Mercredi 13 février 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Violences et discriminations à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre - Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du Gouvernement

La commission entend Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du Gouvernement, sur le programme d'actions gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous auditionnons aujourd'hui Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, sur le programme d'actions gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Notre commission est concernée au titre de ses compétences en matière de jeunesse, d'éducation et de sport. C'est un sujet grave, comme le montre assez le taux de suicide particulièrement élevé chez les jeunes homosexuels.

L'audition d'Éric Debarbieux, délégué ministériel à la lutte contre les violences scolaires, nous avait rappelé la persistance des insultes et des agressions homophobes dans les établissements scolaires. Elles doivent être pleinement prises en compte dans les enquêtes de victimation et les actions concrètes de prévention. Le harcèlement peut conduire certains jeunes au décrochage. Il est très difficile alors de les ramener vers l'institution scolaire, comme nous l'avons vu lors de notre déplacement à Agen, la semaine dernière, dans une structure innovante au sein d'un lycée professionnel.

L'école est un lieu d'intervention essentiel où il faut à la fois protéger les adolescents des violences homophobes et apprendre à tous des valeurs d'égalité et de respect des personnes. Cette réaffirmation des valeurs républicaines est aussi au coeur de la refondation de l'école, dont nous aurons bientôt à débattre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. - Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission, et d'avoir pu déplacer notre rendez-vous : j'étais retenue hier à l'Assemblée nationale par le vote relatif au mariage pour tous. Ce dernier n'est d'ailleurs pas étranger au sujet qui nous réunit aujourd'hui : les débats qui se sont tenus au palais Bourbon démontrent l'urgence qu'il y a à agir pour l'égalité des droits. Cela étant, nous devons également inscrire dans le long terme notre action de lutte contre les discriminations et les propos homophobes, car seul un changement profond des mentalités est susceptible de détruire les inégalités à la racine.

Pour ce faire, nous menons un travail largement inédit, puisque ce plan interministériel de lutte contre l'homophobie part de presque rien. C'est assez rare dans l'action publique, laquelle trouve souvent à s'appuyer sur de pleines armoires de livres verts, de plans triennaux ou de conclusions d'États généraux.

Nous définissons l'homophobie comme l'ensemble des violences et discriminations à l'égard des hommes et des femmes liées à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, réelles ou supposées. A la question de savoir pourquoi le ministère chargé des droits des femmes mène cette action, la réponse est d'abord pragmatique : il fallait bien qu'un ministère s'en occupe. Celui de Manuel Valls conduit le combat contre le racisme, celui de Marie-Arlette Carlotti promeut l'intégration des personnes handicapées, Michèle Delaunay lutte contre les discriminations liées à l'âge, et moi-même suis attachée à faire reculer le sexisme dans notre pays. Il y a en outre une certaine cohérence : notez que les stéréotypes sexistes et homophobes vont souvent de pair, et que les parcours historiques du féminisme et du mouvement lesbien, gay, bisexuel et transgenre (LGBT) se sont croisés plus d'une fois. Je salue à ce propos le vote unanime du Sénat, la semaine dernière, visant à adapter les délais de prescription pour injure homophobe à ceux applicables au cas d'injure raciale.

Nous souhaitons agir sur tous ces sujets dans la durée. Les vieux réflexes homophobes n'ont malheureusement pas disparu, et je veux témoigner ici de notre totale vigilance à leur égard. D'aucuns pourraient s'étonner de ce que ce plan intervienne maintenant, alors que l'urgence sociale et la crise économique devraient occuper le gouvernement plus que tout. Je les rassure : elles l'occupent plus que tout. Mais c'est précisément en période de crise que s'exacerbent les questions de société et que nous devons veiller à l'égalité effective des droits.

Un mot sur notre méthode : nous avons déjà réuni une centaine de représentants d'organismes, institutions, administrations intéressées à ces questions, ainsi que des représentants des partenaires sociaux et des associations de parents d'élèves. Mille pages de contributions en ont été produites ; de nombreuses décisions y ont été conçues.

La lutte contre les violences homophobes sera notre premier chantier. Afin de mieux les appréhender, nous publierons chaque année les chiffres de l'homophobie, grâce à la réforme d'un système statistique qui, jusqu'à présent, ne prenait pas en compte le motif homophobe des agressions. Une enquête de victimation a été commandée à l'Institut national d'études démographiques (Ined) dans le cadre des enquêtes VIRAGE consacrées aux violences faites aux femmes. L'accueil des victimes sera amélioré, grâce au lancement d'une campagne d'information mise en oeuvre dès 2013. La formation initiale et continue des professionnels sera adaptée en 2014. Nous travaillons également à l'élaboration de trames d'audition à l'attention des agents de police et de gendarmerie, afin de faire du recueil d'information sur une agression homophobe un moment moins douloureux pour les victimes qu'il ne l'est aujourd'hui. Enfin, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera également mise à contribution, notamment pour surveiller les thérapies de conversion, cette tendance venue des États-Unis qui consiste à profiter de la vulnérabilité de certains homosexuels pour leur proposer un traitement.

Faire changer les mentalités en profondeur sera notre deuxième chantier. De l'école à l'université, nous travaillerons à déconstruire les stéréotypes à la racine. Des modules d'éducation à la sexualité seront organisés, notamment au lycée. C'est d'ailleurs une obligation depuis 2001, mais elle est bien rarement mise en oeuvre. Dans quelques semaines, une circulaire conjointe du ministère de l'éducation nationale et du ministère des droits des femmes sera publiée à ce sujet. Afin de faciliter l'accès aux établissements scolaires des associations qui luttent contre les discriminations, les procédures d'agrément seront rendues plus faciles. Nous mènerons en outre une lutte active contre le suicide des jeunes. C'est là une priorité de Vincent Peillon, qui a confié une mission sur ce sujet à Michel Teychenné, ainsi que de Marisol Touraine, qui en a fait un axe de son plan « santé mentale » actuellement en préparation. Un Observatoire national des suicides sera mis en place ; il fait aujourd'hui cruellement défaut. Les établissements sportifs et les centres d'accueil collectif des enfants sont également concernés : la mise en oeuvre de la Charte contre l'homophobie sera mieux surveillée, et ses principes feront l'objet d'un module spécifique de prévention au sein de la formation au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA). Je vous renvoie sur ce point aux propositions déjà formulées par Valérie Fourneyron. A l'université, Geneviève Fioraso a également déjà pris de nombreux engagements.

Les réseaux sociaux sur Internet constituent à eux seuls un terrain d'action privilégié. Les propos haineux y bénéficient en effet, grâce à l'anonymat dont se prévalent le plus souvent leurs auteurs, d'une impunité presque totale. Vous avez sans doute eu vent des propos antisémites puis homophobes qui ont pu se répercuter en toute liberté sur le réseau Twitter il y a quelques semaines. Nous ne pouvions rester inactifs : nous avons donc rencontré les responsables de l'entreprise, ainsi que de nombreuses associations de lutte contre l'homophobie, et contraint le groupe à s'engager à signaler tout message de cette nature. Manuel Valls, Vincent Peillon, Christiane Taubira et moi-même travaillons de concert pour que ces sociétés s'inscrivent dans notre tradition juridique, dans laquelle la liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres. Les propos méconnaissant les principes fondamentaux de notre droit seront supprimés, et ces décisions assorties de rappels à la loi. Cette fermeté sera accompagnée d'actions de prévention à l'attention des internautes les plus jeunes. Dans le domaine culturel enfin, je travaille en étroite collaboration avec Aurélie Filippetti pour inviter le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à adresser des recommandations aux chaînes de radio ou de télévision afin de les faire participer davantage à la lutte contre l'homophobie. Nous soutenons en outre les projets de valorisation de l'histoire du mouvement LGBT.

Troisième axe de notre programme : la lutte contre les discriminations en tant que telles. Je travaille avec Michel Sapin à intégrer les questions d'homophobie dans les outils dont disposent les inspecteurs du travail, ce qui est absolument inédit. Ces questions seront désormais abordées à l'occasion de la grande conférence sociale annuelle réunissant les partenaires sociaux, qui jusqu'à présent - de leur propre aveu - en laissaient l'examen aux associations. Le travail engagé avec les entreprises permettra l'adoption d'une Charte de l'égalité applicable dans le secteur privé. Quant à l'emploi public, la Charte spécifique de l'égalité dans la fonction publique intégrera spécifiquement les questions de lutte contre l'homophobie.

L'égalité au sein des familles est un autre objectif à atteindre : désormais, les familles homoparentales seront représentées au sein de l'Union nationale des associations familiales (Unaf). Les personnels de santé exerçant dans les hôpitaux et les maisons de retraite seront davantage formés à la lutte contre les discriminations homophobes, grâce à l'introduction dans leur cursus d'un module consacré aux identités de genre. L'Igas a été chargé d'une mission ciblée sur les personnes âgées LGBT, particulièrement sujettes à l'isolement.

Le parcours des personnes transsexuelles sera simplifié, afin d'éviter les ruptures qui pourraient s'y produire. Je connais le travail effectué ici par Maryvonne Blondin et Michelle Meunier ; sachez que je le soutiens. Quant à nous, nous nous pencherons sur l'expression d'identité de genre, encore mal comprise. Afin d'intégrer cette notion dans notre droit, nous avons saisi la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), qui sera également amenée à se prononcer sur le futur projet de loi réformant le changement d'état civil. Des consignes ont d'ores et déjà été données pour que les personnes transsexuelles puissent utiliser un numéro de sécurité sociale provisoire sans perdre le bénéfice de leurs droits sociaux. S'agissant plus spécifiquement du parcours de soin des personnes transsexuelles, Marisol Touraine a repris le travail initié avec les associations par nos prédécesseurs, sur le fondement du rapport de l'Igas de mai 2012.

Dernier volet de notre programme : la promotion internationale de l'égalité. La France revient au premier plan sur ces questions, notamment celle de la dépénalisation de l'homosexualité. Pas moins de 170 États sont concernés, dont 7 qui font encourir la peine de mort aux homosexuels. En septembre dernier à l'ONU, le Président de la République n'a pas hésité à qualifier ce combat d'« historique ». Nous le conduisons, avec Laurent Fabius, en direction de nos partenaires européens ainsi que des pays du Sud : sans ces derniers en effet, un combat porté uniquement par les nations riches de l'hémisphère nord n'a aucune chance d'aboutir. Je suis allée moi-même au conseil de sécurité des Nations unies, et y retournerai dès que nécessaire. La première conférence européenne sur ce thème sera organisée à Paris le 26 mars prochain : elle réunira des représentants des gouvernements et des sociétés civiles de 56 États, ainsi que de l'Union européenne et du Haut commissariat aux droits de l'Homme. Notre objectif sera d'atteindre le plus large consensus possible sur les droits des personnes LGBT. La situation en Europe peut paraître satisfaisante à cet égard, mais il n'est que de regarder en Russie ou en Ukraine pour se rendre compte du travail qu'il reste à accomplir, où les brimades que subissent ces personnes sont dissimulées sous le prétexte de la lutte contre la propagande homosexuelle. Mesdames et messieurs les sénateurs, votre participation à ces travaux est la bienvenue. Enfin, nous travaillons à améliorer l'accueil des personnes fuyant les persécutions dans leur pays : les conditions d'asile pour les personnes LGBT seront améliorées. Les professionnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides seront notamment formés spécifiquement à l'identification des risques de violence liés à l'identité de genre.

Pour conclure, je précise que notre programme fera l'objet d'une évaluation et d'un suivi précis. Les associations, ministères concernés et élus locaux sont membres du comité de suivi, qui se réunira le 17 mai 2013 pour un premier bilan.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il est peu fréquent qu'un ministre nous présente un plan de suivi des actions engageant la parole de la France sur la scène internationale et les mécanismes de l'évaluation permanente conduite avec les acteurs de terrain. Au nom de notre commission, je veux vous dire notre satisfaction.

Mme Maryvonne Blondin. - Je félicite Mme la ministre pour ce plan, qui embrasse tous les secteurs de la vie publique, et est organisé à partir de pas grand-chose.

Vous le savez, le milieu scolaire connaît parfois un climat de violence et d'agressivité qui entretient chez les enfants la peur de l'école, fortement préjudiciable à la réussite des élèves. La santé à l'école est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. La santé - physique, mentale, et plus largement le bien-être que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) intègre à sa définition - constitue un facteur de réussite éducative. Or notre système de santé scolaire est fragilisé : les missions des médecins et infirmiers scolaires sont mal identifiées. Par exemple, la mise en oeuvre du plan d'accompagnement des enfants handicapés échoit aux médecins, mais elle n'entre pas dans leur temps de travail décompté : elle est donc menée au détriment de l'accompagnement que requièrent les enfants victimes de violences. La formation des professionnels scolaires est un autre sujet : l'éducation à la sexualité est censée prendre trois heures. Davantage serait nécessaire, et l'agrément facilité des associations va dans le bon sens. L'éducation au respect doit en être une composante essentielle.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Absolument.

Mme Maryvonne Blondin. - L'égalité en matière culturelle est un autre de vos chantiers. Or les femmes sont peu présentes aux postes de direction des grands opérateurs. La délégation aux droits des femmes travaille actuellement sur ce sujet.

Votre action internationale est inédite. C'est un pan essentiel de votre programme. J'attire votre attention sur le travail réalisé au sein du Conseil de l'Europe en matière d'égalité entre hommes et femmes et d'identité de genre, et notamment sur sa campagne « un sur cinq », destinée à faire savoir que près d'un enfant sur cinq est victime de violences ou d'abus à l'intérieur de son cercle familial ou dans son milieu proche. Je suis parlementaire référent sur ces questions au sein du Sénat. L'Assemblée nationale et l'Association des maires de France nommeront prochainement un représentant pour leur compte. Ce travail pourrait-il être conduit avec votre collaboration ? A défaut, avec celle de la ministre de la famille ?

Mme Corinne Bouchoux. - Le programme que vous nous présentez est réjouissant : il coûte peu cher et sa mise en oeuvre ne demande guère que de la volonté.

Que pouvez-vous nous dire de l'homophobie au sein de l'armée ? Interpelée récemment à ce propos, il m'a semblé que l'armée était le parent pauvre de la lutte contre l'homophobie. Nous n'appliquons ni le principe américain « don't ask don't tell » ni les règles en vigueur au Royaume-Uni. En France, on n'en parle pas, on ne dit rien ; on cumule les inconvénients. Il se trouve que je suis actuellement une formation militaire : que je sois écologiste et pacifiste n'a posé aucune difficulté, mais accoler deux états civils identiques sur les fiches de renseignements administratifs a interloqué la direction de l'armée.

En tant que parlementaires, nous sommes autorisés à visiter les lieux de privation de liberté. Le contexte carcéral prédispose à toutes les violences, et pourtant l'homophobie en prison est un non-dit. N'y a-t-il pas un travail à mener avec le Genepi, ainsi qu'avec les visiteurs de prison ?

Mme Françoise Férat. - L'homophobie doit être combattue comme toutes les formes de violence. Comment comptez-vous faire connaître votre programme d'action ? Quelle communication avez-vous mis en place ?

M. Alex Türk. - Vous avez évoqué le fait qu'il n'existait pas d'outils en possession des services de police et de gendarmerie pour traiter spécifiquement des violences homophobes. De tels outils ont existé, jusqu'à ce que les associations de défense des homosexuels s'en plaignent. L'identification est parfois considérée comme une stigmatisation. Alors que les pouvoirs publics souhaitaient seulement les protéger, certains groupes de personnes estiment qu'une protection spécifique peut se révéler contre-productive.

Mme Françoise Laborde. - Je félicite Mme la ministre pour le travail transversal qu'elle réalise. La laïcité est une question qui me tient à coeur et que je connais bien : je crains que la mise en place d'une Charte de l'égalité ne pâtisse, comme la Charte de la laïcité, d'une mise en oeuvre bien trop partielle.

La formation des professionnels est un enjeu majeur. J'étais hier à une réunion du Haut conseil à l'intégration sur la laïcité à l'hôpital. Aucun module de formation à la laïcité ne semble exister dans le cursus des personnels. L'éducation nationale est confrontée au même problème : les concours n'exigent guère des candidats une bonne connaissance des valeurs de la République.

Je suis en outre réservée sur l'action internationale dans ce domaine. Il faut certes agir et porter la bonne parole, mais sans passer pour donneur de leçons. Voyez l'Espagne et le Portugal, pays très catholiques : l'instauration du mariage pour tous a causé moins de remous que chez nous.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Je me réjouis que vous soyez preneurs de travail en commun sur ces sujets. Je ne vous ai exposé que le détail de nos premiers pas. Certains aspects feront l'objet de concrétisations législatives, notamment le parcours des transsexuels.

Madame Blondin, vous avez raison de souligner que les compétences des professionnels de santé exerçant dans le milieu scolaire ne sont pas claires. Ce sont d'ailleurs souvent les infirmiers scolaires qui organisent la venue des associations de lutte contre l'homophobie. J'en profite pour préciser que le ministère de l'éducation nationale assure la promotion de la ligne Azur destinée à aider les jeunes en proie à un mal-être lié à leur identité de genre. La mission d'Éric Debarbieux prend naturellement en compte ces aspects.

Le Conseil de l'Europe sera l'un des invités de la journée du 26 mars. Je connais la campagne « un sur cinq », car la France est partie à la convention de Lanzarote contre les violences faites aux enfants. La question n'est pas du ressort de mon ministère, mais j'y suis très sensible et suis tout à fait preneuse d'un travail commun avec vous sur ces questions.

J'indique à Corinne Bouchoux que nous avons associé l'ensemble des ministères à nos travaux, y compris celui de la défense. Nous avons en outre été saisis de cas particuliers. S'agissant des prisons, ce sont les commissions pluridisciplinaires qui devront désormais traiter la question des besoins des personnes LGBT.

Il n'est pas nécessaire de disposer d'un budget conséquent pour traiter ces dossiers, dont certaines thématiques relèvent de problèmes d'organisation administrative.

Mme Françoise Férat. - Ma question portait davantage sur la communication de votre action.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - On n'a pas nécessairement besoin de budgets importants pour mener à bien les actions prévues dans le programme. Par exemple, en matière de formation des professionnels, les budgets existent, il faut davantage les flécher. Des dépenses seront malgré tout nécessaires, notamment pour renforcer la ligne d'écoute téléphonique mise en place par l'association SOS homophobie, ce qui est inédit. Pour le reste, j'ai évoqué la campagne de communication sur la prévention des violences homophobes que nous allons mener courant 2013.

Alex Türk a raison. Les gens ne veulent pas être stigmatisés, et même lorsque les pouvoirs publics pensent bien faire, les difficultés sont grandes. Nous veillerons surtout à protéger la vie privée des personnes : faciliter l'accompagnement des victimes peut se faire sans rendre publiques les données personnelles les concernant. La protection de la vie privée est plus délicate sur Internet. J'étais dans l'hémicycle de la Haute assemblée la semaine dernière pour défendre le texte modifiant les délais de prescriptions applicables au cas de violences homophobes : nous avons engagé une profonde réflexion sur les propos haineux sur Internet. Un groupe de travail sera constitué sur ce sujet. Christiane Taubira a déjà lancé un projet d'Habeas corpus numérique. Il restera à coordonner toutes ces initiatives.

Les propos de Françoise Laborde me permettent de souligner que ce sujet met tout le monde d'accord, y compris les autorités religieuses. Ce plan contribue à une meilleure intégration et un meilleur respect de la laïcité.

Il ne faut pas faire de l'action internationale un combat du Nord contre le Sud ; nous travaillons beaucoup avec l'Afrique du Sud, mais nous avons aussi des contacts avec le Bénin ou le Burkina Faso. Comme dans la lutte contre l'excision, il faut obtenir le concours de la société civile.

Mme Françoise Laborde. - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma remarque, qui concernait « l'étiquetage » des personnes, à l'instar de ce qui se passe à l'hôpital : les malades n'entrent certes pas à l'hôpital débarrassés de leurs croyances religieuses. Pour autant, on ne devrait pas la leur demander dès leur arrivée, comme dans certains hôpitaux. Les modules de formation sur ces questions devraient être plus larges.

M. Michel Le Scouarnec. - A combien évalue-t-on le nombre de personnes concernées par les troubles d'identité de genre ?

Mme Maryvonne Blondin. - On ne les connait évidemment pas tous, mais cette population est estimée à 30 000 à 40 000 personnes. Les situations sont parfois très compliquées : la transition a commencé sur le plan médical, est suivie d'effets physiques, mais les papiers d'identité, eux, n'ont pas changé. Il s'ensuit des problèmes à n'en plus finir : vous avez évoqué les milieux militaire et carcéral, mais la police de l'air et des frontières s'est déjà distinguée en retenant des personnes au motif que leurs papiers ne correspondaient pas à leur identité, et les brimades qu'elles subissent laissent de graves traumatismes. Acheter ou louer un logement, obtenir des résultats d'analyses médicales sont autant d'actes de la vie courante qui s'avèrent alors difficiles à réaliser.

Je me suis lancée dans ce combat il y a quelques années, après lecture d'un email envoyé par Michèle Delaunay, à l'époque députée, alors que j'étais moi-même confrontée à la souffrance d'une personne de ma commune que je connaissais. Ces situations sont graves, et poussent parfois au suicide. En milieu scolaire notamment, s'ouvrir au proviseur de son établissement de sa période de transition n'est pas chose aisée.

M. Michel Le Scouarnec. - Combien de temps ce processus dure-t-il ?

Mme Maryvonne Blondin. - Parfois plusieurs années. Ce travail sur le soin et l'accompagnement peut durer dix ans. Beaucoup de personnes concernées s'en vont dans d'autres pays, notamment en Thaïlande et en Californie, où des équipes ont été formées à cet effet, composées non seulement de chirurgiens, mais également de psychothérapeutes, de dermatologues et d'endocrinologues.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Au large tour d'horizon de Mme Blondin, j'ajouterai les difficultés liées au monde du travail : dans cette période de transition, les individus sont rejetés en tant que salariés, et tombent dans la plus grande précarité. Généralement, leur parcours s'achève dans la prostitution.

Mme Corinne Bouchoux. - Le plan d'action est largement négatif : il vise à éviter les problèmes. A quand une « positive attitude » ? Regardons aussi les progrès réalisés depuis quinze ans : dans Plus belle la vie, il y a des personnages homosexuels, les publicités ont fait des progrès... Pourquoi ne pas valoriser les bonnes pratiques, dans les écoles et les lycées, comme à Toulouse avec le concours « buzzons contre le sexisme » ? Il faudrait encourager leur mise en valeur artistique, ce qui se pratique déjà dans certaines facultés américaines. Le danger des plans de prévention est en effet d'être soit incantatoire, soit de ne montrer que ce qui ne va pas.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Vous avez absolument raison. C'est la raison pour laquelle j'évoquais la valorisation de la mémoire des combats LGBT : malgré ses moments difficiles, c'est aussi une histoire d'émancipation et d'acquisition de droits de plus en plus nombreux.

En dehors du plan de prévention des homophobies, nous allons faire en sorte que les campagnes institutionnelles présentent la réalité de la société française : ainsi, si nous devons représenter une famille ou un couple, nous ferons parfois appel à un couple homosexuel ou une famille homoparentale. C'est ainsi que nous pourrons avancer, en douceur, et lutter contre l'homophobie.

Il est vrai qu'à côté des initiatives institutionnelles, la télévision et le cinéma jouent un rôle. La recommandation adressée par le CSA aux chaînes vise précisément à présenter la réalité de la société et non un cumul de stéréotypes. Cela vaut aussi pour l'image des femmes dans la société.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Au nom de toute la commission, je vous remercie. Nous allons suivre avec attention votre action !