands axes du projet de loi.

Le texte prévoit également des dispositions sur la transparence et les responsabilités financières, un rôle important étant dévolu aux chambres régionales des comptes.

Plusieurs dispositions concernent aussi la démocratie locale. D'aucuns ont estimé, au cours des différentes rencontres que j'ai pu avoir, qu'elles sont encore insuffisantes, c'est pourquoi j'essayerai de les renforcer d'ici le passage en conseil des ministres. Elles comportent, bien entendu, des éléments sur le droit de pétition, ainsi que sur le rôle des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER).

Le texte comporte, par ailleurs, des dispositions relatives aux agents publics et à la question de la compensation des transferts, qui devra bien évidemment être réglée.

Enfin, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2014, un texte sur l'évolution des finances locales sera présenté. On ne peut examiner le projet de loi de finances sans prévoir des dispositions relatives aux finances locales, le Président de la République s'étant engagé à ce que les départements disposent de ressources pérennes pour couvrir les frais liés à un certain nombre de prestations obligatoires qui restent à leur charge.

Un groupe sur les relations entre l'État et les départements a d'ailleurs été installé la semaine dernière par le Premier ministre, groupe que j'aurai l'honneur d'accueillir avec ma collègue Anne-Marie Escoffier et qui formulera un certain nombre de propositions au Parlement sur le pacte de confiance.

Je sais qu'un certain nombre d'articles de l'avant-projet de loi circulent déjà et ne suscitent pas l'enthousiasme parmi les élus, mais nous trouverons des réponses sur la capacité à lever l'impôt. Par exemple, le lien entre l'impôt sur le revenu et la taxe d'habitation fera l'objet d'un travail approfondi. On constate depuis longtemps et malgré les travaux menés, notamment sous l'autorité de François Marc, la difficulté à faire rentrer les revenus cadastraux dans la normalité. C'est pourquoi un lien entre la taxe d'habitation et l'impôt sur le revenu serait le bienvenu.

Voilà, Mesdames et Messieurs les membres de la délégation, ce que je pouvais dire de façon succincte sur l'avant-projet de texte qui entrera assez maigre au Sénat et qui, je l'espère, en sortira enrichi.

Comme le Président de la République et le Premier ministre s'y sont engagés, nous laisserons une large place au débat parlementaire.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. Merci, Madame la ministre. Je propose à mes collègues d'organiser les questions sous une forme thématique, en commençant par la clarification des compétences entre les collectivités territoriales et l'État, avant de revenir sur des sujets comme la tutelle ou la clause de compétence générale.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Pendant que la loi se prépare, le paysage institutionnel évolue en s'appuyant, ou non, sur la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. C'est le cas à Paris, en Alsace avec la fusion des départements et de la région, ou dans le Rhône. C'est sur ce dernier point que je souhaiterais vous entendre, Madame la ministre. Sur le terrain, les choses se présentent ainsi : il y a un accord entre le président du conseil général et le maire de Lyon, président de la communauté urbaine, en vertu duquel, si j'ai bien compris, toutes les compétences du département du Rhône, dans sa partie urbaine, seraient transférées à la communauté urbaine. J'ai lu que, dans la gestion de cette nouvelle entité, les conseillers généraux deviendraient automatiquement des conseillers communautaires. Or, il ne me semble pas que cela ait été prévu dans la loi 2010. Cette question a-t-elle été traitée par votre ministère ? Êtes-vous en contact avec messieurs Gérard Collomb et Michel Mercier sur ces questions ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - J'ai effectivement oublié de le rappeler, mais je l'avais déjà souligné lors de notre première rencontre ici-même devant votre délégation : vous trouverez dans ce texte un chapitre sur les communautés métropolitaines, c'est-à-dire sur le passage des communautés urbaines aux communautés métropolitaines à partir d'un certain nombre de fonctions urbaines. Il y aura aussi un chapitre spécifique concernant Paris, Lyon et Marseille.

Pour Paris, le texte, tel qu'il est envisagé pour l'instant, doit d'abord conduire à une intercommunalité achevée autour de la capitale, car si vous avez, dans vos départements respectifs, participé à la réécriture du schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI), cela n'a pas été le cas dans la région Ile-de-France, qui comporte une zone d'exclusion pour la première couronne. Or, je souhaite qu'il y ait aussi une réécriture des schémas départementaux pour la première couronne parisienne afin que les intercommunalités soient plus solides et afin d'éviter de grandes disparités territoriales entre communes riches et communes pauvres. Ensuite, deux compétences, le logement et le transport, auxquelles s'ajouterait éventuellement une compétence environnement, retrouveraient une autorité opérationnelle, en particulier dans la zone dense, alors que le schéma global d'aménagement serait toujours de la compétence de la région.

Pour Lyon, je n'avais pas l'idée, lorsque j'ai commencé à travailler sur le projet de loi, de fondre le département du Rhône en tout ou partie avec la ville de Lyon. Ce n'était pas ma perspective, étant favorable à des relations conventionnelles entre collectivités. Puis, un accord est intervenu entre le président du conseil général et le président de la communauté urbaine de Lyon, auquel je n'ai aucune raison de m'opposer. Cela n'est évidemment pas simple à mettre en place car l'opération laisse de côté un département rural de 440 000 habitants qu'il faudra gérer. À titre personnel j'en prends acte, car on ne peut pas passer son temps à dire que les élus sont libres et responsables et, ensuite, ne jamais les suivre dans leurs initiatives. Aujourd'hui, nous serions donc favorables à ce rapprochement, mais peut-être pas exactement comme il a été demandé. Quoi qu'il arrive, il faudra aller au bout de ce dossier.

Sur le troisième dossier, relatif à l'aire métropolitaine Aix-Marseille-Provence, il y a eu une demande du Premier ministre après qu'un certain nombre d'entre nous se soient rendus sur place et aient constaté les grandes difficultés de cette aire métropolitaine constituée de trois intercommunalités, en particulier sur l'hinterland du port. Or, quand il faut, par exemple, monter un dossier dans le cadre du pôle aéronautique et spatial PEGASE avec Eurocopter, on se retrouve avec 50 personnes autour de la table, ce qui rend les choses très complexes. Il y a également de gros problèmes de transport, les entreprises finissant pas avoir leurs propres lignes de transport parallèles à celles des transports publics. Il y a aussi de gros problèmes pour les étudiants, car il faut compter une heure trente de train entre Marseille et Aix, et encore lorsque les trains circulent. En clair, il y a beaucoup de difficultés qui ne sont pas d'ordre social mais d'ordre opérationnel, d'organisation de l'urbanisme et des transports. Si bien que, selon nous, qui sommes porteurs pour l'État et en votre nom à tous d'une responsabilité sur des projets lourds - Port de Gardanne, ITER -, il n'est pas possible de conserver une organisation territoriale qui empêche un retour sur nos investissements, comme l'a montré l'exemple récent de la perte du marché du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer au profit de Trieste.

C'est pourquoi nous proposons aux intercommunalités concernées de se réunir en une seule intercommunalité, avec la création de conseils de territoire sur leurs anciens périmètres, pour pouvoir exercer les compétences dites de proximité qu'elles détenaient auparavant.

Serait ainsi créée une grande communauté métropolitaine dotée d'un mode de fonctionnement très particulier, d'où la nécessité d'un texte spécifique. Le projet de loi comprendra un chapitre sur les communautés métropolitaines, avec trois sous-chapitres pour Paris, Aix-Marseille et Lyon. C'est très différent de la situation en décembre 2010, quand les métropoles pouvaient prendre des compétences de départements et de régions. Nous n'avons pas conservé cette conception des métropoles. Par ailleurs, en ce qui concerne la délibération demandant la fusion du conseil régional d'Alsace et des conseils généraux, il y aura un référendum le 7 avril et la décision, si elle est positive, devra recueillir l'approbation de 25 % au moins des électeurs inscrits. Voilà pour les quatre points que vous avez soulevés.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je donne tout de suite la parole à François-Noël Buffet pour, peut-être, clore ce chapitre sur les métropoles, à moins qu'il n'y ait d'autres questions.

M. François-Noël Buffet. - Madame la ministre, j'ai beaucoup de questions. Je suis maire d'une commune de 26 000 habitants dans l'agglomération lyonnaise, je suis également conseiller communautaire et j'ai été vice-président de la communauté urbaine pendant une dizaine d'années. Je fais partie de ceux qui sont favorables à la proposition de Gérard Collomb et de Michel Mercier sur la reprise par la communauté urbaine des compétences du conseil général dans le cadre d'une métropole d'intérêt européen, c'est ainsi que le projet a été présenté vendredi dernier à l'ensemble des élus de l'agglomération lyonnaise. Si le texte est voté à l'automne, son application est-elle prévue dès 2014 ? Pour nous, c'est important de le savoir. Deuxième point : dans le cadre de la création de cette métropole, il est évident que les « élus métropolitains » le seront désormais dans le cadre du fléchage prévu par la loi électorale en discussion, même si ce texte n'a pas eu un succès énorme au Sénat... Nous allons donc avoir, avec la métropole, la création d'une véritable collectivité locale, au sens pur du terme. Quelles en seront les conséquences pour les communes qui constituent ces métropoles ? Un certain nombre de collègues élus sont très réservés, disant « nous allons disparaitre » ; d'autres se réjouissent de pouvoir enfin regrouper tout le monde pour plus d'efficacité. Certains, localement, ont commencé à prendre des positions. Par exemple, les communes de Décines et de Meyzieu ont déclaré publiquement qu'elles voulaient fusionner. Pour ma part, je souhaite que ma commune intègre la ville de Lyon et devienne à terme un de ses arrondissements, ce qui, selon moi, aurait du sens dans la construction de cette métropole. Mais, au-delà des principes qui ont été annoncés, qu'est-il prévu pour faciliter les mouvements des communes qui le souhaitent ? Ma troisième question est la suivante : il semble que les conseillers généraux d'un territoire continueront de siéger au sein de cette métropole jusqu'à leur renouvellement, c'est-à-dire en 2015, se retrouvant donc en surnombre au conseil métropolitain. Auront-ils un droit de vote pendant la période 2014-1015 ? Avec quelles conséquences électorales ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - C'est au ministre de l'Intérieur qu'il revient d'étudier de très près les points que vous venez d'évoquer, y compris pour le collège des élections sénatoriales.

S'agissant de la fusion, nous encourageons, partout en France, toutes les communes qui voudraient fusionner. C'est un principe auquel je suis favorable depuis longtemps, notamment dans les territoires parfois trop petits pour réussir à obtenir telle ou telle installation. Dès lors que chaque entité est d'accord, il n'y a aucun problème.

Nous avons prévu les élections des conseillers généraux pour 2015. Il reste à préciser le calendrier effectif et nous y travaillons en collaboration avec les services du ministère de l'Intérieur. Au départ, Michel Mercier et Gérard Collomb, comme d'autres sénateurs et peut-être vous-même, ont demandé une application au 1er janvier 2014, ou une application juste après les élections municipales. Cela se discute : si l'on démarre en mars 2014, on a une année, jusqu'en mars 2015, avec la superposition que vous évoquez ; dans ce cas, les conseillers concernés n'auraient pas le droit de vote et l'on s'en sortirait ainsi. Il faut néanmoins regarder scrupuleusement tous ces aspects, qui relèvent du ministère de l'Intérieur.

M. François-Noël Buffet. - S'agissant des élections sénatoriales, il se dit que l'ensemble resterait départemental, et qu'il y aurait donc un collège sur « la partie résiduelle » de 400 000 habitants ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Je n'ai pas la réponse à cette question électorale qui ne relève pas de mon ministère.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Avez-vous d'autres questions sur les métropoles ?

M. Edmond Hervé. - Madame la présidente, je suis très discipliné et vous nous avez appelé à nous exprimer sur les compétences. Présider est un exercice difficile, qui demande un minimum de discipline entre nous. Permettez-moi donc de rester dans le sujet, qui est à mon sens extrêmement important. Nous sommes un pays de droit unitaire, nous ne sommes pas un pays fédéral, à moins que nous souhaitions changer. Lorsque, Madame la ministre, vous avez avancé l'idée d'un pacte de confiance entre les collectivités territoriales et l'Etat, il est important que dans ce pacte de confiance, qui doit avoir un support écrit, il y ait aussi des engagements de la part de l'Etat à l'égard des collectivités territoriales. Ainsi, l'Etat doit s'engager à ne pas conserver - l'idée est très banale dans ce lieu - des services déconcentrés lorsque les missions assurées par ces services sont décentralisées. Voilà un exemple, qui fait partie du pacte de confiance. Madame la ministre, permettez-moi d'insister sur un point : vous nous avez annoncé - et j'y souscris - l'application de la clause de compétence générale aux collectivités territoriales, régions, départements et communes. Ensuite, selon un schéma qui vous honore et avec lequel je suis a priori d'accord, vous avez énuméré des compétences. Faisons très attention à ce que le principe de libre administration et la clause générale de compétence ne soient pas contredits par une énumération des compétences. C'est là que je retrouve, Madame la présidente, les travaux de notre délégation, puisque, Madame la ministre, notre collègue Antoine Lefèvre a produit à ce sujet un excellent rapport que nous avons adopté à l'unanimité. Ce rapport a apporté des précisions sur les notions de compétences. Il faut que nous puissions identifier, que le citoyen puisse identifier les compétences et savoir « qui fait quoi ». Les compétences doivent être obligatoires mais non exclusives. Il faut dire cela. D'autre part, ces compétences, en application des deux principes que vous avez cités, peuvent être exercées directement par les collectivités territoriales qui les possèdent mais aussi par d'autres, par voie de délégation. C'est là que l'on retrouve la relation contractuelle, les conférences B15, etc. que vous connaissez bien. Si je me permets d'insister sur ce point, c'est pour qu'il n'y ait pas de confusion et de difficultés entre nous, surtout sur le plan du respect des principes constitutionnels. Enfin, Madame la présidente, Madame la ministre, j'ai un voeu : vous avez parlé d'un texte simple. Pour ma part, je souhaiterais que les sénateurs respectent les articles 34 et 37 de la Constitution, et laissent ainsi un peu de marge de manoeuvre au pouvoir réglementaire. L'intervention de notre collègue sur les répartitions de compétences, je ne suis pas sûr qu'elle doive trouver une réponse complète dans le texte législatif, qui doit rester au niveau des principes. J'apprécie beaucoup que vous ayez réaffirmé la clause de compétence générale car, sans cette clause, je suis certain que le texte sera rejeté par le Conseil constitutionnel. En effet, si vous avez des compétences exclusives au bénéfice de la région ou du département et que ceux-ci ne les exercent pas, qu'est-ce qui est en cause ? La mise en oeuvre nécessaire d'une tutelle. Or, il n'y a pas de tutelle entre les collectivités territoriales. Pardonnez-moi d'avoir rappelé ces principes qui font partie de notre pédagogie, mais nous avons quelque expérience pour plaider la clause de la clarté. Je vous remercie.

M. Bruno Retailleau. - Il est vrai que j'ai souvent été le miroir, à droite, de cette position d'Edmond Hervé, que je remercie de cette intervention. J'ai toujours été un ardent défenseur de la clause générale de compétence, cette invention française qui nous permet de nous accommoder de notre Etat unitaire, du jacobinisme, et de réaliser, dans la diversité, des actions locales intelligentes. Il est important de le souligner. Pour ce qui concerne les départements, je pense comme vous qu'il faut réintroduire la clause générale de compétence. Mais, au plan financier, pourriez-vous nous dire à quelle sauce nous serons mangés ? Vous me voyez venir : il ne sert à rien de dire qu'il y a une clause générale de compétence s'il n'y a plus de moyens financiers, y compris pour mettre en oeuvre nos compétences obligatoires. Les présidents de conseils généraux présents savent de quoi je veux parler. On ne peut plus faire porter au seul département l'effort de solidarité nationale tout en ayant amputé très largement leur autonomie financière, et aussi fiscale. En outre, je proposerai, dans votre réforme, le principe « qui décide paye » et inversement. Vous feriez une avancée extraordinaire, je peux vous l'assurer, en adoptant ce principe. Cette année encore, une dizaine de décisions illustrent sa nécessité. Celui qui paye décide, celui qui décide paye : je pense que les citoyens le comprendraient parfaitement et cela rétablirait la vérité des choses. J'en viens à ma deuxième question. J'ai eu le sentiment que le tourisme et l'économie seraient des compétences exclusives des régions. J'espère que non : séparer l'insertion sociale de l'économique Madame la ministre, est une ineptie que je peux vous démontrer tous les jours sur le terrain. Séparer l'aménagement du territoire de l'économie n'est pas non plus cohérent. J'espère avoir mal entendu et j'attends votre réponse. Car, si cette compétence économique était demain exclusive, je me demande franchement comment une collectivité, une assemblée délibérante, une assemblée politique élue au suffrage universel pourrait renoncer à assumer les responsabilités associées au développement de son territoire. Cette dimension politique qui les distingue des établissements publics, elle me paraît essentielle.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Les principes rappelés par Edmond Hervé sont les nôtres. Il y a cependant un facteur limitant à l'exercice des compétences. C'est pourquoi nous n'avons insisté pas sur l'aspect exclusif - je reviendrai en fin de propos sur la formation professionnelle, ainsi que sur la notion de chef de file -. J'entends ce que vous dites sur les départements et l'économie. J'évoquais tout à l'heure les aides directes aux entreprises. Sur un certain nombre de secteurs stratégiques, il faut que l'Etat, pour quelques dizaines de pôles de compétitivité d'ordre national, et les régions, pour la cinquantaine de pôles de compétitivité qui existent, prennent des décisions stratégiques en attribuant de l'argent public, en créant des aides directes dans telle situation, sur tel secteur. Je pense qu'il ne faut pas que tout le monde le fasse. Nous comptons aujourd'hui 85 milliards d'aides aux entreprises et notre pays fait face à une importante augmentation du chômage. On voit bien qu'il n'est pas suffisant d'avoir des sommes à disposition : il faut dessiner des stratégies, choisir des priorités, etc. Je pense qu'il ne faut pas que tout le monde fasse des aides directes aux entreprises, de la même manière qu'il n'est pas souhaitable que tout le monde entre, même de façon temporaire, au capital d'entreprises naissantes ou en difficulté. Nous allons ouvrir cette possibilité par la loi, en supprimant la nécessité d'avoir un décret en Conseil d'Etat, par exemple. Donc, autant je soutiens la clause de la compétence générale, autant je pense que le chef de file est important pour rationaliser la dépense publique, pour son opportunité, pour sa précision. Lorsqu'un département ou une agglomération veut participer à des actions, il faut qu'un accord soit formalisé. Si un département souhaite faire des aides directes, mieux vaut que la région en soit informée, pour qu'il n'y ait pas deux types d'interventions sur un même dossier, comme c'est le cas actuellement. Edmond Hervé l'a rappelé, la notion d'exclusivité n'est pas acceptable constitutionnellement. Nous devons en effet préciser la notion de chef de file. Je vois bien ce qui se dessine aujourd'hui : des accords entre les régions, d'une part, et les communautés métropolitaines et les départements, de l'autre, par exemple sur l'immobilier d'entreprise, sans doute l'une des aides directes aux entreprises les plus utilisées. Nous préférons que les choses soient écrites, dites. Le citoyen doit être informé quand une région ne souhaite pas faire d'immobilier d'entreprise mais s'occuper d'aides directes, de son rôle avec le comité des engagements de la BPI ou de la définition des stratégies d'un schéma de développement économique, etc. Ce sont des choses de ce type, toutes simples, que j'imagine, y compris pour l'enseignement supérieur, l'innovation, la recherche, les transferts de technologie. Mieux vaut que cela soit dit, échangé et acté, par exemple pour une période de cinq ans, ce qui nous permettra aussi de mieux évaluer les politiques publiques. Donc, j'entends bien ce que vous dites et, en même temps, j'appelle à la rationalisation de la dépense publique. En effet, vous avez raison de le rappeler, les départements ont du mal aujourd'hui à faire face à leurs obligations, aux compétences que la loi leur donne. Mais il est vrai que si l'on s'engage vers une ressource pérenne des départements pour assurer le versement des allocations, notamment de solidarité, l'engagement de l'Etat sur cette ressource pérenne n'ira pas au-delà sans barrière, puisqu'il nous importe aussi, tous ensemble, de limiter les prélèvements obligatoires entre Etat et collectivités territoriales. Donc : pacte de confiance, recherche de ressources pérennes pour le département, pacte de confiance et de stabilité, dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Si l'on crée pour les collectivités une nouvelle possibilité d'en appeler à des prélèvements obligatoires, alors il faudra diminuer les dotations afin que les prélèvements obligatoires ne soient pas globalement en augmentation trop forte.

Enfin, s'agissant de l'exclusivité, il nous semble aujourd'hui que, si l'Etat délègue ou transfère - comme il en a la volonté - la formation professionnelle, il doit le faire de façon exclusive aux régions parce que c'est la meilleure façon de gérer ce dossier. Voilà une compétence que nous souhaitons voir transférée exclusivement aux régions. De la même façon que nous souhaitons que tout schéma du type développement économique, éolien, pacte électrique, etc., soit une compétence de la région, mais appelle l'avis des autres collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je vais donner la parole, dans l'ordre, à Eric Doligé, puis Michel Delebarre et Rémy Pointereau.

M. Éric Doligé. - Je suis ravi de pouvoir discuter de ce projet de loi avant que soit adopté celui sur le cumul des mandats, qui conduira à limiter considérablement l'auditoire ici présent.

Le pacte de confiance que vous avez évoqué est important pour améliorer la gouvernance des collectivités territoriales ainsi que leurs relations avec l'État.

Il reste que le problème financier est essentiel. Vous avez évoqué le « reste à charge », qui pèse sur les départements, enfermés de fait dans leurs compétences sociales. Quand la collectivité chef de file, qui sera le plus souvent la région, ne souhaitera pas traiter un sujet, ce dernier sera délaissé, ce qui pose problème.

Je constate que les départements sont morts, étouffés financièrement, et que le mode de scrutin proposé par le Gouvernement contribuera encore à leur disparition. Il faut, à mon sens, réduire le nombre des départements et celui des régions, pour dégager ainsi des entités de dimensions pertinentes, ce qui n'est pas le cas actuellement. La situation actuelle est marquée par la superposition permanente des interventions des différents niveaux territoriaux sur tous les sujets. Aussi y a-t-il nécessité de réduire le nombre des collectivités territoriales à chacun des trois niveaux pour parvenir à un nouveau schéma de gouvernance plus efficace.

M. Michel Delebarre. - Le texte que vous nous proposez va ouvrir de nombreuses possibilités d'évolution. Au vu des initiatives prises dans le Rhône, la région d'Aix-Marseille, ou encore en Île-de-France, je m'interroge sur l'opportunité d'ouvrir, pour une période d'un an par exemple, une possibilité d'évolution à la carte en matière de structures territoriales, à l'image de ce qui a lieu en Alsace... La loi viendrait entériner a posteriori les initiatives locales...

Je suis plutôt réservé sur la désignation d'une collectivité comme chef de file. Pour être utile, cette notion devrait être interprétée de façon différenciée. A titre d'exemple, mon département regroupe 16 entreprises classées Seveso, dont l'évolution ne peut être gérée de façon efficace qu'à mon niveau, car la région est trop éloignée pour appréhender cette réalité.

J'ai noté que le préfet siégerait au sein de la conférence territoriale : quel sera son rôle ? Pourra-t-il, en tant que représentant de l'État, suggérer des arbitrages ? Enfin, quel sera l'avenir des pôles métropolitains créés par la loi de décembre 2010 ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Je ne partage pas le pessimisme de M. Doligé, et je ne pense pas que les départements soient morts. Au contraire, leur rôle est essentiel en matière de solidarité et de cohésion sociale. Nous souhaitons qu'émergent des pactes de gouvernance des compétences avec les responsabilités qui s'y attachent, par exemple dans le secteur de l'immobilier d'entreprise, souvent retenu par les collectivités pour soutenir l'activité économique.

La loi de décembre 2010 a ouvert au département la possibilité de fusionner ; cette possibilité est inscrite dans le code général des collectivités territoriales. Il serait peut-être opportun, comme le suggère M. Delebarre, de limiter cette possibilité dans le temps. Cependant la loi de 2010 l'a ouverte sans limitation temporelle et le futur projet de loi ne reviendra pas sur ce point.

Il est prévu que le préfet soit présent dans les conférences territoriales pour permettre la poursuite de la dévolution des pouvoirs de l'État.

Rien n'empêche la libre réunion des exécutifs comme celle qui se profile en Alsace. Il faut dissocier le pacte de gouvernance, qui s'étendra sur une période de cinq ans, du lien continu qui doit exister entre les exécutifs territoriaux. En effet, les problèmes à régler durant cette période de cinq ans seront évolutifs et la souplesse du futur projet de loi garantira l'évolution des structures sans qu'il soit nécessaire de revenir devant le Parlement pour en prendre acte.

Enfin, les pôles métropolitains subsistent.

M. Rémy Pointereau. - Cet avant-projet de loi correspond à la proposition n° 54 du candidat François Hollande, dont on espérait qu'elle conduirait à une simplification des compétences. Je constate qu'il n'en est rien : la création du conseil des territoires me semble superflue puisque que le Sénat joue ce rôle ; les conférences territoriales ne sont pas partout efficaces : celle existant dans la région Centre n'a jamais fonctionné. Enfin, la création est prévue d'une troisième commission consultative sur les normes obligatoires, alors que rien ne garantit qu'elle aboutisse à des résultats plus efficaces que les deux premières.

J'en viens maintenant aux compétences : le projet de loi privilégie le niveau régional et les grandes intercommunalités et métropoles, au détriment des départements et des communes, lesquelles semblent être les parents pauvres de la nouvelle organisation. Ainsi, dans les cas où le plan d'urbanisme relèverait du niveau intercommunal, les communes n'auront plus comme compétences que l'état civil et les écoles, ce qui aboutirait à leur mort.

Dans ces conditions, je ne pourrai soutenir ce texte.

M. François Grosdidier. - J'attendais de ce projet de loi une vision plus précise du rôle assigné à chaque collectivité territoriale. Or, la confusion me semble régner.

Vous allez abroger la loi de décembre 2010, dont certains éléments pouvaient être jugés trop brutaux par certains, mais qui avait l'avantage de donner aux communes une compétence générale, ce qui n'était plus le cas des régions et des départements. Cette organisation avait le mérite de la clarté.

Le système que vous nous proposez conduira à une confusion des rôles dévolus à chacune des collectivités, ainsi qu'au maintien des services existants aux niveaux départemental et régional. La notion nouvelle de collectivité chef de file me semble incompatible avec le maintien de la clause de compétence générale pour chaque niveau de collectivité. Une meilleure coordination est indispensable et elle ne sera pas assurée par l'institutionnalisation de la conférence territoriale, qui souvent existe déjà dans les faits. Ses conclusions auront-elles force obligatoire et, dans l'affirmative, au nom de quelle légitimité ?

Par ailleurs, la limitation du cumul des mandats nationaux et locaux telle que la suggère le Gouvernement réduira le rôle du Sénat, avec la perte de l'assise territoriale des élus nationaux.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Le Premier ministre François Fillon avait voulu instaurer le lieu de coordination qu'était la conférence nationale des exécutifs. D'ailleurs, certains d'entre nous y siégeaient. Toutefois, cette conférence a été un échec, car elle ne se réunissait pas suffisamment. Je pense que des lieux de dialogue entre élus sont utiles. Quant à l'argument que le Sénat est déjà le haut conseil des territoires, on pourrait également en tirer la conséquence que les missions du comité des finances locales pourraient être reprises par notre institution... Or, et je pense que plusieurs d'entre vous sont d'accord là-dessus, le comité des finances publiques crée une vraie valeur ajoutée.

M. Georges Labazée. - Je n'ai qu'une seule question : ce texte de loi permettra-t-il un transfert de pouvoir réglementaire au profit des régions ou des départements ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - La question que je souhaitais poser a déjà été évoquée par messieurs Hervé et Pointereau.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Monsieur Pointereau, j'attache beaucoup d'importance au fait que l'on rassemble au sein du haut conseil des territoires les exécutifs locaux et l'Etat. J'ai cité le cas de la semaine de 4 jours et demi, mais on pourrait également évoquer les travaux de Mme Gourault et de M. Doligé sur les normes. Il est nécessaire de faire progresser la concertation lors de l'édiction de normes. L'intégration du comité des finances locales et de la commission d'évaluation des normes au haut conseil des territoires doit le permettre. Un travail important sur le stock de normes existantes est également nécessaire. Plusieurs textes en débat au Sénat et à l'Assemblée nationale en témoignent.

Si la conférence nationale des exécutifs n'a pas fonctionné, c'est, à mon sens, parce qu'il n'y avait pas assez d'engagement de la part de l'Etat : les ordres du jour n'étaient pas suffisamment connus à l'avance, la direction générale de la modernisation de l'Etat n'avait pas été mise à disposition de ce conseil, alors que sa mission consistait à évaluer un certain nombre de politiques publiques. Or, pour pouvoir travailler de façon précise, il est nécessaire de pouvoir échanger à partir de données claires. En outre, les conclusions issues de cette concertation doivent être prises en compte par l'Etat dans la loi, le règlement, le décret et les arrêtés. C'est sur l'ensemble de ces points que le Président de la République s'engage avec la mise en place du haut conseil des territoires.

Je ne partage pas du tout l'idée que le Sénat est déjà ce haut conseil des territoires. Le Sénat est un pouvoir législatif. Il n'est pas possible d'avoir de discussion au Sénat entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sur la manière d'appliquer la loi. Pour moi, il y a en France un Parlement, pas une Assemblée nationale et un Sénat qui seraient pour moitié législateur et pour moitié représentant des exécutifs. En revanche, qu'il y ait au sein du haut conseil des territoires un sénateur désigné par le Sénat, c'est une question qui pourra être débattue. Le haut conseil des territoires aura un ordre du jour précis et sera présidé par le Premier ministre. En outre, un vice-président sera élu par les exécutifs locaux. Cet organe pourra interpeller le Gouvernement sur un certain nombre de projets et aura à sa disposition les outils d'évaluation nécessaires.

L'idée que les départements risquent de disparaître n'est pas une idée neuve, je l'entends depuis que je fais de la politique. Or, les départements ont une mission essentielle : la cohésion sociale. Cette dernière est très importante pour la vitalité d'un pays. Si notre pays a mieux que d'autres traversé les crises, c'est grâce à l'accompagnement des familles en difficulté et des personnes à la recherche d'un emploi, assuré par les départements. Le département est très important pour ceux qui sont en difficulté économique, mais aussi pour ceux qui sont confrontés à des difficultés sociales, comme nos personnes âgées.

Les pactes de gouvernance doivent permettre une écriture de ce qui se passe souvent en bilatéral, la région disant « je vais m'occuper de tel secteur, mais pas de tel autre », laissant le département ou la communauté urbaine s'en charger. Le but est d'avoir un document de référence permettant une plus grande transparence. Nous avons souhaité réinstaurer la clause générale de compétence pour toutes les collectivités. Dès lors, nous devons avoir confiance dans leurs capacités à mettre au point un pacte de gouvernance clair. L'argent public est rare. Il y a donc un intérêt à préciser les compétences de chacun. En ce qui concerne les services déconcentrés de l'État, ils devront disparaître lorsque les compétences seront transférées aux collectivités.

En cas de désaccord entre plusieurs collectivités, par exemple lorsqu'un département ne joue pas le jeu du pacte de gouvernance, les règles de financement seront beaucoup plus draconiennes. Le minima demandé pour toute collectivité participant à un financement croisé sans passer ou sans respecter un accord sur les compétences de chacun pourrait être beaucoup plus élevé. Les cofinancements ont été encadrés par la loi de 2010 ; de nouvelles règles pourraient voir le jour en fonction de l'existence ou non d'accords d'organisation des compétences entre les collectivités participant au cofinancement.

En ce qui concerne le transfert du pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales, nous avons prévu que le Parlement puisse, dans chaque loi, préciser si l'application de telle ou telle norme sera confiée aux collectivités. Il reviendra au législateur, à chaque fois, de préciser dans le texte si oui ou non il est nécessaire d'adapter le pouvoir réglementaire.

M. Yves Krattinger. - Je suis d'accord sur le fait que nous devons savoir, dans les collectivités territoriales, qui est responsable de quoi. Je souhaite pour ma part aborder un autre thème : celui des solidarités territoriales. On rencontre, dans les territoires, un sentiment répandu d'existence d'inégalités, y compris à l'intérieur d'un même département. Je ne conteste pas à la région le fait de s'occuper de l'avenir des entreprises ou de la formation professionnelle, mais les solidarités territoriales touchent aux services publics de proximité. Dans chaque gros bourg des nouvelles communautés de communes, on doit pouvoir disposer d'un panel de services. Je souhaite que le département reçoive l'étiquette de chef de file en matière de solidarité de proximité. Sinon, il y a toujours un chevauchement permanent et le citoyen ne sait pas qui est responsable de quoi. Bien évidemment, le département agirait en partenariat avec l'Etat, qui doit veiller à la cohérence globale du service public. Lorsqu'il attribue la dotation d'équipement des territoires ruraux, il doit pouvoir, en accord avec le département, la cibler sur des objectifs jugés prioritaires et concourant à l'amélioration de l'égalité territoriale. Nous avons une ministre de l'égalité des territoires et cela doit se traduire également dans les territoires. Aujourd'hui, c'est le département qui accompagne les communes et les intercommunalités, en particulier dans les territoires ruraux, en tandem avec le préfet. Je souhaiterais que l'on aille peut-être plus loin dans les textes.

M. Charles Guené. - Je serai moins sévère que mes collègues sur le chef de filat. On pourrait le définir comme un pacte temporaire de transfert de compétences. Je tiens toutefois à souligner que ces pactes qui vont être sur des mandatures auront une durée de vie limitée. Je souhaitais revenir sur l'aspect fiscal de ces pactes. Il n'est pas envisageable de modifier la fiscalité de chacune des collectivités. Dès lors, ces transferts temporaires de compétences doivent s'accompagner de transfert de paquets fiscaux entre collectivités.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Le débat a beaucoup tourné aujourd'hui autour des départements et les régions. Heureusement, lors de votre intervention initiale, vous avez évoqué, Madame la ministre, le bloc communal. L'intercommunalité est un phénomène extrêmement important depuis la loi Chevènement, et il finit de se mettre en place. Nous devons éviter l'écueil des débats de 2004, qui se sont terminés en bataille entre les départements et les régions. Au Sénat, il y a beaucoup de présidents de conseils généraux ; par ailleurs, les régions disposent d'une association puissante. Pour autant, il est nécessaire que tous les niveaux de collectivités territoriales se sentent concernés par cette réforme.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - En matière de plan local d'urbanisme, le projet de texte prévoit de l'attribuer aux intercommunalités. J'espère que cette mesure sera maintenue lors des débats. Nous avons une obligation de protéger le foncier agricole. Nous ne pouvons plus continuer à dire que nous perdons par an l'équivalent d'un département de terres agricoles et ne rien faire. Il est nécessaire que les établissement publics fonciers régionaux soient présents sur l'ensemble du territoire et apportent leur éclairage lors de la délivrance des droits à construire. Les établissements publics fonciers ruraux doivent aider les villages et les bourgs ruraux à aménager des friches déjà bâties, plutôt que de construire de nouveaux lotissements alors que le centre bourg est mort. En matière de solidarité des territoires et de chef de filat, ce que vous proposez n'est pas incompatible avec des schémas régionaux ou nationaux d'aménagement du territoire. Le chef de file des solidarités de proximité peut être le département. Aujourd'hui, lorsque l'on parle de services publics de proximité, c'est le département avec l'Etat en matière de santé. Nous souhaitons inciter les communautés de communes à créer des pôles d'aménagement du territoire et de solidarités territoriales face aux pôles urbains. Ce point est très important car ces territoires sont aussi des facteurs de production. On ne peut pas les laisser sans service.

Cela pose bien évidemment la question des finances locales. Nous ferons des propositions dans le projet de loi de finances pour 2014, en fonction de toutes les contraintes que vous connaissez. Pour les régions, les impôts sur les réseaux devraient permettre de garantir une ressource dynamique et de qualité. Pour les départements, le Président de la République a décidé d'ouvrir la commission de réflexion « État-départements » afin de trouver une ressource pérenne. Cette commission vient de se mettre en place, je ne peux donc vous en dire plus sur les choix qui seront adoptés. De manière générale, si l'on permet aux collectivités territoriales d'augmenter leurs prélèvements obligatoires via une modification des assiettes fiscales, il est nécessaire que l'État diminue les siens, ce qui signifie une diminution des dotations. Or, nous devons nous assurer que la diminution de celles-ci sera bien compensée par une ressource dynamique. En outre, si l'on ne fait que créer de nouvelles ressources, ou augmenter celles existantes - j'ai évoqué les réflexions actuelles sur le couple taxe d'habitation et impôt sur le revenu - nous allons vers un excès de prélèvements obligatoires.